Résultat pour “liberté solidaire”

Publié le 14 Janvier 2019

De la liberté solidaire

Liberté.

Le mot « liberté » est employé par tout le monde, à l’exception, bien entendu des dictateurs. Et encore ! Il leur arrive de déclarer promouvoir la « liberté » quand il s’agit, en réalité, uniquement de celle de leur obéir. Telle est la caractéristique des dictateurs : ils osent appeler « liberté » l’asservissement des autres.

Les soit disant « démocrates » manifestent la même imposture, cependant de manière plus hypocrite. D’abord, ils se déclarent « libéraux », terme construit à partir du mot « liberté ». En effet, le « libéralisme » prétend défendre la liberté. Mais de laquelle s’agit-il en réalité ?… Celle dite de l’ « individu », du point de vue général, et, dans le domaine économique, celle du « laisser faire, laisser aller ». Dans les deux cas, il s’agit de la liberté des personnes (comme individus singuliers ou comme caste) les plus puissants en richesse matérielle, en ruse intellectuelle, en égoïsme caractériel et en insensibilité psychique à la souffrance humaine de leurs victimes. C’est la conception de la jungle : la guerre de tous contre tous, et que le plus fort l’emporte, la fin justifiant les moyens, comme l’expliqua Machiavel dans « Le Prince ». Cette vision se base sur une prétendue « nature » humaine : elle existerait depuis l’apparition de l’espèce, et consisterait dans la « struggle for life » (lutte pour la vie). Cette vision utilisa de manière très opportuniste la théorie de l’évolution animale de Darwin pour la transposer, de manière non scientifique mais idéologique, dans le domaine de l’espèce humaine. Ainsi, les castes dominatrices-exploiteuses crurent justifier et légitimer leur hégémonie sociale.

Cette « liberté » du « libéralisme » a vu le jour historiquement quand la bourgeoise capitaliste combattait pour se libérer du féodalisme autocratique, adversaire de toute forme de liberté d’une manière absolue. Cependant, les idéologues bourgeois capitalistes, en parlant de « liberté », ne tenaient compte que de celle individuelle (du plus puissant socialement) ; ils occultaient le fait qu’il s’agissait de la « liberté » du bourgeois capitaliste de s’émanciper de la domination féodale, afin de développer sa personnelle liberté de commercer, donc d’acheter de la main-d’œuvre en échange d’un salaire, et faire du profit. Celui-ci est basé sur la règle de sa maximisation, ce qui implique la minimisation du coût de la force de travail : là réside l’exploitation capitalise. Elle se concrétise par par ce que Joseph Proudhon a formulé le premier, et Karl Marx a développé : la plus-value, produite par l’exploitation de la force de travail des salariés.

Dès lors, parler de « liberté » d’une manière générale sans autre précision, et notamment de liberté « individuelle », occulte ce qu’elle contient dans la réalité : la liberté d’exploiter et de dominer, exercée par une minorité de privilégiés sur une majorité de victimes. Mais, alors, objecterait-on : qu’en est-il de la liberté, proclamée par la Révolution française de 1789 ?… La réponse est dans la suite de l’exposé.

Égalité.

Les considérations précédentes permettent cette affirmation : toute liberté est un leurre (une tromperie) et une injustice si elle n’est pas couplée avec l’égalité entre tous les êtres humains.

Bien entendu, ces derniers n’ont pas des caractéristiques identiques du point de vue de leur aspect physique et intellectuel. Néanmoins, ces différences n’autorisent pas de ségrégation entre les nécessités d’existence matérielle entre ces mêmes êtres humains. Au nom de quoi ?… Du principe d’équité. Ce principe distingue l’émancipation de l’espèce humaine de son animalité primitive, qu’on peut également appeler barbarie.

L’équité humaine implique que tous les êtres humains sont égaux en droits en matière d’accès aux richesses naturelles de la planète, donc de nourriture, de logement, de santé, d’instruction, de loisirs, etc. Par conséquent, toute forme d’exploitation économique, de domination politique et de conditionnement idéologique porte atteinte à cette égalité entre les êtres humains. Donc, toute liberté (individuelle) qui ne comprend pas l’égalité (entre les individus) n’est que celle de l’être humain agissant comme un animal (un barbare) au sein d’une « société » qui est demeurée une jungle. Toutes les considérations des idéologues du « libéralisme » ne pourront jamais occulter ce fait, quelques soient leurs formules hypocrites, apparemment civilisées et au « service » de l’humanité.

La fameuse révolution française de 1789 commença d’abord par proclamer le célèbre principe « Liberté, Égalité, Fraternité ». Cependant, bien vite, l’égalité fut éliminée par la caste de Robespierre. Elle envoya à l’échafaud les partisans de l’élément le plus important de la célèbre trilogie, - l’Égalité -, précisément appelés les « Égaux » : les Hébertistes et les babouvistes. Ils étaient les révolutionnaires authentiques, radicaux ; et, malheureusement, le fer de lance de la révolution française, les Sans-Culottes prolétaires, ne se soulevèrent pas contre cette première forme de contre-révolution, autrement dit de récupération de la révolution populaire par la bourgeoisie étatiste. Laquelle, pour se légitimer, en guise de religion, inventa l’Être Suprême. Et, pour le fêter, le même Robespierre se permit cette manifestation de pouvoir absolu personnel : se présenter en premier, devant tous les autres, à cette célébration. Vanité de despote. Adieu l’Égalité ! Désormais, il y eut des « égaux mais plus égaux que les autres » : les membres de la nouvelle caste bourgeoise étatiste, représentée par Robespierre.

Donc, adieu la liberté ! Celle des révolutionnaires qui défendaient réellement les intérêts du peuple travailleur et exploité de France. Ne restait plus que la « liberté » de la caste bourgeoise étatiste d’établir un régime politique à sa convenance, en éliminant par la guillotine ses adversaires, non seulement féodaux mais également les partisans des authentiques Égalité et Liberté (celles de tous, et d’abord des prolétaires).

De la « Fraternité » n’est restée que celle des robespierristes, nouvelle forme de caste despotique bourgeoise capitaliste. Là est la réelle histoire de la Révolution française de 1789, non pas relatée par les écrivains dominants.

Solidarité.

Auparavant, ont été évoqués les droits citoyens. Venons aux devoirs. Quel est le premier d’entre eux sinon la solidarité : celle du fort avec le faible, quelques soient les formes de cette force et de cette faiblesse ?... La solidarité est la meilleure et la plus significative preuve que l’espèce humaine s’est affranchie de sa première période, celle animale, marquée par la loi de la jungle, à savoir la domination du plus fort sur le plus faible.

Cependant, même dans le règne animale, existe des formes de solidarité, relatés par Pierre Kropotkine dans ses ouvrages. Il reste néanmoins vrai que, dans le monde animal, le plus fort domine et vit aux dépens du plus faible. Par conséquent, c’est par la solidarité du plus fort avec le plus faible que l’humain manifeste son émancipation de son animalité. C’est dans ce progrès fondamental dans les relations sociales que l’espèce manifeste la meilleure partie d’elle-même : son humanité, comme supérieure à l’animalité. Là sont les authentiques civilisation et culture (1).

Dès lors, il devient compréhensible d’affirmer ceci : les personnes les plus dotées d’instruction (quelque soit le domaine), et les personnes qui ont dirigé, dirigent ou dirigeront des communautés humaines (quelques soient leur nature et importance) ne peuvent être considérées civilisées et cultivées que dans la mesure où leurs actes et conceptions manifestent la solidarité indispensable du plus fort avec le plus faible. Autrement, leur cerveau demeure celui de l’animal préhistorique, et ceci quelques soient les diplômes universitaires obtenus et la position sociale occupée.

Quelles sont les deux premières formes de solidarité ?… Faire en sorte que tous les êtres humains soient : 1) considérés et traités de manière égalitaire, et cela quelques soient les différences des aptitudes physiques et intellectuelles ; 2) considérés et traités comme êtres libres de bénéficier de tous les droits à une vie digne, auparavant évoqués.

Trinité salvatrice.

Ainsi, espérons avoir montré pourquoi et comment il ne peut exister de liberté authentique sans égalité et solidarité authentiques. C’est le motif qui explique mon emploi systématique de l’expression « liberté solidaire ». Dans « solidaire » est inclus l’égalité. Et s’il faut être totalement exhaustif, il faut, alors, dire : « liberté égalitaire solidaire ».

Supprimez l’un de ces trois éléments, et vous n’aurez plus aucun des trois éléments, dans son acceptation authentique.

Sans égalité de droits, comment pourraient exister la liberté authentique, autrement dit pour toutes et tous, et la solidarité du fort avec le faible ?… Sans égalité, que serait la liberté, sinon celle du plus fort au détriment du plus faible ? Sans égalité que serait la solidarité sinon, d’une part, celle des membres de la caste dominatrice-exploiteuse pour exercer ce privilège, et, d’autre part, une aumône humiliante et insuffisante envers les dominés-exploités ?

Sans la solidarité, que serait la liberté sinon celle du plus fort au détriment du plus faible. Sans la solidarité, que serait l’égalité, sinon celle de ceux qui se croient « plus égaux que les autres », à savoir les castes oligarchiques exploiteuses-dominatrices ?

Que l’on ne s’imagine pas que ce genre de castes se trouvent uniquement parmi les bourgeois capitalistes. Les bolcheviques, malheureusement, se comportèrent ainsi dès qu’ils mirent la main sur le pouvoir étatique (2). Et, en Algérie, on connaît le dicton populaire de l’époque du « socialisme » : « L’ichtirakiyâ ?… L’auto lîke wal hmâr liyâ ! » (Le socialisme ?… L’auto pour toi et l’âne pour moi).

En conclusion, en présence du mot « liberté », il faut absolument veiller à savoir quelle en est la relation avec l’égalité et la solidarité. Autrement, on est au mieux dans la confusion, au pire dans la manipulation opérée volontairement par les dominateurs-exploiteurs et leurs scribes-mandarins de service, et ceci quelque soit l’idéologie proclamée.

Bien entendu, ces considérations seront jugées « séditieuses » et fomentant la « division » sociale par ceux-là même qui tirent profit de la division sociale, basée sur l’exploitation. Cependant, l’unité sociale harmonieuse implique la suppression de toute exploitation de l’être humain par son semblable, pour la remplacer par la liberté, l’égalité et la solidarité. Au « chacun pour soi et Dieu pour personne », il faut passer au « chacun pour tous et tous pour chacun ». Autrement, la part animale de l’être humain se conclura par l’extinction pure et simple de l’espèce humaine, sous forme de guerre nucléaire. Dans le passé, on disait « socialisme ou barbarie ». Nous voici à l’époque de : solidarité ou disparition de l’espèce humaine sur la planète Terre. La solidarité authentique comprend l’égalité et la liberté collectives, donc individuelles.

_____

(1) L’exposé développé de cette idée fut formulée par Michel Bakounine dans son ouvrage « Dieu et l’État », disponible ici : http://fr.wikisource.org

(2) Voir Voline, « La révolution inconnue », disponible ici : http://kropot.free.fr/Voline-revinco.htm

Publié sur Algérie Patriotique le 06-01-2019, et sur Le Matin d'Algérie, le 08-01-2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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Publié le 18 Janvier 2018

Lignes de fracture principale et secondaire

Dans cette Algérie actuelle de confusion, insérée, aussi, dans la confusion mondiale, il faut quand même bien essayer d’éclaircir les obscurités et distinguer entre le principal et le secondaire.

Nous constatons ce qui domine, selon les écrits dans la presse et dans les réseaux sociaux, reflets plus ou moins fidèles de ce que pense le peuple.

Les lignes de fracture principales apparaissent comme étant les deux suivantes : 1) « islamistes » contre laïcs ; 2) « arabo-islamistes » contre « amazighes-laïques » ; 3) « démocrates » contre « conservateurs » ; 4) peuple opprimé contre caste étatique oppressive.

Est-on certain que là se trouvent les fractures sociales principales en Algérie ? Autrement dit, est-on certain que ce sont là les « courants de fond », qui déterminent tout le reste ?

Et pourquoi la ligne de fracture sociale réelle principale ne serait pas, plutôt, dans l’existence, d’une part, d’une caste numériquement minoritaire d’exploiteurs (économiques)-dominateurs (politiques et idéologiques), et, d’autre part, une majorité d’exploités-dominés ? Autrement dit, entre ceux qui commandent et s’enrichissent, et ceux qui exécutent et ne parviennent pas à gagner de quoi vivre dignement ?

En effet, supposons que les membres, appartenant au peuple, disposent des ressources matérielles suffisantes pour vivre : salaire suffisant, habitat confortable, système de santé satisfaisant, scolarité conforme aux besoins et aux spécificités culturelles et linguistiques, sécurité personnelle assurée. Et supposons qu’à ces conditions matérielles s’ajoutent la liberté d’expression, de manière à ce que les citoyen-ne-s puissent exprimer leurs doléances aux gouvernants, qui y répondent de manière positive et dans les délais acceptables. Supposons, également, l’existence de la liberté d’association entre citoyen-ne-s pour délibérer et choisir démocratiquement des actions au bénéfice à la communauté.

Dans ces conditions, aurions-nous, en Algérie, des gens du peuple qui auraient besoin de s’identifier et de suivre des dirigeants qui leur déclareraient : « Seuls, l’Islam et la Charia... », « Seule, l’indépendance de la région et l’identité ethnique... » peuvent vous sauver ?

« Mais nous sauver de quoi, répliqueraient, alors, les citoyens, puisque notre vie matérielle est convenable, notre existence paisible, notre liberté d’expression et d’association totale, nos relations entre individus et entre cultures diverses réciproquement enrichissantes et solidaires ? »

Bien entendu, pour que les citoyen-ne-s puissent tenir ce langage, n’est-il pas nécessaire qu’ils et elles ne soient pas soumi-se-s : 1) à une minorité d’enrichis qui les exploitent en concédant uniquement des salaires insuffisants, 2) ces patrons (privés ou étatiques) étant en alliance avec une minorité de gouvernants qui dominent les citoyen-ne-s, en interdisant la libre existence de syndicats autonomes et d’associations de défense des intérêts citoyens ?

