Publié le 25 Avril 2019

Manifestation populire en Algérie, avril 2019.

Manifestation populire en Algérie, avril 2019.

La constatation du poids des idées reçues, véhiculées par une idéologie oligarchique dominante, exige de s’efforcer au maximum de clarification des mots et des expressions. Sans cette clarification, dont le meilleur moyen est le débat démocratique le plus libre, le plus large et le plus populaire possibles, aucun mouvement social ne peut réussir. Examinons donc ici quelques expressions et mots. Cet examen est indispensable car, à la fin de chaque démonstration de rue, les participants restent avec la question angoissante : comment faire accoucher les manifestations publiques avec le système social finalement revendiqué ?

Représentation politique.

Non pas les théories, mais l’histoire concrète sociale mondiale l’enseigne : aucun mouvement social ne peut aboutir sans se doter de sa propre représentation politique. Par ce dernier adjectif, il ne faut pas entendre nécessairement un parti, car celui-ci, quelle que soit sa couleur idéologique proclamée, faillit toujours à sa mission originelle, en voyant ses dirigeants se transformer, plus ou moins rapidement, en une caste élitaire privilégiée, aux intérêts contraires à ceux du peuple qu’elle prétend représenter. Il en est ainsi depuis la Révolution française de 1789 ; absolument aucun parti politique, y compris le plus « révolutionnaire », n’y fait exception (1).

Par l’adjectif « politique » donc, il faut entendre le terme étymologique de « polis » : cité. Et par extension : société (qu’on appelle depuis quelque temps « civile »). Par conséquent, la représentation dont il est question ici est de type social. Autrement dit, un mouvement populaire doit se doter d’une représentation en tant qu’émanation de ses intérêts et buts sociaux, en tant que mouvement social.

Évidemment, dire représentation politique, c’est, aussi, supposer une autorité, donc une direction. Encore une fois, l’histoire enseigne : aucun mouvement social ne peut concrétiser ses buts s’il ne dispose pas d’une autorité et d’une direction. Bien entendu, celles-ci doivent veiller à être l’émanation totale de la volonté populaire, exprimée de manière majoritaire, lors de débats libres, ayant pour but l’intérêt du peuple, et choisissant ses représentants avec mandat impératif.

Insistons sur le fait qu’il s’agit de représentants, et non de dirigeants. Les mots ont leur importance pratique ! Le seul dirigeant est et doit être le peuple, à travers l’expression de sa volonté. Par conséquent, les représentants qu’il choisit ont une seule fonction : concrétiser les décisions du peuple, rien d’autre. Si un représentant considère erronée une quelconque décision du peuple, c’est durant le débat qu’il doit formuler sa réserve, mais une fois qu’il assume la fonction de représentant, il est tenu à appliquer la décision pour laquelle il a été élu. Ajoutons que ce représentant ne doit bénéficier d’aucun privilège, autrement le voici devenu membre d’une caste oligarchique. Donc, ce représentant ne doit disposer que d’un salaire correspondant à celui d’un travailleur de qualification moyenne, et doit répondre à ses mandataires de tout acte de représentation de sa part.

Hétéro- et auto-organisation (2)

Pour un mouvement citoyen, il est vital de distinguer entre ces deux aspects. L’hétéro-gestion consiste dans la direction d’un mouvement social par des agents qui lui sont externes, même s’ils déclarent défendre les intérêts de ce mouvement social : politiciens professionnels, « sauveurs » divers, « leaders charismatiques », intellectuels, « experts », etc. Dès lors, il est inéluctable que le peuple finisse, à plus ou moins long terme, par n’être que le bras armé, le levier permettant à une nouvelle couche oligarchique de s’emparer du pouvoir étatique pour servir d’abord ses privilèges, en ne laissant au peuple que les miettes, en vue d’obtenir son consensus à son asservissement volontaire.

L’unique manière, donc, pour un mouvement social d’assurer la sauvegarde de ses intérêts légitimes est de s’auto-organiser. Cela doit être fait sur deux bases complémentaires : géographique et d’activité. Géographique : de l’immeuble au quartier, à l’ensemble des quartiers jusqu’à la ville, ainsi que villages, douars, etc. Activité : habitat, travail, études, loisirs, etc.

Encore une fois, l’histoire sociale le prouve (3) : le peuple est en mesure de construire ses auto-organisations de manière autonome, libre, égalitaire et solidaire. Il suffit que les éléments de ce peuple les plus expérimentés et instruits en comprennent l’importance stratégique absolue, et se mettent à l’œuvre.

Malheureusement, il semble que cet impératif décisif d’auto-organisation n’est pas encore suffisamment exprimée dans les manifestations populaires ; et, même parmi ce qu’on appelle les « élites » favorables au peuple, l’idée de son auto-organisation semble minoritaire. C’est qu’il est très difficile à un membre de l’ « élite » de se défaire de son aliénation présomptueuse à se croire un « sauveur » d’un peuple, jugé « ignorant » et « grégaire », d’une part ; et, d’autre part, le peuple, quoiqu’on dise, n’est jamais stimulé, encore moins préparé à s’auto-organiser, et lorsqu’il le fait (par exemple en constituant des syndicats ou autres associations autonomes), l’oligarchie dominante limite sinon réprime ces formes d’auto-organisations autonomes, tandis que les membres de l’ « élite », de mentalité majoritairement hétéro-gestionnaire, donc autoritaire, traitent ces formes d’auto-organisations populaires d’ « anarchie », évidemment. C’est dire qu’une révolte, même gigantesque, n’est pas automatiquement une révolution, autrement dit une rupture sociale radicale. C’est dire qu’en ce qui concerne les manifestations populaires, il faut se méfier de ceux qui les chantent de manière démagogique, sans souligner un fait : si ces manifestations sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes pour créer un système social nouveau, répondant aux intérêts du peuple. Il est indispensable que ces démonstrations collectives publiques accouchent et se complètent par l’auto-organisation populaire. Autrement, c’est l’amer échec, par la récupération sinon la répression, comme partout et toujours dans le monde.

Bien entendu, en formant ses auto-organisations, le peuple doit absolument veiller à ce qu’elles ne soient pas manipulées par quiconque, notamment par les agents locaux de l’impérialo-sionisme ni de l’impérialo-islamisme (saoudien, émirati et turc), sans oublier les agents de l’oligarchie autochtone.

Mots et enjeux.

Parmi les manifestants comme chez les « élites », on parle de « justice », de « droit », de « développement économique », enfin de « système dégage, tout le système ! »... Est-on certain que ces mots correspondent effectivement et efficacement aux enjeux sociaux ?… Ces derniers ne se définissent-ils pas, essentiellement et clairement, par trois aspects : exploitation économique de l’être humain par son semblable, domination politique du peuple par une oligarchie, conditionnement idéologique de ce même peuple par cette même oligarchie ? Et peut-on obtenir un système social considéré comme véritablement « juste » en l’absence de l’un de ces aspects ?

Or, ces trois aspects semblent absents comme formulations claires. Que les membres de l’ « élite », dans leur majorité, préfèrent les mots vagues, mais ronflants et creux, cependant à effet démagogique et manipulateur, cela est dans la nature de ces membres de l’ « élite ». Mais le peuple, dans ses diverses catégories (travailleurs, étudiants, jeunes, adultes, hommes, femmes) et ses porte-parole spontanés (à ne pas confondre avec les manipulateurs de tout acabit) ne doit-ils pas parvenir au maximum de clarté dans l’expression de ses revendications légitimes ? Tant que cette clarté n’est pas présente, un mouvement populaire, quelques soient son importance et ses prouesses, peut-il réussir, c’est-à-dire concrétiser les buts pour lesquels il se bat ? Ne risque-t-il pas de finir par être manipulé par ses faux amis ? On les reconnaît à leurs louanges les plus flamboyantes à propos du peuple, mais sans jamais parler de son indispensable auto-organisation pour s’auto-émanciper. Le flatteur vit toujours aux dépens de celui qui l’écoute ! Attention donc aux mots et aux expressions !

Double pouvoir.

L’effort de clarté et d’honnêteté exige de ne pas taire ni négliger un autre aspect du changement social. Une rupture sociale n’a lieu qu’en présence de l’émergence d’un pouvoir inédit qui entre en compétition avec le pouvoir établi. Le nouveau pouvoir s’exprime d’abord sous forme sociale populaire, tandis que le second s’incarne dans l’usage oligarchique de l’État.

Le pouvoir étatique, géré par l’oligarchie qui en détient les rouages, dispose de ses propres organisations dans tous les domaines sociaux : politique, juridique, idéologique, police politique, militaire. Au contraire, le pouvoir social populaire, dans sa première phase, ne dispose que de ses manifestations publiques de rues. Certes, elles peuvent chasser un tyran, mais pas le système social qui a produit ce tyran. Si donc le peuple veut réellement disposer d’une influence décisive, en mesure d’abolir un système inique au bénéfice d’un système au service de la communauté toute entière, ce peuple doit disposer d’un pouvoir réel, de type institutionnel : cela se concrétise par son auto-organisation. Celle-ci seule est capable de doter le mouvement populaire d’un pouvoir effectif, en mesure d’affronter le pouvoir étatique en place.

Dès lors, toute entreprise de transition, pour répondre correctement aux revendications formulées par le peuple, doit favoriser cette auto-organisation du peuple. Ainsi, cette forme de transition correspond réellement aux droits légitimes du peuple. Autrement, cette entreprise de transition, quelques soient ses déclarations publiques, accouche d’une nouvelle oligarchie dominante. Soit le pouvoir du peuple, institué, remplacera le pouvoir de l’oligarchie, soit ce dernier éliminera le premier.

Pacifisme et violence.

Quant à la méthode employée, elle est pacifique, sinon violente. Cette affirmation n’est pas le résultat d’une allégation gratuite ou d’une stupide divination, mais cette affirmation correspond au fonctionnement objectif des forces sociales en présence, tel que l’histoire mondiale le montre, partout et toujours. Aucune oligarchie sociale ne renonce à ses privilèges, à moins d’y être contrainte, de manière pacifique sinon violente. Partout et toujours dans le monde, chaque fois que la violence est employée par un mouvement social, elle accouche d’une oligarchie inédite, recourant, elle aussi, à la violence pour se constituer et se maintenir. C’est ainsi depuis la Révolution française de 1789.

Face à une auto-organisation d’institutions populaires, les forces détenant l’exercice de la violence se trouvent devant une alternative : s’opposer ou se solidariser réellement avec le peuple. Elles optent pour la seconde solution, si ces forces sont réellement ce que la Constitution les a définies, et ce qu’elles-mêmes se déclarent officiellement. En effet, police et gendarmerie n’ont pas pour rôle de réprimer les revendications légitimes pacifiques du peuple, mais uniquement de réprimer ce qui nuit au peuple comme communauté de citoyens. Quant à l’armée, son seul rôle est de défendre l’intégrité du territoire contre toute agression étrangère (ou interne, contraire au peuple).

L’espoir, donc, est que la méthode pacifique de changement social triomphe ; c’est l’unique manière de concrétiser un système social, lui aussi, basé sur le consensus pacifique.

Il est cependant vrai qu’il peut sembler que la violence obtienne le résultat escompté, et non pas la méthode pacifique. Toutefois, les expériences historiques montrent, sans exception, que ce raccourci n’a jamais produit le système social tel que voulu par le peuple, à savoir un système excluant toute forme de contrainte sociale par la violence. L’histoire enseigne : dans les changements sociaux, moyen et fin se conditionnement obligatoirement l’un l’autre.

Que donc aux institutions étatiques de l’oligarchie dominante soient opposées les institutions créées par et pour le peuple. Bien entendu, le mouvement populaire étant pacifique, il s’agit pour lui de créer de manière pacifique les institutions pacifiques qui lui permettent de concrétiser pacifiquement ses intérêts légitimes.

Du temps.

Penser que l’auto-organisation populaire réclame un temps très long est erroné. L’histoire enseigne qu’il y a des phases historiques caractérisé par un phénomène original : un jour équivaut à une année d’activité. Ce phénomène a lieu quand l’effervescence populaire atteint son niveau le plus élevé. Cette auto-organisation populaire pourrait donc se réaliser dans les plus brefs délais, si le peuple prend conscience de cette nécessité. À ce sujet, j’oserai même affirmer ceci : les 90 jours proposés pour des élections présidentielles en Algérie pourraient être suffisants pour construire cette auto-organisation institutionnelle du peuple, de telle manière que ce soit d’elle-même qu’émanerait un processus d’élection d’un président de la nation, celui-ci étant, alors, réellement une émanation de la volonté populaire.

