Résultat pour “autogestion”

Publié le 14 Décembre 2017

Aux sincères ami-e-s du peuple

1. Le Ciel, l’Olympe, Jupiter et les dieux

Dans la plupart des publications, nous lisons des exposés, analyses, dissections, conjonctures, hypothèses, plus ou moins savants, de personnes plus ou moins expertes. Et nous constatons la répétition de ces mêmes textes, ad nauseam.

Mais, voilà, presque tous ces articles, contributions, interventions, interviews, éditoriaux, etc. concernent le Pouvoir, l’État, les clans, leurs luttes. Y sont cherchés, traqués, supputés, supposés les énigmes, les occultations, plus ou moins indéchiffrables. Pour paraphraser Churchill à propos de la Russie, on cherche à déceler « une énigme enveloppée dans un mystère ».

Une fois, tel clan, telle institution, tel « homme fort » est déclaré dominant, décidant et commandant tout le destin du pays ; une autre fois, c’est tel autre. Parfois c’est le même auteur qui change d’opinion.

D’accord, c’est évidemment utile et appréciable de lire toutes ces tentatives d’explication. Quoique, généralement, ils nous laissent sur notre faim, dans l’ignorance, désorientés, ne sachant que faire. Quelquefois, ce sont les auteurs eux-mêmes qui avouent leur égarement dans ce labyrinthe sans fil d’Ariane.

C’est que les gens au pouvoir, quels qu’ils soient, savent tellement cacher leur jeu, et vous, ne disposant pas des informations nécessaires, restez incapables d’une analyse réellement exhaustive, concrète et opératoire. Ce n’est pas votre faute, nous le savons, et nous apprécions vos tentatives.

Mais, quand vous vous plaignez de l’opacité des gens au pouvoir en Algérie, n’oubliez-vous pas que l’opacité caractérise tout pouvoir hiérarchique, qu’elle est l’un des aspects de sa domination ? Qu’en Algérie, simplement, cette opacité est plus dense, parce que le système est moins démocratique qu’ailleurs ? Que, cependant, ailleurs aussi, l’opacité est de règle, sinon pourquoi l’existence et la répression, par les États dits « démocratiques », des militants du site Wikileaks, et des donneurs d’alerte, tels Edward Snowden ? Sinon pourquoi la concentration des moyens dits d’information (plutôt de manipulation) dans les mains de propriétaires de banques et d’entreprises, pourvoyeurs financiers des élections mettant au pouvoir politique leurs reconnaissants laquais souriants ?

Dès lors, obnubilés par les jeux du « Ciel », du « Sommet », de l’ « Olympe », de « Jupiter » et de la « Cour », impressionnés comme des insectes par leur « lumière » et les scintillements de leurs actes, déclarations et contre-déclarations, vous affirmez que le pays, le peuple ne seront sauvés que par des institutions ou « hommes forts » qui se trouvent… dans l’ « Olympe », autour de « Jupiter », dans sa « Cour » ou autour.

Les « sauveurs » de la nation et du peuple que vous nommez sont tour à tour des officiers de l’armée, en fonction ou en retraite, des « hommes sages » ayant exercé un temps dans la « Cour » puis ont été éjectés ou (très rarement) eurent l’honnêteté de démissionner, des leaders de partis politique d’opposition (réelle ou clonée).

À ces « sauveurs », vous demandez de contribuer à établir la « démocratie », une bonne économie, le « progrès », à rendre le pays « moderne » comme d’autres, pour participer au « concert des nations », à favoriser sciences, techniques, culture, art et littérature.

Chaque auteur d’analyse manifeste ses personnelles opinions (parfois fixations), en négatif (les mauvais, méchants, égoïstes, « traîtres à la nation ») ou positif (les bons, gentils, altruistes, « patriotes sincères »). À longueur de publications, à leur propos, les auteurs de textes écrivent, répètent, décortiquent, divisent les cheveux en quatre, cherchent des poils même sur les têtes chauves.

Ces exercices littéraires durent depuis l’indépendance nationale. Sans résultat autre que ce que tous ces textes n’ont jamais prévu ou pas clairement : quand une partie du peuple, excédée, se révolte, la réponse est soit la carotte (subventions financières) soit le bâton (interdiction de manifestation, emprisonnement, et même mitraillage de citoyens protestataires désarmés).

Et voilà nos analystes s’efforcer, là encore, à supputer, proposer qui, toujours au « Sommet », dans la « Cour », fut responsable de ces forfaitures, et quel fut le rôle de Jupiter.

Bref, en un mot, tous ces textes se résument à ceci : par le « Sommet » et pour le « Sommet ».

Pourtant, l’expérience pratique a enseigné : l’unique fois où, du « sommet », fut tenté un changement au service réel du peuple, après uniquement six mois, les sangsues de ce dernier l’ont fait échouer, et de manière significativement spectaculaire : l’assassinat du président Mohamed Boudiaf, en plein discours télévisé. Est-ce un hasard que seul lui fut éliminé de cette manière, mais aucun autre président ?

Pourquoi donc cette abondance de publications sur Jupiter et la Cour ?… Eh bien, parce que les auteurs de ces textes sont persuadés que tout changement, mauvais ou bon, ne peut venir que du « Ciel », d’en « haut », de l’ « élite » au pouvoir, ou aspirant le conquérir.

Et pourquoi cette conviction ?… Parce que la formation intellectuelle-idéologique de ces auteurs provient essentiellement d’une vision jacobine (pour employer un terme moderne) de la société : Autorité hiérarchique, Centralisation, Minorité pensante et agissante. Prophètes fondateurs de cette conception : Robespierre, Saint-Just, Marat, Marx, Lénine, Trotski. Et, au-delà, auparavant, les légistes chinois, Thomas Hobbes, Machiavel. Et, plus loin encore, les Commandements religieux. Et davantage plus loin : les mythes (babyloniens, phéniciens, égyptiens, grecs, romains, pour ne pas citer ceux chinois et hindou, l’influence de ce dernier étant indirect ou occulté sur les conceptions occidentales et moyennes-orientales).

Religieux et laïcs ont la même vision : tout changement ne peut et ne doit venir que du « haut », respectivement du « Ciel » ou de l’État (ou de son opposition, autre forme de l’Etat).

Avec cette restriction : il existe, cependant, des religieux qui accordent la priorité à l’être humain par rapport à son créateur : ils affirment « Aide-toi, le ciel t’aidera ».

Dans le domaine laïc, une conception meilleure se trouve chez ceux qu’on appelle les libertaires. Contrairement à l’opinion ordinaire, ils ne se limitent pas à Joseph Proudhon, Michel Bakounine, Errico Malatesta et disciples. Nous les trouvons plusieurs siècles avant l’ère chrétienne, à l’ouest (Diogène et Antisthène, les « cyniques ») comme à l’Est (les philosophes Lao Ze, Mo ze, Zhuang zi), ou, au Moyen-Orient, au Moyen-Age (Alhalladj). Quand ce dernier déclarait dans les rues « Ana Allah » (Je suis Dieu) , que disait-il d’autre sinon revendiquer son autonomie et sa libre autogestion spirituelle ? Telle fut la cause de sa condamnation au martyr par les détenteurs du pouvoir, pourtant louangés comme « éclairés ».

Cette conception sociale, privilégiant l’autorité hiérarchique, je l’ai appelée, dès 1981, hétéro-gestion : autrement dit, la gestion forcée des êtres humains par d’autres de leurs semblables. Nous avons affaire, ici, à un intégrisme totalitaire de type laïc ; il a l’illusion idéologique de se croire et de se proclamer « démocratique », autrement dit « pouvoir du PEUPLE ». Alors, qu’en réalité, il s’agit de pouvoir SUR le peuple. Cela se manifeste par sa réduction à des « masses » de manœuvre, instrument d’accès au pouvoir (par la lutte armée ou par les élections), rien d’autre.

Dès lors, la question se pose : tous ces analystes, obsédés par Jupiter, sa Cour et les autres dieux alentour, que connaissent-ils de ce qui suit ?

2. La terre, la « base », la « basse-cour »

Évitons tout malentendu par quelques précisions.

Voici qui nous sommes : le peuple dominé, parce qu’exclu de tout pouvoir sur sa vie ; exploité, parce que vendant, pour acquérir de quoi vivre, ses muscles ou son cerveau, considérés vulgaire marchandise, à des gens qui s’en enrichissent ; aliéné, par manque de moyens matériels et organisationnels d’acquérir les connaissances pour notre émancipation.

Rares, très rares sont les textes qui s’occupent de nous, nous la « canaille », la « racaille », les « ghâchi ».

Oh, bien entendu, nous avons déjà fourni les motifs de cette négligence : pour les auteurs évoqués ci-dessus, leur amour pour nous se limitent à chercher l’Homme Supérieur, le Sur-Homme susceptible de nous « sauver », de nous « concéder, « offrir » le bonheur dont nous avons besoin.

Quant aux auteurs qui montrent un réel et sincère intérêt pour nous, soit ils se limitent à constater avec regret notre « apathie » (autre manière de suggérer le rôle décisif de Jupiter et de la « Cour »), soit de poser la question, enfin, décisive et fondamentale, comme ici :

« (...) l’enjeu politique central est de savoir si les forces populaires (syndicats, associations, mouvements, partis antilibéral…) seront capables de reprendre le flambeau pour résister d’abord à l’offensive de l’oligarchie puis d’amorcer une contre-offensive. Car elles seules, du fait de leur force réelle et potentielle, peuvent réussir là où Tebboune ne pouvait qu’échouer. » (Ramdane Mohand Achour, Libre Algérie, 17 août 2017).

Les partis évoqués ici, nous attendons encore leur venue dans nos zones périphériques délabrées, nos bidonvilles vermoulus et nos dachras ignorées. Nous plaisantons ! Nous savons que ces messieurs-dames ne viennent chez nous, s’ils viennent, que pour obtenir nos votes afin d’accéder au jeu dans la Cour des puissants.

Une fois, nous avons lu une interview d’un dirigeant du Parti qui se qualifie « des Travailleurs ». Il crut montrer l’intérêt que son organisation nous manifeste, en déclarant, en substance : Ils viennent chez nous pour obtenir de l’aide. « Ils », c’est nous, le peuple.

Certainement, ce parti, à sa manière, nous défend. Toutefois, nous nous sommes demandés : plutôt que nous attendre pour aller chez eux, ces militants ne devraient-ils pas, eux, prendre la peine de venir chez nous ? Une autre question nous intéresse : parmi les dirigeants de ce parti, combien sont des travailleurs ? Je dis travailleurs, et non ex-travailleurs. Car nous savons que, généralement, les ex-travailleurs, une fois placés dans les bureaux de partis ou de syndicats, deviennent rapidement des bureaucrates, coupés et opposés aux intérêts de ceux qui restent des travailleurs.

Retournons à l’extrait de l’article cité.

Les syndicats, associations, mouvements qu’il évoque, oui, ça, c’est nous ! Nous entendons, évidemment, non pas ceux « clonés » par les gens de la « Cour », mais ceux créés de manière libre et autonome par des citoyen-nes, et autogérés par eux-elles. Notons, dans l’article ci-dessus, enfin, ce que nous attendons toujours de lire, mais en vain : « les forces populaires (…) elles seules, du fait de leur force réelle et potentielle ».

Voilà donc, un auteur qui nous accordent non seulement de l’importance, mais celle première et décisive. Merci !

Nous avons lu d’autres textes qui nous concèdent ce rôle, mais ils espèrent nous sauver par le retour d’un « Parti d’Avant-Garde ». Non, non ! Ce genre de « Sauveur Suprême » a démontré, dans le monde entier, sa lamentable et tragique faillite. Son retour serait une farce. D’accord, nous sommes peut-être des imbéciles, mais pas au point de répéter une erreur aussi grossière. Même si son Dieu fut Karl Marx, et son Prophète Lénine. (fin partie I)

'Partie II.)

3. « Courroies de transmission »

Écartons un malentendu.

Voici les personnes auxquelles nous ne nous adressons pas, parce qu’elles sont nos ennemis résolues et implacables : toutes celles qui ont la triste (pour nous) fonction d’agir comme garde-chiourmes, gardiens du « Palais », mercenaires de la plume et de la parole, bref contre-maîtres de leurs Maîtres.

Nous savons que certaines de ces personnes sont, notamment, des caméléons : « démocratiques » et « progressistes » en paroles, mais, en réalité, profiteurs du système jupitérien. Nous connaissons votre but inavoué : rafler le fromage, l’argent du fromage et même le corps de la fermière. Vous, vous savez « profiter de tout », pour satisfaire votre adoration intégriste de votre Saint Ego.

Déjà, à l’époque de la « glorieuse » et « progressiste » dictature du complice d’un colonel, puis de celui-ci lui-même, nous avions compris la valeur du fameux « soutien critique ». Durant celui-ci, vous avez su, profitant de la bonne foi de votre « base militante », tirer profit du « moulin » du pouvoir étatique, et du « four » du peuple asservi. La « révolution » et le « peuple » ont été et demeurent pour vous un investissement en terme d’argent et de postes administratifs. Si tel ne fut pas le cas dans votre idéaliste jeunesse, vous l’êtes devenus dans votre « réaliste » âge adulte. Preuve en sont votre carrière « honorable », votre niveau de vie satisfaisant, votre statut social brillant, et l’admiration que vous portent les médias de la caste dominatrice, dont les strapontins vous sont concédés.

Nous constatons combien vous dénoncez l’obscurantisme islamique. Mais cela n’est pas le produit d’un réel sens démocratique, mais uniquement de votre souci de ne pas perdre les miettes que vous a concédé la hiérarchie dominante. Nous, peuple, sommes victime de deux obscurantismes : l’imposture à masque religieux, et votre tromperie à masque laïc.

Les « courroies de transmission » que vous êtes sont notre malédiction. Vous êtes la garantie de l’existence du système jupitérien. Sans vous, il s’écroulerait. C’est donc vous, les premiers responsables.

C’est pourquoi nous aimerions que les auteurs d’articles qui critiquent Jupiter et sa Cour s’intéressent plutôt, d’abord et principalement à vous, les « courroies de transmission » de l’exploitation dominatrice que nous pâtissons. Parce que, nous le répétons, sans vous, pas de Jupiter ni les clans de sa Cour.

4. De la rupture, mais après ?

Nous lisons également, quotidiennement, des pronostics divers sur le moment et les modalités de fin du système dominant. Et chacun va de son analyse.

C’est utile, bien entendu.

Cependant, il nous semble que, dans beaucoup de textes, échappe cette simple banalité : un système social prend fin quand ceux d’en « haut » ne peuvent plus le gérer, et ceux d’en « bas » ne peuvent plus le supporter.

Savoir en quoi, comment et jusqu’où ceux d’en « haut » ne peuvent plus gérer, nous l’avons dit, c’est découvrir un mystère dans une énigme. À ce sujet, les moins scrupuleux avancent des affirmations sans preuves convaincantes ; les plus circonspects avouent leur incapacité.

Le cas n’est pas spécifique à l’Algérie. Pour citer deux exemples, Lénine fut surpris par la chute du tsarisme ; De Gaulle, par le mouvement de mai 1968. Pour revenir à l’Algérie, l’ « élite » algérienne, laïque et religieuse, elle aussi, fut prise au dépourvu par le déclenchement de la lutte armée de libération nationale.

Quant à ceux d’en bas, il ne suffit pas de prévoir quand ils ne supporteront plus, et s’ils le manifesteront de manière pacifique, légale ou violente. Il y a plus important : se soucier du comment ils ne supporteront plus.

Si leur révolte, légale et institutionnelle ou violente, accouche uniquement d’un autre Jupiter et de sa Cour, que gagneront-ils ? Quand, ailleurs, Lénine, Mao Tsé Toung et autres, quand, en Algérie, Ben Bella, Boumediène et autres ont remplacé le système précédent, qu’a gagné le peuple, autre que de changer de maître ?

Oui, certes, quelques « os » (dans les domaines de la santé, de l’instruction, des salaires, etc.) furent concédées aux « masses », mais pas l’essentiel : le pouvoir social, celui de s’auto-gérer. Et quand une partie de ces « masses » pratiquèrent l’autogestion, elle fut, nous l’avons dit, réprimée dans le sang.

Ce qu’il faut donc c’est préparer le peuple à ne pas être réduit, encore une fois, par ses « sauveurs », à une simple « masse » de manœuvre, permettant aux futurs nouveaux maîtres de renverser les anciens, puis de prendre leur place.

Antonio Gramsci disait, je cite de mémoire : Instruisons-nous, car au moment décisif, nous aurons besoin de toutes nos connaissances pour réaliser la révolution.

Cette exigence, je l’ai vécue personnellement. Jeune étudiant, j’ai participé au mouvement de mai 1968. J’y ai constaté combien l’instruction citoyenne était fondamentale, non seulement pour promouvoir le mouvement social, mais lui assurer la victoire. Nous étions arrivés jusqu’à une grève générale nationale de plus de dix millions de travailleurs, et à voir le président-général De Gaulle abandonner le palais de l’Élisée, pour se réfugier auprès du chef de l’armée française, stationnée en Allemagne, le général Massu, de sinistre mémoire en Algérie.

Malheureusement, notre formation intellectuelle se révéla insuffisante pour changer de système social. Bien entendu, la défaite s’explique par d’autres facteurs. Mais notre manque de préparation théorique adéquate en fut un.

De même, si le peuple disposait de formation théorique suffisante, pour agir de manière conséquente, le parti bolchévik n’aurait jamais accaparé le pouvoir, en Russie ; les soviets auraient triomphé. En Algérie, aussi, la guerre de libération nationale n’aurait jamais accouché de la dictature, mais aurait généralisé l’autogestion sociale.

