Résultat pour “autogestion”

Publié le 14 Décembre 2017

Que sont l’indépendance et la liberté  sans la solidarité ?

Commentant une de mes contributions précédentes (Lettre ouverte aux Trop-tardistes, http://www.lematindz.net/news/24222-lettre-ouverte-aux-trop-tardistes.html), un lecteur, signant Zwen, écrit « pour que la Kabylie accède à son indépendance », et conclut : “tu comprends combien c'est sacré pour nous l’indépendance et la liberté ? »

Étant né durant la criminelle époque coloniale, et ayant grandi pendant celle non moins criminelle de la dictature, il me semble comprendre ce que sont l’indépendance et la liberté. Pas seulement pour moi, mais pour tout être humain sur terre. Même les fauves, à constater leur comportement instinctif, aiment l’indépendance et la liberté.

Cependant, qu’est-ce que la liberté sans la solidarité ?…

La première ne serait-elle pas, alors, uniquement la voie ouverte aux plus rusés, plus puissants, plus riches, plus méchants de dominer et d’exploiter les plus honnêtes, les plus faibles, les plus pauvres, les plus gentils ?

Venons au cas de la Kabylie, comme de n’importe quelle région d’Algérie ou d’un autre pays. Quelque soit la spécificité d’une région, le raisonnement me parait identique dans l’essentiel.

D’abord, supposons que cette région est riche en matières premières, en force de travail, en capital financier et en capital intellectuel. Bref, que cette région possède tous les atouts pour vivre de manière indépendante et libre.

Dans ce cas, cette indépendance n’est-elle pas synonyme d’égoïsme, parce qu’elle ignore les régions voisines, moins dotées ?

Et la liberté qui y régnera, en absence de solidarité, ne serait-elle pas uniquement la liberté du fort d’exploiter et de dominer le faible ?

En réalité, si une région est pauvre en matières premières et en capital financier, où la mènerait l’indépendance ?… Elle n’a pas d’autre solution que de se soumettre à une puissance assez riche pour, sous prétexte de l’ « aider » à se développer, l’exploite et la domine pour en tirer le profit possible, selon la règle capitaliste : « Presser le citron jusqu’à en tirer le maximum de jus ». Ne sommes-nous pas dans un monde, capitaliste, où « aider » consiste uniquement à exploiter et dominer d’une autre manière ?… Les cas de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, ainsi que l’ « aide » des pays riches envers les nations pauvres, ne suffisent-ils pas à le comprendre ?

De ce qui vient d’être dit, ne faut-il pas avoir la sagesse et le réalisme de comprendre que l’indépendance et la liberté, certes, sont des exigences précieuses. Mais si on possède suffisamment de sens de l’équité, il faut savoir dans quelles conditions cette indépendance et cette liberté sont opératoires. Autrement, on est, en cas de bonne foi, dans la démagogie et l’irresponsabilité face au peuple, en l’occurrence kabyle, sinon, en cas de mauvaise foi, dans la complicité avec un futur agent étranger, prétendant fournir son « aide » (par exemple, États-Unis, Europe, Israël, Arabie saoudite, Émirats arabes).

Raisonnons sérieusement et honnêtement, en ayant en vue non pas les castes « élitaires », quelque soit leur spécificité « ethnique », mais le peuple laborieux, celui contraint à vendre sa force de travail à des patrons qui en tirent profit et richesse, ou à cette autre partie du peuple, les chômeurs.

Dans ce cas précis, que gagnerait le peuple laborieux de Kabylie à être indépendant ?…

Si la région est suffisamment riche en matières premières, en capital financier et en capital intellectuel, cette indépendance est, je l’ai dit, égoïsme envers les autres régions.

Si, au contraire, cette région aspirant à l’indépendance est pauvre dans les domaines mentionnés ci-dessus, elle tombera certainement sous la domination-exploitation d’une autre région ou pays. Et que serait ce dernier sinon capitaliste impérialiste ?… Qui aurait la naïveté de croire qu’une région, la Kabylie dans ce cas, serait « aidée » sans une contre-partie qui s’appelle domination-exploitation étrangère ?

On objectera : «Mais la Kabylie est, déjà, victime de la domination de l’État central, agissant envers elle comme un agent étranger, dominateur-exploiteur. » Soit. Toutefois, d’autres régions du pays, également, subissent la domination de l’État central.

Dès lors, comme pour toute autre région, la solution valable pour la Kabylie, - je répète que j’entends par là le peuple laborieux kabyle, et non les castes qui y existent -, ne réside-t-elle pas dans une autonomie lui accordant l’auto-gestion de son territoire, tout en créant une solidarité entre les diverses régions du pays, elles, aussi, disposant d’une autonomie d’autogestion ?

N’est-ce pas ainsi que l’indépendance et la liberté se conjugueront et compléteront par l’indispensable solidarité ?… Autrement, ne tomberons-nous pas dans l’horrible jungle où domine le plus fort et le plus méchant au détriment du faible et du pacifique ?

Rappelons l’exemple que tout le monde connaît sinon devrait connaître. La lutte armée de libération nationale a été conduite à la victoire par l’intermédiaire de wilayas disposant de leur autonomie d’action. Et ce fut un groupe de personnes (représenté par le colonel Boumediène et Ben Bella) qui, vers la fin, écrasa militairement les combattants des wilayas qui s’opposaient à la création d’un État centralisé autocrate.

Actuellement, nous en sommes à cette situation. Par conséquent, l’action réellement bénéfique au peuple algérien, celui laborieux ou chômeur, quelque soit la région où il vit, n’est-elle pas dans le rétablissement de cette autonomie des régions, autonomie solidaire, je le souligne, qui permettra finalement aux diverses composantes du peuple de vivre en harmonie, dans le respect réciproque ? A savoir unité dans la diversité, liberté dans la solidarité.

On pourrait objecter : « Quand nous, Kabyles, nous combattions pour nos droits, en étant réprimés et massacrés par les institutions de l’État, nos compatriotes des autres régions sont restés indifférents sinon ont montré de l’hostilité contre nos actions émancipatrices. Alors, pourquoi, à présent, leur manifester de la solidarité et croire à une union avec eux ? »

Si le reste des citoyens a eu, en effet, ces comportements déplorables, ne faut-il pas comprendre que leur réaction était due uniquement à leur conditionnement idéologique par ceux qui les dominaient ? Que, par conséquent, , à présent, il est nécessaire de leur manifester une solidarité, laquelle est l’unique manière de leur faire prendre conscience de leur aliénation passée, d’une part, et, d’autre part, de la nécessité d’une action unie de tous les asservis contre leurs dominateurs communs, quelque soit la région (ou l’ « ethnie ») considérée ?

Que l’on médite sur un cas significatif.

Le peuple vietnamien a affronté des décennies de lutte, successivement contre l’envahisseur colonial français puis états-unien, avec ce mot d’ordre précis : « Rien n’est plus précieux que l’indépendance et la liberté ».

Une fois vaincus tour à tour l’armée d’agression coloniale française, puis impérialiste états-unienne, par la suite le peuple fut soumis à une domination-exploitation telle, par une caste nouvelle, que le principal artisan de la victoire militaire, le général Vo Nguyen Giap lui-même, s’est élevé contre cette injustice, en vain. Et, par la suite, à quel pays le Viet Nam indépendant demande de l’ « aide » ?… aux États-Unis ! Dans les deux pays, dominent les adorateurs du dieu Dollar, au détriment de ceux qui en sont démunis.

Leçon à tirer : quand on parle d’indépendance et de liberté, il faut absolument veiller à ce que celles-ci ne servent pas à l’instauration d’une nouvelle caste autochtone, à son tour dominant et exploitant le peuple.

Comment l’éviter ?… L’histoire mondiale montre une seule solution : la solidarité du peuple laborieux, toutes composantes unies, au-delà de leurs diversités ethniques ou autres.

Concluons. Indépendance et liberté signifient autogestion ; et celle-ci est efficace uniquement quand elle s’exerce de manière solidaire. Encore une fois, l’histoire l’enseigne, depuis toujours et partout dans le monde.

Retournons au lecteur Zwen. Je comprends très bien ses constatations :

« Moi personnellement (...) , la seule option que j'ai trouvé depuis que j'ai compris l'usage du mépris, de la dictature, du racisme du dénie, en Algérie envers les Kabyles. je ne me vois plus, Algérien à part entière. je me sens étranger un sous citoyen dans mon propre pays. je ne suis pas fataliste, je suis ami avec plusieurs personnes des autres régions d’Algérie. »

Posons la question : « l'usage du mépris, de la dictature, du racisme, du déni, en Algérie » existent-ils uniquement envers les Kabyles ?… Et les travailleurs manuels, les employés subalternes, ajoutons aussi les femmes, de tout le pays, sans distinction de région, sont-ils mieux traités ?

Deuxième question : les mal-traitements dont parle Zwen visent-ils les Kabyles en tant que tels, ou, plutôt, en tant que citoyens du bas de l’échelle sociale ?… En effet, n’y a-t-il pas des Kabyles au sein de l’État et de ses institutions, sans souffrir de mal-traitements ?

Dès lors, les Kabyles sont-ils victimes de ségrégation parce que Kabyles, ou, plus exactement, parce que appartenant au peuple laborieux ou chômeur, tout comme dans les autres régions du pays ?

Zwen se sent-il « sous-citoyen » parce que Kabyle ou, plus exactement et d’abord, parce que ne faisant pas partie de la caste dominante en Kabylie ?

Les ségrégations sociales, basées apparemment sur l’ethnie (ou la religion), sont, en réalité produites par la condition socio-économique du sujet. Si Zwen était un patron disposant d’un gros capital, lui permettant d’exploiter des centaines de travailleurs, ou s’il était un notable bénéficiant d’appréciables privilèges dans le pays, ne se sentirait-il pas « Algérien » à part entière, bien que kabyle ?… N’est-il pas, comme il dit, « étranger un sous citoyen dans mon propre pays » précisément parce qu’il fait partie de ce peuple exclu de la gestion des richesses naturelles du pays ? Est-ce que l’habitant d’une autre région d’Algérie ne se sent pas dans la même situation, bien que n’étant pas kabyle ?

Dès lors, qu’est-ce qui donnera au peuple kabyle, qui se considère « étranger dans son propre pays », la pleine et libre citoyenneté ?… L’indépendance et la liberté de la région kabyle, ou, au contraire, la liberté solidaire entre tous les citoyens algériens qui se sentent « sous-citoyens dans leur propre pays » ?

Par conséquent, cher Zwen, fais attention à ne pas vouloir sortir d’une domination pour te retrouver dans une autre, plus autochtone mais identique. Veilles à ne pas être manipulé à ton insu. Demandes-toi où sont les authentiques indépendance et liberté. Pour le savoir, apprends ce que l’histoire de l’humanité nous enseigne. Et saches qu’il y a, en Algérie, des travailleurs conscients de leur nécessaire solidarité, quelque soit leur région de résidence (voir article http://www.elwatan.com//une/demonstration-de-force-des-syndicats-autonomes-02-05-2017-344326_108.php)

Publié sur Le Matin d’Algérie, 04 Mai 2017.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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Publié le 10 Juillet 2019

Le dilemme de l’intifadha populaire

Dans mes écrits précédents, avant et pendant la présente intifadha populaire surgie le 22 février 2019, je soulignais l’importance stratégique de l’auto-organisation et de l’élection, sous mandat impératif, de représentants pour défendre les exigences légitimes populaires devant les détenteurs du pouvoir étatique. Après quatorze vendredis de manifestations publiques, je ne parvenais pas à comprendre la carence fatale de cette auto-organisation.

Peurs.

Des contacts et conversations avec des participants au mouvement populaire m’ont fourni un premier éclaircissement. Le voici, présenté en substance.

- Nous avons, m’a-t-on déclaré, une expérience extrêmement négative des organisations et des représentants, pour le motif suivant. Les organisations ont toujours été rapidement infiltrées par des éléments de la police politique, et les représentants qu’on avait choisis étaient assez facilement achetés par les gens du pouvoir. Dès lors, nous avons peur de commettre les mêmes erreurs.

- D’accord, je comprends très bien votre crainte. M ais, je suis également très conscient de ce que toutes les expériences de rupture sociale enseignent : sans auto-organisation et représentants adéquats, aucun mouvement populaire ne peut passer de la phase négative, - à savoir contester l’oligarchie dominante en place -, à la phase constructive d’un nouveau système social, correspondant aux exigences légitimes du peuple.

- Oui, admettent mes interlocuteurs, nous comprenons la nécessité de l’auto-organisation, néanmoins, nous avons peur de tomber dans le piège auparavant évoqué.

- Mais, concernant le problème de la récupération de vos représentants par l’oligarchie dominante, le mandat impératif est une très bonne garantie pour maintenir vos représentants dans le respect de leur mission. En effet, le mandat impératif a ces caractéristiques : vos représentants seront chargés uniquement de formuler aux gens du pouvoir vos exigences, puis de vous rapporter les réponses fournies, rien d’autre. Si, par hasard, vous constaterez que vos représentants ne remplissent pas convenablement leur mission, d’une manière ou d’une autre, volontairement ou non, eh bien, vous n’avez qu’à les changer.

- D’accord ! Mais comment éviter l’infiltration de notre auto-organisation par des éléments introduits par l’oligarchie dominante ?

- C’est vrai que c’est là un sérieux problème.… L’infiltration est une méthode normale de la guerre sociale que livre toute oligarchie aux organisations populaires.

- Comment l’éviter, alors ?

- Par la définition claire de vos objectifs, avec vote majoritaire. Une fois ces objectifs décidés, toute tentative de déviation, visiblement au service de l’oligarchie, vous permettra de démasquer son promoteur comme un agent infiltré.

- Cela exige le maximum de conscience et de vigilance de notre part.

- Exactement !

- Voilà le problème : nous manquons terriblement de formation politique, donc de conscience et de vigilance citoyennes. Même les syndicats autonomes de travailleurs rencontrent des difficultés : pas seulement la lutte entre chefs, dévorés les uns les autres par le « zaimisme », à savoir vouloir être le chef incontesté, de mentalité hiérarchique autoritaire, mais l’autre problème est l’infiltration par des agents de l’oligarchie, qui sèment la confusion, le doute et le désespoir parmi les membres du syndicat autonome. Pour affronter et éliminer ces risques certains, seule la formation et la conscience politiques les plus aiguës peuvent servir. Malheureusement, nous en manquons terriblement.

- Comment expliquer cette situation ?

- Durant ces vingt dernières années de boutéflikisme, tout a été fait pour annihiler la conscience sociale et politique, et le moyen le plus performant a été l’argent ! Celui du pétrole et du gaz. Avec l’argent, toutes les consciences ont été achetées, corrompues, asservies, celle des soit disant « élites » comme celle du peuple, les juteux salaires et privilèges pour les « élites », et les subventions sociales pour le peuple. Sans parler de l’obscurantisme religieux. Qui donc a multiplié la construction de mosquées ? L’État et les affairistes privés, dans les deux cas de manière mafieuse !… N’oublions pas, pour la toute petite minorité qui ne s’est pas vendue, par respect de sa propre dignité, la peur !… La peur de la répression, de perdre son travail, d’être emprisonné sous fausse accusation, de risquer de mourir dans une prison par manque de soins.

- Qu’en est-il, alors, de cette peur ?

- Elle n’a pas tout-à-fait disparu. Oui, il y a les manifestations de rues. Mais vas dans les quartiers, parles avec les gens de ce qu’ils pensent des événements, de la nécessité de faire dégager toute la issaba [oligarchie] qui est restée, après la démission honteuse de Bouteflika, et tu constateras que la peur est encore là d’avoir des ennuis en exprimant son opinion sur cette issaba encore en place. À ce sujet, j’ajoute ceci : il est possible que ceux qui pourraient être nos représentants n’ont pas suffisamment confiance dans les autorités étatiques pour se montrer et agir, de peur qu’il leur arrive quelque chose de trop regrettable.

- Il reste, alors, d’une part, à récupérer le temps perdu en ce qui concerne la conscientisation sociale et politique, et, d’autre part, d’arriver au courage et à la sécurité d’élire des représentants malgré le risque dont tu parles.

- Ah ! Le temps et la sécurité !… Comment réaliser en quelques jours ce qui a été détruit durant des décennies, depuis l’indépendance nationale ?

- Eh bien, il n’y pas de choix : il faut commencer le plus vite possible. Par exemple, en dehors des manifestations populaires du vendredi, à auto-organiser des forums de discussion. Ils commencent à apparaître. Mais pas seulement en un seule point de la ville, par exemple au centre, mais dans tous les quartiers, systématiquement. Là est la véritable force du mouvement populaire. Car il est plutôt facile de neutraliser un forum unique dans le centre-ville, mais beaucoup plus difficile de neutraliser des dizaines, éparpillés dans le plus de quartiers possible.

- Nous sommes conscients, ou, plutôt, nous commençons à prendre conscience de cette nécessité, mais nous ne sommes pas assez nombreux pour réaliser un tel projet, qui est, évidemment, indispensable.

- À propos de nombre, combien sont les membres de ce qu’on appelle l’ « élite » qui sont avec vous, sur le terrain, combien de militants de partis politiques, d’universitaires, d’étudiants, d’intellectuels ?

- Oh, hélas ! Pas bezzaf ! Pas bezzaf ! Trop peu !

Hypothèse explicative.

Voilà où en est le magnifique soulèvement populaire en Algérie, surgie voici quatorze vendredis. Et là est le dilemme : être ou ne pas être un mouvement populaire, autrement dit un mouvement capable, après avoir manifesté publiquement et magnifiquement sa présence dans les rues, capable de s’auto-organiser comme institution de contre-pouvoir afin de devenir le pouvoir authentique du peuple démocratique. Même le chef d’État-major a exprimé le souhait de voir le mouvement populaire se doter de représentants pour dialoguer avec eux (1).

Alors ?… Alors, peut-être que l’explication de cette carence, au-delà des motifs évoqués plus haut, réside plus profondément : dans le manque historique de capacité auto-organisatrice du peuple et de ses « élites ».

À l’exception de la période d’autogestion, surgie juste après l’indépendance, et l’expérience des comités de village durant le mouvement citoyen de 2001, le peuple algérien n’a connu que : 1) le zaimisme, à commencer par Messali Hadj, jusqu’à aujourd’hui ; 2) le caporalisme, tant celui du pouvoir étatique que d’un parti majoritaire de l’opposition passée : le PAGS ; 3) une « élite » politico-intellectuelle qui n’a jamais cru aux possibilités créatrices auto-organisationnelles du peuple. Aujourd’hui encore, après quatorze vendredis de manifestations populaires, extrêmement rares sont les voix qui appellent et/ou contribuent à l’auto-organisation du peuple ; la majorité des voix dites « autorisées » et « éminentes », s’auto-proclament les « sauveurs » de ce peuple, tout en lui dressant, verbalement, les plus beaux lauriers, à l’exception, bien entendu, du meilleur des lauriers : celui d’être capable de s’auto-organiser.

C’est à contribuer à cette capacité que se reconnaissent les amis et amies vraiment sincères du peuple (2), car le problème fondamental est celui non pas de se servir du peuple, pour faire carrière, mais de servir le peuple pour construire une société libre, égalitaire et solidaire, caractéristiques de la meilleure des démocraties (3).

Il reste donc à contribuer au surgissement de cette conscience citoyenne, levier stratégique pour permettre au mouvement populaire de passer de la phase contestataire à celle auto-institutionnelle.

Ceci étant dit, tout mouvement populaire dans le monde, de tout temps, a toujours souffert de carence en matière d’auto-organisation et de solidarité des « élites » politiques et intellectuelles, même dans le cas le plus exemplaire, celui espagnol (3). En 1936, lors du surgissement des « colectividad » (collectivités, équivalents à des comités d’autogestion), l’esprit auto-organisationnel y avait une histoire riche, plus que séculaire, commencée déjà dans les années 1860, grâce à l’influence d’un homme de réflexion théorique et d’action sur le terrain, nommé Michel Bakounine. Ce qu’il appelait « anarchie », rappelons-le, c’était, en fait, la destruction de ce qui était le désordre social le plus barbare, pour instituer le seul authentique ordre social, celui du règne de la liberté, de l’égalité et de la solidarité humaines.

_____

(1) Dans une contribution suivante, ce problème sera exposé au vu d’une récente déclaration.

(2) Voir http://kadour-naimi.over-blog.com/preview/37130cfcfcbd9b559baa8fe1b071ff3a1e0a21dd

(3) Une prochaine contribution examinera le thème de la démocratie.

(3) Voir http://kadour-naimi.over-blog.com/search/comment%20une%20r%C3%A9volution%20devrait%20%C3%AAtre%20faite/

 

Publié sur Algérie Patriotique, le 01 juin 2019, et sur Le Matin d'Algérie, le 28 mai 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 29 Août 2019

6ème mois des manifestations populaires hebdomadaires en Algérie, aout 2019.

6ème mois des manifestations populaires hebdomadaires en Algérie, aout 2019.

Cohérence.

