Publié le 1 Septembre 2020

SORTIR DE LA BARBARIE Partie 2 : Culture

Suite à la première partie1, examinons le champ culturel d’une manière synthétique et basique, en proposant des hypothèses et des pistes de réflexion. L’examen nécessite de se débarrasser des œillères idéologiques personnelles. On y parvient en s’efforçant d’adopter la méthode du scientifique : il observe empiriquement, sans aucun préjugé, en cherchant quel est le problème, puis la solution du phénomène observé, que cette solution plaise ou non.

 

Animalité-humanité.

Diverses hypothèses scientifiques existent au sujet de l’apparition de l’espèce humaine sur la planète. Toutes s’accordent pour considérer l’animalité comme aspect primordial.

En outre, celle de l’être humain est moins favorisée que celles du reste des animaux. Sans parents pour veiller sur sa première période de vie, il meurt ; devenu autonome, sans disposer de choses matérielles pour se nourrir, se vêtir, se soigner, il meurt également.

Ajoutons l’existence d’instincts en lui, notamment le sexuel. Également des pulsions, les unes positives, d’autres, négatives.

L’être humain dispose de facultés naturelles dans le domaine intellectuel. Elles lui permettent de s’affranchir des limites et aspects négatifs de son animalité. Cet affranchissement se fait de certaines manières et jusqu’à un certain point.

Concernant les acquisitions technologiques et scientifiques, les unes sont positives, d’autres négatives. Deux exemples : les radiations servent d’une part à soigner des maladies, d’autre part à exterminer l’humanité ; la robotisation ou les recherches sur le cerveau humain servent d’une part à soulager les conditions d’existence humaine, d’autre part à asservir et exploiter cette même existence humaine2.

 

Système culturel.

Les sciences et les technologies dépendent du système social dans lequel elles se pratiquent. Celui-ci est le produit d’un modèle culturel, dans le sens le plus large du terme : un ensemble de valeurs, normes, principes.

Ces derniers se ramènent, en dernière analyse, à deux conceptions produisant deux situations opposées.

L’une estime que « l’homme est un loup pour l’homme » (Thomas Moore) dans un « struggle for life » [lutte pour la vie] (Darwin). Donc le plus rusé, le plus égoïste, le plus cruel gagne, au détriment du plus honnête, du plus généraux, du plus doux. C’est la « loi de la jungle », avec une nuance d’importance. À la différence de l’être humain, les bêtes de la jungle se contentent de satisfaire leur faim physiologique, sans prétendre à plus ; en outre, elles ne torturent jamais, encore moins pour le plaisir de causer des souffrances ; enfin, leur cerveau ne leur permet d’avoir conscience (ou suffisamment) de leurs actes.

Cette conception se justifie par une soit disant « nature » humaine, constituée d’ « instincts » et de « pulsions ». Ils donneraient la primauté à la cupidité (sous forme d’exploitation de l’être humain par un autre) et à la domination du second sur le premier, par l’exercice de la force violente.

Cette conception s’est manifestée successivement comme systèmes esclavagiste, féodal, capitaliste privé et capitaliste étatique.

À l’opposé de ce modèle culturel existe un autre, totalement antagoniste. Au lieu de la cupidité, il prône l’auto-suffisance, et au lieu de la domination, la libre égalité solidaire. Cette conception, elle aussi, se justifie par la nature humaine, mais, au contraire du modèle culturel cupide et dominateur, le modèle culturel, privilégiant l’auto-suffisance et la libre égalité solidaire, donne toute son importance au cerveau, à la raison, à la conscience comme facteurs de justice et d’harmonie entre les êtres humains. Piotr Kropotkine se distingua par l’exposé de cette conception3.

Partout et toujours, ce modèle demeure minoritaire. Dans l’antiquité, en Extrême-Orient, Zhuang Ze en fut le meilleur représentant ; en Europe, ce furent Antisthène et Diogène de Synope.

Entre les deux modèles culturels antagonistes existe un troisième. C’est une conciliation qui ménage la chèvre et le chou, autrement dit limite cupidité et domination de manière « raisonnable » et dans un sens de « justice ». Ce compromis se manifeste de plusieurs manières. En Extrême-Orient, le confucianisme chinois (, rén) et l’ahimsa hindoue mettent en avant la « bienveillance » ». D’une certaine manière, le même concept est considéré en Europe par les philosophies de Platon, Aristote, Zénon, et, au Moyen-Orient, par les religions. En politique moderne, la social-démocratie incarne cette tendance. Dans tous ces cas, on reconnaît la « normalité », - « naturelle » chez les philosophes, « divine » chez les religieux -, de l’existence de riches et de pauvres (entendons l’exploitation de l’homme par l’homme), avec, pour l’atténuer, la « charité » des exploiteurs envers les exploités. Les résultats sont observables.

 

Liberté, égalité, solidarité.

Qu’est donc la culture, mieux dire un modèle culturel ?… C’est sortir de l’état de jungle à celui de collectivité. Qu’est cette dernière sinon une manière humaine de vivre de façon réciproquement bénéfique ? Comment y parvenir sinon par la mise en commun des biens fondamentaux utiles à la communauté ? Comment y réussir sinon en considérant les êtres humains : 1) libres de toute domination ; 2) égaux en besoins matériels et intellectuels, même si leurs caractéristiques physiques et intellectuelles sont diverses ; 3) solidaires, autrement la liberté permettrait la cupidité et la domination, donc l’inégalité.

Pourquoi ce triptyque « liberté, égalité, solidarité » est, depuis toujours et partout, minoritaire, ne se réalisant qu’exceptionnellement, pendant une durée de quelques années seulement ?... Exemples notoires : la révolte des esclaves guidés par Spartacus, celle des paysans dirigés par Thomas Müntzer, celle des « bonnets blancs » puis la Commune de Canton en Chine, la Commune de Paris de 1871, les soviets libres en Russie, les coletividad espagnoles, l’autogestion algérienne.

 

Cerveau.

Des scientifiques estiment que l’explication réside dans le cerveau humain.

« Quand les hommes sains seront-ils désenchaînés de leurs préjugés, de leur groupe, de leur classe, de leur or ? Quand sortiront-ils enfin de la prison de leurs automatismes et de leur langage ? (...) L'exploitation de l'homme par l'homme est un fait sociologique qui demeure et qu'on ne peut nier. Nous savons que sa source réside dans l'agressivité paléocéphalique.

Il me paraît biologiquement absurde d'espérer faire disparaître la première, en conservant la seconde. »4

Allez dire cette conclusion à un Elon Musk. Sa dernière invention serait un chip à implanter dans le cerveau humain, officiellement pour améliorer les capacités humaines, en réalité pour augmenter le compte bancaire du déjà millionnaire homme d’affaires.

C’est dire tout ce qu’il faut faire pour éliminer l'exploitation de l'homme par l'homme. Le crane humain le plus ancien, découvert au Tchad, est daté de 7 millions d’années. L’espèce humaine a accompli une évolution significative, mais l’essentiel n’a pas encore changé dans la majorité de cette espèce : l’agressivité, pour employer le terme de Laborit. Elle se manifeste dans la cupidité et l’instrument pour l’assurer : la domination.

Érasme écrivit : « On ne naît pas homme, on le devient ». Ainsi sont apparues la Renaissance italienne, l’humanisme européen, ces tentatives d’émancipation humaine vers davantage de sociabilité, autrement dit d’élimination de la cupidité et de la domination.

Notons que Renaissance et humanisme furent contemporains d’une double découverte : le continent américain par Christophe Colomb, et le mouvement de la Terre autour du Soleil (Copernic).

Actuellement, la découverte et l’exploration de l’espace a vu l’apparition du « transhumanisme ». Mais, contrairement à l’humanisme passé, le « transhumanisme » présente un double aspect : l’un vise à une amélioration des capacités humaines vers davantage de liberté, d’égalité et de solidarité ; par contre, l’autre tendance se propose davantage de servitude, d’inégalité et de concurrence, au service, encore, de la cupidité. C’est dire que les progrès technologiques et scientifiques conservent encore leur double aspect contradictoire : l’émancipation ou la servitude de l’espèce humaine.

Pour paraphraser la formule de Laborit, citée auparavant : il est rationnellement absurde et erroné d’espérer améliorer l’espèce humaine par des actes technologiques-scientifiques sans améliorer le système culturel dans lequel elles ont lieu. Et la culture, c’est soit cupidité et domination élitaires imposées, soit libre solidarité égalitaire collective.

 

La vraie révolution.

Le mal (cupidité, domination) est dans la psyché, le cerveau humains. L’espèce humaine est majoritairement encore dans sa préhistoire. Jusqu’à présent, toutes les révolutions sociales qui ont existé n’ont pas réussi à éliminer cupidité et domination. À l’exception (confirmant la règle) des quelques courtes expériences, citées auparavant, où des peuples parvinrent à fonctionner de manière libre, égalitaire et solidaire.

L’homo sapiens n’a pas encore établi une communauté sans cupidité et domination. Les révolutions politiques, qui se proposaient de les éliminer, sont des échecs. Cela montre que le changement positif ne se limite pas à l’action dans le champ politique, mais exige l’intervention dans celui culturel, le champ qui englobe tous les autres5.

Cette nécessité a été comprise et défendue par des philosophes et penseurs, depuis l’antiquité, en Occident comme en Extrême-Orient. Malheureusement, répétons-le, leur nombre fut minoritaire. Nous en sommes actuellement au même point. À l’époque moderne, Piotr Kropotkine en fait partie;d’une certaine manière, également Rosa Luxembourg, dans la priorité accordée à la subjectivité des exploités-opprimés, et Antonio Gramsci en parlant d’hégémonie culturelle. Plus proche dans le temps, citons également une certaine conception situationniste.

Dans le champ politique, l’erreur des révolutionnaires (des Jacobins aux marxistes) fut de croire que la prise du pouvoir étatique garantissait le changement culturel. Les expériences montrent partout qu’il s’agissait d’une erreur d’appréciation. À ce sujet, l’invocation de la « science », pour justifier ces tentatives, se révéla une illusion idéologique.

Cependant, les quelques rares expériences autogestionnaires (libertaires), évoquées plus haut, montrent à qui prend la peine de les examiner objectivement et correctement que changement politique et changement culturel allaient de pair, constituant une unité complémentaire. Malheureusement, ces expériences furent éliminées par les partisans d’un changement principalement politique, étatique.

N’oublions plus le champ individuel. Le bon vieux Socrate l’avait déjà explicité : « Connais-toi toi-même ». Plus tard, les psychologues l’ont répété. Hélas ! Trop de révolutionnaires méprisèrent cette exigence comme « petit-bourgeoise ».

Pourtant, la révolution (changement radical, agissant sur la racine du mal : cupidité dominatrice) doit s’exercer non seulement dans le champ politique, mais tout autant, sinon d’abord, dans le domaine individuel. Les processus révolutionnaires, partout et toujours, ont montré un phénomène : les uns font la révolution (sociale), mais d’autres en profitent (individuellement). Ces derniers constituent une nouvelle caste-oligarchie. Par elles, ces opportunistes prétendent servir les intérêts du peuple ; en réalité, ils servent (consciemment ou non) leur cupidité dominatrice.

Si des éléments du peuple dénoncent cette imposture, ils sont réprimés, toujours au nom du peuple, comme « anarchistes ». Cette stigmatisation ne date pas de la revendication du mot par Joseph Proudhon. Déjà, avant et durant la révolution française de 1789, tout partisan de l’autoritarisme dictatorial taxait les contestataires de l’autoritarisme comme « anarchistes »6.

De ces observations deux conclusions opposées se déduisent.

Estimer que l’authentique révolution consiste à contribuer au changement culturel suppose une activité et une réflexion dans le domaine le plus large.

Dans le champ individuel, le changement exige une remise en cause radicale des préjugés, normes et principes personnels. Ils doivent être examinés avec un critère : les intérêts de la collectivité toute entière, et d’abord de sa partie exploitée-opprimée. Ce genre de changement individuel implique un effort non seulement intellectuel, mais tout autant émotionnel. L’opération est difficile, complexe, très douloureuse. Il s’agit d’extirper de notre cerveau personnel toutes les germes de la cupidité et de la domination, en décelant avec courage et lucidité toute forme par laquelle ces deux tares se manifestent. L’observation empirique montre que très peu d’individus parviennent à cette révolution psychique personnelle. Autrement, on ne constaterait pas chez les révolutionnaires proclamés des formes inédites, enjolivées, de cupidité dominatrice7.

Dans le champ social, l’observation du processus d’élimination de couple cupidité-domination est également très douloureux, et même généralement sanglant. Les résultats surviennent après plusieurs décennies, sinon des siècles.