Si tous les citoyens-ne-s prennent une part égale au « banquet de la vie », s’opposeraient-ils à cause de leurs croyances religieuses, de leur identité ethnique ou sexuelle ?

De tout ce qui précède, où est, alors, la fracture sociale principale réelle en Algérie ? Et quelle sont les fractures qui en sont les conséquences ? Pour les citoyen-ne-s, quelle est la manière la plus correcte et la plus efficace d’agir principalement : sur la fracture principale ou sur ses conséquentes fractures secondaires ? Dès lors, les citoyens-ne-s ont l’intérêt à s’unir d’abord sur quelles bases, à partir de quels critères ? La religion (pour être un « bon » musulman, selon certains chefs) ou l’ethnie (pour être un « bon » « arabe » ou « amazighe », selon d’autres chefs) ? Ou, au contraire, (ce que aucun « chef » ne dit), la base et les critères sont l’exploitation dominatrice, dont il faut se libérer ? Comment y parvenir sinon en créant une communauté humaine libre et solidaire dans ses diverses composantes, quelles soient religieuses ou « ethniques », ou, encore, biologiques (homme - femme) ?

Soeurs et frères !

Nous sommes de la même famille,

par les obsédés d’argent exploité-e-s

et par les obsédés de pouvoir dominé-e-s.

Qu’importe, sœurs et frères,

que certain-ne-s d’entre nous

croient en un Dieu et d’autres en une morale laïque,

soient d’une telle ou telle autre identité « ethnique »,

parlent telle langue ou telle autre,

descendent de « nobles » ou de « roturiers »,

soient de peau blanche, basanée ou noire,

soient de sexe masculin ou féminin.

D’abord et avant tout, nous sommes sœurs et frères !

Notre sang est pollué par l’humiliation,

mais notre cerveau bouillonne de libération.

Chaque gifle qui frappe une joue d’être humain

fait rougir la mienne également ;

chaque sourire qui illumine un visage d’être humain

embellit le mien également.

Notre mère s’appelle Liberté, notre père Solidarité.

Et notre famille algérienne

fait partie de la grande famille qu’est l’humanité.

Et n’oublions pas cette vérité :

La liberté solidaire est comme les fleurs :

elle demande à être cultivée à chaque heure.

 

Publié in Le Matin d'Algérie, 18 janvier 2018.

 

Lignes de fracture principale et secondaire

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 14 Décembre 2017

Que sont l’indépendance et la liberté  sans la solidarité ?

Commentant une de mes contributions précédentes (Lettre ouverte aux Trop-tardistes, http://www.lematindz.net/news/24222-lettre-ouverte-aux-trop-tardistes.html), un lecteur, signant Zwen, écrit « pour que la Kabylie accède à son indépendance », et conclut : “tu comprends combien c'est sacré pour nous l’indépendance et la liberté ? »

Étant né durant la criminelle époque coloniale, et ayant grandi pendant celle non moins criminelle de la dictature, il me semble comprendre ce que sont l’indépendance et la liberté. Pas seulement pour moi, mais pour tout être humain sur terre. Même les fauves, à constater leur comportement instinctif, aiment l’indépendance et la liberté.

Cependant, qu’est-ce que la liberté sans la solidarité ?…

La première ne serait-elle pas, alors, uniquement la voie ouverte aux plus rusés, plus puissants, plus riches, plus méchants de dominer et d’exploiter les plus honnêtes, les plus faibles, les plus pauvres, les plus gentils ?

Venons au cas de la Kabylie, comme de n’importe quelle région d’Algérie ou d’un autre pays. Quelque soit la spécificité d’une région, le raisonnement me parait identique dans l’essentiel.

D’abord, supposons que cette région est riche en matières premières, en force de travail, en capital financier et en capital intellectuel. Bref, que cette région possède tous les atouts pour vivre de manière indépendante et libre.

Dans ce cas, cette indépendance n’est-elle pas synonyme d’égoïsme, parce qu’elle ignore les régions voisines, moins dotées ?

Et la liberté qui y régnera, en absence de solidarité, ne serait-elle pas uniquement la liberté du fort d’exploiter et de dominer le faible ?

En réalité, si une région est pauvre en matières premières et en capital financier, où la mènerait l’indépendance ?… Elle n’a pas d’autre solution que de se soumettre à une puissance assez riche pour, sous prétexte de l’ « aider » à se développer, l’exploite et la domine pour en tirer le profit possible, selon la règle capitaliste : « Presser le citron jusqu’à en tirer le maximum de jus ». Ne sommes-nous pas dans un monde, capitaliste, où « aider » consiste uniquement à exploiter et dominer d’une autre manière ?… Les cas de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, ainsi que l’ « aide » des pays riches envers les nations pauvres, ne suffisent-ils pas à le comprendre ?

De ce qui vient d’être dit, ne faut-il pas avoir la sagesse et le réalisme de comprendre que l’indépendance et la liberté, certes, sont des exigences précieuses. Mais si on possède suffisamment de sens de l’équité, il faut savoir dans quelles conditions cette indépendance et cette liberté sont opératoires. Autrement, on est, en cas de bonne foi, dans la démagogie et l’irresponsabilité face au peuple, en l’occurrence kabyle, sinon, en cas de mauvaise foi, dans la complicité avec un futur agent étranger, prétendant fournir son « aide » (par exemple, États-Unis, Europe, Israël, Arabie saoudite, Émirats arabes).

Raisonnons sérieusement et honnêtement, en ayant en vue non pas les castes « élitaires », quelque soit leur spécificité « ethnique », mais le peuple laborieux, celui contraint à vendre sa force de travail à des patrons qui en tirent profit et richesse, ou à cette autre partie du peuple, les chômeurs.

Dans ce cas précis, que gagnerait le peuple laborieux de Kabylie à être indépendant ?…

Si la région est suffisamment riche en matières premières, en capital financier et en capital intellectuel, cette indépendance est, je l’ai dit, égoïsme envers les autres régions.

Si, au contraire, cette région aspirant à l’indépendance est pauvre dans les domaines mentionnés ci-dessus, elle tombera certainement sous la domination-exploitation d’une autre région ou pays. Et que serait ce dernier sinon capitaliste impérialiste ?… Qui aurait la naïveté de croire qu’une région, la Kabylie dans ce cas, serait « aidée » sans une contre-partie qui s’appelle domination-exploitation étrangère ?

On objectera : «Mais la Kabylie est, déjà, victime de la domination de l’État central, agissant envers elle comme un agent étranger, dominateur-exploiteur. » Soit. Toutefois, d’autres régions du pays, également, subissent la domination de l’État central.

Dès lors, comme pour toute autre région, la solution valable pour la Kabylie, - je répète que j’entends par là le peuple laborieux kabyle, et non les castes qui y existent -, ne réside-t-elle pas dans une autonomie lui accordant l’auto-gestion de son territoire, tout en créant une solidarité entre les diverses régions du pays, elles, aussi, disposant d’une autonomie d’autogestion ?

N’est-ce pas ainsi que l’indépendance et la liberté se conjugueront et compléteront par l’indispensable solidarité ?… Autrement, ne tomberons-nous pas dans l’horrible jungle où domine le plus fort et le plus méchant au détriment du faible et du pacifique ?

Rappelons l’exemple que tout le monde connaît sinon devrait connaître. La lutte armée de libération nationale a été conduite à la victoire par l’intermédiaire de wilayas disposant de leur autonomie d’action. Et ce fut un groupe de personnes (représenté par le colonel Boumediène et Ben Bella) qui, vers la fin, écrasa militairement les combattants des wilayas qui s’opposaient à la création d’un État centralisé autocrate.

Actuellement, nous en sommes à cette situation. Par conséquent, l’action réellement bénéfique au peuple algérien, celui laborieux ou chômeur, quelque soit la région où il vit, n’est-elle pas dans le rétablissement de cette autonomie des régions, autonomie solidaire, je le souligne, qui permettra finalement aux diverses composantes du peuple de vivre en harmonie, dans le respect réciproque ? A savoir unité dans la diversité, liberté dans la solidarité.

On pourrait objecter : « Quand nous, Kabyles, nous combattions pour nos droits, en étant réprimés et massacrés par les institutions de l’État, nos compatriotes des autres régions sont restés indifférents sinon ont montré de l’hostilité contre nos actions émancipatrices. Alors, pourquoi, à présent, leur manifester de la solidarité et croire à une union avec eux ? »

Si le reste des citoyens a eu, en effet, ces comportements déplorables, ne faut-il pas comprendre que leur réaction était due uniquement à leur conditionnement idéologique par ceux qui les dominaient ? Que, par conséquent, , à présent, il est nécessaire de leur manifester une solidarité, laquelle est l’unique manière de leur faire prendre conscience de leur aliénation passée, d’une part, et, d’autre part, de la nécessité d’une action unie de tous les asservis contre leurs dominateurs communs, quelque soit la région (ou l’ « ethnie ») considérée ?

Que l’on médite sur un cas significatif.

Le peuple vietnamien a affronté des décennies de lutte, successivement contre l’envahisseur colonial français puis états-unien, avec ce mot d’ordre précis : « Rien n’est plus précieux que l’indépendance et la liberté ».

Une fois vaincus tour à tour l’armée d’agression coloniale française, puis impérialiste états-unienne, par la suite le peuple fut soumis à une domination-exploitation telle, par une caste nouvelle, que le principal artisan de la victoire militaire, le général Vo Nguyen Giap lui-même, s’est élevé contre cette injustice, en vain. Et, par la suite, à quel pays le Viet Nam indépendant demande de l’ « aide » ?… aux États-Unis ! Dans les deux pays, dominent les adorateurs du dieu Dollar, au détriment de ceux qui en sont démunis.

Leçon à tirer : quand on parle d’indépendance et de liberté, il faut absolument veiller à ce que celles-ci ne servent pas à l’instauration d’une nouvelle caste autochtone, à son tour dominant et exploitant le peuple.

Comment l’éviter ?… L’histoire mondiale montre une seule solution : la solidarité du peuple laborieux, toutes composantes unies, au-delà de leurs diversités ethniques ou autres.

Concluons. Indépendance et liberté signifient autogestion ; et celle-ci est efficace uniquement quand elle s’exerce de manière solidaire. Encore une fois, l’histoire l’enseigne, depuis toujours et partout dans le monde.

Retournons au lecteur Zwen. Je comprends très bien ses constatations :

« Moi personnellement (...) , la seule option que j'ai trouvé depuis que j'ai compris l'usage du mépris, de la dictature, du racisme du dénie, en Algérie envers les Kabyles. je ne me vois plus, Algérien à part entière. je me sens étranger un sous citoyen dans mon propre pays. je ne suis pas fataliste, je suis ami avec plusieurs personnes des autres régions d’Algérie. »

Posons la question : « l'usage du mépris, de la dictature, du racisme, du déni, en Algérie » existent-ils uniquement envers les Kabyles ?… Et les travailleurs manuels, les employés subalternes, ajoutons aussi les femmes, de tout le pays, sans distinction de région, sont-ils mieux traités ?

Deuxième question : les mal-traitements dont parle Zwen visent-ils les Kabyles en tant que tels, ou, plutôt, en tant que citoyens du bas de l’échelle sociale ?… En effet, n’y a-t-il pas des Kabyles au sein de l’État et de ses institutions, sans souffrir de mal-traitements ?

Dès lors, les Kabyles sont-ils victimes de ségrégation parce que Kabyles, ou, plus exactement, parce que appartenant au peuple laborieux ou chômeur, tout comme dans les autres régions du pays ?

Zwen se sent-il « sous-citoyen » parce que Kabyle ou, plus exactement et d’abord, parce que ne faisant pas partie de la caste dominante en Kabylie ?

Les ségrégations sociales, basées apparemment sur l’ethnie (ou la religion), sont, en réalité produites par la condition socio-économique du sujet. Si Zwen était un patron disposant d’un gros capital, lui permettant d’exploiter des centaines de travailleurs, ou s’il était un notable bénéficiant d’appréciables privilèges dans le pays, ne se sentirait-il pas « Algérien » à part entière, bien que kabyle ?… N’est-il pas, comme il dit, « étranger un sous citoyen dans mon propre pays » précisément parce qu’il fait partie de ce peuple exclu de la gestion des richesses naturelles du pays ? Est-ce que l’habitant d’une autre région d’Algérie ne se sent pas dans la même situation, bien que n’étant pas kabyle ?

Dès lors, qu’est-ce qui donnera au peuple kabyle, qui se considère « étranger dans son propre pays », la pleine et libre citoyenneté ?… L’indépendance et la liberté de la région kabyle, ou, au contraire, la liberté solidaire entre tous les citoyens algériens qui se sentent « sous-citoyens dans leur propre pays » ?

Par conséquent, cher Zwen, fais attention à ne pas vouloir sortir d’une domination pour te retrouver dans une autre, plus autochtone mais identique. Veilles à ne pas être manipulé à ton insu. Demandes-toi où sont les authentiques indépendance et liberté. Pour le savoir, apprends ce que l’histoire de l’humanité nous enseigne. Et saches qu’il y a, en Algérie, des travailleurs conscients de leur nécessaire solidarité, quelque soit leur région de résidence (voir article http://www.elwatan.com//une/demonstration-de-force-des-syndicats-autonomes-02-05-2017-344326_108.php)

Publié sur Le Matin d’Algérie, 04 Mai 2017.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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Publié le 6 Mars 2019

Manifestations populaires à Alger - février 2019

Manifestations populaires à Alger - février 2019

Après les manifestations populaires de décembre 1960, où je connus mon plus grand bonheur, parce que j’ai vu le peuple algérien s’affirmer de manière indépendante, même du parti FLN qui dirigeait la guerre de libération nationale, voici le second jour de mon plus grand bonheur : le 22 février 2019.

