Publié le 20 Janvier 2019

Meeting en faveur de l'autogestion en Algérie (1963).

Meeting en faveur de l'autogestion en Algérie (1963).

« Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse se termineront toujours en la gloire du chasseur » Joseph Ki-Zerbo.

Cet Appel part d’une constatation : l’effarante ignorance et le néfaste oubli causés par l’intéressée occultation d’une partie fondamentale du passé du peuple algérien. En l’occurrence, il s’agit en particulier de l’expérience autogestionnaire qui eut lieu en Algérie, tout juste au lendemain de l’indépendance. Contrairement aux allégations des vainqueurs de l’histoire, cette expérience réalisa le miracle d’assurer une certaine continuité de la production industrielle et agricole, en dépit de l’abandon des propriétaires et cadres techniques coloniaux, et malgré l’absence d’un État nouveau capable de gérer le pays tout juste libéré. Cette expérience démontra avec éclat l’absurdité oligarchique du dicton algérien « Ilâ anta mîr ou anâ mîr, achkoun issoug al hmîr ? » (Si tu es maire et je suis maire, qui conduira les ânes ?). En effet, les « ânes » prouvèrent avec éclat leur capacité d’être des « maires », c’est-à-dire des gestionnaires, et cela de manière libre, égalitaire, solidaire et, - cerise sur le gâteau -, efficace !

En Algérie, actuellement, tous s’accordent à reconnaître l’extrême délicatesse de la période. Les solutions correctes aux problèmes sociaux ne sont pas claires. Aussi, le débat en cours gagnerait à remettre à l’ordre du jour un idéal social et la forme concrète qu’il eut dans le passé, comme il essaie de l’avoir dans le présent : il s’agit de toute réalisation, selon l’expression consacrée, « par le peuple et pour le peuple », plus exactement des actions autonomes, libres, égalitaires et solidaires, entreprises par des citoyen-ne-s en Algérie, de 1962 à aujourd’hui, en vue du bien commun. Celui-ci implique l’élimination de toute forme d’exploitation économique d’une majorité par une minorité, donc de domination sociale de la première par la seconde ; cela suppose, bien entendu, la suppression de toute forme de conditionnement idéologique. Telle n’est-elle pas la volonté fondamentale du peuple, comme celle de tout authentique démocrate ?

Évitons un malentendu. Cet Appel n’a aucune prétention, évidemment, de s’imaginer comme solution actuelle à la situation présente. Il s’agit simplement d’une mise en perspective à long terme ; elle tient cependant en considération des actions autogestionnaires actuelles, comme possibles semences pour une future récolte plus consistante.

Dès lors, il s’agit de savoir quelles furent dans le passé, et quelles sont dans le présent les caractéristiques de l’autogestion sociale, ses succès, ses limites, ses échecs, ses perspectives et les leçons pratiques à en tirer. Le but est la recherche non pas d’un modèle ni de recettes miraculeuses, servant une minorité, mais d’une piste vers des solutions socialement équitables, pacifiquement réalisables, démocratiquement débattues et acceptées par et pour la collectivité entière. Utopie ?… Peut-être. Aux citoyen-ne-s la décision !

Pour connaître et faire connaître ces propositions de solutions, un Appel est donc lancé à témoignages, sous la forme d’écrits personnels (en dziriya dite « darija », tamazight, arabe classique ou français), de déclarations audio (dans l’une de ces langues), de matériel photographique documentaire (tracts, journaux, revues, photos d’assemblées, d’actions diverses, etc.), éventuellement vidéo..

Le but est de faire le point sur les actions passées et présentes d’autogestion collective en Algérie et, mieux encore, de créer un centre de recherche ou, mieux encore, un observatoire permanent sur l’autogestion sociale. Espérons faire ensemble œuvre utile pour déterminer en quoi cette pratique pourrait être, dans les conditions actuelles de l’Algérie, en dépit des dénigrements intéressés, une bénéfique source d’inspiration dans la recherche et l’instauration d’une société où liberté individuelle soit en harmonie avec une solidarité collective, dans le respect des spécificités culturelles. Le point fondamental est d’examiner si l’autogestion sociale, en Algérie (comme partout ailleurs), est ou n’est pas la réalisation la plus réellement concrète de démocratie populaire dans le meilleur sens de l’expression. Cette autogestion a existé en Algérie, et démontra son efficacité, avant d’être éliminée par la force bureaucratique, laquelle, comble de l’imposture, se manifesta au nom du « socialisme ».