Cette constatation est, pour les gens pressés, une option démobilisatrice (« pessimisme de la raison », disait Gramsci). Ils crieraient scandalisés qu’ainsi est diminué ou nié le rôle du politique dans le changement. Ce problème sera examiné dans une prochaine partie, consacrée au « politique ». À ces objecteurs rappelons tout de suite des faits : l’élimination successive de l’esclavagisme et du féodalisme fut le résultat de plusieurs siècles de luttes et de production théorique ; les tentatives d’élimination du capitalisme, elles aussi, se sont alimentées de siècles de luttes et de production théorique.

L’autre conclusion, opposée, consiste à comprendre la nécessité d’une action sur l’ensemble du domaine culturel, donc le recours à une stratégie à long et même très long terme. Les partisans de cette option sont identiques aux scientifiques ; ils déclarent travailler actuellement pour des résultats qui se concrétiseront seulement après un ou même plusieurs siècles.

Ce second choix implique de réfléchir et d’agir non pas dans le champ restrictif du politique et de l’État, mais dans le champ qui les contient et les conditionne : le culturel.

N’est-ce pas cette mentalité éthique (psychique) qui a manqué et continue à manquer de manière générale ? En quoi consiste-t-elle sinon à appliquer les valeurs, normes, principes de liberté, d’égalité et de solidarité ?… Si la semence est convenable, elle donnera les fruits espérés, si pas durant notre vie individuelle (si courte), aux générations futures.

« Jamais, disait-on, la masse du peuple n'est parvenue au degré d'instruction et d'indépendance nécessaire pour l'exercice des droits politiques, essentiels à la liberté, à sa conservation et à son bonheur. (…) Quant à la cause de ces désordres, on la trouvait dans l'inégalité des fortunes et des conditions, et, en dernière analyse, dans la propriété individuelle, par laquelle les plus adroits ou les plus malheureux dépouillèrent et dépouillent sans cesse la multitude qui, astreinte à des travaux longs et pénibles, mal nourrie, mal vêtue, mal logée, privée des jouissances qu'elle voit se multiplier pour quelques-uns, et minée par la misère, par l'ignorance, par l'envie et par le désespoir, dans ses forces physiques et morales, ne voit dans la société qu'un ennemi, et perd jusqu'à la possibilité d'avoir une patrie. »8

Cette contribution sera suivie par d’autres complémentaires.

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1 http://kadour-naimi.over-blog.com/2020/08/sortir-de-la-barbarie-ancre-partie-1-militarisation-et-robotisation.html

2 Voir la partie 1, déjà citée, de cette contribution.

3 « Mutual Aid : A Factor of Evolution » (L'Entraide, un facteur de l'évolution).

4 Henri Laborit, « L'agressivité détournée », cité dans mon essai « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?... », librement disponible in http://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits_guerre_paix.html. Les italiques sont les miens.

5 Ce thème sera approfondi dans la partie consacrée au politique.

6 Voir Philippe Buonarroti, « Cracchus Babeuf et la conjuration des Égaux ».

7 Voir mon témoignage concernant ma participation au mouvement populaire de mai 1968 en France, in http://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits-mai-68.html

8 Philippe Buonarroti, op. c. Les mots en italiques sont les miens.

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Publié sur

Algérie Patriotique (1 septembre 2020)

La Tribune Diplomatique Internationale (1 septembre 2020)

Réseau International (31 août 2020)

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #EDUCATION-CULTURE, #PEUPLE-DEMOCRATIE, #AUTOGESTION

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Publié le 25 Août 2020

SORTIR DE LA BARBARIE - Partie 1 : militarisation et robotisation

En ce début de vingtième et unième siècle, où en sommes-nous ?... Voici une contribution au débat. Seront respectivement exposés la situation actuelle (partie 1), un aspect particulier, la culture (partie 2), le problème de l’organisation (partie 3).

 

Prémisses.

1) Il ne s’agit pas de désespérer (cela porterait à la défaite voulue par l’adversaire), mais de trouver les moyens de riposte adéquate.

2) Il n’est pas question de renvoyer des antagonistes dos-à-dos ; toute remise en cause de l’hégémonie impérialiste états-unienne est utile pour éliminer de la planète ce gendarme-gangster mondial, mais également prévenir l’apparition d’un autre, de forme inédite.

3) Depuis la disparition de l’URSS, le monde est entré dans une époque de capitalisme triomphant et sauvage. Il est semblable à son apparition, mais en plus cruel parce que possédant plus de moyens. Toutefois, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’hégémonie de la nation actuellement dominante, états-unienne, est en déclin. Mais, comme tout empire allant vers sa fin, il recourt à tous les moyens, y compris les plus criminels, pour tenter de maintenir sa prédominance. Le monde est donc entré dans une guerre mondiale prolongée, dans tous les domaines, guerre « froide » pour le moment, où l’arme nucléaire tend à être mise en question comme garantie de dissuasion réciproque.

4) Sur la planète, surtout depuis l’échec des expériences « socialistes », l’espoir a disparu, laissant place à la peur et au désespoir chez trop de personnes. L’actuel covid-19 en est l’aspect apparent de l’iceberg. Partout et toujours dans l’histoire humaine, - depuis le dictateur colonisateur, Jules César, et le premier empereur chinois, le dictateur Qin Shi Huáng -, la peur citoyenne est l’instrument fondamental de toute forme de tyrannie ; les foules y succombent facilement, victimes de la « peste émotionnelle », décrite par Wilhelm Reich.

Pour ne pas succomber à cette angoisse paralysante et asservissante, il est vital, comme l’expliquait Sun Tze dans son traité, de connaître suffisamment les forces et les faiblesses respectives de l’ennemi et de soi-même. Des deux adversaires, celui qui parvient le mieux à cette connaissance s’assure la victoire. Il faut également ne pas confondre des batailles avec la guerre, mais considérer celle-ci dans toute sa durée ; généralement, elle est de temps long, parfois dépassant une génération humaine, et de formes multiples, la dernière étant le recours aux armes.

 

Critères comparatifs.

Les observations suivantes sont le résultat de la lecture de divers ouvrages, articles de presse et déclarations où sont comparées les nations les plus puissantes, actuellement en concurrence dans le monde. Celle hégémonique, états-unienne, veut maintenir sa domination coûte que coûte, tandis que deux autres, Chine et Russie, sont décidées à accéder à leur existence dans un monde multipolaire.

Quelque soit l’idéologie de l’auteur de livre, d’article ou de propos publics, que constate-t-on généralement ?… Des comparaisons dans les domaines militaire (combien d’ogives nucléaires), technologique (combien d’inventions et de brevets), économique (chiffres du PIB et autres indicateurs), autrement dit combien le pays comprend de scientifiques, de techniciens, de militaires, d’économistes, etc.

Mais rien, absolument rien concernant combien (certains riront ou ricaneront) de philosophes, de romanciers, de poètes, d’artistes, de psychologues, de psychiatres, d’anthropologues, d’archéologues, de pédagogues, etc. Tout ce qui contribue au développement de la raison, du sens de la justice, de la bonté, de la beauté, de l’utilité bienfaisante, tout ce qui permet à l’espèce humaine de s’affranchir de son animalité brutale, féroce, prédatrice, meurtrière, bref de s’émanciper de la cupidité et de l’ambition d’une minorité au détriment de la majorité, tout cet aspect n’est pas considéré dans la comparaison entre les nations les plus « puissantes » de la planète : les mots civilisation (culture) et barbarie semblent inexistants (1).

Bien entendu, la valeur d’une société dépend de sa capacité de fournir à chacun de ses membres les conditions matérielles d’une convenable existence : nourriture, logement, soins médicaux, transports, etc. Ces aspects concernent la partie charnelle, animale de l’humanité.

Mais qu’en est-il de l’esprit, donc de l’instruction ?… Consiste-t-elle uniquement à produire des savants, des ingénieurs, des techniciens, des militaires et des économistes et des… robots ?… Le but premier et dernier de l’instruction, notamment par la découverte des algorithmes et de l’intelligence artificielle, ce but est-il d’améliorer les conditions de vie humaine sur terre ou, au contraire, de fabriquer une humanité robotisée au profit d’une minorité d’oligarques, rétribuant la horde servile de savants, de techniciens, d’informaticiens, de militaires (et de propagandistes) ?

Puisqu’on évoque l’instruction, qu’en est-il également de cette forme d’instruction qu’est l’information ?… Consiste-t-elle uniquement à diffuser celle qui sert les intérêts d’oligarchies privées ou étatiques, en occultant toute autre information contestataire ? Si l’esprit n’a pas accès à des informations contradictoires, peut-il se former convenablement ? Ne se réduit-il pas à une caisse d’enregistrement de données, produites uniquement pour constituer des « opinions » et des images conformes aux oligarchies dominantes, quelque soit leur idéologie ? Est-ce ainsi que se forment des citoyens conscients des enjeux, capables d’éviter une guerre qui anéantirait l’humanité entière ?

Qu’un auteur d’ouvrages ou d’articles soit « conservateur » ou « libéral », de « gauche » ou de « droite », le raisonnement est respectivement celui d’Adam Smith (La nation ?... Quelles richesses matérielles ?), de Marx (La nation ?… Quel niveau des forces productives ?) (3), Staline (« Le Vatican ?... Combien de divisions », on dirait aujourd’hui : « Telle nation ?… Combien d’ogives nucléaires ? »). Dans toutes ces conception, les peuples, l’intelligence, la raison, la justice (ne parlons pas de la beauté) n’ont aucune importance.

 

Les livres manquants.

Quant au développement harmonieux de l’esprit humain, en terme de liberté, d’égalité et de solidarité, cela n’entre pas dans l’appréciation de la nation. Si, par hasard, on évoque des « valeurs culturelles ou civilisationnelles », on surfe dessus. On présente une appréciation superficielle d’idéologue louangeant le système politique dont il jouit dans sa nation, en dénonçant les « valeurs » de la nation concurrente. Bien entendu, l’idéologue en question évite soigneusement de reconnaître que sa nation et les autres ont un point commun : elles sont basées sur la cupidité (le profit) et l’ambition (le pouvoir) d’une minorité sur la majorité des citoyens composant la nation.

Le malheur des gens de « gauche » est d’avoir laissé leurs adversaires s’emparer et manipuler des thèmes comme « liberté », « droits de l’homme », « démocratie », « mondialisation », « émigration ». Le malheur des marxistes est d’avoir dédaigné l’éthique ou en l’évoquant de manière totalitaire (Trotski), en ignorant les travaux d’un Pietr Kropotkine, stigmatisé comme anarchiste.

« Le capital » nécessitait d’être complété par deux autres ouvrages : un sur l’éthique »et un autre sur la culture. L’absence de ces derniers condamna le marxisme à l’échec. Antonio Gramsci tenta de remédier en examinant le thème de l’hégémonie culturelle. Son emprisonnement par Mussolini arrangea les affaires pour Staline et, semble-t-il, son représentant italien Togliatti, au détriment du socialisme authentique.

Si donc des auteurs, réputés éclairés, et quelque soit, - répétons-le -, leur orientation idéologique, raisonnent uniquement en terme de puissance matérielle, nucléaire et électronique, que dire du reste des citoyens ? Et quel serait le futur de l’espèce humaine sur cette planète ?

Voici ce que l’on sait depuis longtemps :

« Dès qu'on eut placé le bonheur et la force de la société dans les richesses, on fut nécessairement conduit à refuser l'exercice des droits politiques à tous ceux qui n'offrent pas, par leur fortune, une garantie de leur attachement à un pareil ordre, réputé le bien par excellence.

Dans tout système social de ce genre, la grande majorité des citoyens, constamment assujettie à des travaux pénibles, est condamnée de fait à languir dans la misère, dans l'ignorance et dans l'esclavage. » (2)

Bien entendu, veillons aux distinctions concernant la poursuite des richesses matérielles. Tandis que ce but aggrave les inégalités aux États-Unis, il les diminue en Russie et en Chine. Cette dernière a amélioré le sort matériel des laissés pour compte, et se propose l’élimination totale de la pauvreté absolue. Il reste cependant que dans les trois nations, le capitalisme domine. Et, comme tout capitalisme, quelque soit sa « spécificité », il se caractérise fondamentalement par la cupidité et la domination d’une minorité sur la majorité des citoyens.

Par conséquent, il faut comprendre qu’au-delà de l’antagonisme capitalisme/communisme (ou socialisme, ou social libéralisme, ou social-démocratie, etc.), l’antagonisme réel fondamental est entre égoïsme dominateur et libre solidarité égalitaire (l’égalité entendue comme celle des besoins matériels et culturels, et non des facultés physiques et psychiques).

L’égoïsme se contente, par la domination, d’acquérir des richesses matérielles (au détriment des autres), tandis que la solidarité, libre et égalitaire, exige le partage équitable. Sans ce dernier, les richesses profitent principalement à une caste minoritaire de privilégiés exploiteurs. Le problème est donc fondamentalement éthique, culturel, civilisationnel, bref psychique. Là, aussi, le marxisme a failli à ne pas considérer cet aspect de l’humaine condition. La psychologie fut considérée une « idéologie bourgeoise ». Même quand Wilheim Reich démontra la tendance fascisante des travailleurs, les dirigeants du parti communiste allemand… l’expulsèrent. L’histoire leur a donné tort.