Ce jour-là, celles et ceux qui furent traités avec mépris de « gâchi », de « populace », celles et ceux au sujet desquels certains déclarèrent « se tromper de société », et d’autres vouloir « changer de peuple », celles et ceux au sujet desquels un journaleux parla d’ « obsédés sexuels » totalement engloutis dans l’obscurantisme religieux, enfin, ces hommes et femmes méprisés, dénigrés, calomniés ont fini par démontrer la dignité qui sommeillait en eux. Ces hommes et femmes, jeunes et vieux ont fait davantage. Ils se sont unis au-delà des clivages dans lesquels des oligarchies manipulatrices voulaient les tenir : une vision cléricale ou ethnique.

Et cette union, là est le meilleur, s’est réalisée sans partis, sans organisations, sans chefs. Certes ! il est possible que des agents occultes, cherchant à réaliser leurs seuls intérêts de caste, ont suggéré, agi pour attiser et encourager ces manifestations, en suggérant une unique revendication : le refus de la candidature de l’actuel chef de l’État. En effet, focaliser les revendications sur le seul refus de cette candidature, sans évoquer le droit fondamental à la justice sociale réelle, quelque soit le Président qui sera élu, risque de faire le jeu de ces agents occultes, en remplaçant une caste anti-démocratique par une autre, apparemment démocratique. Car il est fondamental de comprendre ceci : le problème essentiel et déterminant n’est pas uniquement une élection présidentielle, mais celui du choix d’un système social où la majorité d’un peuple ne soit pas exploitée économiquement, dominée politiquement et conditionnée idéologiquement par une caste, fut-elle « démocratique ». La question primordiale, donc, ne se limite pas à changer de Chef, mais de système social. Certes, un long voyage commence par des premiers pas, cependant qui veut voyager loin ménage sa monture.

Il est vrai que les personnes qui ont manifesté l’ont fait d’abord et avant tout pour exprimer leur refus de continuer à subir l’humiliante « hogra », sous toutes ses formes et d’où qu’elle vienne. Cette humiliation est allée jusqu’à l’immonde : voir un journaleux, après avoir traité le peuple d’ « obsédé sexuel », traiter les combattants de la guerre de libération nationale d’imposteurs et de profiteurs.

Voici que, finalement, celles et ceux exploités, dominés et méprisés ont osé occuper les rues, défier l’interdiction de manifester dans la capitale, ont su exprimer leurs revendications de manière pacifique, solidaire et même joyeuse !

Et maintenant ?… Comme partout et toujours dans le monde, celles et ceux qui ont eu finalement la conscience et la dignité de se manifester publiquement, doivent veiller à ne pas être récupérés, par quiconque, non seulement par leurs ennemis, mais également par leurs (faux) amis.

L’expérience historique le montre : les manifestations populaires sont nécessaires mais non suffisantes. Elles ne sont que la partie visible de l’iceberg citoyen.

Afin que la première démonstration pacifique citoyenne du 22 février 2019 ne se réduise pas à un vagissement avorté, à une récréation de défoulement sans lendemain, ou se prolonge par d’autres manifestations de rue semblables et rien d’autre, l’expérience historique mondiale montre ce qui reste à faire : constituer des comités de consultation, de discussion, égalitaires, libres et solidaires, pour concrétiser un débat le plus démocratique entre les citoyennes et citoyens. Et, surtout, que non seulement aux jeunes, mais également aux femmes soit reconnu tout leur droit à la participation. Les femmes étant les plus opprimées du peuple, leurs suggestions seront les plus précieuses.

Que ces comités citoyens se forment partout : lieux de travail, d’études, d’habitation, de loisirs, en Algérie et parmi la diaspora, etc. Enfin que ces comités se choisissent parmi eux des représentants afin de réaliser la solidarité entre les divers comités.

Certes, cette entreprise n’est pas facile, mais elle est la seule manière pour un peuple d’apprendre à se gérer lui-même ; elle est, aussi, la base pour construire un ordre social réellement démocratique, parce qu’il sera le résultat réel de délibérations et de décisions populaires, égalitaires, libres et solidaires. Ce que l’autogestion populaire a d’unique et de merveilleux est ceci : elle n’est pas uniquement un but à attendre, mais un moyen qui est en même temps la réalisation immédiate et progressive de ce but. Quant à ceux qui, de bonne foi, considèrent l’autogestion sociale comme démagogique, anarchique, archaïque et j’en passe, qu’ils s’informent sur ce qu’elle fut réellement, en Algérie et ailleurs. Partout, elle ne succomba qu’à cause de la faiblesse des peuples, notamment en matière d’organisation, et, donc, de la force organisée de leurs adversaires.

Au contraire de tous ceux qui méprisent le peuple, faisons-lui confiance !… Rappelons-nous deux faits historiques significatifs. Le premier, ce furent les manifestations de décembre 1960, déjà évoquées. Le second est le suivant : juste après l’indépendance, en absence de patrons et de cadres d’une part, et, d’autre part, d’un État, nos parents ont su établir l’autogestion industrielle et agricole, et ont, contrairement aux calomnies, assuré la production de manière satisfaisante, jusqu’à ce qu’une oligarchie a constitué un nouvel État qui élimina cette autogestion… Dès lors, cette partie du peuple qui a manifesté dans les rues le 22 février 2019, de manière si intelligente, exprimant le plus haut et le plus beau niveau de conscience citoyenne, il lui reste à s’organiser de manière autonome, égalitaire, libre et solidaire pour trouver les solutions à ses problèmes, et faire du pays dont elle est citoyenne une nation démocratique et populaire, dans le sens authentique de ces deux qualificatifs, c’est-à-dire par le peuple et pour le peuple. Quant à celles et ceux qui détiennent un savoir social utile, il leur reste à s’organiser eux aussi en associations égalitaires, libres et solidaire, d’une part, et, d’autre part, à mettre à la disposition du peuple leur savoir social, en veillant à ne pas s’ériger en maîtres, dirigeants, chefs ni administrateurs. Leur rôle n’est pas de se servir du peuple, mais de le servir, car seul un peuple libre et solidaire est la condition de la liberté solidaire de toutes et tous.

*

Publié sur Algérie Patriotique, le 27 février 2019, et sur Le Matin d'Algérie  (avec le titre : Après la manifestation, et maintenant ?), le 4 mars 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 14 Janvier 2019

À la mémoire d’un ami du peuple algérien

Le 29 décembre 2018, à 79 ans, David Lewis Porter a quitté notre monde, suite à une maladie.

Citoyen états-unien, durant ses études universitaires, il fut présent à Paris, où il soutint ardemment le combat pour l’indépendance du peuple algérien.

Par la suite, après l’indépendance, il travailla en Algérie, durant l’expérience d’autogestion industrielle et agricole, en soutenant sur le terrain cette extraordinaire expérience. Il en relata les aspects dans un de ses livres et dans une interview, dont j’ai rendus compte (1).

Enfin, de retour dans son pays, exerçant comme professeur dans plusieurs universités, il enseigna ce qu’il apprit de l’autogestion sociale algérienne.

David Porter, jusqu’à la fin de sa vie, était un lecteur assidu de la presse algérienne. Ainsi, il connut mes contributions et me contacta en exprimant ses appréciations, son encouragement et son accord. Il eut ensuite l’amitié de me proposer son éditeur aux États-Unis, AK Press Éditions, pour mon ouvrage concernant ma participation au mouvement de mai 1968 en France, qu’il traduisit en anglais bénévolement (2).

David Porter s’intéressa et publia un ouvrage également sur cette autre expérience d’autogestion sociale qui eut lieu dans l’Espagne républicaine de 1936 à 1939 (3). Parallèlement, dans son pays, ainsi que la localité où il résidait, il écrivait et militait comme anarchiste, pour une société égalitaire, libre et solidaire.

Dans la lettre annonçant le décès de David Porter, son épouse Nancy Schniedewind écrit en conclusion : « In lieu of flowers, it is requested that you take courageous action toward a more free and beautiful world. » (En guise de fleurs, il vous est demandé d’entreprendre une courageuse action pour un plus libre et beau monde. »

Les écrits de David Lewis Porter se distinguent par leur clarté, leur chaleur humaine, leur net engagement social et un très précieux enseignement. Ses actions concrètes étaient marquées par une solidarité indéfectible tant avec ses compagnons de combat émancipateur qu’avec les citoyens anonymes côtoyés durant les luttes sociales. Merci d’avoir existé, David ! Tu restes vivant dans le cœur et l’esprit comme un bel et chaleureux compagnon de cet idéal où riment harmonieusement ensemble égalité, liberté et solidarité universelles.

 

Publié le 1er janvier 2019 sur Algérie Patriotique et sur Le Matin d'Algérie.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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Publié le 14 Décembre 2017

Que faire ?

Ce fut la question que posa un lecteur, en commentant un texte que j’avais publié sur l’autogestion en Algérie.

La première fois que j’ai lu cette question, j’avais une vingtaine d’années. La demande était le titre d’un roman d’un homme de lettres, journaliste et philosophe russe : Nikilaï Tchernychevski.

Son livre fut publié alors qu’il était en prison, pour ses idées émancipatrices, dans la sinistre forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Petersbourg.

Ce roman m’avait bouleversé. Par la suite, j’appris qu’il exerça une influence profonde sur la jeunesse russe éprise de liberté et de justice. Lénine aurait déclaré, en 1904, à propos de cette œuvre : « Il m'a labouré de fond en comble. »

Il utilisa ce même titre dans un essai fameux, que j’ai lu, ensuite, avec un grand intérêt. Le dirigeant bolchevik fournissait, alors, une méthode pour changer la société. Cette conception eut du succès au point que Lénine se trouva chef d’un nouvel État.

Hélas et tant de fois hélas !… La méthode était viciée à la base. Elle manifesta un autoritarisme tel que ce qui commença comme révolution sociale authentique en Russie devint un État totalitaire conservateur, du temps même de Lénine et de Trotsky, et non pas, comme beaucoup le croient, durant la dictature stalinienne.

Ce régime dura à peine soixante dix ans, coûta des millions de morts, et finit lamentablement par s’écrouler, victime de ses propres contradictions internes. Et laissant, après lui, un océan de désillusions, d’amertume, de désenchantement, de désorientation. Surtout et principalement auprès de ceux qui ignoraient les écrits et les actions d’autres révolutionnaires qui, eux, n’ont jamais été au pouvoir parce qu’ils n’ont jamais cherché à le conquérir, et avaient prédit, déjà en leur temps, l’échec du marxisme autoritaire : les libertaires.

Ces derniers ont tenté de réaliser un changement social réellement radical, en évitant tout autoritarisme. Malheureusement, ce dernier se révéla très fort. Mais s’il a massacré les femmes et les hommes qui le contestaient, il n’est pas parvenu à tuer leurs idées. Sous les cendres de la répression, elles ont continué à vivre parmi les cœurs les plus généreux et les esprits les plus fins. L’une des ces idée est celle de la solidarité populaire.

*

Cependant, la question demeure, aujourd’hui comme auparavant ; elle est même, actuellement, plus embarrassante : Que faire ? Ou, encore, comment faire ?

Le lecteur ayant réagi à mon article précédent sur l’autogestion, la formula ainsi : « Dans un pays soumis à tellement de corruption, la fameuse « chkara », partout, du haut au bas de l’échelle, quoi faire pour s’en sortir ? »

L’interrogation est fondamentale. J’y ai réfléchi.

J’en offre ici le résultat, avec l’espoir de contribuer positivement à ce débat. Nous y sommes obligés, tant la confusion et le désarroi sont graves et paralysants.

Que faire ?…

Eh bien tout simplement ce qu’on fait toutes celles et ceux qui ont contribué à changer les sociétés humaines en mieux. Je n’ai pas en vue uniquement les « grands » révolutionnaires, les « chefs ». Non, mais d’abord et surtout les personnes sans quoi il n’y a pas de « chefs » : tout un chacun, jusqu’au plus humble, plus anonyme, plus ordinaire.

C’est tout cet ensemble qui a permis les changements sociaux importants, réalisant un pas en avant vers plus de justice et de liberté.

Toutes ces personnes ont un point commun : avoir D’ABORD COMPTER SUR SOI-MÊME, sur les propres forces, même quand elles apparaissaient minimes, et, aux yeux de la majorité, ridicules !… et s’être SOLIDARISÉS.

Et puis, pourquoi évoquer ces phénomènes sociaux macroscopiques ?

Pourquoi ne pas nous rappeler, très simplement, ce que sûrement nous a dit notre grand-père ou notre grand-mère, quand nous étions enfants, et que nous avons oublié ?

-  Prends ce petit morceau de bois.

Je l’avais pris.

-  Brise-le !

En un simple geste j’y étais parvenu.

- Maintenant, prends ces dix petits morceaux de bois et brise-les, aussi !

Je m’y étais efforcé, à plusieurs reprises. En vain.

- Tu vois !.... Si tu es seul, n’importe qui te brisera facilement ; si, au contraire, tu es uni avec d’autres, personne ne pourra vous briser.

Dois-je ajouter que ce parent n’était pas un docteur universitaire, ni même savait lire et écrire ?… Cependant, la vie pratique, cette université naturelle, lui avait enseigné cette précieuse leçon.

D’où la règle. Elle est élémentaire, banale, simple mais absolument fondamentale : là où on nous divise, nous devons être solidaires. Car, divisés, nous sommes toujours perdants ; solidaires, nous créons la possibilité de vaincre ensemble.

*

Considérons quelques moments significatifs de l’histoire humaine.

Qu’est-ce qui a permis au peuple espagnol de résister au coup d’État de l’armée fasciste franquiste pendant trois ans (1936-1939), au lieu de succomber immédiatement ?… La solidarité populaire (lire Gaston Deval, « Espagne libertaire », à télé-décharger ici : http://www.somnisllibertaris.com/libro/espagnelibertaire/index05.htm ).