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(1) Voir http://www.lematindalgerie.com/pour-un-mouvement-dautogestion-sociale

http://kadour-naimi.over-blog.com/2018/01/pour-un-mouvement-d-autogestion-sociale.html

(2) Ce critère fut développé dans ma thèse de doctorat en sociologie, non présentée. La recherche concernait le processus de transformation d’une révolution populaire en système conservateur totalitaire. Voir http://www.kadour-naimi.com/f-societe-autogestion-heterogestion-revolution.htm

(3) Toutes proportions gardées, voir la Commune de Paris de 1971, les soviets libres russes de 1917 à 1921, les collectivités espagnoles de 1936 à 1939, l’auto-gestion algérienne (celle authentique et non pas celle de la bureaucratie benbelliste), sans oublier la tradition en Kabylie des assemblées de village. Bien entendu, citer ces expériences historiques ne vise pas à les considérer comme des modèles ou recettes prêtes à l’emploi, mais uniquement comme sources d’inspiration. À ce sujet, voir la rubrique « Autogestion » in http://kadour-naimi.over-blog.com/

 

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 14 avril 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 25 Avril 2019

Lors d'une manifestation du mouvement populaire, avril 2019.

Lors d'une manifestation du mouvement populaire, avril 2019.

Un article d’une extrême importance attire l’attention en ce qui concerne le rôle d’agents étrangers, notamment états-uniens, dans les mouvements populaires de contestation dans le monde contemporain (1).

Si l’observateur averti n’est pas étonné du contenu de ce texte, par contre le reste des citoyens devrait absolument lire ce texte, le méditer et tirer les conséquences indispensables. Il en va du résultat du mouvement populaire, en Algérie comme ailleurs, s’il ne veut pas accoucher d’une nouvelle oligarchie dominante.

Agents étrangers et leurs harkis indigènes.

La particularité du texte de Ahmed Bensaada est d’attirer l’attention sur le rôle des agents étrangers. Bien entendu, il faut absolument en tenir compte. Depuis l’antiquité et partout dans le monde, le « cheval de Troie » est une tactique de guerre de l’ennemi étranger pour vaincre le peuple qu’il agresse pour le dominer.

Cependant, des remarques semblent nécessaires à considérer.

Les techniques utilisées par l’agent étranger pour manipuler le mouvement populaire s’inspirent directement de techniques inventées précédemment par un mouvement populaire et/ou ses leaders, eux-mêmes. Par exemple, la fraternisation des manifestants citoyens avec les forces de répression, police ou armée, ont existé déjà lors de la Commune de Paris de 1871, et par la suite, avec le soulèvement prolétarien en Russie, pour prendre leur plus extrême utilisation par le mouvement indépendantiste indien, sous la conduite de Gandhi.

C’est dire qu’au sujet de ce fait extrêmement important dans un mouvement populaire, la fraternisation entre citoyens manifestants et forces de répression, autrement dit la recherche de solidarité de la part des forces de répression avec les citoyens manifestants, ce fait peut être à double effet.

Si les citoyens (et leurs leaders réellement au service du peuple) sont suffisamment conscients des enjeux, même si un agent étranger (et ses harkis locaux) emploient la technique de la fraternisation entre citoyens manifestants et forces de répression, ces mêmes citoyens et leurs leaders doivent veiller à ce que cette fraternisation ne serve pas des intérêts occultes étrangers, mais uniquement ceux du peuple. C’est appliquer la règle « à malin, à malin et demi », ou « l’arroseur arrosé ».

En effet, par l’emploi de la fraternisation entre manifestants et forces de répression, que font les agents impérialistes sinon de récupérer une action positive pour servir leurs propres buts manipulateurs ?… Eh bien, les citoyens conscients, en recourant à la technique de fraternisation, ne feront, à leur tour, que reprendre à leur compte, au service réel du peuple, cette technique de changement social.

Il faut, donc, veiller absolument à ce que la dénonciation, - indispensable -, de l’action d’agents étrangers impérialistes (et de leurs harkis indigènes) ne conduise pas les citoyens à se démobiliser (sous le prétexte que leur mouvement est manipulé par l’étranger), mais uniquement à veiller à ce que leur mouvement soit le produit de leur propre décision et serve uniquement leur propre intérêt.

Quand aux leaders qui inspirent et conduisent le mouvement populaire, deux hypothèses se présentent. La première est qu’il s’agit, comme A. Bensaada le démontre, d’agents occultes impérialistes, relayés par leurs agents harkis locaux. Cependant, il est tout aussi envisageable que des leaders, au service réellement du peuple, agissent de manière cachée, pour éviter d’être arrêtés ou assassinés, soit par des agents du système étatique contesté, soit par des agents étrangers impérialistes (ou leurs harkis).

La fraternisation est évoquée ici comme le fait le plus important. Le même raisonnement est à suivre concernant les autres actions constatées lors du mouvement populaire : nettoyage des rues, offre de fleurs aux policiers ou soldats, emploi de l’humour, caractère absolument pacifique du mouvement, etc.

Ce sont là des techniques, et, comme telles, elles peuvent servir soit les agents étrangers impérialistes, soit le peuple. Que, par conséquent, ce dernier (et ses leaders réels) emploient ces techniques au service du peuple. Car il est d’importance vitale de les employer, afin, d’une part, que le mouvement populaire ne débouche pas dans la violence, - laquelle ne peut pas le servir, en aucune manière -, et, d’autre part, en veillant à ce que la fraternisation ne soit pas récupérée par des agents étrangers, mais servent à la concrétisation des intérêts du peuple.

Ajoutons cette autre observation. Dans son précieux texte, A. Bensaada cite, preuves à l’appui, des associations algériennes qui ont bénéficié de subventions financières. Elles montrent sinon une accointance consciente et volontaire avec des officines impérialistes, du moins une manipulation de la part de ces dernières.

Cette constatation, bien que extrêmement utile à révéler, doit, toutefois, éviter deux fâcheuses conséquences.

D’une part, il faut veiller à ne pas semer une suspicion injustifiée en ce qui concerne toute association citoyenne, en tant que telle, proclamant servir le peuple (en invoquant la « démocratie », la « liberté », les « droits de l’homme et de la femme », etc.). D’autre part, il est indispensable de veiller à connaître à fond les formes de financement de toute association, notamment celles occultes, mais il est également utile de discerner l’utilité d’associations citoyennes réellement au service du peuple.

« Exporter la démocratie ».

Bien entendu, l’impérialisme, quelque soit sa forme, a toujours caché son criminel but en se masquant comme « défenseur » et exportateur de « démocratie ». Comment dès lors le démasquer ?

La solution est simple. Il faut savoir que ce que l’impérialisme appelle « démocratie » n’est rien d’autre que le capitalisme, ce système par nature psychopathe, parce que son but unique et suprême est le profit, lequel ne peut être obtenu que par l’exploitation économique de la force de travail, physique et intellectuelle, de l’être humain.

Par conséquent, en ce qui concerne toute organisme qui se proclame « démocratique » ou poursuivant l’établissement de la « démocratie », il est d’une importance vitale de connaître ce que le mot « démocratie » contient (2). Voilà le motif pour lequel mes contributions textuelles veillent, chaque fois qu’il est question de démocratie, à éclaircir ce que ce terme contient d’ambiguë, donc de manipulateur, et ce qu’il faut entendre par « démocratie » dans son sens originel et authentique. Rappelons-le, car il est indispensable de le répéter afin de démasquer totalement l’imposture manipulatrice. La démocratie authentique, à savoir la gestion de la société par et pour le peuple (on appelle ce principe : autogestion, quoique le mot semble être passé de mode), se réalise uniquement à trois conditions.

1) Élimination sous toutes ses formes de l’exploitation économique de l’être humain par son semblable, donc, élimination du capitalisme, pour le remplacer par la socialisation (ou collectivisation) des moyens collectifs de production et de distribution sociaux. À ce sujet, écartons un malentendu. Les termes « socialisation » ou « collectivisation » ne se réfèrent pas aux prétendus « socialisme » ou « communisme » proclamés par les oligarchies étatiques qui s’en réclamaient, et cela à partir de 1917 en Russie, jusqu’au « socialisme » de l’époque du colonel Boumédiène.

2) Sans l’élimination de l’exploitation économique, il est impossible d’éliminer ce qui implique son existence : la domination politique. Il s’agit de la remplacer ce système social, caractérisé par la hiérarchie autoritaire oligarchique, par la coopération consensuelle populaire (ou citoyenne), en établissant les structures adéquates.

3) Et sans l’élimination de l’exploitation économique et de la domination politique, il est impossible d’éliminer ce qui légitime leur existence : le conditionnement idéologique. Il faut le remplacer par la liberté totale de penser et de s’exprimer, liberté qui suppose, pour être authentique, l’égalité absolue des citoyens en matière de droits et de devoirs, et leur solidarité réciproque.

Par conséquent, au sujet de toute organisation qui se réclame de la « démocratie », par exemple les diverses associations citées par A. Bensaada, il est indispensable, comme le fait l’auteur, d’en dénoncer le financement occulte, donc une collusion avec des officines impérialistes (capitalistes, soulignons-le) étrangères, relayées par des officines autochtones, également capitalistes.

Cependant, il faut également : soit créer des associations qui soient réellement au service du peuple, et au financement sans occultation ni ambiguïté, soit, encore, si on milite dans les associations citées par A. Bensaada, agir en sorte de les rendre totalement indépendantes par rapport aux officines impérialistes qui les financent. Encore une fois, il s’agit d’appliquer le principe « à malin, malin et demi », ou de « l’arroseur arrosé ». Il s’agit là d’un principe de base de la guerre, ici sociale : retourner les armes de l’ennemi contre lui.

Cyberespace.

L’un des domaines d’action sociale est le cyberespace. Bien entendu, il est utilisé aussi bien par des citoyens et leaders populaires honnêtes que par des agents impérialistes et leurs harkis locaux.

Cependant, il est vrai que le terrain du cyberespace a une caractéristique fondamentale : ce terrain est le mieux maîtrisé et utilisé par les personnes qui disposent le plus d’argent et, donc, également de la formation adéquate à l’utilisation de ce terrain. Il n’est donc pas étonnant de constater que les agents impérialistes et leurs harkis indigènes, financés et formés par eux, possèdent la plus efficace maîtrise de ce terrain de confrontation.

Il reste donc aux militants sincères de la cause populaire, en plus de leurs efforts de lutte dans le cyberespace, d’occuper le plus possible un autre terrain : celui concret où le peuple travaille, habite, étudie et prend ses loisirs. Que l’on se rappelle le principe fondamental : transformer ses faiblesses en force ! C’est ainsi que les guerres populaires de libération ont affronté des adversaires infiniment plus puissants en argent et armes matérielles, et les ont vaincus. La solution fut la fusion la plus complète des « élites » honnêtes avec le peuple, partout où il existe, dans une relation d’action réciproque où force intellectuelle et force physique se complétaient harmonieusement.

Que, donc, le cyberespace, toutes proportions gardées, soit traité par le peuple et ses leaders honnêtes comme furent traités les avions, chars, soldatesques et moyens de communications colonialistes et impérialistes. Un tout petit exemple personnel pour comprendre ce propos. Durant la guerre de libération nationale algérienne, alors que j’étais enfant, mon quartier était quadrillé par des hauts-parleurs qui diffusaient à longueur de journée la propagande colonialiste, accompagnée de musiques adéquates ; cependant, il me suffisait d’entendre, pendant une heure, la radio clandestine algérienne, diffusée à partir du Caire, pour démystifier l’obsédante et apparemment puissante propagande colonialiste. Mieux encore : quand un moudjahid descendait de la montagne, ou un moussabil (combattant civil clandestin dans les villes), ou un simple citoyen patriote intellectuel parlaient avec nous de manière discrète, à la maison, alors la propagande colonialiste des hauts-parleurs était réduite à néant !… C’est dire l’importance absolument fondamentale de la relation physique la plus profonde entre le peuple et les personnes en mesure de l’aider à comprendre où sont ses intérêts et la manière de les concrétiser.

L’autre moyen est le suivant : le plus rapidement possible, contribuer à ce que le peuple dispose de ses organisations autonomes d’association, de délibération et de décision ; que ces auto-organisations soient caractérisées par les indispensables liberté, égalité et solidarité. Ces aspects écartent toute violence, tout dogmatisme, toute forme d’autoritarisme hiérarchique, et stimulent l’établissement du consensus le plus large, sans négliger ni diaboliser la minorité qui exprime un avis différent (car il est possible que ce dernier se révèle, à expérience faite, plus judicieux). C’est là l’unique et la meilleure garantie, pour le peuple, de se prémunir contre toutes les formes de manipulations occultes, qu’elles soient étrangères ou internes.

S’il est vrai, comme le constate A. Bensaada, que, par exemple, « les vidéos, les chansons, les parodies de chansons, les sketchs et les clips détournés ont été (et sont toujours) très efficaces », cette efficacité sera redimensionnée à sa correcte mesure, au service du peuple, si ce dernier dispose de ses auto-organisations afin d’examiner le contenu et la valeur de ces ingrédients du cyberespace. Voir l’exemple mentionné précédemment concernant les hauts-parleurs et les musiques du système colonial.