 

Militarisation et robotisation.

La partie intellectuelle de l’humanité, - encore une fois toutes idéologies confondues -, se contraint à la concurrence impitoyable, où la fin justifie les moyens. Les champs de combats, outre les traditionnels, sont actuellement l’espace, ainsi que le corps et le cerveau humains. La nette tendance est de militariser le premier et de robotiser les seconds. Les deux aspects se conditionnent et se complètent, constituant une menace à l’existence même de l’espèce humaine et de la planète qui permet sa vie.

En comparaison de la situation actuelle, celle décrite dans « 1984 » de Georges Orwell, en terme de contrôle totalitaire des citoyens, est littéralement de la rigolade.

La gestion du covid-19 révèle que, dans la partie intellectuelle de l’humanité, la composante dotée de science manque, dans sa majorité, totalement de conscience, remplacée par le compte en banque, « les richesses » disait Buonarotti. Telle est la loi fondamentale du capitalisme, cette troisième forme de cupidité et de domination, après l’esclavagisme et le féodalisme. La tentative de quatrième forme, le socialisme (ou communisme) échoua parce que la cupidité et la domination, sous d’autres formes, continuèrent à exister dans les « élites dirigeantes », formant les oligarchies étatiques totalitaires.

Dorénavant, les seules « Lumières » bienfaisantes de l’humanité ne proviennent pas des philosophes, moralistes, artistes, psychologues, pédagogues, etc.. Ceux qui défendent la liberté, l’égalité et la solidarité sont stigmatisés comme « utopistes », « irréalistes », « complotistes », « anarchistes », etc. Y comprise la minorité de l’élite qui opère dans les sciences, la technologie, la médecine, etc. Tandis que ceux qui défendent , quelque soit le domaine, la cupidité et la domination sont convenablement rétribués et dotés de « prestige » médiatique. Les « lumières » actuellement dominantes sont celles des explosions atomiques. Terrifier pour régner : recette de toujours, partout.

 

Les deux fléaux de l’apocalypse : cupidité et ambition.

Un des précurseurs fondamentaux de la révolution française écrit : « Discourez tant qu’il vous plaira sur la meilleure forme de gouvernement, vous n’aurez rien fait tant que vous n’aurez point détruit les germes de la cupidité et de l’ambition. » Où est la nation actuelle où ces deux monstruosités n’existeraient pas, d’une manière ou d’une autre ?

Certes, il est possible d’établir une échelle graduée avec des pourcentages, permettant un jugement plus objectif des diverses nations. Quel belle institution mondiale serait celle qui établirait ce tableau ! Elle ne pourrait être que citoyenne, et certainement soumise à tous les chantages et pressions des gouvernants concernés.

Pour faire accepter par les citoyens ces deux fléaux, la cupidité et la domination (pour la satisfaire), les « élites » dominantes bombardent l’humanité de propagande inspirée des maîtres en la matière. Pis encore : cette propagande utilise des moyens plus puissants, et même des inédits, littéralement totalitaires. Ces moyens se manifestent dans tous les domaines possibles : publications écrites, films, télévision, réseaux sociaux, (jeux vidéo, etc.). On appelle cela « information » et « divertissements » en continu, pour continuellement bombarder les cerveaux de mensonges politiques, tout en vendant les produits nocifs, le tout pour conforter les dividendes des marchands du superflu, et consolider la domination des oligarques.

Quelle est la cerise empoisonnante sur le gâteau de la servitude universelle ?... Les deux plus puissantes armes de conditionnement massif des cerveaux, la télévision et les jeux vidéo sur ordinateur ou téléphone portable. Quelque soit le pays et son système politique, ils diffusent principalement la haine et la violence par des humains, des robots ou une combinaison des deux, sur terre comme dans l’espace.

L’intérêt des peuples est clair : pas de dépendance, ni militaire, ni économique. Malheureusement, les deux principaux adversaires actuels ont fondamentalement le même système économique, avec, certes, des variantes diverses : capitalisme.  L’histoire le démontre amplement : le capitalisme, c’est la cupidité et la domination, de manière directe et militaire, ou indirecte et économique, ou, encore, par combinaison opportune des deux méthodes.

Comment mettre fin à ce monde des Super « Big brothers » ?… Par la culture et par l’auto-organisation. Elles seront respectivement évoquées dans les parties suivantes.

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(1) « Les institutions sociales n'ont pas été établies parce que l'homme est [pas seulement] un animal qu'il faut nourrir, mais parce qu'il est intelligent et sensible. La culture est faite pour embellir et aider la Société et la société n'est point faite pour [uniquement] fleurir l'agriculture. » Gabriel Bonnot de Mably, 1768, in « « Doutes proposés aux philosophes et aux économistes sur l'ordre naturel et essentiel des sociétés politiques ». Et encore : « Quand la propriété foncière [ou toute autre] serait beaucoup plus favorable à la reproduction des richesses qu'elle ne l'est en effet, il faudrait encore préférer la communauté des biens. Qu'importe cette plus grande abondance, si elle invite les hommes à être injustes et à s'armer de la force et de la fraude pour s'enrichir. Peut-on douter sérieusement que dans une société où l'avarice, la vanité et l'ambition seraient inconnues, le dernier des citoyens ne fût plus heureux que ne le sont aujourd'hui nos propriétaires les plus riches ? » Les mots entre [] sont ajoutés par moi.

(2)  Philippe Buonarroti : « Gracchus Babeuf et la conjuration des égaux ».

(3) Quand la traduction du « Capital » de Marx fut proposée à Bakounine, il nota que dans l’ouvrage la classe prolétarienne était considérée de manière métaphysique, comme un élément mécanique dans le système capitaliste, sans volonté ni subjectivité. Rappelons également le terme « masses » (employé en science physique), appliqué aux peuples ; il niait ainsi leur subjectivité et leur caractère d’agent conscient. La proclamation « Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes ! » fut occultée par tous les autoritaires, auto-proclamés uniques « savants » capables d’indiquer aux « masses » les recettes de leur paradis.

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Algérie Patriotique ( 24 août 2020),

La Tribune Diplomatique Internationale (24 août 20)

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 22 Août 2020

Scène de "Al hnana, ya ouled !" (La tendresse, les enfants !), 2012. Ecriture et rréalisation par l'auteur.

Scène de "Al hnana, ya ouled !" (La tendresse, les enfants !), 2012. Ecriture et rréalisation par l'auteur.

Suite à la contribution précédente (1), voici une partie complémentaire. S’adressant aux pratiquants du théâtre en Algérie, elle n’a aucune prétention de fournir des « recettes », mais simplement de contribuer, sur la base d’une expérience personnelle, à un débat sincère, sans langue de bois, sur le présent et le futur du théâtre algérien, à la lumière de son passé.

 

Encore l’occultation.

Désormais, chaque Algérien le sait : l’occultation historique est généralement un sport adulé chez l’ « élite » algérienne, dans tous les domaines.

Concernant le théâtre algérien, presque tous ceux qui écrivent occultent, par ignorance ou mauvaise foi, deux expériences : celle de Mohamed Boudia et celle du Théâtre de la Mer. Un article

tout récent affirme : « Après l’épopée du théâtre des pères fondateurs Mahieddine Bachtarzi, Allalou, Rachid Ksentini qui ont à leur façon préparé le peuple à la révolution en étant des lanceurs d’alerte et des éveilleurs de conscience, le théâtre des années 1960-70 fut une belle époque, car il s’est arrimé à l’universel avec des géants tels que Kateb Yacine, Kaki et plus tard Alloula. » (2) L’auteur de cette affirmation signe comme « Professeur à l’École Polytechnique d’Alger ».

Dans ce texte, l’activité et l’importance de Mohamed Boudia sont occultées. Serait-il, pour employer le vocabulaire du Professeur, un « nain » ? Probablement, puisque, après son assassinat par les services secrets sionistes, seuls les Palestiniens honorèrent sa mémoire, en l’absence de tout représentant étatique algérien, tant politique que culturel. À ma connaissance, en Algérie, pas un seul lieu culturel ne porte le nom de Mohamed Boudia. Néanmoins, signalons une publication qu’aucune maison d’édition algérienne n’a songé à publier, mais uniquement une petite maison d’édition militante en France : Mohamed Boudia, « Œuvres, Écrits politiques, nouvelles, théâtre et poésie » (3).

De même, mon activité au Théâtre de la Mer est également occultée. Un « nain », aussi, n’est-ce pas ? Kaki fut l’unique homme de théâtre algérien qui, dès ma première production théâtrale, en 1968, « Mon corps, ta voix et sa pensée », non seulement offrit un lieu pour sa représentation, mais déclara publiquement dans la presse l’importance innovatrice de cette création théâtrale.

Remarquons, en passant, une caractéristique de beaucoup de l’« élite » algérienne actuelle. Quand une personne algérienne s’est distinguée dans un domaine quelconque, l’adjectif employé n’est pas, comme dans les autres pays du monde, « intéressant », « grand », « important », « digne d’attention ». Non. En Algérie, cette personne est toujours « géant », « immense », « monument », « universel », « icône ». J’ai suffisamment connu Kaki pour affirmer : en lisant le terme « géant » appliqué à lui, il aurait eu son typique sourire narquois devant une telle absence de sens critique, doublée d’adulation vulgaire.

Ce recours au superlatif, à l’hyperbole et à la grandiloquence n’est-il pas la manifestation inconsciente d’un complexe psychique d’infériorité ? En effet, quel besoin justifie cette boursouflure, inexistante dans les nations qui disposent de personnalités dont le rôle fut remarquable ?

Avec l’occultation de la pratique théâtrale de Mohamed Boudia et de la mienne, les artistes actuels ou futurs du théâtre algérien sont privés d’expériences qui marquèrent leur époque, et demeurent précieuses à connaître pour pratiquer un théâtre caractérisé par l’éthique et l’esthétique les plus rigoureuses, autrement dit refusant toute forme d’opportunisme, favorisant « carriérisme » et privilèges. Il est vrai que le carriérisme et les privilèges ne peuvent pas évoquer des expériences qui dénoncent ces fléaux sociaux.

 

Clés.

Toute œuvre convenable contient une réplique qui la résume. Dans « Mon corps, ta voix et sa pensée », première pièce du Théâtre de la Mer (1968), la clé était : « Je cherche la vérité ! », prononcée par le philosophe Diogène, s’adressant directement au public.

En 1973, dans « Et à l’aurore, où est l’espoir ? », un jeune chômeur chantait : « Almaskîn lâzmou yatchaja’ / wal khammâr ifîg / al mahgour lâzmou yatkallam / Had alklâm a’lîk/ Hammak ya maskîn / ma jâch mnassmâ / mahouch maktoub, abadane ! / Hammak jâye man khiânat / ‘arag khaddamtak. » (Le pauvre doit prendre courage et le soûlard se réveiller, l'opprimé doit parler. Ce langage te concerne. Ton malheur, ô pauvre, ne vient pas du ciel, il n'est pas écrit, jamais ! Ton malheur vient du vol de la sueur de ton travail.) La pièce reçut le « Prix de la Recherche » au Festival International de Hammamet (Tunisie), mais, en Algérie, elle ne trouva aucun lieu pour sa représentation pour motif d’ « agitation subversive ».

Quarante années plus tard, en 2012, ma dernière pièce théâtrale réalisée en Algérie « Al hnana, ya ouled ! » (La tendresse, les enfants !), la clé de l’œuvre résume la situation algérienne, par la voix d’un ouvrier ivre. La scène et la réplique sont la reproduction de faits réels, vus personnellement une nuit à Alger : « Anâ naskar bachrâb !… Bassah antoumâ râkoum sakranîne bal hasd, bal kadb, bal kourh, bal ghouch, bal hogra ! » (Moi, je m'enivre de boisson !… Mais vous, vous êtes ivres d'envie, de mensonge, de haine, de tricherie, de hogra ! » (4)

Faut-il étonner de ce qui suit ?… La pièce eut une seule représentation à un festival algérien, puis interdite de présentation dans les théâtres régionaux. Il s’est trouvé une personne qui affirma : «  Kadour Naïmi est venu à Béjaïa monter une pièce, El Hanana Yaouled. Une véritable catastrophe ! »... Que l’on regarde l’unique représentation pour savoir où est la « catastrophe » ou, plutôt, l’imposture (5). En passant, notons le qualificatif employé par l’auteur ; c’est la marque de fabrique typique d’une certaine « élite » intellectuelle algérienne : on est soit un « mythe » ou une « icône », soit une « catastrophe », comme chez les fanatiques religieux on est soit « Ange », soit « Diable », comme chez les totalitaires on est soit « bon », soit « mauvais ». Incapacité de critique éthiquement honnête et intelligemment équilibrée. Devinez l’identité de l’auteur qui parle de « catastrophe ! »… L’actuel animateur officiellement désigné pour la réforme du théâtre en Algérie, Hmida Layachi... Le mouvement populaire déclenché en février 2019 est, comme les révolutions : certains les font, d’autres en profitent. Un Hmida Layachi comme animateur d’une réforme du théâtre algérien, est-ce là un signe de changement répondant aux vœux du mouvement populaire ? À ces derniers, l’Algérie serait-elle dépourvue d’une personnalité conforme ?… La désignation de Layachi n’est-elle pas, dans le domaine théâtral, un encouragement officiel à tous les opportunistes pour se servir (en servant leur mentor), sous prétexte de servir le théâtre algérien ? C’est la classique méthode du changer (de forme) pour ne rien changer (en substance). Larbi Ben Mhidi l’avait compris : « Après l’indépendance, le plus dur restera à faire ».

