Le premier exemple de comment une révolution devrait être faite

Publié le 28 Janvier 2018

Le premier exemple de comment une révolution devrait être faite

« The first example of how revolution should be made ». Cette phrase d’Emma Goldman résume parfaitement le livre que David Porter a consacré à la révolution sociale espagnole de 1936-1939 : « VISION ON FIRE : Emma Goldman on the Spanish Revolution » (VISION SUR LE FEU : Emma Goldman à propos de la révolution espagnole). Bien que l’ouvrage soit écrit en anglais, il est utile d’en rendre compte. Les lecteurs familiers de cette langue en seront informés ; ceux qui s’intéressent à l’argument peuvent en profiter pour améliorer leur connaissance de l’anglais ; enfin, les autres recevront des informations utiles, en attendant la publication du livre, espérons-le, par une maison d’édition algérienne ou française.

Le style d’écriture est simple, direct et clair. L’excellent exposé de l’auteur se base entièrement sur les écrits d’Emma Goldman. Bien qu’elle n’aie pas besoin de présentation, donnons quelques informations succinctes. Anarchiste d’origine russe, exilée aux États-Unis, où elle continua sa militance, elle retourna en Russie lors de la révolution russe de 1917. Elle s’activa parmi les partisans des soviets libres, contre leur main-mise sur eux par les bolcheviques. Elle tenta en vain d’empêcher cette dictature d’un parti totalitaire ; mais elle fut contrainte de constater sur place combien la politique de Lénine-Trotski fut funeste à cette révolution authentiquement populaire.

Ensuite, durant la révolution sociale espagnole, elle se rendit également sur le terrain. On notera que l’adjectif employé ici est « sociale » et non pas « politique ». Là réside l'originalité de cette révolution. Elle ne visait pas, selon le schéma marxiste et bolchevique, à prendre le pouvoir de l’État, en instaurant une soit disant dictature du « prolétariat », en réalité une nouvelle domination sur le peuple. Au contraire, suivant la conception anarchiste proudhonnienne-bakouninienne, la révolution espagnole se voulait « sociale ». Autrement dit, un changement visant la base de la société toute entière, dans ses diverses structures et domaines d’activités. Cela s’est réalisé en créant des associations ouvrières et paysannes libres et autonomes, fédérées entre elles, autogérées. De cette manière nul besoin d’État dictatorial, ni de sa bureaucratie de privilégiés, ni d’un parti « guide » auquel obéir aveuglément, ni de chefs « géniaux » émettant des décrets indiscutables, ni de « commissaires du peuple » imposant des ordres, ni d’armée « rouge » formée de galonnés et de simples exécutants (1), ni de police politique genre tcheka, ni de prisons, ni de collectivisations forcées. Voilà ce que Staline et sa bureaucratie totalitaire ne pouvaient pas admettre, de peur que cette révolution sociale authentique dévoile l’imposture bolchevique et contribue à sa fin.

Goldman écrit :

« [Les travailleurs espagnols] ont montré que la dictature n’est pas essentielle dans une période révolutionnaire. Il est vrai que ceux qui ont bénéficié de liberté politique en Espagne en ont joui jusqu’à une limite alarmante, mais je suis d’accord avec les camarades qu’il y a moins de danger dans les abus de liberté que dans la dictature. » (2)

C’est donc à travers les écrits de cette partisane d’une révolution authentiquement sociale, ses observations et ses critiques que David Porter rend compte de cette rupture sociale, la plus originale et la plus riche que le monde a connu. Malheureusement, elle fut la victime de calomnie, puis de répression armée, enfin d’occultation par les « communistes » staliniens, sans parler des « libéraux ». Ces méfaits ont été (et l’occultation demeure) aussi implacables que ce soulèvement fut la première authentique révolution dans le monde. Voici en quoi : ses protagonistes furent les seuls paysans, ouvriers, petits employés et intellectuels éclairés. Ils étaient animés non pas par un classique « parti d’avant-garde », guidé par son « génial » chef, mais leurs propres organisations autogérées, où la conception libertaire autogérée était pleinement assumée. Là fut la grandeur de ces protagonistes du peuple, et là fut le motif pour lequel tous les autoritaires, « communistes », « libéraux » et fascistes leur ont été hostiles. Ils se sont unis pour écraser ce qui était un exemple idéal de la manière d’entreprendre un authentique changement social en faveur des opprimé-e-s, exploité-e-s et dominé-e-s. Qu’on en juge. Voici les ennemis que les révolutionnaires sociaux espagnols ont affrontés. D’une part, l’armée fasciste du général Franco, complétée par des supplétifs marocains ; l’action de cette armée fut renforcée par l’aviation nazie, qui expérimenta ses premiers bombardements systématiques de population civile ; enfin, le fasciste Mussolini envoya en renfort des troupes italiennes. D’autre part, les autogestionnaires espagnols durent combattre contre les agents « communistes » russes envoyés par Staline, ainsi que contre leurs subordonnés du parti « communiste » espagnol, dont leurs colonnes militaires.

Ce fut une guerre de plusieurs armées coordonnées contre un peuple de paysans, d’ouvriers, d’employés et d’intellectuels éclairés. Et cette guerre ne fut pas dirigée uniquement contre les milices populaires, qui manquaient gravement d’armes et de munitions, mais également contre leurs réalisations économiques, sociales et culturelles.

Car il faut savoir, et cela fut constaté par Goldman comme par d’autres témoins sur place, ces réalisation furent consistantes, impressionnantes, inattendues, exemplaires, significatives. Tout le contraire de la régression et du chaos qu’en Russie la domination du parti bolchevique avait causés, le contraignant à un retour au capitalisme avec la N.E.P.

« Si jamais, écrit Goldman, il y eut un peuple aimant suffisamment la liberté pour combattre pour elle, vivre ses quotidiennes relations et même mourir pour elle, les ouvriers et paysans espagnols ont démontré qu’ils se placent au plus haut sommet. » (3)

L’ouvrage de David Porter ne se limite pas à citer des écrits essentiels de Emma Goldman sur la révolution espagnole. Il a la précieuse précaution de fournir des explications et des notes. Elles placent les extraits de la militante et théoricienne dans leur contexte historico-social concret, tout en proposant des pistes de réflexion et d’action concernant la situation actuelle. Enfin, David Porter fournit des titres d’ouvrages et leurs auteurs. Ainsi, les arguments examinés sont élargis et approfondis, permettant d’accéder à des informations complémentaires.