En complément à cette production documentaire de la part des intéressé-e-s, seront prochainement publiés, de ma part, un essai théorique Pourquoi l’autogestion ? (1), comme perspective actuelle à considérer, ainsi qu’un roman : Quand la sève se lève (2). Ce dernier relatera, juste après l’indépendance, deux expériences autogestionnaires : dans une usine de chaussures à Oran, et dans une ferme des environs, à Gdyel. Par ces diverses productions, l’espoir est d’intéresser aussi bien les lecteurs d’essais que ceux de littérature, en illustrant le très beau vers du regretté ami et compagnon Jean Sénac / Yahia Alwahrani : « Tu es belle comme un comité de gestion ».

Décharger le texte de l’Appel ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie_appel_autogestion.html

_____

(1) https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres_pourquoi_autogestion.html

(2) https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-roman_quand_seve_se_leve.html

 

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 14 janvier 2019.

Voir les commentaires

Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

Repost0

Publié le 14 Janvier 2019

De la liberté solidaire

Liberté.

Le mot « liberté » est employé par tout le monde, à l’exception, bien entendu des dictateurs. Et encore ! Il leur arrive de déclarer promouvoir la « liberté » quand il s’agit, en réalité, uniquement de celle de leur obéir. Telle est la caractéristique des dictateurs : ils osent appeler « liberté » l’asservissement des autres.

Les soit disant « démocrates » manifestent la même imposture, cependant de manière plus hypocrite. D’abord, ils se déclarent « libéraux », terme construit à partir du mot « liberté ». En effet, le « libéralisme » prétend défendre la liberté. Mais de laquelle s’agit-il en réalité ?… Celle dite de l’ « individu », du point de vue général, et, dans le domaine économique, celle du « laisser faire, laisser aller ». Dans les deux cas, il s’agit de la liberté des personnes (comme individus singuliers ou comme caste) les plus puissants en richesse matérielle, en ruse intellectuelle, en égoïsme caractériel et en insensibilité psychique à la souffrance humaine de leurs victimes. C’est la conception de la jungle : la guerre de tous contre tous, et que le plus fort l’emporte, la fin justifiant les moyens, comme l’expliqua Machiavel dans « Le Prince ». Cette vision se base sur une prétendue « nature » humaine : elle existerait depuis l’apparition de l’espèce, et consisterait dans la « struggle for life » (lutte pour la vie). Cette vision utilisa de manière très opportuniste la théorie de l’évolution animale de Darwin pour la transposer, de manière non scientifique mais idéologique, dans le domaine de l’espèce humaine. Ainsi, les castes dominatrices-exploiteuses crurent justifier et légitimer leur hégémonie sociale.

Cette « liberté » du « libéralisme » a vu le jour historiquement quand la bourgeoise capitaliste combattait pour se libérer du féodalisme autocratique, adversaire de toute forme de liberté d’une manière absolue. Cependant, les idéologues bourgeois capitalistes, en parlant de « liberté », ne tenaient compte que de celle individuelle (du plus puissant socialement) ; ils occultaient le fait qu’il s’agissait de la « liberté » du bourgeois capitaliste de s’émanciper de la domination féodale, afin de développer sa personnelle liberté de commercer, donc d’acheter de la main-d’œuvre en échange d’un salaire, et faire du profit. Celui-ci est basé sur la règle de sa maximisation, ce qui implique la minimisation du coût de la force de travail : là réside l’exploitation capitalise. Elle se concrétise par par ce que Joseph Proudhon a formulé le premier, et Karl Marx a développé : la plus-value, produite par l’exploitation de la force de travail des salariés.