 

Erreurs fatales.

Dans l’expérience du Théâtre de la Mer, avoir par la suite accepter un financement de la part du Ministère du Travail installa dans la majorité des membres de la troupe la cupidité et l’ambition. Elles me contraignirent à quitter la troupe.

Deux autres erreurs personnelles ont suivi. Une première fut l’illusion de croire qu’au Théâtre Régional d’Oran il m’était possible de poursuivre mon activité théâtrale, de manière libre et au service du peuple. Pour le même motif, quarante années après, une tentative au sein du Théâtre Régional de Béjaïa se solda, elle, par un échec relatif. Dans les trois cas, ministère et directeurs d’établissement théâtral étatique, il s’agissait de « progressistes » et « démocrates ».

 

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"Mon corps, ta voix et sa pensée", représentation sur une place publique du quarttier populaire Al Hamri, à Oran (1969). A gauche sur la photo l'auteur.

"Mon corps, ta voix et sa pensée", représentation sur une place publique du quarttier populaire Al Hamri, à Oran (1969). A gauche sur la photo l'auteur.

Un théâtre populaire pour l’émancipation populaire.

Arrivons aux propositions pour se libérer des maux. Le théâtre, comme toute autre activité culturelle, peut soit conditionner le peuple à la servitude, soit le stimuler à conquérir la liberté pour réaliser ses droits légitimes de citoyenneté. Concernant mon activité théâtrale personnelle, le livre qui relate cette expérience existe en libre accès (6). Il tente de montrer en quoi cette activité demeure actuelle, valable comme source d’inspiration pour un théâtre digne de ce nom, c’est-à-dire au service de la bonté et de la beauté. L’exposé bref des principaux aspects expliquera le motif de l’occultation de l’expérience.

1. Pratiquer une activité théâtrale en dehors du système étatique, et la gérer de manière autogestionnaire, reprenant ainsi l’expérience de l’autogestion ouvrière et paysanne. Cette option n’exclut pas une activité au sein d’une structure étatique, à une condition : l’exercice réel et total de la liberté artistique, celle qui a comme objectif l’émancipation du peuple.

2. Présenter les œuvres en allant, d’abord et principalement, sur les lieux de vie, de travail ou d’études des spectateurs, privilégiant les travailleurs des villes et des campagnes. Pour que les représentations soient bénéfiques dans les théâtres étatiques, il faudrait s’affranchir de leur conception « élitiste » (7). Cela est possible en les transformant en lieux de production et de rencontres théâtrales non pas réservées uniquement à l’ « élite », mais également aux citoyens qui ne sont pas reconnus comme tels : le peuple travailleur (et les chômeurs) des villes et des villages. Il ne s’agit pas d’accuser le public de ne pas se rendre dans les théâtres étatiques. Celui qui s’est distingué par cette stigmatisation est… l’un des représentants officiels du théâtre en Algérie, nommé durant la sombre époque de Bouteflika (8).

3. Présenter les pièces en forme scénographique de « halga » traditionnelle (cercle). Cette innovation, inspirée de la tradition populaire algérienne, est un enrichissement artistique. Il nécessite la formation des pratiquants du théâtre à cette nouvelle manière de mise en scène. Ce mode de représentation n’exclut pas les établissements de théâtre classiques si, - rêvons ! - on les transforme de manière à rendre possible une scène scénographique circulaire. Aux Algériens qui ont tant de fierté à l’être, l’application de la scénographie en forme de « halga » serait une réelle innovation (ne tombons pas dans le ridicule de l’appeler « universelle »), inspirée de la tradition populaire.

4. Du point de vue économique, l’option autogérée implique des difficultés financières. Au Théâtre de la Mer elles furent résolues ainsi : une boite était mise à l’entrée de l’endroit de représentation ; les spectateurs y mettaient une contribution financière selon leur possibilité, libre aux autres d’assister gratuitement au spectacle. Le coût financier des réalisations théâtrales était possible en pratiquant un style formel dit « pauvre », c’est-à-dire essentiel, selon la règle : exprimer le plus avec le moins.

Aujourd’hui, certains proposent d’intéresser les affairistes privés à l’activité théâtrale. Où et quand dans le monde, un affairiste a financé une œuvre culturelle sans être motivé principalement par son profit financier ? Comment ce dernier serait-il compatible avec une activité culturelle qui doit, pour être digne de ce qualificatif, servir l’émancipation éthique et esthétique des citoyens ?

J’ai vu en Italie une représentation théâtrale. Elle était interrompue, toutes les quinze minutes, par une promotion publicitaire des marchandises de ceux qui avaient financé la production théâtrale. Est-ce là du théâtre ou une forme mercenaire et aliénante d’activité à travers le théâtre ?

Dans certains pays capitalistes, des « fondations » financent des productions culturelles. Examinez attentivement les œuvres, et concluez si elles contribuent d’une manière ou d’une autre à l’émancipation sociale des citoyens.

Ceci étant dit, si l’État ou un privé proposent une contribution financière ou un lieu de représentation, ils sont les bienvenus, à condition de ne pas rabaisser la production théâtrale à une propagande idéologique ou commerciale lésant les intérêts du peuple.

5. Le contenu des œuvres comme leur forme devraient s’inspirer des meilleures productions internationales, en synthèse créative avec les traditions populaires nationales. Ces œuvres ne serviraient pas à « tuer l’ennui » de personnes repues, en leur fournissant un « divertissement » confortant une « bonne » conscience de privilégiés. Au contraire, depuis les théâtres antiques grecs et chinois, les œuvres dignes de ce nom se caractérisent par leur contribution à une société humaine d’équité et de beauté. Plus de détails sur des propositions concernant le théâtre algérien sont exposées dans mon ouvrage cité, notamment le Livre 5 : Bilan général et perspectives.

 

« The question ».

Un ami oranais du temps du Théâtre de la Mer, émigré aux États-Unis, m’écrit : « Si on avait « des dirigeants » compétents et nous artistes solidaires les uns des autres et honnêtes, on ne se serait pas exilé sans aucun espoir de retour pour promouvoir la culture algérienne et le théâtre en particulier. Ça s’est empiré, car malheureusement l’argent facile a corrompu la plupart de nous. »

Mon avis est que la primauté doit aller à la solidarité entre artistes, ceux honnêtement dévoués au bien-être du peuple. Cette solidarité porterait les dirigeants à en tenir compte. « That is the question ». Le théâtre authentique, en Algérie comme ailleurs, doit s’inspirer d’un Shakespeare montrant « Quelque chose est pourri dans le royaume du Danemark », d’un Molière dénonçant l’imposture du « Cachez-moi ces seins que je ne saurais voir ! », d’un Sophocle dont Antigone préfère l’éthique humaine à la loi arbitraire.

L’un des inspirateurs de la révolution française de 1789, Diderot, écrivit : « Discourez tant qu’il vous plaira sur la meilleure forme de gouvernement, vous n’aurez rien fait tant que vous n’aurez point détruit les germes de la cupidité et de l’ambition. » Il en est ainsi de toute activité humaine, dont le théâtre. Pour qu’il renaisse en Algérie, encore mieux qu’auparavant, il est nécessaire que les authentiques amis et amies de l’art et du peuple se cherchent, se reconnaissent, s’auto-organisent de manière libre, égalitaire et solidaire, puis créent un réseau d’échanges.

L’action individuelle est impuissante : elle sera récupérée (achetée), sinon ostracisée et neutralisée, condamnée à l’exil intérieur ou extérieur. L’action collective, seule, peut donner des fruits. Mais soyons réalistes : l’action solidaire viendra uniquement d’artistes, mus par l’amour de l’art et du peuple. Combien sont-ils ?

Attention à la manipulation ! Un homme qui participa à une révolution populaire historique, ensuite récupérée par les démagogues, constata : « Toujours et partout, on berça les hommes de belles paroles : jamais et nulle part ils n'ont obtenu la chose avec le mot. » (9) Attention donc à qui, artiste ou autre, emploie le langage populaire, démocratique et progressiste pour tromper sur ses réels buts : s’offrir ou consolider des privilèges en terme de compte en banque et de « prestige » médiatique. Et si, à votre écart, des louanges de renard visant votre « fromage », on passe aux calomnies de l’envieux et à l’occultation de l’imposteur, soyez-en fiers : c’est la preuve que vous n’êtes ni cupide, ni ambitieux, ni servile. L’unique honneur est la reconnaissance d’un public auquel on offre un aliment à sa faim de connaissance, de justice et de beauté. « Le reste est silence » (Hamlet).

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(1) http://kadour-naimi.over-blog.com/2020/08/de-la-reforme-du-theatre-en-algerie.html

(2) Chems Eddine Chitour, 6-08-2020,

https://www.liberte-algerie.com/contribution/respect-a-lartiste-343849

(3) Premiers Matin de Novembre Éditions. Une version italienne est en préparation, là encore par une petite maison d’édition militante, où j’aurai l’honneur de rédiger la préface.

(4) Scène entière ici https://www.youtube.com/watch?v=t7LyHd18mLs

(5) https://www.youtube.com/watch?v=YhW3_B6UDto

(6) « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », http://www.kadour-naimi.com/f-ecrits_theatre_ethique_esthetique.html

(7) Une seule fois, le Théâtre de la Mer présenta une œuvre au T.N.A. d’Alger, mais en disposant les spectateurs sur la scène, en halga (cercle).

(8) Livre 5, Annexe 28 « Au théâtre, les absents sont les artistes ! » in « Éthique et esthétique... ».

(9) Sylvain Maréchal, « La conjuration des Égaux ».

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Algérie Patriotique ( 21 août 2020),

La Tribune Diplomatique Internationale (21 août 20)

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Publié le 19 Août 2020

Le 2 septembre 1945, sur la place Ba Dinh, Hanoi, le Président Hô Chi Minh a proclamé la Déclaration de l’Indépendance donnant naissance à la République démocratique du Vietnam. Photo : Archives/VNA/CVN

Le 2 septembre 1945, sur la place Ba Dinh, Hanoi, le Président Hô Chi Minh a proclamé la Déclaration de l’Indépendance donnant naissance à la République démocratique du Vietnam. Photo : Archives/VNA/CVN

Comment cet événement de portée historique fondamentale fut réalisé au Vietnam, quelles furent ses caractéristiques et quelle a été son incidence sur les plans national et international ?

À cet événement, les peuples alors colonisés doivent la démonstration du chemin à prendre : la résistance populaire pour s’affranchir du colonialisme (le qualifier de hideux, vile et criminel est un pléonasme). Il prétendait porter aux peuples les « bienfaits de la civilisation » sous forme d’agressions, de spoliations et de domination que les lois internationales, sinon la raison et la morale humaines, qualifient de crimes contre l’humanité.

L’histoire du peuple vietnamien, depuis son début, est celle d’une résistance acharnée à toutes les armées qui convoitaient son territoire, ses ressources naturelles et sa force de travail. Dans la pièce théâtrale que j’avais consacrée à ce sujet, on lit : « L’expérience historique d’un peuple, c’est la somme des difficultés qu’il a affrontées, les combats qu’il a soutenus, les échecs et les défaites dont il conserve le souvenir, les victoires qu’il a remportées. » (1)

Le peuple vietnamien, à travers son élite intellectuelle patriotique, eut toujours en mémoire cette histoire, dans tous les domaines : de l’étude historique à la poésie et à la musique, sans oublier les contes populaires.

À ce bagage s’ajouta, au début du vingtième siècle, le marxisme comme doctrine sociale. En 1925, il apparut avec le mouvement « La jeunesse révolutionnaire », fondé par Nguyen Aï Quoc (c’est-à-dire Nguyen le patriote), pseudonyme de Chi Minh.

Le combat libérateur, dirigé par Chi Minh, prit, alors, un double aspect : anti-colonial, pour l’indépendance nationale, d’une part, et, d’autre part, anti-féodal et anti-capitaliste. Le but proclamé était l’émancipation sociale du peuple, par l’élimination de ses exploiteurs-dominateurs, tant étrangers qu’autochtones.