C’est dire combien l’éducation, l’instruction citoyenne, la formation intellectuelle sont l’exigence première et fondamentale pour se préparer à affronter la rupture sociale, la faillite de tout système jupitérien. C’est, nous semble-t-il, ce que l’histoire enseigne. Afin que le peuple ne soit pas réduit, encore une fois, à n’être qu’un instrument manipulé, pour se retrouver soumis à un système différend, mais toujours un pouvoir hétéro-gestionnaire.

Nous sommes conscients que la tâche est difficile. D’une part, sur elle pèsent plus de trois millénaires d’autoritarisme hiérarchique, clérical et laïc, partout sur la planète. D’autre part, son adversaire, sournois et retors, manifeste la plus grande cruauté, bien décrite par un de ses membres, Machiavel : l’État, quelque que soit sa forme, ouvertement despotique (« Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ») ou hypocritement « démocratique » (« Il suffit de leur laisser croire que leur vote est libre, l’important est qu’ils nous élisent »).

Mais nous savons, également, autre chose. Que l’analphabète esclave Spartacus avait réussi, grâce à sa formation de gladiateur mais, surtout, à son intelligence, à former une armée d’ex-esclaves, que celle-ci a tenu tête et même fait trembler le pouvoir romain pendant plusieurs années, qu’elle gagna beaucoup de batailles contre des soldats dirigés par des généraux. Et que, à la fin, la révolte la plus importante de l’Occident antique fut vaincue uniquement par la traîtrise, la ruse et la corruption de marchands.

Nous savons, aussi, que les expériences d’autogestion les plus importantes, celle des soviets russes et ukrainiens et celles des collectivités espagnoles, sans oublier la nôtre algérienne, avaient donné des résultats appréciables ; seule notre manque de formation a permis à nos adversaires de nous vaincre.

5. Que (re)vive l’autogestion sociale !

Retournons à l’article cité plus haut. Nous aurions voulu y lire des propositions d’organisation des forces populaires évoquées.

Ce que nous attendons de tous-tes ceux-celles qui nous aiment, nous le peuple, ce sont des propositions concrètes, pratiques pour jouer pleinement notre rôle.

Une chose curieuse : de tous les textes qui font l’éloge de notre histoire récente (guerre de libération, ensuite indépendance nationale), rares sont ceux qui évoquent l’événement qui, pour nous, fut le plus important, le plus sinon le seul révolutionnaire.

D’abord, entendons-nous sur cet adjectif. C’est un processus social qui change la base, la racine d’un système social. Or, quelle est cette base, cette racine ?… Ce n’est pas le colonialisme ni l’impérialisme, c’est l’exploitation de l’homme par son semblable, par l’intermédiaire de sa domination.

Or, la guerre a libéré le pays du colonialisme, mais pas de l’exploitation-domination du peuple par une caste minoritaire. Donc la guerre de libération a abouti à une réforme (substitution d’une caste dominatrice-exploiteuse étrangère par une autre, indigène) et non à une révolution.

Où donc fut l’aspect authentiquement révolutionnaire en Algérie ?… Dans un événement qui ne vint pas d’un Jupiter ni de membres de sa Cour ou de son arrière-cour. Cet événement fut l’initiative de nous, les « ignorants », les « analphabètes » : ce fut l’autogestion des entreprises et des champs.

Oui ! Uniquement cet événement fut une authentique révolution : parce que cette autogestion fut notre action libre et autonome, gérée par nous de manière également libre et autonome, parce que, durant cette période, fut éliminée l’exploitation et la domination de l’homme par son semblable, parce que cette maudite et vénéneuse racine et base de société fut éliminée.

Malheureusement, cette bénéfique autogestion fut écrasée par ceux-là même qui se proclamèrent « révolutionnaires ». Ô, hypocrisie ! Il est vrai que ces Tartuffe avaient l’illusion idéologique d’être nos « sauveurs », cette maudite et malfaisante croyance de réaliser le bonheur du peuple à son détriment, contre sa propre volonté et ses spécifiques désirs ! Pour établir une nouvelle caste dominatrice-exploiteuse, dite « populaire », « républicaine », « socialiste », « communiste », etc.

Hélas !, nous en sommes encore là, aujourd’hui. À l’exception de l’époque où notre autogestion exista, qui donc, par la suite, a encore parlé de notre autogestion, de notre capacité réelle et effective de prendre nous-mêmes notre destin en mains ? Et que cette magnifique expérience prit fin uniquement par la répression du Jupiter et la Cour alors dominant le ciel de l’État ?

N’est-il pas significatif que cette idée d’autogestion a été et demeure totalement ignorée, occultée des textes qui cherchent des solutions aux diverses « crises » successives survenues en Algérie, comme ailleurs dans le monde ?

Et, pourtant, ces textes, répétons-le, se disent, - et il n’y pas motif d’en douter -, « démocratiques ». Dès lors, en eux, où sont l’affirmation et les propositions de pouvoir effectivement du peuple ?

Par suite, une question se pose : pourquoi, aux efforts divers, multiples, continus, répétés de chercher et de proposer des solutions provenant uniquement de Jupiter et de la Cour, ne trouve-t-on pas les mêmes efforts concernant nous, le peuple ? Pourquoi cet oubli de l’autogestion ?

Il est vrai que cette conception fut, historiquement dans le monde, minoritaire. Et chaque fois qu’elle exista, elle fut réprimée dans le sang.

Mais il est également vrai que, dans le monde, cette conception n’est pas morte, que de temps en temps, elle réapparaît dans la pratique sociale, non seulement dans les pays développés, mais également dans des contrées non développés et en guerre.

Cependant, encore hélas !, dans le monde comme en Algérie, la conception jacobine demeure majoritaire. L’un des motifs de cette situation est le fait que les « élites » intellectuelles demeurent tributaires de cette même conception. Et si elles le sont, c’est parce qu’elles en profitent par les privilèges recueillis.

Mais, pourrait-on demander, où trouver des ouvrages parlant d’autogestion, d’expériences ayant eu lieu, contenant des analyses des succès et des erreurs, proposant des solutions ?… Rien de plus simple : chercher sur internet. Il est plein d’ouvrages et d’informations gratuites.

Publié sur Le Matin d’Algérie, 02 Sep 2017 et 04 Sep 2017.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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Publié le 3 Janvier 2022

GRANDE TERRE TOUR A - Partie II. Chap 15

15.

Le loup dans la bergerie

 

Le lendemain, au soir, en compagnie de Si Lhafidh, Karim est dans un tout petit local. Le lieu est très modeste, éclairé par une seule lampe électrique accrochée par un fil au plafond. Une réunion est en cours. Les présents sont une dizaine, jeunes pour la plupart, l’expression tendue.

Si Lhafidh les informe :

- Je me suis permis d’inviter mon ami et voisin d’immeuble, Karim. Il fait partie de la

section syndicale autonome de l’hôpital. M’ayant interrogé sur l’autogestion, je lui ai dit

de venir, pour la voir fonctionner ici concrètement.

Des rires amicaux répondent à ces paroles. Ali, un membre du groupe, de l’âge de Karim, intervient, d’une voix calme, simple, sans aucune emphase :

- Parmi nous, lui explique-t-il, il n’y a pas de chef ; nous le sommes tous. Malheureusement, il n’y a pas de femmes chômeuses parmi nous, pour le moment. Nous essayons de les convaincre de venir défendre leurs droits. Actuellement, une seule nous a rejoint.

Il désigne une jeune fille assise sur un vieux banc de bois. Elle porte une djellaba féminine sombre, mais son visage est découvert. Karim reconnaît, avec surprise et plaisir, Zahra. Se tournant vers Si Lhafidh, il précise :

- C’est notre voisine du rez-de-chaussée !

- Ah ! dit le vieil homme, tout content.

Ali expose la situation :

- À tour de rôle, chacun de nous représente notre comité. Celui qui sait comment faire le représentant l’apprend au membre qui l’ignore. Et nous prenons nos décisions de manière totalement libre, après une discussion franche entre nous. Nous préférons discuter le plus longtemps possible pour parvenir à l’unanimité. C’est très important pour assurer l’unité et la cohérence de notre groupe. Autrement, nous suivons la décision de la majorité. L’égalité absolue entre nous, la liberté totale d’expression et la solidarité parmi nous, voilà notre ciment unificateur. C’est notre force. En plus, n’ayant pas de chef parmi nous, les autorités ne peuvent pas nous neutraliser en emprisonnant cet éventuel chef. Cependant, nous reconnaissons que certains parmi nous sont plus instruits que les autres ; cela ne leur donne pas le droit de se croire supérieur ou de jouer au chef. Ce qu’on attend d’eux, et c’est ce qu’ils font, c’est de fournir leur savoir à ceux qui en manquent. C’est cela notre autogestion, nous les chômeurs… Et chez vous, dans votre section syndicale, comment vous fonctionnez ?

Karim est un peu embarrassé.

- Pas tout-à-fait comme vous. Chez nous, il y a une tendance à croire que

celui qui sait le plus doit être le chef. Cela crée des problèmes, évidemment. Cette envie de jouer au chef est notre principal difficulté, c’est notre faiblesse.

- Chez nous, aussi, ce problème est apparu. Nous avons rapidement compris qu’il menaçait notre activité, et nous l’avons résolument éliminé. De même, des représentants de partis politiques sont venus nous voir. Là, aussi, nous avons compris que leur but n’était pas de nous soutenir en respectant notre autonomie, mais de nous utiliser dans leur tactique politique, rien d’autre. Alors, nous les avons remerciés. Nous préférons compter uniquement sur nos propres forces ; néanmoins, bienvenue aux soutiens à condition qu’ils ne pensent pas faire de nous des marionnettes à leur service. Ceci dit, quelqu’un nous a aidés dans notre action. Et nous lui sommes infiniment reconnaissants.

Il indique avec respect Si Lhafidh. Karim, étonné, le regarde comme pour l’inviter à lui fournir plus ample information.

Ali s’adresse à Si Lhafidh, en indiquant Karim :

- Tu lui expliques ou je lui explique ?

- Je t’en prie ! l’invite le vieil homme, en joignant le geste à la parole.

Ali reprend :

- Si Lhafidh, juste après l’indépendance, a fait partie d’un comité d’autogestion. C’est lui qui nous a parlé, pour la première fois, d’autogestion, et nous a expliqué son fonctionnement et ses objectifs. Ce fut pour nous, jeunes, une très belle surprise. Nous n’en savions rien, sinon que c’était une mauvaise chose, du désordre, bref une catastrophe. Elle était confondue avec les actes prétendus « socialistes » des régimes d’après l’indépendance... En écoutant Si Lhafidh, nous avons découvert la vérité. Nous avons constaté l’imposture, et compris que l’autogestion fut une expérience merveilleuse, malheureusement étouffée ; néanmoins, il est possible de la reprendre, en nous efforçant d’éviter son élimination par ses adversaires. Nous savons combien ils sont forts, nombreux et sans pitié. Mais, les colonialistes, avant le déclenchement de la guerre de libération nationale, n’étaient-ils pas, eux aussi, forts, nombreux et sans pitié ?… Alors, nous devons reprendre le flambeau de nos aînés. Eux, ils voulaient et ont obtenu l’indépendance. À nous d’établir dans notre pays la liberté et la solidarité.

Ces paroles pénètrent dans l’esprit de Karim tels des flammes ardentes lui réchauffant le cœur, de lumineux rayons de soleil lui éclairant l’esprit. Son exaltation est si forte qu’elle provoque en lui l’envie de crier sa joie. Aussitôt, un autre désir le saisit, irrésistible : il se précipite vers Ali et l’enlace fougueusement. Celui-ci l’enveloppe également de ses bras. Les deux restent ainsi liés l’un à l’autre pendant un long moment. À cette éclatante manifestation de fraternité, Si Lhafidh est très ému, tandis que Zahra est profondément troublée.

Le lendemain, elle rend compte de la réunion à son chef policier, dans son bureau.

- Ah, là, je te félicite, lui dit-il ! Tu as fait du bon travail !… Il faut que tu parviennes à savoir s’il y a d’autres personnes derrière les membres du comité, en plus de ce vieux Hafidh.

En quittant le bureau, Zahra marche sur le trottoir de la rue principale du centre-ville. Pour la première fois, elle jette un coup d’œil sur la plaque en haut du mur ; elle indique : « rue Larbi Ben Mhidi ». Ce nom résonne en elle. Zahra s’arrête et réfléchit.

Un portrait vu plusieurs fois à la télévision lui revient : le visage souriant, confiant et serein de cet homme, ou plutôt jeune homme d’une trentaine d’années. À ce souvenir tout-à-fait inattendu, que seul un psychologue chevronné des profondeurs humaines pourrait expliquer, Zahra sent quelque chose la tourmenter, sans parvenir à connaître le motif. L’image du patriote souriant et confiant, dans la fleur de son âge, mort pour l’indépendance, est soudain remplacée chez Zahra par celle de Karim et Ali enlacés fortement.

Quand Zahra reprend sa marche, cette dernière image persiste dans son esprit, longtemps, très longtemps. Elle crée dans l’intimité de la jeune fille quelque chose de vague mais constant, où s’alternent une sensation de glace à une autre d’intense chaleur. « Pourtant, se dit Zahra, ce n’est pas la période de mes menstruations ».

Soudain, une dernière image surgit dans son esprit : un loup dans une bergerie. Et ce loup, c’est elle, et les agneaux, ce sont les chômeurs, ainsi que Si Lhafidh et Karim.

Les jambes de Zahra semblent l’abandonner. Elle les secoue vivement pour leur redonner vie. Puis, elle s’immobilise, met précipitamment son dos contre un mur, respire profondément. Des gouttes de sueur apparaissent sur son front.

Après quelques secondes, pour ne pas attirer l’attention des passants, elle se ressaisit et continue son chemin. Elle s’efforce de ne penser à rien d’autre qu’à ceci : « Il faut que je parvienne à rentrer à la maison ! »

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 13 Novembre 2019

A gauche, manifestation populaire pour l'indépendance de l'Algérie (1962). A droite, manifestation populaire pour la libération sociale du peuple algérien (2019).

A gauche, manifestation populaire pour l'indépendance de l'Algérie (1962). A droite, manifestation populaire pour la libération sociale du peuple algérien (2019).

Institutions.

En ce qui concerne l’actuelle intifada populaire en Algérie, que le nombre des manifestants hebdomadaires soit plus grand ou moindre, c’est là un aspect uniquement tactique. Le problème fondamental est, désormais, de savoir si ce peuple contestataire a réellement assimilé toute son histoire passée. En effet, il est vrai que la forme manifestation de rue fait partie du « bagage » d’expériences du peuple algérien, et cela depuis la Guerre de libération nationale. Mais l’irruption des comités de gestion, juste après l’indépendance, cette expérience ne fait-elle pas, tout autant, partie intégrante de l’histoire émancipatrice du peuple algérien, comme indépendance sociale ?

Certes, cette expérience autogestionnaire fut très vite éliminée par les dirigeants prétendument « socialistes » de l’oligarchie naissante ; ils la stigmatisèrent comme socialement un désordre, et économiquement une faillite. En réalité, ce furent là des mensonges éhontés. En fait, les comités d’autogestion furent socialement un ordre nouveau, un authentique ordre, car exercé par et pour le peuple travailleur, et la production économique fut meilleure que celle du temps des patrons colonialistes. Malheureusement, la caste ayant conquis le pouvoir étatique, - par le putsch militaire du colonel Boumediène, masqué par la figure civile à son service, Ahmed Ben Bella -, ne pouvait exister, s’accaparer les richesses de la nation, sans éliminer toute forme de gestion par et pour le peuple. La contre-révolution se réalisa d’une part par la terreur, et, d’autre part, par une démagogie soigneusement conçue, mêlant « socialisme », « patriotisme » et religion (déjà), avec le concours, - bien rétribué -, des intellectuels mandarins-harkis du système social dominateur.

Cette occultation de l’efficacité réelle, sociale et économique, des comités d’autogestion, malgré les obstacles qu’ils rencontrèrent, ne se reflète-t-elle pas, aujourd’hui, dans le soulèvement populaire ? En effet, après huit mois, il n’a pas produit d’institutions (comités, assemblées ou autre) pour auto-gérer ses actions, de manière à se doter de ses propres institutions, en contrepoids à celles de l’oligarchie.

Par conséquent, ce mouvement populaire, dont les marches sont impressionnantes par leur organisation et leur pacifisme ainsi que par leurs slogans très pertinents, ce mouvement donc ne demeure-t-il pas, socialement, une révolte, une jacquerie, un défoulement, et non pas une révolution ?… Rappelons que la révolution se caractérise par l’abolition d’un système social oppresseur au bénéfice d’un autre émancipateur pour l’ensemble du peuple, et que ce changement s’opère soit par la création d’institutions populaires en remplacement de celles contestées, ou par le remplacement du personnel dans les institutions étatiques en place, cette fois-ci élu démocratiquement par le peuple.

Or, huit mois après, le mouvement populaire algérien, en est encore à crier « yatnahou gaâ ! » (qu’ils dégagent tous !). Pis encore : ce mouvement populaire se voit proposer des candidats à l’élection présidentielle qui sont des éléments même du système social contesté. Le mouvement populaire, lui, se contente de marcher hebdomadairement, tandis que ses adversaires prennent la précaution de s’organiser de mieux en mieux, de toutes les manières et dans tous les domaines, pour mettre fin au mouvement populaire.

 

Force et levier.