Dès lors, parler de « liberté » d’une manière générale sans autre précision, et notamment de liberté « individuelle », occulte ce qu’elle contient dans la réalité : la liberté d’exploiter et de dominer, exercée par une minorité de privilégiés sur une majorité de victimes. Mais, alors, objecterait-on : qu’en est-il de la liberté, proclamée par la Révolution française de 1789 ?… La réponse est dans la suite de l’exposé.

Égalité.

Les considérations précédentes permettent cette affirmation : toute liberté est un leurre (une tromperie) et une injustice si elle n’est pas couplée avec l’égalité entre tous les êtres humains.

Bien entendu, ces derniers n’ont pas des caractéristiques identiques du point de vue de leur aspect physique et intellectuel. Néanmoins, ces différences n’autorisent pas de ségrégation entre les nécessités d’existence matérielle entre ces mêmes êtres humains. Au nom de quoi ?… Du principe d’équité. Ce principe distingue l’émancipation de l’espèce humaine de son animalité primitive, qu’on peut également appeler barbarie.

L’équité humaine implique que tous les êtres humains sont égaux en droits en matière d’accès aux richesses naturelles de la planète, donc de nourriture, de logement, de santé, d’instruction, de loisirs, etc. Par conséquent, toute forme d’exploitation économique, de domination politique et de conditionnement idéologique porte atteinte à cette égalité entre les êtres humains. Donc, toute liberté (individuelle) qui ne comprend pas l’égalité (entre les individus) n’est que celle de l’être humain agissant comme un animal (un barbare) au sein d’une « société » qui est demeurée une jungle. Toutes les considérations des idéologues du « libéralisme » ne pourront jamais occulter ce fait, quelques soient leurs formules hypocrites, apparemment civilisées et au « service » de l’humanité.

La fameuse révolution française de 1789 commença d’abord par proclamer le célèbre principe « Liberté, Égalité, Fraternité ». Cependant, bien vite, l’égalité fut éliminée par la caste de Robespierre. Elle envoya à l’échafaud les partisans de l’élément le plus important de la célèbre trilogie, - l’Égalité -, précisément appelés les « Égaux » : les Hébertistes et les babouvistes. Ils étaient les révolutionnaires authentiques, radicaux ; et, malheureusement, le fer de lance de la révolution française, les Sans-Culottes prolétaires, ne se soulevèrent pas contre cette première forme de contre-révolution, autrement dit de récupération de la révolution populaire par la bourgeoisie étatiste. Laquelle, pour se légitimer, en guise de religion, inventa l’Être Suprême. Et, pour le fêter, le même Robespierre se permit cette manifestation de pouvoir absolu personnel : se présenter en premier, devant tous les autres, à cette célébration. Vanité de despote. Adieu l’Égalité ! Désormais, il y eut des « égaux mais plus égaux que les autres » : les membres de la nouvelle caste bourgeoise étatiste, représentée par Robespierre.

Donc, adieu la liberté ! Celle des révolutionnaires qui défendaient réellement les intérêts du peuple travailleur et exploité de France. Ne restait plus que la « liberté » de la caste bourgeoise étatiste d’établir un régime politique à sa convenance, en éliminant par la guillotine ses adversaires, non seulement féodaux mais également les partisans des authentiques Égalité et Liberté (celles de tous, et d’abord des prolétaires).

De la « Fraternité » n’est restée que celle des robespierristes, nouvelle forme de caste despotique bourgeoise capitaliste. Là est la réelle histoire de la Révolution française de 1789, non pas relatée par les écrivains dominants.

Solidarité.

Auparavant, ont été évoqués les droits citoyens. Venons aux devoirs. Quel est le premier d’entre eux sinon la solidarité : celle du fort avec le faible, quelques soient les formes de cette force et de cette faiblesse ?... La solidarité est la meilleure et la plus significative preuve que l’espèce humaine s’est affranchie de sa première période, celle animale, marquée par la loi de la jungle, à savoir la domination du plus fort sur le plus faible.

