Publié le 14 Décembre 2017
1. Le Ciel, l’Olympe, Jupiter et les dieux
Dans la plupart des publications, nous lisons des exposés, analyses, dissections, conjonctures, hypothèses, plus ou moins savants, de personnes plus ou moins expertes. Et nous constatons la répétition de ces mêmes textes, ad nauseam.
Mais, voilà, presque tous ces articles, contributions, interventions, interviews, éditoriaux, etc. concernent le Pouvoir, l’État, les clans, leurs luttes. Y sont cherchés, traqués, supputés, supposés les énigmes, les occultations, plus ou moins indéchiffrables. Pour paraphraser Churchill à propos de la Russie, on cherche à déceler « une énigme enveloppée dans un mystère ».
Une fois, tel clan, telle institution, tel « homme fort » est déclaré dominant, décidant et commandant tout le destin du pays ; une autre fois, c’est tel autre. Parfois c’est le même auteur qui change d’opinion.
D’accord, c’est évidemment utile et appréciable de lire toutes ces tentatives d’explication. Quoique, généralement, ils nous laissent sur notre faim, dans l’ignorance, désorientés, ne sachant que faire. Quelquefois, ce sont les auteurs eux-mêmes qui avouent leur égarement dans ce labyrinthe sans fil d’Ariane.
C’est que les gens au pouvoir, quels qu’ils soient, savent tellement cacher leur jeu, et vous, ne disposant pas des informations nécessaires, restez incapables d’une analyse réellement exhaustive, concrète et opératoire. Ce n’est pas votre faute, nous le savons, et nous apprécions vos tentatives.
Mais, quand vous vous plaignez de l’opacité des gens au pouvoir en Algérie, n’oubliez-vous pas que l’opacité caractérise tout pouvoir hiérarchique, qu’elle est l’un des aspects de sa domination ? Qu’en Algérie, simplement, cette opacité est plus dense, parce que le système est moins démocratique qu’ailleurs ? Que, cependant, ailleurs aussi, l’opacité est de règle, sinon pourquoi l’existence et la répression, par les États dits « démocratiques », des militants du site Wikileaks, et des donneurs d’alerte, tels Edward Snowden ? Sinon pourquoi la concentration des moyens dits d’information (plutôt de manipulation) dans les mains de propriétaires de banques et d’entreprises, pourvoyeurs financiers des élections mettant au pouvoir politique leurs reconnaissants laquais souriants ?
Dès lors, obnubilés par les jeux du « Ciel », du « Sommet », de l’ « Olympe », de « Jupiter » et de la « Cour », impressionnés comme des insectes par leur « lumière » et les scintillements de leurs actes, déclarations et contre-déclarations, vous affirmez que le pays, le peuple ne seront sauvés que par des institutions ou « hommes forts » qui se trouvent… dans l’ « Olympe », autour de « Jupiter », dans sa « Cour » ou autour.
Les « sauveurs » de la nation et du peuple que vous nommez sont tour à tour des officiers de l’armée, en fonction ou en retraite, des « hommes sages » ayant exercé un temps dans la « Cour » puis ont été éjectés ou (très rarement) eurent l’honnêteté de démissionner, des leaders de partis politique d’opposition (réelle ou clonée).
À ces « sauveurs », vous demandez de contribuer à établir la « démocratie », une bonne économie, le « progrès », à rendre le pays « moderne » comme d’autres, pour participer au « concert des nations », à favoriser sciences, techniques, culture, art et littérature.
Chaque auteur d’analyse manifeste ses personnelles opinions (parfois fixations), en négatif (les mauvais, méchants, égoïstes, « traîtres à la nation ») ou positif (les bons, gentils, altruistes, « patriotes sincères »). À longueur de publications, à leur propos, les auteurs de textes écrivent, répètent, décortiquent, divisent les cheveux en quatre, cherchent des poils même sur les têtes chauves.
Ces exercices littéraires durent depuis l’indépendance nationale. Sans résultat autre que ce que tous ces textes n’ont jamais prévu ou pas clairement : quand une partie du peuple, excédée, se révolte, la réponse est soit la carotte (subventions financières) soit le bâton (interdiction de manifestation, emprisonnement, et même mitraillage de citoyens protestataires désarmés).