Certains affirment qu’aucune personne ne peut représenter ce peuple de manifestants, parce que le mouvement populaire se suffirait à lui-même, en prétextant qu’il s’agit là d’un phénomène nouveau, « post-moderne », différent et inédit par rapport aux phénomènes du passé.

Où sont les preuves concrètes et convaincantes de ce genre d’affirmation ?… Que l’on prenne la peine de considérer, avec le sérieux requis, l’histoire des mouvements populaires, jusqu’aux plus récents. Affirmer qu’un mouvement populaire de rue se suffit à lui-même pour abolir un système social oligarchique au bénéfice d’un autre démocratique, cela n’a existé en aucun lieu de la planète, jusqu’à aujourd’hui. Tout au plus, ce genre de mouvement populaire n’a abouti qu’au remplacement d’une caste dominatrice par une autre. Preuve en sont les soit disant « révolutions colorées ».

Aussi, il est absolument légitime de se méfier des voix qui font l’éloge le plus dithyrambique (attention au renard de la fable !) du mouvement populaire contestataire pacifique, en lui donnant l’illusion que seulement de cette manière il réaliserai son but émancipateur. Cette conception occulte la nécessité stratégique pour le mouvement populaire de se doter d’une auto-organisation horizontale partout où cela est possible, sous forme de comités ou d’assemblées (1).

Considérons l’affirmation consistant à dire que personne ne peut représenter le mouvement populaire. Objection : un mouvement social incapable de se doter de représentants, en reflétant démocratiquement ses diverses tendances, comme il le fait dans la rue, ce mouvement comment pourrait-il concrétiser ses buts ? Pour employer une métaphore, disons que les manifestations hebdomadaires sont à l’instauration de comités (assemblées) de base comme la force est au levier. L’une exige l’autre.

 

Risques.

Bien entendu, constituer des comités de base, desquels surgirait démocratiquement une direction collégiale, reflétant toutes les tendances du mouvement populaire, ce processus implique de sérieux risques. Le plus grave n’est pas l’arrestation ou même l’assassinat des représentants du peuple, mais l’infiltration manipulatrice de la part des services étatiques. Le but de cette dernière, - en jouant notamment sur l’ethnie, la religion -, est la division pour la neutralisation sinon la désintégration du mouvement populaire, quand pas lui faire servir les intérêts exactement opposés aux siens propres. Partout et toujours dans le monde, cette technique est de « bonne guerre », comme on dit. Il faut donc savoir affronter ce problème d’infiltration de manière efficace. À l’intelligence du peuple (et de ses animateurs sincères) de résoudre ce problème, comme c’est jusqu’à présent le cas dans l’organisation des marches hebdomadaires. Ces marches, également, ont subi des tentatives de manipulations diverses, cependant mises en échec. Ce fait n’encourage-t-il pas à savoir comment éviter cette même infiltration-manipulation des comités (assemblées) créés par le Mouvement populaire ?

 

Deux leçons.

Quelque soit le mouvement populaire, où est la condition de sa victoire sans capables de concrétiser les objectifs de ce mouvement populaire ?

Pour parvenir à se doter d’institutions autonomes, le peuple algérien dispose de deux leçons du passé. La constitution du Front de Libération Nationale, réunissant toutes les forces patriotiques, permit au peuple de s’émanciper de l’oligarchie coloniale ; puis, juste après l’indépendance, le surgissement de comités de gestion permit la continuation, en mieux, - il faut le souligner ! -, de la production économique.

Dès lors, ne serait-il pas opportun de constituer un Front de Libération, cette fois-ci Sociale, rassemblant toutes les forces authentiquement démocratiques, et de créer des Comités (ou Assemblées) d’Autogestion, cette fois-ci encore Sociale, pour construire un système social libre, égalitaire et solidaire, conforme aux intérêts du peuple ?… Pour y aboutir, n’est-il pas indispensable d’extirper de la mentalité la néfaste ambition du « leadership », du « zaïmisme » et de l’autorité hiérarchique, pour pratiquer la gestion collective, basée sur l’autorité également collective du peuple dans ses diverses composantes ? N’est-ce pas ainsi que la Déclaration du 1er Novembre 1954 et la Charte de la Soummam de 1956 seront le mieux concrétisées, et, alors, la contre-révolution oligarchique sera finalement remplacée par une authentique révolution sociale populaire ?

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(1) Voir les dernières contributions dans la rubrique « Autogestion » in http://kadour-naimi.over-blog.com/tag/autogestion/

 

Publié sur Algérie Patriotique (12.11.2019), La Tribune Diplomatique Internationale (12.11.2019), Le Matin d'Algérie (12.11.2019) - Voir les commentaires de lecteurs sur Algérie Patriotique.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 6 Septembre 2019

Quatre questions sur le système social

Quelque soit l’action humaine, individuelle ou collective, partout et toujours quatre questions fondamentales se posent, exigeant des réponses. Bien entendu, la pertinence des premières conditionnent celle des secondes. Dans ce texte, considérons l’action populaire collective dans sa caractéristique d’unité complémentaire avec l’action individuelle. À ce sujet, examinons des problèmes qui ne sont, en réalité, que des banalités élémentaires, cependant occultées par qui tire profit de cette occultation.

Bases sociales fondamentales.

Intéressons-nous au peuple et à l’individu victimes de trois fléaux sociaux : 1) exploités économiquement, 2) dominés politiquement, 3) conditionnés idéologiquement. Toute considération qui n’examine pas ces trois aspects, dans leur unité complémentaire, ne peut effectuer que des observations superficielles, par ignorance, ou manipulatrices, parce que visant à défendre des privilèges illégitimes. En effet, un type de système économique engendre et implique, pour exister, un type correspondant de système politique, et ces deux systèmes, pour se légitimer, engendrent et impliquent un système idéologique de « valeurs », de « normes », de « principes ».

Pourquoi ?

Pourquoi des individus, composant un peuple (ou un peuple, composé d’individus) agissent ou devraient-ils agir ?… D’après ce qui précède, c’est pour se libérer des trois fléaux caractérisant le système social qui les oppriment.

Le premier fléau est matériel : c’est le vol de leur force de travail (physique et/ou intellectuelle) par un individu privé ou un État géré par une oligarchie, lesquels sont détenteurs des moyens de production matérielle collective. Or, l’examen historique objectif montre que cette détention est illégitime, car elle est, à son tour, le produit d’un vol, opéré d’une manière ou d’une autre, illégale ou justifiée par une « légalité » imposé par la force complémentairement à la ruse. On sait que les « lois » sont toujours conçues, promulguées et imposées par le plus fort, plus exactement par le groupe ou la classe sociale les plus forts, cette force se manifestant en première (ou dernière) instance par l’exercice de la violence organisée.

Pour mettre fin à ce vol de la force de travail, le seul moyen efficace est d’éliminer le système politique qui permet ce vol, et, pour mettre fin à ce système politique, le seul moyen efficace est d’éliminer le système idéologique qui le légitime.

Pour remplacer ces systèmes par quoi ?… Remplacer le vol des moyens de production collective par leur restitution et possession par la collectivité elle-même, à travers ses institutions propres. Jusqu’à aujourd’hui, une solution existe (non pas un « modèle »), mais elle fut toujours éliminée par la force oligarchique : l’autogestion économique. Sans cette rupture avec l’exploitation économique et son remplacement par la coopération libre, égalitaire et solidaire, aucune autre solution n’a éliminé le fléau qu’est le vol de la force de travail humaine.

Seulement, la gestion collective (à ne pas confondre avec l’imposture dite « socialisme » ou « communisme » qui furent en réalité des capitalismes étatiques) de l’économie permet et implique un système politique où l’État est réellement au service de la collectivité, et non pas d’une oligarchie privée ou étatique. Et seulement ainsi le système de production des idées ne sera plus un conditionnement au service d’une exploitation économique et d’une domination politique, mais un enrichissement au bénéfice d’une coopération économique libre, égalitaire et solidaire, et d’une gestion politique au service de la collectivité toute entière.

Par qui ?

Qui, individu ou peuple, peut et doit opérer ce genre de changement social radical ?… La réponse est dans la question : tout individu et tout peuple volés de sa force de travail physique et/ou intellectuelle. En parlant ainsi, on dépasse la notion de « classe ouvrière », de « classe laborieuse » entendue uniquement comme fournissant un travail physique. Il est vrai que les personnes qui vivent (plus exactement survivent) uniquement par la vente de leur travail physique sont les plus exploités économiquement. À ce sujet, n’oublions pas les femmes, doublement exploitées : en tant que travailleuses et en tant qu’épouses. Cependant, les personnes qui vendent leur travail intellectuel au profit de celui qui leur donne un salaire, ces personnes, également, bien que moins exploitées, le sont tout de même.

Dans le passé, on crut au mythe de la « classe ouvrière » ou « prolétarienne », parce que composante sociale la plus nombreuse et la plus organisée, pour réaliser le changement social radical. L’histoire montra que ce fut une erreur. Non seulement cette classe sociale ne parvint pas à réaliser le changement programmé, mais elle fut victime : d’une part, elle resta exploitée dans le système capitaliste (avec quelques arrangements dans les sociétés de capitalisme dit « social », autrement dit « social-démocrate ») ; d’autre part, dans les systèmes de capitalisme étatique (masqué en « socialisme », « communisme » ou « démocratie populaire »), cette classe sociale en fut réduite à ne pas même avoir le droit d’avoir un syndicat pour défendre ses intérêts. Elle fut soumise à un patron absolu que fut l’État oligarchique.

Quant à la paysannerie, elle fut toujours manipulée comme masse de manœuvre pour, finalement, être rejetée dans l’éternel mépris et l’éternelle exploitation (de la Chine « communiste » à l’Algérie « démocratique populaire »).

Par conséquent, un changement social radical, tel que décrit ici, concerne tous les individus qui sont exploités d’une manière ou d’une autre, dans le vol de leur force de travail physique ou intellectuelle, sans oublier la femme en tant qu soumise à l’homme.

Pour qui ?

À cette question, la réponse est déjà dans la question précédente : un individu (homme ou femme) ou un peuple opprimés combattent pour éliminer l’oppression dont ils sont victimes. Autrement, leur action en fait uniquement une masse de manœuvre servant des intérêts qui leurs sont étrangers, donc perpétuant, d’une manière ou d’une autre, la domination sur les individus et le peuple opprimés.

Comment ?

Par la violence, le changement a toujours et partout échoué. Il a donné naissance uniquement à une oligarchie de type inédit, privée (capitalisme privé dit « libéralisme ») ou étatique (capitalisme étatique maquillé en « socialisme » ou « démocratie populaire »). Pourquoi ce phénomène ?… Parce que ceux qui emploient la violence pour détruire un système social, continuent immanquablement à employer la violence pour construire un système social nouveau. Et pourquoi continuent-ils à employer la violence ?…. Officiellement, pour éliminer les ennemis, partisans du système abattu. Cela est vrai, mais, pour dire toute la vérité, ces nouveaux dirigeants recourent à la violence également pour éliminer ceux qui leur reprochent de s’ériger en nouvelle oligarchie, de forme étatique. La preuve : le nombre des personnes parmi le peuple et ses authentiques défenseurs qui sont victimes de la répression dite « révolutionnaire » est infiniment plus grand que celui des partisans du système détruit. On constate ce mécanisme depuis la Révolution française de 1789 jusqu’aux révolutions dites « prolétariennes » ou « nationalistes populaires ».

Une question se pose alors : pourquoi des révolutionnaires authentiques durant le combat pour détruire un système social honni se transforment en dictateurs sanguinaires contre leur propre peuple ?… Avançons une hypothèse dont le développement sera examiné dans un autre texte : la cause en est dans la persistance d’une mentalité autoritaire hiérarchique, typique de l’époque pré-historique.

Pour changer radicalement un système social (c’est-à-dire en éliminer le vol de la force de travail et instituer la coopération libre et égalitaire), il reste donc le recours à la méthode pacifique. Hélas ! ses résultats ne sont pas décisifs. La méthode gandhienne a obtenu l’indépendance nationale, mais n’a éliminé ni la structure sociale inégalitaire ni la formation d’une armée dotée de la bombe nucléaire. Quant à la méthode de Martin Luther King, elle a relativement établi des droits sociaux pour les États-uniens d’origine africaine, mais ils demeurent encore les plus exploités.

Notons également les carences des principaux soulèvements populaires pour l’émancipation générale. Les successifs authentiques partisans d’un changement radical au bénéfice du peuple (Révolution française, Commune de Paris, Soviets russes, collectivités espagnols, révolution chinoise, cubaine, etc., autogestion algérienne) ont manqué d’un élément stratégique : une auto-organisation assez puissante pour constituer un pouvoir autonome décisif dans le rapport de force avec l’oligarchie au pouvoir. Cette carence, selon les militants les plus avertis de ces mouvements, avait pour cause : une insuffisance d’éléments suffisamment formés sur le plan théorico-pratique pour fournir au peuple les connaissances indispensables afin de transformer avec succès ses revendications en réalisations concrètes.

Concernant l’actuel soulèvement populaire en Algérie, il semble que l’action souffre des mêmes carences : inexistence d’une organisation autonome assez forte, dotée de ses représentants authentiques (librement élus, révocables à tout moment, ne jouissant d’aucun privilège matériel) pour passer des manifestations hebdomadaires des rues à la construction d’institutions autonomes d’autogestion sociale, libres, égalitaires et solidaires. Existe-t-il une autre solution (efficacement au service du peuple) pour concrétiser les droits légitimes de ce peuple qui clame ce principe fondamental : « Par le peuple et pour le peuple » ? Un mal dont on n’extirpe pas la racine (c’est le sens exact du terme « radical ») économique, ce mal peut-il être guéri ? Ce mal a comme nom successivement esclavagisme, féodalisme, capitalisme privé, capitalisme étatique. Quand donc remettra-t-on dans le débat l’autogestion comme système social, avec ses principes fondamentaux : liberté, égalité, solidarité au sein et entre les nations de cette planète ?

 

Publié sur Algérie Patriotique, le 03 septembre 2019, Le Matin d'Algérie, le 04 septembre 2019, La Tribune Diplomatique Internationale, le 03 septembre 2019. Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 14 Décembre 2017

Jean-François Milet : "Le semeur", ré-élaboré pr K. N.

Jean-François Milet : "Le semeur", ré-élaboré pr K. N.

La dernière contribution parue sur ce journal (1) a fourni un commentaire dont la pertinence appelle des éclaircissements. Voici le texte :

« Merci pour cette excellente analyse que je découvre ce matin.

Je reste néanmoins sceptique sur votre approche de solution qui s'appuie sur une dynamique sociale utopiste, si je m'en tiens à l'état des lieux de notre pays.

Néanmoins, 

- sans un minimum de foi en l'humain, à son génie créateur, rien ne pourra germer.

- les acquis sociaux même s'ils sont modestes pour la majorité de la population algérienne, ils sont palpables. Il est vrai que nous aurions pu faire beaucoup mieux depuis notre indépendance.

- Comment concrètement arriver à créer une dynamique sociale, sans un noyau dur, fédérateur, vu le faible niveau de culture associative dans notre pays ?

- Votre proposition mérite, réflexion et actions. (...)

Fouad K*... »

Examinons point par point ces observations.

Le scepticisme est parfaitement compréhensible, considérant la situation du pays.

Cependant, combien de fois, dans tous les pays et aux diverses époques, n’a-t-on pas constaté une situation du peuple autorisant et justifiant le pessimisme ? Citons, pour se limiter à quelques exemples historiques, la Rome impériale d’avant la révolte de Spartacus, la France d’avant 1989, le même pays avant le déclenchement de la Commune de Paris de 1971, la Russie d’avant le soulèvement de 1905 puis de 1917, la Chine d’avant l’élimination de l’empire multi-millénaire en 1911, l’Algérie d’avant le déclenchement de la guerre de libération nationale, la Hongrie de 1956, jusqu’à la France d’avant le mouvement de mai 1968.

Dans chaque cas, l’opinion générale se limitait à constater l’abrutissement du peuple, son aliénation, son fatalisme, son servilisme, sa réduction à « ghâchi ». Même les plus informés et les plus intelligents, bien qu’ils se consacrassent à l’arrivée de l’événement changeant le système social, n’avaient rien vu venir. Dans ce dernier cas, les plus fameux exemples sont les suivants : Karl Marx fut surpris par le surgissement de la Commune de Paris de 1971 ; Lénine et Trotski aussi bien par le soulèvement populaire de 1905 que par celui de 1917 ; la caste impériale chinoise fut surprise de sa chute ; l’élite intellectuelle algérienne, laïque et religieuse, fut surprise par le déclenchement de la guerre de libération nationale ; juste avant l’irruption de mai 1968 en France, on déclara le fameux « La France s’ennuie ! » ; les révoltes populaires en Algérie, notamment à Alger et en Kabylie, ont également surpris, au point que même un soit disant bien informé a traité la révolte d’octobre 1988 de « chahut de gamins » !

À propos, donc, du mouvement populaire, il me semble que l’observation la plus juste fut celle-ci (je cite en substance, de mémoire, sans me rappeler l’auteur) : la rupture sociale apparaît quand ceux d’en bas ne peuvent plus supporter, et ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner.

Le diagnostic est clair. Mais reste un problème : il est très difficile de se rendre compte du moment précis de la rupture. Je l’ai dit : les plus informés et les plus intelligents n’ont pas su détecter son surgissement.

Dès lors, étant donné ce que l’histoire montre et enseigne, est-ce que le scepticisme est de mise ?