A. Bensaada note justement, d’une manière générale : « Autant la méthode de la lutte non-violente est d’une efficacité redoutable dans la destitution des autocrates, autant elle n’a aucune incidence sur la période qui s’en suit. » Ceci dit, il faut ajouter une précision. Il est et en sera comme Bensaada l’affirme, mais à une condition : tant que le peuple ne prendra pas conscience d’un fait, que la seule manière du peuple pour ne pas être dupé dans son mouvement légitime, c’est de s’auto-organise, de la base (périphérie) et dans toute activité sociale (travail, habitat, études, loisirs, etc.), jusqu’au centre, incarné par les institutions gouvernementales. L’histoire sociale mondiale le montre a satiété : tout le problème est là ! La capacité du peuple de disposer de sa propre auto-organisation autonome, libre, égalitaire et solidaire.

Adversaires internes.

À propos du texte de A. Bensaada, la personne qui m’a envoyé son article remarque : « Il manque à l'analyse un détail, mais de taille, une explicitation du rôle des services (le pouvoir) algériens ».

Il est vrai que le peuple n’a pas seulement comme adversaire l’agent étranger impérialiste capitaliste (et ses harkis indigènes), mais également des adversaires internes :

1) les prétendus « islamistes » : lors des manifestations populaires du vendredi 29 mars 2019, qui donc avait intérêt dans l’agression de militantes féministes du mouvement populaire, dénonçant le code féodal de la famille, sinon des « islamistes » ?

2) les prétendus « démocrates » laïcs : les « leaders » politiques et les « intellectuels », d’une certaine déclarée « opposition » au système, qui s’empressent de créer les conditions pour parvenir au pouvoir étatique, comme nouvelle oligarchie, masquée de « démocratique ».

3) les institutions internes au service de l’oligarchie locale jusqu’alors dominante : car il serait illusoire de croire que toutes les personnes dirigeant des institutions étatiques, et ayant largement bénéficié de privilèges, en faisant partie du système social contesté par le peuple, soient devenus solidaires des revendications légitimes de ce peuple.

Concernant les deux premiers adversaires, leurs référents sont différents : pour les premiers, « Dieu » (interprété à leur manière) ; pour les seconds, le « divin marché » proclamé comme « libre ». Cependant, pour les deux, le but est identique : l’établissement d’un système capitaliste. Toutefois, pour les premiers, il est conçu sous forme de « charia », autrement dit de dictature totalitaire cléricale, et, pour les seconds, sous forme de « libéralisme », qui se révèle être une forme de dictature totalitaire masquée, parce que, quelque soit le parti au pouvoir, il doit avoir comme idéologie le capitalisme le plus débridé, parce que permettant le profit le plus gros.

Le troisième adversaire du mouvement populaire, ce sont les institutions de contrôle et de répression sociaux. Elles sont l’émanation du pouvoir étatique dominant en place, et, donc, ont intérêt à sa continuité, sous sa forme existante, ou, en cas de mouvement populaire trop critique (ce qui est le cas aujourd’hui en Algérie) sous une autre forme, plus acceptable pour le mouvement populaire, mais, cependant, à son détriment. Deux exemples.

Lors de la marche des manifestants, le vendredi 05 avril 2019, comment expliquer l’énorme embouteillage provoqué à l’entrée Est d’Alger, par l’intervention de la gendarmerie, puis l’usage par celle-ci de gaz lacrymogènes contre les citoyens ? (3)

L’une des propositions du pouvoir actuellement en place est d’encourager et d’autoriser la création de partis politiques, de syndicats et autres associations. Le motif invoqué est d’augmenter l’aspect démocratique du nouveau système social. Or, l’expérience historique mondiale prouve que les partis politiques finissent toujours par former une caste anti-démocratique, aux intérêts convergents avec ceux de l’oligarchie étatique, et cela quelques soient leurs proclamations contraires. Il en est ainsi tant des partis « libéraux » que des partis « révolutionnaires ». La même expérience historique montre que seul l’auto-organisation du peuple, se dotant de ses propres structures libres, égalitaires et solidaires est la garantie d’une authentique démocratie.

Intelligence du peuple.

Concluons d’une manière claire. À moins d’être un ignorant, un naïf ou un manipulateur, il est évident que, profitant du surgissement du mouvement populaire :

1) les oligarchies étrangères et leurs harkis indigènes, au nom de la « démocratie », font tout pour mettre la main sur les ressources naturelles, les moyens collectifs de production et le territoire de l’Algérie, comme de tout pays de la « périphérie » de la planète ; pour y parvenir, ces oligarchies doivent évidemment recourir aux harkis locaux adéquats de la conjoncture, occultes et jouant le rôle de « leaders » du changement « démocratique » ;

2) que l’oligarchie locale encore au pouvoir et celle qui veut la remplacer, sous prétexte de « démocratie » (éventuellement de « charia »), de « développement économique » et de lutte contre la « corruption », agissent de manière identique.

L’important pour ces deux agents, étranger et interne, est le profit à tirer par l’exploitation économique, à travers la domination politique et le conditionnement idéologique du peuple. Ces caractéristiques sont d’autant plus masquées, sous des étiquettes démagogiques flatteuses, parce que le peuple est conscient des enjeux, et le montre lors de ses manifestations publiques. La récupération par la manipulation est une tactique pratiquée par toutes les oligarchies, étrangères et indigènes ; malheureusement, jusqu’à aujourd’hui, cette tactique a vaincu les mouvement populaires.

Il est donc indispensable qu’à l’analyse des actions occultes des agents externes (et de leurs harkis locaux) soit également ajoutée une analyse des agents internes (de tous les agents internes), adversaires du mouvement populaire. Et que l’on tienne absolument à l’esprit ce principe, valable pour les individus comme pour les peuples : il est plus facile de reconnaître et combattre ses ennemis plutôt que ses faux amis. Espérons que le peuple, face à tous ses redoutables, impitoyables et masqués adversaires, saura édifier sa propre auto-organisation, libre, égalitaire et solidaire, et, ainsi, déploiera toute son intelligence pour déceler tous ses ennemis et faux amis, seule manière de gagner la victoire légitime qu’il espère !

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(1) Ahmed Bensaada, http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=475:2019-04-04-22-50-13&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119

(2) Dans le texte de A. Bensaada, voir la citation concernant le site officiel du CIPE.

(3) Détails in https://www.algeriepatriotique.com/2019/04/05/la-gendarmerie-use-de-gaz-lacrymogene-contre-les-manifestants/ ou https://www.elwatan.com/edition/actualite/un-enorme-embouteillage-provoque-a-lentree-est-dalger-qui-a-instruit-la-gendarmerie-de-bloquer-les-manifestants-06-04-2019

 

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 09 avril 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 23 Avril 2019

Mouvement populaire algérien, avril 2019.

Mouvement populaire algérien, avril 2019.

Au stade actuel des manifestations populaires en Algérie, voici des observations qui semblent exiger des éclaircissements.

Mystères.

Concernant les auteurs réels de ce mouvement populaire, plusieurs hypothèses (ignorons les allégations plus ou moins fantaisistes) se présentent. Elles se basent toutes sur les caractéristiques surprenantes du mouvement populaire : son émergence soudaine, sa composante inter-classiciste (cependant, tous ces classes souffrent, d’une manière ou d’une autre, d’une humiliation qui provient de leur exclusion du « gâteau » constitué par les richesses naturelles), sa discipline, son pacifisme résolu allant jusqu’au « sourire » et aux gestes de fraternisation avec des policiers, ses mots d’ordre consensuels, et cela malgré un très étonnant manque (apparent) d’encadrement par des leaders.

Examinons donc les hypothèses.

1.

Le mouvement serait principalement téléguidé par des agents d’officines étrangères impérialo-sionistes (états-unienne, française, anglaise) et impérialo-moyennes orientales (Turquie et Qatar, avec l’organisation des « Frères musulmans », d’une part, et, d’autre part, Arabie Saoudite et Émirats, avec le wahabisme, d’autre part), par l’intermédiaire de leurs harkis locaux.

Cette réalité, seuls un naïf, un ignorant ou un agent de ces officines la contesteraient. En effet, les oligarchies étrangères font leur « normal » travail de guerre (clandestine, dans une première phase) : par la manipulation du peuple, tenter de s’emparer des richesses naturelles (à exploiter) et du territoire algérien (à occuper comme base militaire).

2.

Le mouvement serait principalement guidé par un clan (disons plus correctement : une couche oligarchique) interne au pays, laquelle a vu ses intérêts économiques remis en question par la couche oligarchique dominante de l’ex-président Bouteflika.

Cette hypothèse s’appuie sur l’exclusion du système étatique, durant le règne d’A. Bouteflika, d’hommes d’affaires (tel Issab Rabrab) et de généraux (tel l’ex-chef des services de renseignements DRS, ou autres généraux contraints à une retraite forcée).

Là encore, il n’a y a pas à s’étonner que des personnes dont les intérêts ont été remis en question cherchent à se venger et récupérer leur position, cependant par des moyens occultes, parce qu’imposées par les circonstances actuelles. Cette hypothèse s’appuie sur les plus récentes déclarations du chef d’État-Major, Monsieur Ahmed Gaïd Salah.

Toutefois, on s’est demandé pourquoi l’ex-chef du DRS se serait réuni avec Saïd Bouteflika, pour comploter ensemble, alors qu’auparavant, ce dernier, alors conseiller tout puissant de son frère président du pays, avait contribué à démettre cet ex-chef du DRS de ses fonctions. On pourrait répondre qu’il n’est pas étonnant que deux personnes, auparavant ennemis, mais devenus toutes les deux exclues de l’oligarchie dominante, cherchent à s’unir contre leur ennemi commun pour tenter de reprendre leur position dominante dans l’oligarchie. Pour des dominateurs, la fin justifie les moyens.

3.

Le mouvement serait téléguidé par les membres de l’oligarchie déjà au pouvoir, celle d’A. Bouteflika, lequel continuerait à manœuvrer de manière occulte.

Le but serait de semer un désordre, menant à ceci : la désaffectation des citoyens concernant les élections présidentielles, dans le but de laisser voter seulement les partisans de l’oligarchie dominante. Cette action accorderait, de manière formellement démocratique et constitutionnelle, la présidence à une personne voulue par l’oligarchie dominante.

Les partisans de cette hypothèse la justifient par des constatations. Outre les caractéristiques déjà mentionnées du mouvement populaire, notamment l’absence de toute forme de répression policière.

Aussi incroyable que puisse paraître cette hypothèse, elle n’est pas à exclure. En effet, toute oligarchie dominante menacée peut recourir aux moyens les plus incroyables pour se maintenir au pouvoir.

Cependant, cette hypothèse semble invalidée par des faits ayant eu lieu le vendredi 12 avril 2019 : répression policière (mais le porte-parole du gouvernement déclara que les services de sécurité n’avaient reçu aucune instruction de réprimer les marches, alors qui a donné l’instruction ?), apparition de manifestants brandissant le Coran, action de « baltaguias » s’attaquant à un véhicule de police et détruisant des bâtiments privés, polémiques autour du drapeau amazighe durant les manifestations.

On objecterait que ces actions justifient la tenue d’une élection présidentielle par l’affaiblissement du mouvement populaire, dès lors terrorisé et donc contraint d’abandonner l’espace public.

Mais, alors, comment expliquer le maintien de la candidature, devenue unique, d’Ali Ghediri, soutenu par les personnes qui l’ont déclaré publiquement, telles le patron milliardaire Issab Rabrab ?… Certains avaient émis l’hypothèse qu’il se serait qu’un « lièvre », produit par l’oligarchie dominante elle-même. On objecterait, toutefois, que ce candidat fait des déclarations contre l’oligarchie dominante. Et, en même temps, s’est déclaré au coté du peuple.

Pourtant, ce peuple, lors de ses manifestations de rues, a déjà exprimé clairement sa volonté : le refus d’une élection présidentielle organisée par les agents du système social contesté, car elle serait manipulée. Plus encore, des magistrats et des présidents d’APC s’y sont solidarisés, les premiers refusant de superviser l’élection, et les seconds de réviser les listes électorales.

Selon l’hypothèse examinée ici, le peuple (ainsi que ces magistrats et présidents d’APC, sans oublier les partis politiques hostiles à la tenue de cette élection) seraient tous manipulés, à leur insu, pour refuser la tenue de l’élection, afin que le candidat voulu par le système social actuel l’emporte, de manière formellement constitutionnel et démocratique.