La même élite dirigeante vietnamienne sut concevoir et pratiquer une stratégie de guerre adéquate : à la puissance matérielle de l’armée coloniale, opposer la puissance intelligente du peuple. Dans ce but, il fut conscientisé et mobilisé de manière efficace, en transformant la faiblesse matérielle en force intellectuelle.

Durant la seconde guerre mondiale, le régime colonial français dominant le Vietnam fut affaibli par l’invasion impérialiste japonaise. Les patriotes vietnamiens utilisèrent la nouvelle situation historique pour parfaire leur stratégie libératrice. Les difficultés de l’armée fasciste japonaise et la disparition de l’armée coloniale française furent exploitées de manière efficace par l’organisation patriotique vietnamienne, incarnée par le Viêt Minh (Front pour l’indépendance du Vietnam).

Profitant de la déroute de l’armée fasciste japonaise, le Viêt Minh lança le 13 août l’insurrection dans le pays. C’est à lui que le 19 août, les troupes occupantes japonaises présentèrent leur reddition. La Révolution d’août 1945 constitua donc un événement historique fondamental.

Le 2 septembre 1945, dans la capitale Hanoï, sur la place symbolique Ba Dinh, le Président Hô Chi Minh déclara l’indépendance de la patrie : « Le Vietnam, affirma-t-il, a le droit d’être libre et indépendant et, en fait, est devenu un pays libre et indépendant. Tout le peuple du Vietnam est décidé à mobiliser toutes ses forces spirituelles et matérielles, à sacrifier sa vie et ses biens pour garder son droit à la liberté et à l’indépendance. »

Cette victoire d’un peuple colonisé contre une armée dominant un empire, démontra qu’un peuple, colonisé durant un siècle, matériellement faible, a réussi, par la mobilisation de l’intelligence de son peuple, à se libérer d’une domination impérialiste, dotée d’une armée matériellement forte. Le sens humain de la liberté et de l’indépendance l’emporta sur la rapacité psycho-sociopathe qui n’a d’humain que le visage.

L’indépendance du Vietnam eut une influence considérable, stratégique sur les autres peuples colonisés de la planète. Notamment, le peuple algérien apprit la leçon. Elle produisit, en novembre 1954, le déclenchement de la guerre de libération nationale qui, sept années plus tard, aboutira à l’indépendance de l’Algérie. D’autres peuples colonisés parvinrent, d’une manière ou d’une autre, à conquérir leur indépendance nationale.

Le combat pour l’indépendance du Vietnam fut, également, au sein même des nations colonialistes-impérialistes, une source d’inspiration et de sensibilisation pour la partie de l’élite et du peuple de ces nations, qui avaient à cœur les principes de liberté, d’égalité et de solidarité, en particulier le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Mais, pour le peuple vietnamien, la rapacité impérialiste se présenta de nouveau. La formation de la République Démocratique, dans le nord du Vietnam, permit, alors, de résister mieux encore au retour de l’armée coloniale française, puis, une fois celle-ci vaincue à Dien Bien Phu en 1954, à poursuivre la résistance contre l’armée impérialiste états-unienne. À son tour, elle fut vaincue en 1975. Dans les deux victoires, se distingua le principe de la guerre populaire prolongée, dont le stratège fut le général Võ Nguyên Giáp.

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(1) « La Fourmi et l’Éléphant » relate l’histoire du peuple vietnamien, depuis sa constitution jusqu’à 1971, année de représentation publique de la pièce théâtrale. Le texte est librement disponible in http://www.kadour-naimi.com/LA%20FOURMI%20ET%20L_ELEPHANT_ETRE_OU_NE_PAS_ETRE_Kadour%20NAIMI.pdf

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Algérie Patriotique ( 18 août 2020),

La Tribune Diplomatique Internationale (17 août 20)

Réseau International ( 18 août 2020)

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 16 Août 2020

L'auteur dirigeant une répétition de "Al hnana, ya ouled !" (La tendressse, les enfants !), 2012.

L'auteur dirigeant une répétition de "Al hnana, ya ouled !" (La tendressse, les enfants !), 2012.

Dernièrement, un journal national publia un article sur un actuel projet de réforme du théâtre en Algérie, en instituant une commission.

Depuis l’indépendance, on a créé des commissions pour réformer ce théâtre. On connaît les résultats. Les réunions eurent l’avantage de faire bénéficier les membres de compensation financière, autrement, si la participation était « bénévole », la personne recueillait un profit sous forme de contrats bien payés en présentant une pièce de théâtre ou/et en la réalisant. Quant au résultat de la « réforme », on change pour ne rien changer, perpétuant le système.

À ma connaissance, l’unique réelle réforme tentée pour la création d’un théâtre populaire fut la décentralisation prônée par Abderrahmane Kaki. Hélas ! La direction nationale s’y opposa. Quand cette décentralisation eut lieu, les carences du Théâtre National de la capitale se répétèrent généralement dans les théâtres régionaux.

Comment des personnes, intéressées d’abord par une « carrière », autrement dit un salaire, accompagné éventuellement d’un « prestige » médiatique, seraient-elles capables d’opérer une réforme qui rende la production théâtrale digne ? Et qu’est-ce que la dignité du théâtre sinon d’offrir un contenu présentant complémentairement l’utile, le bon et le beau, en intéressant le public le plus large ?

Pour sa part, l’auteur de la présente contribution a tenté de définir ce genre de théâtre en le pratiquant, dès 1968 en créant le « Théâtre de la Mer »1. De l’avis de critiques nationaux et étrangers, ce fut la première et la plus radicale expérience de théâtre authentiquement populaire en Algérie. Bien entendu, comme tout ce qui est authentiquement populaire en Algérie, cette expérience théâtrale fut, par la suite, occultée quand pas récupérée en la travestissant ou en se l’appropriant2.

Revenons au projet de réforme théâtrale actuelle. Qui trouve-t-on parmi les membres de la commission ?

Omar Fetmouche. Comme ex-directeur du Théâtre Régional de Béjaïa, il laissa, sauf erreur, un bilan financier déplorable, caractérisé par la gabegie. Comme commissaire du Festival International de Théâtre, il me proposa l’écriture et la réalisation d’une pièce théâtrale. J’ai mis la condition, formulée publiquement, d’une liberté totale tant éthique qu’esthétique. Elle fut acceptée. Mais, assistant à la répétition générale de « Al hnana, ya ouled ! » (La tendresse, les enfants !), le « commissaire » voulut interdire la représentation. Seule la menace de ma part d’une conférence de presse pour dénoncer la censure, le contraignit à accepter, mais il fit en sorte que la représentation se déroula dans les pires conditions. Ensuite, contrairement à la promesse, la pièce fut interdite de représentation dans des théâtres régionaux3. Ainsi l’argent public qui servit à la production de la pièce fut gaspillé.

Autre membre de la commission : Hmida Layachi. Quelle est donc sa compétence en matière théâtrale ? Ajoutons un aspect éthique. Dans une interview à un journal national, il m'accusa en 2013 d’être retourné en Algérie pour « faire de l'argent ». J'ai usé d'un droit de réponse. Il ne fut publié, contrairement à la déontologie journalistique, qu'une semaine plus tard, et non pas dans le journal papier, mais dans celui électronique. Ce personnage fut à la tête d’un journal et d’une télévision. Sait-on d’où est venu l’argent, et pour quel motif ces deux moyens fermèrent ?

En Algérie, il n’y aurait donc pas de personnalités plus indiquées pour examiner une réforme du théâtre algérien ?

Une troisième personne déclara participer à la commission de manière « bénévole ». Ne sait-on pas que ce « bénévolat » se traduit généralement par des contrats ailleurs que dans la commission ?

Écartons un malentendu. Ces considérations ne sont pas causées par une aigreur pour n’avoir pas été personnellement sollicité à participer à cette commission. Dans mon essai publié en 2017, je déclarai ne pas être un candidat parce que ma conception théâtrale a des exigences : des pièces dont le contenu stimule l’esprit critique en vue d’une société libre, égalitaire et solidaire ; une forme esthétique alimentée par la meilleure production internationale conciliée avec des formes algériennes populaires ; un lieu de représentation qui soit le lieu de travail, d’études, de vie ou de loisirs des spectateurs, et non pas attendre leur venue dans un édifice théâtral qui leur est étranger comme architecture4, des artistes de théâtre qui travaillent et ne se contentent pas d’un salaire fonctionnant comme achat de paix sociale5.

Dans l’essai, j’ajoutai :

« Que cesse donc la priorité accordée à l’allégeance idéologique, quelque soit sa nature ; elle ne produit que conformisme, c’est-à-dire platitude. La seule « allégeance » acceptable et souhaitable est celle d’améliorer la situation matérielle et intellectuelle du peuple.

Que cesse le flot d’argent ministériel, même si restreint par la situation économique, à des arrivistes sans scrupules, nommés à des postes de gestion du secteur théâtral, ou comme directeurs de théâtres régionaux. Leur présence ne donne pas une bonne image de ceux qui les ont nommés : elle porte à croire que ces derniers sont soit incompétents soit complices. »6

Pourtant, en Algérie, des personnes compétentes existent. Par exemple, les membres du jury de la 10ème édition du Festival du théâtre professionnel d'Alger de 2015 déclarent :

« Le jury recommande également la révision des mécanismes de production des différents théâtres et notamment l’élaboration d’une dynamique d’encadrement et de distribution des pièces produites. Il a, par ailleurs, insisté sur la sacralité de la liberté de création et de critique, sur l’urgence de développer une politique de formation efficiente, la création d’une revue mensuelle spécialisée dans le 4e art et dans la critique théâtrale, et enfin rapprocher les lieux d’hébergement et y organiser des activités parallèles au festival. »7

Une authentique réforme du théâtre doit contribuer à l’émancipation culturelle du peuple, et non bénéficier uniquement à des personnes sous forme de salaire et de privilèges, même si ces personnes ont l’imposture de se proclamer « progressistes », « démocrates », « pro-mouvement populaire ».

Ceci étant dit, il ne faut pas pointer du doigt uniquement les responsables étatiques. Les artistes ont également, et eux d’abord, la responsabilité de la situation du théâtre en Algérie. La prochaine contribution s’adressera à eux.

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1 Voir « Éthique et Esthétique au théâtre et alentours », Livre 1 : « En zone de tempêtes », point 6.2. « A propos de « pop » ; Livre 5 : « Bilan général et perspectives », partie Annexe 2. « Charte », Annexe 5 : « Naïmi Kaddour à la recherche d'un théâtre algérien, moderne et révolutionnaire », Annexe 7 : « Alter et auto­théâtre », Annexe 14 : « Nous essayons de promouvoir un théâtre dialectique ». Librement disponible in http://www.kadour-naimi.com/f-ecrits_theatre_ethique_esthetique.html

2 « Éthique... », Livre 2 : « De l’écriture de l’histoire ».

3 Détails in « Éthique... », Livre 4 : « Retour en zone de tempêtes ».

4 Voir « Éthique... », Livre 5, Annexe 28 « Au théâtre, les absents sont les artistes ! »

5 Voir « Éthique... », Livre 5, Annexe 29 : « Rêve théâtral ».

6 « Éthique... », Livre 5 / point 5.1. « Responsables de la gestion du secteur théâtral. »

7 « Éthique... », Livre 5, point « 2. Un jury libertaire, ça existe ! »

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Algérie Patriotique ( 15 août 2020),

La Tribune Diplomatique Internationale (15 août 20)

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 9 Août 2020

Explosion dans le port de Beyrouth, août 2020.

Explosion dans le port de Beyrouth, août 2020.

Les destructions d’infrastructures civiles et leur lot de massacres de population, dont le Liban vient d’être victime, reportent au passé, susceptible d’éclairer le présent, au-delà de la propagande.

 

Hiroshima et Nagasaki.

Le hasard fait coïncider la publication de cette contribution au mois pendant lequel deux bombes atomiques furent, pour la première fois dans l’histoire humaine, lancées par l’armée états-unienne non pas sur des objectifs militaires, mais sur la population civile à Hiroshima et Nagasaki. Prétexte invoqué : éviter des millions de morts en cas de continuation de la guerre classique. Les documents dévoilent la vérité : l’extermination de la population civile des deux villes servait d’avertissement à l’Union soviétique, qui disposait d’une armée impressionnante, pour lui dire qui tenait le bâton de gendarme hégémonique sur la planète.

 

Irak.

En 2003, durant l’agression de l’armée états-unienne contre l’Irak, appelée joliment, pour ainsi dire, « Operation Iraqi Freedom », je fus l’un des millions de personnes totalement effarées : « Comment de telles incroyables destructions sont commises, pas seulement contre des militaires et leurs infrastructures, mais tout autant sinon plus contre la population et les infrastructures civiles ? »

N’étant pas victime des « explications » d’experts de journaux et de plateaux de télévision, contrôlés par des propriétaires privés et/ou étatiques, j’ai cherché, y consacrant le temps et l’effort nécessaires. Jusqu’à arriver à la source. Voici ce que j’ai lu puis publié1.