Et voilà nos analystes s’efforcer, là encore, à supputer, proposer qui, toujours au « Sommet », dans la « Cour », fut responsable de ces forfaitures, et quel fut le rôle de Jupiter.
Bref, en un mot, tous ces textes se résument à ceci : par le « Sommet » et pour le « Sommet ».
Pourtant, l’expérience pratique a enseigné : l’unique fois où, du « sommet », fut tenté un changement au service réel du peuple, après uniquement six mois, les sangsues de ce dernier l’ont fait échouer, et de manière significativement spectaculaire : l’assassinat du président Mohamed Boudiaf, en plein discours télévisé. Est-ce un hasard que seul lui fut éliminé de cette manière, mais aucun autre président ?
Pourquoi donc cette abondance de publications sur Jupiter et la Cour ?… Eh bien, parce que les auteurs de ces textes sont persuadés que tout changement, mauvais ou bon, ne peut venir que du « Ciel », d’en « haut », de l’ « élite » au pouvoir, ou aspirant le conquérir.
Et pourquoi cette conviction ?… Parce que la formation intellectuelle-idéologique de ces auteurs provient essentiellement d’une vision jacobine (pour employer un terme moderne) de la société : Autorité hiérarchique, Centralisation, Minorité pensante et agissante. Prophètes fondateurs de cette conception : Robespierre, Saint-Just, Marat, Marx, Lénine, Trotski. Et, au-delà, auparavant, les légistes chinois, Thomas Hobbes, Machiavel. Et, plus loin encore, les Commandements religieux. Et davantage plus loin : les mythes (babyloniens, phéniciens, égyptiens, grecs, romains, pour ne pas citer ceux chinois et hindou, l’influence de ce dernier étant indirect ou occulté sur les conceptions occidentales et moyennes-orientales).
Religieux et laïcs ont la même vision : tout changement ne peut et ne doit venir que du « haut », respectivement du « Ciel » ou de l’État (ou de son opposition, autre forme de l’Etat).
Avec cette restriction : il existe, cependant, des religieux qui accordent la priorité à l’être humain par rapport à son créateur : ils affirment « Aide-toi, le ciel t’aidera ».
Dans le domaine laïc, une conception meilleure se trouve chez ceux qu’on appelle les libertaires. Contrairement à l’opinion ordinaire, ils ne se limitent pas à Joseph Proudhon, Michel Bakounine, Errico Malatesta et disciples. Nous les trouvons plusieurs siècles avant l’ère chrétienne, à l’ouest (Diogène et Antisthène, les « cyniques ») comme à l’Est (les philosophes Lao Ze, Mo ze, Zhuang zi), ou, au Moyen-Orient, au Moyen-Age (Alhalladj). Quand ce dernier déclarait dans les rues « Ana Allah » (Je suis Dieu) , que disait-il d’autre sinon revendiquer son autonomie et sa libre autogestion spirituelle ? Telle fut la cause de sa condamnation au martyr par les détenteurs du pouvoir, pourtant louangés comme « éclairés ».
Cette conception sociale, privilégiant l’autorité hiérarchique, je l’ai appelée, dès 1981, hétéro-gestion : autrement dit, la gestion forcée des êtres humains par d’autres de leurs semblables. Nous avons affaire, ici, à un intégrisme totalitaire de type laïc ; il a l’illusion idéologique de se croire et de se proclamer « démocratique », autrement dit « pouvoir du PEUPLE ». Alors, qu’en réalité, il s’agit de pouvoir SUR le peuple. Cela se manifeste par sa réduction à des « masses » de manœuvre, instrument d’accès au pouvoir (par la lutte armée ou par les élections), rien d’autre.
Dès lors, la question se pose : tous ces analystes, obsédés par Jupiter, sa Cour et les autres dieux alentour, que connaissent-ils de ce qui suit ?
2. La terre, la « base », la « basse-cour »
Évitons tout malentendu par quelques précisions.