Ce fait rend plus énigmatique le maintien de candidature de la part d’Ali Ghediri, lequel fut abandonné même par son directeur de campagne, Mr. Mokrane Aït Larbi, qui a préféré rejoindre la position populaire de refus d’élection dans les conditions actuelles.

Dans l’hypothèse examinée ici, notons un point commun entre le système social qui a provoqué le soulèvement populaire, et ce dernier lui-même : une opacité en ce qui concerne l’encadrement. Dans l’oligarchie dominante comme dans le mouvement populaire, cette opacité réside dans la difficulté, quand pas l’impossibilité, de savoir qui sont les réels agents décideurs.

4.

Le mouvement populaire serait dirigé par des leaders sincèrement partisans du peuple, mais qui demeurent dans l’anonymat pour ne pas être éventuellement assassinés.

Cette hypothèse est invalidée par un fait. Si réellement des leaders de ce type avaient provoqué les manifestations populaires, ils auraient en même temps encouragé et aidé le peuple, une fois les manifestations réussies, à s’auto-organiser rapidement de manière à créer ses propres institutions démocratiques, donc ses propres représentants, à opposer aux institutions et aux représentants du système social rejeté. Par conséquent, le manque évident de cette auto-organisation générale permet de douter de la présence d’agents authentiquement du peuple, ayant provoqué ses manifestations.

5.

Le mouvement serait né de manière totalement spontanée, sans aucune forme de manipulation externe, ni d’action dirigeante de leaders internes ; ce mouvement populaire de 2019 serait donc à l’image du soulèvement populaire anti-colonial de décembre 1960.

Au stade actuel, cette hypothèse ne dispose pas de preuves qui l’affirment ou l’infirment. Elle est toutefois possible. Dans ce cas, le surgissement des manifestations populaires serait, cependant, le résultat de nombreuses années de luttes diverses et de tragédies sanglantes, qui ont préparé et produit ce surgissement soudain, massif, national, spectaculaire et étonnant par sa (auto ?) discipline.

6.

La dernière hypothèse considère que toutes les hypothèses précédentes ont, d’une manière ou d’une autre, contribué à la production de ce mouvement populaire. C’est, peut-être, à l’heure actuelle, l’hypothèse la plus probable ; elle répond à la logique sociale la plus acceptable, à défaut de preuves concrètes privilégiant les autres hypothèses examinées.

Propositions.

Ceci étant dit, il est utile de s’efforcer à découvrir les agents réels, sinon uniques du moins principaux et décisifs, de ce mouvement social. Pour cela, il est indispensable d’éviter les allégations farfelues et présomptueuses. Seul mérite considération un raisonnement fournissant des preuves concrètes et vérifiables.

Il faut, encore, et surtout, réfléchir et proposer des pistes d’action qui permettent au mouvement populaire de ne pas être manipulé par quiconque. Ci-dessus, constatation fut faite que ce genre de propositions, excluant la manipulation du peuple, sont minoritaires.

Pour éviter cette manipulation, plus ou moins sournoise, la première condition méthodologique est de supposer que tous les agents externes au mouvement social, mentionnés auparavant, agissent. Ces interventions externes font partie du conflit social en cours. Il ne s’agit pas, ici, d’obsession complotiste, mais seulement de conclusion produite par l’observation du déroulement des faits sociaux, quelque soit le pays et l’époque. Quoiqu’on dise, les classes sociales et les luttes entre elles existent, parce que existe l’enrichissement des uns par l’exploitation économique.

Supposer que des agents externes au mouvement populaire agissent implique de chercher comment le mouvement populaire peut et doit les neutraliser.

Des propositions diverses sont faites.

Certains manifestants, à la suite de la majorité des membres de l’élite politico-intellectuelle, privilégient l’intervention de ces derniers, à condition de n’avoir pas profité du système social contesté.

Cette proposition semble la plus réaliste, la plus raisonnable. En effet, des personnes détenant un savoir politico-intellectuel, éventuellement sanctionné de diplômes et d’une activité sociale correspondante, semblent l’unique moyen de transition vers une société de « droit » et de « justice » réels, comme on la décrit généralement.

Cette conception déclare éprouver les plus nobles intentions en faveur du peuple, et même parler en son nom, donc s’auto-ériger en représentant des intérêts du peuple.

Cependant, cette conception implique, sans jamais le reconnaître formellement (elle ne peut pas l’oser, sans se disqualifier aux yeux du peuple) que le peuple est incapable d’avoir (de produire) en son sein des personnes susceptibles d’être reconnues et choisies par lui de manière démocratique. Cette conception est donc une autre manière, plus subtile et sournoise, mais typique de la couche élitaire, de traiter le peuple de « ghâchi », « foule », « populace », « masse » ignorante et incapable. C’est que la majorité de l’ « élite » politico-intellectuelle, quelque soit le pays et l’époque, a dans sa structure psychique, produit par sa position de classe privilégiée (même si réprimée par l’oligarchie dominante) de s’auto-glorifier comme seule capable de « sauver » le peuple. Ce fait légitime l’occupation du pouvoir par cette « élite », avec les privilèges qui s’ensuivent, et d’abord des salaires de fonction et un montant de retraite très élevés par rapport au salaire et au montant de retraite moyens des citoyens.

Cette conception ignore ou occulte les expériences historiques qui, dans le monde, ont prouvé que le peuple est capable de produire sa propre auto-organisation (ses propres institutions) et ses propres leaders. Mais la conception élitaire, hiérarchique et autoritaire, est incapable de reconnaître ces faits, pourtant historiques, parce que leur caractère égalitaire et consensuel récuse radicalement l’antique mais toujours dominante, - hélas ! -, mentalité élitaire, hiérarchique autoritaire.

Et, vu que le terrain idéologique est majoritairement dominé par cette « élite », il n’est pas étonnant de voir des citoyens du peuple, conditionnés idéologiquement, adhérer à cette conception, sans se rendre compte qu’ils ne font rien d’autre que de changer de dominateur, la seule différence étant que le second se distingue du premier par la concession de flatteries démagogiques et de miettes économiques (1).

Il n’est donc pas étonnant que seulement une très petite minorité, tant de citoyens que d’intellectuels, croit le peuple capable de s’auto-organiser lui-même, afin de choisir en son sein ses représentants, de manière démocratique, sur mandat impératif. Malheureusement, cette conception égalitaire (anti-hiérarchique) et consensuelle (anti-autoritaire) est encore minoritaire (2). Ce n’est pas là un motif pour ignorer cette conception minoritaire. Au contraire, il y a un plaisir particulier à défendre ce qui est favorable au peuple, même si la position est minoritaire. Toutefois, avec l’espoir que l’idée fera son chemin.

Autoritarisme et autorité.

Beaucoup ont parlé du refus des manifestants de se reconnaître des leaders, même représentatifs, et une organisation, même autonome. Çà et là, néanmoins, ont surgi et continuent à surgir des comités, composés de manifestants, pour protéger les marches dans les rues contre les provocateurs, des comités d’étudiants ou d’autres catégories professionnelles, des appels d’intellectuels dans et hors du pays à s’auto-organiser. En outre, des manifestants, en dehors du temps de la démonstration de rue, se rencontrent et débattent de manière autonome de leur mouvement pour l’auto-organiser, et quelques leaders spontanés (de groupes restreints) apparaissent.

Malheureusement, le mouvement n’est pas arrivé à la conscience claire et suffisante de la nécessité stratégique de construire son auto-organisation de manière systématique, partout et dans toutes les activités sociales, de manière à instituer les structures d’un pouvoir populaire, capable de remplacer celles du pouvoir oligarchique contesté (3).

Voici des hypothèses sur des causes de cette situation.

Il semble que la majorité des membres du mouvement populaire confondent deux formes d’autorité : la première est contraignante (autoritarisme) tandis que la seconde est consensuelle.

Le rejet populaire de l’autoritarisme est totalement justifié. En effet, ce dernier est l’instrument de domination de l’oligarchie, laquelle ne peut exister que par l’exercice d’une autorité imposée, appuyée en dernière instante sur la violence répressive.

Toutefois, ce rejet populaire de l’autoritarisme porte à ignorer qu’il existe une forme d’autorité qui n’a rien de contraignant, parce que, d’une part, elle émane de la volonté consensuelle du peuple, et, d’autre part, s’exerce sans contrainte, donc là encore par le consensus librement exprimé.

Pour toute activité sociale, une forme d’autorité est indispensable, pour concrétiser les décisions. Cette autorité est, comme exposé ci-dessus, soit contraignante, exercée dans une structure hiérarchique allant verticalement d’une base à son sommet, soit égalitaire, exercée dans une structure allant horizontalement de la périphérie au centre.

Pour le peuple qui veut se débarrasser de son oppression, cette autorité doit être uniquement l’émanation libre et démocratique des citoyens, et doit être exercée sans contrainte, selon le respect du principe majoritaire, lequel ne doit pas diaboliser, encore moins réprimer la minorité. À cette dernière reste la possibilité de continuer à expliquer et à défendre ses arguments, tout en acceptant l’application des décisions prises par la majorité. Les expériences prouvent qu’à un certain moment, soit les succès des décisions prises par la majorité finissent par convaincre la minorité, soit que les échecs de la majorité redonnent de la valeur aux idées défendues par la minorité.

Ce qui vient d’être dit est possible ! Dans le monde, les expériences sociales historiques d’auto-organisation (auto-gestion, auto-gouvernement, auto-institution) populaire l’ont prouvé. Hélas ! Dans le monde entier, ces expériences sont soit ignorées, soit occultées par les « élites » politico-intellectuelles. Et il est aisé de comprendre pour quel motif : la règle majoritaire de l’ « élite » est de ne pas perdre ses privilèges d’élite.

Spontanéisme et organisation.

Toute l’expérience historique des peuples montre que la spontanéité populaire dans le déclenchement de rupture sociale, si elle est nécessaire, n’est cependant pas suffisante. Car toute action sociale exige une forme d’organisation pour la concrétiser.

Comme pour l’autorité, il s’agit de préciser qu’il existe deux formes d’organisation sociale. La première, la plus répandue jusqu’à aujourd’hui, partout dans le monde, est caractérisée par la hiérarchie oligarchique, dont l’obéissance (autoritarisme) est la condition de son fonctionnement. C’est la forme d’organisation préférée et pratiquée par la majorité des soit disant « élites », quelque soit leur idéologie.

Cependant, des expériences sociales historiques ont montré l’existence et la validité pratique d’une conception toute à l’opposé de celle hétéro-organisée, hiérarchique ; il s’agit de l’auto-organisation créée par les citoyens eux-mêmes. Pour se limiter à l’Algérie, lors du mouvement citoyen, appelé « printemps », de 2001, les traditionnelles assemblées de village en Kabylie (« arches ») ont abandonné leur forme « élitaire » pour fonctionner de manière démocratique. Auparavant, juste après l’indépendance, les ouvriers et paysans avaient pratiqué l’authentique autogestion économique, avant qu’elle ne soit supprimée et calomniée par le soit disant « socialiste » président Ben Bella.

Si on prend la peine d’étudier attentivement toutes les expériences d’auto-organisation du peuple, partout dans le monde, et cela depuis la Commune de Paris de 1871, on apprend que ses protagonistes les plus éclairés ont tiré tous la même conclusion. L’échec de ces expériences fut attribué notamment à des causes internes : l’insuffisance d’organisation et d’autorité adéquates, conformes aux principes d’égalité, de liberté et de solidarité.

La nécessité stratégique.

Un ami lecteur m’a écrit en me demandant de quantifier le processus d’auto-organisation comme durée, coût, etc. Évidemment, personne n’est en mesure de connaître ces données, pas même le peuple lui-même, ni ses éventuels leaders. Tout au plus, on peut et doit s’efforcer à déceler des indicateurs concrets, permettant d’émettre des hypothèses plausibles. C’est le contenu de ce texte et de précédents publiés (4). Pour le reste, tout ce qui est possible est de contribuer, chacun selon ses possibilités, à rendre claire l’urgence de la nécessité stratégique pour le mouvement populaire de se doter de ses propres institutions démocratiques, seule manière pour construire le système social auquel il aspire.

C’est l’unique manière de neutraliser toutes les hypothèses (indicateurs plausibles) mentionnées en première partie de ce texte, si le peuple veut ne pas être, encore une fois, réduit au dindon d’une farce, autrement dit si le peuple ne veut pas que ses grandioses et admirables manifestations publiques ne se révèlent pas, en définitif, n’être qu’une immense manipulation à son insu. Dans ce funeste cas, le peuple donnerait raison à ceux qui le traite comme « masse » d’ignorants, manipulables à merci. À ce sujet, rappelons-nous les peuples japonais, italien et allemand manipulés de la manière la plus abjecte et la plus sanglante par leurs « élites » politico-intellectuelles fascistes ; rappelons-nous comment des peuples furent manipulés par ces autres « élites » politico-intellectuelles qui leur firent croire au paradis sur terre, par la « dictature du prolétariat » ou par le « socialisme spécifique » ; rappelons-nous comment des « élites » politico-intellectuelles dites « libérales » livrent leurs guerres impérialo-sionistes avec le soutien de la majorité de leurs peuples ; rappelons-nous comment les « élites » politico-intellectuelles taliban ont fait du peuple d’ Afghanistan, du temps de leur domination au pouvoir étatique.