Partout et toujours, également en Algérie, chaque fois que le peuple bouge et présente ses revendications, on constate les déclarations d’intellectuels de tout bord, de toute idéologie. Celle-ci est généralement camouflée, enrobée dans des mots flatteurs pour le lecteur ou l’auditeur. La majorité de ces intellectuels ont deux caractéristiques : d’une part, ils proclament avec leurs plus belles paroles et leur meilleure maîtrise de la sophistique qu’elles aiment le peuple, le respectent, lui veulent tout le bonheur possible ; d’autre part, ces mêmes intellectuels s’arrogent le droit d’affirmer la recette, l’unique, pour réaliser ce bonheur du peuple. Pour les uns, cette recette est une interprétation tout personnelle d’une religion (ou d’une morale, par exemple confucéenne ou shintoïste) ; pour d’autres c’est le capitalisme, bien entendu non « sauvage » (qui se permettrait de faire l’éloge de la barbarie ?), mais « social-démocrate » (ah, le joli mot : « social », triste relique du beau mot « socialisme », si vilement exploité par les oligarchies d’inspiration marxiste-léniniste).

Mais, qui donne le droit à des intellectuels de décider que ce qui convient au peuple, c’est ce qui semble convenir à ces intellectuels ?… Certes, ils ont le droit de proclamer ce qui leur convient, mais pourquoi l’alléguer automatiquement comme convenant au peuple ?

On peut deviner le motif de cette procédure : ces intellectuels se croient dépositaires de la Recette-Miracle, parce qu’ils possèdent un diplôme et un emploi universitaires, que, d’ailleurs, ils brandissent toujours comme faire-valoir. Ce qui implique, - bien que rarement déclaré -, que le peuple est trop ignorant pour savoir ce qui lui convient, puisqu’il ne peut pas arborer les mêmes distinctions académiques.

Pourtant, le peuple a un dicton : « Être instruit n’est pas forcément être intelligent ». En effet, le peuple sait, par expérience, que les privilèges matériels aveuglent généralement l’intelligence, celle scientifiquement objective et éthiquement honnête.

 

Cas algérien.

Prenons le cas algérien actuel. À tous ceux qui déclarent ou écrivent que le modèle capitaliste, atténué sous forme social-démocrate, est la solution pour l’Algérie, tout en évoquant la légitimité de l’intifadha populaire actuelle, ne comprennent-ils pas leur contradiction ? Ne voient-ils pas que leur allégation ne tient pas compte de l’avis de ce peuple qui, pourtant, occupe les rues hebdomadairement depuis six mois ?… Ne doivent-ils pas avoir la modestie de demander à ce peuple ce qu’il considère, lui, la meilleure solution pour le pays, donc pour lui ?… Est-ce le travailleur qui doit se conformer à la conception de l’économiste, le citoyen à celle du politicien, la « base » au « sommet » ou, au contraire, l’économiste qui doit se conformer aux nécessités du travailleur, le politicien à celles du citoyen, le « sommet » à la « base » ?… Par conséquent, en quoi l’intellectuel est-il légitimé à affirmer la nécessité d’un capitalisme, même le plus « social », sans préalablement vérifier que le peuple partage ce choix ? Un enfant le dira à sa manière : ne parlez pas en mon nom sans me demander mon avis, ou, alors, vous êtes des imposteurs.

Alors, intellectuels, encore un effort, non pas pour être réellement en faveur du peuple (je n’ose pas dire : à son service), mais, au moins, pour être cohérents du point de vue où vous vous croyez maîtres, celui intellectuel. En affirmant votre préférence (adoration) pour un système capitaliste, n’ajoutez pas que c’est la meilleure solution pour le peuple, mais contentez-vous de la vérité : que ce système capitaliste est celui qui répond à vos intérêts de caste. Autrement, si vous en êtes capables, montrez, - non seulement en paroles mais en actes -, ce que sont, pour vous, l’amour de l’humanité et d’abord de sa partie opprimée, l’humilité de l’authentique intellectuel, et la grandeur de l’authentique être humain. Car, on sait que l’obsession des privilèges vient de la sécheresse du cœur, et que cette calamité infirme l’intelligence de l’esprit, dès lors tout « raisonnement » n’est que verbiage sophiste trompeur.

 

Perspective historique.

Ceci étant dit, la majorité des intellectuels, de par leur position économico-sociale élitiste de caste, ne sont pas et ne peuvent pas accorder au peuple de l’intelligence, même quand ils osent le qualifient de « génial ». Génial ou stupide, le peuple, il faut choisir. Encore une contradiction !

Alors pourquoi parler de ces intellectuels ?… Pour en démasquer l’imposture de caste, celle consistant à vouloir le beurre (se présenter comme amis et soucieux du peuple) et l’argent du beurre (celle d’ignorer ce peuple quand il s’agit de parler d’un modèle socio-économique). En effet, le capitalisme « social », la « social-démocratie », certes, sont moins sauvages que le capitalisme sans foi ni loi ; mais, est-ce là ce qui est, réellement, meilleur pour un peuple ?… Pendant des siècles, la caste intellectuelle, à une infime minorité d’entre eux (l’exception confirmant la règle) a déclaré le système esclavagiste « naturel » ; même les sommités de l’époque, Aristote et Platon, l’ont affirmé. Qu’on lise leurs écrits à ce sujet, et l’on éclatera de rire au ridicule de leurs « raisonnements » pour justifier l’esclavagisme. Il en est de même du système féodal. Qu’on lise les écrits des sommités intellectuelles d’alors (en Occident, un Machiavel, un Saint Thomas ou un Saint Augustin ; en Extrême-Orient, un Confucius). On rira de même du ridicule des « raisonnements » justifiant l’existence de seigneurs et de serfs.

À l’inverse, qu’on lise, durant l’époque esclavagiste, les très rares penseurs qui ont critiqué sinon dénoncé ce système social, tels Diogène de Synope en Occident, puis, durant l’époque féodal, Étienne de la Boétie en Occident, et un Zhuang Ze en Chine. On y trouvera la défense et l’illustration de la capacité des humains à gérer eux-mêmes leur propre existence, de manière libre, égalitaire et solidaire ; donc on découvrira la première idée de l’autogestion sociale collective généralisée. Est-ce un hasard que ces auteurs soient tellement peu connus, quand pas occultés ?

Alors, ayant en vue cette perspective historique de long terme, qu’on lise les « sommités » intellectuelles actuelles concernant le capitalisme, qu’il soit sauvage, « libéral », « social-démocrate » ou toute autre étiquette. Si l’on n’est pas aveuglé par des privilèges personnels, si l’on dispose d’un raisonnement objectif, si l’on est donc capable d’ « appeler un chat, un chat, et un fripon, un fripon », on rira également aux « raisonnements » ridicules qui justifient le capitalisme, quelque soit sa forme. Mais ces intellectuels majoritaires profitent de l’idéologie actuellement dominante. Doit-on, pour cela, les considérer plus pertinents, moins ridicules, moins oligarchiques que les sommités qui les ont précédés dans les systèmes respectivement esclavagiste puis féodal ?… Et doit-on s’étonner que la thématique auto-gestionnaire soit systématiquement occultée, aussi bien comme théorie que comme expériences ayant existé, en Algérie comme dans le monde (1) ?

 

Questions.

Enfin, quand un intellectuel « raisonne » et propose un modèle économico-social, ne faut-il pas lui poser ces questions : le peuple, dont tu prétends faire le bonheur, as-tu pris l’élémentaire précaution méthodologique de demander son avis ? Sinon, ne devrais-tu pas avoir l’honnêteté de te limiter à parler uniquement en ton nom personnel (celui de ta caste), sans te masquer derrière l’invocation du peuple ? Car tu ne trompes point les personnes éclairées, sinon par l’instruction du moins par l’expérience de l’humiliation : ton refus d’accorder de l’importance, - la première, et avant la tienne -, à la voix populaire, c’est ton refus de caste à comprendre ce peuple, c’est ton abdication intellectuelle à l’intelligence de ce qu’est la valeur du peuple, quelques soient ses carences. Aussi bas qu’il tombe, il ne l’est pas au niveau de mercenaire, de menteur, de profiteur, d’imposteur. Aussi peu instruit qu’est le peuple, aussi conditionné par ses dominateurs qu’il peut l’être, le peuple sait, d’une manière ou d’une autre, parce son existence d’opprimé le lui enseigne, ce que contiennent et représentent des expressions comme exploitation économique, domination politique, ainsi que des mots comme liberté, égalité, solidarité. En Algérie, mieux qu’auparavant depuis le 22 février 2019, le peuple ne le démontre-t-il pas, à sa manière ?… Il lui reste à s’auto-organiser pour se doter de ses propres institutions représentatives et de ses propres mandataires, révocables à tout moment, ne bénéficiant d’aucun privilège sinon celui de servir le peuple, dans le sens le plus noble du terme ; ainsi, ces mandataires se servent également eux-mêmes, car la liberté de l’intellectuel est la plus authentique là où l’est aussi celle du peuple.

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(1) Pour l’Algérie, voir https://editionsasymetrie.org/autogestion/. Pour la Russie : Voline « La révolution inconnue », pour l’Espagne : « L’Espagne libertaire 1936-1939 », respectivement disponibles in http://kropot.free.fr/Voline-revinco.htm et http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fwww.somnisllibertaris.com%2Flibro%2Fespagnelibertaire%2Findex05.htm

 

Publié sur Algérie Patriotique, le 24 août 2019, Le Matin d'Algérie, le 28 août 2019, La Tribune Diplomatique Internationale, le 24 août 2019 . Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

 

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 13 Février 2020

QUELLES PERSPECTIVES POUR LE MOUVEMENT POPULAIRE EN ALGÉRIE ?

Un géographe et militant actif de la Commune de Paris de 1870, Elisée Reclus, déclara en substance (citation de mémoire) : une personne qui donne au peuple des indications erronées est aussi criminelle que celle qui donne de fausses informations à des navigateurs. Ajoutons que cette criminalité est d’autant plus grave que la personne en question se proclame « amie » du peuple, ou du navigateur. En Algérie, depuis longtemps, et notamment depuis le déclenchement du Mouvement populaire et jusqu’à aujourd’hui, combien de personnes, notamment celles qui se considèrent « expertes », ont donné et donnent au peuple des indications pour lui permettre d’agir correctement afin de concrétiser ses revendications fondamentales ?

 

Loi fondamentale.

 

Une semaine après le surgissement du Mouvement populaire, l’auteur de ces lignes a signalé, puis a répété dans toutes ses contributions, une loi fondamentale. Elle est observable empiriquement, quelque soit le pays.

Tout mouvements populaire contestataire qui ne se dote pas, - de manière libre, démocratique et autonome -, de sa propre auto-organisation territoriale, pour produire un programme d’action commun, à défendre par des représentants élus sur mandat impératif, afin de constituer un agent social disposant d’un poids significatif et opératoire dans le rapport de force avec son adversaire étatique, ce mouvement populaire est voué à l’échec. Dans le meilleur des cas, le mouvement servira comme masse de manœuvre pour l’apparition d’une nouvelle caste dominante, moins dominatrice que la précédente, mais néanmoins dominatrice. Et si, par hasard, ce mouvement populaire contient des éléments qui veulent absolument le voir auto-gérer son action, ces éléments ont connus l’un de ces deux sorts :

1) écrasés dans le sang. Tel fut le cas des révolutions les plus significatives : la Révolution française, dont la caste victorieuse jacobine, avec le « révolutionnaire » Robespierre, envoya à la guillotine les hébertistes, babouvistes et « enragés » ; la révolution russe, dont la caste victorieuse bolchevique, dirigée par Lénine et Trotski, envoya l’armée « rouge » massacrer les réels partisans des soviets à Kronstadt et en Ukraine ;

2) étouffés par la bureaucratie, appuyée sur la force militaire : ce fut le cas de l’autogestion ouvrière et paysanne en Algérie, après l’indépendance.

Par conséquent, toute invitation à poursuivre les marches hebdomadaires, en leur tressant les éloges les plus démagogiques, sans rappeler l’indispensable et vitale auto-organisation du mouvement, ces invitations sont-elles autre chose que des manières de pousser le mouvement dans l’impasse ? Cette tactique permet à des « experts » ou « militants » de terrain d’occuper une place dans les institutions étatiques, d’une part ; on le constate déjà. D’autre part, cette tactique pourrait créer un « chaos » susceptible de faire intervenir, pour établir la « démocratie », des armées étrangères qui installeraient leurs laquais comme nouvelle caste dominatrice dans le pays.

 

Constat.

 

Comme dit auparavant, une semaine après le déclenchement du Mouvement populaire en Algérie, l’auteur de ces lignes publiait un article dont le titre était on ne peut plus clair : « Du cri à l’organisation »(1). Il ne s’agissait ni d’une prophétie, ni d’une manière de prendre un désir pour réalité, ni de déclaration d’ « expert ». Le texte était simplement le résultat de plusieurs aspects de l’auteur : 1) il avait entrepris un doctorat de recherches en sociologie concernant le processus de transformation de révolutions en contre-révolution, examinant comparativement la Russie et l’Algérie (3) ; 2) il participa activement au Mouvement social de 1968 en France (2) ; 3) il passa des années à approfondir ses connaissances sur les mouvements populaires : surgissement, réussites et échecs, notamment concernant la révolution du XXè siècle la plus importante en terme de réalisations conformes à l’idéal proclamé (4) ; 4) enfin, il suivit avec attention les diverses soit disant « révolutions colorées » et leurs résultats ; 5) il participa sur le terrain au Mouvement populaire à Oran, en réalisant un documentaire sur les marches, et un second sur un forum citoyen (5).

Voici les éléments qui permettaient de comprendre, dès le surgissement du Mouvement populaire en Algérie, que les manifestations de rue, aussi grandioses qu’elles pouvaient être, restaient absolument insuffisantes si elles ne se dotaient pas de leur complément indispensable : une auto-organisation en force sociale significative, sous forme de comités (ou assemblées) de base territoriale, fédérés en un comité (assemblée) national, pour établir un programme d’action commun, à défendre par l’élection de représentants sur mandat impératif.

Depuis le 29 février 2019, l’auteur de ces lignes n’a jamais cessé de rappeler et de souligner la nécessité de l’auto-organisation telle que décrite ici (6). Progressivement, il devenait clair que ce genre de rappel était un « cri dans le désert », comme le reconnut l’auteur lui-même, en proposant des hypothèses d’explication de cet état de fait (7).

Ce qui est non pas surprenant, mais dans la logique autoritaire hiérarchique, c’est de constater le nombre de membres de ce qu’on appelle les « élites » algériennes qui ignorent ou occultent sciemment, depuis le début jusqu’à aujourd’hui, soit onze mois après, ce problème de l’auto-organisation d’un mouvement en agent social structuré de manière autonome, afin de constituer un réel poids dans le rapport de force social l’opposant à son adversaire étatique. Ils se contentaient, et continuent à se contenter, de débattre de problèmes secondaires, jusqu’à prêter attention à un chroniqueur, érigé en écrivain par une caste d’outre-méditerranée, pour examiner ses arguments, d’une superficialité que seuls des adorateurs d’institutions littéraires oligarchiques (8) peuvent considérer. Ignorent-ils ou ont-ils oublié comment les imposteurs de l’intellect se démasquent toujours par les organes soit disant d’information, en réalité de conditionnement, qui les paient ? (9)

L’important est de constater où en est le Mouvement populaire, en dépit de ceux qui prennent leur désir pour la réalité, par ignorance, même s’ils se présentent en « experts ». À propos de ces derniers, posons la question : en quoi consiste le soutien du peuple dans ses revendications légitimes ? Est-ce à chercher à régler ses propres comptes personnels d’ « expert » avec les membres du régime étatique, dans le but (inavoué, bien entendu) de prendre leur place, ou à aider le peuple à se doter de sa propre auto-organisation pour réaliser sa propre émancipation ?

 

Perspectives.

 

Est-ce à dire que le Mouvement populaire a échoué ?… Oui et non.

Oui, parce que ses revendications fondamentales n’ont pas été réalisées, tout au au moins jusqu’à présent.

Non, si ce Mouvement populaire prend conscience de ce qui lui manquait et lui manque encore : cette auto-organisation le transformant en agent social doté d’un poids significatif dans le rapport de force avec l’institution étatique. Ce processus structurel exige des efforts, de l’intelligence, de la modestie, de la persévérance, du travail au quotidien, de l’étude, de la patience, de l’activité dans tous les domaines de la vie sociale, une transformation collective et individuelle dans les valeurs et les normes, en se basant sur le triptyque : liberté, égalité, solidarité, et en visant à l’autogestion (terme pour désigner le gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple). N’est-ce pas là l’authentique changement social et individuel, l’authentique révolution, pour employer ce terme si ridiculement galvaudé ?

Alors, avec le temps et l’énergie indispensables, le Mouvement populaire surgi en février 2019 pourrait concrétiser finalement et réellement l’idéal revendiqué : une Algérie de démocratie gérée et au service du peuple.

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(1) Voir « Sur l’intifadha populaire en Algérie 2019 », https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-sur-intifadha-algerie-2019.html

(2) La présentation de thèse n’eut pas lieu, l’auteur préférant s’occuper d’autre chose que d’enseigner dans une université dont le rôle principal est de former les futurs membres des castes élitaires dominantes.

(3) La présentation de thèse n’eut pas lieu, l’auteur préférant s’occuper d’autre chose que d’enseigner dans une université dont le rôle principal est de former les futurs membres des castes élitaires dominantes.

(4) « La (méconnue) plus importante révolution du XXè siècle » in « Vers l’intifadha populaire en Algérie 2019 », https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-vers-intifadha-algerie-2019.html

(5) Voir respectivement https://www.youtube.com/watch?v=6syXIhNSXqQ et https://www.youtube.com/watch?v=CZgiMergUX0

(6) Reconnaissant qu’un petit Parti politique a toujours, lui aussi, appelé à l’auto-organisation : le Parti Socialiste des Travailleurs.

(7) « « Sur l’intifadha populaire en Algérie 2019 », o. c.

(8) Par exemple, l’Académie Française refusa des sièges à des auteurs tels que Molière et Balzac, parce que leur « profil » personnel ainsi que leurs œuvres n’allaient pas dans le sens idéologique de l’oligarchie dominante.

(9) Le chroniqueur en question a publié sur deux organes connus comme porte-parole de l’oligarchie impérialiste états-unienne. Voir mes articles « Pourquoi le New York Times s’est payé un néo­harkisme ? » et « 19.2 Dans le « Washington Post », le néo­harkisme algérien » in « Contre l’idéologie harkie : pour la culture libre et solidaire », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres_ideologie_harkie.html

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Publié sur

Algérie Patriotique (10.02..2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (11.02.2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 12 Mars 2019

Changer, mais quoi ?

Depuis que l’être humain est capable de réfléchir, il a compris l’importance primordiale de définir les mots, afin d’élucider correctement la réalité. La langue française offre ce significatif rapprochement : les mots des maux. En effet, les maux nécessitent les mots exacts qui les désignent. Autrement, on est dans la confusion, laquelle profite uniquement aux dominateurs de toutes sortes, et jamais aux personnes qui veulent vivre de manière libre et solidaire.

Le mot « rupture » est invoqué par les uns et les autres, en ce qui concerne le futur prochain d’un pays, en l’occurrence l’Algérie. En lisant ce qui est mis dans ce mot, on constate que les contenus sont différents. Il est donc nécessaire de contribuer à la clarification qui s’impose.

Par rapport au système esclavagiste, le féodalisme fut une rupture, par rapport auquel le capitalisme fut la rupture, par rapport auquel un capitalisme étatique (présenté comme « socialisme » et même « scientifique ») fut encore une rupture. Mais, dans ces trois cas, la rupture fondamentale ne fut pas réalisée : l’exploitation économique et ses deux conditions, la domination politique et le conditionnement idéologique. Le féodalisme, le capitalisme privé puis le capitalisme étatique se sont contentés simplement de modifier la forme de cette exploitation économique. Pour le peuple travailleur, ce qui changea, c’est uniquement ceci : de l’exploiteur esclavagiste, il passa à l’exploiteur capitaliste privé, puis à l’exploiteur capitaliste étatique.

La seule fois où la rupture élimina l’exploitation économique quelque soit sa forme, ce fut quand le peuple travailleur (ouvriers, paysans, petits employés, membres de la petite-bourgeoisie, etc.) prit en main lui-même la gestion de la société, avec l’aide de personnalités éclairées, honnêtes, sensibles aux souffrances du peuple. Ces personnalités se distinguaient par une particularité fondamentale : se solidariser avec le peuple travailleur, en mettant à sa disposition leurs connaissances, mais sans jamais l’administrer, le diriger, s’ériger en chefs, lui imposer leurs vues prétendument « scientifiques ». Cela se réalisa principalement lors de la Commune de Paris de 1871 (1), des soviets libres de Kronstadt et d’Ukraine (2), des collectivités espagnoles( (3), de l’autogestion agricole et industrielle en Algérie. Dans ces cas précis, il s’est agi d’une rupture dans son sens le plus réelle, le plus authentique, bref dans son sens radical, à savoir éliminer la racine du mal social : l’exploitation économique.

Aussi, quand on entend ou on lit le terme « rupture », il est indispensable de savoir de quel genre de rupture il s’agit. Ajoutons aux formes de rupture relatives sus-mentionnées, qui sont les principales, ces formes de rupture tout-à-fait secondaires, par exemple la venue au pouvoir d’un Obama où d’un Mitterand, d’un Trump ou d’un Macron. Chacun d’eux prétend opérer une « rupture » par rapport à ses prédécesseurs. Dans tous ces cas, le peuple travailleur ne fait que changer de dominateurs, avec, éventuellement, quelques quasi insignifiants changements dans les conditions de sa vie réelle, celle d’exploité économique.