L’ouvrage rend compte non seulement des problèmes généraux affrontés par la révolution sociale espagnole, mais, aussi, de ses aspects incarnés par des individualités. Leurs qualités et défauts sont exposés, ainsi que l’influence de ceux-ci sur le déroulement de la révolution (4). En outre, l’auteur souligne :

« On devrait analyser le sort de l'anarchisme espagnol au niveau social le plus large au lieu de considérer seulement les personnalités. En fait, le mouvement avait contre lui la conspiration internationale, et le manque de soutien du prolétariat mondial à la révolution espagnole. Ces deux facteurs ont causé les erreurs essentielles commises en Espagne. Bien que les individus dans le mouvement aient effectivement fait d’importantes erreurs, leur contribution positive ne doit pas être oubliée. » (5)

Ceci dit, il est précisé :

« Mais en termes généraux, les anarchistes, plus que d'autres personnes concernés par le changement social, ont traditionnellement considéré l'émancipation individuelle et le maintien de l'intégrité personnelle comme des mesures importantes du succès du mouvement. » (6)

Un chapitre particulier est consacré au rôle des femmes dans la révolution espagnole :

« Dans l’histoire générale du mouvement anarchiste, l’émancipation des femmes était vue comme une part cruciale de la transformation sociale globale. » (7)

L’auteur ajoute :

«  De son [Emma Goldman] point de vue, l’organisation du mouvement en général, même parmi les anarchistes, encourageait le carriérisme, des jalousies mesquines et de nouvelles hiérarchies. Il ne fait pas de doute que ces tendances étaient, à un certain degré, le résultat d’une prépondérance masculine dans le mouvement, comme dues à l’organisation du mouvement lui-même. » (8)

Dans une très intéressante introduction au chapitre trois « The New Society », David Porter fournit des explications sur l’anarchisme comme vision sociale et humaine ; il complète l’exposé en considérant les réactions des adversaires :

« Comme par le passé, les anarchistes souffrent le plus souvent d'une mauvaise image parmi
les « Progressistes » de deux points de vue : en tant que destructeurs négativistes ou rêveurs irresponsables. (..) Pour de telles personnes, l'expérience constructive de la révolution espagnole, assumée avec enthousiasme par Emma Goldman dans ces pages, devrait être un soulagement bienvenu. C'est aussi une invitation pour eux à élargir leurs propre politiques. » (9)

La lecture du livre de David Porter reflète fidèlement son affirmation :

« Les évaluations de Goldman sont écrites directement pour nous dans le présent. Elles aident à nous livrer cet incroyablement précieux cadeau de la part du peuple espagnol. » (10)

Souhaitons que cet ouvrage soit finalement traduit en français, en arabe, en tamazight et en dziriya, tellement il est instructif sur le meilleur exemple de révolution sociale survenue dans le monde.

 

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Notes

(1) Voici des déclarations de Buenaventura Durruti, l’une des personnes les plus représentatives de l’anarchisme espagnol pendant la guerre civile en Espagne :

- « Nous vous montrerons, à vous les bolcheviques russes et espagnols, comment on fait la révolution et comment on la mène à son terme. Chez vous, il y a une dictature, dans votre Armée rouge, il y a des colonels et des généraux, alors que dans ma colonne, il n'y a ni supérieur ni inférieur, nous avons tous les mêmes droits, nous sommes tous des soldats, moi aussi je suis un soldat. (…) Ce ne serait vraiment pas la peine de se déguiser en soldat si l'on devait se laisser à nouveau gouverner par les pseudo-républicains de 1931 ; nous consentons à faire de grandes concessions, mais n'oublions jamais qu'il nous faut mener de front la guerre et la révolution. (…) J'ai été un anarchiste toute ma vie, et j'espère le rester. Je regretterais en effet de devenir un général et commander les hommes avec un bâton militaire. Ils me sont venus volontairement, ils sont prêts à mettre leur vie en jeu pour notre combat antifasciste. J'estime que la discipline est indispensable, mais elle doit venir de l'intérieur, motivée par une résolution commune et un fort sentiment de camaraderie. » in https://fr.wikipedia.org/wiki/Buenaventura_Durruti#cite_ref-Durruti_is_Dead.2C_Yet_Living_-_Emma_Goldman_.7C_libcom.org_10-1

(2) « [The Spanish workers] have shown that dictatorship is not essential in a revolutionary period. It is true that those who are enjoying political freedom in Spain are taking advantage of it to an alarming extent, but I agree with the comrades that there is less danger in the abuses of freedom than in dictatorship. »

(3) « If ever there were a people who love liberty sufficiently to struggle for it , live it in their daily relationships and even die for it , the Spanish workers and peasants have demonstrated that they stand at the highest peak. »

(4) Voir notamment chapter Two “Particular Individuals” (Individus particuliers).

(5) « One should analyze the plight of Spanish anarchism at the broader social level instead of solely through looking at personalities. It was in fact the international conspiracy against and lack of world proletarian support for the Spanish revolution which caused the essential mistakes made within Spain. Though individuals in the movement indeed made important errors, their positive service should not be forgotten. »

(6) « But in general terms, anarchists, more than others concerned with social change, traditionally have seen individual emancipation and maintenance of personal integrity as important measures of the movement’s success. »

(7) « In the historical anarchist movement generally, emancipation of women was seen as a crucial part of overall social transformation. »

(8) « In her view, movement organization generally, even among anarchists, encouraged careerism, petty jealousies and new hierarchies. No doubt these tendencies were to some degree the result of male preponderance in the movement, as well as due to movement organization in itself. »

(9) « As in the past, anarchists currently most often suffer a bad image among “progressives” on both counts—as either destructive negativists or irresponsible dreamers. (…) For such individuals, the constructive experience of the Spanish revolution so enthusiastically endorsed by Emma Goldman in these pages should come as a welcome relief. It is also an invitation for them to expand their own politics. »

(10) « Goldman’s assessments are written directly to us in the present. They help to deliver to us this incredibly valuable gift from the Spanish people. »

David Porter, VISION ON FIRE : Emma Goldman on the Spanish Revolution.

AK Press, 2006, Second Edition.