Ne faut-il pas, selon une expression consacrée (encore une fois j’en ai oublié l’auteur) suivre le précepte : scepticisme de la raison, optimisme de la volonté ? C’est ce que que Fouad K*... a ainsi exprimé : « sans un minimum de foi en l'humain, à son génie créateur, rien ne pourra germer. »

Cela revient à dire : quelque soit le scepticisme dicté par la situation du peuple, il faut néanmoins manifester de l’optimisme dans sa volonté de s’affranchir de sa situation d’exploité-dominé. Car il est difficile de croire qu’un être humain, une fois conscient de sa situation servile, se complaise à l’aimer et à s’en accommoder, même s’il est victime des trois malédictions : le bâton de la répression, la carotte des subventions limitées, et l’opium d’une religion trafiquée. Il faut ne pas connaître le peuple, il faut avoir une mentalité d’étatiste élitaire et/ou de mandarin courtisan (serviteur volontaire, trouvant son avantage à sa situation) pour mépriser le peuple au point de le croire susceptible de se complaire dans sa servitude.

Pour revenir à l’Algérie, les divers soulèvements de résistance populaires qui ont surgi après l’indépendance nationale sont des preuves que le peuple algérien ne se réduit pas à une « populace fataliste ». Chacun sait que les mouvements populaires ont donné quelques résultats. Comme le déclare Fouad K*… : « les acquis sociaux même s'ils sont modestes pour la majorité de la population algérienne, ils sont palpables. »

Bien entendu, ils sont trop modestes et aléatoires (2). Ce qui explique, en cet automne 2017, ce que chacun sait : que le temps est à la révolte populaire.

Cependant, Fouad K*… pose cette réflexion : « nous aurions pu faire beaucoup mieux depuis notre indépendance. »

Assurément. À ce propos existent deux visions.

Tou-tes voient ce « mieux » dans une Algérie qui n’aurait pas connu le conflit qui exista durant la guerre de libération nationale, et qui déboucha sur la dictature militaire, suivie par une « démocratie » très limitée.

Quant à la nature de ce « mieux », la majorité le voient dans l’établissement d’institutions parlementaires de type capitaliste ; elles auraient permis au pays un développement dans tous les domaines, notamment grâce à l’existence des hydrocarbures. C’est là, évidemment, une conception étatique élitaire, où le peuple demeure une simple masse à manœuvrer, comme c’est le cas, aujourd’hui, dans tous les pays capitalistes.

Nous sommes une très petite minorité à concevoir ce « mieux » de manière différente.

L’Algérie et son peuple auraient connu un réel développement sur tous les plans, et démocratique dans le sens authentique du terme, si l’expérience d’autogestion sociale, qui émergea juste après l’indépendance, avait pu être consolidée et généralisée. Nous n’aurions, alors, pas eu le capitalisme d’État benbelliste et boumédiéniste, avec ses tares et ses faillites, suivi par la privatisation mafieuse actuellement en cours, avec ses lots de tragédies passées et ses crises actuelles. Au contraire, on aurait eu une société où liberté et solidarité co-existeraient, avec une possession collective des moyens de production, de distribution et de consommation, auto-gérés par les citoyen-nes eux/elles-memes. Ce qui aurait donné des résultats semblables à ce que les autogestionnaires algériens avaient obtenus juste après l’indépendance, et ce que les autogestionnaires espagnols avaient commencé à réaliser durant les trois années 1936-1939 de la guerre civile dans leur pays.

On arrive donc à la question fondamentale de Fouad K*… :

« Comment concrètement arriver à créer une dynamique sociale, sans un noyau dur, fédérateur, vu le faible niveau de culture associative dans notre pays ? »

Les pistes de solutions sont à chercher, à mon avis, de plusieurs manières.

1. Information

Il faut d’abord s’informer sur les diverses expériences, algériennes et étrangères, passées et présentes, en matière de culture et de pratique associatives de citoyens libres, autonomes et parfaitement démocratiques, autrement dit autogestionnaire.

Il faut absolument insister cette exigence d’information pour un motif qui n’est pas évident pour la très grande majorité : c’est que tout a été fait et continue d’être fait pour occulter les expériences autogestionnaires qui ont été et qui sont réalisées dans le monde, y compris en Algérie. Ce qui donne à la majorité des personnes l’impression, plus exactement la fausse opinion, que l’autogestion est une utopie, une conception irréalisable, parce que non réalisée nulle part de manière satisfaisante. Ce qui est TOTALEMENT FAUX ! La preuve : combien de personnes, y compris parmi celles qui se croient les plus informées connaissent l’existence et ont lu des ouvrages comme ceux de Voline et de Gaston Leval, des témoignages de première main d’auteurs engagés directement dans l’action, fournissant des documents concrets irréfutables et vérifiables, ou des ouvrages sur l’autogestion algérienne ? (3)

2. Enquêtes

Il faut, ensuite, fréquenter le peuple, connaître suffisamment sa vie matérielle, ses conceptions idéologiques et ses aspirations concrètes. Cela nécessite des approches personnelles, complétées par des enquêtes objectives sur le terrain, systématiques et approfondies.

Personnellement, ma famille étroite et élargie est typiquement populaire. Mais vivre en son sein ne suffit pas à connaître le peuple dans ses diverses composantes et multiples réalités concrètes. Par conséquent, même si l’on fait partie d’une famille authentiquement populaire, il est nécessaire d’élargir, d’approfondir, de compléter les connaissances concrètes par la fréquentation suffisante des autres parties du peuple, dans les villes comme dans les campagnes.

À ce propos, que l’on me permette de relater une expérience personnelle.

En 1973, Abdelkader Alloula, alors directeur du Théâtre Régional d’Oran, me demanda d’écrire une pièce de théâtre sur la « Gestion socialiste des entreprises ». J’ai répondu ceci : bien qu’étant fils d’ouvrier, et ayant fréquenté l’usine de chaussures où il travaillait, j’estimais ne pas connaître assez la réalité du monde du travail pour écrire et mettre en scène une œuvre sur ce thème. Je demandai donc la possibilité de faire une enquête personnelle sur le terrain, étendue à l’ensemble du territoire national. Elle me fut accordée. Mon enquête dura un mois. Il m’a fallu trouver les moyens pour ne pas me contenter des visites officielles, et de constater ce que les directeurs d’entreprises et les responsables syndicaux inféodés voulaient me cacher. Grâce à la complicité solidaire de camarades travailleurs ou syndicalistes honnêtes, j’ai pu, alors, constater la réalité vraie des travailleurs, et ce qu’était réellement la réforme dite « socialiste » des entreprises. En fait, c’était l’élimination totale de ce qui restait de l’autogestion, et la mise en place d’un capitalisme d’État. C’est uniquement par cette enquête sur le terrain, systématique et objective, que je me suis rendu compte de la situation réelle des travailleurs dans les entreprises publiques algériennes.

De retour à Oran, j’ai déclaré mon incapacité d’écrire une pièce de théâtre sur les travailleurs, parce que j’aurai dénoncé la mystification officielle, ce qui était impossible (4).

Retournons au peuple. Ne commettons pas la stupide erreur de croire que les membres des services de répression (mouchards, policiers et soldats) ainsi que les délinquants (voleurs, violeurs, trafiquants de drogue, proxénètes, prostituées, etc.) ne font pas partie du peuple. Simplement leurs caractéristiques sont différentes, matériellement et psychologiquement.

Ne font pas partie du peuple uniquement celles et ceux qui l’exploitent et le dominent directement : les membres de la caste étatique et des castes privées (mafieuse, compradore et capitaliste classique). Quand à la classe moyenne, il faut garder en vue deux éléments :

- sa composition en trois catégories absolument différentes : couche supérieure (matériellement et idéologiquement proche des castes dominantes), moyenne et inférieure (cette dernière matériellement et psychologiquement proche du peuple)

- les oscillations de la couche inférieure de la classe moyenne, tour à tour désirant jouer au garde-chiourme des castes dominantes (quand elle bénéficie d’avantages matériels suffisants), ou se révoltant (dans le cas contraire) en se considérant partie du peuple exploité-dominé (5).

3. Organisation

Il faut, enfin, s’organiser en associations libres, autonomes, démocratiques et pacifiques pour examiner les résultats des enquêtes, présenter des propositions.

À ce niveau des problèmes surgissent.

Le premier est de ne pas se cantonner à former des organisations élitaires, coupées du peuple, mais de s’efforcer (ce n’est pas facile) d’associer des membres du peuple à ces organisations. Tant qu’ils ne sont pas présents, hommes et femmes, l’association demeure élitaire, parasitaire, stérile. Le prétendu « noyau dur » est, en réalité, faible.

Si l’on est incapable de convaincre, avec pédagogie et patience, des citoyen-nes exploité-es pour s’associer ensemble avec nous qui, éventuellement, disposons d’une conscience sociale plus avancée, comment, par la suite, espérer former un mouvement social réellement populaire ?

Est-il logique et raisonnable de reprocher au peuple son incapacité à agir de manière conséquente, alors que, dans le même temps, nous sommes incapables, nous, de savoir le convaincre ? Alors, que valent nos connaissances ?

Un problème plus grave pourrait être l’interdiction de ces activités pacifiques, pourtant conformes à la Constitution, par les autorités. Dans ce cas-là, il faudrait recourir à l’intelligence pour trouver néanmoins le moyen de se réunir et de débattre.

Non ! Pas de clandestinité. Pour plusieurs motifs. Il y aura assez de mouchards pour être rapidement découvert. Il sera facile aux autorités de justifier leur interdiction précisément par cette clandestinité. Il y a le risque de former une « élite » conspirationniste qui se transforme en « professionnels » du changement social, portés à se croire les « meilleurs » et à « diriger », à la manière de tous les « révolutionnaires professionnels » du passé.

Il faut absolument trouver le moyen d’agir publiquement. Que chacun donc recourt à son imagination et à son intelligence pour trouver les moyens.

Bien entendu, comme l’affirme Fouad K*…, un « noyau dur » devrait naître et, pour exister, il doit être solidaire, autrement dit fédéré. Mais, là aussi, attention à ce qu’il ne se transforme pas en une minorité de « guides », de « dirigeants ».

Pour deux motifs. Un « noyau dur » est facilement éliminable par la répression. La ghettoïsation groupusculaire est stérile.

Aussi, dès le départ, il faut que les membres de ce « noyau dur » agissent immédiatement afin que tout-e autre membre de l’association soit capable d’assumer les mêmes fonctions, les mêmes activités. Autrement dit, que le « guide », le « dirigeant » (plus exactement la personne qui dispose de plus de connaissance et/ou expérience que les autres) s’attache en premier lieu à aider ses compagnons à être, de la même manière, des « guides » et des dirigeants d’elles et d’eux-mêmes. Voilà la supériorité (mais aussi la difficulté) de l’autogestion sur tout autre méthode de changement social réellement radical.

Ainsi, me semble-t-il, par l’exemple concret, par l’activité intelligente, pacifique, libre, autonome et démocratique citoyenne, petit à petit se répandra la pratique et la culture associative authentique, c’est-à-dire émancipatrice.

À ce propos, il faut rappeler sans cesse et toujours un fait : ce processus d’auto-émancipation demande du temps, des mois et des années ; quelquefois même, oui, des générations. Ainsi fonctionne la société humaine. Il faut donc commencer, associer des « gouttes de pluie » (les personnes de bonne volonté, les membres du peuple et ses ami-es sincères), les faire devenir des « ruisseaux » (associations), qui deviendront des « fleuves » (fédérations), jusqu’à constituer un « océan » (mouvement social populaire général). C’est ainsi que l’histoire humaine fonctionne, partout et toujours. Le temps est un facteur dont il faut tenir compte. Cela ne doit porter ni à temporiser (excuse opportuniste ou lâche) ni à se précipiter (de manière aventuriste, irresponsable, stérile). Mais agir au jour le jour, selon ses propres capacités, en suivant une démarche rationnelle, tenant compte des réalités concrètes.

Le but est de contribuer à ce que les citoyen-nes acquièrent un niveau de conscience élémentaire. L’acquisition de celui-ci devrait permettre de le porter progressivement au niveau le plus élevé, et cela par la pratique de l’auto-organisation, autre terme pour autogestion, pour aboutir à l’auto-gouvernement.

Et ne perdons jamais de vue un aspect. Désormais, l’histoire mondiale, dont l’Algérie fait partie, a démontré que l’humanité est parvenue a une phase nouvelle. Dans celle-ci, ni les révoltes citoyennes violentes (spontanées ou manipulées) ni la violence armée de groupe (quelque soit sa couleur idéologique) ne donnent jamais le résultat escompté, celui en faveur du peuple exploité-dominé. Les révoltes accouchent de quelques concessions au peuple ; elles sont, toujours et partout , progressivement éliminées au fur et à mesure du renforcement de la caste dominante (2). La violence armée accouche, toujours et partout, d’une caste qui domine le peuple, par la même violence institutionnalisée.

Désormais, quelque soit le pays, le changement social radical, autrement dit mettant fin à l’exploitation-domination, ne pourrait se réaliser que par l’action citoyenne libre, autonome, démocratique et pacifique. Toutes les autres solutions ont prouvé leur inaptitude.

Ce processus exige, répétons-le, une phase temporelle plus ou moins longue. Cependant, les résultats sont constatables immédiatement, au fur et à mesure de l’existence d’associations citoyennes fonctionnant de manière autogérée.

Le but est la formation d’un mouvement populaire assez puissant pour effectuer le changement social en sa faveur. Qui donc s’opposerait à l’élimination de l’exploitation-domination sinon celle et celui qui en profitent ? Qui donc désirerait cette élimination sinon celle et celui qui en sont les victimes ?

Pour y parvenir, il faut de la volonté généreuse, de l’imagination intelligente, de l’effort soutenu, du temps, de la patience, de l’endurance, le plaisir d’agir pour la beauté et la bonté de soi-même et de l’humanité toute entière dont on fait partie.

Et même si l’on n’a pas le bonheur d’assister et de participer au « grand événement », - le large et puissant mouvement social populaire national, par le peuple et pour le peuple -, on aura du moins la joie d’y contribuer, en citoyen-ne libre, autonome, solidaire, réalisant la plus belle partie de notre humanité.

J’ignore si j’ai fourni les éclaircissement désirés par Fouad K*… Dans le cas contraire, bienvenus son commentaire et d’autres. Faut-il ajouter une précision ? Je n’ai pas la stupide outrecuidance de croire détenir les solutions, mais simplement la volonté, comme citoyen, de stimuler l’existence d’un débat libre et démocratique.

-----

(1)http://www.lematindz.net/news/25566-deuxieme-lettre-aux-sinceres-ami-es-du-peuple.html

(2) Voir, par exemple, l’article de Nordine Grim : Les réformes de 1988 passées à la trappe, http://www.elwatan.com//economie/les-reformes-de-1988-passees-a-la-trappe-09-10-2017-354279_111.php

Publié sur Le Matin d’Algérie, 11 Oct 2017.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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Publié le 11 Février 2019

Autogestion ou apocalypse

Supposons une personne souffrant de fièvre, causée par une invasion de bactéries nécessitant des antibiotiques pour les éliminer. Cependant, le médecin appelé en l’occurrence se limite à administrer de l’aspirine. Qu’en penser ?… Soit ce médecin est un faux docteur, soit il reçoit de l’entreprise fabriquant l’aspirine un pourcentage chaque fois qu’il prescrit le produit de cette usine. Dans les deux cas, il s’agit d’un imposteur. Dans les deux cas, ce savant s’attaque à un effet, pas à sa cause ; et la seule victime est le malade dont le mal empirera, probablement jusqu’à sa mort.

Envisageons à présent une société humaine malade, autrement dit qui souffre de conflits sociaux. Dans ce cas, les docteurs ont présenté et continuent à présenter certains remèdes. Limitons-nous à l’époque moderne.

Le capitalisme « libéral ».

Les uns ont proposé et continuent à proposer, comme remède miracle, le capitalisme dit « libéral ». Le principe fondamental en est, pour simplifier : que chacun, selon la « nature » de son intelligence, se débrouille ! Les meilleurs deviendront riches, les médiocres resteront pauvres, ces derniers devant se mettre au service des premiers pour satisfaire leurs nécessités vitales.

La première formule lancée fut celle de l’homme politique français Guizot : « Enrichissez-vous ! » Mais il ne précisa pas selon quelle méthode. Ainsi, les plus prédateurs s’en donnèrent à cœur joie ; et quand les exploités qui en étaient victimes finissaient par se révolter, l’armée réprimait la « canaille » des faubourgs.

La dernière formule connue fut celle du leader chinois « communiste » Deng Xiao Ping. Il déclara : « Il n’y a pas de honte à devenir riche ». Seulement, là encore, il ne précisa pas la méthode pour le devenir. Certes, la Chine est devenue un pays riche, mais au détriment de la partie pauvre de sa population, plus précisément celle des travailleurs manuels des villes et des campagnes.

En Algérie, on se contente de déclarer simplement : « Développons économiquement le pays ». Autrement dit, qu’il devienne un pays riche. Et on fait l’éloge des propriétaires qui « fournissent du travail » aux citoyens. Quand au capital acquis auparavant par ces propriétaires nouveaux, et au profit qu’ils tirent de leur « offre » de travail, on n’en parle pas ou l’on considère ce fait comme dommage collatéral obligatoire.

Le « socialisme » étatique.

D’autres docteurs et savants critiquèrent avec de justes arguments le capitalisme soit disant « libéral », en montrant que le développement économique dont, certes, il fait preuve, que celui-ci profite principalement à une oligarchie de propriétaires, au détriment des citoyens ne disposant que de leur force de travail intellectuelle ou, pire, manuelle.

Dès lors, ces réformateurs et révolutionnaires proposèrent d’autres remèdes.