Ajoutons cette autre précision. Le mot « rupture » ne s’entend pas de la même manière par un chômeur, un travailleur manuel dans l’agriculture ou dans l’industrie, un petit employé administratif, un professeur d’université, un petit patron d’une entreprise d’une dizaine de salariés, un patron d’une multi-nationale, un civil, un militaire, un laïc, un religieux, une homme, une femme, un jeune, un adulte ou un vieux, etc. Pourquoi ?… Parce que chacun souffre ou profite de l’exploitation économique à un degré divers, ce qui lui donne une conscience correspondante à sa condition matérielle d’existence.

Mais, dirait-on, où serait alors le dénominateur social commun ?… La nation ou la patrie ?… Est-ce possible, tant qu’y existe des exploiteurs et des exploités ?… La nation ou la patrie, que signifient-elles pour les exploiteurs sinon le droit d’exploiter la majorité des composantes de cette nation ou patrie ? Au contraire, pour les exploités, nation et patrie signifient-elles autre chose que le droit de vivre dans un territoire d’où est exclu toute forme d’exploitation ?… Dès lors, il faut veiller à savoir le contenu mis dans ces mots « nation » et « patrie ».

Par conséquent, vouloir une « rupture » avec un système, soit ! Encore faut-il préciser par quel autre système il faut le remplacer. Ajoutons encore d’autres exemples. Les fascismes italien et japonais, le nazisme allemand, la « révolution » bolchevique, le putsch militaire de l’été 1962 en Algérie, les « révolutions » colorées ont tous été des ruptures, mais de quoi ont-elles accouché ?

Considérons un autre thème. Certains parlent d’éliminer la corruption. Soit !… Mais la réalité montre qu’elle existe toujours, à un degré plus ou moins grave, plus ou moins visible, dans tous les systèmes sociaux où demeure… l’exploitation économique de l’être humain par son semblable. Certains cite l’exemplarité de la Norvège comme le pays qui se distingue en premier comme non gangrené par la corruption. D’accord ! Mais ce pays ne fait-il pas partie du pacte impérialiste de l’OTAN ?… Quant aux multinationales des pays soit disant « démocratiques », seuls les non informés et les mal informés ignorent leur degré de corruption en matière fiscale. Ne parlons pas des « paradis fiscaux » gérés par les diverses oligarchies, en premier lieu l’anglaise. Toute oligarchie ne peut exister que par la corruption, laquelle fait partie de sa nature. Et cela parce que toute oligarchie vise et se nourrit par l’exploitation économique, laquelle est la forme la plus vile, la plus monstrueuse et la plus systématique de corruption sociale.

Ce qui est curieux à constater, c’est que la majorité des personnes qui parlent de « rupture » n’invoquent jamais cet aspect, qui forme pourtant la base de tout système social : l’exploitation économique de propriétaires (privés ou étatiques) du peuple travailleur.

En fait, est-ce vraiment curieux que cet aspect social fondamental ne soit jamais évoqué ?… N’est-ce pas parce que toutes les « ruptures » évoquées ne le sont pas par des travailleurs, - qui sont victimes précisément de l’exploitation économique -, mais par d’autres agents sociaux qui, eux, profitent de l’existence de ce fléau ?

Il y eut même plus grave : des leaders, à commencer par Lénine, ont déclaré vouloir l’élimination de l’exploitation de l’être humain par son semblable. Cependant, en réalité, une fois conquis le pouvoir, ils n’ont accouché que d’une autre forme d’exploitation, de privée devenue étatique, à commencer par la N.E.P. de Lénine lui-même ? Le vague de l’expression « Nouvelle Économie Politique » cachait sa nature réelle : capitalisme étatique.

Est-ce un hasard que les seules et rares fois où le mot rupture contient explicitement l’élimination de l’exploitation économique, ce sont des travailleurs eux-mêmes qui en parlent, de la Commune de Paris de 1871 à l’autogestion algérienne de 1962 ?

Dès lors, il ne faut pas s’étonner de cette constatation : le mot « rupture » est entendu différemment selon que l’on est victime d’une exploitation économique, et selon le degré de gravité de celle-ci, ou selon que l’on veut simplement changer une forme d’exploitation économique par une autre. Un exemple. Chasser le patron Ali Haddad, partie intégrante du système actuel, pour le remplacer par Issad Rebrab, qui n’en fait pas partie, est-ce la solution pour le peuple travailleur d’Algérie ?… Où donc Issad Rebrab a trouvé le capital financier qui lui a permis de devenir ce qu’il est ? Et n’a-t-il pas licencié des travailleurs parce que, semblables à des machines inutiles, ils ne lui servaient plus pour garantir son profit de propriétaire ?

Voici ce que montre l’histoire de l’espèce humaine toute entière, quelques soient la pays et l’époque. La rupture la plus authentique est celle qui met fin au mal des maux sociaux : l’exploitation économique de l’être humain par son semblable, quelque soit la forme qu’elle présente ; cette rupture ne peut être opérée que par les victimes de ce fléau social, quand elles en prennent conscience et savent comment la concrétiser.

Terminons par une observation empirique générale. Toute réelle rupture sociale apparaît uniquement en présence de deux conditions : quand, d’une part, ceux d’en « bas » ne supportent plus les souffrances dont ils sont victimes, et, d’autre part, ceux d’en « haut » ne parviennent plus à les dominer. Cependant, restent d’autres considérations dont il faut tenir compte : ceux d’en « haut » ont une longue expérience de dominateurs, tandis que ceux d’en « bas » ont une longue expérience de dominés ; à ces derniers reste à posséder la science de leur libération par eux-mêmes, s’ils ne veulent pas servir uniquement comme instrument d’une domination de forme inédite. Tout est là ! À ce sujet, les trois ouvrages indiqués dans ce texte en référence sont à lire et méditer.

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(1) Voir Lissagaray, “Histoire de la Commune de 1871”, disponible ici : https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_de_la_Commune_de_1871_(Lissagaray)

(2) Voir Voline, “La révolution inconnue”, disponible ici : http://kropot.free.fr/Voline-revinco.htm

(3) Voir “Espagne libertaire 1936-1939” http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fwww.somnisllibertaris.com%2Flibro%2Fespagnelibertaire%2Findex05.htm

 

Publié sur Algérie Patriotique, le 7 mars 2019.

 

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 13 Avril 2019

Le « système » : pourquoi et comment le changer ?

État et peuple

Les actuelles manifestations populaires en Algérie ont désormais comme revendication fondamentale l’élimination de ce qui est appelé le « système » au bénéfice d’un autre. Essayons de cerner les tenants et aboutissants de cette exigence.

Le fait social fondamental, pour les citoyens et citoyennes, est de prendre conscience du rôle assumé par l’État, institution principale, censée les représenter à travers les personnes qui le gèrent. Cet État est au service réel de qui ?… De toute la population dans son ensemble, sans exclusion, ou seulement d’une partie de cette population, et laquelle ?

L’emploi à tort et à travers du mot « peuple » exige d’en définir le contenu de manière non ambiguë, non manipulatrice : le peuple est l’ensemble des citoyens et citoyennes contribuant à la production des biens matériels et culturels, servant au bien-être de la communauté nationale.

Dans le mouvement populaire algérien actuel, les participants ne sont pas seulement les exploités économiques, mais également des franges qui ne le sont pas, toutefois elles sont dotées de conscience citoyenne : étudiants, enseignants, médecins, pharmaciens, avocats et même magistrats (1), ainsi que des membres influents du Forum des chefs d’entreprises FCE (2).

Par conséquent, du peuple sont exclus ses exploiteurs ; en outre, ils ne s’y reconnaissent pas eux-mêmes, s’auto-définissant et se distinguant comme l’ « élite » possédante et dominante.

Notons, cependant, deux faits.

La non ou insuffisante intégration des syndicats autonomes dans le mouvement populaire algérien actuel. Toutefois, des salariés affiliés au syndicat U.G.T.A., jusqu’à présent instrument de contrôle de l’oligarchie dominante sur les travailleurs, ont exprimé leur soutien au mouvement populaire, dans des termes clairs (3).

Deuxième fait. La paysannerie pauvre des campagnes n’est pas encore mobilisée dans ce mouvement. C’est là un grave handicap, donc une action à entreprendre. Il faut absolument éviter que l’oligarchie dominante ne fasse jouer le peuple des campagnes contre celui des villes. Au contraire, le peuple des villes doit créer au plus vite son alliance avec celui des campagnes, d’autant plus qu’une partie non négligeable de policiers, de gendarmes et de soldats proviennent de la paysannerie.

Le jour ou policiers et soldats, prenant conscience de leur appartenance au peuple (comme agents dominés au service de leurs dominateurs), manifesteront leur solidarité avec le mouvement populaire, c’en est fini, généralement, de la domination de l’oligarchie au pouvoir. Peut-être est-on proche de ce moment (4). Voilà pourquoi est fondamentale toute forme de fraternisation des manifestants avec les policiers, gendarmes et soldats. Durant les manifestations de rue, on a vu certains des premiers aller serrer la main aux seconds, leur parler de manière amicale, leur rappeler avec tact qu’ils font partie du même peuple ; on a même vu des enfants, parmi les manifestants, aller saluer amicalement des policiers. Admirable intelligence de ce qu’il faut faire. En outre, certains policiers et gendarmes exprimèrent discrètement, par une expression de visage ou un signe de main, leur solidarité avec les manifestants.

Ces observations faites, revenons à l’État. À force d’être maltraité et humilié, le peuple finit par s’apercevoir que cet État est au service d’une minorité, constituée en oligarchie, pour dominer la majorité du peuple, afin de s’enrichir en exploitant les ressources naturelles et la force de travail humaines de la nation.

Dès lors, une fois que le peuple opprimé n’en peut plus de cette damnation, la question de l’État, de son rôle, se pose pour lui.

En Algérie, quand le peuple colonisé prit conscience du rôle colonial de l’État français, au service de la composante colonisatrice, il entreprit un combat d’abord politique, ensuite militaire pour éliminer cet État colonial.

Malheureusement, à l’indépendance, l’État autochtone qui prit naissance fut créé et occupé par une nouvelle oligarchie, de nature indigène, à travers un putsch militaire. Cette oligarchie a géré cet État, jusqu’à aujourd’hui, en réduisant le peuple à une masse de manœuvre, dominée par une idéologie (clérical-laique) d’asservissement, doublée d’une domination bureaucratique, policière et militaire.

Il a fallu au peuple des épreuves, certaines sanglantes, comme expériences de luttes, pour, finalement, prendre conscience de cette situation, jusqu’à ne plus la supporter : dictature militaire Benbella puis Boumédiène, octobre 1988, « décennie sanglante », « printemps noir » de 2001, enfin violations constitutionnelles à répétition menant à l’occupation de la présidence étatique au-delà de quatre mandats.

La caste oligarchique occupant l’État a exploité au maximum tout ce ce qu’elle a pu, comme ressources naturelles et force de travail, jusqu’à mettre les jeunes dans la situation de préférer mourir noyés dans la mer parce qu’ils ne pouvaient plus survivre dans leur patrie, tandis que les oligarques étatiques et privés s’enrichissaient scandaleusement, de manière crapuleuse, mafieuse, éhontée et sans vergogne, par la corruption de méprisables et vils individus, et la répression des honnêtes citoyens. L’État est devenu la tanière de tous les méfaits, de tous les forfaits, protégés et défendus par les institutions dévoyées : information, éducation, spiritualité, magistrature, police politique. Par conséquent, ce ne sont pas les citoyens, ce ne sont pas des anarchistes qui firent de l’État une institution oppressive parce que prévaricatrice, mais ceux-là mêmes qui le géraient à leur bénéfice exclusif. L’État dont ils défendaient la sacralité fut par leurs actions désacralisé. L’État qui, après l’indépendance, devait servir le peuple s’est révélé être, très rapidement, une institution de domination du peuple.

Résultat final : le peuple a fini par reconnaître l’imposture et la mascarade. Elles sont devenues telles qu’elles provoquèrent, avec le temps et les humiliations, la séparation puis l’opposition entre ce qu’on appelle la « classe politique » et la « société », plus exactement entre la caste occupant l’État (et ses dépendances) et la majorité du peuple, réduit à vendre sa force de travail physique et/ou intellectuel, à prier Dieu pour améliorer son sort vainement, à se diviser et s’entre-déchirer avec de faux problèmes pré-fabriqués judicieusement (oppositions religieuses et ethniques, opposition hommes-femmes suite à un « code de la famille » féodal) ou à émigrer, légalement ou clandestinement.

Prendre ou partager ?

À présent, depuis le 22 février 2019, quelle attitude doit prendre le peuple opprimé vis-à-vis d’un État prédateur, oppresseur et parasitaire (5) notamment en rédigeant une future Constitution ? Car tel est le cas : d’un coté des opprimés sans pouvoir institutionnel, de l’autre des oppresseurs gérant un État oppresseur.

L’histoire enseigne que prendre le pouvoir étatique, tel qu’il existe, fondamentalement jacobin, accouche toujours d’une nouvelle oligarchie dominante, même si affublée d’adjectifs trompeurs, tels « révolutionnaire », « démocratique », « populaire », etc. Aussi, ne s’agit-il pas de prendre le pouvoir, mais de le partager équitablement entre les citoyens et citoyennes. Cela exige sa transformation radicale.

En voici des implications, dictées non pas par une vision dogmatique ou utopique, mais par les leçons pratiques de l’histoire de l’émancipation sociale.

Non pas se contenter de mettre de nouvelles personnes de l’ « élite » pour gérer ce pouvoir étatique, mais changer les structures mêmes de ce pouvoir étatique. Se débarrasser de ses fondements féodaux et capitalistes, basés sur l’exploitation de la majorité des êtres humains par une minorité d’assoiffés de richesse. Cela signifie que ce nouveau pouvoir étatique doit comprendre et représenter les opprimé-e-s de toutes sortes ; autrement, ce nouveau pouvoir n’accouchera que d’une autre forme d’oligarchie, plus « démocratique », en réalité exerçant sa domination de manière camouflée. Car tant que l’exploitation économique perdure, sous une forme ou une autre (privée ou étatique), elle a besoin d’être garantie par une forme de domination politique (étatique). Par conséquent, l’unique manière de se débarrasser de toute forme de domination politique est d’éliminer toute forme d’exploitation économique, en la remplaçant par la coopération libre, égalitaire et solidaire des producteurs de biens matériels et spirituels.

Le « haut » et le « bas »

Les observations précédentes impliquent que le changement social ne peut pas être réalisé par en « haut », ni par les gérants de l’État oligarchique, ni par des soit disant « experts » de l’opposition, quelque soit leur couleur politique. Le changement réellement conforme aux intérêts du peuple n’est possible que par en « bas », c’est-à-dire par les comités populaires de base, relayés par des comités correspondants au niveau communal, provincial et national. Quant aux experts, s’ils sont réellement au service du peuple, leur rôle se limitent à écouter ses revendications et à les traduire fidèlement du point de vue technique, tout en demeurant à tout moment contrôlés par les représentants dûment mandatés par le peuple, à travers ses comités. L’idéal serait, peut-être, que l’ensemble des comités d’autogestion populaires de base parviennent à constituer des comités d’autogestion au niveau communal, puis provincial, jusqu’à créer un comité d’autogestion populaire national, lequel assumerait les fonctions jusqu’alors dévolues à l’État. Alors, ce dernier ne serait plus l’instrument d’une oligarchie dominante, mais du peuple travailleur dans son ensemble.

Quant à ceux qui mettent en avant, pour la privilégier, la « force estudiantine », il faut se méfier de cette conception. Certes, les étudiants sont une composante de la jeunesse, qui est susceptible de participer efficacement à un changement social en faveur du peuple. Cependant, la composante estudiantine est privilégiée par rapport à la majorité de la jeunesse, qui, elle, est soumise à l’exploitation par la vente de sa force de travail, ou contrainte au chômage. Attention donc à ne pas créer, au sein du mouvement populaire, une « élite » au détriment de l’ensemble, mais que cette « élite » montre la modestie et l’intelligence d’agir non pas pour servir des intérêts de caste mais ceux du peuple dont elle fait partie (6).

De même, parler d’une manière générale de la « jeunesse » est une erreur dangereuse, quand pas manipulatoire. Car parmi cette jeunesse, il y a une minorité qui fait partie intégrante de l’oligarchie dominante. Il est donc plus adéquat de parler de la jeunesse exploitée et dominée.

De même pour les femmes, il est important de les concevoir non pas comme espèce biologique sexuelle différente de celle masculine ; cela a provoqué ailleurs un féminisme qui s’est parfaitement adapté et a renforcé le système capitaliste, où l’on voit des femmes devenues patrons d’usine, militaires et tortionnaires dans des armées impérialistes. Concernant les femmes, il s’agit de les concevoir comme citoyennes exploitées et dominées, doublement : par les patrons qui les emploient et par les membres de leurs familles : père, frère, mari.

Structures

Pour que le mouvement populaire parvienne à ses buts ci-dessus formulés, il faut :

1) à la structure étatique centralisée substituer une autre décentralisée, autonome (afin de permettre à chaque unité territoriale de déployer toutes ses capacités créatives) et fédérative ; ce dernier aspect ne menace en rien l’unité de la nation mais, au contraire, la renforce parce que basée sur le consensus librement exprimé, lequel est le fruit de l’égalité réelle entre toutes les composantes géographiques de la nation ; quant au fameux centralisme jacobin, y compris sa forme de « centralisme démocratique », l’histoire en a montré les limites et les tares, notamment son emploi au service de castes dominatrices prétendument « populaires » ;

2) à la structure hiérarchique et autoritaire substituer une structure égalitaire et coopérative ;

3) à la structure bureaucratique substituer une autre efficace et au service des citoyens, où les fonctionnaires sont élus et révocables par le peuple, et uniquement responsables devant lui ;

4) à la structure législative contre le peuple pour le dominer substituer une autre qui laisse libre cours à la liberté totale des citoyens et citoyennes dans l’expression de leurs intérêts à travers des associations librement créées, autogérées et solidaires ;

5) à la structure répressive policière et militaire, au service de l’oligarchie dominante, substituer une autre où police et armée soient réellement l’émanation, l’expression et la défense des seuls intérêts du peuple, et non d’une oligarchie dominatrice ; pour y parvenir, la défense de la nation d’éventuelles agressions extérieures exige non seulement une armée professionnelle, mais également le peuple en arme, sous forme de milices. Celles-ci ont également l’avantage d’éviter que les membres de l’armée professionnelle se transforment en caste dominatrice au détriment du peuple ;

 6) à la structure représentative parlementaire constituée de larbins perroquets membres de l’oligarchie dominante substituer une structure de représentants authentiques du peuple, issus directement de celui-ci ou reconnus par lui comme dignes représentants, tous élus par mandat impératif, responsables et révocables à tout moment sur décision majoritaire de leurs mandataires, et ne bénéficiant de rien d’autre que d’un salaire de travailleur moyen, afin d’écarter les opportunistes carriéristes et empêcher la transformation des représentants en caste privilégiée ;

7) à la structure territoriale constituée de fonctionnaires serviles, nommés par une autorité centrale étatique, hiérarchique et autoritaire, substituer une autre où les responsables territoriaux (communes, régions, willayas, nation), soient issus directement du peuple ou reconnus par lui comme dignes représentants, tous élus par mandat impératif, responsables et révocables à tout moment sur décision majoritaire de leurs mandataires, et ne bénéficiant de rien d’autre que d’un salaire de travailleur moyen, afin d’écarter les opportunistes carriéristes et empêcher la transformation des représentants en caste privilégiée ;

8) à la structure élitiste dominatrice substituer une autre considérant l’égalité sociale absolue et la coopération solidaire entre tous les membres de la communauté nationale, sans aucune exception ;

9) à la structure judiciaire asservie à une caste substituer une autre où les agents de la magistrature soient élus et révocables par le peuple ;

10) à la structure cléricale totalitaire asservissante substituer une autre laïque, où la religion est affaire privée et libre ;

11) à la structure éducative privilégiant le secteur privé, fabriquant une « élite » dominatrice, substituer une autre ouverte gratuitement à tous les enfants du peuple, et lui permettant d’acquérir en même temps les connaissances indispensables et la conscience citoyenne égalitaire, libre et solidaire ;

12) à la structure privilégiant une ethnie substituer une autre accordant à toutes les composantes ethniques du peuple les mêmes droits et devoirs ;

13) à la structure machiste substituer une autre reconnaissant de fait l’égalité absolue entre homme et femmes en matière de droits et de devoirs.

14) Pour concrétiser ces buts, il faut, à la structure sociale basée sur la possession privée ou étatique des moyens de production et des ressources naturelles, substituer une autre où cette possession soit collectivement celle du peuple. C’est l’unique manière d’éliminer le fléau social permettant à une minorité de s’enrichir et de jouir de la vie au détriment de la majorité. L’expérience historique montre qu’il faut éviter l’erreur auparavant commise : cette possession des biens collectifs ne doit pas être dévolue à un État géré par une nouvelle caste dominatrice (capitalisme étatique prétendument « socialiste »), mais géré par les représentants authentiques du peuple, à tout moment révocables s’ils ne remplissent pas correctement la mission qui leur est confiée. C’est cela la gestion par le peuple et pour le peuple, autrement dit l’autogestion sociale. La possession des moyens de production et des ressources naturelles ne doit pas être un moyen d’exploitation dominatrice du peuple, mais de son épanouissement libre, égalitaire et solidaire. Pour y parvenir il faut éliminer l’existence d’une part de possesseurs de capital, privé ou étatique, et, d’autre part, des possesseurs de leurs seule force de travail physique et/ou intellectuel. Que donc capital et force de travail soient possédés par la collectivité des travailleurs, de manière égalitaire et solidaire. C’est, là encore, la simple application authentique du principe : « Par le peuple et pour le peuple ». C’est là, encore, l’unique solution pour abolir toute forme d’exploitation économique, de domination politique et de conditionnement idéologique.