 

« Shock and Awe » (Choque et terrorise)

Disponible sur le site de l' « US Department of Defence's Command and control Resarch Program », on lit dans le document intitulé « Shock et Awe : Achieving Rapid Dominance » (Choque et terrorise : réaliser une rapide domination ) :

« Les valeurs fondamentales et la vie sont les objectifs principaux, et le but est, en attaquant et en endommageant peu, de convaincre la majorité que la résistance est inutile. La société tout autant que les militaires sont les objectifs2. »

« Choquer et terroriser sont des actions qui suscitent un sens de peur, de danger et de destruction qu'une grande partie des secteurs/éléments spécifiques de la société e de leur leadership menacé n'est pas en mesure de comprendre. La nature, par exemple, quand elle se manifeste par des événements extraordinaires comme la tornade, les ouragans, les tremblements de terre, les inondations, les incendies incontrôlées, les famines et les maladies peut générer choc et terreur. Un exemple de suprême application militaire du concept « Choque et terrorise » est le lancement des deux bombes atomiques en territoire japonais durant la seconde guerre mondiale3. »

On lit encore dans le document :

« Le choix des objectifs pourrait inclure des moyens de communication et de transport, des industries alimentaires, de fourniture hydrique et autres éléments infra-structurels. (...) également pour provoquer rapidement un niveau de choc national semblable à l'effet du lancement des bombes nucléaires de Hiroshima et Nagasaki sur les Japonais.

Le second exemple est « Hiroshima et Nagasaki » signalé auparavant.

L'intention ici est d'imposer un régime de Choque et Terrorise instantané, des niveaux de destruction de masse quasi incompréhensibles, visant à influencer la société dans sa majorité, aussi bien les dirigeants que le public, plutôt que d'attaquer directement des objectifs militaires ou stratégiques, même avec relativement peu comme nombre ou systèmes. L'usage de cette possibilité contre la société et ses valeurs, appelé « counter-value » dans le jargon de la dissuasion nucléaire, consiste en attaques destructives massives contre la volonté publique de l'adversaire à résister et, idéalement, rendrait incapable cette volonté, immédiatement et rapidement, en peu d'heures ou de jours4. »

« Cependant, il est de vitale importance de donner l'impression que n'existent pas de paradis sûrs et que chaque objectif peut être attaqué à tout moment, impunément et avec force5. »

« Le juste équilibre entre choc et terreur doit donner la perception et pré-annoncer une défaite certaine, en menaçant et en faisant craindre que l'action puisse suspendre le fonctionnement de toute ou d'une partie de la société ou annuler sa capacité de combattre par effet d'une destruction physique totale6. »

Si, malgré la lecture de ces extraits, on continue à rester effaré par le nombre des victimes civiles, la réponse est également donnée : « Nous ne faisons pas le compte des corps [des morts] »7. Le général états-unien parlait évidemment non pas des corps des morts miliaires U.S., mais des militaires et de la population civile agressés. De fait, dans toutes les agressions perpétrées par l’armée états-unienne, on ignore le nombre de morts dans le camp adverse. Seul compte le nombre de morts dans le camp états-unien, car la leçon vietnamienne a enseigné : si le nombre de morts parmi les « cow-boys » de l’armée impérialiste dépasse un certain chiffre, les « braves » et « patriotes » citoyens des États-Unis se mobiliseraient pour mettre fin à la mort de leurs « enfants », « maris », « épouses », et « parents ».

Ceci étant dit, la stratégie militaire états-unienne a sa méthode de propagande : les destructions infligées au peuple irakien avaient pour but sa « freedom » (liberté). Évidemment. Tout comme, concernant le port de Beyrouth8, les dirigeants d’Israël manifestent soudain et pour la première fois leur « solidarité » avec le Liban9.

Durant l’agression de l’armée états-unienne contre le Vietnam, on lisait : « La solution au Vietnam, c'est plus de bombes, plus d'obus, plus de napalm, jusqu'à ce que l'autre craque et abandonne10. » « On va les bombarder jusqu'à ce qu'ils retournent à l'âge de pierre11. » De fait, l’aviation états-unienne a déversé sur le Vietnam plus de bombes que toutes celles lancées durant la seconde guerre mondiale. Encore aujourd’hui, l’agent orange continue ses criminels méfaits dans la population vietnamienne.

 

« Mauvais élèves »

Alors, totalement puissants et omnipotents, les impérialistes, même en commettant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, tels que définis dans les textes internationaux officiels ?… Réponse de l’auteur de la stratégie qui a vaincu militairement l’armée colonialiste française, puis celle impérialiste états-unienne :

« J'ai apprécié le fait qu'ils ont des systèmes d'armes sophistiquées mais je dois dire que ce fut le peuple qui a fait la différence, non les armes12. »

Et encore :

« Demande : Qu'y avait-il de nouveau dans l'idée de « guerre du peuple » ?

Giap : C'était une guerre pour le peuple par le peuple. POUR le peuple, parce que les objectifs de la guerre sont les objectifs du peuple – objectifs comme l'indépendance, un pays unifié, et le bonheur de son peuple... Et DU peuple - qui signifie les personnes ordinaires - non seulement l'armée, mais tout le peuple.

Nous savons que c'est le facteur humain, et non les ressources matérielles, qui décide de l'aboutissement de la guerre. Voilà pourquoi notre guerre du peuple, guidé par Ho Chi Minh, a été à une aussi grande échelle. Elle a engagé la population entière13. »

Se pose, alors, la question : quels motifs psychologiques ont empêché les dirigeants U.S. de tenir compte de la leçon de Corée et surtout de celle du Vietnam ?

Réponse :

« Au cours de la Seconde Guerre mondiale, nos chefs étaient en symbiose avec la réalité. Mais, ensuite, nous sommes devenus si riches et si puissants que notre commandement a perdu sa faculté de penser d'une façon créatrice. L'arrogance a remplacé le réalisme. Au Vietnam, nos chefs militaires et civils ne pouvaient tout simplement pas admettre que nous puissions perdre. Les administrations successives s'illusionnaient et se complaisaient dans le phantasme que nous pourrions maintenir éternellement une présence des États-Unis dans ce pays. Le soldat américain devint ainsi la victime de son propre commandement, plus que de l'ennemi. Quelle amère leçon, difficile à admettre.

Si nous étions restés au Vietnam nous n'aurions pu le faire qu'au prix d'une ponction lourde et permanente sur notre économie. Mais, surtout, nous aurions souffert d'une plaie morale persistante en essayant de dominer un peuple qui ne nous aurait à aucun moment acceptés14. »

L’erreur se répète. Les peuples afghan et irakien résistent encore à l’occupation impérialiste états-unienne. Et les peuples du Moyen-Orient, en premier lieu en Palestine, résistent à l’occupation colonialiste et aux agressions de l’armée israélienne.

 

L’humain supérieur au matériel.

Comment interpréter les diverses agressions impérialistes états-uniennes et autres, ainsi que le colonialisme israélien en Palestine et ses agressions contre les pays de la résistance au Moyen-Orient ?

Réponse du général Vo Nguyên Giap : « le colonialisme américain est un mauvais élève. Il n’apprend pas les mauvaises leçons de l’histoire ». Il en est de même de tous les impérialismes parce qu’ils sont par caractère psycho-sociopathes, autrement oseraient-ils massacrer des populations civiles ?

Concernant le colonialisme israélien, le général Moshe Ayalon déclara : « On doit faire comprendre aux Palestiniens, au plus profond de leur conscience, qu'ils sont un peuple vaincu15. » Encore un « mauvais élève ».

Aujourd’hui, au Liban, en Palestine et ailleurs, des résistances appliquent, chacune à sa manière, la guerre populaire prolongée, pratiquée par le peuple vietnamien. En particulier, depuis la victoire militaire de 2006 du Hezbollah contre l’armée coloniale israélienne, l’agression actuelle contre le port de Beyrouth laisse croire au recours impérialiste au « bâton »-bombe16 pour neutraliser le redouté Hezbollah en particulier, la résistance du peuple libanais en général et, au-delà, terroriser les peuples de la région pour les dominer.

À moins d’exterminer physiquement les peuples, ils continueront à résister aux agressions, montrant sur la longue durée la supériorité du facteur humain sur celui militaire. Aux psycho-sociopathes qui disposent d’une puissance matérielle considérable, il restera le recours à une guerre nucléaire, mais elle porterait certainement à l’extinction de l’espèce humaine toute entière. Les psycho-sociopathes tiennent à leur vie, mais attention aux « docteur Folamour » ! Ils ne peuvent être neutralisés que par la mobilisation citoyenne solidaire de leur nation et des nations agressées.

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1Livre gratuitement disponible in http://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits_guerre_paix.html

2« Chapter 2 : Shock and Awe » (Chapitre 2 : Choque et terrorise), Harlan K. Ullman et James P. Wade in « Shock and Awe : Achieving Rapid Dominance », Washington D.C., National Defense University Press, décembre 1996. Toutes les citations de l’anglais sont une traduction personnelle.

3Amiral Bud Edney, « Annexe A, Thoughts on Rapid Dominance » (Pensées sur la domination rapide). Cette seconde partie de la citation se trouve également chez William Blum in « Il libro nero degli Stati­Uniti » (Le livre noir des États­Unis, titre original : « Killing Hope. U.S. Military and CIA Interventions Since World War II »), Fazi Editore, 2003, p. 692. La source originale du document est indiquée dans sa note 88 p. 884.

4 « Chapter 2 : Shock and Awe » (Chapitre 2 : Choque et terrorise) in Harlan K. Ullman and..., o. c.

5 Idem, Chapter 4.

6 Idem, « Chapter 5 : Future directions ».

7 Général Tommy Franks, citation sur le site www.iraqbodycount.org, visité le 15 avril 2008.

10 Général U.S. DePuy, cité in « A Bright Shining Lie » (Un lumineux étincelant mensonge) de Neil Sheehan, ex-journaliste U.S. durant la guerre du Vietnam, Édition Random House Inc., New York, 1988, p. 732. Le livre fut récompensé par le National Book Award en 1988 et du Prix Pulitzer en 1989.

11 Curtis Le May, chef de l'aviation US durant la guerre contre le Vietnam, idem, p. 453.

12Général Vo Nguyen Giap, dans le site CNN, visité le 16 avril 2008.

13 Interview avec Vo Nguyen Giap, du site People Century, visité le 16 avril 2008. Les majuscules sont dans le texte de l'interview. Traduction personnelle de l’anglais.

14 In « A Bright Shining Lie », o. c., p. 7, p. 381 de l'édition française.

15 Cité par Alain Gresh dans le mensuel « Le Monde diplomatique », février 2009, p. 10

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 3 Août 2020

Travailleurs de Numilog, filiale Cevital en grève.

Travailleurs de Numilog, filiale Cevital en grève.

Durant les débats sur le système social algérien le plus convenable, certains préfèrent un système capitaliste, à l’exemple des nations où il domine. L’argument avancé est : ainsi, l’Algérie parviendrait à un niveau de développement économique et de démocratie politique qui garantirait un progrès général. Qu’en est-il en fait ?

Voici un événement qui annonce la caractéristique de ce capitalisme en Algérie.

« Le 30 juin 2020, l’entreprise privée NUMILOG de Bejaia, filiale de CEVITAL, a licencié abusivement trois syndicalistes et sanctionné plusieurs travailleurs pour avoir participé à la création régulière d’une section syndicale. Plus grave, depuis le 9 juillet l’employeur ferme carrément l’entreprise, suspend la totalité des travailleurs en grève et entreprend de les remplacer, ce qui est interdit par loi. Alors que le peuple algérien se mobilise depuis 17 mois pour faire tomber un régime despotique et faire triompher la justice sociale et la démocratie, Numilog/Cevital fait régner l’esclavage et la terreur à l’intérieur de l’entreprise et viole le droit le plus élémentaire accordé aux travailleurs par la constitution et le code du travail. Dénier aux travailleurs le droit syndical c’est agir contre la volonté du Hirak d’instaurer une véritable démocratie. Dans ce combat inégal, les travailleurs de Numilog qui ont levé l’étendard de la lutte ne peuvent compter que sur la solidarité agissante des travailleurs des autres secteurs et de tous ceux qui militent pour la démocratie. Nous syndicalistes, travailleurs, retraités et citoyens, qui militons pour la démocratie et la justice sociale, signataires ci-dessous, exigeons la réintégration des travailleurs licenciés et la reconnaissance de leur organisation syndicale. » (1)

Est-ce donc ce modèle capitaliste qui assurerait un développement harmonieux de l’Algérie ?… Certains oseraient répondre oui, avec l’ « argument » suivant : « Les travailleurs n’ont qu’à accepter les plans de production du patron, sinon qu’ils créent leur propre usine ! », laissant sous-entendre qu’ils en sont incapables, et qu’ils devraient donc remercier « celui qui leur accorde de quoi vivre ».