Celui qui domina fut celui qui affirmait la construction du socialisme à travers un État. Il fut tour à tour défini « ouvrier », « prolétarien », « populaire » ; et la société qu’il gérait fut proclamée soit « socialiste » soit « communiste ».

Par contre, ceux qui proposaient un socialisme sans État, autrement dit de type autogestionnaire, furent une minorité. Elle ne fut pas écoutée. Pourquoi ?… Une hypothèse sera présentée ci-dessous.

Autres conceptions.

Les religions ont, elles aussi, déclaré lutter contre la pauvreté et les inégalités sociales. Mais aucune n’a parlé explicitement du phénomène fondamental qu’est l’exploitation économique. Tout au plus, on déclara la nécessité de la « charité », de l’ « aumône » des possédants envers les démunis. Les Dix Commandements ne comportent pas celui de ne pas exploiter son prochain. Jésus-Christ se distingua par certaines actions et déclarations : il chassa les marchands du temple, il stigmatisa à plusieurs reprises les « riches » en leur refusant l’accès au paradis, il a fait appel aux pauvres de toute sorte : souffrant de la faim, de l’exil ou de l’humiliation d’une manière générale (les « faibles d’esprit »), enfin il a prêché : « Aime ton prochain comme toi-même », ce qui suppose de ne pas l’exploiter. Mais combien de Chrétiens adoptent cette interprétation ? L’Islam parle de solidarité entre les Musulmans, ce qui, bien interprété, supposerait qu’ils ne s’exploitent pas les uns les autres. Mais combien de Musulmans partagent cette conception ?... Par conséquent, tout ce qu’on proclamé les religions monothéistes n’a pas éliminé la pauvreté, laquelle, faut-il le dire, est causée directement par la richesse d’une minorité.

Dans l’Extrême-Orient, des doctrines spirituelles ont, elles aussi, considéré la « pauvreté », et, là également, n’ont pas parlé du mal fondamental : l’exploitation économique. La « ahimsa » hindoue recommande de ne pas user de violence. Une correcte interprétation de celle-ci implique de ne pas recourir à cette violence qu’est l’exploitation de l’être humain par son semblable. Mais combien d’Hindous partagent cette interprétation ? La compassion bouddhiste, bien interprétée, signifie de ne pas exploiter son prochain. Mais combien de Bouddhistes s’y conforment ?

Tout eu plus, la doctrine originelle du taoïsme a déclaré explicitement que, pour éliminer toute forme d’injustice sociale, les êtres humains devraient s’auto-gouverner, et que pour éliminer le vol, il faut éliminer le système social basé sur les voleurs : « « Le peuple a faim parce que le prince dévore l’impôt », dit le livre fondamental du taoïsme (1). Dans cette dernière conception, apparue il y a environ deux mille cinq cents ans en Chine, on peut voir l’idée de ce qu’on appela, depuis l’époque moderne, l’exploitation économique, exercée par une oligarchie de privilégiés au détriment de la majorité nommée peuple.

De là, on comprend que si le brahmanisme puis le bouddhisme se sont répandus, si le confucianisme fut presque toujours l’idéologie de l’oligarchie dominante en Chine, et le shintoïsme l’idéologie des oligarchies japonaises, par contre le taoïsme, qui semble être l’ancêtre de l’idée autogestionnaire, fut généralement occulté, sinon réprimé, et généralement très peu connu dans le monde.

Faux et vrais remèdes.

Dans tous ces cas, les diverses religions et spiritualités n’ont pas réussi à éliminer la maladie fondamentale qu’est la pauvreté sociale (appelons-la par son nom exact : le résultat de l’exploitation économique) dont souffre l’humanité. Tout au plus, les conceptions religieuses monothéistes formulent la promesse que les pauvres de ce monde ne le seront plus dans l’autre monde. Par contre, ces religions et spiritualités ont enrichi leurs clercs. Le capitalisme « libéral », lui aussi, n’a pas éliminé la pauvreté ; ses progrès économiques ont permis de lui donner des formes nouvelles, suite à l’enrichissement des oligarchies dominantes, mais le fossé demeure béant entre riches (propriétaires de moyens de productions) et pauvres (possédant uniquement leur force de travail intellectuel et/ou manuel). Enfin, le « socialisme » (ou « communisme ») étatique, lui, fut plus ambitieux, et le demeure chez ses partisans : l’élimination totale de la pauvreté sociale. On connaît les résultats.

Dans tous ces cas, nous en sommes à l’administration d’aspirine (des mesures dites d’amortissement social), en occultant l’antibiotique. Or, existe-t-il un autre moyen d’éliminer réellement la pauvreté, sinon par la suppression de ce qui la cause ? Et qu’est-ce qui la cause sinon l’exploitation de l’être humain par son semblable ?

« Ah ! diront certains, vous demandez l’impossible ! Cette exploitation a toujours existé, et, donc, existera toujours !… La nature humaine est ainsi faite ! », ajouterait-on soit avec un soupir, si l’on a le cœur tendre, soit avec âpreté, si l’on a un compte en banque à la place du cœur.

Eh bien, non ! À son début, tout indique que les êtres humains ne pratiquaient pas l’exploitation des uns au détriment des autres, mais la coopération égalitaire, libre et solidaire, pour se protéger des agressions animales et pour affronter certains travaux collectifs. Le nier c’est au mieux manifester de l’ignorance, au pire être un manipulateur au service de l’oligarchie (2).

Ensuite, une fois apparue et pratiquée l’exploitation d’êtres humains par leurs semblables, une partie de l’humanité connut des périodes de révolte durant laquelle cette exploitation fut éliminée, au profit d’un retour à la coopération égalitaire, libre et solidaire. Appelons-la autogestion sociale.

Malheureusement, celle-ci fut, chaque fois, réprimée par la force bureaucratique quand pas celles des armes. Pourtant, c’est uniquement durant ces courtes périodes d’autogestion sociale, qui ont généralement duré trois années (Russie 1917-1921, Espagne 1936-1939, Yougoslavie à la fin de la IIème guerre mondiale, Algérie 1962-1965), que ce mal social fondamental fut supprimée : l’exploitation économique de l’être humain par son semblable.

De la préhistoire.

Dès lors, se pose la question : pourquoi ces expériences autogestionnaires ont-elles pu exister si peu, et si peu de temps ?

Mon hypothèse est la suivante : le désir de certains humains de profiter de leur force, physique et/ou intellectuelle, pour jouir de la vie au détriment des autres, plus démunis de ce genre de force (phénomène dit : exploitation économique), ce désir produit une mentalité autoritaire, sous forme de domination sociale, laquelle, pour se légitimer, produit un conditionnement idéologique, sous forme cléricale et/ou laïque, cette dernière allant jusqu’à la prétention d’être « scientifique ».

Pour ma part, je considère l’espèce humaine encore dans sa préhistoire tant qu’elle ne supprimera pas de ses pratiques cette « bactérie » sociale qu’est l’exploitation économique. Tout autre remède demeure uniquement une aspirine, voulant éliminer ou atténuer l’effet, sans supprimer la cause.

« Soit ! admettrait-on. Mais l’espèce humaine étant ce qu’elle est partout, et cela depuis tellement longtemps, n’est-on pas obligé, réalisme oblige, de se contenter d’ « aspirine », en cherchant la meilleure possible ?… Sous forme, notamment, de démocratie politique et de développement économique ? »

Ce genre de réplique, quelle personne la formule sinon celle qui, d’une manière ou d’une autre, directe ou indirecte, plus ou moins, profite du système régi par l’exploitation économique ?… Au contraire, une personne qui souffre réellement de l’exploitation ne dira-t-il pas : « Mais, alors, essayons l’autogestion sociale ! »… Il est facile d’imaginer les réactions négatives des personnes que cette proposition menacerait dans leurs privilèges. Cependant, peut-on mettre fin aux conflits sociaux autrement qu’en supprimant l’exploitation économique ?

Le dilemme.

Ajoutons encore ceci. Outre à la pauvreté de la majorité de la population, tant au sein de chaque nation que dans la planète entière, au profit d’oligarchies minoritaires, l’exploitation économique produit inévitablement la guerre : la guerre sociale au sein des nations, qui devient parfois une guerre armée civile, opposant exploiteurs et exploités, d’une part ; et, d’autre part, la guerre entre les oligarchies des diverses nations, la plus ambitieuse et puissante voulant jouir de la vie au détriment des autres oligarchies.

Dans le passé, ce genre de conflit s’est traduit par des guerres, dont les plus récentes furent la première et la seconde boucheries mondiales. Et le progrès scientifique et technique a fait arriver l’humanité aux armes nucléaires.

Pendant une première phase, elle furent la garantie d’une guerre froide, assurée par ce qu’on appela la « dissuasion nucléaire ». Celle-ci ne donnant à aucun protagoniste la garantie de vaincre, l’apocalypse nucléaire fut évitée.

Mais nous en sommes venus à ce que l’oligarchie dominante mondiale, celle qui domine les États-Unis, en vient à penser fabriquer des armes nucléaires tactiques, autrement dit évitant l’apocalypse planétaire, et même a surgi l’idée d’attaquer le premier, en estimant ainsi en sortir vainqueur. Ajoutons ce que l’histoire enseigne : toute oligarchie dominante, sachant le risque de disparaître, préfère toujours faire disparaître le monde entier avec elle. Tel est l’enjeu des conflits entre l’oligarchie actuellement dominante, celle des États-Unis, et celles qui aspirent à ne pas être exploitées par elle : les oligarchies russe et chinoise. Et bien que ces oligarchies se différencient par leur degré de pratique de l’exploitation économique, il n’en demeure pas moins que toutes les trois sont basées sur ce fléau social. Voilà pourquoi, à l’expression passée « socialisme ou barbarie », nous en sommes, à présent, à celle qui me semble actuelle : autogestion ou apocalypse. On ignore si l’espèce vivante de l’Atlantide exista et comment elle disparut ; mais on sait comment l’espèce humaine actuelle disparaîtra, si elle ne renonce pas à éliminer cette bactérie finalement mortelle : l’exploitation économique, quelque soit sa forme. Tout discours autre n’est-il pas, en définitif et malgré son apparence réaliste et rationnel, rien d’autre qu’aspirine ? Bien entendu, les profiteurs du système pratiquant ce « remède » n’en ont cure ; mais jusqu’à quand ? La folle course des dirigeants oligarchiques pour de nouvelles armes nucléaires et la militarisation de l’espace, où sont engloutis des milliards qui suffiraient à éradiquer l’exploitation de l’être humain par son semblable, cette folle course est très actuelle. Et les généraux cherchent fébrilement la manière d’attaquer les premiers, en espérant être vainqueurs. Exactement comme l’homme préhistorique, dont le cerveau était conditionné par la priorité de la violence, cherchait à attaquer le premier pour être vainqueur. Nous ne sommes pas sortie de la caverne (platonicienne, si l’on veut) préhistorique, à moins que la coopération libre, égalitaire et solidaire vienne nous en sortir.

Bien entendu, ces propos peuvent sembler celles d’un martien utopiste, totalement déconnecté des réalités actuelles de la planète Terre. Cependant, ces propos ne ne le sont pas davantage que ceux des personnes qui, en pleine domination du système esclavagiste, puis de celui féodal, ont clamé la nécessité de l’égalité, de la liberté et de la solidarité. Des changements significatifs furent réalisés : l’esclavagisme puis le féodalisme sont généralement éliminés, à l’exception de quelques survivances. À l’humanité reste l’élimination des systèmes exploiteurs qui ont pris leur place : le capitalisme, privé ou étatique, pour reprendre l’expérience de l’autogestion sociale, à moins de se résigner à la destruction nucléaire de l’humanité par un conflit déclenché par l’oligarchie hégémonique, et poursuivi par les oligarchies qui la récusent. Aspirine ou antibiotique au mal social fondamental de l’humanité (l’exploitation économique), n’est-il pas désormais urgent de choisir ?… Toute tactique de changement social, pour être réellement efficace, ne doit-elle pas s’inscrire dans une stratégie précise à long terme ?… Cette conception exige un effort trop coûteux ? Encore une fois, rappelons-le : il en va de l’existence de l’espèce humaine. Bien entendu, ces considérations s’adressent uniquement aux personnes qui ne tirent (ou ne veulent tirer) aucun profit du système basé sur l’exploitation économique de l’être humain par son semblable.

____

(1) Pour les intéressés signalons les deux ouvrages fondamentaux : le Dao de jing (Classique de la Voix), de Lao Tseu, et le Zhuangzi, du nom de son auteur. Ce sont des textes fondamentaux de l’humanité, mais généralement ignorés par l’idéologie mondiale dominante. En les lisant, l’on comprend le motif.

(2) Ce thème sera examiné dans une prochaine contribution : « Du naturel et du social ».

Publié sur Algérie Patriotique le 28 janvier 2019, et sur Le Matin d'Algérie le 31 janvier 2019, sous le titre "Aspirine ou antibiotique social".

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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Publié le 6 Mars 2019

Éclaircissements de campagne électorale

En qualité de citoyen, voici ce que je demande aux candidats à une quelconque fonction collective, en premier lieu à celle de Président de la nation, et cela quelque soit le pays.

Commençons par des considérations générales.

Démocratie.

S’il s’agit, comme le mot l’indique, de pouvoir du peuple, alors comment le réaliser ?… En permettant un vote libre durant des élections libres, répond-on... Alors, comment un citoyen ou une citoyenne peuvent exercer un choix libre, tant qu’ils ne possèdent pas la conscience réelle de leurs intérêts matériels et culturels ? Comment peuvent-ils acquérir cette conscience réelle s’ils ne disposent pas des informations véritables sur la situation de la nation, sur les divers agents sociaux qui y existent, les intérêts des uns et des autres, enfin les luttes qu’ils se livrent pour l’hégémonie ?… Dès lors, comment parvenir à la réalisation effective de cette démocratie ?

Égalité.

Comment peut-elle exister tant que les uns disposent de l’argent pour s’instruire au point de connaître leurs intérêts matériels et culturels réels, et la manière de les défendre, tandis que la majorité des autres sont démunis de cet argent, ce qui les obligent à consacrer leur temps à vendre leur force de travail manuelle ou intellectuelle pour parvenir à peine à subvenir à leurs nécessités de survie matérielle ?… Dès lors, comment parvenir à la réalisation effective de cette égalité ?

Questions subsidiaires au thème de l’égalité : comment la réaliser dans les domaines religieux et ethnique ?… Concrètement, comment réaliser l’égalité entre croyants à une religion et croyants à une autre ou simplement croyants à une spiritualité non religieuse ? Et comment réaliser l’égalité entre citoyens d’origines ethniques différentes, dans tous les domaines de la vie sociale : matérielle et culturelle ? Enfin, comment réaliser la réelle égalité entre hommes et femmes ?

Liberté.

Comment peut-elle exister tant que les uns disposent de l’argent pour la pratiquer (généralement par la corruption), tandis que la majorité des autres non seulement sont démunis de cet argent, mais sont réduits à une situation précaire de survie matérielle et de conditionnement culturel servile ?

Solidarité.

Comment peut-elle exister tant que les uns disposent d’un capital financier (en règle générale mal acquis, par le vol chez le privé, par l’accaparement autoritaire chez l’État) pour s’ériger en acheteur de force de travail manuelle ou intellectuelle, tandis que la majorité des autres est réduite à vendre uniquement ce qu’ils possèdent : leur force de travail manuelle ou intellectuelle, et cela à un prix au-dessous de sa valeur, afin de permettre à l’acheteur de ce travail (oligarchie privée ou étatique) d’en tirer un profit, lequel perpétue son enrichissement au détriment de ses salariés ?

Questions subsidiaires.

Comment un développement économique serait solidaire tant que persisterait la division sociale entre les détenteurs de capital (privés et/ou étatiques), d’une part, et, d’autre part, les détenteurs de leur seule force de travail manuelle ou intellectuelle, ce qui produit le profit des premiers et la simple survie matérielle des seconds ?

Dans ce cas, comment assurer une réelle paix sociale à l’intérieur de la nation ? Et, encore, comment réaliser une réelle paix entre les nations, tant qu’elles sont dominées par des oligarchies, lesquelles, par leur nature sociale, veulent s’enrichir davantage au détriment des autres oligarchies nationales ? (1)

Non candidats.

Considérons les personnes qui croient à l’inutilité de la participation aux élections. Certes, il y a des motifs d’estimer qu’un certain type d’élection est totalement manipulé, avec les résultats programmés à l’avance par les gérants de cette élection, et que, en outre, les autorités en place mettront tout en œuvre pour limiter quand pas empêcher de faire campagne les adversaires du candidat qui est, déjà, en fonction.

Toutefois, même dans ce cas, accepter de participer, n’est-ce pas une occasion pour faire connaître au peuple ses propres idées, y compris celle d’affirmer que cette élection est une manipulation au résultat connu d’avance ?… Peu ne vaut-il pas mieux que rien ? N’est-ce pas là, alors, un compromis et non pas une compromission ?… Pour la personne qui l’ignore, le compromis consiste à faire semblant d’accepter le jeu de l’adversaire, mais pour en tirer un bénéfice personnel, sans jamais permettre que ce bénéfice profite à l’adversaire, d’une manière ou d’une autre. Au contraire, la compromission consiste à jouer le jeu mais en se laissant berner par l’adversaire, qui rafle la mise.

À présent, venons au cas algérien actuel.

Élections.