15) Pour éviter tout opportunisme carriériste et la formation conséquente d’une caste parasitaire exploiteuse et dominatrice, toute fonction sociale de gestion (fonctionnaire) doit être le résultat d’une élection libre, sur mandat impératif, donc responsable uniquement devant ses mandataires et révocable à tout moment sur décision de la majorité des mandataires.

Ainsi, dans la société, aucune institution ne doit être formée ou produire une caste de privilégiés et autoritaires, et cela de la base périphérique local au centre national, quelque soit le domaine d’activité sociale : administration, magistrature, éducation, culture, spiritualité, police, armée, etc.

Seul le peuple des opprimés a l’intérêt, donc est en mesure d’opérer ce genre de changement social. En le réalisant, il cesse d’être soumis à l’oppression, et, par la même, élimine de la communauté nationale toute forme d’oppression.

Seulement ainsi la démocratie sera réellement le pouvoir exercé par et pour le peuple. Seulement ainsi l’institution appelé État sera un appareil émanant du peuple pour le servir. Seulement ainsi, les institutions et les responsables qui les représentent ont le coût le plus économique pour la nation. Seulement ainsi le peuple n’est pas la dupe d’élections où il est cantonné à choisir ses dominateurs (par le trucage des dictatures ou le conditionnement médiatique des régimes « libéraux ») parmi les plus hypocrites, démagogiques et imposteurs. Seulement ainsi le peuple aura la possibilité concrète de manifester toutes ses réelles potentialités en matière de développement économique, social et culturel, thèmes proclamés et rabâchés par les tenants du pouvoir étatique oppressive mais de manière démagogique et trompeuse. Bien entendu, les oppresseurs de tout acabit, notamment leurs idéologues, « experts », « intellectuels » et clercs, hurleront scandalisés : « Mais c’est de la dictature ! De l’anarchie ! De l’archaïsme ! » Il s’agit là simplement de voleurs qui crient au voleur, car la véritable dictature est celle de l’oligarchie dominante, l’anarchie est le désordre social par lequel elle s’enrichit au détriment du peuple, et l’archaïsme réside dans un système social basé sur l’enrichissement d’une minorité par l’asservissement d’une majorité, réduite à un salaire privé de sa plus-value, forme contemporaine de l’esclavage antique.

Obstacles

Bien entendu, ces objectifs verront se dresser contre eux toutes les forces internes et étrangères qui vivent de l’exploitation de l’être humain par son semblable. Les personnes constituant ces forces sont tellement insérées dans le système exploiteur, dont elles jouissent, qu’elles trouvent des avantages à un capitalisme (privé ou étatique) qui a désormais montré toute sa nature psychopathe et criminogène, jusqu’à menacer la planète d’une apocalypse nucléaire. Cependant, ces personnes ont encore l’imposture de parler de « libéralisme », de « liberté », de « démocratie », de « sacralité » de (leur) État, de « science », de « volonté divine », bref de « modèle » à propos de ce système capitaliste d’esclavage moderne, en accusant la revendication de gestion sociale par le peuple et pour le peuple d’ « anarchie », de « communisme », de « monstruosité », etc. Non pas, messieurs les calomniateurs ! Il s’agit en réalité de l’authentique démocratie : demos = peuple, cratos = pouvoir.

Il faut donc prévoir correctement les inévitables réactions, directes et camouflées, de ces forces exploiteuses, ainsi que les solutions adéquates pour les neutraliser. La toute première est de brandir haut et clair le principe « Par le peuple et pour le peuple ! » ; la seconde solution est de s’atteler le plus tôt possible à trouver les formes organisationnelles pour concrétiser ce principe.

Les premières actions contre le mouvement populaire seront de type propagandiste idéologique, à travers l’immense appareil constitué par les moyens dits d’information, en fait d’intoxication, visant à détruire les acquis du peuple et le développement autonome de son mouvement.

Cette procédure se révélant insuffisante, se posera alors, certainement, la question de la violence, déguisée ou déclarée, que ces forces exploiteuses emploieront pour maintenir leur domination. Par conséquent, s’impose pour le peuple la manière de les neutraliser, à travers son organisation créée à cet effet, en solidarité avec l’institution militaire, sinon sa partie sensible au peuple.

Résolution et organisation

Cela fut dit et l’histoire l’a démontré à chaque fois (citation de mémoire) : « Qui fait la révolution à moitié ne fait que creuser son propre tombeau » (Saint-Just). Les changements sociaux radicaux ont échoué essentiellement à cause de deux défaillances : l’insuffisante résolution à supprimer la domination oligarchique, et l’insuffisante organisation. Le cas le plus significatif fut l’exemplaire Commune de Paris de 1871.

À propos du mouvement populaire algérien, on lit cette observation : « Les gens qui cherchent à tout prix à encadrer ce mouvement ou le doter d’une direction veulent, directement ou indirectement, son essoufflement. » (7)

Oui et non. S’il est inévitable que certains agents chevauchent le mouvement populaire pour le dévier en le mettant au service de leurs intérêts de caste, par contre tout mouvement populaire, quelque soit l’époque et le pays, ne peut survivre et se développer sans se doter d’une direction. Nier ce fait c’est priver le mouvement populaire de l’instrument principal et décisif de son maintien et de son développement. L’unique problème est de constituer cette direction de manière à refléter fidèlement les intérêts du peuple, ce qui implique une direction caractérisée par la liberté, l’égalité et la solidarité citoyennes.

À ce sujet, voici une proposition. Que chaque regroupement social de base, dans chaque domaine d’activité sociale, crée son comité de gestion (plus exactement d’autogestion), pour ses concertations, décisions et actions, de manière libre, égalitaire et solidaire ; que ces comités se créent des relations entre eux, jusqu’à parvenir à la création d’un comité national, expression générale de la volonté populaire. Enfin, que de ces associations émanent des représentants, chargés de diriger le mouvement populaire. Cependant, étant élus par mandat impératif, donc responsables devant leurs mandataires, donc révocables à tout moment par la majorité de leurs électeurs en cas de manquement au mandat confié, ces dirigeants concrétisent la volonté populaire, sans devenir une caste dominatrice nouvelle.

Un précédent algérien est à considérer : le mouvement populaire de 2001. Il s’agit de connaître correctement cette expérience, de l’analyser, de la comprendre, d’en tirer les leçons d’action indispensables, d’en adopter les aspects positifs et d’éviter les aspects négatifs (8). Pour éviter l’échec du mouvement populaire algérien de 2001, celui des mouvement populaires égyptien puis tunisien de 2011, il est vital que le peuple algérien prenne conscience que son action n’est qu’à son début, qu’elle exige des luttes de longue durée, que les tentatives de récupération et de neutralisation de son mouvement seront nombreuses et de formes insidieuses (9). Par conséquent, que le rapport de force actuellement en faveur du mouvement populaire soit utilisé par le peuple pour se créer ce que l’oligarchie dominante lui a toujours dénié par la répression : sa propre auto-organisation, du local au national, dans tous les secteurs d’activité sociale. Seulement ainsi, le fœtus que sont les manifestations de rue accoucheront d’un pouvoir authentiquement du peuple. Si les jours fériés sont consacrés aux démonstrations de rue, que les autres jours ou soirs soient dévolus à la vitale création des organisations populaires, en veillant à les constituer de manière durable, sur la base des principes de liberté, d’égalité et de solidarité. Pour le peuple, il s’agit de créer les conditions concrètes qui permettent de développer son mouvement de telle manière que nulle force ne puisse le manipuler, le récupérer, le neutraliser ou l’éliminer.

Après lecture de ces observations, la personne qui objecterait, au nom du « réalisme », que le peuple algérien, comme tout autre peuple, est incapable de réaliser un tel changement social, cet objecteur exprime simplement son « réalisme » de privilégié et son mépris arrogant de caste concernant les capacités du peuple. Ce dernier se soulève de temps en temps, généralement à la surprise de tous les « experts » ; il lui reste à trouver comment transformer son soulèvement pacifique en un système social de liberté, d’égalité et de solidarité. Le devoir de tout possédant de savoir, s’il est honnête, consiste à y contribuer. Existe-t-il une autre méthode efficace pour éliminer de la société tout système produisant, fonctionnant et se perpétuant par la corruption et l’humiliation, sous toutes leurs formes ?

_____

(1) Voir https://www.elwatan.com/edition/actualite/historique-rassemblement-des-magistrats-devant-la-cour-dalger-15-03-2019. C’est constater combien cette oligarchie au pouvoir a tellement abusé de sa domination qu’elle a dilapidé les richesses du pays, exploité cruellement le peuple travailleur, et appauvri jusqu’aux couches de la classe moyenne, en les humiliant par le vol, le mépris, l’arrogance et l’asservissement, notamment les magistrats réduits à n’être qu’une courroie de transmission de l’arbitraire oligarchique.

(2) https://www.algerie-eco.com/2019/03/06/exclusif-le-fce-originel-rejoint-le-mouvement-populaire/

(3) Telle l’Union locale de la zone industrielle de Rouiba/Réghaïa, voir https://www.algerie-eco.com/2019/03/06/ugta-zone-industrielle-rouiba-reghaia-soutiennent-marches-contre-5e-mandat/

(4) Voir https://www.youtube.com/watch?v=CDtxeI-qJ-Y

(5) Voir in https://www.investigaction.net/fr/algerie-du-pretexte-conjoncturel-aux-causes-systemiques-promesses-et-dangers-dune-revolte-de-la-dignite/#_ednref20

(6) Ainsi, on lit cette phrase d’un étudiant :Les étudiants sont les futurs dirigeants” in https://www.elwatan.com/edition/actualite/pourquoi-le-pouvoir-a-peur-de-la-force-estudiantine-15-03-2019. Mais de quel droit et au nom de qui ?… La direction d’un pays se limite-t-elle donc aux seuls détenteurs de savoir universitaire ?

(7) https://www.elwatan.com/edition/actualite/pourquoi-le-pouvoir-a-peur-de-la-force-estudiantine-15-03-2019

(8) Voir http://www.matierevolution.fr/spip.php?article81

(9) Dans de précédentes contributions, des lecteurs m’ont reproché d’évoquer encore aujourd’hui la révolution russe de 1917, considérant celle-ci comme événement dépassé. Qu’on lise « L’État et la révolution » de Lénine, puis “La révolution inconnue” de Voline (librement accessibles sur internet). On constatera comment les politiciens les plus révolutionnaires ont récupéré le mouvement populaire, au point de se constituer en oligarchie inédite, aussi dominatrice que celle combattue auparavant. Si, donc, Lénine, Trotski et leurs dévoués « commissaires » bolcheviks ont agi de cette manière, faut-il s’étonner que des politiciens moins révolutionnaires procèdent de façon identique ?

 

Piublié sur Le Matin d'Algérie, le 21 mars 2019, Algérie Patriotique, le 02 zavril 2019, et Tribune Diplomatique internationale, le 02 zavril 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 14 Décembre 2017

Schéma des classes sociales en Algérie, 2017.

Schéma des classes sociales en Algérie, 2017.

Tout le monde connaît l’anecdote : l’autorité ecclésiale catholique romaine ordonna au savant Galilée d’adjurer sa découverte scientifique : à l’opposé de l’affirmation des Écritures Saintes, ce n’est pas la Terre qui est au centre de l’univers, mais le soleil, et c’est notre planète qui tourne autour de lui. Pour ne pas finir rôti vivant sur un bûcher, le savant se rétracta, tout en concluant, paraît-il : « Eppure si muove ! » (Et pourtant elle tourne !)

De la même manière, certains concepts sociaux dérangent les dominateurs et leurs « élites » idéologiques.

*

L’obscurantisme dont souffre l’Algérie (sans oublier également la planète toute entière), n’est pas causé uniquement par celui cléricale. Un autre, aussi grave mais moins perceptible, notamment parce que moins dénoncé, est de type laïc ; il se présente même comme « démocratique » et « progressiste ».

Cet obscurantisme-ci est un brouillard ; il présente des détails comme l’essentiel, des conséquences en tant que causes. Le but de cette conception, - involontaire par ignorance, ou voulu par calcul -, est de rendre les victimes incapables de déceler l’essentiel et les causes réelles, donc d’agir pour leur élimination. Ce phénomène n’est pas spécifique à l’Algérie, il est mondial.

En voici un cas particulier.

Les articles de journaux et les essais analysent ce qu’on appelle les « forces en présence ».

Voyons d’abord le monde.

On nous parle de puissance hégémonique (U.S.A), de nations de première importance (Chine, Russie, Japon, plus ou moins l’Allemagne), de seconde importance (pays d’Europe), de pays émergents (Inde, Corée du sud, Brésil, Afrique du Sud), enfin de pays « en voie de développement » (Algérie et autres).

Mais, jamais ou presque, nous lisons que, dans tous ces pays, il n’y a pas seulement des États, des gouvernements, des armées, des services secrets, des entreprises, un « marché » et, tout au fond, en « bas », des « citoyens ».

Il y a, aussi, et d’abord, - même si ce n’est plus la mode de l’affirmer -, des classes sociales. Plus précisément une caste minoritaire qui détient un capital (étatique ou privé) et une autre, majoritaire qui vend ses bras et/ou son cerveau pour survivre. Et, entre les deux, une classe moyenne qui, d’une part, est soumise à la domination-exploitation de cette caste, d’autre part lui sert de courroie de transmission pour gérer la classe laborieuse.

Là se trouvent les forces en présence fondamentales.

À ce point, avant d’aller plus loin, une prémisse s’impose.

C’est un principe : nul être humain n’a le droit, parce qu’il dispose d’un capital financier, d’acheter un autre humain, pour tirer de son travail un profit, par lequel le capitaliste s’enrichit davantage tandis que le salarié est rétribué de manière uniquement à reproduire sa force de travail.

La personne qui estime que la « force de travail » n’est qu’une marchandise offerte, par celui qui ne possède que son corps, à celui qui l’achète, parce qu’il dispose de capital financier, et donc a le droit d’en tirer un profit (le terme « exploitation » indique ce phénomène), cette personne n’entendra rien à tout ce texte. Elle le trouvera, dans le meilleur des cas, un bavardage ridicule, dans le pire, une provocation au « désordre » social, autrement dit contre l’ « ordre » capitaliste.

En effet, pour cette personne, Dieu ou la Nature a produit les riches et les pauvres ; les premiers auraient le « mérite » d’ « offrir » aux seconds un travail pour « vivre ».

Le problème est que, depuis la création du salariat, entre les travailleurs et les patrons (privés ou étatiques) la lutte (tour à tour pacifique et sanglante) n’a jamais cessé. Motif ? Les premiers sont pressés comme un citron pour en tirer le jus dont profitent les seconds. Maximisation du profit oblige, principe sublime pour les profiteurs, ignoble pour les victimes.

C’est que sans pauvreté, il n’y a pas de richesse, sans (exploitation des) salariés, pas (d’enrichissement) de capitalistes.

Cela signifie que ce n’est pas uniquement la classe exploitée qui lutte pour l’être moins ; cette lutte, en réalité, est uniquement une résistance à une autre qui, elle, est une véritable lutte, qui précède et provoque cette résistance : celle des capitalistes pour tirer le maximum de profit du travail de la classe laborieuse. Par conséquent, la lutte des travailleurs n’est qu’une conséquence ; sa cause est la lutte des capitalistes (étatiques et/ou privés) pour les maintenir dans leur situation d’exploités. Cependant, les idéologues de la classe capitaliste, et les politiciens occupant l’État grâce à ses financements, la présente comme un groupe de personnes visant uniquement le « bien commun » par le « développement des entreprises », mais qui, dans ce « noble » but, est contrecarrée par les revendications « irréalistes » et « irresponsables » des travailleurs.

Plus grave encore. Les exploiteurs, outre à tirer un profit économique des exploités, suite à ce dernier, s’offrent la jouissance de la connaissance, de la culture et des arts (bourgeois). Ainsi, ils croient réaliser leur « humanité ». Au contraire, les exploités, à cause de leur gain financier réduit et de la fatigue occasionnée par leur travail manuel exténuant, sont exclus de ce qui fait leur humanité. Tout au plus, ils peuvent accéder aux « loisirs », au folklore, à une conception homologuée de la religion ou d’une « morale », tout cela formaté par la même caste dominante, pour sa classe « inférieure » d’esclaves modernes. Version moderne des cirques romains antiques.

Alternative ? Une société basée sur le principe : Tous pour un et un pour tous. Chacun-e coopère à l’œuvre commune selon ses possibilités, et recevra de celle-ci selon ses besoins, reconnus par tous. Précisons que le type de société, entendu ici, n’est pas celui voulu et imposé par les marxistes (sa lamentable faillite a eu lieu), mais celui proposé par les autogestionnaires.

Ceci étant clarifié, poursuivons.

Vis-à-vis de la caste dominatrice, les classes dominées-exploitées-aliénées (moyenne et laborieuse) manifestent soit résistance et hostilité (quand leurs conditions de vie matérielle deviennent insoutenables) soit consensus et servilisme (quand la caste dominante est assez riche pour leur concéder des os à ronger, pour atténuer leurs besoins indispensables).

L’exemple le plus frappant, significatif et visible de ce conflit, où se manifeste, aujourd’hui, la domination de la caste capitaliste est le suivant : sa capacité de délocaliser ses entreprises de manière à s’assurer le maximum de profit, par l’emploi de la main-d’œuvre la moins coûteuse, en terme de salaire, de conditions de travail et d’absence de syndicat défenseur des droits légitimes des salariés exploités. Sans oublier, si nécessaire, le recours à une mafia de bandits pour mater les contestataires, action qui va, quand la situation l’impose, jusqu’à l’assassinat.

Venons à l’Algérie.

Là, aussi, en terme de forces en présence, on nous présente l’État (avec ses luttes de « clans »), les affairistes mafieux, l’armée, le service secret, les partis, les terroristes, enfin, sur le fond, des démocrates progressistes contre des rétrogrades conservateurs (entendons des « élites » politiques et culturelles).

I. Des classes

1. Castes dominatrices – exploiteuses – aliénantes

Précision préliminaire : pourquoi trois adjectifs et non un seul ?

Réponse. Pour exploiter un être humain, il faut le dominer par l’aliénation.

Si les deux premiers termes (domination, exploitation) sont relativement clairs, le troisième nécessite un bref éclaircissement. Contentons-nous de la définition du dictionnaire. Déposséder, transférer à autrui. Dès lors, l’aliénation consiste à déposséder l’être humain (le travailleur salarié) de ses capacités autonomes, physiques et psychiques, pour les transférer à un autre (qui les exploite en usant de la domination).

N’oublions cependant pas un autre aspect de cette aliénation. Le capitaliste, lui-même, pour exister comme tel, se dépossède de son humanité (sa capacité de compassion et de solidarité envers les autres, outre à sa capacité de jouir d’une vie harmonieuse) pour la transférer dans le culte exclusif de l’argent. D’une part, il est son veau d’or et son Dieu véritable. À ce sujet, voici une passionnante psychanalyse à faire : comprendre le motif inconscient de l’expression qui figure sur le dollar U.S. : « In God we trust » (en Dieu nous croyons). D’autre part, le temps ne correspond plus à vivre, il est réduit à l’argent : « Times is money ».

Ceci dit, si le capitaliste s’aliène lui-même, le travailleur salarié, au contraire, est soumis à l’aliénation par un autre, son employeur. La différence est… capitale.

Il faut donc ne pas perdre de vue cette triple infernale trinité : l’un des éléments ne peut pas exister sans l’autre, chacun conditionne et implique l’autre1. Mais, étant donné que généralement on emploie un des termes sans le lier aux deux autres, en les occultant (ce qui fausse l’examen de la réalité), j’emploie, ici, les trois termes à la fois, afin de rendre claire leurs indispensables rapports réciproques. Et là où, dans ce texte, est employé le seul terme « domination », il faut le lier aux deux autres aspects qu’il implique.

Autre précision. Depuis déjà un certain temps, la classe dominante ne se déclare plus comme telle ; elle préfère s’appeler dirigeante. Pas exploiteuse, mais « au service du développement économique de la nation ». Pas aliénante, mais « promotrice de culture ». Ce trafic de mots est diffusé par l’ « élite intellectuelle » payée pour faire prendre des vessies pour des lanternes. Cette dernière, aussi, rarement se déclare de droite, pro-capitaliste ; elle se proclame plutôt « démocratique », « progressiste », même de « gauche », « socialiste ».

Dans la guerre, les armées emploient le camouflage de leurs armes. La guerre sociale, elle aussi, recourt à ce procédé, dans le langage. Dans ce texte, au contraire, un chat est appelé chat, et une souris, une souris. En tout cas, l’effort est porté à éviter tout camouflage, par respect de la réalité vraie.