Présentation ici : https://www.akpress.org/visiononfireakpress.html

Publie sur Le Matin d'Algérie, 27 janvier 2018

Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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S
La transition dans un paysage troublé <br /> Par une drôle de coïncidence- certains appelleront cela de la prémonition-, quelques mois avant les événements d’octobre 1988, j’avais lu les six volumes de l’histoire socialiste (1789-1900) de Jean Jaurès, que j’avais hérités de feu mon père (cheminot délégué syndicaliste C.G.T de 1925-1952 au niveau du territoire militaire colonial de la ville colombe-Bechar au sud-ouest jusqu'à la ville de Mascara au nord du pays, ainsi pour son militantisme syndical il fût expulser de son pays l’Algérie). <br /> Ce n’est sans doute pas, tant s’en faut, le meilleur ouvrage qui ait été écrit sur le sujet. D’autres plus qualifiés que moi pourraient même y relever un certain nombre d’erreurs historiques, et le style de Jaurès n’a pas la subtilité de celui de Michelet. Ce qui me séduisit néanmoins dans ces livres, c’est d’une part l’évolution de l’élan révolutionnaire, que Jaurès, en socialiste, sait particulièrement bien rendre, et d’autre part, la description des différentes phases de la révolution, avec les personnalités que chacune d’entre elles a mises en relief. Cette analyse demeure sans doute par trop marxiste, en ce qu’elle sous-estime l’importance du hasard et le rôle des grandes individualités dans l’histoire. Cependant, elle possède bien quelque pertinence. Car dans tous ces processus d’accouchement d’un ordre nouveau à partir d’un ancien que sont les révolutions, il y a le temps de la rupture violente, qui est celui des rebelles et des « romantiques », puis celui du détachement progressif de l’ordre ancien et de l’émergence de personnalités un peu doubles, à mi-chemin des deux régimes ; enfin, l’instauration confuse du nouvel ordre, avec toutes les tensions contradictoire que cela suppose- réformatrices d’un coté, restauratrices de l’autre-, et la formation d’une classe politique. Je n’aurais pas le ridicule de chercher à tracer des parallèles avec la situation Algérienne. Les situations sont incomparables, mais il me semble tout de même que tous processus de passage d’un ordre ancien à un ordre nouveau partagent des mécanismes et des problèmes communs. A la base, la question est ailleurs, dans tous les cas, identique, et pourrait se résumer ainsi : comment faire surgir une nouvelle organisation à partir d’une ancienne. Ce problème, connu sous le nom de « transition » n’est plus aujourd’hui le simple sujet de motions théoriques et absconses pour congrès politiques. Il est devenu l’un des plus concrets et réel qui soient depuis que le globe terrestre c’est transformé en un petit village par la fantastique révolution technologique numérique, dans le cadre d’action progressiste démocratique et sociale. Le premier grand problème auquel, dés les premiers instants, ce processus s’est heurté en Algérie tient à la question de la représentativité de l’organisme chargé de préparer la première transition, en l’occurrence le régime en place, il fallait instauré l’assemblée constituante, celle qui aurait dressée une constitution sur les bases et les données de la plate forme du congrès de Soummam avec un gouvernement provisoire d’unité nationale dans lequel seraient entrées toutes les forces politiques Algériennes. Notre nation Algérienne subi les plus atroces difficultés par l’inconscience des gens au pouvoir ; mais je regrette encore que nous ne soyons pas arrivés à les surmonter. Car par là nous eussions sans doute gagné au moins deux décennies, ou plus, de processus démocratique, et épargné pas mal de déséquilibres et de convulsions à notre pays, telles ces quatre mandats présidentielles qui ont fait tant de mal à l’image de l’Algérie et à son économie. Ce n’étaient pas là, bien entendu, les meilleurs conditions pour attirer ces capitaux étrangers dont nous avons tant besoin. On peut bien sûr accuser tel ou tel leader politique de cette situation, se livrer au jeu coutumier de savoir à qui incombe la faute de ces incidents regrettables. L’exercice me semble, là aussi, assez vain. Je voudrais prendre plus de hauteur. Je crois en effet que ce qui se passe en Algérie n’est que la conséquence de cet héritage très lourd laissé par plus d’une cinquantaine d’années de dictature négative de la pensée unique. La paranoïa répressive du système de la pensée unique tel que le parti « bâathe Irakien » avait installé une espèce de vide politique absolu au sein de la société Algérienne. Depuis longtemps, les anciens partis n’existaient plus que dans la mémoire de leurs leaders vieillis ou bannis. Les syndicats et les organisations professionnelles et la société civile sont totalement embrigadés réprimés muselés, le personnel de l’Etat et du parti de plus en plus médiocre et corrompu, Il n’y a pas de dissidence organisée, seulement quelques sursauts d’honneur individuels et ponctuels de-ci de-là, et aucune grande conscience nationale morale incontestable comme notre regretté feu Hocine Aït Ahmed. Tout le monde, en Algérie, faisait et il fait le gros dos en attendant des jours meilleurs, se défendant avec la seule arme que lui avait laissée le système et qui est toujours la revanche de l’impuissance et du désespoir : l’humour… Je qualifié ce système de « pervers ». L’épithète est faible : la dictature de la pensée unique est un système profondément destructeur, qui a anéanti en nous toute volonté et même tout repère. Nous nous trouvions en permanence plongée dans une sorte d’irréalité politique, sociale et culturelle. C’en était au point que nous avons même perdu la signification des mots les plus simples, tels que « jeu démocratique » « accord », « le droit de savoir et le devoir d’informer », « le respect de l’échelle des valeurs civique et spirituelle », « le débat contradictoire avec le respect d’autrui ». Nous étions- et nous sommes encore partiellement- perclus de préjugé remontant à des temps révolus, qui n’ont même vraisemblablement jamais existé ailleurs que dans l’imagination de nos idéologues.... Un adversaire politique n’est pas forcément un ennemi, mais quelqu’un qui entretien tout simplement une autre vision de l’avenir du pays que la mienne, vision qui peut s’avérer tout aussi possible et légitime, et donc on peut donc discuter. Il ne pouvait y avoir au fond qu’une seule et indivisible « vérité », puisqu’elle est « scientifique ». Penser que cette vérité pût être chose relative ou, du moins, sur pas mal d’aspects, non définitive, donc sujette à négociations, ne fait pas partie de nos réflexes naturels. Dans le climat de paranoïa et d’autarcie dans lequel nous évoluions, c’est tout le contraire. <br /> Le consensus à tout prix mène à une vision de la lutte politique en termes d’affrontements, en fin de compte il y aura soit le blanc ou le noir. L’idéologie de la pensée unique, qui, même si nous la refusons consciemment, nous a profondément contaminés, en procédant sans cesse à une sorte de<br /> « militarisation » de nos comportements et de nos affects. C’est en aval, dans nos âmes, qu’elle a<br /> voulu régner. Et elle y est parvenue. Ce n’était pas la meilleure préparation pour la démocratie….