Cependant, même dans le règne animale, existe des formes de solidarité, relatés par Pierre Kropotkine dans ses ouvrages. Il reste néanmoins vrai que, dans le monde animal, le plus fort domine et vit aux dépens du plus faible. Par conséquent, c’est par la solidarité du plus fort avec le plus faible que l’humain manifeste son émancipation de son animalité. C’est dans ce progrès fondamental dans les relations sociales que l’espèce manifeste la meilleure partie d’elle-même : son humanité, comme supérieure à l’animalité. Là sont les authentiques civilisation et culture (1).

Dès lors, il devient compréhensible d’affirmer ceci : les personnes les plus dotées d’instruction (quelque soit le domaine), et les personnes qui ont dirigé, dirigent ou dirigeront des communautés humaines (quelques soient leur nature et importance) ne peuvent être considérées civilisées et cultivées que dans la mesure où leurs actes et conceptions manifestent la solidarité indispensable du plus fort avec le plus faible. Autrement, leur cerveau demeure celui de l’animal préhistorique, et ceci quelques soient les diplômes universitaires obtenus et la position sociale occupée.

Quelles sont les deux premières formes de solidarité ?… Faire en sorte que tous les êtres humains soient : 1) considérés et traités de manière égalitaire, et cela quelques soient les différences des aptitudes physiques et intellectuelles ; 2) considérés et traités comme êtres libres de bénéficier de tous les droits à une vie digne, auparavant évoqués.

Trinité salvatrice.

Ainsi, espérons avoir montré pourquoi et comment il ne peut exister de liberté authentique sans égalité et solidarité authentiques. C’est le motif qui explique mon emploi systématique de l’expression « liberté solidaire ». Dans « solidaire » est inclus l’égalité. Et s’il faut être totalement exhaustif, il faut, alors, dire : « liberté égalitaire solidaire ».

Supprimez l’un de ces trois éléments, et vous n’aurez plus aucun des trois éléments, dans son acceptation authentique.

Sans égalité de droits, comment pourraient exister la liberté authentique, autrement dit pour toutes et tous, et la solidarité du fort avec le faible ?… Sans égalité, que serait la liberté, sinon celle du plus fort au détriment du plus faible ? Sans égalité que serait la solidarité sinon, d’une part, celle des membres de la caste dominatrice-exploiteuse pour exercer ce privilège, et, d’autre part, une aumône humiliante et insuffisante envers les dominés-exploités ?

Sans la solidarité, que serait la liberté sinon celle du plus fort au détriment du plus faible. Sans la solidarité, que serait l’égalité, sinon celle de ceux qui se croient « plus égaux que les autres », à savoir les castes oligarchiques exploiteuses-dominatrices ?

Que l’on ne s’imagine pas que ce genre de castes se trouvent uniquement parmi les bourgeois capitalistes. Les bolcheviques, malheureusement, se comportèrent ainsi dès qu’ils mirent la main sur le pouvoir étatique (2). Et, en Algérie, on connaît le dicton populaire de l’époque du « socialisme » : « L’ichtirakiyâ ?… L’auto lîke wal hmâr liyâ ! » (Le socialisme ?… L’auto pour toi et l’âne pour moi).

En conclusion, en présence du mot « liberté », il faut absolument veiller à savoir quelle en est la relation avec l’égalité et la solidarité. Autrement, on est au mieux dans la confusion, au pire dans la manipulation opérée volontairement par les dominateurs-exploiteurs et leurs scribes-mandarins de service, et ceci quelque soit l’idéologie proclamée.

Bien entendu, ces considérations seront jugées « séditieuses » et fomentant la « division » sociale par ceux-là même qui tirent profit de la division sociale, basée sur l’exploitation. Cependant, l’unité sociale harmonieuse implique la suppression de toute exploitation de l’être humain par son semblable, pour la remplacer par la liberté, l’égalité et la solidarité. Au « chacun pour soi et Dieu pour personne », il faut passer au « chacun pour tous et tous pour chacun ». Autrement, la part animale de l’être humain se conclura par l’extinction pure et simple de l’espèce humaine, sous forme de guerre nucléaire. Dans le passé, on disait « socialisme ou barbarie ». Nous voici à l’époque de : solidarité ou disparition de l’espèce humaine sur la planète Terre. La solidarité authentique comprend l’égalité et la liberté collectives, donc individuelles.