Dernière précision. Le terme caste, classe ou couche sociale désigne un ensemble de personnes liées par un intérêt commun, l’emportant sur leurs intérêts particuliers. Cet intérêt commun est économique, donc politique, donc idéologique.

Il peut, toutefois, arriver que l’intérêt particulier l’emporte sur l’intérêt commun. C’est le cas quand un membre de la caste dominante veut détenir l’hégémonie au détriment d’un autre. Par exemple, en Algérie, quand le colonel Boumédiène, après avoir fait cause commune avec Ahmed Ben Bella, l’envoya en prison pour prendre sa place. C’est ce qu’on appelle, en Algérie, la lutte des « clans ». Aux États-Unis, elle se manifeste dans la rivalité entre les deux partis dominants : républicain et démocrate ; en France, entre les partis de « droite » et le parti « socialiste » ; en Iran ou en Arabie saoudite, entre les « conservateurs » et les « réformateurs ».

Dans le domaine économique, l’intérêt particulier l’emporte sur celui commun chaque fois qu’une entreprise s’agrandit au détriment des autres, en englobant de plus petites. Ainsi, se forment les monopoles, en contradiction avec la loi capitaliste qui suppose l’existence de la libre concurrence.

Ceci clarifié, poursuivons.

En Algérie (comme dans le monde, désormais globalisé), rarement sont employés les mots et concepts exacts. Une bourgeoisie capitaliste étatique, dominatrice-exploiteuse-aliénante, et cela depuis l’indépendance nationale. Puis, depuis la relative « démocratisation », autrement dit le réel abandon du prétendu « socialisme étatique », la bourgeoisie privée, et ses trois aspects : 1) une aile classique, « bénéfique » (Cevital) ; 2) une autre mafieuse, « maléfique » (vous devinez qui) ; 3) une couche compradore.

Dans la phase actuelle, existent donc des castes (ou couches ou classes) possédant un capital économique.

Le premier est étatique. Il est détenu par la bourgeoisie qui contrôle l’État. Cette classe est la plus importante, autrement dit hégémonique. Nous verrons dans la suite pourquoi et comment.

Vient ensuite le capital privé. Celui-ci existe sous trois formes.

Le premier est d’origine plus ou moins mafieuse. La presse en a dernièrement parlé. Caractéristique : comme l’adjectif l’indique, l’existence de ce capital n’est pas la conséquence d’une activité capitaliste normale, c’est-à-dire obéissant aux lois conventionnelles du marché.

Un second capital privé est celui compradore. Ses membres tirent profit de l’importation de produits n’existant pas en Algérie.

La troisième catégorie de capital privé est classique, normale. Son activité s’insère dans les lois conventionnelles du système capitaliste. Son représentant est l’entreprise Cevital.

1 Quelques jours après la publication de ce texte, on pouvait lire ceci :

« Avec la manne pétrolière, Bouteflika y a ajouté la politique de distribution la plus inégalitaire qu’a vécue le pays en permettant au privé oligarque de squatter les marchés publics et de pomper l’argent de l’Etat, en permettant des transferts financiers substantiels aux firmes étrangères sous forme de profits et de dividendes financiers, en favorisant la reconversion, versus réconciliation nationale, dans le commerce intérieur et d’importation des responsables directs de la décennie noire et leurs subalternes et en développement la corruption à l’échelle de masse (couches moyennes, bourgeoisie commerçante et bourgeoisie relais de la mondialisation). » Adel Abderrezak. Enseignant-chercheur à l’université de Constantine, ex-porte-parole du syndicat CNES, El Watan, 17.09.17, http://www.elwatan.com//actualite/le-plan-d-action-d-ouyahia-est-un-nouveau-programme-d-ajustement-structurel-17-09-2017-352826_109.php

2. Classes dominées - exploitées - aliénées

Elles se distinguent en deux catégories.

La classe moyenne. Auparavant, on la désignait par le terme petite-bourgeoisie. Elle comprend trois niveaux : supérieur, moyen, inférieur. Ils sont déterminés par la grandeur du gain financier obtenu et l’importance du poste hiérarchique assumé dans la gestion sociale.

Pour avoir une idée concrète, citons de brefs exemples. Font partie du niveau supérieur les « cadres » de la nation, dirigeants des appareils institutionnels administratifs, idéologiques et répressifs. Au niveau moyen, se situent les activités nécessitant une instruction de type universitaire doctoral, tels chirurgiens, experts économiques ou dans d’autres secteurs sociaux, certains écrivains, artistes et journalistes, formant l’ « élite » plus ou moins officielle. Au niveau inférieur se trouvent les enseignants d’école primaire et secondaire, les employés administratifs, les techniciens spécialisés, etc.

Vient enfin la classe majoritaire : celles et ceux qui, par manque de « capital » en terme d’instruction, vendent leurs muscles ou/et leur cerveau en échange d’un salaire qui a une particularité, par rapport à celui des autres classes sociales. Il est accordé uniquement pour leur permettre de survivre. Cela est dû à la fameuse « loi » capitaliste : la maximisation du profit de l’employeur (qu’il soit étatique ou privé, mafieux ou classique), donc la minimisation de la rétribution de l’employé.

À présent que nous possédons une vision schématique générale de l’existence des classes sociales, examinons leurs relations.

II. Luttes des classes

1. Antagonisme principal

Suite à ce qui vient d’être exposé, comme l’indique le schéma, il s’ensuit que les deux forces en présence fondamentales sont, d’une part, tout en haut de l’échelle sociale, la caste d’acheteurs, et, tout en bas de la même échelle, la classe de vendeurs de travail manuel et/ou intellectuel.

Auparavant, nous avons dit comment se manifeste l’antagonisme et donc la lutte entre ces deux classes : la dominatrice vise au maximum de profit, soustrait par l’intermédiaire du travail de ses salariés ; la classe constituée par ces derniers se préoccupe de subvenir à ses besoins matériels minimums indispensables, ceux de la survie.

Là sont donc les deux forces antagonistes principales. Elles existent, animent, agitent ou apaisent la société algérienne dans son ensemble (comme, par ailleurs, toute société humaine contemporaine, depuis la création du salariat). Dans ce processus, tout, absolument tout a comme enjeu l’argent.

D’une part, les castes dominantes en veulent le plus possible, le plus longtemps possible, le plus rapidement possible, quelque soit le moyen, légal de préférence, autrement mafieux jusqu’au recours à la violence, institutionnelle ou illégale. Ceci pour les couches bourgeoises étatique, privée mafieuse ou compradore. La couche classique écarte l’illégal et la violence.

Ce qu’il faut souligner, et ne jamais perdre de vue, réside dans deux faits.

Le premier. La richesse des couches dominantes (à l’exclusion de la bourgeoisie compradore) provient de l’exploitation de la classe laborieuse. Elle seule produit de la richesse, par son travail.

Il n’est pas nécessaire d’être un « révolutionnaire » ni un « gauchiste » pour le constater. Déjà, en 1827, un marquis écrivit :

« Mes amis, vous êtes des gens voués au travail. Votre destin est de travailler, en moyenne, seize heures par jour.

De ces seize heures, la moitié, ou à peu près, est mise de côté pour former le patrimoine de "l’élite" de la société, divisée en propriétaires, capitalistes, prêtres, fonctionnaires publics, rentiers, pensionnaires, rois ou ministres, académiciens. » (cité par Jean-Pierre Voyer, Une Enquête sur la nature et les causes de la misère des gens, 1976.)

Deuxième fait. Outre à l’exploitation de la force laborieuse, la caste dominante étatique se procure de la richesse par son contrôle exclusif des ressources naturelles de la nation, au détriment du peuple.

2. Antagonismes secondaires

Nous arrivons à ce qui découle de l’antagonisme principal, à savoir les antagonismes secondaires. Ils seront exposés par ordre d’importante décroissante.

Les antagonismes secondaires de première importance se situent d’abord au sein même des castes dominatrices. En voici la chaîne de domination de la couche la plus hégémonique aux autres : Bourgeoisie étatique - bourgeoisie privée mafieuse - bourgeoisie privée compradore - bourgeoisie privé classique.

La bourgeoisie étatique et celle privée ont des intérêts.

D’une part, ils sont complémentaires.

Les deux tirent profit de l’exploitation de la classe des travailleurs.

En outre, la bourgeoisie étatique d’un côté, et, de l’autre, deux secteurs de la bourgeoisie privée ont certains intérêts communs. La règle de fonctionnement est le « retour d’ascenseur » : je te donne ceci, et, en échange, tu me donnes cela.

La bourgeoisie mafieuse recourt au capital étatique (notamment prêts bancaires et acquisitions de marchés, dans des conditions défiant toute logique de concurrence normale), pour faire du profit. En retour, par ses trafics, ce capital mafieux permet aux membres de la caste étatique de s’enrichir davantage, selon des procédés difficiles, mais pas impossibles, à déceler.

En outre, la bourgeoise privée mafieuse (il reste à savoir si c’est également le cas pour la bourgeoisie privée classique) trouve son intérêt dans la privatisation du secteur étatique. Or, la bourgeoisie étatique s’y oppose. Sa motivation n’est pas, comme le croient les naïfs et le font croire les propagandistes, pour le bien du « pays », mais parce que sans main-mise sur l’État, permettant le contrôle sur les ressources premières, la bourgeoisie étatique n’existe pas.

Cependant, la privatisation d’entreprises publiques peut être consentie par la caste étatique. Cela se réalise quand des membres de la caste étatique trouvent leur intérêt à devenir des capitalistes privés. Ils s’arrangent, alors, pour vendre les entreprises publiques à un prix dérisoire. Pour y arriver, le moyen consiste à créer, par des « règlements » étatiques, des obstacles dans l’activité productrice de ces entreprises, les rendant provisoirement inaptes à l’exercice de leur fonction, déficientes en matière de productivité.

Et si des membres de syndicats autonomes dénoncent cette manipulation, eh bien licenciements ou arrestation, en inventant un motif apparemment plausible. Le plus simple est la « divulgation de données réservées ».

Concernant la convergence d’intérêts entre la bourgeoisie étatique et celle compradore, elle sera exposée ultérieurement.

D’autre part, les intérêts de la bourgeoisie étatique et de celle privée sont opposés : chaque caste lutte pour l’hégémonie sur les autres, pour obtenir le plus de profit financier.

La bourgeoisie mafieuse voudrait dominer celle étatique ; à son tour, cette dernière voudrait dominer la première, éventuellement en employant les méthodes de la bourgeoisie mafieuse.

Toutes ces deux bourgeoisies, étatique et mafieuse, empêchent la bourgeoisie capitaliste classique (Cevital) de se développer. En effet, le développement de cette dernière suppose l’affaiblissement des deux autres.

Nous arrivons aux antagonismes secondaires de seconde importance.

Ils existent entre les castes dominatrices, quelque soit la caractéristique, et la classe moyenne, quelque soit le niveau.

D’une part, l’intérêt de ces deux catégories sociales sont complémentaires. Toutes les deux visent à la gestion de la classe inférieure, celle des travailleurs, pour en tirer, chacun pour sa part, un profit.

D’autre part, les intérêts des castes dominatrices et de la classe moyenne s’opposent. La première tient à sa position de dominatrice-exploiteuse exclusive, limitant la seconde au seul rôle d’auxiliaire. Au contraire, les membres de la seconde ambitionnent, chacun selon le niveau occupé, de bénéficier le plus possible d’une partie de cette domination-exploitation, ce qui irait au détriment de la classe dominatrice-exploiteuse.

Enfin, voici les antagonismes secondaires de troisième importance.

Malheureusement, au sein de la classe laborieuse existent également des antagonismes d’intérêts.

Le premier se manifeste entre travailleurs manuels des villes et ceux des campagnes. Les citadins, à cause de leur bas salaire, veulent acheter le moins cher possible les produits agricoles des paysans. Ces derniers, pour améliorer leur situation économique très précaire, souhaitent, au contraire, vendre le produit de leur travail au prix le plus avantageux.

Le second antagonisme se trouve entre travailleurs et chômeurs. Les premiers voient dans les seconds une menace de perdre leur emploi ; les seconds considèrent les premiers comme cause de leur impossibilité d’accéder à un travail.

S’ajoute les travailleurs immigrés clandestins. Pour une somme misérable, dans les conditions les plus inhumaines, ils acceptent tout travail offert. Ainsi, ils concurrencent aussi bien les travailleurs que les chômeurs autochtones.

III. Formes de la lutte des classes

Déjà, dans la partie précédente, ont été exposés certains aspects de cette lutte des classes, entre elles, d’une part, et, d’autre part, au sein d’elles-mêmes.

Éclaircissons davantage ces manifestations.

Comment la bourgeoisie étatique assure son hégémonie ? Comme le schéma exposé le montre, elle dispose de trois types d’instruments institutionnels : 1) appareil administratif pour la gestion ordinaire ; 2) appareils idéologiques (instruction, religion, mass-medias, « culture » folklorique) pour obtenir le consensus des citoyens ; 3) organismes répressifs (lois, police, service secret, armée) pour juguler toute contestation, y compris légitime et légale.

Tous les faits qui surviennent au sein de l’un ou l’autre de ces organismes est indicatif du déroulement de la lutte, soit au sein même des classes dominantes respectives, soit entre elles et les deux classes subalternes, la moyenne ou/et la laborieuse.

Prenons le cas survenu avec Abdelmajid Tebboune. Comment les « forces en présence » se sont manifestées ?

Examinons la partie hégémonique.

Pour le moment, la bourgeoisie étatique détient le maximum de pouvoir social. Seulement, elle y parvient en recourant à la complicité avec la bourgeoise privée mafieuse et compradore. Cette alliance est au détriment de la bourgeoisie privée classique (Cevital).

Normal : cette dernière n’a pas besoin de complicité avec la bourgeoisie étatique pour concrétiser ses activités. Au contraire, la bourgeoisie mafieuse et celle compradore, elles, ne disposent pas de capital propre ; elles le puisent dans les prêts bancaires accordés par… la bourgeoisie étatique. Laquelle « gagne » les élections grâce au soutien financier de la bourgeoisie mafieuse et compradore. Cela a déjà été signalé : le principe du retour d’ascenseur : je te donne à la condition que tu me donnes.

L’épisode Abdelmajid Tebboune semble une preuve de cette situation. Il déclarait vouloir séparer la « politique » de l’ « argent ». Et certains y ont cru, l’ont espéré ! Ils ont oublié qu’auparavant, un autre a voulu, celui-là réellement, opérer cette séparation, Mohamed Boudiaf. On connaît l’épilogue.

Encore plus avant, à l’étranger cette fois-ci, il semble (là, aussi, comme en Algérie, impossible de connaître la vérité) que c’est parce qu’il s’étaient trop intéressés à l’aspect mafieux de l’économie états-unienne qu’un président, puis un ministre de la justice furent, eux aussi, assassinés, mais de manière plus « intelligente », plus « civilisée », plus « démocratique » : l’un et l’autre par un soit disant individu « isolé » : John Kennedy puis son frère Robert. Pour Mohamed Boudiaf, même scénario.

Où donc, dans quel pays, encore plus en ce temps de capitalisme mondial sauvage triomphant, existe cette séparation entre argent et politique ? Notamment depuis la dénonciation par le président Eisenhower, dans son fameux discours d’adieu à la nation, de la menace que faisait peser sur les institutions politiques la présence du « complexe militaro-industriel », l’argent et la politique ont établi un mariage de (dé)raison : capitalistes et politiciens se conditionnent les uns les autres, comme le proxénète et la « fille » qu’il « protège ».

Comment serait-il possible de séparer la « politique » de l’ « argent » en Algérie quand les pays prétendument démocratiques avancés (qui le sont certainement plus que l’Algérie) mélangent ces deux domaines d’activités ? La différence avec l’Algérie (et d’autres pays de la « périphérie » de la planète) réside uniquement dans la manière : les premiers emploient des procédures respectant les apparences institutionnelles, tandis qu’en Algérie, elles le sont nettement moins. À cause d’une arriération qui n’est pas seulement économique, mais culturelle, donc politique, par conséquent institutionnelle. Et d’où provient cette arriération sinon d’un stade historique arriéré de la structuration des classes et de la lutte entre elles ?

Le système capitaliste est caractérisé par le vol (argent tiré de l’exploitation des salariés) légalisé (procédé économique rendu institutionnel par la politique, autrement dit par la caste gérant l’État). Voilà le fond, la base, l’essentiel de la réalité. Et, selon le degré de développement (économico-culturel) d’une société, ce couple d’amants infernaux, « argent » et « politique », se présente d’une manière « civile », consensuelle et productive, ou mafieuse, autoritaire et parasitaire.

De là découlent certains comportements. Ils ne devraient pas surprendre si l’on voit clairement l’essentiel sans le confondre avec ses conséquences, par ignorance ou intention manipulatrice.

Qu’en est-il de la bourgeoisie compradore ?

Son activité se caractérise par l’importation. Cela implique un pays incapable de produire lui-même les marchandises importées ; et, si certains ont la velléité de produire, ce qui est le cas de la bourgeoisie privée classique, les éléments compradore s’y opposent, de toutes les manières, « légales » ou mafieuses. Voir les blocages subis par Cevital dans les ports.

Ainsi, plus cette activité d’importation est consistante, moins l’activité économique du pays pourra se développer. Par contre, les pratiquants de l’import s’enrichiront, de même que la bourgeoisie étatique. Parce que c’est cette dernière qui établit les « lois » et « règlements » de l’activité d’importation.

Comme avec la bourgeoisie privée mafieuse, avec la bourgeoisie compradore, aussi, il y a un retour en faveur de membres de la caste étatique : en terme de gain financier et de transfert de devises à l’étranger.

Dans ce secteur social, on devine que cette bourgeoisie compradore et sa complice étatique ont intérêt à établir les liens les plus étroits avec les capitalistes étrangers, producteurs des marchandises à importer.

Quelles sont les victimes ?

Voyons celles de l’activité privée mafieuse.

D’une part, le capital privé classique. Respectant le jeu du marché, il n’a pas besoin de s’acoquiner avec la bourgeoisie étatique. Cela entraîne cette dernière à l’empêcher de se développer, au profit du capital mafieux, où elle trouve un retour financier.

D’autre part, les consommateurs. Le capital mafieux surfacture ou encaisse un argent public (c’est-à-dire de la communauté des citoyens) comme avances pour des travaux non réalisés, tout cela avec la complicité du capital étatique. Et les deux compères y trouvent leur profit. Ainsi s’explique l’enrichissement anormal de certaines familles algériennes.

Et les victimes de l’activité compradore ?

D’une part, le capital privé classique, empêché de produire les marchandises absentes dans le pays, afin de les importer de l’étranger. D’autre part, les consommateurs : un téléphone, une télévision, un frigidaire ou un véhicule, produits dans le pays coûteraient, logiquement moins chers qu’importés.

En passant, notons ce qu’affirment certains : cette couche parasitaire compradore correspondrait généralement à l’idéologie intégriste islamiste. En paroles, elle hait l’étranger et ses « valeurs », mais chérit le commerce avec lui et donc l’argent qui en découle. Nous en sommes toujours à l’adoration du Veau d’Or.

Une autre caractéristique de cette couche compradore est encore plus préoccupante. Son activité commerciale l’oblige à créer, maintenir et développer des liens avec les entreprises étrangères productrices de ces biens. Voilà la fenêtre par laquelle les puissances néo-coloniales et impérialistes entrent dans le pays. Et comment, par l’intermédiaire de la couche compradore, elles tirent leur profit au détriment du développement économique du pays et des consommateurs algériens.

Et voilà pourquoi ces mêmes puissances néo-coloniales et impérialistes prêtent main forte, policière et militaire, afin que ce système socio-économique perdure. Là, aussi, l’idéologie nationaliste (déclarant son amour pour le pays) et celle intégriste islamiste (proclamant sa haine de l’Occident) s’accommodent parfaitement de ces ingérences étrangères occidentales. Elles garantissent l’existence du système où capitalisme étatique et capitalismes privés (mafieux et compradore) trouvent leur profit, au détriment de la nation (empêcher la production) et du peuple (prix élevés des marchandises).

Voilà ce qui rend si malaisée l’activité du capital privé classique en Algérie. Voilà ce qui explique, aussi, que les citoyens honnêtes, notamment dotés de savoir et désirant réellement le développement de la nation (que ce soit au bénéfice du capital privé classique ou de la classe laborieuse) n’ont pas leur place dans ce pays, qu’ils sont écartés ou contraints à l’exil.

Venons à la classe moyenne. Sa fonction est ambiguë.

Soit la caste dominante lui concède des avantages suffisants, alors la classe moyenne manifeste son consensus, et fonctionne comme courroie de transmission des décisions de la caste dominatrice, pour gérer la classe au-dessous, la laborieuse. Peut importe la forme du régime : dictature militaire ou démocratie plus ou moins limitée. En l’occurrence, dans l’ « usine » qu’est le pays, la classe moyenne (chaque niveau ayant une fonction spécifique) a le rôle de contre-maître, de garde-chiourme de la caste patronale pour gérer la classe laborieuse.

Soit, en cas d’intérêt lésé par la classe dominatrice, la classe moyenne devient un agent contestataire. Cela l’amène à manipuler la même classe inférieure, la laborieuse, mais cette fois-ci pour soutenir les intérêts de la classe moyenne, présentés comme ceux de la « nation », du « peuple » entier.