<br /> Toute l’histoire perturbée de la première transition Algérienne, avec ses nombreux dérapages, apparaît au fond comme la résultante de cette situation culturelle. Dans ce système sans plus de référents fixes, il n’a que la force, et les manœuvres politiciennes. Chacun pouvant prétendre dans ce cas détenir à lui seul la vérité. Bref c’est non seulement le vocabulaire, mais aussi le terrain même. Certains ont même pu dire cyniquement qu’il faudrait sans doute plus d’une génération pour que les choses redeviennent normales chez nous, tant nous avons oublié la différence entre le « normal » et l’ « anormal ». La société que le parti unique et sa pensée nous a laissée en partage évoque une sorte de théâtre d’ombres, sur la scène duquel nous nous affrontions à coups d’images passées et tellement « idéologisées » qu’elles en devenaient totalement irréelles et fausses. Ce qui nous manque actuellement, c’est l’essentiel, l’indispensable, et presque le plus simple : un terrain sur lequel puisse se déployer un débat qui ne soit pas seulement imaginaire. L’objectif, est tout simplement de faire naître un espace des idées et débats constructives pour en finir avec ces querelles vaines et dépassées, entre l’ancien et le nouveau, pour affronter enfin les vrais problèmes qui posaient à l’Algérie : comment restaurer la compétitivité si basse, presque inexistante, de l’économie Algérienne sur le marché international ? Comment assurer notre développement Agricole, industriel et financier en assurant l’autosuffisance alimentaire du peuple ? Comment rejoindre le club des pays émergents ? Et ainsi de suite, il s’agit d’assainir, de déblayer le terrain des vestiges idéologiques qui l’encombrant et le fasse de toutes part, de le concrétiser, de remplacer, comme on dit parfois, notre société entièrement politique par une véritable société civile, avec un Etat dirigé par des forces politiques soumises au suffrage universel (sans triche, ni fraude électorale, ni bourrage des urnes, ni jonction administrative)- autrement dit, tout ce que l’on appelle la « démocratie réelle ». <br /> Impérativement, en somme d’initier une espèce de « mécanisme autoproduit » qui, de proche en proche, devrez « désidéologisé » de fond en comble notre société pour la ramener à la réalité et l’urgence des vrais problèmes. Donc, il faudrait en effet casser à tout prix cette structure d’ensemble paranoïaque et schizophrène qui ne cessait de se cacher à elle-même les vrais enjeux pour sombrer dans des combats idéologiques mensongers et superflus. Pareille en stratégie économique s’appuie sur un mécanisme neutre et incontestable, celui du marché, d’ailleurs le couple démocratie/économie du marché est inséparable. Le marché parce qu’il traduit un strict mécanisme rationnel d’allocation de ressources, n’a pas en soi de couleur politique (Maurice Allais prix Nobel d’économie), l’économie du marché elle n’est, par nature, ni de droite ni de gauche, alors que le dirigisme économique, lui, suscite toujours la constitution ou, du moins le renforcement des régimes autoritaires. Lorsque les critères d’allocation de ressources dans un pays sont politiques et non strictement économiques, cela fait forcément naître, ou ne peut que la renforcer si elle existe déjà, une caste bureaucratique qui cherchera à « verrouiller » son pouvoir au niveau politique, à traduire en termes de hiérarchie ses prérogatives décisionnelle dans l’économie. Ainsi se met progressivement en place cette confusion, qu’ont connue tous les régimes totalitaires.<br /> Bien sûr, le recours au marché entraîne parfois, en des moments déterminés, des injustices et des déséquilibres passagers qui peuvent néanmoins s’avérer fort douloureux et dangereux. Il appartient à l’Etat d’en réduire, autant que faire se peut, les conséquences concrètes. Il doit ajouter aux lois du marché ce qui s’appelle une « composante sociale », intervenant quand ces lois menacent par trop le bien national ou les conditions d’existence de telle ou telle partie de la population. Mais, pour le reste, en temps normal, il doit se contenter de faire en sorte que le marché puisse fonctionner au mieux de sa rationalité naturelle. <br /> En l’Algérie, il s’agit certainement de son « libéralisme », « néo », ou « ultra » et aussi « sauvage », qui avalise les enrichissements rapides et sans travail, par pure spéculation ou système « D ». Ceux-ci en produit des phénomènes de la petite mafia urbaine des changeurs d’argent au noir et de la grande, dont on parle moins parce qu’elle est moins voyante, mais dont le poids économique est infiniment plus important. Si l’on veut s’attaquer sérieusement à ces problèmes et pas seulement de façon démagogique-populiste, qu’on ne le fera pas au moyen d’une limitation des lois du marché mais, au contraire, par leur libre exercice généralisé. L’affairisme profite toujours du climat de clair-obscur qui existe entre deux ordres sociaux, quand, du neuf n’ayant pas encore pris totalement la place de l’ancien, les règles de fonctionnement demeurent floues, instables, contradictoires, voir doubles. En d’autres termes, plus rapides nous serons à imposer un jeu clair des lois du marché, plus vite nous ferons disparaître ces situations abusives. La chose est particulièrement évidente en ce qui concerne le problème des changes monétaires. Car c’est tout de même la non convertibilité du Dinar et l’existence de deux marchés l’un intérieur, l’autre extérieur, aux taux profondément divergents, qui avaient fait naître le marché noir. Pour toute notre économie, il n’y a pas mille alternatives en la matière : soit nous restons de façon autoritaire, donc politique, l’économie, et nous assumons l’autarcie, les doubles marchés, la bureaucratie, le renforcement de l’Etat et, l’absence de liberté, c’est-à-dire le cautionnement de la mafia politico financière ; soit nous sommes capables d’instaurer les réelles lois du