_____

(1) L’exposé développé de cette idée fut formulée par Michel Bakounine dans son ouvrage « Dieu et l’État », disponible ici : http://fr.wikisource.org

(2) Voir Voline, « La révolution inconnue », disponible ici : http://kropot.free.fr/Voline-revinco.htm

Publié sur Algérie Patriotique le 06-01-2019, et sur Le Matin d'Algérie, le 08-01-2019.

Voir les commentaires

Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

Repost0

Publié le 14 Janvier 2019

À la mémoire d’un ami du peuple algérien

Le 29 décembre 2018, à 79 ans, David Lewis Porter a quitté notre monde, suite à une maladie.

Citoyen états-unien, durant ses études universitaires, il fut présent à Paris, où il soutint ardemment le combat pour l’indépendance du peuple algérien.

Par la suite, après l’indépendance, il travailla en Algérie, durant l’expérience d’autogestion industrielle et agricole, en soutenant sur le terrain cette extraordinaire expérience. Il en relata les aspects dans un de ses livres et dans une interview, dont j’ai rendus compte (1).

Enfin, de retour dans son pays, exerçant comme professeur dans plusieurs universités, il enseigna ce qu’il apprit de l’autogestion sociale algérienne.

David Porter, jusqu’à la fin de sa vie, était un lecteur assidu de la presse algérienne. Ainsi, il connut mes contributions et me contacta en exprimant ses appréciations, son encouragement et son accord. Il eut ensuite l’amitié de me proposer son éditeur aux États-Unis, AK Press Éditions, pour mon ouvrage concernant ma participation au mouvement de mai 1968 en France, qu’il traduisit en anglais bénévolement (2).

David Porter s’intéressa et publia un ouvrage également sur cette autre expérience d’autogestion sociale qui eut lieu dans l’Espagne républicaine de 1936 à 1939 (3). Parallèlement, dans son pays, ainsi que la localité où il résidait, il écrivait et militait comme anarchiste, pour une société égalitaire, libre et solidaire.

Dans la lettre annonçant le décès de David Porter, son épouse Nancy Schniedewind écrit en conclusion : « In lieu of flowers, it is requested that you take courageous action toward a more free and beautiful world. » (En guise de fleurs, il vous est demandé d’entreprendre une courageuse action pour un plus libre et beau monde. »

Les écrits de David Lewis Porter se distinguent par leur clarté, leur chaleur humaine, leur net engagement social et un très précieux enseignement. Ses actions concrètes étaient marquées par une solidarité indéfectible tant avec ses compagnons de combat émancipateur qu’avec les citoyens anonymes côtoyés durant les luttes sociales. Merci d’avoir existé, David ! Tu restes vivant dans le cœur et l’esprit comme un bel et chaleureux compagnon de cet idéal où riment harmonieusement ensemble égalité, liberté et solidarité universelles.

 

Publié le 1er janvier 2019 sur Algérie Patriotique et sur Le Matin d'Algérie.

Voir les commentaires

Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

Repost0

Publié le 1 Janvier 2019

Un Mai libre et solidaire ou la traversée de 68 par un jeune Algérien

Cet essai-témoignage(1) est né de quatre constatations. La première est l’ignorance ou les déformations volontaires dans lesquelles est tenu ce que fut  ce qu’on appelle, dans les médias dominants : les «événements de mai 68». En réalité, ce fut un mouvement social révolutionnaire qui ébranla le système capitaliste en France, en relation avec d’autres mouvements de contestation sociale révolutionnaire qui avaient éclaté dans le monde. En France, voici ce que fut l’essentiel : dix millions de citoyens, étudiants et travailleurs, en grèves et en manifestations de rue, contraignant le Président de la République, Charles De Gaulle, à abandonner l’Élysée. Il se réfugia auprès de l’armée française stationnée en Allemagne, dirigée par le général Massu, de sinistre mémoire durant la Guerre de libération nationale algérienne.