C’est ainsi que fonctionne le fameux « soutien critique ». Si tu me concèdes assez, je ne te critique pas ou peu ; si tu me donnes comme-ci comme-ça, je t’accorde mon « soutien critique » ; si tu me refuses le minimum nécessaire, alors je te retire le « soutien » pour recourir uniquement à la « critique ». En Algérie, dans le passé, un parti politique s’est illustré dans ce comportement.

Preuve manifeste de cette attitude : l’ « élite » intellectuelle. Tant qu’elle dispose de privilèges satisfaisants, accordés par la caste dominante, toute l’« intelligence » de cette « élite » justifie, légitime le système actuel. Ses « critiques » consistent essentiellement à indiquer des améliorations de détail, afin de consolider l’essentiel du système existant. Cette opération a la particularité de se doter d’un masque qui se veut honorable : la « démocratie » (pour les gens de l’ « élite »), le « progrès » économique (permettant à cette « élite » de conserver ses privilèges), la « culture » (celle qui lui fournit argent et gloire médiatique).

Nous arrivons à la classe laborieuse et aux chômeurs (travailleurs provisoirement exclus de l’activité productrice).

Pour la majorité des journalistes et essayistes (classe moyenne de niveau moyen), ce n’est que du « gâchi », une foule, une masse apathique, un troupeau de moutons, sans aucun poids significatif comme force sociale.

Pourtant, la caste dominante craint cette classe laborieuse, puisqu’elle se soucie de la ménager. Dans ce but, elle utilise trois « amortisseurs » sociaux pour conjurer sa révolte.

1. L’idéologie : elle présente la religion, en particulier, et certaines « valeurs », en général, comme soumission non seulement à Dieu, mais également à ceux auxquels il a donné le pouvoir de commander la société.

Mais, comme le peuple, quoiqu’en dise, ne peut pas se nourrir, soigner et loger de préceptes religieux ni de « valeurs », interviennent :

2.  les subventions financières : prix supportable de certains aliments de base, tels pain et lait, ainsi que logements, etc.

3. Enfin, sachant que les deux premiers « amortisseurs » ne suffisent pas, intervient le contrôle policier et, éventuellement, la répression.

N’est-ce pas la preuve que ce peuple du « bas » de l’échelle sociale n’est pas si apathique qu’on le dit ?

Certains diront : d’accord, mais ce peuple est tenu par la carotte, l’opium et le bâton. Donc il demeure apathique.

Objection ! La preuve que ces éléments de gestion sociale de la classe laborieuse ne suffisent pas, c’est l’opposition de la caste dominante à l’existence de syndicats autonomes de travailleurs, ainsi que d’associations de chômeurs. Ces revendications prouvent que travailleurs et chômeurs, tout au moins la partie consciente parmi eux, ne se laissent pas bercer par les miettes qui leur sont concédées.

De là, devient clair l’opportunisme, pour ne pas dire l’inconséquence ou l’hypocrisie, de certains intellectuels. D’une part, ils dénoncent le peuple comme un ramassis de « gâchi » (foule, masse) apathique ; mais, d’autre part, ils ne font rien pour soutenir, de manière conséquente, les efforts des travailleurs et chômeurs pour disposer d’organismes propres à leur affirmation comme sujets sociaux agissants.

IV.

Le sel de la terre

Ces mêmes intellectuels écrivent articles et essais, jusqu’à la nausée, en évoquant essentiellement la personnalité d’un président, les orientations du commandement de l’armée, des « clans », du « tribalisme », du « régionalisme », sans quasi jamais parler de classes sociales, de lutte de classes, donc des efforts des classes dominées de s’affranchir de leur condition subalterne.

Notons que cette attitude élitaire n’est pas spécifique à l’Algérie ; elle est mondiale.

Est-ce parce que ce serait marxiste et que celui-ci n’est plus à la mode ?… Qui le croit se trompe. L’existence des classes et de la luttes entre elles, de l’aveu même de Karl Marx, est une découverte de penseurs libéraux bourgeois (1).

Pourquoi la classe laborieuse est ignorée, sinon négligée, en tout cas mise comme ultime élément de recours pour un changement social ? (2)

La conception « démocratique » et « progressiste » est victime de trois erreurs.

La première provient de Marx. Elle consiste à croire que l’économie est l’aspect fondamentale d’une société. Au contraire, c’est la forme de gestion de celle-ci, ce qu’on appelle, en un autre terme, la « politique » qui détermine le type d’économie. La preuve : aux U.S.A. comme dans l’ex Union « soviétique » de Lénine-Trotski puis leurs successeurs, la gestion de l’économie eut un point commun : la classe laborieuse est restée exploitée par une caste dominante (bourgeoisie privée dans le premier cas, étatique, dans le second).

La seconde erreur a comme auteur Lénine et Trotski. Elle réduit les désirs des exploités à des revendications vulgairement économiques, celles concernant le ventre et le corps.

Au contraire, ces exploités économiquement, d’une manière ou d’une autre, - les plus conscients de façon explicite (les autogestionnaires) -, conçoivent ces droits matériels à l’intérieur de quelque chose de plus ample, plus noble : une totalité de vie qui soit digne.

Troisième erreur. Elle a comme auteur Marx et ses disciples, Lénine et autres. Cette erreur a été reprise par eux de la pensée bourgeoise jacobine française. Elle consiste à croire que le changement social ne peut venir que par la conquête du pouvoir de l’État, donc par un changement au sommet. Dans ce cas-là, la classe laborieuse sert uniquement comme « masse » de manœuvre, instrument « guidé », autrement dit manipulé, par un groupe de professionnels de la révolution (parti d’ « avant-garde »).

Par conséquent, toutes les mentalités élitistes-autoritaires ne conçoivent le changement social que par l’intervention au niveau de l’État, donc des agents qui le gèrent. Le peuple, lui, demeure le pis aller, tout au plus un instrument, le bras armé. Cette conception domine dans le monde, malheureusement. Elle a pour elle plus de trois millénaires d’histoire. L’on comprend que cette conception semble éternelle, naturelle, aller de soi, y compris pour ceux qui se croient révolutionnaires radicaux, tels Robespierre, Marx et Engels, Lénine, Trotski et autres. Dès lors, il n’y a point à s’étonner qu’en Algérie, comme dans le monde, l’écrasante majorité de l’ « « élite » croit à cette conception.

Pourtant, l’expérience historique montre qu’elle est erronée et illusoire. Si elle a permis des changements sociaux, ils ne furent jamais radicaux, entendons par là qu’ils n’éliminèrent jamais l’exploitation d’une majorité par une caste minoritaire.

Certes, pendant une soixantaine d’années, les élitistes-autoritaires ont cru et fait croire que certains pays étaient devenus « socialistes » et même « communistes », que l’État était devenu celui des travailleurs (ou du peuple), que, par conséquent, il y eut révolution, donc fin de l’exploitation de l’homme par l’homme.

La réalité démontre le contraire ; elle donne raison aux autogestionnaires. Du temps même de Marx, puis à l’époque de Lénine, ils dénoncèrent l’illusion élitiste-autoritaire, privilégiant l’État comme clé du changement social, et le peuple uniquement comme instrument manipulé par cette élite « révolutionnaire ».

Désormais, si l’on veut réellement un changement social au bénéfice du peuple laborieux, c’est uniquement à celui-ci qu’il faut s’adresser, uniquement sur lui qu’il faut compter. C’est lui le sel de la terre, la sève de la vie sociale, le levier pour changer le système social.

Cela implique une conception sociale autogestionnaire, où les citoyens gèrent de manière libre et autonome leur société, selon des formes qu’ils ont à trouver eux-mêmes. Dès à présent, trois éléments sont clairs :

- un but fondamental : cette autogestion devra éliminer toute forme d’exploitation de l’être humain par un autre ;

- une méthode fondamentale : la forme autogestionnaire n’a pas besoin de passer par une phase « transitoire » où un groupe élitaire-autoritaire commande ; la forme autogestionnaire est en même temps but et moyen. C’est par la pratique autogestionnaire, ici et maintenant, que se réalise l’autogestion généralisée comme but ;

- au lieu d’élite autoritaire, les détenteurs de savoir doivent comprendre que leur seule action utile est de contribuer à l’autogestion, sans se substituer en nouveaux maîtres, sous prétexte de détenir un savoir « scientifique » duquel les autres sont démunis.

Ces trois conditions sont la garantie pour ne pas tomber dans un nouvel asservissement :

- soit celui du réformisme social-démocrate : accorder à la classe laborieuse des miettes, tout en laissant exister la caste capitaliste privée, et en réduisant la vie des travailleurs à celle de producteurs-consommateurs, limités à des « loisirs » imbéciles et puérils aliénants ;

- soit, plus grave et totalitaire, le « socialiste étatique », inauguré par le bolchevisme, puis totalement réalisé par le stalinisme et ses avatars proclamés « démocratie populaire ». Là, aussi, la classe laborieuse est réduite à produire-consommer, limitée à des « loisirs » consistant à chanter les louanges du « Sauveur Suprême » et à apprendre par cœur ses « pensées géniales ».

Dès lors, la classe laborieuse fait peur à toutes les conceptions autoritaires (et économistes), quelque soit leur forme : laïque ou cléricale, capitaliste ou marxiste.

De temps en temps, on avoue cette crainte des réactions du peuple ; on les suspecte violentes, en somme du « désordre ». On fait silence sur le véritable désordre et sa violence quotidienne : un salaire de survie et le contrôle-répression. Là est l’essentiel, la cause, le fondement. Les éventuelles révoltes (désordres, violences) des victimes n’en sont qu’une conséquence. Elle est toujours inférieure, en quantité, au désordre et à la violence de la caste dominante.

Alors, l’inquiétude se tourne vers l’armée. Comment réagira-t-elle ?

Certains appellent l’intervention de l’armée. D’autres déclarent que cette institution doit rester en dehors de la politique.

Qu’en est-il, en réalité ?

Non seulement en Algérie mais dans le monde entier, y compris les « démocraties avancées », l’armée est uns institution dépendante et conséquente du système social existant, donc de la caste dominante. Trois exemples. En mai 1968, quand le mouvement social avait aboutit à une grève nationale prolongée de dix millions de travailleurs, paralysant l’économie, et déclarant vouloir éliminer le système capitaliste dominant, que fit le président de la République, De Gaulle ?… Il abandonna l’Élysée et alla trouver le chef de l’armée française, stationnée en Allemagne. C’était son ultime recours contre ce qu’il appela la « chienlit ».

Auparavant, aux États-Unis, quand le mouvement pour les droits civils puis celui contre l’agression au Viet Nam devinrent menaçants, pour les contenir, le gouvernement eut recourt à l’armée.

Avant le déclenchement de la seconde agression contre l’Irak, les manifestations citoyennes, notamment aux États-Unis et en Angleterre, furent gigantesques. Cela n’empêcha pas les armées de ces pays d’obéir aux ordres des castes dominantes.

L’Algérie n’échappe pas à la règle universelle. L’armée est l’émanation de la caste dominante et, par conséquent, elle défendra son existence, en cas de nécessité, aussi bien contre un ennemi extérieur que contre un contestataire intérieur.

Son éventuelle intervention dépendra du fait suivant : le niveau d’avidité des possesseurs de capital (d’abord étatique, ensuite privé), et, d’autre part, la capacité de supporter de la part des victimes de cette avidité (travailleurs manuels et chômeurs).

L’avidité consiste à s’enrichir le plus possible, le plus longtemps possible, par tous les moyens possibles, du licite à l’illicite.

Supporter, c’est disposer de quoi survivre le plus possible, le plus longtemps possible, par tous les moyens possibles, du licite à l’illicite.

Là, me semble-t-il, se trouve le « courant souterrain », (invisible pour qui ne sait pas ou ne veut pas voir) mais déterminant de ce qu’on appelle la dynamique des forces sociales. Si l’on n’a pas peur des mots, on peut également l’appeler par ce qui la caractérise réellement : lutte des classes. On peut la nier de toutes les manières, pourtant, dirait Galilée, elle existe.

La question centrale est donc, quelque soit le pays de la planète : sur quelle base existe et fonctionne un système social. Actuellement, nous en sommes encore, partout sur la planète, sous une forme atténuée ou brutale, en présence d’un système qui se caractérise par l’existence de deux classes principales antagonistes, où l’une, minoritaire, vit et s’enrichit au détriment d’une autre, majoritaire, qui peine à survivre. Là est l’ignominie fondamentale, la base de la société.

Tout le reste est conséquence : institutions de légitimation et de consensus (religion, enseignement, mass-medias, culture), institutions de gestion (État, administrations, partis politiques), institutions de contrôle et répression (lois, police, armée).

Comme sont, également, des conséquences les autres aspects, problèmes et conflits sociaux : « ethniques », situation de la femme, sexualité, déprédation mafieuse, violence, jusqu’aux saletés dans les rues, etc.

Bien entendu, soulignons-le, les conséquences ont, en retour, une influence sur les causes des luttes sociales. Dans certaines conditions, ces conséquences (ou l’une d’elle) pourraient se révéler déterminantes dans la modification de ces luttes sociales.

Cependant, quand, dans un pays, une conséquence qu’est l’armée est sollicitée ou intervient pour changer le rapport antagoniste entre les classes sociales, que ce soit en faveur de celle dominante ou de celle dominée, c’est que, d’une part, l’État (plus exactement la caste qui le domine) n’est plus capable de (hétéro) gérer, et, d’autre part, la classe la plus dominée n’est plus en mesure de supporter, ni de disposer d’une manière alternative de (auto) gérer la société.

Toutefois, dans ce cas, l’intervention de l’armée est seulement une manière de boucher un trou dans une barque (la société) où viennent se jeter continuellement des trombes d’eau (lutte entre les classes).

Dès lors, au lieu de faire un appel à l’armée, ne vaut-il pas mieux s’efforcer de trouver une solution différente ?

Malheureusement, celle de l’autogestion populaire est, en cette phase actuelle, une utopie. Restent les partis d’opposition dite démocratique. Lesquels se révèlent incapables d’une intervention efficace, ni de manière singulière ni concertée.

Où sont la force des uns et la faiblesse des autres ?

La force des castes dominatrices est constituée par leur organisation et solidarité face à leur « poule d’or » et ennemi commun : la classe laborieuse. Les dominateurs font tout pour maintenir celle-ci comme “masse” contrôlée (par l’intermédiaire de syndicats à leur solde, en l’occurrence l’U.G.T.A.), sinon désorganisée (en réprimant les syndicats autonomes, réellement représentatifs des travailleurs, et les associations de chômeurs).

En outre, comme déjà exposé, la caste dominatrice dispose de tout l’arsenal de gestion sociale : appareils administratif, idéologique et répressif.

Ajoutons encore le discours de l’ « élite » autoritaire, soutenant ou « s’opposant » aux castes dominantes. Il conçoit tout changement social comme pouvant venir uniquement des castes dominatrices (puisqu’elles sont dominantes), et jamais de la classe laborieuse (puisqu’elle est dominée). Nous constatons, alors, un paradoxe : ceux-là même qui reprochent au peuple de n’être que « gâchi » (foule, masse) le maintiennent dans cette position. Comment ?… En ignorant la nécessité de son organisation autonome, pour ne penser qu’à une ré-organisation (réforme) « démocratique » de la classe hégémonique, qui serait en « faveur » de ce « gâchi ».

Combat totalement inégal. Aussi, la classe laborieuse sera maintenue dans la déplorable situation de foule tant qu’elle ne disposera pas d’une organisation autonome. Uniquement celle-ci sera capable de défendre ses intérêts face à ses dominateurs.

Dès lors, il devient facile de comprendre que les castes dominantes font tout, du « légal » (lois, règlements) à l’illégal (interdictions contraires aux droits constitutionnels, emprisonnements, si nécessaire mort suspecte), pour empêcher la classe laborieuse de se doter d’un instrument propre. Dans cette perspective, tout le discours élitaire-autoritaire, y compris celui des « démocrates » et « progressistes » opposants au régime, va dans le sens de maintenir la classe laborieuse au statut de foule hétéro-gérée.

Toutefois, certains « démocrates » affirment qu’un changement « démocratique », par des élections correctes, opéré dans la classe hégémonique, établirait une classe dirigeante plus convenable. Elle permettrait aux classes dominées (moyenne et laborieuse) de se doter librement d’organisations autonomes pour défendre leurs intérêts spécifiques.

Les auteurs de cette conception oublient (ignorent ou occultent) que, dans les pays de « démocratie avancée » (Europe, U.S.A., Japon, etc.), la caste dominante dispose, pour elle-même, de diverses structures d’organisation autonome : associations patronales, « forums » divers, think-tanks, outre le contrôle de l’État et de ses appareils de gestion sociale.

En même temps, la classe dominante empêche les classes dominées (moyenne et laborieuse) de se doter d’organisations autonomes aptes à changer le système de domination. Par exemple, si certains syndicats autonomes font valoir des intérêts des travailleurs, ils ne parviennent au mieux qu’à obtenir des miettes, si la conjoncture capitaliste permet des profits significatifs. Autrement, c’est l’ « austérité », au nom de la concurrence internationale, le serrement de ceinture, l’élimination de droits sociaux déjà acquis. Voir les décisions de l’actuel président de la France, des instances européennes, de l’actuel président des États-Unis, pourtant élu, dit-on, par les couches les plus populaires, sans oublier les décisions d’ « austérité » annoncées par le gouvernement algérien.

Ces faits ne suffisent-ils pas à renoncer aux illusions de changement réellement démocratique (c’est-à-dire au bénéfice du peuple dominé) par le « haut », pour se préoccuper, dorénavant, de construire les conditions afin que ce peuple dominé puisse établir la réelle démocratie, c’est-à-dire une société au bénéfice de ce peuple, des classes dominées ? Cela implique l’élimination de toute forme de domination d’une couche d’êtres humains sur d’autres. Ce système s’appelle autogestion sociale généralisée.

V.

Que faire ?

La question se pose. Avec le temps, elle devient de plus en plus urgente.

Une première chose possible est de diminuer l’ergotage plus ou moins byzantin, les sottises et les gémissements (dus soit à l’ignorance, soit à la volonté d’occulter) sur les « luttes au sein du pouvoir » (lesquelles sont des conséquences), pour davantage s’intéresser et analyser les réelles et décisives luttes entre les classes sociales (qui sont les vraies causes), leurs enjeux, leurs manifestations et leurs perspectives. En accordant l’attention principale, non pas à la caste dominatrice mais à sa victime, notamment à la manière de celle-ci pour construire les conditions pratiques de son affranchissement (3).

Le même marquis, mentionné auparavant, a écrit, en 1833 :

« Vous manquez à vos devoirs (...) si après un soulèvement suivi de succès, vous êtes assez lâches ou assez ignorants pour vous borner à exiger une amélioration de tarifs ou une élévation de salaires. » (o. c.)

Pour ne pas mériter ce juste reproche, il faut trouver la manière de convaincre celles et ceux qui croient n’avoir pas d’autre solution que de survivre (par le servilisme ou la résistance) qu’ils ont intérêt à mieux : vivre par la dignité et la solidarité. Dit en termes plus simples : ceux qui se contentent de recevoir quelques poissons, en échange de leur sueur, - dont la valeur est supérieure -, se rendent compte qu’il vaut mieux apprendre à pécher eux-mêmes.

Bien entendu, cela exige beaucoup d’efforts et de temps. C’est le prix à payer. En Algérie comme dans le monde, toutes celles et ceux qui ont compté sur des changements au « sommet » (par des élections ou l’intervention armée), pour établir une réelle démocratie, autrement dit une gestion de la société émanant vraiment de la volonté populaire, ont failli.

Ignorent-ils la leçon élémentaire de l’histoire universelle ? Aucune caste dominante ne lâche l’os dont elle jouit. Tout au plus elle est remplacée par une nouvelle caste dominatrice, sous une appellation diverse, trompeuse.

Seule la mobilisation de la classe dominée peut réussir à faire partager les richesses sociales équitablement entre toutes et tous. Comment ? Par l’autogestion sociale généralisée. Jusqu’à présent toute autre solution s’est révélée vaine : capitalisme privé ou capitalisme étatique. Alors, pourquoi pas, finalement essayer l’autogestion ? Donc s’intéresser principalement à la classe laborieuse exploitée et collaborer avec elle afin qu’elle s’organise en vue du but recherché. N’est-ce pas l’action essentielle, principale, stratégique ?

Dans cette perspective, quatre tâches principales s’imposent.

1. Aider la classe laborieuse à dépasser sa situation de « masse » pour prendre clairement conscience de sa situation de classe dans son triple aspect : dominée-exploitée-aliénée.

2. Aider cette classe à concrétiser cette conscience de classe en organisation autonome à son service. Voilà le seul cas où l’on peut parler d’une classe au service de la nation entière, parce que, en s’affranchissant de sa situation de classe dominée, elle éliminera de la société entière (la nation) toute forme de domination, sans en créer une autre.

3. Se rendre compte que l’État et la hiérarchie centralisée ne sont pas l’unique forme d’organisation sociale. Jusqu’à présent et partout dans le monde, cette forme d’organisation n’a pas éliminé la diabolique trinité dominatrice. Une alternative à considérer est une organisation sociale sous forme de fédération horizontale d’organismes autonomes solidaires. Il en sera question dans une autre contribution.