Voici qui nous sommes : le peuple dominé, parce qu’exclu de tout pouvoir sur sa vie ; exploité, parce que vendant, pour acquérir de quoi vivre, ses muscles ou son cerveau, considérés vulgaire marchandise, à des gens qui s’en enrichissent ; aliéné, par manque de moyens matériels et organisationnels d’acquérir les connaissances pour notre émancipation.
Rares, très rares sont les textes qui s’occupent de nous, nous la « canaille », la « racaille », les « ghâchi ».
Oh, bien entendu, nous avons déjà fourni les motifs de cette négligence : pour les auteurs évoqués ci-dessus, leur amour pour nous se limitent à chercher l’Homme Supérieur, le Sur-Homme susceptible de nous « sauver », de nous « concéder, « offrir » le bonheur dont nous avons besoin.
Quant aux auteurs qui montrent un réel et sincère intérêt pour nous, soit ils se limitent à constater avec regret notre « apathie » (autre manière de suggérer le rôle décisif de Jupiter et de la « Cour »), soit de poser la question, enfin, décisive et fondamentale, comme ici :
« (...) l’enjeu politique central est de savoir si les forces populaires (syndicats, associations, mouvements, partis antilibéral…) seront capables de reprendre le flambeau pour résister d’abord à l’offensive de l’oligarchie puis d’amorcer une contre-offensive. Car elles seules, du fait de leur force réelle et potentielle, peuvent réussir là où Tebboune ne pouvait qu’échouer. » (Ramdane Mohand Achour, Libre Algérie, 17 août 2017).
Les partis évoqués ici, nous attendons encore leur venue dans nos zones périphériques délabrées, nos bidonvilles vermoulus et nos dachras ignorées. Nous plaisantons ! Nous savons que ces messieurs-dames ne viennent chez nous, s’ils viennent, que pour obtenir nos votes afin d’accéder au jeu dans la Cour des puissants.
Une fois, nous avons lu une interview d’un dirigeant du Parti qui se qualifie « des Travailleurs ». Il crut montrer l’intérêt que son organisation nous manifeste, en déclarant, en substance : Ils viennent chez nous pour obtenir de l’aide. « Ils », c’est nous, le peuple.
Certainement, ce parti, à sa manière, nous défend. Toutefois, nous nous sommes demandés : plutôt que nous attendre pour aller chez eux, ces militants ne devraient-ils pas, eux, prendre la peine de venir chez nous ? Une autre question nous intéresse : parmi les dirigeants de ce parti, combien sont des travailleurs ? Je dis travailleurs, et non ex-travailleurs. Car nous savons que, généralement, les ex-travailleurs, une fois placés dans les bureaux de partis ou de syndicats, deviennent rapidement des bureaucrates, coupés et opposés aux intérêts de ceux qui restent des travailleurs.
Retournons à l’extrait de l’article cité.
Les syndicats, associations, mouvements qu’il évoque, oui, ça, c’est nous ! Nous entendons, évidemment, non pas ceux « clonés » par les gens de la « Cour », mais ceux créés de manière libre et autonome par des citoyen-nes, et autogérés par eux-elles. Notons, dans l’article ci-dessus, enfin, ce que nous attendons toujours de lire, mais en vain : « les forces populaires (…) elles seules, du fait de leur force réelle et potentielle ».
Voilà donc, un auteur qui nous accordent non seulement de l’importance, mais celle première et décisive. Merci !
Nous avons lu d’autres textes qui nous concèdent ce rôle, mais ils espèrent nous sauver par le retour d’un « Parti d’Avant-Garde ». Non, non ! Ce genre de « Sauveur Suprême » a démontré, dans le monde entier, sa lamentable et tragique faillite. Son retour serait une farce. D’accord, nous sommes peut-être des imbéciles, mais pas au point de répéter une erreur aussi grossière. Même si son Dieu fut Karl Marx, et son Prophète Lénine. (fin partie I)
'Partie II.)
3. « Courroies de transmission »
Écartons un malentendu.