En Algérie, depuis le funeste coup d’État militaire de 1962, la majorité de l’ « élite » politico-intellectuelle a adoré le système hiérarchique autoritaire, même sous sa forme de dictature militaire, en le parant, et en se parant elle-même, de vertu « révolutionnaire » et de « sauveur » du peuple. Cette « élite », tout en ayant plein la bouche le « peuple », ne l’a jamais aidé à se sauver par lui-même, mais a toujours prétendu, elle, le sauver, de manière hiérarchique autoritaire (le fameux « caporalisme ») (5).

Il n’est donc pas étonnant, durant ces splendides manifestations populaires de 2019 (quelque soit leur opacité en ce qui concerne l’encadrement), de constater que cette même « élite » politico-intellectuelle, dans sa grande majorité, croit encore que sans elle il est impossible d’effectuer une transition démocratique à un système social également démocratique (au sens authentique et non pas « libéral » du terme).

Il n’est pas, non plus, étonnant, que les luttes du peuple algérien, malgré les échecs de l’autogestion de 1962 et du mouvement citoyen de 2001, ait pu produire un significatif soulèvement populaire en 2019. Quand un peuple en arrive aux extrêmes limites de son oppression, il ne lui reste que devenir des « âmes mortes » ou se révolter. Il semble bien que le fait de voir des jeunes algériens et algériennes préférer servir de nourriture aux poissons de la mer plutôt que de rester au pays fut l’élément le plus tragiquement humiliant de l’oppression subite par le peuple algérien.

Toutefois, ce mouvement populaire de 2019, d’une part, ne semble pas être le résultat d’une stratégie auparavant planifiée comme auto-construction sociale autonome, ni, d’autre part, produire rapidement des institutions populaires autonomes. Tout le problème de ce mouvement populaire réside dans ces deux faits. Il ne réussira qu’à la condition de créer ses propres institutions, de manière démocratique. C’est dans cette entreprise que l’énergie dépensée dans les manifestations de rues devrait déboucher. En sachant bien que s’il a été difficile de parvenir à manifester pacifiquement dans les rues, il est peut-être plus difficile de s’assembler pour discuter et prendre des décisions de manière libre, égalitaire et solidaire.

Tout est possible dans ce monde, le pire et le meilleur ; les peuples, aussi, sont capables du pire et du meilleur. À celles et ceux qui aiment le meilleur d’y contribuer, en sachant que même si l’absence d’auto-organisation entraînera l’échec final du mouvement populaire, au bénéfice d’une oligarchie de forme nouvelle, il faut néanmoins faire partie de ce mouvement populaire, selon ses personnelles possibilités. Non pas pour le suivre de manière grégaire ou opportuniste, non pas pour le diriger de façon élitaire et démagogique, mais pour y participer de manière égalitaire. Ma yabga fal ouâd ghîr hjârou (Ne reste dans la rivière que ses pierres).

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(1) Dans une prochaine contribution sera explicité l’emploi de cette dernière expression.

(2) Des hypothèses concernant cette constatation seront exposées dans un prochain texte.

(3) Voir « Auto-organisation ou l’échec » in https://www.lematindalgerie.com/auto-organisation-ou-lechec

(4) Voir la rubrique « Peuple-démocratie » in http://kadour-naimi.over-blog.com/

(5) Voir « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », Livre 5, Annexe 23 « Naïmi Kaddour : Quelques appréciations sur un artiste que j'ai connu il y a plus de quarante ans », disponible ici : http://www.kadour-naimi.com/f-ecrits_theatre.html

 

Publié sur La Tribune Diplomatique Internationale, le 19 avril 2019 , et Le Matin d'Algérie, le 20 avril 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 18 Avril 2019

Manifestations populaires en Algérie, avril 2019.

Manifestations populaires en Algérie, avril 2019.

Ainsi est faite l’espèce humaine, partout et toujours : s’il lui est difficile de détruire un système social inique, il lui est plus difficile encore de construire un système appelé vaguement juste ou démocratique, plus précisément de liberté, d’égalité et de solidarité. En effet, ces trois caractéristiques ne peuvent pas exister l’un sans l’autre (1).

En Algérie, finalement, le représentant d’un système mafieux fut contraint par le peuple, avec lequel s’est solidarisé la hiérarchie militaire, de quitter le pouvoir étatique. Pour y parvenir, combien a-t-il fallu de luttes sous toutes les formes, de répression policière, d’emprisonnements, de morts, d’exils (intérieurs ou extérieurs), de noyés dans la mer, de combats où, parfois, des citoyens revendiquant des droits légitimes furent assassinés par des gendarmes ou des soldats d’un État dit « démocratique et populaire ».

Et encore, ce n’est pas fini. Seul le « Roi » a été mis en échec ; il reste à éliminer le système lui-même qui a permis l’existence de ce « Roi » (2). Alors, finira la phase un du mouvement populaire actuel.

Et, alors, commencera la phase deux. C’est le travail le plus difficile : non pas détruire, mais construire un nouveau système social d’où toute forme d’injustice sociale soit bannie.

Élections et débats.

Pour le moment, toutes les voix (citoyennes, politiques, militaires, intellectuelles, etc.) semblent verbalement d’accord, : donner la parole au peuple. À ce sujet, on propose des élections finalement libres, autrement dit sans traficotage ni manipulation, finalisées par une nouvelle Constitution.

Cependant, une question se pose : comment une citoyenne et un citoyen peuvent-ils élire en toute connaissance de cause s’ils ne sont pas informés clairement, correctement, pleinement des intérêts en jeu ?… Et comment ce genre d’information est-il possible sans l’instauration des débats les plus libres, démocratiques et larges possibles ?

Que ces débats soient les plus libres, il semble que désormais le mouvement populaire est devenu si puissant qu’il rend possible cette liberté de débats.

Pour que ces débats soient démocratiques, il faut qu’y participent à parité entière toutes les composantes du peuple, sans aucune exclusion de position sociale, de sexe, d’âge, d’ethnie, de spiritualité. C’est dire l’application rigoureuse du principe d’égalité entre tous les citoyens.

Pour que ces débats soient les plus larges possibles, il faut que les habitants de toutes les parties du territoire national, ainsi que les membres de la diaspora à l’étranger, y participent : du douar et du bidonville les plus isolés au quartier le plus central des villes et de la capitale, en passant par toutes les positions intermédiaires.

Et encore : que les langues de communication ne soient pas limitées à l’arabe classique et au français, mais soient d’abord les langues maternelles du peuple : arabe algérien et tamazight. Je n’ai jamais compris comment des leaders prétendant s’adresser au peuple lui parle dans un idiome autre que celui qu’il comprend le mieux, lequel est celui de sa vie ordinaire (3).

Et, enfin, que les leaders qui se proclament démocrates et laïcs, pour ne pas être soupçonnés de manipulation idéologique du peuple, ne commencent pas leur discours par une invocation religieuse, laquelle devrait se cantonner au domaine de la croyance privée.

Compter sur ses propres forces.

Toute personne, même la non instruite, si elle est pourvue du simple bon sens, le sait : on n’est jamais mieux servi que par soi-même. En terme social, cela veut dire que les opprimé-e-s ne peuvent être sauvé-e-s que par eux-mêmes. En son temps, un poète-cordonnier l’avait dit en chanson : « Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes ». Les preuves de cet impératif sont désormais établies. En effet, chaque fois que des « leaders » plus ou moins charismatiques se sont auto-proclamés « Sauveurs » (évidemment « honnêtes », « Géniaux » et « infaillibles »), le bilan fut tragique pour le peuple. Désormais, nous disposons du bilan des soit disant « démocraties populaires », à commencer par la prétendue république « soviétique » (4).

Pour parvenir à se sauver par lui-même, le peuple algérien, pour l’organisation de ses débats, peut s’inspirer d’une tradition populaire locale : celle des comités de village, pratiquée notamment en Kabylie. Avec cette différence essentielle, mise en évidence durant le « printemps » de 2001 : que les protagonistes de ces assemblées ne soient pas les notables de sexe mâle du groupement local, mais des représentants librement élus par les membres du groupement local, sur mandat impératif. Et que ces représentants soient : 1) autant des hommes que des femmes, sachant que ces dernières sont plus opprimées que les premiers ; 2) autant de jeunes que de personnes âgées, les premiers fournissant leur énergie et leur savoir, et les seconds leur précieuse expérience sociale.

On a constaté, durant les manifestations populaires, l’émergence de comités citoyens de vigilance servant à veiller au bon déroulement des démonstrations de rues. Il reste au peuple à créer ses comités de gestion populaire. Oui, certes !… Le mot d’autogestion (ainsi que celui de « socialisme ») fut tellement manipulé dans le passé, par l’oligarchie dominante, que ce mot peut causer le rejet. C’est que l’oligarchie est parvenue à salir jusqu’aux termes les plus beaux, pour en détourner les opprimés qui pouvaient s’en inspirer. Donc, ne pas s’arrêter au mot. Appelons la forme d’organisation sociale de base comme l’on veut : auto-organisation sociale de base, comité d’autogestion, assemblée d’auto-gouvernement, « jma’a cha’biya » (assemblée populaire), tout ce que l’on veut ; l’essentiel est que la forme d’organisation soit l’émanation libre, égalitaire et solidaire des citoyens.

Un exemple pratique.

Qu’il me soit permis de citer une expérience personnelle ; elle me semble significative dans ce cadre de réflexion et de phase du mouvement populaire. En 1971, à l’Institut National de Formation Professionnelle des Adultes d’Alger, les travailleurs étaient mécontents du représentant de la section syndicale U.G.T.A., parce qu’il était le représentant non pas de ses élus mais l’agent servile du directeur de l’Institut, au détriment des travailleurs. Lors des élections de 1972 pour choisir le nouveau représentant de la section syndicale, les travailleurs me firent l’honneur de me proposer comme candidat. Fidèle à ma conception autogestionnaire, j’ai suggéré que l’un des travailleurs eux-mêmes soit choisi pour ce mandat. Cependant, les travailleurs insistèrent pour me proposer, justifiant leur choix par le fait que je possédais les aptitudes et le temps les plus adéquats pour ce rôle. J’ai fini par accepter, à une condition, qui fut la suivante.

Une fois élu par les travailleurs (avec, cependant, l’hostilité minoritaire de certains professeurs de l’Institut, qui me voyait comme menace pour leurs privilèges), voici comment j’agissais. Contrairement au représentant syndical précédent, je tenais régulièrement l’assemblée des travailleurs chaque mois. Durant la rencontre, j’enregistrais sur la page gauche d’un cahier les doléances des travailleurs. J’agissais donc comme simple secrétaire. Puis, le jour suivant, j’allais trouver le directeur de l’Institut auquel je présentais le cahier, en lui demandant de répondre aux doléances sur la page droite du même cahier. Bien entendu, ce directeur (qui, par ailleurs, se déclarait soucieux du « peuple », et représentant de l’État « démocratique et populaire ») fournissait des réponses totalement inadéquates. Alors, durant l’assemblée mensuelle suivante des travailleurs, je les informais du résultat négatif. Ainsi, ils comprenaient que le directeur en question n’était qu’un technocrate-bureaucrate pour lequel seuls comptaient son salaire et ses privilèges, et, pour en bénéficier, il appliquait servilement les directives d’un État qui se révélait être une oligarchie étatique, malgré les déclarations en faveur du peuple.

Résultat : après quelques mois de ce genre d’assemblée avec les travailleurs, la hiérarchie syndicale me destitua de mon poste syndical pour « agitation subversive », et la direction de l’Institut décida mon déplacement dans un centre de formation professionnel sous le prétexte que je n’étais plus « utile » à l’Institut (5). Ajoutons à ce fait que les « soutiens critiques » du régime, partisans du PAGS, partageaient les décisions dont j’étais victime.

Cet exemple démontre deux faits.

D’une part, mettre ses propres connaissances au service du peuple est simple : il suffit de se cantonner à être le porte-voix honnête de ses revendications légitimes, par l’intermédiaire d’une organisation sociale où ce peuple librement s’assemble, débat, se consulte, prend ses décisions de manière démocratique et majoritaire, enfin choisit de la même manière un représentant pour formuler ses revendications à la personne étatique chargée de les examiner et de les satisfaire.