4. La marchandise et l’argent ne sont pas les déterminants principaux de la société, mais les êtres humains et leur coopération solidaire en vue d’une existence harmonieuse satisfaisante. Autrement dit, le développement économique n’est pas la priorité mais seulement la conséquence d’un développement total, celui de l’être humain dans toutes ses facultés créatrices, psychiques et matérielles.

Ajoutons une précision. La classe laborieuse ou l’autogestion sociale ne sont pas ennemies de la richesse matérielle ; au contraire, elles la désirent, non pas pour une minorité privilégiée mais pour la communauté toute entière. C’est uniquement ainsi que cette richesse matérielle ne sera pas synonyme de misère intellectuelle, psychique, mais, également, de richesse dans ces domaines, parce que, alors, la domination-exploitation-aliénation sera remplacée par la coopération solidaire libre.

Cela suppose, bien entendu, la liberté totale de pensée, de s’exprimer, de s’associer pour les dominés. Les dominateurs la possède pour leur compte. Sachant qu’il ne l’accorderont pas volontairement aux dominés, il reste à ces derniers de la conquérir.

Un premier pas a été déjà réalisé, grâce au sang versé par des citoyens. C’est le cas en Algérie, comme il le fut partout dans le monde. En Algérie, en particulier, il a permis de mettre fin à la dictature. Il reste à conquérir la liberté entière.

Sans elle, tout n’est que bavardage, tromperie, aliénation. C’est cela qu’il faut éliminer. Si, depuis l’indépendance, au lieu de croire au changement social démocratique par le « sommet » on avait mis l’effort pour créer les conditions de sa réalisation par la « base » (la classe la plus dominée, laquelle avait, notamment, créé spontanément l’autogestion ouvrière et paysanne), en serait-on encore aujourd’hui dans la situation actuelle ?

La leçon n’est-elle pas assez éloquente et convaincante pour s’occuper, désormais, de ce que l’expérience historique nous enseigne ? Cela commence par la pratique d’un langage authentique, sincère, libéré, au service réel de la communauté entière, en Algérie comme dans le monde.

Publié sur Le Matin d’Algérie, 10, 11 et 12 Sep 2017.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 14 Décembre 2017

Comment transformer l’ « indifférence » en action positive

Comme promis précédemment (http://www.lematindz.net/news/24529-election-peuple-et-elitace-en-algerie-et-ailleurs.html, 2 juin 2017), je reviens sur une leçon tirée des dernières élections législatives du 4 mai 2017, où une majorité significative de citoyens a exprimé son abstention ou son vote blanc. A tel point que tous s’accordent à y voir l’existence et l’émergence du « Parti » le plus important en Algérie.

Quelle leçon fondamentale peut-on et doit-on tirer de ce fait inattendu ?

Plusieurs solutions ont été fournies dans la presse, par des personnalités politiques comme par des intellectuels.

Les uns espèrent un changement d’orientation du système politique. Question : quand et où, dans l’histoire humaine toute entière, un système, - je dis bien un « système » et non une composition gouvernementale - a changé parce que l’électorat lui a manifesté une significative indifférence par le vote ?

Exemples : est-ce que le vote citoyen a changé quoi que ce soit de FONDAMENTAL dans le système social aux États-Unis ou ailleurs, dans les pays dits « libéraux », autrement de capitalisme privé ?

D’autres suggèrent le salut à travers des partis politiques qui se disent démocratiques. Là encore, quand et où, dans l’histoire humaine, des organismes de ce genre ont-ils apporté un changement social FONDAMENTAL en faveur des exclus du pouvoir de gestion sociale ?

Examinons le problème avec objectivité, et non en fonction de nos désirs ou illusions.

Des partis politiques et des élections se sont révélés n’être pas autre chose que des arbres cachant la forêt, à savoir le système fondamental qui régit une société. Tant que ce dernier est basé sur le PROFIT, privé ou étatique (voir les ex-pays « socialistes »), d’une part, et, par conséquent, sur une AUTORITÉ d’une caste minoritaire de privilégiés sur la majorité des citoyens, aucun parti ni aucune élection n’ont apporté un changement radical. Dès lors, pourraient-ils en être autrement, aujourd’hui, quelque soit le pays ?

Un changement conséquent en faveur des exclus de la gestion social exige, objectivement, l’élimination du PROFIT ÉCONOMIQUE et son remplacement par une répartition de celui-ci sur l’ENSEMBLE des citoyens. Cela signifie, en réalité, non plus profit, au sens capitaliste, privé ou étatique, mais DISTRIBUTION COLLECTIVE de la richesse produite par la collectivité.

Et pour supprimer le profit de caste, il est nécessaire d’éliminer l’autorité d’une minorité pour DISTRIBUER cette autorité sur l’ENSEMBLE des citoyens.

Or une telle opération, en réalité, élimine l’autorité, telle qu’elle existe dans les pays aussi bien « libéraux » que « socialistes », pour établir le CONSENSUS LIBRE ET GÉNÉRAL. Alors, de celui-ci émane non plus d’une « autorité », au sens de caste, mais est une expression de la volonté générale. Ainsi, il n’y aurait plus d’autorité, au sens classique et traditionnel (« libérale », d’un gouvernement élu, ou marxiste, la « dictature du prolétariat » de triste mémoire), mais une volonté générale, librement et démocratiquement exprimée.

*

La lecture de ces lignes peut faire croire, peut-être, à un délire !...

Il l’est dans la mesure où, partout et toujours, les membres des castes dominatrices, « libérales » ou marxistes, ont toujours fait croire que sans leur autorité la société serait livrée au « désordre », à l’ « anarchie ». Or, n’est-ce pas leur système qui est un désordre, parce que le profit et l’autorité de caste minoritaire sont, eux, les fauteurs de troubles et de désordre dans la société ?

Quant à l’ordre réel, authentique, peut-il exister dans une collectivité humaine sans la disparition du profit et de l’autorité, tels que je les ai définis, pour laisser place à la distribution démocratique et équitable des richesses produites, d’une part, et, d’autre part, du pouvoir social qui les gère ?

Par conséquent, celle ou celui qui croirait, dans ce texte, à des considérations utopiques démentielles, je demande : Connais-tu l’histoire des peuples ? Non pas celle écrite par les vainqueurs, mais par les vaincus ?

Malgré son étouffement de toutes les manières possibles, elle existe. L’avènement d’internet permet de la connaître aisément, gratuitement, à condition de le vouloir réellement, d’y consacrer le temps nécessaire. Sur un moteur de recherche, écris « autogestion », « self-goverment », et tu seras surpris combien « on » t’a tenu dans l’ignorance, afin de faire de toi un objet à exploiter-dominer.

Alors, tu constateras, peut-être avec stupeur, sûrement avec plaisir, ceci : la prise et la gestion de son propre destin par le peuple laborieux a existé dans l’histoire des sociétés. Je l’ai signalée dans mes précédentes contributions ; je l’indiquerai encore ci-dessous, tant ce genre d’expériences est occulté. Et j’ai précisé que ce genre d’expériences fut éliminée uniquement par la répression violente de la part des partisans du profit et de l’autorité de caste privilégiée. Et que la plupart des intellectuels ignorent, ont oublié ou font silence sur ces expériences précieuses et significatives d’émancipation sociale réelle et radicale.

*

Dès lors, il ne faut pas s’étonner que les « experts » de tout acabit, qui occupent les mass-media, ne parlent que de « bons » partis et de « bonnes » élections, pour réaliser un changement de régime social.

Mais quel type de changement ? Quelle genre de démocratie ?

Dans les pays dits « libéraux », les élections « libres » (en réalité, conditionnées par les détenteurs oligarchiques des mass-media) et les partis « démocratiques » (en fait, oligarchiques) ont-ils changé de manière à accorder à la majorité des citoyens la réelle gestion de la société, afin d’en bénéficier de manière SUBSTANTIELLE ?

Même au Viet Nam, après la défaite des agressions colonialiste française et impérialiste états-unienne, même en Afrique du Sud, après la fin de l’apartheid, se sont formées des castes minoritaires ; elles exploitent le peuple en le dominant. Pourquoi ? Parce que continuent à régner l’ignominieux tandem Profit-Autorité, produit par et pour une minorité.

Dans ce cas, tout au plus, la majorité des citoyens reçoit, comme une horde de chiens affamés mais tenus en laisse, les miettes du repas : un système représentatif, à travers des élections (truquées dans les dictatures, conditionnées dans les « démocraties ») qui, en réalité, représente et sert d’abord les intérêts de la caste des « seigneurs » et, accessoirement, de ses subalternes dans les institutions de gestion de la société.

Dans tous les cas, sans une seule exception, pas même là où exista cet authentique homme du peuple que fut Gandhi, il y a eu simplement changement de caste dominatrice-exploiteuse du peuple laborieux. Voir les expériences des ex-pays marxistes, fascistes (Japon, Italie), nazi (Allemagne), ainsi que celles ou des théologiens ont dominé ou dominent.

Tant qu’existent ces deux piliers, Profit-Autorité, espérer des droits SIGNIFICATIFS aux citoyens selon justice, c’est croire au père noël, là est la vraie utopie, si on est ignorant, ou l’imposture, si on possède un savoir conséquent. Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais l’histoire réelle qui le démontre. Je ne fais que constater, à l’exemple de Galilée.

Il me semble que ce phénomène fut, d’une certaine manière, compris par les rédacteurs de la « Charte de la Soummam ». N’a-t-il pas été le motif fondamental de leur assassinat, au-delà des questions de caractère personnel, par les futurs membres de la caste qui domina par la suite ?

Nous, Algériennes et Algériens, n’avons-nous donc pas compris la leçon qui accoucha de l’indépendance nationale ?… Cette dernière ne fut pas le résultat des appels de l’ «élite » intellectuelle algérienne, laïque ou religieuse, au système colonial et à ses partis (y compris le parti « communiste »), pour accorder aux « indigènes » les droits de citoyens à part entière. Au contraire, l’indépendance nationale résultat d’une lutte prolongée, dont le bras armé fut le peuple colonisé, pour mettre fin à ce système colonial en tant que tel.

*

J’en viens donc à la solution que, à ma connaissance, personne, ni intellectuels, ni experts, ni responsables politiques n’a formulée au sujet d’un changement en Algérie. Comme, par ailleurs, dans n’importe quelle autre nation. J’ai en vue un changement réel et significatif pour le peuple laborieux, la majorité des citoyens.

Partout et toujours, chaque fois que les détenteurs d’un savoir social réel ont été animés par une volonté authentique d’établir plus de justice sociale, ils ont quitté leur tour d’ivoire et les privilèges qui vont avec, pour, selon l’expression consacrée, « aller au peuple ». Cela veut dire le fréquenter sur ses lieux de travail et de vie, connaître ses vrais problèmes, matériels et spirituels, ainsi que ses besoins concrets. Ensuite, suggérer des solutions pour les concrétiser.

Encore une fois, rappelons-nous l’histoire. Un changement réel en faveur du peuple laborieux eut lieu uniquement là où des intellectuels ont vraiment mis leur savoir à la disposition de ce peuple, afin qu’il utilise cette connaissance pour établir, de façon LIBRE et AUTONOME, autrement dit autogérée, sans « Sauveurs Suprêmes », les règles nouvelles d’une société caractérisée en même temps par la LIBERTÉ et la SOLIDARITÉ. Je rappelle donc, dans le passé, le mouvement des soviets de Kronstadt en Russie et en Ukraine, puis le mouvement des « collectivités » en Espagne républicaine ; dans le présent, voir le mouvement zapatiste au Mexique, et la « Commune » autogérée de Rojava dans le nord de la Syrie (http://www.lematindz.net/news/24278-ce-quon-ne-dit-pas-a-propos-du-moyen-orient-la-commune-de-rojava.html).

Ce genre de changement social, à présent, en Algérie, exige une lutte démocratique et pacifique, car la violence débouche toujours sur la violence, donc sur l’autorité dominatrice, et le profit qu’elle engendre automatiquement.

Mais cette lutte sociale ne peut pas être moins résolue et prolongée que celle pour l’indépendance nationale. La lutte sociale est même plus difficile encore, parce qu’elle n’emprunte pas la voie courte, facile et vicieuse de la violence physique, mais uniquement celle des idées et de l’organisation consensuelle et libre des citoyens. L’autogestion rurale et industrielle des années 1962 - 1965 est à remettre à l’ordre du jour, à étudier pour en connaître les défauts et les qualités, et savoir dans quelle mesure elle peut être une source d’inspiration concrète pour aujourd’hui, dont on produit le demain.

*

Reste une ultime question : pourquoi cette solution n’a pas été avancée par personne ?

Voici mon hypothèse.

Pour y penser, il faudrait d’abord ne pas être aveuglé par son propre statut de privilégié social, ce qui caractérise généralement experts, intellectuels et responsables politiques. Leur situation matérielle suppose et justifie leur mentalité élitaire élitiste. Là est la barrière qui empêche de penser au peuple autrement que comme sujet, exécuteur, ignorant, dans le meilleur des cas à « sauver », mais jamais capable de se sauver par lui-même. « Ah ! Quelle prétention ! Quelle insanité ! Quelle démagogie ! Quel populisme ! Quel gauchisme ! Quel archaïsme ! Quel manque de réalisme !»

C’est uniquement si le détenteur de savoir social s’affranchit de sa mentalité de privilégié, - « libéral », marxiste ou théologique, que peut surgir en lui l’idée, celle iconoclaste, celle combattue par tout privilégié : aller au peuple et mettre les connaissances acquises à son service.

Alors, cet intellectuel constatera les capacités créatrices autonomes du peuple laborieux, combien il sait non seulement utiliser les bras mais également le cerveau. Mais hélas !… Ce genre d’intellectuels est minoritaire, partout dans le monde. Et dans cette malheureuse situation, les marxistes ont une grave part de responsabilité, eux qui croient au « Sauveur Suprême », sous forme de Parti ou de « Guide Génial Infaillible ».

La domination de la mentalité autoritaire est telle que parler de capacités créatrices du peuple laborieux, rappeler les expériences où il les a démontrées, appeler à « servir le peuple », toutes ces considérations font ricaner la plupart des nantis (matériellement et/ou intellectuellement), et, par conséquent, fait douter la plupart des démunis, conditionnés à croire à leur propre incapacité et à la compétence « scientifique » des docteurs universitaires et d’un « Sauveur Suprême », qu’il soit Parti ou individu.

Cependant, l’expérience historique est là, toujours et partout. « Aller au peuple », « Servir le peuple » ont été les uniques solutions pour apporter un changement social réel et radical aux conditions de la majorité des citoyens, ceux exclus de toute décision sur leur sort.

Si ces expériences ont échoué, c’est parce que la mentalité autoritaire élitiste s’est révélée, jusqu’à présent, la plus forte, militairement parlant. Mais, de temps à autre, ici ou là, l’autogestion renaît et montre ses bénéfices.

Pensons donc à comment construire les actions et les formes d’organisation aptes à favoriser l'AUTO-ORGANISATION, PAR LE PEUPLE ET POUR LE PEUPLE. Le chemin est long, difficile et semé d’obstacles. Il requiert beaucoup d’imagination et de générosité. N’en est-il pas plus enthousiasmant ? N’est-ce pas la meilleure façon d’honorer la mémoire de celles et ceux qui nous ont offert l’indépendance nationale ? A nous donc de contribuer à l’indépendance sociale, citoyenne.

Et ne parlons plus d’ « avant-garde ». L’histoire n’a-t-elle pas suffisamment montré que celle-ci, même dotée des meilleures intentions, mène à une nouvelle caste dominatrice ?… Alors, comme Lu Xun, parlons de « buffles du peuple », ou encore de « serviteurs du peuple », de « compagnons du peuple », tout ce que l’on veut, mais mettons le peuple au premier rang, en exergue, si vraiment nous voulons honnêtement le servir, et, de cette manière, servir notre idéal de liberté solidaire.

N’est-ce pas la meilleure façon de transformer l’ « indifférence » des citoyens en action positive, afin que le peuple accède à son droit de gérer lui-même ses propres affaires, par l’instauration d’un fonctionnement social apte à concrétiser ses besoins légitimes ?

Commençons partout où cela est possible, dans notre immeuble, dans notre quartier, dans notre classe d’étude, dans notre association culturelle, dans notre syndicat, etc.

« Et si les autorités nous en empêchent ? » demanderait-on.

Eh bien, il faut persister, en trouvant les moyens de continuer, de manière pacifique. Que l’imagination soit au pouvoir afin de permettre au pouvoir de l’imagination d’exister. Pour paraphraser un auteur, je dirai : le citoyen est libre à l’instant même où il accomplit un geste libre, même minimum. Ainsi, il apprend à réaliser d’autres actes, toujours libres.

Et que personne ne vienne accuser les gens du « petit » peuple de ne pas savoir manifester leur liberté. Rappelons-nous la phrase de Ben Mhidi (je cite de mémoire) : « Mettez la révolution dans la rue, le peuple s’en emparera. » En effet, le peuple a toujours ainsi agi, partout dans le monde. Quoique ses ennemis l’ont accusé du contraire. Faisons donc confiance au peuple, et APPRENONS À NOUS INSTRUIRE AUPRÈS DE LUI TOUT EN LUI TRANSMETTANT NOS CONNAISSANCES. Alors, nous constaterons par expérience concrète où sont la raison et la justice, et comment contribuer au seul changement authentique : modifier les bases fondamentales du système social en construisant pacifiquement la liberté solidaire qui nous affranchira du profit autoritaire. Les Italiens ont ce beau précepte : « La speranza è l’ultima a morire » (L’espoir est le dernier à mourir). Alors, espérons mais les yeux ouverts sur l’enseignement que nous fournit l’histoire.

Publié sur Le Matin d’Algérie, 05 Jui 2017.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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Publié le 14 Décembre 2017

LE PROBLÈME DU TEMPS :  1. Des « peuplades » au peuple

La précédente contribution (1) a suscité de précieux commentaires, l’un sur le journal, d’autres envoyés à mon adresse de courriel. Merci à tous. Ces réactions soulèvent des questions qui appellent des propositions éclairant davantage le thème examiné.

Partons d’un commentaire de Atala Atlale, paru sur le journal :

« Au terme de ma lecture de cette intéressante analyse, je désespère et me dis que le chemin reste alors long pour que le Peuple retrouve ou récupère son Algérie. L'opposition aurait alors un long travail de cimentation pour unir ces "peuplades". La caste dominante aurait-elle encore de beaux jours devant elle avant le réveil du peuple ? »

Intéressons-nous d’abord au plus important : « peuplades » et peuple.

Oui, certes, le chemin est long à parcourir. Les faits constatés dans la contribution précédente le démontrent.

Cependant, reste à discuter à propos de l’estimation de cette longueur.

Constatons, d’abord, que depuis 1962 à aujourd’hui, sont passés 55 ans, soit grosso modo deux à trois générations.

Au fur et à mesure, les désastres se sont accumulés.

D’abord, non pas un mais le tabou sacré, a été brisé définitivement : des Algériens ont massacré d’autres Algériens. Cela commença par l’armée des frontières contre d’authentiques moudjahidines, opposés au putsch militaire.

Certes, le peuple est sorti, criant « Sept ans, ça suffit ! » Mais les putschistes ont quand même vaincu. Et la dictature militaire, totalitaire, a enseveli toute velléité démocratique, par la répression la plus féroce et systématique.

Puis, encore une fois, des Algériens ont massacré d’autres Algériens. Mais cette fois-ci, le tabou sacré a été brisé de manière plus grave encore : ce sont des militaires de l’Armée dénommée « Nationale Populaire » qui a assassiné des citoyens en révolte. Et cela plus d’une fois : 1988, 2001.

Et puis vint la pire manière de briser le tabou sacré : des civils algériens ont massacré d’autres civils algériens, de la manière la plus atroce, la plus sauvage, la plus impitoyable. Ce fut la décennie dite sanglante.

Par conséquent, les traumatismes sur le peuple sont très graves, très profonds. Et, soulignons-le, ils ont eu lieu en un laps de temps relativement court : 55 ans.

Ajoutons d’autres traumatismes.

L’échec économique. À l’indépendance, le pays, riche de matières premières, à tel point de pouvoir les employer pour créer une économie prospère (2), ce pays finit actuellement par le recours à la planche à billets pour payer ses fonctionnaires.

L’échec culturel. Par rapport à la génération de la guerre de libération nationale, certes la scolarisation a fait des progrès appréciables en terme quantitatif, mais sur le plan qualitatif, tous les spécialistes du domaine déplorent le désastre sur tous les plans. Ajoutons à ce lamentable tableau, la mise en place d’un dispositif idéologique où la religion est manipulée de manière à constituer le moyen le plus obscurantiste qui se puisse s’imaginer.

L’échec social. Trois faits suffisent à rendre compte de sa gravité.

Avant l’indépendance, les plus démunis mais disposant de force juvénile, émigraient en France pour trouver de quoi vivre. Aujourd’hui, la même catégorie préfère être noyée en mer plutôt que de souffrir dans le pays.

Avant l’indépendance, le pays recevait des médecins français pour exercer. A présent, des médecins algériens préfèrent aller travailler en France.