Voici les personnes auxquelles nous ne nous adressons pas, parce qu’elles sont nos ennemis résolues et implacables : toutes celles qui ont la triste (pour nous) fonction d’agir comme garde-chiourmes, gardiens du « Palais », mercenaires de la plume et de la parole, bref contre-maîtres de leurs Maîtres.
Nous savons que certaines de ces personnes sont, notamment, des caméléons : « démocratiques » et « progressistes » en paroles, mais, en réalité, profiteurs du système jupitérien. Nous connaissons votre but inavoué : rafler le fromage, l’argent du fromage et même le corps de la fermière. Vous, vous savez « profiter de tout », pour satisfaire votre adoration intégriste de votre Saint Ego.
Déjà, à l’époque de la « glorieuse » et « progressiste » dictature du complice d’un colonel, puis de celui-ci lui-même, nous avions compris la valeur du fameux « soutien critique ». Durant celui-ci, vous avez su, profitant de la bonne foi de votre « base militante », tirer profit du « moulin » du pouvoir étatique, et du « four » du peuple asservi. La « révolution » et le « peuple » ont été et demeurent pour vous un investissement en terme d’argent et de postes administratifs. Si tel ne fut pas le cas dans votre idéaliste jeunesse, vous l’êtes devenus dans votre « réaliste » âge adulte. Preuve en sont votre carrière « honorable », votre niveau de vie satisfaisant, votre statut social brillant, et l’admiration que vous portent les médias de la caste dominatrice, dont les strapontins vous sont concédés.
Nous constatons combien vous dénoncez l’obscurantisme islamique. Mais cela n’est pas le produit d’un réel sens démocratique, mais uniquement de votre souci de ne pas perdre les miettes que vous a concédé la hiérarchie dominante. Nous, peuple, sommes victime de deux obscurantismes : l’imposture à masque religieux, et votre tromperie à masque laïc.
Les « courroies de transmission » que vous êtes sont notre malédiction. Vous êtes la garantie de l’existence du système jupitérien. Sans vous, il s’écroulerait. C’est donc vous, les premiers responsables.
C’est pourquoi nous aimerions que les auteurs d’articles qui critiquent Jupiter et sa Cour s’intéressent plutôt, d’abord et principalement à vous, les « courroies de transmission » de l’exploitation dominatrice que nous pâtissons. Parce que, nous le répétons, sans vous, pas de Jupiter ni les clans de sa Cour.
4. De la rupture, mais après ?
Nous lisons également, quotidiennement, des pronostics divers sur le moment et les modalités de fin du système dominant. Et chacun va de son analyse.
C’est utile, bien entendu.
Cependant, il nous semble que, dans beaucoup de textes, échappe cette simple banalité : un système social prend fin quand ceux d’en « haut » ne peuvent plus le gérer, et ceux d’en « bas » ne peuvent plus le supporter.
Savoir en quoi, comment et jusqu’où ceux d’en « haut » ne peuvent plus gérer, nous l’avons dit, c’est découvrir un mystère dans une énigme. À ce sujet, les moins scrupuleux avancent des affirmations sans preuves convaincantes ; les plus circonspects avouent leur incapacité.
Le cas n’est pas spécifique à l’Algérie. Pour citer deux exemples, Lénine fut surpris par la chute du tsarisme ; De Gaulle, par le mouvement de mai 1968. Pour revenir à l’Algérie, l’ « élite » algérienne, laïque et religieuse, elle aussi, fut prise au dépourvu par le déclenchement de la lutte armée de libération nationale.
Quant à ceux d’en bas, il ne suffit pas de prévoir quand ils ne supporteront plus, et s’ils le manifesteront de manière pacifique, légale ou violente. Il y a plus important : se soucier du comment ils ne supporteront plus.
Si leur révolte, légale et institutionnelle ou violente, accouche uniquement d’un autre Jupiter et de sa Cour, que gagneront-ils ? Quand, ailleurs, Lénine, Mao Tsé Toung et autres, quand, en Algérie, Ben Bella, Boumediène et autres ont remplacé le système précédent, qu’a gagné le peuple, autre que de changer de maître ?