Cependant, interdire la création d’un syndicat libre et autonome des travailleurs dans une unité de production, est-ce un signe de démocratie ou, au contraire, de totalitarisme ?… Ceux qui reprochent à l’État actuel de créer des difficultés à la création de syndicats autonomes, qu’attendent-ils pour faire le même reproche à un capitaliste algérien qui agit comme la pétition le décrit ? Et ne faut-il pas débattre de manière honnête, objective et rationnelle de ce capitalisme ? Les travailleurs y sont considérés non pas comme êtres humains et citoyens, mais uniquement comme marchandise, à utiliser ou jeter en fonction d’un seul critère : le profit financier d’un propriétaire d’un moyen de production, encore faut-il savoir comment il est parvenu à ce statut.

Remercions le patron de Numilog pour la très précieuse leçon pratique qu’il donne au peuple algérien. Pour ce patron, en ce qui concerne son action telle que décrite dans le document évoqué, le plus important n’est pas l’ « ethnie » (la solidarité entre Kabyles), ni la religion (la solidarité entre musulmans), ni le patriotisme (la solidarité entre Algériens), ni l’espèce humaine (la solidarité entre êtres humains), mais d’abord le profit financier personnel, par l’exploitation de la force physique de travailleurs. Ce qui démontre ceci : éliminez le profit financier (2), autrement dit la base du système capitaliste, par nature égoïste et rapace, et vous n’aurez plus de problème religieux ni « ethnique », parce que, alors, le système social aurait comme base le triptyque social : liberté, égalité, solidarité. « Utopie ! » s’exclameraient certains. Se libérer de l’esclavage puis du féodalisme furent des utopies qui se réalisèrent. Pourquoi en serait-il autrement pour l’esclavage moderne qu’est le capitalisme, et d’abord de ce capitalisme qui interdit le droit, reconnu par la Charte des Nations Unies, dont l’Algérie est signataire, de créer un syndicat pour défendre l’intérêt légitime des travailleurs ?... Encore un aspect à débattre pour édifier une Algérie telle que la souhaitaient celles et ceux qui ont lutté pour son indépendance nationale, et telle que la voudrait quiconque tient à cœur l’édification d’une nation aux valeurs harmonieuses.

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(1) Document du Comite de solidarité avec les travailleurs de Numilog. La pétition peut être signée en envoyant un mail à : numilogsolidarite@gmail.com

(2) Ceux qui prétendent que le profit financier est dans la « nature » humaine, sont soit des idéologues manipulateurs, soit ne connaissent pas convenablement l’histoire réelle de l’espèce humaine.

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Publié sur

Algérie Patriotique (2 août 2020),

https://tribune-diplomatique-internationale.com/filiale_numilogrebrabcapitalisme_algerien/ (2 août 2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 30 Juillet 2020

Les avatars de Goebbels contre la Chine

Que le système politique chinois soit critiquable, dans ses actions internes et externes, cette critique est normale, comme est critiquable tout système politique où certains considèrent leurs intérêts lésés, au niveau intérieur ou extérieur. Mais, il y a la propagande des disciples de Goebbels dont il faut veiller à ne pas être victime. Comparez le dernier discours (1) de Mike Pompeo (militaire, avocat, homme d'affaires et actuel secrétaire d'État des États-Unis) et les discours de Joseph Goebbels avant l’agression nazie, à commencer par la Pologne.

Ce texte fait suite à l’invitation d’un ami, de conception sociale au service des peuples, qui m’invita à signer une pétition dénonçant le « sort » des Ouïghours en Chine, pétition que j’ai évidemment refusé de signer, en fournissant la justification.

Précisons que l’auteur de la présente contribution a vécu plusieurs années en Chine jusqu’à récemment, et a connu, entre autre, des Ouïghours.

L’ami qui m’a contacté, dans sa bonne foi, est certainement victime de la propagande qui vient de se déchaîner, suscitée et orchestrée par les représentants de l’oligarchie impérialiste états-unienne, dans sa guerre commerciale pour demeurer l’exploiteur-dominateur hégémonique mondial.

Rappelons donc les accusations de ses politiciens et « intellectuels » idéologues, suivis par leurs vassaux, concernant les « armes de destruction massive » de Saddam Hussein, la fiole brandie par Powels à une séance des Nations Unis, les prétendus bébés en couveuse maltraités par les soldats irakiens au Koweït. De gros, d’immenses mensonges dont Goebbels aurait pu être l’auteur, pour agresser une nation, occuper son territoire en y installant des bases militaires et voler ses ressources naturelles, dont le pétrole. Voilà la vérité au-delà de la propagande de style nazie, mais masquée par une phraséologie genre « défense des droits de l’homme » (2).

À présent, le scénario se répète, identique dans le recours aux mensonges les plus goebbelsiens (néologisme volontaire).

Comme dans le passé, celui précédent l’agression états-unienne contre l’Irak, et comme dans un passé plus lointain, - l’agression du régime nazi contre d’autre nations -, voici les mensonges éhontés les plus gros, les plus horribles, les plus scandaleux, jusqu’à l’irrationnel, de la part des moyens de propagande états-uniens, suivis par leurs vassaux, contre la Chine.

Le terrain est facilité par le fait que la majorité des citoyens occidentaux et autres ignorent presque tout de la réalité chinoise. Pis encore, ils sont victimes, depuis tellement longtemps, de tous les stéréotypes colonialistes, impérialistes et néo-colonialistes dont le peuple et les dirigeants chinois sont stigmatisés.

Qu’on se rende compte. Quand la Chine était dirigée par Mao Tsé Toung, les oligarques capitalistes impérialistes demandaient à la Chine de devenir capitaliste. Maintenant que la Chine a recours aux règles capitalistes dans le marché mondial, les mêmes lui reprochent ce fait. Le motif ?… La Chine n’entend pas être vassal de l’exploiteur-dominateur mondial états-uniens, mais elle déclare vouloir contribuer à l’instauration d’un système qu’elle appelle « gagnant-gagnant », en bénéficiant de toute la place qu’elle mérite comme puissance nouvelle.

Que la stratégie chinoise actuelle soit critiquable est une chose. De là, à la stigmatiser jusqu’à l’outrance par l’oligarchie états-unienne, avec un renfort de mensonges goebbelsiens, c’est le comble : le voleur qui crie au voleur. En effet, considérons les méfaits de l’impérialisme états-unien depuis sa naissance. Parmi eux, nombreux et documentés sont les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité (agressions militaires, organisation de coups d’État, blocus économiques), sans parler de la ségrégation raciale aux États-Unis. Ces méfaits autorisent-ils à brandir les « droits de l’homme » pour critiquer les actions de la Chine ?

Quant à ceux qui évoquent les Ouïghours, combien, d’une part, rappellent les Ouïghours qui, en Syrie, se sont distingués par les crimes les plus atroces contre la population syrienne, et, d’autre part, rappellent que le gouvernement chinois a déclaré vouloir lutter contre le fondamentalisme et l’extrémisme religieux qui se manifestent comme terrorisme dans la région des Ouïghours ?

J’invite donc ceux qui ont à cœur sincèrement la défense des intérêts des peuples, quelque soit leur nation, de prendre la peine de se documenter suffisamment, avant de se faire une opinion sur les problèmes actuels de cette planète. Hélas ! L’époque des réseaux sociaux et la domination du « aller le plus vite possible » portent aux préjugés, considérés une opinion objective, et à la manipulation des gens par de très puissantes officines de propagande, qui, en plus de leur méthode goebbelsienne, disposent, davantage que le chef de la propagande nazie, de moyens de conditionnement des citoyens. Que les personnes réellement honnêtes s’informent donc correctement. Cet effort exige du temps, de la recherche patiente et obstinée, car les moyens d’informations objectifs sont rares, et occultés par la puissance des médias capitalistes impérialistes.

Napoléon aurait dit : « Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera ». Il faut préciser que le « monde » en question est celui des colonialistes, impérialistes et néo-colonialistes, dont Napoléon était un sinistre et arriviste représentant (3).

Écartons un malentendu possible. Dénoncer les mensonges de l’oligarchie états-unienne et de ses vassaux en ce qui concerne la Chine ne signifie pas accepter le remplacement de l’hégémonie impérialiste états-unienne par une autre, éventuellement chinoise. Le problème est de contribuer, par l’élimination de l’hégémonie impérialiste états-unienne, à l’instauration d’un système mondial où toutes les nations soient respectées, quelque soit leur dimension, et qu’entre les nations la coopération libre, égalitaire et solidaire soit la règle universelle. C’est l’unique manière de pratiquer le principe « gagnant-gagnant ».

Malheureusement, l’époque actuelle se caractérise par l’intervention des va-t’en-guerre, par définition psycho-sociopathes. La guerre est une occasion pour les riches de « faire du business », de s’enrichir davantage (4). Et dans la guerre, la première victime est la vérité des faits. Les va-t-en-guerre sont ceux qui voudraient maintenir l’hégémonie criminelle (5) du capitalisme impérialiste. Voici, en substance, ce qu’affirma un spécialiste praticien dans le domaine nucléaire : U.S.A., Russie et Chine disposent de missiles nucléaires. Un seul missile a la puissance de la totalité des bombes lancées durant toute la durée de la seconde guerre mondiale. Une première attaque de l’un des protagonistes causerait la mort d’environ 200 millions de personnes en quelques minutes. Une seconde attaque ferait disparaître l’espèce humaine d’une planète alors réduite à un désert. Les psycho-sociopathes, de mentalité hitlérienne, tout en évoquant les « droits de l’homme » et « le monde libre », s’en « foutent », pour parler leur langage. C’est dire que la vigilance doit être au niveau extrême (6).

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(1) https://www.state.gov/communist-china-and-the-free-worlds-future/

(2) Voir mon essai « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ? », http://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits_guerre_paix.html

 (3) Durant la Commune de Paris, les Communards détruisirent la colonne Vendôme, symbole de ses crimes impérialistes.

(4) Voir Major General Smedley Butler : « War Is A Racket ».

(5) Voir John Perkins, « Confessions of an Economic Hit man »
(
Les Confessions d'un assassin financier), dont voici un extrait (traduction personnelle) :

« Les assassins financiers sont des professionnels grassement payés qui escroquent des milliards de dollars à divers pays du globe. Ils dirigent l’argent de la Banque mondiale, de l’Agence américaine du développement international (US Agency for International Development – USAID) et d’autres organisations « humanitaires » vers les coffres de grandes compagnies et vers les poches de quelques familles richissimes qui contrôlent les ressources naturelles de la planète. Leurs armes principales : les rapports financiers frauduleux, les élections truquées. les pots-de-vin, l’extorsion, le sexe et le meurtre. Ils jouent un jeu vieux comme le monde, mais qui a atteint des proportions terrifiantes en cette époque de mondialisation. Je sais très bien de quoi je parle... car j’ai été moi-même un assassin financier. »

(6) Lire, par exemple, https://reseauinternational.net/le-dernier-des-ouighours-et-les-derniers-des-journalistes/#_ednref4

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #EDUCATION-CULTURE, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 6 Juillet 2020

Lors de la manifestation du 31e vendredi à Alger-Centre. PPAgency

Lors de la manifestation du 31e vendredi à Alger-Centre. PPAgency

Partout dans le monde et depuis toujours, tant qu’un mouvement populaire ne se dote pas d’une auto-organisation libre, égalitaire et solidaire, il est victime de soit-disant représentants auto-proclamés. Ils manipulent le mouvement populaire, lui faisant croire d’adopter ses objectifs. Parallèlement, ces manipulateurs neutralisent quiconque dénonce cette manipulation, par la stigmatisation, sinon la violence, occulte sinon déclarée.

Quelles que soient les « bonnes » intentions des manipulateurs, ils infiltrent le mouvement populaire (ou son organisation autonome, s’il parvient à la constituer), se proclament (en arguant de leur « savoir » académique ou autre) défenseurs des objectifs du peuple, et, finalement, parviennent à faire élire les représentants des manipulateurs. En fait, le mouvement populaire est utilisé uniquement comme masse de manœuvre permettant aux manipulateurs de conquérir le pouvoir étatique, remplaçant ainsi l’oligarchie vaincue par une autre inédite.

Une fois parvenu à son but, cette dernière continue sa manipulation, en se présentant au peuple comme « démocratique », « révolutionnaire », « populaire » ou « sacrée » (accomplissant la volonté divine).

Cependant, les actes montrent qu’ils servent d’abord les intérêts spécifiques de l’oligarchie nouvelle ; accessoirement, si le mouvement populaire présente encore une certaine force, il est calmé (manipulé) par des « amortisseurs sociaux » : des miettes des ressources nationales, dont l’essentiel sert, toutefois, à enrichir et consolider la domination de l’oligarchie nouvelle.

 

Révolution française, mais de quel type ?