marché, et alors nous pourrons conquérir la démocratie. Reste, bien sûr, l’épineux problème des structures en place du régime actuel, qu’il faudra bien, un jour ou l’autre, totalement démantelé. C’est tout le problème, gigantesque, de l’épuration de la société Algérienne de la pensée unique et de l’idée d’un Etat providentiel. Mais nous acceptons le pardon, mais non pour l’oubli ; pour la punition, mais contre toute revanche et tout lynchage. Felipe Gonzalez, en chef de gouvernement donc, donc, dans sa province natale d’Andalousie pour une visite officielle, il avait été accueil à sa descente d’avion par l’ancien commissaire qui sous le régime franquiste, alors qu’il n’était encore qu’un jeune avocat progressiste démocrate dans l’opposition, l’avait arrêté et interrogé à plusieurs reprises. Celui-ci n’en menait pas large, comme on peut le comprendre. « Ne t’inquiète pas, lui dit alors Gonzalez, tout cela est une époque révolue…. J’espère seulement que tu mettras autant de loyauté, sinon plus, à servir la démocratie que tu en mettais jadis à exécuter les ordres du pouvoir franquiste…. » Ainsi qu’il faut se comporter de même en Algérie ; laisser leur chance, aux fonctionnaires de l’ancien régime qui n’ont fait qu’accomplir leurs charges administratives, de se racheter en mettant leurs compétences au service du nouveau régime démocratique – tout en poursuivant bien sûr, impitoyablement mais justement, ceux qui auraient profité de leurs pouvoirs à des fins personnelles. Et la polémique, à propos de la responsabilité de certains hauts membres publics au service de ce régime en place ; est là pour le rappeler – que le partage n’est pas toujours facile à effectuer dans la réalité. Où finit la responsabilité collective ? Où commence l’individuelle ? Est-il normal et juste de bénéficier encore de l’impunité de l’exécutant quand on a appliqué des ordres infâmes ? Un fonctionnaire n’a-t-il pas, en tant que citoyen, un devoir à la conscience ? Long et douloureux débat. C’est à la justice d’en décider en son âme et conscience. <br /> Il faut de toute façon éviter ces procès d’intentions et ces soupçons où l’Algérie a tout à perdre, et d’abord sa cohésion si fragile encore. L’urgence aujourd’hui, est de redonner confiance en elle-même à l’Algérie, de lui faire retrouver ses marques. La replonger de nouveau dans un climat de suspicion généralisé où elle n’a que trop macéré par le passé n’en saurait constituer le meilleur moyen. C’est pourquoi qu’il est rationnel d’être en faveur d’une épuration circonstanciée et légale, soumise à la justice ; et non généralisée et sauvage, au nom d’un introuvable « peuple ». Car la tâche qui nous attend est des plus exaltantes, mais aussi des plus périlleuses : elle consiste tout simplement à réintroduire l’Algérie dans le monde moderne. Ce processus ne pourra être que long, lent et difficile sûr tout dans le domaine économique. Et s’ouvre devant nous un véritable « désert » à traverser, qui est l’exact situé entre les deux régimes. Cela représente un défi et une épreuve redoutables ; et pour la surmonter tous deux, il nous faut partir armés d’un consensus profond et de longue haleine, qui demande une mobilisation de toutes les forces de progrès de la société Algérienne. Pour ce faire, nous devons avoir en Algérie des partis forts et représentatifs de la population. Car il faut à tout prix remplir le vide politique instauré cyniquement par la pensée unique du régime en place, sous peine qu’il ne devienne la proie de toutes les tentatives populistes et démagogiques.<br /> Au contraire aujourd’hui, c’est que le jeu politique est collectif, qu’il est, pour reprendre un terme de mathématique, un jeu à somme non nulle, productif, où tous les partenaires peuvent accroître leur gain ; bref, que plus nous aurons des partis puissants et solidement ancrés dans la population, mieux nous serons à même de bâtir une démocratie forte et d’éloigner le danger hélas ! Toujours présent dans notre pays et d’un prolongement autoritaire. A ce danger, toujours possible, il faut que les hommes politiques Algériens, sachions opposer la force d’une idée collective, qui représente le meilleur antidote à la résurgence de toutes dictatures, et à la réalisation de laquelle tout notre pays doit participer, car elle concerne non seulement son avenir lointain, mais aussi son présent. Bref, la question du qui gouvernera doit s’effacer devant celle du pourquoi, que les partis politiques Algériens abandonnera leurs positions purement vindicatives et idéologiques pour se doter, en véritable opposition, d’un programme de transformation de la société. Telle est la responsabilité qui incombe aujourd’hui, tous les hommes politiques Algériens. Elle est grande, écrasante même. Et il faut savoir que si, pour une raison ou pour une autre, vous vous dérobiez, nos descendants ne le comprendront pas et vous renverrez dans les oubliettes de l’histoire. Le consensus « arc-boute » sur le mot clé de « réforme ». Il s’agit là en effet d’une des rares notions – peut-être même la seule – à n’avoir pas été accaparée dans le passé par l’un des deux systèmes concurrents, pensée unique et capitaliste. Ce n’est pas pour autant une notion neutre, incolore et indolore. Elle signifie seulement la volonté de traiter, les vrais problèmes sans a priori, sans solutions toutes faites, mais, au contraire, grâce à un examen lucide et raisonné des enjeux entre des forces responsables prêtes à travailler ensemble, sans oublier pour autant ce qui les sépare. Bref, la réforme équivaut à la démocratie vivante, en acte, en marche, et l’exact inverse de cette utopie désastreuse qui a pris pendant soixante ans le nom trompeur de « pensée unique avec une vision totalitaire ».
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K