Quelle fut la cause principale de la transformation de la révolution russe en système totalitaire conservateur, et cela dès 1921, alors que Lénine était au pouvoir, avec Trotsky ?… L’apparition d’une caste bureaucratique autoritaire bolchevique, qui s’est emparé de privilèges, rompant ainsi la solidarité populaire (lire Voline, « La révolution inconnue », à télé-décharger ici : http://www.vho.org/aaargh/fran/livres5/Voline.pdf).

Venons à l’Algérie.

Quel facteur fondamental a produit et assuré la lutte armée de libération algérienne ?… La solidarité populaire (une réelle histoire reste encore à faire).

Quand la plupart, non seulement le peuple illettré mais les élites intellectuelles autochtones, s’étaient résignés à accepter l’Algérie comme partie de la France, un groupe de jeunes s’est levé et a cru à l’indépendance nationale.

Ce groupe s’est uni. Ainsi, il a pu affronter toutes les difficultés imaginables pour faire croire à son idée libératrice.

Deux furent les obstacles majeurs.

Le premier d’ordre politique. Il a fallu démythifier et démystifier l’idée de « Zaïm » et celui qui l’incarnait alors, Messali Hadj. Toucher à l’ « icône » nationale n’était pas du tout facile. Mais les jeunes, parce que dotés d’une VISION CLAIRE, RÉSOLUS et SOLIDAIRES, y sont parvenus.

La seconde difficulté était, peut être, encore plus difficile. Ces jeunes indépendantistes ont dû combattre contre la chose la plus compliquée et la plus délicate qui soit au monde : une foi religieuse erronée.

Elle consistait à croire que Dieu avait envoyé l’armée colonialiste française en Algérie ; il fallait donc se résigner à la Volonté du Puissant. C’était « maktoub Allah » !… Le remettre en question, pire, se révolter contre cette situation était impie ! Cela remettait en cause la Volonté Divine !… D’autres aggravaient cette vision fataliste par le proverbe « Assâbar inâl ! » (le patient trouvera sa récompense), sous entendu, dans l’au-delà. Sagesse apparente pour justifier une résignation et une aliénation serviles.

Bien entendu, toutes les personnes, colonialistes et autochtones complices, ont tout fait pour légitimer, maintenir et renforcer cette « croyance » religieuse et cette « sagesse » parmi le peuple.

Ajoutons l’élite autochtone, de formation francophone, pour laquelle la nation algérienne n’a jamais existé, et que la France, malgré les mauvaises actions certes accomplies, avait quand même apporté la « civilisation » (école, hôpitaux, chemins de fer, etc.)

Il n’est donc pas difficile d’imaginer ce que, à l’époque, les jeunes indépendantistes algériens subissaient comme situation désespérante. Elle paralysait les intellectuels indigènes et le peuple, notamment celui des paysans pauvres et des ouvriers. Les premiers constituaient la « tête pensante », et les autres le bras armé de tout changement social.

Cependant, à force de compter sur eux-mêmes, sur leur intelligence et leur courage, ainsi que leur solidarité, ces jeunes indépendants, nos aînés, sont parvenus à créer les conditions de la lutte armée qui a mené à notre indépendance.

*

Oui, certes ! Les résultats ne sont pas à la hauteur de leur idéal et de leurs espérances. Cependant, ils ont fait ce qu’ils ont pu. Tout leur mérite est là. Nous leur devons toute notre reconnaissance.

Alors, que voulons-nous aujourd’hui ?

Une société LIBRE et SOLIDAIRE. Parce que si je ne suis pas libre, comment puis-je choisir d’être solidaire ? Et si je veux être solidaire, puis-je l’être sans être libre ?

Eh bien, c’est difficile !… Plus ou moins aussi difficile que, dans les années 1920 à 1954, l’était problème de l’indépendance nationale.

Par conséquent, imitons nos aînés. Efforçons-nous d’avoir leurs qualités : intelligence, courage et solidarité. Alors, nous finirons par trouver les solutions.

Pour y parvenir, la première condition est déjà trouvée, celle de nos aînés : COMPTER SUR NOUS-MÊMES.

Cela suppose nous organiser de manière LIBRE et SOLIDAIRE. Partout où cela est possible. De manière pacifique !… Car il ne s’agit pas de lutte armée, et autoritaire, mais de mouvement social pacifique et démocratique, au sens le plus authentique de ce mot.

Et, surtout, pas de « Zaïm », source d’autorité aliénante et mystificatrice. Mais des frères et sœurs (oui ! reprenons ces splendides appellations de notre combat national libérateur) égaux en droits et en devoirs, et auto-gérons tout ce que nous pouvons, de manière autonome, libre et solidaire.

Et commençons par ce qui est possible, près de nous, autour de nous.

Des exemples existent : les syndicats autonomes, la Coordination nationale de défense des droits des chômeurs (CNDDC).

Mais, il y a des exemples moins visibles, mais non moins importants. J’en mentionne un. Il fera rire les uns, ricaner d’autres ; il n’y a pas à s’en étonner.

Supposons que dans le paquet de maisons où j’habite les rues sont pleines de saletés, offensant les yeux et le nez, pour ne pas évoquer la dignité.

Les habitants accusent le service d’hygiène de manquer à sa fonction, ou les employés au nettoyage de fainéantise ; de leur côté, les travailleurs de l’entretien des rues se lamentent des habitants qui jettent leurs objets inutiles n’importe où. Cercle vicieux.

Entre temps, les rues demeurent dans leur état lamentable ; et chacun garde bonne conscience : les citoyens comme les employés au nettoyage.

Les uns dénoncent la « mauvaise gestion » de l’État ; les représentants de celui-ci, quand ils ne se taisent pas par indifférence ou mépris, considèrent les citoyens comme des incapables et des personnes manquant du minimum d’éducation.

Eh bien, pourquoi nous, citoyens de cet ensemble d’immeubles, ne décidons pas de nous occuper, nous-mêmes et ensemble, de la propreté de nos rues ?

Ne serait-ce pas, ainsi, une manière de démontrer une chose très importante, et même décisive ? A savoir celle-ci : en cas d’absence d’institution étatique, nous sommes capables de nous prendre en charge nous-mêmes.

Je parie que si un groupe de citoyens résout ce problème, il aimera, de la même manière, trouver une solution à d’autres problèmes concernant la petite collectivité formée par cet ensemble de maisons.

Alors, ces citoyens apprendrons à s'auto-gérer, découvrirons qu’ils en sont capables. Le respect réciproque reviendra parmi eux ; ils marcheront la tète haute et le regard fraternel.

Peut-être, ou plutôt certainement, ainsi, il découvriront d’autres domaines où exercer leur liberté de manière autonome et solidaire. Petit à petit l’oiseau fait son nid. L’autogestion, manifestation de liberté solidaire, s’apprend en l’exerçant ; en constatant les résultats positifs, on en découvre les avantages.

L’histoire l’enseigne, malgré l’occultation de ceux qui la redoutent parce qu’elle menace leurs intérêts de dominateurs-exploiteurs : chaque fois qu’une communauté humaine, quelque soit sa dimension, s’est unie de manière autonome et solidaire, les résultats ont été nettement supérieurs, par rapport à la situation où cette même communauté était divisée par ceux qui la dominaient-exploitaient. L’exemple le plus clair et significatif est le changement social opéré en Espagne durant les années 1936-1939, avec la formation des collectivités autogérées (je renvoie au témoignage direct, précis et détaillé de Gaston Duval).

Toutefois, point n’est besoin nécessairement de lecture d’ouvrages pour comprendre ce que je viens d’affirmer.

Pour répondre aux questions « Que faire ? » et « Comment faire ? », il suffit d’appliquer un principe élémentaire, valable en toute époque et pour tout peuple : Ne fais pas à ton voisin ce que tu ne veux pas qu’il te fasse, et fais-lui ce que tu voudrais qu’il te fasse.

Bien entendu, il faut commencer d’abord soi-même à appliquer ce principe, au sein de sa propre famille, puis avec ses camarades d’études ou de travail, enfin avec toute personne avec laquelle s’établit une relation quelconque.

De la même manière que l’être humain apprend à marcher, à parler et à raisonner, il peut apprendre à résoudre les problèmes communs de manière libre et solidaire. Il suffit d’en comprendre l’utilité, puis de le vouloir, enfin de se mettre à la pratique, et, par elle, faire de mieux en mieux.

Ceux qui trouvent tout difficile à réaliser, en réalité n’ont aucune envie de faire la moindre chose. En fait, ils sont désillusionnés, désenchantés, désorientés, paralysés. Je le regrette pour eux et pour nous. Je les comprends parce que j’ai traversé ce tunnel noir.

Mais, par chance, la lumière du flambeau a fini par apparaître à mes yeux : l’exemple de nos aînés, en Algérie comme dans le monde, en remontant jusqu’à Spartacus. Dans la situation la plus désespérée, ils ont su construire petit à petit une société plus libre et plus solidaire. En Algérie, ce processus nous offrit l’indépendance nationale.

Il nous reste, nous, à découvrir comment nous offrir à nous-mêmes notre indépendance SOCIALE. En les imitant, par l’adoption des qualités qui les ont fait vaincre. Je les ai mentionnées auparavant.

Tous les « miracles » sociaux émancipateurs ont été le résultat de mouvements de solidarité ; tous les malheurs furent possibles parce que les dominés-exploités étaient divisés. Voilà pourquoi sans solidarité effective, pas d’émancipation possible. Par conséquent : d’abord et avant tout so-li-da-ri-té entre les humiliés !

Elle doit se manifester d’abord dans tout ce qui est possible, en commençant par les choses et les aspects les plus petits. J’ai cité auparavant un exemple, à propos des saletés des rues. En voici d’autres.

Si dans la partie de quartier où j’habite se trouvent des personnes vieilles ou malades ou impotentes, sans ressources, ne pas nous contenter d’une (trop facile) indignation contre la déficience de l’État, et encore moins en évoquant le « maktoub ». Ce qu’il faut, c’est trouver le moyen de venir en aide à ces voisins malheureux. Comment ? Il faut se réunir et en discuter. La générosité réelle du cœur et une intelligence pratique de l’esprit, sans besoin de diplômes, finiront par trouver la solution.

Voici ce que j’ai lu sur la manière par laquelle les « Frères Musulmans » auraient réussi à obtenir l’adhésion d’une partie de la population en Égypte. J’ai bien dit : j’ai lu. Mais ce qui est relaté, s’il n’est pas vrai, me semble crédible, du moins donne à réfléchir.

Ils sont allés dans les quartiers populaires, abandonnés par l’État et par les partis clandestins laïques. Là, ils demandaient aux plus démunis comment ils allaient. Ces derniers, uniquement devant ce geste de curiosité, étaient déjà reconnaissants : « Voilà au moins des personnes qui s’intéressent à nous ! » Et puis, ils reçurent quelques cadeaux, des chaussures par-ci, des médicaments par-là, enfin, bref, l’offre de quelques éléments nécessaires à la vie matérielle de tous les jours. Comment, dès lors, les bénéficiaires n’auraient-ils pas soutenu leurs généreux donateurs ?

Notons que la solidarité authentique, elle, n’a pas besoin d’être manipulatrice. Elle doit se manifester en tant qu’idéal, tout simplement. Tout l’intérêt, tout le bénéfice à tirer de la solidarité est de la pratiquer. Alors, les liens entre les exclus du système s’établissent et, avec le progrès de la solidarité collective, ils se renforcent et se consolident.

Voilà comment sortir du tunnel de la division dans laquelle nous mettent ceux qui en tirent leur intérêt.

Faut-il préciser que je ne parle pas ici d’aumône ?… Celle-ci a uniquement le résultat de perpétrer et même légitimer l’injustice, en donnant une commode bonne conscience au donateur de circonstance… La solidarité dont je parle doit être STRUCTURELLE, collective. Elle part des « petits » aspects de la vie sociale, tout en visant les plus fondamentaux ; elle s’exerce par le plus petit nombre, tout en cherchant à l’élargir.

Suggestion. Pourquoi ne pas créer, dans un immeuble, un groupe de maison, une rue ou plusieurs un COMITÉ CITOYEN DE SOLIDARITÉ ?

Pour lui éviter toute récupération manipulatrice, il devrait fonctionner de manière réellement démocratique, avec des représentants librement élus sur la base de leur disponibilité, et révocables à tout moment, selon les besoins.

L’État peut-il interdire ce genre d’association pacifique et démocratique, ayant une finalité sociale, sans aucun objectif politique ?… Il ne s’agit de prendre aucun pouvoir, mais seulement de se partager le pouvoir de s’entraider librement, en comptant sur les bonnes volontés et les ressources disponibles des membres du comité de solidarité.

Est-ce une illusion de compter sur l’esprit de solidarité parmi les peuple algérien ?… Ne l’a-t-il pas manifesté dans les moments les plus difficiles : ceux de la lutte armée anti-coloniale ?… Alors, pourquoi pas aujourd’hui ?… A propos d’obstacles, qui sont les plus difficiles et les plus durs à affronter et à vaincre : les autorités colonialistes et leurs complices bachaghas du passé, ou, à présent, les nouveaux « bachaghas » de la « chkara » et leurs complices-protecteurs dans les institutions étatiques ?

*

J’entends l’objection : « Nous sommes peu, trop peu ! »

Nos aînés, alors jeunes, des années 1940 à 1954 et même après, étaient-ils nombreux ?

Libérons-nous de la fixation, aliénante et paralysante, sur le moment présent, en voulant le changer immédiatement, tout en sachant que cela est impossible. Apprenons à avoir une vision historique à long terme et, sur cette base, réfléchissons et agissons. Comme nos aînés des années 1940 à 1954.