Oui, certes, quelques « os » (dans les domaines de la santé, de l’instruction, des salaires, etc.) furent concédées aux « masses », mais pas l’essentiel : le pouvoir social, celui de s’auto-gérer. Et quand une partie de ces « masses » pratiquèrent l’autogestion, elle fut, nous l’avons dit, réprimée dans le sang.
Ce qu’il faut donc c’est préparer le peuple à ne pas être réduit, encore une fois, par ses « sauveurs », à une simple « masse » de manœuvre, permettant aux futurs nouveaux maîtres de renverser les anciens, puis de prendre leur place.
Antonio Gramsci disait, je cite de mémoire : Instruisons-nous, car au moment décisif, nous aurons besoin de toutes nos connaissances pour réaliser la révolution.
Cette exigence, je l’ai vécue personnellement. Jeune étudiant, j’ai participé au mouvement de mai 1968. J’y ai constaté combien l’instruction citoyenne était fondamentale, non seulement pour promouvoir le mouvement social, mais lui assurer la victoire. Nous étions arrivés jusqu’à une grève générale nationale de plus de dix millions de travailleurs, et à voir le président-général De Gaulle abandonner le palais de l’Élisée, pour se réfugier auprès du chef de l’armée française, stationnée en Allemagne, le général Massu, de sinistre mémoire en Algérie.
Malheureusement, notre formation intellectuelle se révéla insuffisante pour changer de système social. Bien entendu, la défaite s’explique par d’autres facteurs. Mais notre manque de préparation théorique adéquate en fut un.
De même, si le peuple disposait de formation théorique suffisante, pour agir de manière conséquente, le parti bolchévik n’aurait jamais accaparé le pouvoir, en Russie ; les soviets auraient triomphé. En Algérie, aussi, la guerre de libération nationale n’aurait jamais accouché de la dictature, mais aurait généralisé l’autogestion sociale.
C’est dire combien l’éducation, l’instruction citoyenne, la formation intellectuelle sont l’exigence première et fondamentale pour se préparer à affronter la rupture sociale, la faillite de tout système jupitérien. C’est, nous semble-t-il, ce que l’histoire enseigne. Afin que le peuple ne soit pas réduit, encore une fois, à n’être qu’un instrument manipulé, pour se retrouver soumis à un système différend, mais toujours un pouvoir hétéro-gestionnaire.
Nous sommes conscients que la tâche est difficile. D’une part, sur elle pèsent plus de trois millénaires d’autoritarisme hiérarchique, clérical et laïc, partout sur la planète. D’autre part, son adversaire, sournois et retors, manifeste la plus grande cruauté, bien décrite par un de ses membres, Machiavel : l’État, quelque que soit sa forme, ouvertement despotique (« Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ») ou hypocritement « démocratique » (« Il suffit de leur laisser croire que leur vote est libre, l’important est qu’ils nous élisent »).
Mais nous savons, également, autre chose. Que l’analphabète esclave Spartacus avait réussi, grâce à sa formation de gladiateur mais, surtout, à son intelligence, à former une armée d’ex-esclaves, que celle-ci a tenu tête et même fait trembler le pouvoir romain pendant plusieurs années, qu’elle gagna beaucoup de batailles contre des soldats dirigés par des généraux. Et que, à la fin, la révolte la plus importante de l’Occident antique fut vaincue uniquement par la traîtrise, la ruse et la corruption de marchands.
Nous savons, aussi, que les expériences d’autogestion les plus importantes, celle des soviets russes et ukrainiens et celles des collectivités espagnoles, sans oublier la nôtre algérienne, avaient donné des résultats appréciables ; seule notre manque de formation a permis à nos adversaires de nous vaincre.
5. Que (re)vive l’autogestion sociale !
Retournons à l’article cité plus haut. Nous aurions voulu y lire des propositions d’organisation des forces populaires évoquées.
Ce que nous attendons de tous-tes ceux-celles qui nous aiment, nous le peuple, ce sont des propositions concrètes, pratiques pour jouer pleinement notre rôle.