Le second fait que montre cette expérience est le suivant : tout représentant d’une autorité étatique refusera, sous n’importe quel prétexte fallacieux, de satisfaire les revendications légitimes du peuple, tant que que ce représentant est l’émanation d’une autorité étatique qui est en réalité une oligarchie dominant le peuple. Par conséquent, ce même représentant étatique trouvera le moyen d’éliminer tout représentant authentique du peuple. Donc, seul un représentant authentique du peuple est en mesure de satisfaire ses droits légitimes. Et, pour être authentique, il faut que ce représentant soit l’émanation du choix réel du peuple, et non d’une oligarchie dominante qui le nomme à ce poste, pour la servir.

Représentation authentique du peuple.

De l’exemple précédent découlent les observations suivantes.

De la plus petite organisation populaire de base jusqu’à l’organisation appelée État, en passant par les organisations intermédiaires sous toutes leurs formes (territoriales et d’activité sociale), la démocratie réelle ne peut se concrétiser qu’aux conditions suivantes :

1) que le représentant de la communauté sociale (comité, association, assemblée, etc.) soit élu de la manière la plus démocratique, donc libre, égalitaire et solidaire ;

2) que ce représentant se cantonne à formuler les revendications légitimes de ses mandataires auprès du représentant correspondant de l’autorité étatique ;

3) que ce dernier réponde de manière claire, complète et positive aux revendications populaires formulées, autrement il ne peut se prévaloir de représenter le peuple, et doit, par conséquent, se démettre de sa fonction pour la laisser à un représentant authentique du peuple.

Oui ! Ce système organisationnel est possible de la base locale au centre national. Notons qu’ici le mot « sommet » n’est pas employé, parce qu’une organisation réellement démocratique exclut la hiérarchie autoritaire, pour ne pratiquer que la coopération consensuelle.

Par « base » s’entend toute association qui réunit des citoyens autour d’une activité spécifique : habitat, travail, études, loisirs, etc. Dans ce schéma sont considérées toutes les formes d’association sociale, y compris les activités politiques, judiciaires, administratives, policières, militaires, culturelles, spirituelles, etc. Cela signifie que le principe fondamental est le suivant : élection libre et démocratique (sur base majoritaire et impérative) de tout représentant à une fonction sociale, en excluant toute forme de nomination ; cette dernière est toujours susceptible de créer une oligarchie dominatrice. C’est cela la radicalité, c’est-à-dire régler les problèmes sociaux à la racine. Autrement, on reste dans le bricolage, toujours favorable à une forme d’oligarchie, au détriment du peuple.

Coopération solidaire contre hiérarchie autoritaire.

Bien entendu, la conception sociale ici présentée sera rejetée par toute mentalité obsédée par l’autorité et son complément, la hiérarchie. De fait, toute personne jouissant de privilèges sociaux, même en se proclamant « démocrate » ou, plus encore, « révolutionnaire », bénéficie de cette structure autoritaire hiérarchique, parce que cette personne y vit et en jouit. Cette personne ne peut donc pas scier la branche sur laquelle elle est assise. Il s’ensuit que cette personne présente tous les prétextes (généralement enjolivés de « science », « raison », « pragmatisme », « sagesse », et même de « marxisme » ou de « volonté divine ») pour dénoncer l’auto-organisation populaire comme « inadéquate », « illusoire », « archaïque » et même anarchiste dans le sens de désordre. En occultant un fait : le réel désordre social est celui basé sur l’exploitation-domination de l’être humain par son semblable, tandis que l’authentique ordre social exclut cette tare, en la remplaçant par la coopération solidaire entre tous les êtres humains sans distinction.

Cependant, l’expérience historique des peuples montre que la conception opposée à celle autoritaire hiérarchique, à savoir celle coopérative consensuelle, fut et demeure possible, que c’est même l’unique conception en mesure d’établir un système social d’où est exclue toute forme d’injustice sociale, laquelle est caractérisée par trois fléaux : exploitation économique, domination politique et conditionnement idéologique.

Ceci dit, il faut reconnaître que la néfaste (pour le peuple) mentalité autoritaire hiérarchique est dominante dans le monde entier, y compris dans le marxisme - ne l’oublions jamais ! -, au point d’avoir fait faillir toutes les révolutions jusqu’à aujourd’hui apparues sur la planète, à commencer par celle bolchevique. Oui ! Il est indispensable de le rappeler pour démasquer l’imposture et l’occultation à ce sujet, et ne pas risquer d’en voir une autre édition en Algérie ou ailleurs. Cela ne signifie en aucune manière la légitimité de cette mentalité autoritaire hiérarchique, même et surtout parée de la « bonne » intention de « servir le peuple ». A-t-on jamais vu une oligarchie dominante, quelque soit son idéologie, déclarer autre chose que de « servir le peuple » et la « nation » ?

Le problème est que les peuples ne sont pas encore parvenus à mettre définitivement fin à ce genre d’idéologie manipulatrice démagogique, pour établir une société de coopération consensuelle. Cette dernière forme de société devrait arriver, ou, alors, c’est la fin de l’espèce humaine par une apocalypse nucléaire. Car la mentalité autoritaire hiérarchique est toujours et par nature source de conflits sanglants, pouvant aller jusqu’à la dernière guerre sur cette planète, dernière parce qu’elle supprimera l’espèce humaine (6).

Paroles de Larbi Ben Mhidi.

Il aurait dit : « Jetez la révolution dans la rue, le peuple s’en emparera ». Dans le contexte actuel cela signifie : que le peuple se crée ses propres organisations-assemblées de base, partout et dans toutes les secteurs d’activité sociale, qu’il débatte de manière libre et égalitaire en ce qui concerne ses intérêts (qui sont ceux de la nation), qu’il prenne ses décisions de manière démocratique (sur base majoritaire), qu’il désigne ses représentants avec mandat impératif… Alors, et seulement alors, des élections (et une Constitution) auront leur sens véritable, seront l’émanation de la volonté populaire, parce que ce peuple aura suffisamment débattu des enjeux réels de la patrie qu’il habite.

On objectera avec raison : mais entre-temps, comment diriger le pays ?… Quelque soit la forme choisie, une seule condition est impérative : que les dirigeants provisoires du pays permettent (leur demander d’encourager serait peut-être trop, à moins qu’ils aient un esprit autogestionnaire) l’instauration de ces débats populaires libres, égalitaires et solidaires, dans le but d’arriver aux élections qui, elles aussi et alors, seront libres, égalitaires et solidaires. Alors, de ces élections émaneront les représentants légitimes, de la périphérie au centre du pouvoir populaire. Autrement, le mouvement populaire, en Algérie comme cela fut toujours et partout ailleurs, accoucherait à son insu d’une nouvelle forme de domination oligarchique, quelque soit les déclarations que ses membres feraient. Ce fut le cas depuis la Révolution française de 1789 jusqu’à toutes les « révolutions » contemporaines, sans aucune exception.

Afin d’éviter ce néfaste résultat, il est vrai que l’action populaire sera ardue, mais elle ne sera pas compliquée ni empêchée, et cela à trois conditions.

D’abord, le peuple doit être (ou parvienne à être) suffisamment conscient des enjeux en cours, au-delà des slogans formulés durant les manifestations de rue. Cela implique qu’il connaisse tous ses droits, sache comment les concrétiser de manière réellement démocratique (libre, égalitaire et solidaire), et déjoue toutes les manipulations internes et externes.

Ensuite, l’institution militaire, qui détient désormais le pouvoir étatique, devrait consentir à la volonté populaire de réaliser le changement radical du système social. À ce sujet, M. Gaïd-Salah, chef d’État-major de l’armée, a déclaré : « Nous soutiendrons le peuple jusqu’à ce que ses revendications soient entièrement et totalement satisfaites». Pour sa part, le peuple a répété, dans les rues : « chaab djeich, khawa khawa » (peuple, armée : frères, frères)… Cependant, le peuple doit se rappeler que ce sont d’abord et principalement ses manifestations pacifiques et résolues qui sont à l’origine du commencement de la fin du système inique qui a dominé le pays jusqu’à aujourd’hui, et que l’institution militaire, après des atermoiements, a fini par suivre le mouvement populaire en le soutenant. Cette dernière soutiendra-t-elle le peuple jusqu’à lui permettre vraiment « que ses revendications soient entièrement et totalement satisfaites » ? Là serait alors la révolution tant désirée par Larbi Ben Mhidi et par le peuple, dont l’armée serait alors réellement son émanation authentique.

Enfin, il faut que toute personne et toute organisation, se considérant démocrate en Algérie, non seulement se reconnaissent et se réunissent pour œuvrer ensemble (7), mais encore que ces personnes et organisations rejoignent le peuple, pas uniquement durant ses manifestations de rue, pas pour le « diriger », mais pour l’aider, en se cantonnant à fournir au peuple leurs connaissances, afin qu’il s’auto-organise de manière libre, égalitaire et solidaire. Le peuple a mis les démocrates devant leur responsabilité : se servir du peuple ou le servir. Juger cette considération comme étant du « populisme », ainsi que le déclareraient certains dirigeants de partis politiques ou membres de l’« élite intellectuelle », se déclarant pourtant démocrates, est simplement une manière de vouloir chapeauter le mouvement populaire à leur seul bénéfice. Comme l’hydre, la mentalité autoritaire hiérarchique, donc oligarchique, a plusieurs têtes, dotées de masques divers. Il est vital pour le peuple de s’en rendre compte pour ne pas passer d’un dominateur à un autre, plus subtil, parce que moins brutal, mais néanmoins dominateur.

Désormais, l’énergie populaire dépensée à manifester hebdomadairement dans les rues, - et qui a abouti victorieusement à l’élimination du « Roi » du système mafieux -, devrait, - pour ne pas être récupérée par une oligarchie dominante inédite ou s’essouffler inutilement -, se transformer le plus vite possible en énergie consacrée à auto-construire quotidiennement les organisations populaires autonomes. Elles seules, et uniquement elles, sont les bases d’édification d’une république authentiquement démocratique, laquelle n’a pas besoin de « Sauveur », celui-ci étant le peuple lui-même, à travers ses organisations et ses représentants authentiques. Et que vive l’Algérie d’un peuple libre, égalitaire et solidaire !

Cet idéal anima les moudjahidines qui lui donnèrent l’indépendance nationale, en espérant que leur sacrifice aboutirait à l’établissement d’une communauté de liberté, d’égalité et de solidarité. Le peuple algérien réussira-t-il là où, malheureusement, tous les autres peuples de la planète, malgré leur admirable courage, leur splendide intelligence et leur magnifique générosité, furent finalement vaincus et dominés par une oligarchie nouvelle, et cela depuis 1789 ? La réponse appartient à la capacité du peuple, d’abord, et, ensuite, à celle de ses réels amis, civils et militaires.

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(1) Voir https://www.algeriepatriotique.com/2019/03/13/trois-oui-trois-non-et-deux-conditions/

(2) https://www.algeriepatriotique.com/2019/04/02/le-systeme-pourquoi-et-comment-le-changer/

(3) Voir « Défense des langues populaires : le cas algérien », librement disponible ici : http://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits_langues_populaires.html

(4) Voir Voline, « La révolotion inconnue », disponible ici : http://kropot.free.fr/Voline-revinco.htm 

(5) Détails in « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », PARTIE IV. ENTRACTE ou LE THÉÂTRE DE LA VIE / 3. Au plus profond de la grotte du tigre, disponible ici : http://www.kadour-naimi.com/f-ecrits_theatre.html

(6) Voir https://www.algeriepatriotique.com/2019/01/28/autogestion-ou-apocalypse/

(7) Proposition du PLD, 03 avril 2019.

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 04 avril 2019 , et Algérie Patriotique, le 15 avril 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 13 Avril 2019

Le « système » : pourquoi et comment le changer ?

État et peuple

Les actuelles manifestations populaires en Algérie ont désormais comme revendication fondamentale l’élimination de ce qui est appelé le « système » au bénéfice d’un autre. Essayons de cerner les tenants et aboutissants de cette exigence.

Le fait social fondamental, pour les citoyens et citoyennes, est de prendre conscience du rôle assumé par l’État, institution principale, censée les représenter à travers les personnes qui le gèrent. Cet État est au service réel de qui ?… De toute la population dans son ensemble, sans exclusion, ou seulement d’une partie de cette population, et laquelle ?

L’emploi à tort et à travers du mot « peuple » exige d’en définir le contenu de manière non ambiguë, non manipulatrice : le peuple est l’ensemble des citoyens et citoyennes contribuant à la production des biens matériels et culturels, servant au bien-être de la communauté nationale.

Dans le mouvement populaire algérien actuel, les participants ne sont pas seulement les exploités économiques, mais également des franges qui ne le sont pas, toutefois elles sont dotées de conscience citoyenne : étudiants, enseignants, médecins, pharmaciens, avocats et même magistrats (1), ainsi que des membres influents du Forum des chefs d’entreprises FCE (2).