Concernant compromis et compromission, l’exemple le plus lamentable de compromission fut celui du soit disant « soutien critique » du PAGS, d’où l’ex-président Boumediène et ses partisans furent les seuls à en tirer tout le bénéfice. Qu’il me soit permis de préciser que cette affirmation est la mienne non pas uniquement aujourd’hui, mais, déjà, en 1972 (2). Dès lors, concernant la participation aux prochaines élections présidentielles, la question à poser, aussi bien aux candidats qu’aux non candidats, est la suivante : dans quelle mesure votre participation ou votre refus de participation est un compromis et non une compromission ?… En effet, participer ou refuser de participer peut être, l’un et l’autre, en réalité, soit un compromis soit une compromission.

Continuité.

Aux candidats ou non candidats qui évoquent cet argument, de quel genre de continuité s’agit-il ?… Celle qui continue la régression qui commença avec l’assassinat de Abane Ramdane et le rejet de la Plate-forme de la Soummam, ou s’agit-il de la continuité à reprendre, à partir de la reconnaissance de la légitimité de cette même Plate-forme ?… En effet, si l’on se hausse de la lettre du texte de celle-ci à son esprit, que déclarait ce document historique, sinon ceci : 1) l’égalité entre tous les citoyens, femmes et hommes, ce qui élimine l’exploitation économique des uns par les autres ; 2) la liberté d’exprimer ses opinions, de s’associer en vue du bien collectif, ce qui exclut la domination politique des uns (les puissants et les riches, privés ou étatiques) sur les autres ; 3) la solidarité, laquelle est une conséquence logique de l’égalité et de la liberté ci-dessus évoquées.

Allons plus loin. Considérons la déclaration du 1er novembre 1954. Quel en est non pas la lettre mais l’esprit ?… N’est-ce pas la conquête de la dignité du peuple algérien ?… Peut-il y avoir dignité quand des gens de ce peuple sont contraints à vendre leur force de travail à un autre (personne privée ou État) qui en tire son profit uniquement parce qu’il est propriétaire des moyens de production, par ailleurs soit volés (par le privé) soit accaparé autoritairement (par l’État-patron) ?

Encore ceci. Si la guerre de libération nationale a été déclenchée et dirigée par des personnes qui n’étaient pas des travailleurs manuels, et non plus des capitalistes, qui en étaient le bras armé ? N’ont-ils pas été dans leur grande majorité des paysans sans terre, des travailleurs manuels, des chômeurs, sans oublier les femmes de même condition ? Ces gens se sont-ils battus et ont consenti tous les sacrifices pour se retrouver contraints d’être réduits à des salariés d’un patron (privé ou étatique), et pour les femmes à se soumettre à l’autorité féodale d’un homme, sous prétexte que ces dominés sont des « ignorants », incapables de s’auto-gérer ?

Question subsidiaire : ce qui est nommé « stabilité » renvoie au thème de la continuité. Quel genre de stabilité est envisagée ? Celle qui maintient stable la régression depuis l’assassinat d’Abane Ramdane et le rejet de la Plate-forme de la Soummam, ou la stabilité qui considère que ce document est celui qui permet d’envisager une réelle stabilité, bénéfique au peuple algérien ?

Pas de reniement.

En évoquant ce thème, la question est la suivante : n’est-il pas nécessaire d’expliciter ce qu’il s’agit concrètement de ne pas renier ?… En effet, par « pas de reniement », les uns auraient en tête cette Plate-forme de la Soummam, à considérer comme base fondamentale pour construire le présent et le futur, tandis que d’autres se sont emparés de la direction de la guerre de libération (notamment par l’assassinat d’Abane Ramdane et par l’étrange découverte de Larbi Ben Mhidi par l’armée française qui le tua), puis ont conquis l’État indépendant (par le massacre des moudjahidines de l’intérieur qui s’opposaient à leur putsch militaire) précisément par le rejet de ce document… N’est-il pas facile de se contenter de déclarer « ne pas renier » la guerre de libération nationale et le serment des moudjhahidines, sans préciser de quels moudjahidines on parle : ceux de l’intérieur qui se battaient et sont morts au combat contre l’armée coloniale, puis ont résisté au putsch militaire de l’armée des frontières, ou ceux qui, hors du territoire national, se préparaient à conquérir, – et ont conquis -, le pouvoir étatique par un putsch militaire, juste après la victoire ?

Rupture.

La réponse à la question sur l’expression « pas de reniement » permet, en conséquence, de formuler cette autre question : les candidats ou non candidats qui déclarent la nécessité d’une rupture, quel contenu concret y mettent-ils ?

S’il s’agit d’une rupture avec ce qui est appelé « le système », celui-ci se limite-t-il à la seule corruption, dans tous les domaines de la gestion sociale : économique, politique, culturelle ? Ne faut-il pas, également, considérer la gestion de la nation depuis le conflit qui opposa les partisans et les adversaires de la Plate-forme de la Soummam ?

À propos de continuité, de stabilité, de pas de reniement et de rupture, envisageons quelques cas comme exemples servant à l’éclaircissement des discours électoraux.

Entreprises nationales.

Tous s’accordent à déclarer que les entreprises publiques algériennes sont très mal gérées parce que déficientes sur le plan de la productivité économiques. Laissons de coté le fait que les dirigeants de ces entreprises, eux, gèrent très bien le salaire et les privilèges que leur accorde leur fonction. Concernant donc ces entreprises nationales, quelle serait la solution ?… 1) Les privatiser, donc favoriser le capitalisme privé, mais alors d’où provient l’argent des éventuels acheteurs ? 2) Se contenter simplement de changer de dirigeants, donc continuer dans une étatisation qui a démontré son incapacité gestionnaire, autre que de s’octroyer de juteux salaires ? 3) Pourquoi pas, alors, confier la gestion de l’entreprise à ses travailleurs eux-mêmes, sous forme d’autogestion, sachant que celle-ci, juste après l’indépendance, en absence de propriétaires et de cadres techniques, d’une part, et, d’autre part, d’un État national encore en gestation, que cette autogestion donc a donné des résultats économiques performants, contrairement aux calomnies d’ « anarchie » et d’ « improductivité » proférées par ses adversaires ? (4)… Dans ces trois cas de figure, où sont la continuité, le non reniement et la rupture ?

Instruction.

Que chaque candidat se prononce clairement sur ce qui détermine tout développement social réel, à savoir le secteur éducatif, lequel contient le capital le plus précieux (5) : est-ce un secteur éducatif dominé par l’obscurantisme, quelque soit sa nature ? Par une médiocrité volontaire de gestion pour favoriser la privatisation capitaliste, autrement dit l’aggravation des injustices sociale ? Ou, enfin, par une gestion qui serve réellement l’égalité, la liberté et la solidarité collectives, en permettant aux travailleurs du secteur éducatif et à ses bénéficiaires, les étudiants, d’autogérer leur travail ?

Question subsidiaire. Comment une nation peut-elle se construire si au peuple qui la compose l’emploi de sa langue maternelle est limitée, pour une partie de ce peuple (tamazight), et, pour l’autre partie, est totalement ignorée et occultée : l’arabe algérien (6) ? Est-ce que cette majorité du peuple comprend l’arabe classique (ou subsidiairement le français) en écoutant le journal télévisé étatique, en lisant le texte de la Constitution, la fiche de paie, un journal ou un livre, en étant devant des juges de tribunal, bref en voulant légitimement s’instruire et défendre les propres intérêts ?

Corruption.

Toute personne tant soit peu informée le constate : quelque soit le pays et l’époque, la corruption sociale commence et s’alimente toujours par le haut de la hiérarchie sociale. Deux anecdotes significatives à ce sujet. La première. Durant la guerre de libération chinoise anti-féodale et anti-capitaliste, à un journaliste états-unien qui, sur place pour une enquête, s’émerveillait du fait que les dirigeants de ce combat étaient vêtus et se nourrissaient exactement comme le peuple, autrement dit pauvrement, il fut répondu ceci : c’est que ces dirigeants n’ont pas encore goûté aux délices du pouvoir (sous-entendu : étatique)… Seconde anecdote. Un jour, j’ai visité l’enceinte de l’Assemblée Nationale italienne, à Rome. Je fus effaré de constater le luxe des murs, des couloirs, des bureaux, des moyens disponibles, enfin de l’enceinte des débats. Tout respirait la richesse ostentatoire et les signes du pouvoir social. Je me suis alors demandé : si j’étais un des élus dans ce palais, réussirais-je à résister à la tentation de faire travailler ma fonction à m’enrichir, donc à acquérir plus de puissance, y compris de façon illégale ? Combien de personnes, dotées de richesse et obsédés de l’agrandir, ne viendraient-elles pas me « rendre visite » pour me corrompre afin de satisfaire leurs intérêts de caste, et, en retour, me faire bénéficier de leurs « largesses » ?

L’honnêteté exige de reconnaître que le candidat Ali Ghediri, quelques soient par ailleurs les considérations à son sujet, a pris l’initiative de publier l’état de son patrimoine, y compris celui de son épouse et de sa fille. Tout candidat ne devrait-il pas agir de cette manière, pour mériter la confiance des électeurs ?

Cependant, je viens de lire dans le journal Mediadz que Ali Ghediri a désigné comme responsable à la communication durant sa campagne Monsieur Hmida Layachi. Étant donné qu’en Algérie plus d’une personne peut avoir les mêmes nom et prénom, j’ignore si l’homme s’appelant Hmida Layachi est celui qui se distingua, dans un récent passé, par le fait suivant. Au retour au pays après mes quarante années d’exil volontaire, il déclara à mon sujet dans une interview : « Il a rompu avec l’Algérie pendant 40 ans, ne connaît rien de son évolution, de sa société, de sa presse. Il est revenu en 2012 pour se faire de l’argent. » J’ai exposé et expliqué les motifs de cette pure calomnie (7). Il y a également un autre fait. Sauf erreur de ma part, ce même Hmida Layachi fut propriétaire d’une télévision et d’un journal privés. Dès lors qu’il est devenu responsable de la communication d’un candidat qui évoque l’honnêteté et l’intégrité, ces qualités n’exigent-elles pas que son responsable à la communication, s’il fut réellement propriétaire des deux moyens de communication mentionnés, déclare publiquement d’où venait l’argent pour créer et gérer sa télévision et son journal ? (8)

Or, je viens de lire des propos du responsable de la campagne de Monsieur Ali Ghediri, Monsieur Ait Larbi, qui déclare : « Je lance un appel à toutes les Algériennes et tous Algériens honnêtes et propres à pour faire sortir notre pays de l’impasse dans laquelle elle se trouve ». La question qui se pose, alors, est celle-ci : Si Hmida Layachi est la personne dont je parle, fait-il partie de cette catégorie d’Algériens, au vu de sa déclaration concernant ma personne ?… Monsieur Ali Ghediri, qui l’a choisi comme responsable de la communication, ignore-t-il ou considère-t-il comme négligeable la déclaration de ce Hmida Layachi envers un Algérien qui, lui, démontre par son entier itinéraire de vie son honnêteté et son intégrité ?… Et si, par hasard, Monsieur Ali Ghediri parvient au pouvoir de l’État, est-il difficile d’imaginer le comportement qu’aurait ce Hmida Layachi comme ministre de la communication, car il faut bien, n’est-ce pas, qu’il soit récompensé suite à son engagement de campagne.

De cet événement, il s’ensuit cette question (et nous retournons à des considérations qui concernent toute nation et pas spécifiquement l’Algérie) : tout candidat ne devrait-il pas, outre la déclaration publique de son patrimoine et de celui de ses proches de la famille, faire publier également le patrimoine et celui des proches de la famille de ses collaborateurs principaux ? Publier également la biographie professionnelle de ces mêmes collaborateurs, comme par ailleurs Monsieur Ali Ghediri l’a faite en ce qui le concerne personnellement ?

En outre, tout candidat, pour montrer sa transparence et son intégrité, ne devrait-il pas publier qui et comment finance sa campagne électorale ?… N’est-ce pas là première et élémentaire preuve d’honnêteté et d’intégrité ?

Ensuite, en cas d’élection, tout candidat ne devrait-il pas s’engager à :

1) ne pas accepter plus de deux mandats ? Car, en accepter plus, c’est : a) prétendre que tous les autres citoyens et citoyennes sont incapables de remplir convenablement la fonction dirigeante ; b) démontrer que le système de gestion du pays est incapable de produire un nouveau dirigeant, ce qui révèle que le système est malade ; c) pour le dirigeant qui dépasse deux mandats, devenir ainsi une espèce d’oligarque « sauveur ». Or, peut-il l’être sans l’appui d’ une « clientèle » opportunément créée ? Et celle-ci le soutiendrait-elle si ce désormais oligarque ne lui concède pas, en retour, les privilèges dont elle a besoin pour exister ?… N’est-ce pas de cette manière que la dictature et sa conséquence, la corruption, commencent, quelque soit le masque employé pour les camoufler ?

2) faire connaître publiquement le salaire et les privilèges attenants à la fonction dirigeante durant l’exercice, ainsi qu’après la fin de celui-ci ?… Car, que signifierait cacher ces données sinon une forme illégitime d’enrichissement légalisé ?

3) publier, à la fin du ou des deux mandats assumés comme dirigeant, l’état de son patrimoine, ainsi que celui des membres proches de sa famille ?… Pourquoi également ces derniers ? Pour éviter une tentation du dirigeant : ne pas profiter personnellement de sa fonction pour augmenter son patrimoine, mais recourir à augmenter celui des membres de sa famille, soit directement, soit comme prête-nom.

4) promouvoir dans la Constitution :

- l’instauration d’un référendum d’initiative populaire ? Il servirait de dissuasion contre une éventuelle gestion anti-populaire de la fonction dirigeante au détriment des intérêts du peuple (9) ?

- la publication, de la part des candidats députés à l’Assemblée Nationale et à d’autres postes administratifs fondamentaux, de leur patrimoine ainsi que celui des membres de leur proche famille, leur rétribution et privilèges attenants durant leur fonction, enfin la publication des mêmes patrimoines à la fin du mandat ?

Dans ce même esprit visant au plus d’authentique démocratie, aux lectrices et lecteurs d’ajouter d’autres questions, et aux candidats honnêtes (autrement dit qui servent le peuple au lieu de s’en servir pour leur intérêts personnels de caste) d’ajouter des éclaircissements.

_____

(1) voir « De la liberté solidaire » in http://kadour-naimi.over-blog.com/search/libert%C3%A9%20solidaire/

(2) Voir « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », notamment l’article de Bouziane Benachour en annexe 23 du Livre 5 : « Naïmi Kaddour : Quelques appréciations sur un artiste que j'ai connu il y a plus de quarante ans », librement accessible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-theatre-oeuvres-ecrits%20sur%20theatre_ethique_esthetique_theatre_alentours.html

(3) Voir « Questions sur l’autogestion en Algérie et dans le monde », in http://kadour-naimi.over-blog.com/2018/03/questions-sur-l-autogestion-en-algerie-et-dans-le-monde.html

(4) Voir « Belle comme un comité d’autogestion » in http://kadour-naimi.over-blog.com/search/autogestion/ et « Questions sur l’autogestion en Algérie et dans le monde » in http://kadour-naimi.over-blog.com/2018/03/questions-sur-l-autogestion-en-algerie-et-dans-le-monde.html

(5) Pour paraphraser celui qui employa cette splendide expression de manière si tragiquement criminelle : Staline.

(6) Voir « Défense des langues populaires : le cas algérien » in http://www.lematindalgerie.com/tamazight-et-dziriya-solidarite

(7) In « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », Livre 4, PARTIE V : « UN ARCHETYPE DE JOSEPH GOEBBELS ». Pour y accéder voir lien dans la note 2 précédente.

(8) Quelques jours après la publication de ce texte dans une autre publication, on apprend la démission de Layachi du staff d’Ali Ghediri, le premier avançant des motifs qui laissent pour le moins perplexes. Le futur éclaircira.

(9) Voir « Du référendum populaire » in http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/02/du-referendum-populaire.html

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Publié sur Le Matin d'Algérie, le 19 février 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 14 Décembre 2017

Questions à Monsieur Noureddine Boukrouh

Je m’adresse à vous comme simple citoyen, et, par conséquent, ma formation politique est limitée. Je n’ai jamais été un militant de parti politique, encore moins un « responsable », à l’exception d’une expérience de secrétaire d’une section syndicale de base, en 1973, à Alger ; j’en fus rapidement exclu par la hiérarchie de l’UGTA, comme « agitateur », pour avoir simplement défendu correctement les intérêts des travailleurs.

Tout d’abord, je salue avec estime et reconnaissance votre courage intellectuel et votre souci concernant le pays. Il nous redonne, comme citoyen-ennes, une partie de dignité à laquelle nous avons droit.

Cependant, vos déclarations m’ont suscité quelques perplexités. À ce sujet, permettez-moi des questions auxquelles je serais heureux, et, il me semble, tou-te-s les citoyen-nes avec moi, de connaître votre opinion la plus claire, concrète et opératoire possible.

Les propos que vous lirez peuvent être mieux éclairés par deux contributions que j’ai publiées : Aux sincères ami-e-s du peuple ; Forces en présence et agent central de changement.

1.

Dans un article, vous écrivez :

« S’il n’y a rien à attendre de Dieu dans l’immédiat, si l’Armée reste muette devant les atteintes à la morale publique, au droit, à la démocratie et à l’intérêt du pays, si le ‘‘premier magistrat’’ n’est pas un recours mais la source de tous les problèmes, il reste l’ultime solution qui est nous-mêmes, le peuple qui, selon les termes mêmes de la Constitution en vigueur, est le détenteur de la souveraineté nationale et du droit constituant…».

Question.

Pour quel motif votre énonciation des agents de changement positif suit cette hiérarchie : Dieu, Armée, « premier magistrat », et seulement à la fin « l’ultime solution qui est nous-mêmes, le peuple » ?