Seconde constatation : l’ignorance ou les déformations volontaires sur l’importance des idées anarchistes libertaires dans le mouvement français. Les responsables de ce méfait se trouvent tant parmi les « libéraux » capitalistes que parmi les… marxistes. Eh oui ! Sans oublier les participants à la contestation de mai 1968 qui ont tourné casaque en employant leur engagement révolutionnaire comme curriculum pour s’établir dans les sphères du pouvoir dominateur régénéré.

Troisième constatation : l’état de confusion et de désarroi des jeunes d’aujourd’hui en ce qui concerne la naissance d’un mouvement social du même genre, pour se débarrasser de toute forme d’exploitation-aliénation-domination, afin de construire une communauté humaine libre et solidaire. La révolution de mai 68 en France en montra la possibilité, malgré son échec final comme projet global. Pour paraphraser une expression connue : une bataille sociale fut perdue, mais pas la guerre sociale qui se poursuit sous d’autres formes.

Quatrième constatation: la nécessité de témoigner personnellement sur ce que fut ce mouvement révolutionnaire, pour le jeune que l’auteur de l’essai était à l’époque. Algérien, étudiant en art théâtral, il participa à la contestation sociale. Dans son témoignage, il met en évidence les buts poursuivis, les méthodes employées, les succès obtenus, les erreurs commises, enfin les leçons à dégager pour l’action présente, quel que soit le pays considéré.

Bien entendu, cet ouvrage ne pouvait être publié que par une maison d’édition partageant les vues de l’auteur, fonctionnant de manière autogérée et utilisant l’argent résultant des ventes uniquement pour la gestion des activités éditoriales militantes. En France, l’Atelier de création libertaire, en Italie ClassiEdizioni (publication en janvier 2019), aux Etats-Unis AK Press (publication en avril 2019).

A propos de la participation de l’auteur à la révolution de mai 1968, Kateb Yacine, en 1975, le traita, sans le nommer explicitement, de «gauchiste»(2). Concernant le livre-témoignage lui-même, Abdellali Merdaci, dans un article signé comme «professeur de l’enseignement supérieur, écrivain et critique», se démarqua de l’auteur du livre, en se décrivant lui-même ainsi : «Il n’a pas participé à mai 1968 en France pour y disserter à tire-larigot sur le sexe et la révolution.»(3) Aux lectrices et lecteurs d’en juger. On comprendra, alors, que le peuple algérien ne souffre pas uniquement d’obscurantisme clérical et de domination politique oligarchique, mais également du manque d’une authentique élite intellectuelle à son service.

Contentons-nous de proposer un extrait de ce livre, le chapitre 7 : «Etudier, encore étudier, toujours étudier… pour agir au mieux.»

«Les actions et les discussions mettaient en évidence une carence chez la plupart pour ne pas dire toutes et tous : notre manque de connaissances suffisantes sur la manière de changer les choses selon notre désir collectif.

«Multiples et urgentes étaient les questions à résoudre. Comment convaincre la majorité des étudiants, indifférents ou hésitants ? Comment se lier aux travailleurs, manuels et intellectuels ? Comment obtenir la solidarité active de la partie de population exploitée ? Comment affronter efficacement les groupuscules conservateurs, sur le terrain des idées ? Comment ne pas être victimes des actions violentes et terroristes des groupuscules fascistes ? Comment mettre de notre côté les agents de police, ces enfants du peuple laborieux ? En cas d’aggravation de la situation, comment obtenir la solidarité des soldats, commandés pour nous réprimer ?…

«D’autres questions exigeaient des solutions. Comment établir des relations correctes entre garçons et filles, pour ne plus entendre ces dernières lancer, avec raison : “Eh, mâles révolutionnaires, qui vous lave les chaussettes ?”, ni les entendre reprocher : “Eh, cher amant ! Sais-tu que la femme a un orgasme pour jouir de l’amour avec toi ?” Vaste, total était donc le projet en vue, toutes les questions semblaient importantes, liées l’une à l’autre. Tout et maintenant ! Beaucoup se proposaient la concrétisation de ce programme. Quand certains suggéraient des actions prioritaires, conditionnant les autres, souvent les sifflets et la grogne les dissuadaient de continuer à parler.