Par conséquent, du peuple sont exclus ses exploiteurs ; en outre, ils ne s’y reconnaissent pas eux-mêmes, s’auto-définissant et se distinguant comme l’ « élite » possédante et dominante.

Notons, cependant, deux faits.

La non ou insuffisante intégration des syndicats autonomes dans le mouvement populaire algérien actuel. Toutefois, des salariés affiliés au syndicat U.G.T.A., jusqu’à présent instrument de contrôle de l’oligarchie dominante sur les travailleurs, ont exprimé leur soutien au mouvement populaire, dans des termes clairs (3).

Deuxième fait. La paysannerie pauvre des campagnes n’est pas encore mobilisée dans ce mouvement. C’est là un grave handicap, donc une action à entreprendre. Il faut absolument éviter que l’oligarchie dominante ne fasse jouer le peuple des campagnes contre celui des villes. Au contraire, le peuple des villes doit créer au plus vite son alliance avec celui des campagnes, d’autant plus qu’une partie non négligeable de policiers, de gendarmes et de soldats proviennent de la paysannerie.

Le jour ou policiers et soldats, prenant conscience de leur appartenance au peuple (comme agents dominés au service de leurs dominateurs), manifesteront leur solidarité avec le mouvement populaire, c’en est fini, généralement, de la domination de l’oligarchie au pouvoir. Peut-être est-on proche de ce moment (4). Voilà pourquoi est fondamentale toute forme de fraternisation des manifestants avec les policiers, gendarmes et soldats. Durant les manifestations de rue, on a vu certains des premiers aller serrer la main aux seconds, leur parler de manière amicale, leur rappeler avec tact qu’ils font partie du même peuple ; on a même vu des enfants, parmi les manifestants, aller saluer amicalement des policiers. Admirable intelligence de ce qu’il faut faire. En outre, certains policiers et gendarmes exprimèrent discrètement, par une expression de visage ou un signe de main, leur solidarité avec les manifestants.

Ces observations faites, revenons à l’État. À force d’être maltraité et humilié, le peuple finit par s’apercevoir que cet État est au service d’une minorité, constituée en oligarchie, pour dominer la majorité du peuple, afin de s’enrichir en exploitant les ressources naturelles et la force de travail humaines de la nation.

Dès lors, une fois que le peuple opprimé n’en peut plus de cette damnation, la question de l’État, de son rôle, se pose pour lui.

En Algérie, quand le peuple colonisé prit conscience du rôle colonial de l’État français, au service de la composante colonisatrice, il entreprit un combat d’abord politique, ensuite militaire pour éliminer cet État colonial.

Malheureusement, à l’indépendance, l’État autochtone qui prit naissance fut créé et occupé par une nouvelle oligarchie, de nature indigène, à travers un putsch militaire. Cette oligarchie a géré cet État, jusqu’à aujourd’hui, en réduisant le peuple à une masse de manœuvre, dominée par une idéologie (clérical-laique) d’asservissement, doublée d’une domination bureaucratique, policière et militaire.

Il a fallu au peuple des épreuves, certaines sanglantes, comme expériences de luttes, pour, finalement, prendre conscience de cette situation, jusqu’à ne plus la supporter : dictature militaire Benbella puis Boumédiène, octobre 1988, « décennie sanglante », « printemps noir » de 2001, enfin violations constitutionnelles à répétition menant à l’occupation de la présidence étatique au-delà de quatre mandats.

La caste oligarchique occupant l’État a exploité au maximum tout ce ce qu’elle a pu, comme ressources naturelles et force de travail, jusqu’à mettre les jeunes dans la situation de préférer mourir noyés dans la mer parce qu’ils ne pouvaient plus survivre dans leur patrie, tandis que les oligarques étatiques et privés s’enrichissaient scandaleusement, de manière crapuleuse, mafieuse, éhontée et sans vergogne, par la corruption de méprisables et vils individus, et la répression des honnêtes citoyens. L’État est devenu la tanière de tous les méfaits, de tous les forfaits, protégés et défendus par les institutions dévoyées : information, éducation, spiritualité, magistrature, police politique. Par conséquent, ce ne sont pas les citoyens, ce ne sont pas des anarchistes qui firent de l’État une institution oppressive parce que prévaricatrice, mais ceux-là mêmes qui le géraient à leur bénéfice exclusif. L’État dont ils défendaient la sacralité fut par leurs actions désacralisé. L’État qui, après l’indépendance, devait servir le peuple s’est révélé être, très rapidement, une institution de domination du peuple.

Résultat final : le peuple a fini par reconnaître l’imposture et la mascarade. Elles sont devenues telles qu’elles provoquèrent, avec le temps et les humiliations, la séparation puis l’opposition entre ce qu’on appelle la « classe politique » et la « société », plus exactement entre la caste occupant l’État (et ses dépendances) et la majorité du peuple, réduit à vendre sa force de travail physique et/ou intellectuel, à prier Dieu pour améliorer son sort vainement, à se diviser et s’entre-déchirer avec de faux problèmes pré-fabriqués judicieusement (oppositions religieuses et ethniques, opposition hommes-femmes suite à un « code de la famille » féodal) ou à émigrer, légalement ou clandestinement.

Prendre ou partager ?

À présent, depuis le 22 février 2019, quelle attitude doit prendre le peuple opprimé vis-à-vis d’un État prédateur, oppresseur et parasitaire (5) notamment en rédigeant une future Constitution ? Car tel est le cas : d’un coté des opprimés sans pouvoir institutionnel, de l’autre des oppresseurs gérant un État oppresseur.

L’histoire enseigne que prendre le pouvoir étatique, tel qu’il existe, fondamentalement jacobin, accouche toujours d’une nouvelle oligarchie dominante, même si affublée d’adjectifs trompeurs, tels « révolutionnaire », « démocratique », « populaire », etc. Aussi, ne s’agit-il pas de prendre le pouvoir, mais de le partager équitablement entre les citoyens et citoyennes. Cela exige sa transformation radicale.

En voici des implications, dictées non pas par une vision dogmatique ou utopique, mais par les leçons pratiques de l’histoire de l’émancipation sociale.

Non pas se contenter de mettre de nouvelles personnes de l’ « élite » pour gérer ce pouvoir étatique, mais changer les structures mêmes de ce pouvoir étatique. Se débarrasser de ses fondements féodaux et capitalistes, basés sur l’exploitation de la majorité des êtres humains par une minorité d’assoiffés de richesse. Cela signifie que ce nouveau pouvoir étatique doit comprendre et représenter les opprimé-e-s de toutes sortes ; autrement, ce nouveau pouvoir n’accouchera que d’une autre forme d’oligarchie, plus « démocratique », en réalité exerçant sa domination de manière camouflée. Car tant que l’exploitation économique perdure, sous une forme ou une autre (privée ou étatique), elle a besoin d’être garantie par une forme de domination politique (étatique). Par conséquent, l’unique manière de se débarrasser de toute forme de domination politique est d’éliminer toute forme d’exploitation économique, en la remplaçant par la coopération libre, égalitaire et solidaire des producteurs de biens matériels et spirituels.

Le « haut » et le « bas »

Les observations précédentes impliquent que le changement social ne peut pas être réalisé par en « haut », ni par les gérants de l’État oligarchique, ni par des soit disant « experts » de l’opposition, quelque soit leur couleur politique. Le changement réellement conforme aux intérêts du peuple n’est possible que par en « bas », c’est-à-dire par les comités populaires de base, relayés par des comités correspondants au niveau communal, provincial et national. Quant aux experts, s’ils sont réellement au service du peuple, leur rôle se limitent à écouter ses revendications et à les traduire fidèlement du point de vue technique, tout en demeurant à tout moment contrôlés par les représentants dûment mandatés par le peuple, à travers ses comités. L’idéal serait, peut-être, que l’ensemble des comités d’autogestion populaires de base parviennent à constituer des comités d’autogestion au niveau communal, puis provincial, jusqu’à créer un comité d’autogestion populaire national, lequel assumerait les fonctions jusqu’alors dévolues à l’État. Alors, ce dernier ne serait plus l’instrument d’une oligarchie dominante, mais du peuple travailleur dans son ensemble.

Quant à ceux qui mettent en avant, pour la privilégier, la « force estudiantine », il faut se méfier de cette conception. Certes, les étudiants sont une composante de la jeunesse, qui est susceptible de participer efficacement à un changement social en faveur du peuple. Cependant, la composante estudiantine est privilégiée par rapport à la majorité de la jeunesse, qui, elle, est soumise à l’exploitation par la vente de sa force de travail, ou contrainte au chômage. Attention donc à ne pas créer, au sein du mouvement populaire, une « élite » au détriment de l’ensemble, mais que cette « élite » montre la modestie et l’intelligence d’agir non pas pour servir des intérêts de caste mais ceux du peuple dont elle fait partie (6).

De même, parler d’une manière générale de la « jeunesse » est une erreur dangereuse, quand pas manipulatoire. Car parmi cette jeunesse, il y a une minorité qui fait partie intégrante de l’oligarchie dominante. Il est donc plus adéquat de parler de la jeunesse exploitée et dominée.

De même pour les femmes, il est important de les concevoir non pas comme espèce biologique sexuelle différente de celle masculine ; cela a provoqué ailleurs un féminisme qui s’est parfaitement adapté et a renforcé le système capitaliste, où l’on voit des femmes devenues patrons d’usine, militaires et tortionnaires dans des armées impérialistes. Concernant les femmes, il s’agit de les concevoir comme citoyennes exploitées et dominées, doublement : par les patrons qui les emploient et par les membres de leurs familles : père, frère, mari.

Structures

Pour que le mouvement populaire parvienne à ses buts ci-dessus formulés, il faut :

1) à la structure étatique centralisée substituer une autre décentralisée, autonome (afin de permettre à chaque unité territoriale de déployer toutes ses capacités créatives) et fédérative ; ce dernier aspect ne menace en rien l’unité de la nation mais, au contraire, la renforce parce que basée sur le consensus librement exprimé, lequel est le fruit de l’égalité réelle entre toutes les composantes géographiques de la nation ; quant au fameux centralisme jacobin, y compris sa forme de « centralisme démocratique », l’histoire en a montré les limites et les tares, notamment son emploi au service de castes dominatrices prétendument « populaires » ;

2) à la structure hiérarchique et autoritaire substituer une structure égalitaire et coopérative ;

3) à la structure bureaucratique substituer une autre efficace et au service des citoyens, où les fonctionnaires sont élus et révocables par le peuple, et uniquement responsables devant lui ;

4) à la structure législative contre le peuple pour le dominer substituer une autre qui laisse libre cours à la liberté totale des citoyens et citoyennes dans l’expression de leurs intérêts à travers des associations librement créées, autogérées et solidaires ;

5) à la structure répressive policière et militaire, au service de l’oligarchie dominante, substituer une autre où police et armée soient réellement l’émanation, l’expression et la défense des seuls intérêts du peuple, et non d’une oligarchie dominatrice ; pour y parvenir, la défense de la nation d’éventuelles agressions extérieures exige non seulement une armée professionnelle, mais également le peuple en arme, sous forme de milices. Celles-ci ont également l’avantage d’éviter que les membres de l’armée professionnelle se transforment en caste dominatrice au détriment du peuple ;

 6) à la structure représentative parlementaire constituée de larbins perroquets membres de l’oligarchie dominante substituer une structure de représentants authentiques du peuple, issus directement de celui-ci ou reconnus par lui comme dignes représentants, tous élus par mandat impératif, responsables et révocables à tout moment sur décision majoritaire de leurs mandataires, et ne bénéficiant de rien d’autre que d’un salaire de travailleur moyen, afin d’écarter les opportunistes carriéristes et empêcher la transformation des représentants en caste privilégiée ;

7) à la structure territoriale constituée de fonctionnaires serviles, nommés par une autorité centrale étatique, hiérarchique et autoritaire, substituer une autre où les responsables territoriaux (communes, régions, willayas, nation), soient issus directement du peuple ou reconnus par lui comme dignes représentants, tous élus par mandat impératif, responsables et révocables à tout moment sur décision majoritaire de leurs mandataires, et ne bénéficiant de rien d’autre que d’un salaire de travailleur moyen, afin d’écarter les opportunistes carriéristes et empêcher la transformation des représentants en caste privilégiée ;

8) à la structure élitiste dominatrice substituer une autre considérant l’égalité sociale absolue et la coopération solidaire entre tous les membres de la communauté nationale, sans aucune exception ;

9) à la structure judiciaire asservie à une caste substituer une autre où les agents de la magistrature soient élus et révocables par le peuple ;

10) à la structure cléricale totalitaire asservissante substituer une autre laïque, où la religion est affaire privée et libre ;

11) à la structure éducative privilégiant le secteur privé, fabriquant une « élite » dominatrice, substituer une autre ouverte gratuitement à tous les enfants du peuple, et lui permettant d’acquérir en même temps les connaissances indispensables et la conscience citoyenne égalitaire, libre et solidaire ;

12) à la structure privilégiant une ethnie substituer une autre accordant à toutes les composantes ethniques du peuple les mêmes droits et devoirs ;

13) à la structure machiste substituer une autre reconnaissant de fait l’égalité absolue entre homme et femmes en matière de droits et de devoirs.