Une chose curieuse : de tous les textes qui font l’éloge de notre histoire récente (guerre de libération, ensuite indépendance nationale), rares sont ceux qui évoquent l’événement qui, pour nous, fut le plus important, le plus sinon le seul révolutionnaire.
D’abord, entendons-nous sur cet adjectif. C’est un processus social qui change la base, la racine d’un système social. Or, quelle est cette base, cette racine ?… Ce n’est pas le colonialisme ni l’impérialisme, c’est l’exploitation de l’homme par son semblable, par l’intermédiaire de sa domination.
Or, la guerre a libéré le pays du colonialisme, mais pas de l’exploitation-domination du peuple par une caste minoritaire. Donc la guerre de libération a abouti à une réforme (substitution d’une caste dominatrice-exploiteuse étrangère par une autre, indigène) et non à une révolution.
Où donc fut l’aspect authentiquement révolutionnaire en Algérie ?… Dans un événement qui ne vint pas d’un Jupiter ni de membres de sa Cour ou de son arrière-cour. Cet événement fut l’initiative de nous, les « ignorants », les « analphabètes » : ce fut l’autogestion des entreprises et des champs.
Oui ! Uniquement cet événement fut une authentique révolution : parce que cette autogestion fut notre action libre et autonome, gérée par nous de manière également libre et autonome, parce que, durant cette période, fut éliminée l’exploitation et la domination de l’homme par son semblable, parce que cette maudite et vénéneuse racine et base de société fut éliminée.
Malheureusement, cette bénéfique autogestion fut écrasée par ceux-là même qui se proclamèrent « révolutionnaires ». Ô, hypocrisie ! Il est vrai que ces Tartuffe avaient l’illusion idéologique d’être nos « sauveurs », cette maudite et malfaisante croyance de réaliser le bonheur du peuple à son détriment, contre sa propre volonté et ses spécifiques désirs ! Pour établir une nouvelle caste dominatrice-exploiteuse, dite « populaire », « républicaine », « socialiste », « communiste », etc.
Hélas !, nous en sommes encore là, aujourd’hui. À l’exception de l’époque où notre autogestion exista, qui donc, par la suite, a encore parlé de notre autogestion, de notre capacité réelle et effective de prendre nous-mêmes notre destin en mains ? Et que cette magnifique expérience prit fin uniquement par la répression du Jupiter et la Cour alors dominant le ciel de l’État ?
N’est-il pas significatif que cette idée d’autogestion a été et demeure totalement ignorée, occultée des textes qui cherchent des solutions aux diverses « crises » successives survenues en Algérie, comme ailleurs dans le monde ?
Et, pourtant, ces textes, répétons-le, se disent, - et il n’y pas motif d’en douter -, « démocratiques ». Dès lors, en eux, où sont l’affirmation et les propositions de pouvoir effectivement du peuple ?
Par suite, une question se pose : pourquoi, aux efforts divers, multiples, continus, répétés de chercher et de proposer des solutions provenant uniquement de Jupiter et de la Cour, ne trouve-t-on pas les mêmes efforts concernant nous, le peuple ? Pourquoi cet oubli de l’autogestion ?
Il est vrai que cette conception fut, historiquement dans le monde, minoritaire. Et chaque fois qu’elle exista, elle fut réprimée dans le sang.
Mais il est également vrai que, dans le monde, cette conception n’est pas morte, que de temps en temps, elle réapparaît dans la pratique sociale, non seulement dans les pays développés, mais également dans des contrées non développés et en guerre.
Cependant, encore hélas !, dans le monde comme en Algérie, la conception jacobine demeure majoritaire. L’un des motifs de cette situation est le fait que les « élites » intellectuelles demeurent tributaires de cette même conception. Et si elles le sont, c’est parce qu’elles en profitent par les privilèges recueillis.
Mais, pourrait-on demander, où trouver des ouvrages parlant d’autogestion, d’expériences ayant eu lieu, contenant des analyses des succès et des erreurs, proposant des solutions ?… Rien de plus simple : chercher sur internet. Il est plein d’ouvrages et d’informations gratuites.
Publié sur Le Matin d’Algérie, 02 Sep 2017 et 04 Sep 2017.