Pourquoi pas le contraire ? À savoir commencer en donnant la priorité au peuple ? Et seulement, après lui, au « premier magistrat », ensuite à l’Armée ? En effet, ces deux derniers ne tiennent-ils pas leur légitimité uniquement du peuple ? Ce qui donne à celui-ci la priorité dans toute énonciation de changement social réellement démocratique.

D’ailleurs, vous le reconnaissez par la suite, en affirmant le peuple comme « détenteur de la souveraineté nationale et du droit constituant ». Ne voyez-vous donc pas contradiction entre, d’une part, cette reconnaissance, et, d’autre part, la hiérarchisation qui la précède ?

Bref, ce que vous appelez « l’ultime solution » ne devrait-elle pas être la première ? N’est-ce pas ce qui caractérise une démocratie authentique ?

2.

Sachant ce que l’Armée a été concrètement pour notre pays, trouvez-vous éthiquement juste et socialement opératoire d’y faire appel, même si celui-ci s’adresse à ses éléments, en retraite ou actifs, les plus patriotiques, pour un changement en faveur de la démocratie et du peuple ?

À ce sujet, je me rappelle un exemple significatif. Au Portugal, en 1975, l’intervention de l’armée (le mouvement dit des « capitaines ») a effectivement éliminé le fascisme intérieur et le colonialisme extérieur. Par la suite et rapidement, le parti « socialiste » de Suarez, par des élections réellement démocratiques, prit le pouvoir. Pourquoi n’a-t-il pas opéré la révolution voulue et espérée, en faveur du peuple ? N’est-ce pas pour ce motif : tant que le système social est basé sur l’exploitation capitaliste, par le salariat, de l’être humain par son semblable, il ne peut pas y avoir de pouvoir réellement du peuple ?

3.

Dans une interview, vous avez déclaré :

« Nous sommes devant le défi de conquérir notre souveraineté populaire, notre souveraineté citoyenne, et une telle cause implique la plus large mobilisation et participation possible, car notre société est encore largement dépolitisée et fataliste. Il ne faut pas appeler le peuple à se soulever, mais à se réveiller, à ouvrir les yeux sur les dangers auxquels il est exposé par un groupe de personnes irresponsables. »

Pourriez-vous nous indiquer de la manière la plus concrète et opératoire ce que vous appelez « la plus large mobilisation et participation possible » ? Et comment la réaliser ? Avec quels instruments, institutionnels ou/et citoyens autonomes ? Avec quels agents sociaux, quelles couches sociales ?

En outre, je vous invite à nous expliquer pour quels motifs et quels sont tous les responsables, sans exception, de l’absence de « large mobilisation » ? En particulier, dans cette absence de « large mobilisation », de « société (...) encore largement dépolitisée et fataliste », quelle est la responsabilité des partis politiques qui se disent d’opposition, et de l’élite intellectuelle, se déclarant « démocratique » et « progressiste » ? N’est-ce pas la fonction de ces partis et intellectuels, parce qu’ils détiennent le savoir et le savoir-faire, et se déclarent en faveur du peuple, de le politiser et de lui éviter tout fatalisme ? L’action néfaste de la caste étatique et celle tragique de la « décennie sanglante » sont-elles les uniques causes de ces carences ?

Expliquez-nous ce que vous appelez la « souveraineté populaire » ? À ce propos, en particulier, dites-nous si et comment elle éliminerait ces aspects de la société actuelle :

1) l’exploitation de la classe laborieuse par le salariat, dont profitent la bourgeoisie capitalisme étatique, celle capitaliste privée classique, d’une part, et, d’autre part, mafieuse ;

2) l’exploitation des citoyens par la bourgeoisie compradore, qui tire son profit par l’importation de marchandises, dont elle empêche la production en Algérie ;

3) la domination du peuple (classe laborieuse et classe moyenne) par l’intermédiaire des appareils institutionnels idéologiques et répressifs, gérés par la caste étatique.

Quand vous parlez de « peuple », quelle est la place et l’importance que vous accordez :

- à la classe laborieuse, celle qui vit de la vente de sa force de travail manuel ? Sans oublier son appendice, la couche de chômeurs ;

- à la classe moyenne, dans ses trois niveaux : supérieur, moyen et inférieur. N’est-elle pas, en fonction de ses intérêts spécifiques, soit complice et courroie de transmission de la caste dominante, au détriment de la classe laborieuse, soit contestataire, en manipulant cette même classe laborieuse ?

Enfin, ce « groupe de personnes » que vous considérez « irresponsables », ne croyez-vous pas qu’au contraire, elles savent ce qu’elles font, puisqu’elles parviennent à dominer le peuple, par une utilisation relativement efficace des institutions idéologiques et répressives, et à s’enrichir à son détriment, en sachant neutraliser tous leurs adversaires, d’une manière ou une autre ? Autrement dit, peut-on traiter d’« irresponsable » un requin parce qu’il dévore ses proies, ou une sangsue parce qu’elle se nourrit du sang de ses victimes ?

De cela s’ensuit la demande suivante : est-il correct de contester ce « groupe » en lui reprochant son « irresponsabilité », au lieu de le contester en tant que « groupe », tout simplement ?

Et que signifie, concrètement, socialement, ce terme de « groupe » ? Existe-t-il de par le monde une société gérée par un « groupe », sans préciser à quelle classe sociale il appartient, et comment il agit dans la lutte des classes et couches sociales, pour dominer ?

4.

Dans la même interview sus mentionnée, vous affirmez :

« Il manquait à cette nation un combat qu’elle n’a jamais livré, celui du projet de société, de l’idéal de vie dans un État de droit démocratique et social. Un tel combat ne se mène pas avec les armes, mais avec l’intelligence, la raison, la cohésion, la solidarité, la convergence des efforts, la compétence... Telle est en quelques mots la philosophie de l’initiative à laquelle je suis attelé et qui sera accompagnée des modalités de sa mise en application. »

À propos de « combat (…) jamais livré », de manque de « projet de société » et de « l’idéal de vie », quelle est votre considération sur l’expérience d’autogestion agricole et ouvrière qui apparut juste après l’indépendance, et assura la production de manière satisfaisante, contrairement aux déclarations de ses adversaires ?

Cette expérience ne fut-elle pas la seule où la production économique se réalisa, et de manière satisfaisante, par les seuls travailleurs, sans patrons, ni privé ni étatique ?

Tandis qu’au contraire, les réformes entreprises par les détenteurs de l’État, malgré leurs déclarations de capacité gestionnaire, ont porté l’économie à la faillite, d’abord des « souk alfallah » (dictature militaire), puis, après elle, à la gestion du peuple uniquement par la rente pétrolière, exactement comme les monarques moyen-orientaux ?

En quoi l’expérience autogestionnaire qui exista n’a pas été un « combat », un « projet de société » et un « idéal de vie » ?

Sinon, pourquoi cette expérience fut, le plus rapidement possible, par la bourgeoisie capitaliste étatique, d’abord caporalisée par les « décrets » prétendument « socialistes », durant la domination de Ben Bella, ensuite éliminée pendant la dictature de Boumédiène, au prétexte des soit disant « réforme agraire » et « gestion socialiste des entreprises » ?

5.

En vue du changement social que vous préconisez, dites-nous quelles sont les garanties concrètes afin que les nouveaux dirigeants, élus suite à des élections réellement correctes et transparentes, donc démocratiques, libèrent le peuple :

1) de l’exploitation de l’être humain par son semblable, ce qui caractérise le capitalisme, qu’il soit étatique ou privé ;

2) par conséquent, affranchissent ce même peuple de la domination d’une caste minoritaire sur la majorité, à travers le contrôle de l’État par la première.

En effet, y aurait-il domination politique s’il n’y a pas exploitation économique ?

À ce sujet, nous constatons qu’un « socialiste » François Hollande, un « marcheur » Emmanuel Macron, un « démocrate » Obama, ou un « républicain » Trump ont tous été élus de manière « démocratique ». Voici la justification des guillemets. Ces gens-là ont été élus grâce, essentiellement, aux patrons capitalistes. Ils exercent l’influence décisive par le financement des campagnes électorales des candidats, d’une part, et, d’autre part, par le conditionnement des électeurs à travers les mass-medias d’ « information », dont les mêmes patrons sont propriétaires.

Résultat ? Partout identique : la classe capitaliste s’enrichit, tandis que les classes laborieuses s’appauvrissent. Le tout se « justifiant » par l’ « austérité » nécessitée par la concurrence capitaliste mondiale, austérité, bien entendu, seulement de la part des classes laborieuses, tandis que le profit des banques et entreprises les plus importantes caracolent sur toutes les bourses de la planète.

Dès lors, en Algérie, en quoi un dirigeant du genre cité plus haut serait-il bénéfique au peuple algérien ?

Pour satisfaire les intérêts fondamentaux de celui-ci, existe-t-il un projet de société autre que l’autogestion sociale généralisée ?

6. Ultime question.

Je ne m’oppose pas et j’apprécie le cas où vous et votre parti politique, ainsi que d’autres personnalités politiques et les partis dont ils sont les chefs, parvenez à être élus, démocratiquement, et à devenir les gérants du pays.

Dans ce cas, voici ma question.

Accepterez-vous réellement que des citoyen-nes agissent, librement et sans aucune limite, pour l’établissement d’une société complètement autogérée, sachant que ce projet implique l’élimination de l’État et de sa bureaucratie, donc de vous tous comme dirigeants étatiques, au bénéfice d’associations sociales citoyennes, autonomes et librement fédérées, dans tous les domaines de la société ?

Si oui, quelles garanties concrètes donnez-vous à ces citoyen-nes ?

Si non, pourquoi ?…

En formulant cette dernière question, je souhaite, en cas de contestation de la validité de l’autogestion sociale, des arguments non pas du genre « complexité » du monde et de la société, ni « Où donc ce projet a réussi ? »

Car, il a effectivement réussi en Algérie, avant que les détenteurs de l’État ne l’aient étouffé, ensuite éliminé. N’oublions pas, non plus, les expériences étrangères de réussite : dans la Russie des années 1917-1921 (avant que les bolcheviques l’éliminèrent par le massacre opéré par l’armée « rouge » de Lénine et Trotski), puis dans l’Espagne républicaine de 1936-1939, jusqu’à ce que l’armée fasciste, d’une part, et, d’autre part, les unités armées staliniennes ne mettent fin à l’expérience. Parce que ni les fascistes « noirs » de Franco, ni les fascistes « rouges » de Staline, les deux étant étatiques-autoritaires, ne pouvaient accepter l’autogestion sociale, laquelle n’a nul besoin ni d’État ni d’Autorité hiérarchique.

Aussi, à propos de la valeur du projet autogestionnaire, je souhaite de votre part des réponses concrètes, opératoires et convaincantes. Elles concernent toutes les injustices dont le peuple est victime, et d’abord la partie de celui-ci contrainte à vendre sa force de travail pour un salaire de survie, tandis que l’employeur en tire un profit qui l’enrichit.

En Algérie comme dans le monde, durant toute l’histoire humaine, le Pouvoir a-t-il jamais été pris par quelqu’un sans qu’il se transforme en dominateur ? Et les dominateurs les plus cruels n’ont-ils pas été ceux qui prétendaient être des « Sauveurs », des « Pères » du peuple ?

Par ces questions, j’espère vous offrir l’occasion de contribuer à la politisation de notre peuple, et à le libérer de tout fatalisme. Sans oublier sa forme la plus pernicieuse : croire uniquement à être « sauvé » par en « haut », autrement dit par l’État (ou l’une de ses institutions) ou/et par des représentants bien intentionnés de l’élite. Un être humain ou un peuple dominés peuvent-ils être sauvés autrement que par eux-mêmes ? Certes, avec l’aide de celles et ceux qui, réellement, veulent le bien de cet être humain et de ce peuple.

Merci de votre attention, en espérant vos clarifications, bien que je ne sois qu’un simple citoyen.

Publié sur Le Matin d’Algérie, 13 Sep 2017.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 5 Octobre 2019

Lors d'une des hebdomadaires manifestations du mouvement populaire en Algérie, 2019

Lors d'une des hebdomadaires manifestations du mouvement populaire en Algérie, 2019

Décidément, le mot « démocratie » est à la mode : pour les peuples, c’est une revendication légitime mais qui leur coûte souvent des larmes et du sang, tandis que pour les oligarchies qui se revendiquent de la démocratie, c’est le joli subterfuge masquant le hideux museau du loup désirant dévorer le « petit chaperon rouge » auquel ces oligarchies réduisent les peuples. Mais qu’en est-il dans la réalité ?

 

Définitions.

Bien entendu, commençons par établir, de manière succinate, ce que le mot « démocratie » recouvre (1). L’idée fut inventée dans l’antique Athènes. Cependant, la démocratie dont il était question alors concernait uniquement les membres de l’oligarchie au pouvoir : ceux-ci discutaient librement entre eux et prenaient les décisions qui répondaient à leurs intérêts de caste. Celle-ci excluait les femmes et les esclaves, lesquels constituaient la majorité absolue de la société athénienne. On avait donc affaire à une démocratie de forme oligarchique.

Des siècles plus tard, vint la démocratie états-unienne. Là, encore, malgré le verbalisme, il s’agissait d’une démocratie dont les femmes et les esclaves étaient exclus ; on avait donc affaire à une démocratie oligarchique de forme nouvelle.

Puis vint la Révolution française de 1789. Dans ce cas, s’opposèrent violemment deux manières totalement antagonistes de concevoir la démocratie. Pour les uns, il s’agissait d’appliquer le mot à lettre, c’est-à-dire que le pouvoir soit réellement aux mains du peuple, considéré comme celui des exploités économiquement. Cette conception fut celle des Babouvistes, des Hébertistes, des « Enragés » et des « Sans-Culottes ». C’était la conception authentique du mot « démocratie » : pouvoir du peuple, autrement dit gestion de la société par et pour le peuple, soit l’autogestion sociale.

Pour d’autres, au contraire, la démocratie consistait à faire gérer le pouvoir par une caste. Cette dernière se proclamait « révolutionnaire » et « au service du peuple », mais, en réalité, il s’agissait d’une oligarchique de forme inédite. Elle se constitua notamment par ce qu’elle eut l’outrecuidance d’appeler la « Terreur ». Bien entendu, cette dernière était déclarée un moyen d’éliminer les « contre-révolutionnaires ». Dans la réalité, les victimes furent plus nombreuses parmi le peuple et les partisans de la démocratie authentique.

Enfin, est apparu l’avatar de cette démocratie « révolutionnaire », en fait oligarchique bourgeoise capitaliste, sous forme de « dictature du prolétariat » et de « démocratie populaire ». Là, encore, les tenants du pouvoir, proclamant combattre les « contre-révolutionnaires », éliminèrent non seulement ces derniers, mais, par la suite, une fois consolidés au pouvoir, exterminèrent par la « terreur » dite « rouge » les authentiques révolutionnaires, partisans de la vraie démocratie en tant que pouvoir du peuple. Cette démocratie authentique était incarnée par les soviets libres de travailleurs et de soldats.

Ainsi, partout sur la planète, triompha la « démocratie » dans sa forme oligarchique, de forme « libérale » capitaliste ou de forme « socialiste » de capitalisme étatique. Nous en sommes là.

Mais combien connaissent ces faits historiques ? Dans l’opinion publique, mais également dans la majorité des « élites » intellectuelles, on parle de la démocratie athénienne comme une merveille, en ignorant ou occultant l’exclusion des femmes et des esclaves ; on fait l’éloge de la Révolution française en évoquant Robespierre et les Jacobins, en ignorant ou occultant Babeuf, Hébert, les « Enragés » et les « Sans-culottes » ; on chante la démocratie états-unienne en ignorant ou occultant l’exclusion des femmes et des esclaves, sans parler des habitants originels du pays, les Amérindiens ; enfin, certains regrettent la « démocratie » des ex-pays dits « socialistes » en vantant les mérites de Marx, de Lénine et de leurs semblables, en ignorant ou occultant les expériences d’institution de soviets libres, organes de l’autogestion sociale.

C’est dire combien graves sont l’occultation, d’une part, et, d’autre part, sa conséquence, l’ignorance de ce qu’est la démocratie dans les faits. Voilà pourquoi la forme authentique de démocratie, constituée par l’autogestion sociale, est ignorée parce qu’occultée par la majorité des « élites » intellectuelles, non seulement « libérales » mais tout autant par celles « progressistes » et « démocrates ». C’est que ces deux genres d’ « élites » ont un point commun : une mentalité autoritaire hiérarchique incompatible avec la conception autogestionnaire, laquelle se distingue par le triptyque : liberté, égalité, solidarité. Pour ces « élites », la liberté c’est l’anarchie ; l’égalité c’est favoriser la médiocratie ; la solidarité c’est l’encouragement de la fainéantise.

Ceci étant précisé, il devient, alors, possible de poser la vraie question : de l’authentique démocratie, celle où le peuple exerce réellement le pouvoir à travers ses propres institutions autonomes et ses propres représentants (c’est cela l’autogestion, ou self-government), qui y trouve son intérêt ?

 

Niveau national.

Au sein de chaque nation de la planète, quelque soit son niveau de développement économico-social, ceux qui trouveraient leur intérêt à l’instauration de cette démocratie authentique sont précisément ceux qui pâtissent de la démocratie oligarchique : tous les citoyens qui sont réduits au salariat au profit des propriétaires, privés ou étatiques, des moyens de production économique. Notons ceci : tandis que dans la démocratie oligarchique antique, étaient exclus du droit de délibération et de vote les femmes et les esclaves, dans la démocratie oligarchique tant « libérale » capitaliste que « socialiste » de capitalisme d’État, étaient exclus de la propriété des moyens de production la majorité des citoyens, réduits à des salariés.