L’échec historique. Et là, ça fait mal à entendre. Ce sont les gens du peuple, - et non des harkis ou enfants de harkis – qui regrettent, plus ou moins ouvertement, le temps de la « France ». Cela prouve que les dirigeants du pays, malgré leur passé « révolutionnaire » et leur revendication de ce passé, ont totalement failli à perpétuer parmi le peuple la mémoire de ce que fut le colonialisme. Et cela prouve, par suite, la faillite de ce que ces dirigeants du pays prétendent avoir réalisé de positif. Contentons-nous de deux simples faits, parmi tant d’autres. Ces dirigeants ont-ils permis l’apparition, dans le pays, de citoyens capables :

1) de les soigner, afin qu’ils ne soient pas obligés de recourir à des praticiens à l’étranger ? Cuba l’a fait, pourquoi pas l’Algérie ?

2) de concevoir et de construire de manière indépendante une simple autoroute ? La Corée du Sud l’a fait, pourquoi pas l’Algérie ?

Et pourtant ni Cuba ni la Corée du Sud ne disposent de pétrole et de gaz.

Enfin, arrivons à ce que je considère la plus tragique tragédie de notre peuple. Voici ce que Omar Tarab m’écrit :

« Je me trouvais en Espagne le jour où la soldatesque du système a mitraillé des jeunes lycéens en Kabylie qui manifestaient pour la démocratie, on dénombra ce jour plus de 125morts.

Je recevais le jour d'après un proche qui, parlant de ce drame, m'a répondu : "Ces gens l'ont cherché, ils n'avaient pas à sortir dans la rue et après tout bien fait pour eux, ce sont des kabyles". »

Voilà la plus grave carence de notre peuple : avoir perdu son unité solidaire de peuple, acquise (pour la première fois et miraculeusement de manière générale) durant la guerre de libération nationale.

Une autre carence, aussi grave, provient d’intellectuels. Dans l’histoire du peuple algérien, ils mettent en relief les divisions, jusqu’à les exagérer en faussant les faits historiques, pour laisser croire que la division tribale est un phénomène algérien atavique. Or, l’examen objectif de l’histoire prouve le contraire. Que cette conception dégradante du peuple soit le fait d’intellectuels-historiens colonialistes, cela n’étonne pas. Mais qu’elle soit reprise par des Algériens, en plus se déclarant amis du peuple dont ils font partie, voilà ce qui laisse pour le moins perplexe (3).

Retournons à l’histoire récente.

À peine l’indépendance acquise, les nouveaux usurpateurs du pouvoir, pour dominer le peuple (suivant en cela la méthode colonialiste) l’ont fait retomber dans ses anciennes tares traditionnelles tribalo-ethniques, réelles ou présumées (4). Les colonialistes ont tout fait pour jouer sur cette division, notamment celle entre « Arabes » et « Kabyles ». La caste dominante indigène a appliqué la même méthode, en mettant en avant une prétention suprématiste, ethnique et idéologique : « Nous sommes Arabes ! Arabes ! Arabes ! » proclama le « socialiste » premier usurpateur du pouvoir, Ben Bella. Puis suivit, un an après, la répression militaire de la révolte du F.F.S. en Kabylie, encore une fois pour éliminer une revendication en faveur de la démocratie dans le pays. Et sans solidarité de la part du reste du peuple algérien : le maudit préjugé « Arabes contre Kabyles » a fonctionné. Et, cinquante années après, nous en sommes encore à cette horrible situation. En témoignent comme preuves, chez les Arabophones (linguistiquement parlant), les partisans de la référence néo-coloniale quatari-wahabite, et, chez les Amazighophones (linguistiquement parlant), les partisans de la référence néo-coloniale sioniste.

Concluons ce désolant tableau par un témoignage personnel qu’il me coûte d’avouer. En 1960 (j’avais 15 ans), nous avions manifesté à l’intérieur du lycée pour l’indépendance de l’Algérie. Juste après, un enseignant français nous accueillit en classe en disant, avec mépris : « Vous voulez l’indépendance ? On verra ce que vous saurez en faire ! »

Oui, cela fait mal de me le rappeler. Et quand, durant le cinquantième anniversaire de l’indépendance, j’ai entendu à la télévision le slogan officiel « Ma zalna wagfîne ! » (Nous sommes encore debout!), je me suis demandé : Mais dans pitoyable état ! Et par l’unique responsabilité de ceux qui ont prétendu mériter de nous diriger, et cela depuis l’indépendance. Ya Larbi Ben Mhidi ! Ya Abane Ramdane ! Ya, vous toutes et tous, qui avez subi la torture, versé votre sang, pour une Algérie digne de votre (notre) idéal de combat !… Quelle douleur ! Mais surtout quelle honte ! Quelle humiliation !

Voilà donc tout ce que le peuple algérien d’aujourd’hui doit affronter, pour redevenir un peuple ayant confiance en lui-même, en ses capacités d’exister comme agent conscient et déterminant dans le pays.

Examinons d’autres arguments proposés comme salvateurs du peuple.

Bouabdallah Madani, dans un courriel privé, mentionne Ferhat Abbas dans “Autopsie d'une guerre” :

« L’Algérie est un pays qui n’a pas de chance – Ses enfants se jalousent, manquent d’esprit de discipline et de sacrifice. Ils se plaisent dans l’intrigue. Ils oublient l’essentiel pour le futile. L’avenir me parait incertain. Les imposteurs, les malins risquent d’imposer leur loi – Quelle légalité, quelle liberté pouvons-nous attendre de telles mœurs ? La liberté se gagne sur les champs de bataille. C’est entendu. Mais elle se gagne aussi lorsque le citoyen domine ses mauvais instincts et ses mauvais penchants. Et surtout lorsqu’il respecte la loi. »

Ce sont là des généralisations de type anthropologique qui n’expliquent rien, au contraire, ils augmentent la confusion. D’une part, ces considérations peuvent être appliquées à n’importe quel peuple, de n’importe quelle époque historique.

D’autre part, quelle serait cette « loi » à respecter ? Pour le savoir, il faudrait préciser qui a établi cette loi, et dans quel but ? Or, l’on sait que les lois sont toujours décidées et promulguées par la caste dominatrice du moment. Dès lors, parler ainsi de « loi » d’une manière générale n’est pas pertinent. En outre, a-t-on jamais vu un peuple ignorer ou ne pas respecter une loi qui correspondrait réellement à son intérêt ?

Le même Bouabdallah Madani estime, à propos de l’émancipation du peuple algérien :

« Et cela passe d'abord par la culture comme disait Malek Bennabi depuis le début, car les peuplades ou même un peuple affirmé plongés dans l'inculture et sans mémoire sont facilement bernés, les extrémistes ayant toujours le vent en poupe et le verbe haut pour convaincre.

La culture bien pensée relativise le rang social, la richesse de chacun, la seule noblesse résidant dans la richesse spirituelle de l'individu. »

À propos de culture, il faut d’abord être conscient de la réalité. Les conditions de vie matérielle du peuple, écrasantes, de survie, lui permettent-elles de s’occuper de culture ? Les conditions idéologiques, auxquelles la caste dominante le soumet, favorisent-elles le peuple à accéder à l’authentique culture, celle émancipatrice ? Les intellectuels, dits progressistes, s’intéressent-ils au peuple pour lui offrir la culture convenable ?

Il reste un dernier argument, que certains emploient comme solution de sauvetage du peuple : obéir aux « dirigeants » (auto-proclamés), dans cette vie, afin de bénéficier d’une vie meilleure dans… l’au-delà. N’en rions pas. Malheureusement, cet argument est présent, parmi les parties les plus aliénées du peuple. Se contenter de s’en lamenter est idiot ; se limiter à accuser le peuple de cette carence est stupidement arrogant. Il faut chercher à libérer les victimes de ce genre de chantage. Faut-il préciser qu’il n’est pas spécifique du peuple algérien ? Rappelons-nous l’histoire de tous les peuples de la planète : comment, chaque fois, la religion a été manipulée pour légitimer leur asservissement.

Examinons l’autre face de la médaille. Concernant le peuple, des faits encourageants existent, permettant l’espoir.

Le premier. Malgré toutes les carences du peuple en terme de division, ni le wahabisme-quatarisme et son agent local (ex-F.I.S.), ni le sionisme (avec son soutien impérialiste, en premier lieu U.S., ensuite français) et son agent local (M.A.K), aucun de ces deux agents n’a réussi à diviser le peuple algérien, pour néo-coloniser l’Algérie, notamment par l’emploi de la désormais connue « révolution colorée » (voir Ukraine), après avoir tenté l’action terroriste armée. En tout cas jusqu’à présent. Cependant, le risque existe et persiste. Il suffit d’examiner la carte géographique (place stratégique de l’Algérie dans la Méditerranée, comme territoire), ses ressources naturelles et son marché de consommateurs (très appétissants pour les loups capitalistes).

Deuxième fait. De temps en temps, une partie du peuple opprimé, la plus consciente et/ou celle qui supporte le moins son asservissement, s’est manifestée socialement : de la révolte armée du F.F.S. en 1963, aux révoltes populaires plus ou moins spontanées et plus ou moins violentes (1988, 2001, etc).

Malheureusement, ces révoltes manquaient des éléments pouvant leur assurer un succès : 1) la solidarité de la majorité du peuple, 2) un programme adéquat ; 3) une organisation efficace.

Ces deux ultimes facteurs étant les conditions d’existence du premier.

Troisième fait. Des organismes libres, autonomes et démocratiques sont nées : associations de chômeurs, syndicats autonomes, associations de femmes, de jeunes, cafés littéraires, etc.

Là, aussi, malheureusement, ces associations ne sont pas encore suffisamment développées au point de se fédérer, jusqu’à constituer des forces sociales capables de peser dans le rapport de force social global. Mais il semble que la conscience de cette nécessité fait son bon chemin, notamment dans le domaine syndical.

Voilà donc ce qu’il faut s’atteler à construire :

1) l’unité solidaire du peuple, sur la base de ses intérêts communs fondamentaux : éliminer son exploitation économique, donc sa domination politique, donc son aliénation idéologique ;

2) un programme d’action visant à la réalisation de ces objectifs, clairement compris et soutenu par le peuple ;

3) une organisation pour l’application pratique de ce programme, conforme aux réalités matérielles et culturelles du peuple. À ce propos, l’expérience historique, algérienne et mondiale, enseigne.

1) Pas de parti politique. Son intérêt premier, même quand il se proclame « populaire », est la formation et l’existence de sa caste dirigeante, au détriment du peuple.

2) Pas de « Zaïm ». Son intérêt premier est l’affirmation de sa personnalité et de sa décision, censée être la plus « géniale » et « infaillible ». Méfions-nous en particulier de celui qui proclame ne pas vouloir jouer au « Sauveur », mais dont les déclarations et les actes, objectivement analysés, révèlent le but inavoué. À ce propos, rappelons-nous Lénine : n’a-t-il pas déclaré « Tout le pouvoir aux soviets », pour, ensuite, s’ériger en « Guide Génial » qui les a écrasés dans le sang ? En Algérie, les prétendus « sauveurs », « conseillers », etc., du peuple, n’évoquent jamais l’autogestion ou les associations autonomes du peuple. À monsieur Noureddine Boukrouh j’ai posé, dans ce journal, la question à ce sujet, précis (5) ; la réponse publique n’est pas venue (6). N’est-ce pas significatif ?

3) Pas de clandestinité : elle tend toujours à former une caste dominant le peuple.

4) Pas de violence : toujours, elle se retourne contre le peuple, pour défendre la caste nouvelle dirigeante.

Que faut-il alors ?… Des associations populaires autonomes, libres, démocratiques, dans tous les domaines de la vie sociale, partout sur le territoire. Et fédérées entre elles, sans quoi, considérées singulièrement, elles restent inefficaces.

Des sources utiles, non pas à copier (les conditions historiques sont différentes), mais desquelles s’inspirer existent. La première est l’expérience espagnole, de 1936 à 1939 (7).

Tout cela exige du temps, évidemment. Mais, répétons-le, sa longueur n’est pas déterminable. Il peut être très court (la présente génération) ou très long (plusieurs générations), selon le déroulement des événements.

Celui-ci dépend de l’action de plusieurs agents :

1) les castes dominantes, dans leur capacité de diriger ;

2) les partis politiques réellement d’opposition, dans leur capacité de s’unir en un front commun assez consistant pour peser efficacement face aux castes dominantes ;

3) la minorité d’intellectuel-le-s sincèrement ami-e-s du peuple, dans leur capacité de le conscientiser afin qu’il s’organise en associations autonomes et fédérées.

Ces trois agents sociaux seront examinés dans la prochaine contribution.

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(1) http://www.lematindz.net/news/25677-le-peuple-cest-quoi.html

(2) Voir la Norvège : http://www.lematindz.net/news/25657-et-si-lelite-algerienne-gerait-le-pays-comme-celle-de-la-norvege.html

(3) Voir l’article de Hocine Kitouni, « M. Boukrouh serait-il un khechiniste ? », 19 Octobre 2017, http://forumdesdemocrates.over-blog.com/2017/10/m.boukrouh-serait-il-un-khechiniste.html

(4) Voir l’article de H. Kitouni, déjà cité.

(5) http://www.lematindz.net/news/25333-questions-a-monsieur-noureddine-boukrouh.html

(6) Je n’estime pas trahir une correspondance privée, en révélant des messages personnels, concernant la vie publique. Dans un message qu’il m’adressa, Mr Boukrouh m’a écrit : « Je ne pourrai pas bien sûr répondre à toutes les questions (autogestion, lutte des classes, superstructure-infrastructure, etc.) car il me faudrait un livre et de nombreux jours de travail alors que la conjoncture est si prenante. »

Voici ce que je lui ai répondu : « Permettez-moi de considérer que la question de l’autogestion, comme projet social, me paraît mériter une réponse, même en quelques mots. Car, vous l’avez constaté, l’essentiel de mon interpellation auprès de vous consiste à savoir comment éviter qu’en Algérie un-e citoyen-ne soit réduit-e à être dominé-e / exploité-e par son semblable. N’est-ce pas l’aspiration première et fondamentale de notre peuple, comme, d’ailleurs, de tous les peuples de cette planète? »

(7) Voir http://www.lematindz.net/news/25423-la-meconnue-plus-importante-revolution-du-xxe-siecle.html

Publié sur Le Matin d’Algérie, 23 Oct 2017.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 6 Juillet 2020

Lors de la manifestation du 31e vendredi à Alger-Centre. PPAgency

Lors de la manifestation du 31e vendredi à Alger-Centre. PPAgency

Partout dans le monde et depuis toujours, tant qu’un mouvement populaire ne se dote pas d’une auto-organisation libre, égalitaire et solidaire, il est victime de soit-disant représentants auto-proclamés. Ils manipulent le mouvement populaire, lui faisant croire d’adopter ses objectifs. Parallèlement, ces manipulateurs neutralisent quiconque dénonce cette manipulation, par la stigmatisation, sinon la violence, occulte sinon déclarée.

Quelles que soient les « bonnes » intentions des manipulateurs, ils infiltrent le mouvement populaire (ou son organisation autonome, s’il parvient à la constituer), se proclament (en arguant de leur « savoir » académique ou autre) défenseurs des objectifs du peuple, et, finalement, parviennent à faire élire les représentants des manipulateurs. En fait, le mouvement populaire est utilisé uniquement comme masse de manœuvre permettant aux manipulateurs de conquérir le pouvoir étatique, remplaçant ainsi l’oligarchie vaincue par une autre inédite.

Une fois parvenu à son but, cette dernière continue sa manipulation, en se présentant au peuple comme « démocratique », « révolutionnaire », « populaire » ou « sacrée » (accomplissant la volonté divine).

Cependant, les actes montrent qu’ils servent d’abord les intérêts spécifiques de l’oligarchie nouvelle ; accessoirement, si le mouvement populaire présente encore une certaine force, il est calmé (manipulé) par des « amortisseurs sociaux » : des miettes des ressources nationales, dont l’essentiel sert, toutefois, à enrichir et consolider la domination de l’oligarchie nouvelle.

 

Révolution française, mais de quel type ?

En France, entre 1789 et 1793, les auto-proclamés représentants du peuple, l’utilisant comme masse de manœuvre, ont éliminé l’oligarchie féodale, puis, une fois au pouvoir, ils ont réprimé les représentants authentiques des intérêts populaires (babouvistes, hébertistes, « enragés », sans-culottes), pour finir par établir une oligarchie bourgeoise capitaliste. Les « droits de l’Homme » servaient d’abord les droits de l’homme capitaliste.

 

Révolution russe, mais de quel type ?

En Russie, entre 1917 et 1922, les auto-proclamés représentants du peuple, bolcheviks, ont agi pareillement aux « révolutionnaires » français jacobins dont ils admiraient l’étatisme centralisateur et le recours à la terreur sanglante, non seulement contre les féodaux royalistes mais tout autant contre tout mouvement populaire contestant leur dictature.

Avec les bolcheviks, on constate une spécificité inédite. Le déclenchement du mouvement populaire parvint à instaurer des soviets (conseils, comités, assemblées) autonomes, libres et solidaire dans tous les domaines sociaux. Lénine publia, alors, sa fameuse brochure « Tout le pouvoir aux soviets ! » On crut donc qu’il les soutenait. En fait, ses militants infiltrèrent les soviets, manipulèrent de telle façon que leurs militants furent élus comme représentants de ces soviets. Alors, ces derniers furent réduits à de simples courroies de transmission de la dictature du parti bolchevique, masquée en « dictature du prolétariat ».

Quelques soviets, parvenus à demeurer autonomes, dénoncèrent ce qui était en réalité une dictature d’une oligarchie nouvelle sur le prolétariat. Parmi les soviets autonomes se distinguèrent ceux de Kronstadt et d’Ukraine. Conséquence ?… Lénine et Trotski les accusèrent de collusion avec les impérialistes étrangers et la réaction interne, ou, encore, d’ « anarchistes ». Ainsi la nouvelle « Armée rouge », commandée par Trotski, massacra les partisans de « Tout le pouvoir aux soviets » : des milliers de morts, des milliers d’autres condamnés à ce qu’on créa alors : des goulags.

Les bolcheviks firent croire avoir instauré le socialisme (ou communisme), jusqu’à proclamer leur État « soviétique ». Machiavel aurait admiré. Mais, juste après les massacres d’authentiques partisans des soviets, dès 1921, le parti bolchevik instaura la NEP (Nouvelle Politique Économique) : un capitalisme d’État, au profit d’abord de la nouvelle oligarchie « soviétique » et, accessoirement, créant des « amortisseurs sociaux » pour neutraliser les revendications populaires (1).

 

Guerre de libération nationale, mais de quel type ?

Les guerres de libération nationales, entreprises du nom du peuple, ont éliminé le système colonial. Là, aussi, le peuple fut utilisé comme simple masse de manœuvre. Ensuite, ceux qui ont pris le contrôle de l’État indépendant ont réprimé les mouvements authentiquement populaires, là encore en les accusant de « contre-révolutionnaires », complices de l’impérialisme et de la réaction interne, ou simplement d’ « anarchie ». En Algérie, ce fut le cas notamment de l’autogestion ouvrière et paysanne, puis de l’organisation syndicale. Résultat : établissement d’oligarchies indigènes.

D’une manière générale, quand une guerre de libération nationale veut s’approfondir par une libération sociale, cette dernière est éliminée par un coup d’État ou l’assassinat de leaders authentiquement populaires : Patrice Lumumba, Mehdi Ben Barka, Thomas Sankara, etc. Cette élimination permet à l’oligarchie au pouvoir de se maintenir, généralement avec le soutien de l’ancienne oligarchie coloniale qui, après l’indépendance du pays ex-colonisé, y maintient des « intérêts » économiques.

 

Élections, mais de quel type ?

Dans le cas où des représentants du peuple sont démocratiquement élus (mais sans mandat impératif ni limite de rétribution financière), généralement ils deviennent une caste qui défend prioritairement ses intérêts spécifiques, et, accessoirement, si la pression populaire est trop forte, ils établissent des « amortisseurs sociaux » pour calmer le peuple.

Dans les démocraties parlementaires, le phénomène est systématique. Dans les organisations syndicales, y compris autonomes, comme dans les partis politiques, y compris « populaires », le phénomène de formation de caste privilégiée généralement se répète.

D’où la nécessité pour les citoyens non seulement d’élire démocratiquement leurs réels représentants, mais de satisfaire quatre autres conditions. 1) Ces représentants doivent être limités par un mandat impératif : il consiste à supprimer à tout moment le mandat du représentant, dans le cas où il trahit la mission confiée. 2) Ces représentants ne doivent pas recevoir un salaire supérieur au salaire moyen d’un travailleur, autrement, dans le cas d’un salaire supérieur, le risque est certain de voir des opportunistes présenter leur candidature, pour jouir de privilèges, constituant ainsi une caste aux intérêts contraires à ceux du peuple. 3) L’auto-organisation implique l’auto-financement, dans une totale transparence, autrement la manipulation est inévitable. 4) l’auto-organisation implique une action pacifique, excluant toute forme de violence, physique ou psychologique.

Pourquoi ces conditions ?… Par respect du principe : la fin doit correspondre au moyen. Une société réellement démocratique, - donc pacifique, libre, égalitaire et solidaire -, ne se construit pas avec des moyens dictatoriaux, violents, de contrainte, hiérarchiques et sélectifs.

Soit dit en passant, des organisations telles que les « Frères Musulmans » ou des officines comme la NED états-unienne s’inspirent directement de l’une ou de la combinaisons entre plusieurs des manipulations ci-dessus décrites.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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