Souvenons-nous, pour employer une métaphore, de ceci : les gouttes de pluie peuvent former des ruisselets, qui, à leur tour, etc., etc. En d’autres termes, nos actions, bien que petites aujourd’hui, doivent s’exercer en vue d’actions de plus grande envergure, plus tard.

Surtout, je le répète, ne pas prétendre à la réalisation immédiate de grandes actions spectaculaires et éclatantes. Tant mieux si c’est possible.

Autrement, ayons la sagesse de nous contenter de la moindre petite action pour démontrer que oui !, nous, Algériennes et Algériens, malgré l’affreux tunnel désespérant que nous traversons, nous sommes capables de manifester librement une solidarité entre nous, nous les dominés, les exploités, que l’ont soit en Algérie ou ailleurs.

Et que cette solidarité ne soit pas limitée à nous comme Algériens, mais, chaque fois que c’est possible, étendue à la planète entière. Cette action internationale commence, déjà, au pays, en trouvant la manière d’être solidaires avec les immigrés qui se trouvent sur le territoire national.

Car, partout où un être humain est humilié, chacun de nous l’est, aussi, parce que l’espèce humaine est une, parce que la division la plus importante qui afflige l’humanité est celle entre la minorité d’exploiteurs-dominateurs, tant nationaux qu’étrangers, et la majorité de leurs victimes.

*

Alors, une dernière fois, que faire ?…

Chercher et trouver les moyens pour cesser d’être SOLITAIRE, et devenir SOLIDAIRE. Boussole : en premier et au dessus de tout, la solidarité POPULAIRE, organisée de manière AUTOGÉRÉE, quelque soit le niveau où elle peut exister, en commençant par le possible. Nulle action est « petite » quand elle s’englobe dans un ensemble à construire.

Pour y parvenir, chercher et trouver les solutions qui surmontent et mettent fin à ce qui divise les humiliés, à ce qui les met en concurrence pour se battre afin de subsister. Il faut, aussi, renoncer au désir de s’enrichir au détriment des autres, et à l’illusion de se sauver soi-même en laissant les autres dans le malheur.

Pour y parvenir, il est nécessaire, également, de ne pas succomber à deux formes de résignation.

L’une est laïque : « Tout est pourri, il n’y a rien à faire ! »

Cette conception est trop facile ; elle provient d’un esprit fainéant ; en outre, elle est trop commode, produite par un cœur égoïste. Cette mentalité, je la constate dans ces « intellectuels » qui dénoncent avec indignation la réduction du peuple à « ghachi » (foule), sans que leur cerveau nous propose de solution pour s’en libérer, afin que les « ghachis » redeviennent un peuple de citoyens conscients de leurs droits et devoirs.

La seconde forme de résignation est religieuse : « Hada maktoub Allah ! » (Cela est la Volonté d’Allah).

C’est la conception de tous les charlatans qui ont intérêt à maintenir le peuple dans la domination-exploitation.

Pour le croyant réellement sincère et sérieux, au contraire, ce fatalisme est un blasphème ; il nie la Clémence et la Miséricorde de Dieu. En outre, c’est oublier un principe essentiel, celui de l’ « ijtihâd alkabîr» (le grand effort) ; il consiste à s’efforcer personnellement, selon les propres moyens, d’améliorer les dysfonctionnements de la vie sociale, les siennes et celles des autres.

« Et toi ?… me demanderait légitimement le lecteur, que fais-tu comme acte de solidarité ? »

Hors du pays, dans la petite localité paisible où je vis, l’âge désormais avancé où je suis parvenu m’autorise à me reposer en jouissant de menus plaisirs, tout en me désintéressant du peuple parmi lequel je suis né.

Eh bien, non. Je fais ce que je peux : consacrer du temps (ce qu’on a de plus précieux quand on approche de la disparition de cette terre) à réfléchir et à rédiger ce genre de contribution. Elle est destinée à mes compatriotes, dont les parents m’ont offert, par leur sacrifice, la dignité d’être algérien, libre de toute domination-exploitation. Mon action, aussi minime est-elle, est une reconnaissance d’une dette en matière de solidarité.

Passons à autre chose. Une première innovation qui me semble tout-à-fait réalisable est un souhait.

Ah ! Combien je serai heureux de voir un journal insérer parmi ses rubriques celle-ci ! « SOLIDARITÉ CITOYENNE » ! Et nous tenir informés sur son progrès parmi le peuple. Cette information constituerait une heureuse compensation à la partie du même journal où nous lisons tout ce qui ne va pas dans le pays ; elle aurait également le mérite de nous aider à garder l’espérance d’un changement concret, même si minime, mais augmentant, comme les tiges de blé annonçant une belle récolte.

Publié sur Algérie Patriotique, le 19 mars, et sur Le Matin d’Algérie, 20 et 22 Mar, 2017.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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Publié le 13 Février 2018

Indépendance, évolution, autogestion

Réponse à un lecteur

Suite à la contribution “Adresse à une minorité d’intellectuel-le-s algérien-ne-s », un lecteur, se présentant comme « Quelques questions de plus! », formule des demandes qui appellent des éclaircissements. Examinons-les en les rappelant.

1. « Est ce que une Kabylie indépendante aurait des chances d’évoluer comme les autres peuples du monde sur le plan collectif et individuelle.

Réponse.

D’abord, il faut convenir pour ce qu’on entend pas le terme « indépendant ». Beaucoup de pays sont indépendants, autrement dit ils disposent d’un territoire, d’un drapeau et d’institutions qui gèrent le pays.

Nous constatons que certains pays sont indépendants uniquement du point de vue formel. Ce sont tous les pays soumis à une domination impérialiste, sous une forme ou une autre. Quelques exemples. L’Arabie Saoudite est un pays indépendant ; dans quelle mesure l’est-elle par rapport à son protecteur militaire (et client pétrolier à prix convenu selon des accords connus), les États-Unis ? Israël est un pays indépendant. Dans quelle mesure l’est-il sans l’aide financière et militaire massive de la part des États-Unis ? L’Europe est constituée de pays indépendants. Dans quelle mesure le sont-ils alors que leur défense commune est assurée par l’OTAN dont le commandement appartient de « droit » et de fait aux États-Unis ? Considérons la Corée du Nord. Existerait-elle sans le soutien économique (et autre), notamment de la Chine ?

Ceci étant dit, considérons la Kabylie. Imaginons-la comme pays indépendant, selon la définition auparavant fournie. Dans quelle mesure une Kabylie indépendante pourrait-elle exister sans la « tutelle », autrement dit la domination, d’une puissance économico-militaire étrangère, donc impérialiste ?

2. « évoluer comme les autres peuples du monde sur le plan collectif et individuelle. »

Réponse.

Là, aussi, il faut s’entendre sur le mot « évoluer ». Si on entend par ce terme, devenir une nation économiquement développée, culturellement aussi, et dotée d’une armée, est-ce cela « évoluer » ?… Les États-Unis se sont proclamés depuis longtemps le « modèle » économique et politique de la planète : « démocratie » et « liberté » sont les mots-clés.

Est-on un pays démocratique quand seuls deux partis politiques sont au pouvoir, à tour de rôle ? Et que ces deux partis sont l’émanation d’une caste financière-industrielle-militaire, qui se partage les ressources naturelles du pays, et s’engraisse en plus-value par l’exploitation de la main-d’œuvre ? Et pour ne pas être exploité-e-s, les citoyen-ne-s ne doivent pas établir un système de gestion de leur société absolument égalitaire, libre et solidaire, autrement dit autogéré ?

Est-ce un pays de liberté, quand un malade n’a pas le droit aux soins médicaux s’il ne peut pas en payer le coût, un enfant n’a pas le droit d’accéder à l’école si ses parents ne disposent pas de l’argent pour payer la scolarité, un juif ou musulman ou athée n’a pas le droit de se présenter comme président de la nation ?

De ces points de vue, l’Europe occidentale est plus démocratique et plus libre que l’auto-proclamé « modèle » du monde.

Mais, aussi, en Europe occidentale, les droits acquis par les citoyen-ne-s en matière sociale, suite aux longues et sanglantes luttes populaires qui avaient débouché avec le Front Populaire de 1936, est-ce qu’on n’assiste pas à la remise en cause de ces acquis sociaux, à présent que le « spectre du communisme » s’est évanoui dans la lamentable fin qu’il a connue ?

Il reste certains pays scandinaves, tels la Finlande. C’est ce qu’il y a de moins… pire dans le monde actuel. N’y mettons pas la Suisse, parce que sa caste financière vit des vols de tous les capitalistes et dirigeants politiques corrompus de la planète.

Est-ce, enfin, « évoluer » quand cette planète se trouve gravement menacée par un changement climatique causé par la mauvaise gestion des ressources naturelles (dont les pays « évolués » sont les premiers responsables), par un amoncellement d’armes nucléaires, bactériologiques et chimiques (là, aussi, causés par les nations les plus « évoluées » de la planète, par les guerres dans des nations « tiers », alimentées par les responsables de ces mêmes nations « évoluées », par les famines, la faim, l’émigration clandestine et ses tragédies, etc. ? Est-ce cela « évoluer » ?

J’en viens à la Kabylie. Devenue indépendante, les citoyen-ne-s auront-ils/elles la liberté d’aller à l’école, de se soigner, de se loger sans dépendre de leurs conditions financières ? Pour ne pas être victimes de ressources financières insuffisantes, les citoyen-ne-s ne doivent-ils/elles pas ne pas être exploité-e-s économiquement, mais vivre dans une société où les ressources naturelles soient la propriété collective ? Pour y parvenir, ne doivent-ils/elles pas éliminer dans leur société toute forme de caste privilégiée ?

Parmi les indépendantistes de Kabylie, qui présentent les garanties certaines qu’une Kabylie indépendante n’accouchera pas d’une caste dominatrice sur le peuple de Kabylie, comme c’est le cas de tous les pays qui ont obtenu une indépendance symbolisée par un drapeau ? Enfin, pour une femme ou un travailleur de Kabylie, où est la différence entre le fait d’être dominé-e par une personne qui parle sa langue maternelle, soit de tradition et d’origine ethnique amazighe, ou ne le soit pas ?

Évidemment, le peuple de Kabylie, comme tout peuple de la planète, a le droit inaliénable à la reconnaissance de son identité linguistique, culturelle et historique. Cependant, comme tout peuple, il doit veiller à ne pas devenir victime, sous prétexte d’indépendance ou de légitime revendication culturelle, à tomber sous la domination d’une caste appartenant à son ethnie. À ce propos, l’histoire de l’indépendance algérienne n’est-elle pas une leçon suffisante ?

À la personne de Kabylie qui m’objecterait : « Mais, tu es arabe, tandis que nous sommes kabyles, donc c’est à nous seuls de penser à régler nos problèmes ! », voici ma réponse : « Avant de me définir par une identité ethnique quelconque, je me considère un citoyen du monde, faisant partie des dominé-e-s qui y souffrent. Par conséquent, je suis solidaire des dominé-e-s qui vivent en Kabylie, comme de celles et ceux qui vivent sur cette planète toute entière. La personne kabyle qui voudrait me séparer des dominé-e-s de Kabylie, sous prétexte d’identité ethnique différente, où est son intérêt sinon de viser à dominer elle-même ces Kabyles déjà asservi-e-s ? »

3. « - Je sais que tu n’es pas parfaitement d’accord avec les indépendantistes Kabyles. Mais tu trouves comme même une certaine force politique et conscience assez développée en Kabylie complètement différente de Sidi Belabas.

Parce que ne me dis pas que politiquement parlant à Sidi Belabas, la démocratie avance et gagne du terrain! Ce n’est pas vrai. C’est la théocratie c’est le fascisme qui avance. Je n’insulte pas nos frères de Sidi Belabas, parce que le même stratagème est implanté en Kabylie. Par la dictature Algérienne. »

Réponse.

Certes, le peuple kabyle a montré une capacité politique et une conscience citoyenne qui sont à saluer. Que ces capacités soient absentes à Sidi Belabbès, disons dans la composante linguistiquement arabophone de l’Algérie, cela est hélas ! Vrai. Cependant, le lecteur note que « C’est la théocratie c’est le fascisme qui avance (...) le même stratagème est implanté en Kabylie. »

Quoi en conclure sinon que le peuple de Kabylie et celui du reste de l’Algérie se trouvent dans la même barque, et que, par conséquent, ils doivent trouver comment agir de manière en même temps libre et solidaire ?

3. « Si tu aimes les Kabyles tant, pourquoi tu t’acharnes contre le MAK? C’est le seul représentant Kabyle sérieux qui a des objectifs claires. »

Réponse.

Ce que j’aime, c’est l’être humain exploité-e économiquement, dominé-e politiquement, aliéné-e idéologiquement, quelque soit son « ethnie » et le territoire où il vit sur cette planète.

Concernant le MAK, ayant constaté que certaines personnes s’en revendiquent, je me suis permis de m’adresser à ses dirigeants pour, précisément, connaître (et que les autres connaissent, et d’abord en Kabylie) clairement ses objectifs. À ce jour, à ma connaissance, la réponse n’est pas venue. Je vous prie donc, cher lecteur, d’écrire une contribution au Matin d’Algérie, pour exposer ce que vous considérez les « objectifs clairs » du MAK, en exposant le contenu de son programme politique et les actions concrètes principales de ses dirigeants.

4: « Est ce tu penses que les indépendantiste kabyles sont des extrémistes racistes? Ou c’est la peur de l’inconnu qui te dérange ? »

Réponse.