Cher Semghouni,<br /> merci beaucoup pour votre commentaire. Bien entendu, je l’ai lu avec le maximum d’attention et j’en fais trésor.<br /> Ceci étant dit, la pensée unique n’est pas spécifique au totalitarisme fasciste ou marxiste, mais, également, au capitalisme et à ses lois du marché. La pensée n’est plus unique seulement quand surgit la démocratie authentique, et c’est précisément quand la société est réellement autogérée par ses membres, à travers des élections réellement libres, parce que conscientes des enjeux, et un mandat impératif, seul moyen d’éviter la formation d’une oligarchie nouvelle, masquée de « démocratique » et « libérale ». <br /> Affirmer qu’il faut s’affranchir de l’idéologie, autrement dit de préjugés préconçus dogmatiquement plaqués sur la réalité, est, bien entendu, le but. Mais l’idéologie se trouve, hélas !, là même où des personnes proclament la dénoncer, et ceci tant dans le camp marxiste (autoritaire dictatorial) que dans celui « libéral » capitaliste (où l’autoritarisme se manifeste à travers le conditionnement idéologique des électeurs, à travers les moyens prétendument d’information, aux mains des capitalistes eux-mêmes). C’est dire que j’estime le système autogestionnaire le meilleur, sinon le moins pire, pour gérer une société de manière authentiquement démocratique. C’est là un idéal auquel l’espèce humaine n’est pas encore prête, puisque les rares tentatives de le réaliser furent vaincues. Cependant, l’histoire est longue, et l’espoir est le dernier à mourir.<br /> Je retiens et pense beaucoup à votre proposition de « faire naître un espace des idées et débats constructifs ». Notamment par la création d’une revue électronique. Mais je ne trouve pas un minimum de personnes algériennes prêtes à y collaborer. En Algérie, il reste encore ce changement à concrétiser. <br /> Fraternellement,<br /> Kadour
S
La transition dans un paysage troublé <br /> Par une drôle de coïncidence- certains appelleront cela de la prémonition-, quelques mois avant les événements d’octobre 1988, j’avais lu les six volumes de l’histoire socialiste (1789-1900) de Jean Jaurès, que j’avais hérités de feu mon père (cheminot délégué syndicaliste C.G.T de 1925-1952 au niveau du territoire militaire colonial de la ville colombe-Bechar au sud-ouest jusqu'à la ville de Mascara au nord du pays, ainsi pour son militantisme syndical il fût expulser de son pays l’Algérie). <br /> Ce n’est sans doute pas, tant s’en faut, le meilleur ouvrage qui ait été écrit sur le sujet. D’autres plus qualifiés que moi pourraient même y relever un certain nombre d’erreurs historiques, et le style de Jaurès n’a pas la subtilité de celui de Michelet. Ce qui me séduisit néanmoins dans ces livres, c’est d’une part l’évolution de l’élan révolutionnaire, que Jaurès, en socialiste, sait particulièrement bien rendre, et d’autre part, la description des différentes phases de la révolution, avec les personnalités que chacune d’entre elles a mises en relief. Cette analyse demeure sans doute par trop marxiste, en ce qu’elle sous-estime l’importance du hasard et le rôle des grandes individualités dans l’histoire. Cependant, elle possède bien quelque pertinence. Car dans tous ces processus d’accouchement d’un ordre nouveau à partir d’un ancien que sont les révolutions, il y a le temps de la rupture violente, qui est celui des rebelles et des « romantiques », puis celui du détachement progressif de l’ordre ancien et de l’émergence de personnalités un peu doubles, à mi-chemin des deux régimes ; enfin, l’instauration confuse du nouvel ordre, avec toutes les tensions contradictoire que cela suppose- réformatrices d’un coté, restauratrices de l’autre-, et la formation d’une classe politique. Je n’aurais pas le ridicule de chercher à tracer des parallèles avec la situation Algérienne. Les situations sont incomparables, mais il me semble tout de même que tous processus de passage d’un ordre ancien à un ordre nouveau partagent des mécanismes et des problèmes communs. A la base, la question est ailleurs, dans tous les cas, identique, et pourrait se résumer ainsi : comment faire surgir une nouvelle organisation à partir d’une ancienne. Ce problème, connu sous le nom de « transition » n’est plus aujourd’hui le simple sujet de motions théoriques et absconses pour congrès politiques. Il est devenu l’un des plus concrets et réel qui soient depuis que le globe terrestre c’est transformé en un petit village par la fantastique révolution technologique numérique, dans le cadre d’action progressiste démocratique et sociale. Le premier grand problème auquel, dés les premiers instants, ce processus s’est heurté en Algérie tient à la question de la représentativité de l’organisme chargé de préparer la première transition, en l’occurrence le régime en place, il fallait instauré l’assemblée constituante, celle qui aurait dressée une constitution sur les bases et les données de la plate forme du congrès de Soummam avec un gouvernement provisoire d’unité nationale dans lequel seraient entrées toutes les forces politiques Algériennes. Notre nation Algérienne subi les plus atroces difficultés par l’inconscience des gens au pouvoir ; mais je regrette encore que nous ne soyons pas arrivés à les surmonter. Car par là nous eussions sans doute gagné au moins deux décennies, ou plus, de processus démocratique, et épargné pas mal de déséquilibres et de convulsions à notre pays, telles ces quatre mandats présidentielles qui ont fait tant de mal à l’image de l’Algérie et à son économie. Ce n’étaient pas là, bien entendu, les meilleurs conditions pour attirer ces capitaux étrangers dont nous avons tant besoin. On peut bien sûr accuser tel ou tel leader politique de cette situation, se livrer au jeu coutumier de savoir à qui incombe la faute de ces incidents regrettables. L’exercice me semble, là aussi, assez vain. Je voudrais prendre plus de hauteur. Je crois en effet que ce qui se passe en Algérie n’est que la conséquence de cet héritage très lourd laissé par plus d’une cinquantaine d’années de dictature négative de la pensée unique. La paranoïa répressive du système de la pensée unique tel que le parti « bâathe Irakien » avait installé une espèce de vide politique absolu au sein de la société Algérienne. Depuis longtemps, les anciens partis n’existaient plus que dans la mémoire de leurs leaders vieillis ou bannis. Les syndicats et les organisations professionnelles et la société civile sont totalement embrigadés réprimés muselés, le personnel de l’Etat et du parti de plus en plus médiocre et corrompu, Il n’y a pas de dissidence organisée, seulement quelques sursauts d’honneur individuels et ponctuels de-ci de-là, et aucune grande conscience nationale morale incontestable comme notre regretté feu Hocine Aït Ahmed. Tout le monde, en Algérie, faisait et il fait le gros dos en attendant des jours meilleurs, se défendant avec la seule arme que lui avait laissée le système et qui est toujours la revanche de l’impuissance et du désespoir : l’humour… Je qualifié ce système de « pervers ». L’épithète est faible : la dictature de la pensée unique est un système profondément destructeur, qui a anéanti en nous toute volonté et même tout repère. Nous nous trouvions en permanence plongée dans une sorte d’irréalité politique, sociale et culturelle. C’en était au point que nous avons même perdu la signification des mots les plus simples, tels que « jeu démocratique » « accord », « le droit de savoir et le devoir d’informer », « le respect de l’échelle des valeurs civique et spirituelle », « le débat contradictoire avec le respect d’autrui ». Nous étions- et nous sommes encore partiellement- perclus de préjugé remontant à des temps révolus, qui n’ont même vraisemblablement jamais existé ailleurs que dans l’imagination de nos idéologues.... Un adversaire politique n’est pas forcément un ennemi, mais quelqu’un qui entretien tout simplement une autre vision de l’avenir du pays que la mienne, vision qui peut s’avérer tout aussi possible et légitime, et donc on peut donc discuter. Il ne pouvait y avoir au fond qu’une seule et indivisible « vérité », puisqu’elle est « scientifique ». Penser que cette vérité pût être chose relative ou, du moins, sur pas mal d’aspects, non définitive, donc sujette à négociations, ne fait pas partie de nos réflexes naturels. Dans le climat de paranoïa et d’autarcie dans lequel nous évoluions, c’est tout le contraire. <br /> Le consensus à tout prix mène à une vision de la lutte politique en termes d’affrontements, en fin de compte il y aura soit le blanc ou le noir. L’idéologie de la pensée unique, qui, même si nous la refusons consciemment, nous a profondément contaminés, en procédant sans cesse à une sorte de<br /> « militarisation » de nos comportements et de nos affects. C’est en aval, dans nos âmes, qu’elle a<br /> voulu régner. Et elle y est parvenue. Ce n’était pas la meilleure préparation pour la démocratie….<br /> Toute l’histoire perturbée de la première transition Algérienne, avec ses nombreux dérapages, apparaît au fond comme la résultante de cette situation culturelle. Dans ce système sans plus de référents fixes, il n’a que la force, et les manœuvres politiciennes. Chacun pouvant prétendre dans ce cas détenir à lui seul la vérité. Bref c’est non seulement le vocabulaire, mais aussi le terrain même. Certains ont même pu dire cyniquement qu’il faudrait sans doute plus d’une génération pour que les choses redeviennent normales chez nous, tant nous avons oublié la différence entre le « normal » et l’ « anormal ». La société que le parti unique et sa pensée nous a laissée en partage évoque une sorte de théâtre d’ombres, sur la scène duquel nous nous affrontions à coups d’images passées et tellement « idéologisées » qu’elles en devenaient totalement irréelles et fausses. Ce qui nous manque actuellement, c’est l’essentiel, l’indispensable, et presque le plus simple : un terrain sur lequel puisse se déployer un débat qui ne soit pas seulement imaginaire. L’objectif, est tout simplement de faire naître un espace des idées et débats constructives pour en finir avec ces querelles vaines et dépassées, entre l’ancien et le nouveau, pour affronter enfin les vrais problèmes qui posaient à l’Algérie : comment restaurer la compétitivité si basse, presque inexistante, de l’économie Algérienne sur le marché international ? Comment assurer notre développement Agricole, industriel et financier en assurant l’autosuffisance alimentaire du peuple ? Comment rejoindre le club des pays émergents ? Et ainsi de suite, il s’agit d’assainir, de déblayer le terrain des vestiges idéologiques qui l’encombrant et le fasse de toutes part, de le concrétiser, de remplacer, comme on dit parfois, notre société entièrement politique par une véritable société civile, avec un Etat dirigé par des forces politiques soumises au suffrage universel (sans triche, ni fraude électorale, ni bourrage des urnes, ni jonction administrative)- autrement dit, tout ce que l’on appelle la « démocratie réelle ». <br /> Impérativement, en somme d’initier une espèce de « mécanisme autoproduit » qui, de proche en proche, devrez « désidéologisé » de fond en comble notre société pour la ramener à la réalité et l’urgence des vrais problèmes. Donc, il faudrait en effet casser à tout prix cette structure d’ensemble paranoïaque et schizophrène qui ne cessait de se cacher à elle-même les vrais enjeux pour sombrer dans des combats idéologiques mensongers et superflus. Pareille en stratégie économique s’appuie sur un mécanisme neutre et incontestable, celui du marché, d’ailleurs le couple démocratie/économie du marché est inséparable. Le marché parce qu’il traduit un strict mécanisme rationnel d’allocation de ressources, n’a pas en soi de couleur politique (Maurice Allais prix Nobel d’économie), l’économie du marché elle n’est, par nature, ni de droite ni de gauche, alors que le dirigisme économique, lui, suscite toujours la constitution ou, du moins le renforcement des régimes autoritaires. Lorsque les critères d’allocation de ressources dans un pays sont politiques et non strictement économiques, cela fait forcément naître, ou ne peut que la renforcer si elle existe déjà, une caste bureaucratique qui cherchera à « verrouiller » son pouvoir au niveau politique, à traduire en termes de hiérarchie ses prérogatives décisionnelle dans l’économie. Ainsi se met progressivement en place cette confusion, qu’ont connue tous les régimes totalitaires.<br /> Bien sûr, le recours au marché entraîne parfois, en des moments déterminés, des injustices et des déséquilibres passagers qui peuvent néanmoins s’avérer fort douloureux et dangereux. Il appartient à l’Etat d’en réduire, autant que faire se peut, les conséquences concrètes. Il doit ajouter aux lois du marché ce qui s’appelle une « composante sociale », intervenant quand ces lois menacent par trop le bien national ou les conditions d’existence de telle ou telle partie de la population. Mais, pour le reste, en temps normal, il doit se contenter de faire en sorte que le marché puisse fonctionner au mieux de sa rationalité naturelle. <br /> En l’Algérie, il s’agit certainement de son « libéralisme », « néo », ou « ultra » et aussi « sauvage », qui avalise les enrichissements rapides et sans travail, par pure spéculation ou système « D ». Ceux-ci en produit des phénomènes de la petite mafia urbaine des changeurs d’argent au noir et de la grande, dont on parle moins parce qu’elle est moins voyante, mais dont le poids économique est infiniment plus important. Si l’on veut s’attaquer sérieusement à ces problèmes et pas seulement de façon démagogique-populiste, qu’on ne le fera pas au moyen d’une limitation des lois du marché mais, au contraire, par leur libre exercice généralisé. L’affairisme profite toujours du climat de clair-obscur qui existe entre deux ordres sociaux, quand, du neuf n’ayant pas encore pris totalement la place de l’ancien, les règles de fonctionnement demeurent floues, instables, contradictoires, voir doubles. En