Dans l’antiquité, les femmes étaient exploitées en tant qu’épouses s’occupant du foyer familial, et les esclaves étaient exploités pour accomplir tous les travaux manuels ; à l’époque moderne, l’exploitation a fait un progrès, si l’on peut dire : la majorité de la population est exploitée par le salariat au profit d’une oligarchie détenant les moyens de production, de manière privée ou étatique. C’est la forme moderne de l’esclavage. Les sangsues de la sueur du travail acceptèrent l’abolition de l’esclavage (dans l’antiquité comme aux modernes États-Unis) parce qu’ils se rendirent compte qu’ils engrangeaient plus de profit de la part d’un être humain libre que d’un esclave qu’ils devaient entretenir complètement.

C’est donc constater que les exploités économiques, seuls, ont intérêt à la démocratie autogestionnaire. Au contraire, les propriétaires, privés ou étatiques, des moyens de production économique ne peuvent qu’y être opposés, et tenir à la démocratie oligarchique. Ignorons les nations où règne une caste dictatoriale : elle exclut toute démocratie, y compris oligarchique, au profit d’une forme totalitaire de gestion sociale ; c’est la forme extrême d’oligarchie. Certains ont l’outrecuidante imposture de l’appeler... « socialisme ».

 

Niveau international.

Les représentants des oligarchies occidentales proclament toujours qu’ils sont pour la démocratie dans tous les pays de la planète, et déclarent même l’exporter dans les pays dictatoriaux.

Commençons par noter que certains pays ne sont pas considérés comme ayant besoin qu’on y exporte la démocratie, tels l’Arabie dite saoudite ou les Émirats du Golfe. D’autres pays ont vu l’instauration d’une démocratie sous forme de « révolution colorée » : le résultat fut l’instauration d’une oligarchie semblable sinon pire à celle qui fut éliminée : l’Ukraine et la Géorgie, par exemple. Et puis il y a les nations où les hérauts de la démocratie occidentale (entendons oligarchique capitaliste) dénoncent la dictature et proclament la nécessité d’instaurer dans ces nations la démocratie, par exemple la Corée du Nord, l’Iran, le Venezuela, l’Algérie, etc.

Raisonnons alors de la manière la plus simple et la plus concrète.

Dans les nations où n’existe pas la démocratie, pas même oligarchique de forme capitaliste occidentale, quelle est la situation ?… Un gang mafieux, constitué d’une caste dominant l’État, gère le pays par la terreur. Bénéficiant des pots-de-vin de toute sorte (2), d’une part, ce gang vend au plus bas prix les matières premières et la force de travail de la nation aux oligarchies des pays économiquement (et militairement) dominants ; et, d’autre part, ce gang importe les produits de ces pays dominants au plus haut prix, en s’arrangeant pour contrecarrer toute possibilité de la nation à se doter d’une production économique autonome. Ainsi, les deux oligarchies, celle du pays dominant et celle du pays dominé, satisfont leurs intérêts : profits colossaux pour les multinationales, et pots-de-vin consistants pour les gangsters qui gèrent les pays dictatoriaux (d’une manière ouverte ou déguisée par des simulacres d’élections « démocratiques »).

Dans ce cas, les membres des oligarchies économiquement hégémoniques, d’une part, et, d’autre part, celles dominées ont-elles intérêt à l’instauration de la démocratie de forme autogestionnaire dans les nations économiquement dominées ?… La démocratie autogestionnaire, c’est la gestion de la nation par et pour le peuple. Dans ce cas, le peuple, possesseur réel des ressources matérielles du pays, les vendrait au prix le plus cher sur le marché international, d’une part, et, d’autre part, créerait sa propre structure économique afin de mettre sur son marché intérieur les produits au plus bas prix. Cette situation est, évidemment, contraire aux intérêts aussi bien des oligarchies hégémoniques mondiales que de celles subalternes des nations dominées.

Allons plus loin. Les membres des oligarchies économiquement hégémoniques, d’une part, et, d’autre part, celles dominées, qui vivent par les pots-de-vin, - formant donc une oligarchie de forme compradore, rentière -, ont-elles intérêt à l’instauration, dans les nations dominées, d’une démocratie de forme oligarchique mais constituée par un groupe capitaliste nationaliste ? La caractéristique de ce dernier est de se constituer en groupe autonome opérant dans sa nation, en cherchant à y créer une structure économique indépendante, répondant aux besoins internes de la nation, d’une part, et, d’autre part, au niveau mondial, à entrer en concurrence avec les autres groupes capitalistes. En Algérie, un représentant de ce groupe est Issad Rebrab ; les déboires qu’il a rencontrés deviennent compréhensibles. Leur motif n’est-il pas dans le fait que l’Algérie est dominée par une oligarchie de forme compradore ? D’où une corruption de type structurelle ? (3) Ce fait n’a-t-il pas comme preuve plus significative la situation de l’Algérie ? Soixante années après l’indépendance, elle est dans la dépendance économique. Le contre-exemple est la Corée du Sud : se trouvant en 1962 au niveau économique de l’Algérie, et ne disposant ni de pétrole ni de gaz, cette nation a acquis un développement économique qui lui permet même d’exporter de la technologie.

D’où il devient évident que les oligarchies économiquement hégémoniques sur la planète, et leurs subordonnées oligarchies compradore dans les nations dominées, n’ont absolument aucun intérêt à voir les nations économiquement dominées se doter de démocratie, que cette dernière soit de forme oligarchique mais économiquement productiviste, ou de forme autogestionnaire.

N’est-ce pas là le fond, l’essentiel en ce qui concerne le thème de la démocratie ? Ainsi, ne deviennent-ils pas plus clairs les enjeux des conflits aussi bien au niveau international que national, quelque soit le pays considéré ? N’est-elle pas évidente la difficulté extrême pour les peuples à concrétiser l’authentique démocratie, celle où réellement ce sont eux qui gèrent la collectivité dont ils font partie ? N’est-il pas plus aisé de comprendre pourquoi l’expression la plus occultée est précisément celle de démocratie autogestionnaire, avec son triptyque : liberté, égalité, solidarité ? Enfin, ne constate-t-on pas combien la majorité des « élites » ne produisent que des considérations caractérisées principalement par l’ignorance sinon l’occultation des réalités sociales, agissant ainsi en idéologues mandarins, trouvant leurs intérêts de caste en servant ceux d’une oligarchie dominante ? Toutes ces considérations ne fournissent-elles pas un éclairage essentiel sur les événements qui caractérisent l’actuelle intifadha populaire en Algérie, ainsi que les combats de tous les peuples de la planète pour leur émancipation authentique ?

_____

(1) Détails dans mon essai « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?... » librement disponible in https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-guerre-paix.html

(2) Voir « Comment affronter l’hydre de la corruption » in https://www.algeriepatriotique.com/2019/09/25/une-contribution-de-kaddour-naimi-comment-affronter-et-vaincre-les-corrompus/

(3) Idem.

Publié le 30 septembre 2019 sur Algérie Patriotique, Le Matin d'Algérie, La Tribune Diplomatique Internationale. - Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

 

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 27 Février 2018

Tiers-Etat

Tiers-Etat

À propos des conflits dans le secteur de l’éducation nationale, Hakem Bachir, au nom du SAREN, syndicat autonome des retraités de l’éducation nationale, veut savoir: « qui cherche le pourrissement à travers ces décisions gauches ».

Devant une telle question, il est nécessaire, pour ne pas errer dans les hypothèses inutiles ou les faux problèmes, de recourir au raisonnement logique. Il consiste à distinguer les détails de l’essentiel, l’apparent de l’occulté, les phénomènes de surface par rapport au phénomène de fond.

Essayons donc d’utiliser cette méthode pour contribuer à éclairer la question de Hakem Bachir.

Rappelons les réactions du ministère de l’éducation nationale, ainsi présentées par le syndicaliste :

« L’instrumentalisation de la justice déclarant la grève illégale.

  • Les ponctions sauvages sur salaire des travailleurs en les affamant en ignorant la loi

  • Le licenciement des grévistes ignorant leur droit.

  • Le remplacement des grévistes par des vacataires ou retraités ou inspecteurs.

  • Le refus de l’accès aux grévistes à leurs établissements. »

Hakem Bachir souligne : « cette stratégie a été utilisée en 2003 et avait échoué, donc le scénario de 2003 se répète en 2018, ses conséquences étaient attendues. »

Voici, donc, les faits évidents. Sont-ils les seuls ?… Non. En voici d’autres. Les agressions physiques d’enseignants à l’intérieur même de l’université, restées impunies. L’incurie des « responsables » institutionnels en ce qui concerne la qualité de l’enseignement : gestion matérielle, gestion didactique, gestion des salariés, etc. Et cela depuis des années, de manière toujours permanente et plus aggravée.

Alors, question : ces « responsables » institutionnels sont-ils simplement « incompétents » ?… Dans ce cas, pourquoi ne pas les avoir remplacés ?… Est-ce donc les plus « hauts responsables » de ces responsables « incompétents » qui, d’abord, sont « incompétents » ?… Cependant, ces « plus hauts responsables » savent être compétents et régler au plus vite les problèmes quand il s’agit de leur intérêt propre, dans telle ou telle institution. Par exemple, ne savent-ils pas manipuler les élections de telle manière qu’ils demeurent toujours au pouvoir ? Ne savent-ils pas détourner l’argent public dans des banques étrangères où ils disposent de compte ? Ne savent-ils privatiser une entreprise, pourtant performante, comme la SNTA (Société Nationale des Tabacs Algérienne) ?Enfin, ces « responsables », quel que soit leur niveau, ne savent-ils pas s’offrir de convenables salaires, améliorés par des privilèges : se soigner à l’étranger dans des institutions médicales convenables, envoyer leurs enfants étudier à l’étranger dans des universités adéquates, acheter des appartements dans des pays étrangers, etc. ?

Alors, ces « responsables », quelque soit leur niveau, sont-ils réellement « incompétents » ? Ou, plus exactement, manifestent-ils de l’ « incompétence » uniquement là où leurs intérêts sont en danger ? Dans ce cas, cette soit disant « incompétence » est, tout au contraire, une réelle compétence à gérer les choses selon leur exclusif intérêt.

Quel est-il ?… Mais la privatisation de tout ce qui est privatisable. Pourquoi ?… Pour en tirer le maximum de profit. Au bénéfice de qui ?… Des plus rusés, malhonnêtes et puissants socialement. Les statistiques déclarent qu’en Algérie 10 % des personnes disposent de 80 % des ressources du pays. Eh bien, comme le constate le proverbe, et comme le confirme l’histoire humaine, l’appétit vient en mangeant. Les 10 % de personnes algériennes veulent davantage que le 80 % de ressources. L’unique moyen est de privatiser le plus de secteurs publics. Ainsi, ces personnes les géreront selon l’infâme système capitaliste : presser le citron pour en tirer le maximum de jus, autrement dit exploiter les salariés pour en tirer le maximum de plus-value.

Pour y parvenir, la méthode n’est pas spécifiquement algérienne. Les dirigeants algériens s’inspirent des capitalistes dominants sur la planète. Mêmes procédés : réduire les salaires des travailleurs, réduire le montant des pensions des retraités et l’âge de la retraite, remettre en cause le rôle du syndicat ou même envisager de l’interdire, privatiser tout ce qui est possible, y compris l’eau, après l’éducation, la santé, les transports publics, etc. Et tout cela, au nom de l’ « efficacité », celle, bien entendu, des actionnaires capitalistes.

Quant aux salariés sacrifiés, eh bien tout sera fait pour les mater. Et, pour y parvenir, il faut s’attaquer essentiellement à leurs syndicats : corrompre les dirigeants, création de syndicats clonés, imposer des conditions draconiennes pour la création de syndicat, limiter les actions de ceux qui existent, menacer d’interdire le droit de grève, licencier les grévistes, les faire poursuivre par une « justice » aux ordres, même les emprisonner, enfin, si nécessaire, les assassiner.

Tout cela, répétons-le, n’est pas l’apanage de l’Algérie. La planète entière est soumise à cette « loi » du capitalisme. Depuis l’écroulement du « bloc de l’Est », ce capitalisme est redevenu « sauvage », c’est-à-dire puissant, arrogant, criminel quand il le faut, comme il le fut depuis sa naissance.

Voilà donc le « courant de fond » qui empoisonne la planète et l’Algérie, qui en fait partie.

Nouveau départ

Dès lors, il ne reste aux victimes que l’habituelle réaction : prendre conscience clairement de cette nouvelle phase historique défavorable, réfléchir aux manières de l’affronter pour rabattre l’arrogance assoiffée de profit des actionnaires capitalistes, notamment en trouvant les formes de lutte contre les privatisations, s’organiser de manière à devenir des forces sociales suffisamment fortes pour diminuer la pression capitaliste sur les salariés, en particulier, et le peuple en général.

Oui ! Il est question de repartir mais non pas de zéro. Deux siècles et demi de capitalisme et de luttes populaires sont là comme expérience à méditer, pour tirer les leçons qui s’imposent. La plus précieuse est de ne plus croire aux « Sauveurs Suprêmes », mais de trouver la solution afin que les victimes sachent se sauver par elles-mêmes, en gardant les bénéfices de leurs luttes et de leurs victoires. Cela s’appelle autogestion sociale généralisée, conception qui a été mise dans un placard fermé à double tour. Mais le fantôme rôde, et rappelle de temps à autre son existence réelle.

Ceci dit, les luttes actuelles, syndicales et autres, sont nécessaires. Cependant, elles sont réellement efficaces uniquement si les protagonistes savent clairement « qui cherche le pourrissement » et pourquoi, et sachent que ce qui apparaît comme « décisions gauches », comme l’écrit Hakem Bachir, en fait ne le sont pas, mais correspondent à une logique réelle, recherchée, mais non avouée.

Alors, les victimes ne se perdront pas, comme des insectes éblouis par des lumières factices, à prendre des vessies pour des lanternes. Alors, dans l’éducation nationale, parents et élèves comprendront que les « responsables » de ce secteur appliquent une politique consciente et « compétente » afin que le secteur de l’éducation nationale fonctionne mal, au point de justifier la création d’institutions privées. Alors, les enfants des 10 % d’Algériens détenant 80 % des ressources du pays auront davantage, puisque « éduqués » de manière à commander et à produire des dividendes capitalistes, tandis que le reste de 90 % d’Algériens se contenteront, pour leurs enfants, d’une « éducation » publique au rabais, pour les « former » à servir les détenteurs de capitaux.

Dans le secteur de la santé, la même logique est en cours. Dans la culture, on parle, aussi, de privatiser par la « contribution » des nantis à la production « culturelle ». Ainsi, la « culture » devient une entreprise de publicité commerciale, pour produire non pas des citoyens libres et critiques, mais des consommateurs conditionnés et soumis, encore là, au profit des actionnaires capitalistes qui ont eu la « générosité » de « sponsoriser » la production « culturelle ».

Aussi, concernant les dirigeants des institutions, chaque fois qu’une personne utilise le terme « incompétent », elle devrait mieux réfléchir. Car ces « incompétents » ont su, depuis l’indépendance, arracher avec compétence, petit-à-petit, les conquêtes sociales du peuple : de l’autogestion sociale, ils ont porté l’Algérie à la privatisation sauvage, et au 10 % d’Algériens qui vivent au détriment des 90 % du reste de la population. À ces « incompétents » reste la compétence réelle d’aggraver ces pourcentages au profit de la minorité dominante exploiteuse. À moins que les victimes manifestent une réelle compétence pour défendre leurs droits légitimes et récupérer ceux déjà éliminés.

En effet, quand on entend des intellectuel-le-s algériens déclarer « Il y a rien à faire ! » en accusant le peuple de « foule aliénée », quand on constate l’incapacité des partis politiques d’opposition démocratique à développer la démocratie, quand on voit des syndicalistes se disputer le leadership au lieu de s’unir pour une lutte commune, quand les salariés de tel ou tel secteur ne reçoivent pas la solidarité des salariés des autres secteurs, quand les grévistes du secteur de l’éducation ne reçoivent pas la solidarité des élèves et de leurs parents, où est l’incompétence ?

Quand, au contraire, des « responsables » institutionnels, déclarés « incompétents », savent s’enrichir de manière « légale », par la production de lois ad-hoc, et, aussi, illégale, sans être punis, ne sont-ils pas compétents dans l’art de s’enrichir au détriment du peuple ?

Alors, qui (1) « veut le pourrissement » et avons-nous affaire à des décisions vraiment « gauches » de la part des « responsables » ?… Ne s’agit-il pas, en réalité, de « pourrissement » volontaire du secteur public, en vue de justifier sa privatisation, et de décisions non pas « gauches » mais bien pensées, en vue de la même privatisation ?

Dans ce cas, il reste aux victimes de cette stratégie sociale à trouver les moyens de la conjurer, sans oublier de ne pas être manipulées par les forces internes et externes qui sont à l’affût pour détourner, à leur profit, cette lutte populaire de son objectif : l’élimination de toute forme de domination et d’exploitation. Comment ?… Par la seule alternative réelle qui s’offre, bien que très difficile à réaliser, mais pas autant que le fut l’émergence du mouvement de libération nationale : la création d’un mouvement pour l’autogestion sociale.

_____

(1) Voir

http://www.lematindz.net/news/25309-forces-en-presence-et-agent-central-de-changement-i.html

http://www.lematindz.net/news/25322-forces-en-presence-et-agent-central-de-changement-ii.html

http://www.lematindz.net/news/25327-forces-en-presence-et-agent-central-de-changement-iii.html

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 26 février 2018

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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