L’accusation d’ « extrémisme raciste » a été formulée, en Algérie comme en France, non pas contre les « indépendantistes kabyles », mais contre ceux d’entre eux qui se réclament du MAK. Il appartient aux dirigeants de cette organisation de démontrer le contraire. C’est une pratique normale, dans le monde entier, qu’une organisation qui se voit accusée de manière qui ne corresponde pas à la vérité de son programme et de ses actions, réponde et démontre l’infondé des accusations contre elle. Une organisation politique qui garde le silence autorise le doute légitime sur son idéologie et ses actes. Personnellement, je doute fort que le MAK soit une organisation qui vise à abolir l’exploitation économique, la domination politique et l’aliénation idéologique du peuple de Kabylie, autrement dit qu’elle ne vise pas à instaurer en Kabylie une nouvelle caste au détriment du peuple qu’elle prétend défendre et représenter. Que cette organisation démontre, par son programme et ses actions, qu’elle se conforme à l’abolition de toute caste dominatrice en Kabylie, y compris d’ethnie kabyle, et je serai le premier à défendre sa légitimité.

Quant à l’ « inconnu », il me dérange quand il y a absence de propositions intellectuellement tout-à-fait claires (à ne pas confondre avec des recettes dogmatiques toutes prêtes), et concrètement praticables, le tout au bénéfice du peuple dans sa grande majorité. Cette dernière exclut, évidemment, ses dominateurs-exploiteurs. À ce sujet, tous mes écrits visent à ouvrir, justement, un débat ; pour ma part, je suggère la conception autogestionnaire pour en examiner la pertinence.

5. « Les Kabyles ont levé leur propre drapeau, c’est vrai ce drapeau Kabyles est quelques chose qui nous différencie des Algériens, et nous avons lâché le drapeau Algérien. On l’a laissé pour des Tliba, Sadani, Naïma, Bouteflika,...et les autres. »

Réponse.

En Algérie, il n’y a pas que les personnes mentionnées ci-dessus. Il y a la majorité des citoyen-ne-s qui sont exclu-e-s de l’accès égalitaire aux ressources naturelles du pays, dont le vote est, selon les témoignages dignes de fois, trafiqué pour servir les gens au pouvoir, dont les droits syndicaux sont limités, dont le droit de quitter le pays est interdit, dont l’accès à une école, un logement, une santé et un travail convenables sont niés, etc., etc. Et ces exclu-e-s sont aussi bien en Kabylie que dans le reste du pays.

Quant au « drapeau », le meilleur drapeau n’est-il pas celui qui ne crée pas de frontières entre les peuples, lesquelles justifient la ségrégation et l’exclusion ?… Le meilleur drapeau n’est-il pas celui d’une humanité libre et solidaire ?… Certes, il faut tenir compte de la réalité nationale, mais il est nécessaire de l’insérer dans un horizon planétaire, surtout en cette phase de mondialisation capitaliste impérialiste. À l’appel « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous », voici le temps de dire : « Dominé-es de tous les pays, unissez-vous ! »

6. « Sans le sacrifice des meilleurs enfants Kabyles. »

Réponse.

Dans le reste du pays, depuis juillet 1962, le reste des Algérien-ne-s n’a-t-il consenti aucun sacrifice ? Aucun-e n’a été arrété-e, emprisonné-e, torturé-e, assassiné-e, « disparu-e » ? Aucune population de village n’a été massacrée ?… Doit-on tomber dans le compte des morts pour considérer les uns des morts à rappeler, et les autres à ne pas citer ? Où est la différence entre les victimes de la « décennie sanglante » et celles d’Alger (1989) et du « Mouvement Citoyen » du printemps de 2001 ? Puisque Sidi Bel-abbès a été évoqué, peut-on parler des victimes assassinées en Kabylie, pour la démocratie, sans rappeler les enseignantes égorgées dans un autobus, à Sidi Bel-abbès, pour avoir voulu aller fournir la culture à des enfants dans une école ?… Dans les deux cas, ne sommes-nous pas en présence de crimes niant la liberté, la solidarité, la démocratie et la culture ?

Élargissons le propos. Quand on évoque la guerre de libération nationale algérienne, doit-on oublier le sacrifice du peuple vietnamien qui, le premier, porta un coup décisif au colonialisme français, permettant ainsi au peuple algérien d’avoir encore plus de résolution et de méthode pour mener son propre combat libérateur anti-colonialiste ? Anecdote en passant. Quand mon oncle maternel, alors soldat dans l’armée coloniale française en Indochine, fut capturé par les patriotes vietminh, ils ne l’insultèrent pas ni l’assassinèrent ; ils lui expliquèrent avec patience qu’il s’était trompé d’ennemi, qu’il devait retourner en Algérie pour combattre et chasser de sa patrie le même colonialisme.

Qu’est-ce cela veut dire, appliqué dans l’Algérie actuelle ?… Si un Algérien linguistiquement arabophone manifeste de l’hostilité envers ses compatriotes kabyles, le Kabyle qui l’insulte et le méprise commet une grave erreur, car il tombe dans le piège des ennemis communs à ces deux Algériens. Au contraire, le Kabyle devrait expliquer à son compatriote linguistiquement arabe d’aller plutôt se libérer des personnes qui l’ont conditionné à voir comme adversaire le compatriote kabyle plutôt que ses propres dominateurs linguistiquement arabophones. Bref, tout ce qui tend à opposer Kabyles (ou Amazighes ») et « Arabes » (ou « Algériens) comme ethnie fait le jeu des dominateurs de ces deux composantes citoyennes, au détriment des dominés dans ces deux composantes.

Tout combat identitaire qui n’inclut pas intégralement la dimension économique (exploitation) et sociale (domination politique), ainsi que la solidarité entre tou-te- les dominé-es, quelque soit leur identité ethnique, est, par nature, raciste et fasciste, et ne sert que la caste de personnes qui le dirigent. Avant la deuxième boucherie mondiale, Hitler, Mussolini, l’empereur du Japon et les groupuscules qui les soutenaient dans le monde furent, ainsi, des racistes fascistes. À l’époque actuelle de mondialisation capitaliste, qui est la cause des flux migratoires, nous assistons de nouveau à l’apparition de ces organisations racistes fascistes. L’Algérie, hélas, a, elle aussi, ses tendances et organisations de ce genre. Elles sont l’ennemi du peuple, quelque soit l’identité ethnique de ce dernier.

Revenons au thème du sacrifice et élargissons complètement l’exposé. Peut-on oublier, dans le monde, le sacrifice pour la liberté authentique de millions d’êtres humains, depuis Spartacus, en « Occident », et les révoltés paysans, en « Orient » (Chine) ?

L’espèce humaine est unique, malgré les aspects spécifiques de ses divers peuples ! Et, en son sein, celles et ceux qui ont combattu et combattent pour la dignité humaine collective sont toutes et tous à respecter de la même manière. Les meilleur-e-s ont, certes, le mérite d’avoir donné et de continuer à donner l’exemple. Cela leur donne-ils/elles le droit de se vanter de leur spécifique sacrifice ?… Si tel est le cas, alors limitons-nous à Spartacus, pour la partie « occidentale » de la planète.

7.« Il faut être clair dans votre projet, d’autogestion. C’est trop vague. Vous manquez trop la cible. Ne jouez pas au ridicule comme le ministre le l’intérieur venu à Tizi Ouzou dire, nous devons prendre l’exemple de la démocratie Kabyle, pour faire avancer l’Algérie. L’autogestion en Kabylie n’est pas une solution pour l’Algérie, c’est très marginal comme champs d’action. Par rapport à ce que vous voulez qui est incompatible avec la réalité mondiale. On peut toujours débattre mais faites sortir vos idées. »

Réponse.

L’autogestion est, certes, «incompatible avec la réalité mondiale », puisque celle-ci est capitaliste.

Mais la revendication d’indépendance algérienne (ou d’autres pays) était-elle compatible avec la réalité mondiale de son époque ?… N’a-t-il pas fallu des luttes sanglantes pour y parvenir ?

Élargissons l’examen. Du temps de l’esclavagisme, puis du féodalisme (qui ont duré des siècles), les personnes qui appelaient à l’abolition de l’esclavage, puis du féodalisme, étaient-elles « compatibles avec la réalité mondiale » ?

Le capitalisme, lui, a un existence qui débuta seulement après les révolution anglaise puis française, soit environ deux siècles et demi. Bien entendu, si l’on voit ce système à l’auge de sa propre vie individuelle, certainement, il paraît durable. Mais si l’on place ce système dans l’évolution historique générale, à long terme, quel Prophète garantirait l’immortalité de ce système capitaliste ?

Certes, le marxisme a prétendu mettre fin au capitalisme pour instaurer le « communisme ». Nous avons vu les résultats. Mais, malheureusement, leur analyse impartiale et objective reste à faire. Car elle ne considère pas la conception autogestionnaire.

Venons donc à la clarifier brièvement.

Sous des appellations diverses (« anarchisme », « libertaire », « collectivisme », « communisme », « anarcho-syndicalisme » et autres), la conception autogestionnaire affirment quelques principes fondamentaux.

Pour fonctionner de manière harmonieuse, la société humaine doit assurer :

- un traitement égalitaire de ses membres, hommes et femmes, selon la règle : «  À chacun selon ses besoins, de chacun selon ses capacités » ;

- ce principe exclut l’exploitation économique de l’un par l’autre, au bénéfice de la coopération égalitaire entre tous les membres de la société ;

- afin d’assurer cette coopération solidaire, il faut exclure toute forme de domination politique de la majorité sur la minorité, pour établir un système où tous les membres de la société puissent exprimer leurs désirs et adopter leurs décisions, librement et solidairement ;

- pour parvenir à cette liberté solidaire, il faut mettre fin à toute forme d’aliénation des citoyen-ne-s, quelque soit sa forme.

La personne qui désire savoir ce qu’est réellement l’autogestion peut commencer par connaître les expériences les plus significatives : la Commune de Paris de 1871, les soviets russes de 1905 et surtout de 1917-1921, les collectivités espagnoles (1936-1939), l’autogestion ouvrière et paysanne yougoslave, et celle algérienne, ces deux dernières avant leur mise sous contrôle étatique. Il reste encore à élucider si la révolte des esclaves, représentés par Spartacus, ne fut pas, à sa manière et toute proportion gardée, une forme d’autogestion.

Cette très brève mais essentielle présentation suffit pour comprendre :

- que les formes d’autogestion qui existent en Kabylie sont simplement des aspects partiels, mais importants et à développer de ce qu’est l’autogestion sociale généralisée ;

- que l’autogestion a effectivement existé en Algérie, juste après l’indépendance, puis durant le « Mouvement Citoyen » de 2001 (qui n’est pas, répétons-le, kabyle, contrairement à la propagande officielle mais, aussi, à ce que déclare une certaine mouvance existant en Kabylie… Tiens ! Tiens ! Ils ont un point commun !) ;

- que l’autogestion ouvrière et paysanne n’a absolument rien à voir avec la prétendu « autogestion » décrétée par Ben Bella, ni avec les « réformes » décrétées par Boumédiène, ni avec son « soug alfellah »(marché de paysan), ni avec ses faillites économiques. Tout au contraire, les « décrets » de mars 1963, puis les réformes industrielles et agricoles de 1971 (la soit disant gestion « socialiste » des entreprises et la « réforme » agraire) avaient éliminé toute forme d’autogestion au profit d’un capitalisme étatique dont on connaît les résultats désastreux.

Ceci étant brièvement dit, j’invite toute personne intéressée par l’autogestion à chercher sur internet. Si elle y consacre la patience et l’attention nécessaires, elle finira par s’éclaircir convenablement les idées, sans nul besoin de « maître à penser », ni d’ « expert », ni de mes articles. Il suffit de savoir lire, de privilégier l’intérêt réel du peuple dominé et de réfléchir.

Amicalement au lecteur qui m’a interpellé.

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 12 février 2018

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 26 Février 2018

Dessin de l'auteur.

Dessin de l'auteur.

Lire Partie 1 : Importance de la méthode.

 

Religion et athéisme

Sous le pseudonyme « Morel », un Algérien, se référant au pays d’origine, a conclu un texte intéressant ainsi :

« S’il n’en est qu’une condition nécessaire, car non suffisante, l’athéisme revendiqué a de tout temps accompagné les luttes d’émancipation de la classe ouvrière. Que l’on songe à la Commune de Paris ou à la révolution espagnole, entre autres... En finir avec l’aliénation religieuse est indissociable du projet révolutionnaire. Réaffirmer aujourd’hui cette évidence, en l’ancrant dans la mémoire des luttes passées et dans la perspective de l’émancipation sociale et individuelle, est plus que jamais nécessaire. » (1)

Cette observation appelle plusieurs considérations.

1.

L’examen objectif de l’histoire humaine, en dehors de nos préférences subjectives, montre l’existence d’une différence significative entre athéisme et aliénation religieuse. Cette dernière est, certes, cause de servitude ; notons que celle-ci est d’abord sociale, avant d’être métaphysique. Cette aliénation est donc à combattre et éliminer. Mais pas à la manière bolchevique : par la violence et l’imposition arbitraire de l’athéisme. On a constaté le résultat dans tous les pays où cette méthode fut appliquée.

2.

De par le monde, comme en Algérie, ont existé et existent des personnes qui, sans être athées, ont une conception sociale émancipatrice : dans l’Hébraïsme, un Maïmonide, comme, aujourd’hui, les Juifs anti-sionistes ; dans le Christianisme, un Pierre Bayle ou, actuellement, la « théologie de la libération » ; dans l’Islam, les mu’tazilites (rationalistes, sans oublier Ibn Rouchd, dit Averroës) et les soufis (mystiques) et, aujourd’hui, des musulmans de même orientation, en plus démocrates, tels Gamal Albanna. Dans tous ces cas se manifeste résolument un effort intellectuel appréciable pour concilier une foi transcendantale avec une raison sociale émancipatrice. Certes, limitée, mais, tout de même, elle tente de dépasser ce qu’elle nomme elle-même (pour employer un terme moderne) une aliénation (à savoir quelque chose de non conforme à la raison).

3.