«Toutes les tendances s’exprimaient, s’affrontaient pour emporter l’adhésion de la majorité : marxistes-léninistes-maoïstes, trotskystes, socialistes de toutes nuances, catholiques sociaux, protestants, anarchistes, situationnistes, etc.

«Je défendais l’option autogestionnaire, comme la plupart des simples étudiants.»

Concernant cet ouvrage, un seul regret : qu’il ne soit pas disponible gratuitement sur internet. Le motif de ce choix est le suivant : contribuer au financement des petites maisons d’éditions autogérées et au service de l’autogestion sociale.

Qu’il soit permis de conclure ce compte-rendu avec un autre témoignage(4). Il exprime de la meilleure manière ce que fut le mouvement de mai 1968 en France. Ce témoignage est à lire avec toute l’attention requise, car très rares sont les textes de ce genre. Celui-ci éclaire la motivation  profonde fondamentale de ce que fut et demeure pour certains d’entre nous la participation à la révolution (hélas avortée) de mai 1968 en France.

«Il n’y a peut-être jamais eu de génération sur le compte de laquelle et à propos de laquelle on a plus  menti,  déformé,  trafiqué, que celle de 68. (…) C’est pourquoi il importe de ne pas se laisser déposséder de l’événement qui a décidé de notre vie. Il importe, oui, de ne pas laisser dire aux vainqueurs ce que fut notre génération, ce qu’elle a fait, ce qu’elle a espéré, ce qu’elle a réussi et ce qu’elle a raté. Ce serait comme nous suicider historiquement, ce serait laisser derrière nous inentamé le règne des menteurs. Car, à bien y regarder, et en considérant tous ceux qui ont pris l’autre chemin,   qui   nous   aurait   empêché   de   faire   de   la   communication,   de   la publicité, des romans faciles, du journalisme de sensation ?(5)

«Nous avions les atouts, les talents. Nous n’en avions pas le goût. Plus d’un qui a partagé notre jeunesse a réussi à se hisser dans la vie, tant le  militantisme  a souvent développé les qualités de bagout  et de  manœuvre  si nécessaires pour  parvenir  dans ces mondes de «réussite». L’obscénité de ces mondes a souvent suffi à nous en écarter. La répulsion quasi-instinctive que nous avons ressentie et que nous ressentons encore pour l’exploitation des talents que certains avaient révélés après 68, le dégoût pour ces vies trahies que l’on dit réussies est telle que nous n’avons jamais eu vraiment d’excuse pour ceux qui n’ont pas été révulsés par l’exercice des fonctions les plus serviles que réserve cette société à ceux qui choisissent de s’y conformer.

«Notre  morale, aussi paradoxale qu’elle puisse paraître à ceux qui n’ont pas connu cette histoire, a consisté à nous mettre du côté des vaincus, sans honte et même avec une certaine fierté non pas d’être vaincus mais de ne pas être parmi les vainqueurs satisfaits. Tel fut le point de bifurcation.»

_____

(1) Voir https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-mai-68.html

(2) Voir « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », Livre 2, gratuitement disponible ici :  https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-theatre-oeuvres-ecrits%20sur%20theatre_ethique_esthetique_theatre_alentours.html

(3) In https://www.algeriepatriotique.com/2018/07/11/mise-point-a-propos-concept-mtorni/

(4) Christian Laval, « Insistance de 68 ». Cet extrait fut déjà cité dans mon ouvrage « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », Partie II. Voir ci-dessus la note 2.

(5) Pour ma part, j’ajouterai : faire du théâtre «contestataire» en Algérie, financé par l’oligarchie au pouvoir, tout en faisant croire à un «progressisme» opportuniste, en recevant en sus des privilèges dont on cache soigneusement une partie matérielle, notamment immobilière.

Publié  sur Le Matin d'Algérie, le 6 octobre 2018, et sur Algérie Patriotique le 17 novembre 2018.

Voir les commentaires

Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

Repost0