14) Pour concrétiser ces buts, il faut, à la structure sociale basée sur la possession privée ou étatique des moyens de production et des ressources naturelles, substituer une autre où cette possession soit collectivement celle du peuple. C’est l’unique manière d’éliminer le fléau social permettant à une minorité de s’enrichir et de jouir de la vie au détriment de la majorité. L’expérience historique montre qu’il faut éviter l’erreur auparavant commise : cette possession des biens collectifs ne doit pas être dévolue à un État géré par une nouvelle caste dominatrice (capitalisme étatique prétendument « socialiste »), mais géré par les représentants authentiques du peuple, à tout moment révocables s’ils ne remplissent pas correctement la mission qui leur est confiée. C’est cela la gestion par le peuple et pour le peuple, autrement dit l’autogestion sociale. La possession des moyens de production et des ressources naturelles ne doit pas être un moyen d’exploitation dominatrice du peuple, mais de son épanouissement libre, égalitaire et solidaire. Pour y parvenir il faut éliminer l’existence d’une part de possesseurs de capital, privé ou étatique, et, d’autre part, des possesseurs de leurs seule force de travail physique et/ou intellectuel. Que donc capital et force de travail soient possédés par la collectivité des travailleurs, de manière égalitaire et solidaire. C’est, là encore, la simple application authentique du principe : « Par le peuple et pour le peuple ». C’est là, encore, l’unique solution pour abolir toute forme d’exploitation économique, de domination politique et de conditionnement idéologique.

15) Pour éviter tout opportunisme carriériste et la formation conséquente d’une caste parasitaire exploiteuse et dominatrice, toute fonction sociale de gestion (fonctionnaire) doit être le résultat d’une élection libre, sur mandat impératif, donc responsable uniquement devant ses mandataires et révocable à tout moment sur décision de la majorité des mandataires.

Ainsi, dans la société, aucune institution ne doit être formée ou produire une caste de privilégiés et autoritaires, et cela de la base périphérique local au centre national, quelque soit le domaine d’activité sociale : administration, magistrature, éducation, culture, spiritualité, police, armée, etc.

Seul le peuple des opprimés a l’intérêt, donc est en mesure d’opérer ce genre de changement social. En le réalisant, il cesse d’être soumis à l’oppression, et, par la même, élimine de la communauté nationale toute forme d’oppression.

Seulement ainsi la démocratie sera réellement le pouvoir exercé par et pour le peuple. Seulement ainsi l’institution appelé État sera un appareil émanant du peuple pour le servir. Seulement ainsi, les institutions et les responsables qui les représentent ont le coût le plus économique pour la nation. Seulement ainsi le peuple n’est pas la dupe d’élections où il est cantonné à choisir ses dominateurs (par le trucage des dictatures ou le conditionnement médiatique des régimes « libéraux ») parmi les plus hypocrites, démagogiques et imposteurs. Seulement ainsi le peuple aura la possibilité concrète de manifester toutes ses réelles potentialités en matière de développement économique, social et culturel, thèmes proclamés et rabâchés par les tenants du pouvoir étatique oppressive mais de manière démagogique et trompeuse. Bien entendu, les oppresseurs de tout acabit, notamment leurs idéologues, « experts », « intellectuels » et clercs, hurleront scandalisés : « Mais c’est de la dictature ! De l’anarchie ! De l’archaïsme ! » Il s’agit là simplement de voleurs qui crient au voleur, car la véritable dictature est celle de l’oligarchie dominante, l’anarchie est le désordre social par lequel elle s’enrichit au détriment du peuple, et l’archaïsme réside dans un système social basé sur l’enrichissement d’une minorité par l’asservissement d’une majorité, réduite à un salaire privé de sa plus-value, forme contemporaine de l’esclavage antique.

Obstacles

Bien entendu, ces objectifs verront se dresser contre eux toutes les forces internes et étrangères qui vivent de l’exploitation de l’être humain par son semblable. Les personnes constituant ces forces sont tellement insérées dans le système exploiteur, dont elles jouissent, qu’elles trouvent des avantages à un capitalisme (privé ou étatique) qui a désormais montré toute sa nature psychopathe et criminogène, jusqu’à menacer la planète d’une apocalypse nucléaire. Cependant, ces personnes ont encore l’imposture de parler de « libéralisme », de « liberté », de « démocratie », de « sacralité » de (leur) État, de « science », de « volonté divine », bref de « modèle » à propos de ce système capitaliste d’esclavage moderne, en accusant la revendication de gestion sociale par le peuple et pour le peuple d’ « anarchie », de « communisme », de « monstruosité », etc. Non pas, messieurs les calomniateurs ! Il s’agit en réalité de l’authentique démocratie : demos = peuple, cratos = pouvoir.

Il faut donc prévoir correctement les inévitables réactions, directes et camouflées, de ces forces exploiteuses, ainsi que les solutions adéquates pour les neutraliser. La toute première est de brandir haut et clair le principe « Par le peuple et pour le peuple ! » ; la seconde solution est de s’atteler le plus tôt possible à trouver les formes organisationnelles pour concrétiser ce principe.

Les premières actions contre le mouvement populaire seront de type propagandiste idéologique, à travers l’immense appareil constitué par les moyens dits d’information, en fait d’intoxication, visant à détruire les acquis du peuple et le développement autonome de son mouvement.

Cette procédure se révélant insuffisante, se posera alors, certainement, la question de la violence, déguisée ou déclarée, que ces forces exploiteuses emploieront pour maintenir leur domination. Par conséquent, s’impose pour le peuple la manière de les neutraliser, à travers son organisation créée à cet effet, en solidarité avec l’institution militaire, sinon sa partie sensible au peuple.

Résolution et organisation

Cela fut dit et l’histoire l’a démontré à chaque fois (citation de mémoire) : « Qui fait la révolution à moitié ne fait que creuser son propre tombeau » (Saint-Just). Les changements sociaux radicaux ont échoué essentiellement à cause de deux défaillances : l’insuffisante résolution à supprimer la domination oligarchique, et l’insuffisante organisation. Le cas le plus significatif fut l’exemplaire Commune de Paris de 1871.

À propos du mouvement populaire algérien, on lit cette observation : « Les gens qui cherchent à tout prix à encadrer ce mouvement ou le doter d’une direction veulent, directement ou indirectement, son essoufflement. » (7)

Oui et non. S’il est inévitable que certains agents chevauchent le mouvement populaire pour le dévier en le mettant au service de leurs intérêts de caste, par contre tout mouvement populaire, quelque soit l’époque et le pays, ne peut survivre et se développer sans se doter d’une direction. Nier ce fait c’est priver le mouvement populaire de l’instrument principal et décisif de son maintien et de son développement. L’unique problème est de constituer cette direction de manière à refléter fidèlement les intérêts du peuple, ce qui implique une direction caractérisée par la liberté, l’égalité et la solidarité citoyennes.

À ce sujet, voici une proposition. Que chaque regroupement social de base, dans chaque domaine d’activité sociale, crée son comité de gestion (plus exactement d’autogestion), pour ses concertations, décisions et actions, de manière libre, égalitaire et solidaire ; que ces comités se créent des relations entre eux, jusqu’à parvenir à la création d’un comité national, expression générale de la volonté populaire. Enfin, que de ces associations émanent des représentants, chargés de diriger le mouvement populaire. Cependant, étant élus par mandat impératif, donc responsables devant leurs mandataires, donc révocables à tout moment par la majorité de leurs électeurs en cas de manquement au mandat confié, ces dirigeants concrétisent la volonté populaire, sans devenir une caste dominatrice nouvelle.

Un précédent algérien est à considérer : le mouvement populaire de 2001. Il s’agit de connaître correctement cette expérience, de l’analyser, de la comprendre, d’en tirer les leçons d’action indispensables, d’en adopter les aspects positifs et d’éviter les aspects négatifs (8). Pour éviter l’échec du mouvement populaire algérien de 2001, celui des mouvement populaires égyptien puis tunisien de 2011, il est vital que le peuple algérien prenne conscience que son action n’est qu’à son début, qu’elle exige des luttes de longue durée, que les tentatives de récupération et de neutralisation de son mouvement seront nombreuses et de formes insidieuses (9). Par conséquent, que le rapport de force actuellement en faveur du mouvement populaire soit utilisé par le peuple pour se créer ce que l’oligarchie dominante lui a toujours dénié par la répression : sa propre auto-organisation, du local au national, dans tous les secteurs d’activité sociale. Seulement ainsi, le fœtus que sont les manifestations de rue accoucheront d’un pouvoir authentiquement du peuple. Si les jours fériés sont consacrés aux démonstrations de rue, que les autres jours ou soirs soient dévolus à la vitale création des organisations populaires, en veillant à les constituer de manière durable, sur la base des principes de liberté, d’égalité et de solidarité. Pour le peuple, il s’agit de créer les conditions concrètes qui permettent de développer son mouvement de telle manière que nulle force ne puisse le manipuler, le récupérer, le neutraliser ou l’éliminer.

Après lecture de ces observations, la personne qui objecterait, au nom du « réalisme », que le peuple algérien, comme tout autre peuple, est incapable de réaliser un tel changement social, cet objecteur exprime simplement son « réalisme » de privilégié et son mépris arrogant de caste concernant les capacités du peuple. Ce dernier se soulève de temps en temps, généralement à la surprise de tous les « experts » ; il lui reste à trouver comment transformer son soulèvement pacifique en un système social de liberté, d’égalité et de solidarité. Le devoir de tout possédant de savoir, s’il est honnête, consiste à y contribuer. Existe-t-il une autre méthode efficace pour éliminer de la société tout système produisant, fonctionnant et se perpétuant par la corruption et l’humiliation, sous toutes leurs formes ?

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(1) Voir https://www.elwatan.com/edition/actualite/historique-rassemblement-des-magistrats-devant-la-cour-dalger-15-03-2019. C’est constater combien cette oligarchie au pouvoir a tellement abusé de sa domination qu’elle a dilapidé les richesses du pays, exploité cruellement le peuple travailleur, et appauvri jusqu’aux couches de la classe moyenne, en les humiliant par le vol, le mépris, l’arrogance et l’asservissement, notamment les magistrats réduits à n’être qu’une courroie de transmission de l’arbitraire oligarchique.

(2) https://www.algerie-eco.com/2019/03/06/exclusif-le-fce-originel-rejoint-le-mouvement-populaire/

(3) Telle l’Union locale de la zone industrielle de Rouiba/Réghaïa, voir https://www.algerie-eco.com/2019/03/06/ugta-zone-industrielle-rouiba-reghaia-soutiennent-marches-contre-5e-mandat/

(4) Voir https://www.youtube.com/watch?v=CDtxeI-qJ-Y

(5) Voir in https://www.investigaction.net/fr/algerie-du-pretexte-conjoncturel-aux-causes-systemiques-promesses-et-dangers-dune-revolte-de-la-dignite/#_ednref20

(6) Ainsi, on lit cette phrase d’un étudiant :Les étudiants sont les futurs dirigeants” in https://www.elwatan.com/edition/actualite/pourquoi-le-pouvoir-a-peur-de-la-force-estudiantine-15-03-2019. Mais de quel droit et au nom de qui ?… La direction d’un pays se limite-t-elle donc aux seuls détenteurs de savoir universitaire ?

(7) https://www.elwatan.com/edition/actualite/pourquoi-le-pouvoir-a-peur-de-la-force-estudiantine-15-03-2019

(8) Voir http://www.matierevolution.fr/spip.php?article81

(9) Dans de précédentes contributions, des lecteurs m’ont reproché d’évoquer encore aujourd’hui la révolution russe de 1917, considérant celle-ci comme événement dépassé. Qu’on lise « L’État et la révolution » de Lénine, puis “La révolution inconnue” de Voline (librement accessibles sur internet). On constatera comment les politiciens les plus révolutionnaires ont récupéré le mouvement populaire, au point de se constituer en oligarchie inédite, aussi dominatrice que celle combattue auparavant. Si, donc, Lénine, Trotski et leurs dévoués « commissaires » bolcheviks ont agi de cette manière, faut-il s’étonner que des politiciens moins révolutionnaires procèdent de façon identique ?

 

Piublié sur Le Matin d'Algérie, le 21 mars 2019, Algérie Patriotique, le 02 zavril 2019, et Tribune Diplomatique internationale, le 02 zavril 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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