À propos des événements cités par Moral (Commune de Paris, révolution espagnole, et j’ajoute révolution russe), si les dirigeants étaient, effectivement, athées, ils ne l’étaient pas tous, à ma connaissance ; et la majorité des citoyens, y compris prolétaires, qui les ont suivis pour abattre le régime oppresseur, n’étaient pas, loin de là, tous des athées. Plutôt, ils avaient une conception émancipatrice de la religion chrétienne, catholique (France) ou orthodoxe (Russie). Elle puisait ses idées dans un contenu qui se trouve dans les textes sacrés : fraternité universelle, solidarité, priorité accordée aux matériellement démunis et aux « pauvres d’esprit ».

4.

En Algérie, si, d’une part, la religion musulmane fut, durant la période coloniale notamment, un facteur d’aliénation (fatalisme acceptant le système colonial comme « Volonté de Dieu »), les dirigeants de la guerre de libération nationale surent transformer cette croyance en instrument de libération contre le colonialisme. Que cela plaise ou pas à nos conceptions personnelles, ceci est un fait. Et je l’ai vécu personnellement, dans ma famille, dans mon quartier, dans ma ville (Sidi Belabbès). La religion n’est redevenue un instrument d’aliénation qu’avec l’usurpation du pouvoir par ceux qui s’en emparèrent. Pour la justifier idéologiquement, ils ont, comme tout dominateur, utilisé la religion en tant qu’instrument d’aliénation. Bien entendu, ils ont trouvé dans les textes ce qui justifie, selon eux, l’autoritarisme, la hiérarchie, le respect des « gens de pouvoir », quitte à ce que les « derniers » en ce bas monde, en échange de leur obéissance, deviennent les « premiers » dans l’au-delà. La plupart des gens du peuple, non habitués à discuter et à voir les contradictions des discours, tombent dans le piège du servilisme, plus ou moins résignés.

Cela signifie que chacun trouve dans les textes sacrés ce qui répond à son désir : émancipation ou asservissement.

Que des intellectuels s’appuient sur ce fait, indéniable, pour rejeter la religion, ils peuvent certes agir ainsi. Mais le peuple, dans sa grande majorité, n’a pas ce genre de considération. Il prend tout ce qui peut lui servir, là où il le trouve. Et ce qu’on lui présente le plus, ce qui lui est le plus à portée de son oreille (car généralement il ne lit pas, n’ayant jamais eu la possibilité de se livrer à ce genre de loisir), c’est un texte religieux. Alors, les gens du peuple y puisent ce qu’ils peuvent, selon leur caractère. Étant donné que ce dernier, dès l’enfance, est programmé, formaté, conditionné à l’obéissance à l’ « Autorité », la religion devient la justification de ce comportement. Donc une aliénation.

Mais que viennent des personnes qui, avec patience et intelligence, présentent les aspects émancipateurs du contenu religieux, et la majorité des peuples est contente de découvrir une issue à son affranchissement de la servitude, celle sociale, matérielle.

Bien entendu, il serait souhaitable que cette libération populaire ne soit pas redevable à cette méthode. Cependant, l’expérience historique montre que jamais la négation athéiste de la religion n’a été, pour la majorité du peuple, précisons-le, le moyen décisif pour le convaincre de combattre pour sa libération sociale.

5.

En Algérie encore, les travailleurs d’entreprises et de fermes qui, au lendemain de l’indépendance, ont spontanément créé l’autogestion, étaient-ils athées ?… Certainement pas, mais ils avaient une conception émancipatrice de leur religion.

6.

L’impératif de liberté suppose, entre autre, celle de l’individu à croire ce qu’il veut, en l’occurrence à une religion, à la seule condition que cette croyance ne s’oppose pas, d’une part, à la liberté d’autrui d’avoir une autre vision spirituelle, et, d’autre part, à l’élimination de l’exploitation-domination d’un être humain sur son semblable.

L’erreur à éviter.

Dès lors, c’est une erreur grave de mélanger athéisme et aliénation religieuse. Concernant les Algériens en particulier, cela prouve une méconnaissance des travailleurs émigrés en France, et de ceux restés au pays. Cela montre que l’intellectuel athée se laisse bercer intellectuellement par les mots et par son désir subjectif, sans tenir compte de la réalité. Certes, ces mots et ce désir sont chatoyants, mais ils ne non pas applicables à la réalité. En effet, allez dire à un ouvrier d’une usine, émigré en France ou demeuré en Algérie, à un travailleur de la terre, à une épouse battue par son mari, à un jeune désespéré : « Pour te libérer de l’oppression, tu dois être athée ! » Et vous verrez la réaction. Cela n’est pas seulement le cas du musulman algérien, mais de tout croyant dans le monde, quelque que soit sa foi.

Le langage adéquat et acceptable ne devrait-il pas être autre ? « Libre à toi de croire ou pas à une religion, c’est là une question personnelle. Mais acceptes-tu que ta foi justifie ton oppression, ton exploitation et ta domination par ton semblable ? »

Ce n’est pas là être un vulgaire réformiste, mais un réaliste, non pas dans le sens opportuniste du mot mais, osons le dire, dans l’acception scientifique du terme. Cette attitude consiste à considérer la réalité sociale et psychologique telle qu’elle est, et de trouver la méthode pour la changer de manière efficace.

Il faut donc distinguer entre le principal et le secondaire, entre l’urgent et le long terme, entre le social collectif et l’individuel intime. Seule la personne enfermée confortablement dans sa tour d’ivoire intellectuelle, dans son dogmatisme stérile, peut jongler avec les mots, ignorant ou dédaignant de savoir si leur impact est réel ou uniquement imaginaire. La validité d’une théorie réside dans son application pratique, en science naturelle comme en science sociale.

Il faut donc cesser de commettre l’improductive erreur d’opposer laïcité et religion, de taxer tous les croyants, en l’occurrence musulmans, d’obscurantistes. Répétons-le, tant cela est négligé par les athées. Rendons-nous compte d’un fait concret. Les religieux de toute confession trouvent dans leur credo ce qu’ils cherchent, lequel est déterminé par leur personnalité, généralement produite par leur conditions matérielle et culturelle : soit la haine et la violence, soit l’amour et le pacifisme. Parlez avec les gens, connaissez-les réellement : vous constaterez que la personne d’un caractère bon et généreux trouve dans sa religion les arguments pour justifier et renforcer ces aspects ; le contraire est également vrai : une personne méchante et égoïste trouve, elle aussi, des arguments dans sa religion pour justifier et renforcer ses défauts.

Partant de cette interprétation contradictoire de la religion, certains ont conclu à son rejet. Il reste, cependant, cette constatation : si l’on se soucie de changer une société dans un sens émancipateur, il est nécessaire de comprendre le rôle joué par une religion, et agir en conséquence. Affirmer : « Athéisme et rien d’autre ! », c’est, d’une part, se tromper sur le fonctionnement social et individuel ; d’autre part, c’est provoquer l’hostilité des opprimé-e-s, et donc renforcer leur aliénation. Les islamistes totalitaires vous remercieront, tandis que les croyants sincèrement convaincus d’émancipation sociale (ils existent en nombre plus grand que ce que l’on croit) vous regarderont avec dépit et tristesse.

On demandera : pourquoi ces derniers ne se manifestent pas, ou pas suffisamment ? Parce qu’ils ne disposent pas de l’organisation autonome qui le permet ; et parce que les athées ne leur accordent pas l’attention et la solidarité qu’ils méritent et dont ils ont besoin.

Distinguer l’adversaire et l’allié.

Il faut absolument déceler la différence entre deux sortes de croyants.

Les premiers emploient la religion comme instrument d’aliénation et de domination. Ils sont minoritaires ; mais comme leurs actions sont violentes, manifestées de manière spectaculaire, relatées par des moyens de (dés-) information locale et internationale, il semble que ce phénomène soit général et déterminant.

Le second type de croyants considère la religion comme facteur de liberté et de solidarité. Ces personnes existent, et si elles ne sont pas la majorité, elles constituent néanmoins une quantité non négligeable. Simplement, leurs actions sont pacifiques, non spectaculaires, et ne bénéficient pas des moyens de (dés-) information dominants. Ajoutons une cause à considérer : ces personnes sans organisation autonome et solidaire, ont peur de la minorité qui, elle, est organisée de manière autonome et solidaire.

Dès lors, combattre cette minorité fascisante consiste d’abord à s’allier avec la majorité dite silencieuse, pacifique et démocratique. Cela implique l’aider à s’organiser de manière autonome et solidaire. Cela exige également de trouver les moyens pour qu’elle se défende efficacement contre les actions violentes par une résistance non violente.

Pour y parvenir, insistons, il ne s’agit pas de demander : « Es-tu croyant ou athée ? » mais : « Es-tu pour l’exploitation-domination de l’homme par son semblable, ou, au contraire, pour la coopération libre et solidaire entre les êtres humains ? »

Si le croyant répond, comme le signale H. Khelil : « Qal Allah, Qal Errasoul » (Dieu a dit, Le Prophète a dit), et je fais ce qu'ils me prescrivent », il faut lui rétorquer : « Est-ce qu’ils défendent et justifient l’exploitation-domination de l’être humain par son semblable ? »

Si l’interrogé répond par l’affirmative, il se met lui-même en contradiction : il dénie à ceux qu’il invoque la justice et la solidarité. Si, au contraire, il déclare qu’ils défendent ces deux impératifs, il n’y a plus à chicaner cet homme sur sa croyance. Voilà une manière de combattre l’obscurantisme, en se débarrassant soi-même de cet autre obscurantisme qu’est le dogmatisme, cette vision superficielle, arrogante, non opératoire et, finalement, nuisible.

En effet, un athée, défendant et pratiquant l’exploitation-domination, est-il acceptable, tandis qu’un religieux, défendant et pratiquant la coopération solidaire, est-il condamnable ?

Déjà, à l’époque de l’Association Internationale des Travailleurs (1868) le problème s’était posé : devait-on accepter dans l’organisation uniquement des athées ou, également, des croyants ? Les avis furent partagés. La raison devrait être du coté de ceux qui accordent la priorité non pas à la croyance personnelle (religieuse ou athée) mais à la position sociale : pour l’exploitation-domination ou pour la liberté solidaire.

Un exemple banal mais significatif de vie quotidienne. Voici un Algérien qui se vante d’ingurgiter une boisson alcoolique en croyant être du bon coté social, tout en méprisant le musulman qui s’abstient de tel genre de boisson. Et, cependant, ce consommateur de boisson alcoolique est un exploiteur-dominateur tandis que le musulman est un exploité-dominé qui voudrait s’affranchir de cette situation. Voici une algérienne qui porte mini-jupe et cheveux au vent, mais elle a une activité d’exploiteuse-dominatrice ; et voici une algérienne musulmane, portant un vêtement islamique, mais cependant, étant exploitée-dominée, elle voudrait se libérer de sa malheureuse situation.

Avec qui donc le démocrate progressiste, l’athée doit s’allier, s’unir ?

Prenons un autre exemple. H. Khalil note dans son article, déjà cité : « Solidarité sélective : la Oumma avant tout ».

C’est vrai. Mais posons deux questions. La solidarité n’est-elle pas une belle aspiration, à encourager comme telle ? Ce désir de « Oumma » (communauté) n’est-il pas sélectif (se réduisant à la communauté musulmane) parce que les démocrates et progressistes ne savent pas proposer au musulman une communauté meilleure, à savoir libre et en même temps solidaire, englobant l’humanité entière ?

Religion et État

Il ne suffit pas d’affirmer : « L’islam ne doit pas être la religion de l’État. Il ne peut pas être la religion de l’État »(2). Cette revendication doit être justifiée par des motifs, destinés pas seulement à l’ « élite » laïque, mais également à celle religieuse de tendance démocratique, sans oublier le peuple. Entreprise difficile mais indispensable.

Quant à ceux qui détiennent le pouvoir, leur présenter une telle requête relève de la naïveté ou de l’ignorance. Dans une société d’exploitation, l’État a besoin de la religion, de manière directe ou indirecte, pour se justifier, comme le clergé religieux a besoin de l’État, pour exister. Dans les nations où, officiellent, l’État et l’institution religieuse sont séparés, ne voit-on pas les signes religieux dans les écoles ? L’État ne finance-t-il pas d’une certaine manière les organisations religieuses ?… Classique union du sabre et du goupillon, partout dans le monde. Là où ce dernier n’existe pas, c’est une morale qui le remplace (confucianisme, bouddhisme).

Rappelons, enfin, qu’en Europe, la séparation entre la religion et l’État fut le résultat d’un long combat, parfois sanglant. En Algérie, cette séparation ne se fera pas sans heurts et conflits, espérons pas tragiques. Ce qui est certain, c’est qu’elle exigera un travail culturel difficile, plein d’embûches, long, large et profond, mais exaltant, au sein des « élites » intellectuelles comme parmi le peuple. Cela fut ainsi partout, toujours. L’Algérie ne fait pas exception. Il reste, alors, à s’inspirer d’exemples significatifs, dans le monde musulman (3) comme dans les autres, inventer et agir afin que la religion devienne une affaire personnelle privée (par respect de la liberté individuelle) sans être un obstacle instrumentalisé contre la liberté d’autrui et la solidarité des opprimé-e-s pour conquérir leur dignité de vivre. (à suivre)

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(1) Article Sortie de route, par Moriel, https://www.lavoiedujaguar.net/Sortie-de-route, vu 2-12-2017.

(2) Mohamed Mechati, cité par Amar Naït Messaoud.

(3) À ce propos, un Mohamed Arkoun est à considérer, sans oublier le déjà mentionné Gamal Albanna.

 

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 8 décembre 2017

 

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #EDUCATION-CULTURE

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Publié le 6 Avril 2018

Affiche de la rencontre prévue

Affiche de la rencontre prévue

Durant l’époque très obscure du nazisme, le responsable des Jeunesses hitlériennes avait déclaré : « Quand j’entends parler de culture, je sors mon revolver ! » (1) Et le monde constata ce que signifia concrètement cette déclaration : la mort de l’authentique culture allemande et la domestication du peuple allemand jusqu’à transformer ses enfants en bêtes criminelles, massacrant tout ce qui était resté humain et cultivé.