d’autres termes, plus rapides nous serons à imposer un jeu clair des lois du marché, plus vite nous ferons disparaître ces situations abusives. La chose est particulièrement évidente en ce qui concerne le problème des changes monétaires. Car c’est tout de même la non convertibilité du Dinar et l’existence de deux marchés l’un intérieur, l’autre extérieur, aux taux profondément divergents, qui avaient fait naître le marché noir. Pour toute notre économie, il n’y a pas mille alternatives en la matière : soit nous restons de façon autoritaire, donc politique, l’économie, et nous assumons l’autarcie, les doubles marchés, la bureaucratie, le renforcement de l’Etat et, l’absence de liberté, c’est-à-dire le cautionnement de la mafia politico financière ; soit nous sommes capables d’instaurer les réelles lois du marché, et alors nous pourrons conquérir la démocratie. Reste, bien sûr, l’épineux problème des structures en place du régime actuel, qu’il faudra bien, un jour ou l’autre, totalement démantelé. C’est tout le problème, gigantesque, de l’épuration de la société Algérienne de la pensée unique et de l’idée d’un Etat providentiel. Mais nous acceptons le pardon, mais non pour l’oubli ; pour la punition, mais contre toute revanche et tout lynchage. Felipe Gonzalez, en chef de gouvernement donc, donc, dans sa province natale d’Andalousie pour une visite officielle, il avait été accueil à sa descente d’avion par l’ancien commissaire qui sous le régime franquiste, alors qu’il n’était encore qu’un jeune avocat progressiste démocrate dans l’opposition, l’avait arrêté et interrogé à plusieurs reprises. Celui-ci n’en menait pas large, comme on peut le comprendre. « Ne t’inquiète pas, lui dit alors Gonzalez, tout cela est une époque révolue…. J’espère seulement que tu mettras autant de loyauté, sinon plus, à servir la démocratie que tu en mettais jadis à exécuter les ordres du pouvoir franquiste…. » Ainsi qu’il faut se comporter de même en Algérie ; laisser leur chance, aux fonctionnaires de l’ancien régime qui n’ont fait qu’accomplir leurs charges administratives, de se racheter en mettant leurs compétences au service du nouveau régime démocratique – tout en poursuivant bien sûr, impitoyablement mais justement, ceux qui auraient profité de leurs pouvoirs à des fins personnelles. Et la polémique, à propos de la responsabilité de certains hauts membres publics au service de ce régime en place ; est là pour le rappeler – que le partage n’est pas toujours facile à effectuer dans la réalité. Où finit la responsabilité collective ? Où commence l’individuelle ? Est-il normal et juste de bénéficier encore de l’impunité de l’exécutant quand on a appliqué des ordres infâmes ? Un fonctionnaire n’a-t-il pas, en tant que citoyen, un devoir à la conscience ? Long et douloureux débat. C’est à la justice d’en décider en son âme et conscience. <br /> Il faut de toute façon éviter ces procès d’intentions et ces soupçons où l’Algérie a tout à perdre, et d’abord sa cohésion si fragile encore. L’urgence aujourd’hui, est de redonner confiance en elle-même à l’Algérie, de lui faire retrouver ses marques. La replonger de nouveau dans un climat de suspicion généralisé où elle n’a que trop macéré par le passé n’en saurait constituer le meilleur moyen. C’est pourquoi qu’il est rationnel d’être en faveur d’une épuration circonstanciée et légale, soumise à la justice ; et non généralisée et sauvage, au nom d’un introuvable « peuple ». Car la tâche qui nous attend est des plus exaltantes, mais aussi des plus périlleuses : elle consiste tout simplement à réintroduire l’Algérie dans le monde moderne. Ce processus ne pourra être que long, lent et difficile sûr tout dans le domaine économique. Et s’ouvre devant nous un véritable « désert » à traverser, qui est l’exact situé entre les deux régimes. Cela représente un défi et une épreuve redoutables ; et pour la surmonter tous deux, il nous faut partir armés d’un consensus profond et de longue haleine, qui demande une mobilisation de toutes les forces de progrès de la société Algérienne. Pour ce faire, nous devons avoir en Algérie des partis forts et représentatifs de la population. Car il faut à tout prix remplir le vide politique instauré cyniquement par la pensée unique du régime en place, sous peine qu’il ne devienne la proie de toutes les tentatives populistes et démagogiques.<br /> Au contraire aujourd’hui, c’est que le jeu politique est collectif, qu’il est, pour reprendre un terme de mathématique, un jeu à somme non nulle, productif, où tous les partenaires peuvent accroître leur gain ; bref, que plus nous aurons des partis puissants et solidement ancrés dans la population, mieux nous serons à même de bâtir une démocratie forte et d’éloigner le danger hélas ! Toujours présent dans notre pays et d’un prolongement autoritaire. A ce danger, toujours possible, il faut que les hommes politiques Algériens, sachions opposer la force d’une idée collective, qui représente le meilleur antidote à la résurgence de toutes dictatures, et à la réalisation de laquelle tout notre pays doit participer, car elle concerne non seulement son avenir lointain, mais aussi son présent. Bref, la question du qui gouvernera doit s’effacer devant celle du pourquoi, que les partis politiques Algériens abandonnera leurs positions purement vindicatives et idéologiques pour se doter, en véritable opposition, d’un programme de transformation de la société. Telle est la responsabilité qui incombe aujourd’hui, tous les hommes politiques Algériens. Elle est grande, écrasante même. Et il faut savoir que si, pour une raison ou pour une autre, vous vous dérobiez, nos descendants ne le comprendront pas et vous renverrez dans les oubliettes de l’histoire. Le consensus « arc-boute » sur le mot clé de « réforme ». Il s’agit là en effet d’une des rares notions – peut-être même la seule – à n’avoir pas été accaparée dans le passé par l’un des deux systèmes concurrents, pensée unique et capitaliste. Ce n’est pas pour autant une notion neutre, incolore et indolore. Elle signifie seulement la volonté de traiter, les vrais problèmes sans a priori, sans solutions toutes faites, mais, au contraire, grâce à un examen lucide et raisonné des enjeux entre des forces responsables prêtes à travailler ensemble, sans oublier pour autant ce qui les sépare. Bref, la réforme équivaut à la démocratie vivante, en acte, en marche, et l’exact inverse de cette utopie désastreuse qui a pris pendant soixante ans le nom trompeur de « pensée unique avec une vision totalitaire ».
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