On vient d’apprendre que Nour El Yakine Ferhaoui, le jeune initiateur du Festival international de la caricature et du dessin de presse, et président du comité d'organisation, a lancé un cri non pas de joie mais de ...détresse ! À Qui ?… Au wali d’Oran et au ministre de la Culture. Pourquoi ?… Parce que des autorités administratives d’Oran entravent ce projet. Ferhaoui écrit au journal Le Matin d’Algérie :

« L'événement en question pourrait être annulé d'une minute à l'autre parce que je n'ai reçu aucun appui financier, et le directeur de la culture de la wilaya d'Oran, M. Kouider BOUZIANE, me met les battons dans les roues pour que je jette l'éponge et abandonne le projet, pourtant j'ai dénoncé ça dans plusieurs journaux, mais sans aucun espoir, et nul des autorités n'a bougé le moindre doigt ou estimé cet événement. »

Commençons par reconnaître que, de la part des « autorités », un appui financier ou « bougé le moindre doigt ou estimé cet événement », n’est pas une obligation, à moins que ces « autorités » soient réellement représentatives du peuple et de ses intérêts. Est-ce le cas ?… Il reste donc à compter sur ses propres moyens et la solidarité des personnes qui considèrent valable ce projet.

Ceci étant clarifié, demeure le problème signalé par Ferhaoui : le comportement négatif du directeur de la culture de la wilaya d’Oran.

Posons-lui donc publiquement les questions qui s’imposent. Est-ce que le projet de Ferhaoui est menaçant pour la sécurité du pays ? Charrie-t-il un obscurantisme dangereux ? Porte-t-il atteinte à l’ordre public ? Met-il en question les « valeurs nationales » ? Invite-t-il, à la manifestation prévue, des espions à la solde de puissances hostiles ? Défend-il des idées contre l’authentique culture, laquelle est libre connaissance ?... Si tel est le cas, que les représentants de l’autorité le déclarent publiquement, et nous les soutiendront. Car seule la vérité est à considérer.

À moins de cette clarification, il est légitime de poser la question : pour quel motif des autorités administratives causent des entraves qui empêchent cet événement, non seulement national mais international ? Seize invités algériens, et sept étrangers (Tunisie, Maroc, Burkina-Faso, France, Espagne, Canada, USA). Le projet semble apporter de la connaissance, de l’authentique culture, de la réflexion, et même de l’humour !

Pour l’instant, une seule hypothèse se présente. La caricature et le dessin de presse sont, toujours et partout dans le monde, considérés comme une menace par toute espèce de potentat. La caricature et le dessin de presse sont l’arme culturelle la plus redoutée par ces potentats, parce qu’elle les ridiculise par le sain et libérateur rire.

Alors, dans le cas en examen ici, avons-nous affaire à ce genre de potentat ?

Le silence des autorités oblige, donc, à se poser d’autres questions. Sommes-nous encore à l’époque du colonialisme français, où toute tentative d’authentique culture destinée au peuple colonisée était entravée ? Sommes-nous, aujourd’hui, en présence d’un colonialisme intérieur où toute entreprise culturelle du même genre est empêchée ?… Ce serait, alors, une très grave insulte à la mémoire et à la lutte de nos combattants de la guerre de libération nationale, outre qu’au peuple, ainsi qu’à la culture. Ce serait, par suite, un mépris pour des citoyens et citoyennes dont le seul tort est de contribuer à l’épanouissement de la culture libre et de l’humour salvateur dans le pays. N’est-on pas, encore une fois, en présence d’un acte de hogra (humiliation), mais, cette fois-ci, non de la part d’individus, mais de responsables censés représenter le peuple, selon la formule de nos communes : « Par le peuple et pour le peuple » ?… Jusqu’à quand, donc, doit-on écrire, dénoncer, s’indigner et résister à l’arbitraire contre la culture citoyenne authentique ?

Comment doit-on considérer le silence des autorités concernées, ajouté à leurs entraves, sinon comme un arbitraire ? Comment comprendre le comportement du directeur de la culture d’Oran ? Agit-il de manière autonome ou sur ordre ? Dans le premier cas, qu’attendent ses supérieurs pour lui ordonner de se conformer à sa mission de fonctionnaire ? Dans le second cas, il ne s’agit alors plus de la seule responsabilité arbitraire de ce directeur de la culture, mais de celle de ses supérieurs hiérarchiques. Le cas devient plus grave et plus révoltant.

Cet arbitraire, quelques soient les responsables qui le manifestent, n’oblige-t-il pas les citoyennes et citoyens à s’organiser de manière libre, autonome et solidaire pour effacer cette insulte bureaucratique à leur droit légitime à la culture et à l’humour ? Car si l’on ne témoigne pas de solidarité à Nour El Yakine Ferhaoui, ce courageux initiateur d’une enrichissante initiative culturelle (à moins que les autorités déclarent pourquoi elle ne l’est pas), cette résignation ou cette indifférence auront pour victime d’autres courageux initiateurs d’autres enrichissantes initiatives culturelles. Qui se tait est complice de l’arbitraire, et l’encourage. Ce silence montre aux « responsables » qui entravent le projet de Ferhaoui qu’ils peuvent sans problème mépriser et interdire, selon leur illégitime désir. Par conséquent, que le maximum de solidarité active soit manifesté, le plus tôt possible, et partout, au projet de Ferhaoui. Que des associations (2) lui offrent l’espace pour préparer son projet, que celles et ceux qui ont la possibilité d’aider Ferhaoui, d’une manière ou d’une autre, le fassent, que chacun et chacune expriment le soutien à ce projet, selon les possibilités personnelles. Seulement ainsi est assurée la liberté citoyenne, indispensable pour l’existence d’une société culturellement saine, socialement libre et éthiquement solidaire !

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(1) En réalité, il avait omis de citer l’auteur de cette phrase, un dramaturge allemand dans sa pièce de théâtre.

(2) Rappelons, entre autre, que le Théâtre Régional d’Oran dispose de convenables espaces, notamment la « salle de danse ». Le projet de Ferhaoui pourrait s’y dérouler de manière satisfaisante. Nous invitons donc le directeur de cet établissement public (autrement dit du peuple) à répondre au cri de détresse de celui qui a le courage d’avoir eu l’initiative d’une si belle manifestation artistique et culturelle.

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 01 avril 2018.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #EDUCATION-CULTURE

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Publié le 14 Décembre 2017

Lettre ouverte aux Trop-tardistes

Commentant la contribution “Quand il faut remercier l’adversaire » (http://www.lematindz.net/news/24133-quand-il-faut-remercier-ladversaire.html), Ahmed Djaber écrit :

Est-ce que vous êtes a ce point naïf en pensant que ce régime fasciste va laisser les régions s'auto-gérer et par la même perdre le contrôle? Pour votre gouverne, l'autonomie ou la régionalisation a été pensée en 1962 par des hommes comme Ait Ahmed. Et c'est la sourde oreille du pouvoir qui a poussé les indépendantistes (qui étaient tous algérianistes et meme Ferhat Mehenni) apres les massacres de 2001, qu'il fallait porter la question a l'ONU et la communauté internationale.

TROP TARD!”

Quand on me pose des questions sociales, je commence toujours par m’adresser à mon meilleur enseignant en la matière : l’histoire, celle passée, dans le monde et dans mon pays. C’est elle qui m’aide à trouver sinon les réponses, du moins des pistes valables de réflexion.

Alors, que dit madame l’histoire ?

Beaucoup de fois ceux qui, découragés et ne voyant pas plus loin que le bout de leur nez, autrement dit ne percevant que la courte durée dans le temps, se sont résignés à déclarer “Trop tard !”.

Il en fut ainsi de ceux qui vivaient durant l’époque esclavagiste (“Trop tard pour libérer les esclaves !”), féodale (“Trop tard pour éliminer le servage !”), capitaliste autocratique (“Trop tard pour s’affranchir du tsarisme !”, “Trop tard pour s’affranchir de l’Empereur en Chine !”.

Venons-en à notre Algérie. Durant combien d’années ceux qui, se croyant les plus cultivés et les plus éclairés, n’ont-ils pas déclaré : “Se libérer du colonialisme ?… Trop tard !”)

Dans chacun des cas mentionnés, il y eut un groupe, un tout petit groupe de citoyens qui n’ont pas accepté cette mentalité fataliste, quelle soit causée par une vision religieuse ou laïque. Et ce petit groupe a travaillé, de longues années, généralement des décennies, à préparer le changement désiré, sans même être certains de le voir réaliser durant leur vie. Mais qu’importe ! L’important était de ne pas se rendre, de rester des citoyens dignes, c’est-à-dire libres et solidaires.

Et, finalement, le changement espéré et libérateur arriva. Les “utopistes”, les “non réalistes”, les “naïfs”, etc., etc. ont eu raison contre les “réalistes”, les “intelligents”, le “pieds par terre”, etc., etc.

On objectera que les résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances… Et alors ?… Est-ce un motif pour donner raison aux “trop-tardistes” ?… Les réformateurs ont accompli ce qu’ils pouvaient ; c’est déjà un grand mérite. Aux autres générations de poursuivre l’action, en l’améliorant.

Quoi, compatriotes ?… D’autres nous ont donné l’indépendance nationale. Ils nous ont fourni la leçon : Jamais dire trop tard !… Par suite, avons-nous le droit, aujourd’hui, nous de la génération post-indépendance, de répéter “Trop tard !”, en acceptant le système social actuel ?… Ne devons-nous pas, comme nos aînés dont nous faisons tellement l’éloge, agir de la même manière ? Autrement dit, quelque soit la gravité décourageante de la situation actuelle, ne jamais dire “Trop tard !”, mais se demander : “Comment agir pour s’en affranchir ?”

Les jérémiades, sous couvert de sagesse “réaliste”, suivies de mépris contre les propositions qui suggèrent des solutions, n’ont jamais servi absolument à rien ; pire, elles ont permis le statut quo et même l’ont justifié. “Trop tard !” signifie : On ne peut rien faire. Autrement dit : le système actuel est trop fort, inchangeable.

Je répète : ce n’est pas moi qui dit le contraire, mais madame l’enseignante l’histoire !… Celle du monde comme de l’Algérie.

Certes, je comprends… Les multiples problèmes sociaux, la surdité des dirigeants de l’État, la complicité des partis dits d’opposition, la trahison des intellectuels, la division du peuple instrumentalisée par des considérations ethnico-religieuses, les menaces fascistes internes et externes, jusqu’aux saletés qui empestent nos lieux publics, certes, tous ces faits causent désespoir et résignation.

Mais, je le répète encore, dans les années 1930-1950, en Algérie, la situation était-elle meilleure ?

Autre question, soulevée dans le commentaire.

Peut-on être “à ce point naïf en pensant que ce régime fasciste va laisser les régions s'auto-gérer et par la même perdre le contrôle?”

Bien entendu, non. Ceux qui, de par le monde et en Algérie, ont contribué aux changements sociaux positifs n’ont pas été, eux non plus, naïfs. Ils savaient que les régimes en place n’auraient jamais permis une action tendant à établir plus de liberté et de solidarité pour les citoyens.

Ils ont, alors, réfléchi et trouvé les moyens pour réaliser leur émancipateur but, en dépit de l’hostilité du régime en place.

La plupart des réformateurs l’ont concrétisé par la violence des armes. Les résultats furent décevants. Ils enseignent (encore, madame l’histoire !) que l’action non violente donne de meilleurs résultats.

Dès lors, il faut que les citoyens, notamment les plus éclairés d’entre eux, et les plus courageux, réfléchissent et trouvent les moyens de s'auto-gérer. Oui, s'auto-gérer, en partant de ce qui est possible en vue d’élargir leur action.

Bien entendu, ils arriveront au moment crucial où leurs adversaires, craignant de “perdre le contrôle”, réagiront. Alors, les autogestionnaires ont, de nouveau, à réfléchir pour savoir comment agir, encore une fois de manière pacifique. Comment ?… en recourant, de nouveau, à madame l’histoire : celle des mouvements de résistance civile non violente : Gandhi, Martin Luther King, Aung San Suu Kyi, et, chez nous, les grévistes de la faim, les marcheurs pour les droits civils.

A lire ces indications, certains diront : « Oh ! On a déjà entendu cette rengaine !… Trop tard ! »

Eh, bien, il y a des « rengaines » qui demeurent actuelles, parce qu’elles ont montré et continuent à montrer leur efficacité, car les problèmes sociaux ont changé de forme, mais pas de substance.

Alors, chers « trop-tardistes », je vous invite à renoncer à la facile et résignée, pour ne pas dire lâche, proclamation « Trop tard ! », pour vous poser la difficile mais libératrice, pour ne pas dire courageuse, demande : Quoi et comment faire ?… Et permettez-moi de conclure : La première des réponses est de compter uniquement sur vous-mêmes, comme citoyens libres et solidaires.

Voulez-vous deux exemples significatifs ?… Les voici.

En pleine période esclavagiste, dans la civilisée Athènes antique, les esclaves et les femmes étaient interdits d’instruction. Même Platon puis Aristote trouvaient cette ségrégation « normale, naturelle ». Eh bien , il y eut un intellectuel qui accepta dans son école de philosophie des esclaves et des femmes. Il s’appelait Épicure.

Quelques siècles plus tard, un esclave, malgré sa situation déplorable, apprit la philosophie, au point d’inspirer d’autres à devenir libres. Il s’appelait Épictète.

Après tout ce que je viens de dire, déclarer « Trop tard ! » ne manifeste-t-il pas une mentalité d’esclave, qui a besoin d’apprendre à etre libre pour jouir de son existence, solidairement avec ses semblables ?

Publié sur Le Matin d’Algérie, 02 Mai 2017.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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