En France, entre 1789 et 1793, les auto-proclamés représentants du peuple, l’utilisant comme masse de manœuvre, ont éliminé l’oligarchie féodale, puis, une fois au pouvoir, ils ont réprimé les représentants authentiques des intérêts populaires (babouvistes, hébertistes, « enragés », sans-culottes), pour finir par établir une oligarchie bourgeoise capitaliste. Les « droits de l’Homme » servaient d’abord les droits de l’homme capitaliste.

 

Révolution russe, mais de quel type ?

En Russie, entre 1917 et 1922, les auto-proclamés représentants du peuple, bolcheviks, ont agi pareillement aux « révolutionnaires » français jacobins dont ils admiraient l’étatisme centralisateur et le recours à la terreur sanglante, non seulement contre les féodaux royalistes mais tout autant contre tout mouvement populaire contestant leur dictature.

Avec les bolcheviks, on constate une spécificité inédite. Le déclenchement du mouvement populaire parvint à instaurer des soviets (conseils, comités, assemblées) autonomes, libres et solidaire dans tous les domaines sociaux. Lénine publia, alors, sa fameuse brochure « Tout le pouvoir aux soviets ! » On crut donc qu’il les soutenait. En fait, ses militants infiltrèrent les soviets, manipulèrent de telle façon que leurs militants furent élus comme représentants de ces soviets. Alors, ces derniers furent réduits à de simples courroies de transmission de la dictature du parti bolchevique, masquée en « dictature du prolétariat ».

Quelques soviets, parvenus à demeurer autonomes, dénoncèrent ce qui était en réalité une dictature d’une oligarchie nouvelle sur le prolétariat. Parmi les soviets autonomes se distinguèrent ceux de Kronstadt et d’Ukraine. Conséquence ?… Lénine et Trotski les accusèrent de collusion avec les impérialistes étrangers et la réaction interne, ou, encore, d’ « anarchistes ». Ainsi la nouvelle « Armée rouge », commandée par Trotski, massacra les partisans de « Tout le pouvoir aux soviets » : des milliers de morts, des milliers d’autres condamnés à ce qu’on créa alors : des goulags.

Les bolcheviks firent croire avoir instauré le socialisme (ou communisme), jusqu’à proclamer leur État « soviétique ». Machiavel aurait admiré. Mais, juste après les massacres d’authentiques partisans des soviets, dès 1921, le parti bolchevik instaura la NEP (Nouvelle Politique Économique) : un capitalisme d’État, au profit d’abord de la nouvelle oligarchie « soviétique » et, accessoirement, créant des « amortisseurs sociaux » pour neutraliser les revendications populaires (1).

 

Guerre de libération nationale, mais de quel type ?

Les guerres de libération nationales, entreprises du nom du peuple, ont éliminé le système colonial. Là, aussi, le peuple fut utilisé comme simple masse de manœuvre. Ensuite, ceux qui ont pris le contrôle de l’État indépendant ont réprimé les mouvements authentiquement populaires, là encore en les accusant de « contre-révolutionnaires », complices de l’impérialisme et de la réaction interne, ou simplement d’ « anarchie ». En Algérie, ce fut le cas notamment de l’autogestion ouvrière et paysanne, puis de l’organisation syndicale. Résultat : établissement d’oligarchies indigènes.

D’une manière générale, quand une guerre de libération nationale veut s’approfondir par une libération sociale, cette dernière est éliminée par un coup d’État ou l’assassinat de leaders authentiquement populaires : Patrice Lumumba, Mehdi Ben Barka, Thomas Sankara, etc. Cette élimination permet à l’oligarchie au pouvoir de se maintenir, généralement avec le soutien de l’ancienne oligarchie coloniale qui, après l’indépendance du pays ex-colonisé, y maintient des « intérêts » économiques.

 

Élections, mais de quel type ?

Dans le cas où des représentants du peuple sont démocratiquement élus (mais sans mandat impératif ni limite de rétribution financière), généralement ils deviennent une caste qui défend prioritairement ses intérêts spécifiques, et, accessoirement, si la pression populaire est trop forte, ils établissent des « amortisseurs sociaux » pour calmer le peuple.

Dans les démocraties parlementaires, le phénomène est systématique. Dans les organisations syndicales, y compris autonomes, comme dans les partis politiques, y compris « populaires », le phénomène de formation de caste privilégiée généralement se répète.

D’où la nécessité pour les citoyens non seulement d’élire démocratiquement leurs réels représentants, mais de satisfaire quatre autres conditions. 1) Ces représentants doivent être limités par un mandat impératif : il consiste à supprimer à tout moment le mandat du représentant, dans le cas où il trahit la mission confiée. 2) Ces représentants ne doivent pas recevoir un salaire supérieur au salaire moyen d’un travailleur, autrement, dans le cas d’un salaire supérieur, le risque est certain de voir des opportunistes présenter leur candidature, pour jouir de privilèges, constituant ainsi une caste aux intérêts contraires à ceux du peuple. 3) L’auto-organisation implique l’auto-financement, dans une totale transparence, autrement la manipulation est inévitable. 4) l’auto-organisation implique une action pacifique, excluant toute forme de violence, physique ou psychologique.

Pourquoi ces conditions ?… Par respect du principe : la fin doit correspondre au moyen. Une société réellement démocratique, - donc pacifique, libre, égalitaire et solidaire -, ne se construit pas avec des moyens dictatoriaux, violents, de contrainte, hiérarchiques et sélectifs.

Soit dit en passant, des organisations telles que les « Frères Musulmans » ou des officines comme la NED états-unienne s’inspirent directement de l’une ou de la combinaisons entre plusieurs des manipulations ci-dessus décrites.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 24 Juin 2020

Qui est pour la démocratie ?

Je n’ai pas lu le dernier livre de Ahmed Bensaada (1), cependant son ouvrage précédent « Arabesque américaine » démontrait un auteur qui raisonne correctement en présentant des documents irréfutables. Ce sont là les deux caractéristiques fondamentales d’une personne authentiquement libre de toute institution de pouvoir.

Voir donc sa dernière publication non pas examinée comme elle le mérite, c’est-à-dire avec la même démarche que celle de l’auteur, mais simplement stigmatisée, cette réaction prouve simplement que les prétendues « élites » algériennes, à l’intérieur ou dans la diaspora, sont l’expression de que j’ai appelé le « nouveau harkisme néo-colonial » (2).

Ceci étant éclairci, la présente contribution espère ajouter , sinon éclairer davantage, un argument.

Ahmed Bensaada note, à juste titre, que ses « critiques », plus exactement accusateurs , manifestent, à leur insu, une contradiction significative : ils prétendent défendre la « démocratie », mais se comportent en inquisiteurs, autrement dit totalitaires, donc anti-démocratiques.

À propos de l’un des inquisiteurs, Lahouari Addi, A. Bensaada écrit : « Il y expliqua ses relations avec un organisme américain d’ « exportation » de la démocratie. Très correcte la démarche si ce n’est un petit hic : il traita l’auteur de l’ouvrage, c’est-à-dire moi, de « doubab » (mouche en arabe). » (3)

A. Bensaada note, justement, que ce langage est indigne d’une personne qui se présente comme « professeur » d’université.

 

De la « respectabilité » académique.

Cependant, une remarque. Concernant ce personnage, A. Bensaada écrit : « Respectez votre niveau académique, voyons! Évitez d’utiliser ce genre d’expressions qui peuvent entacher votre respectabilité et nuire à votre rang social. »

Question : depuis quand un « niveau académique » est automatiquement synonyme de « respectabilité » et de « rang social » ?… Ne sait-on pas que depuis toujours et partout dans le monde, ces caractéristiques ont été celles de scribes égyptiens antiques, de mandarins chinois impérieux, de mercenaires de la pensée, bref, pour employer un terme algérien, de harkis idéologiques ?

A. Bensaada, par son langage à l’encontre de Lahouari Addi, favorise sa crédibilité, ce qui est une grave erreur. En effet, consultez les réseaux sociaux. Vous constaterez le nombre de personnes qui évoquent la qualité de « professeur » du personnage en question pour affirmer la valeur de ses « analyses », de ses « opinions ». Eh bien, non ! Être « professeur » d’université, même « émérite », même « invité » par une université des États-Unis, ne signifie au aucun cas automatiquement qu’on a affaire à une personne au raisonnement correct, fournissant des preuves irréfutables, bref à une personne libre de toute dépendance avec une institution de pouvoir dominateur.

 

Des « exportateurs » de démocratie.

Une autre remarque concerne le même Laouahi Addi. À son sujet, A. Bensaada écrit : « Il y expliqua ses relations avec un organisme américain d’ « exportation » de la démocratie. Très correcte la démarche ».

Objection, et voici pourquoi. Où est la « correction » dans le fait de collaborer avec un organisme états-unien qui s’est toujours distingué, dans ses actions d’ « exportation » de la démocratie, par favoriser, à travers des agents locaux rémunérés, le remplacement d’une oligarchie certes dictatoriale, par une autre, dont la pratique démocratique est totalement formelle, et, en substance, une forme nouvelle de dictature, avec cette différence : la nouvelle dictature favorable aux intérêts impérialistes états-uniens.

Dans sa justification de sa participation à l’organisme « exportateur » de démocratie, Lahouari Addi évoque d’autres collaborateurs auxquels il prête des vertus « démocratiques », de « gauche » et même « anti-impérialistes ». Question : depuis quand une institution états-unienne a favorisé l’établissement d’une réelle démocratie dans le monde ?

Certes, les gouvernants états-uniens ont contribué, avec le concours de l’ex-URSS, - ne l’oublions pas ! -, à l’élimination des régimes totalitaires nazi-fascistes, et à l’établissement de régimes de démocratie parlementaire dans certains pays d’Europe et d’Asie.

Mais, par la suite, où donc les gouvernements et institutions états-uniens ont agi de la même manière ? Dans les pays dit du « Tiers-Monde », comme en Europe, et davantage depuis la disparition de l’URSS, en quoi se distinguent les actions des gouvernements et institutions états-uniennes ? N’est-ce pas par une politique systématique de soutien aux dictatures, d’une part, et, d’autre part, d’opposition aux tentatives d’établissement de régimes démocratiques ?

Dès lors, les personnalités citées par Lahouari Addi, pour justifier la collaboration aux « travaux » et « réflexions » dans des institutions états-uniennes, qu’en penser ?… Seules trois hypothèses se présentent :

1) ces participants ignorent la logique permanente et systématique des agissements des institutions états-uniennes auxquelles ils collaborent ; dans ce cas, en quoi ces participants sont des « spécialistes » dans le domaine social et politique, malgré leurs titres « académiques » ?

2) ces participants sont au courant de la logique permanente et systématique des institutions états-unienne auxquelles ils collaborent ; dès lors, ils en sont, quoiqu’ils en disent, dans le meilleur des cas, des « idiots utiles », et, dans le pire, des complices.

3) ces participants, au courant de la pratique impérialiste des institutions états-uniennes, croient néanmoins les « sensibiliser » à la promotion de la démocratie dans le monde ; la réalité des faits démontre qu’il s’agit là d’une totale illusion ; il s’ensuit, alors, que les participants sont de fait des « idiots utiles », propageant l’idée fausse que des institutions états-uniennes soient réellement désireuses de promouvoir la démocratie dans le monde.

 

Qui a intérêt à promouvoir la démocratie ?

Approfondissons. Supposons la bonne foi des « spécialistes » et « experts » qui participent aux « travaux » d’institutions états-uniennes pour promouvoir la démocratie dans le monde.

La réelle démocratie dans un pays consiste à permettre aux citoyens de décider de la gestion de leur nation, donc de celle de ses ressources naturelles. Agir ainsi, dans le cadre des lois du marché, c’est vendre ces matières au prix le plus élevé. Question : un tel prix conviendrait-il aux multinationales états-uniennes ? à maintenir et à améliorer le niveau de vie des citoyens états-uniens ? à alimenter le complexe militaro-industriel qui permet à l’oligarchie états-unienne de dominer impérialement la planète ?… Bien entendu que non. Simple raisonnement logique élémentaire.

Alors, comment expliquer qu’une institution états-unienne dépense de l’argent (avions, hôtels, nourriture, appointements, etc.) pour inviter des « personnalités éminentes », de « gauche », « anti-impérialistes », pour « promouvoir la démocratie » dans les pays dotés de ressources naturelles ?… On revient aux trois hypothèses déjà présentées auparavant.

 

Le signe qui ne trompe pas.

Une semaine après l’apparition du mouvement populaire en Algérie, j’avais clairement affirmé la nécessité de son auto-organisation, au risque d’échec par manipulation (4). Il n’y avait là rien de divinatoire, mais simplement observation de la logique de tout mouvement populaire revendicatif.

Or, Lahouari Addi s’est distingué en affirmant que ce mouvement populaire n’avait pas « vocation à se structurer ». J’avais rejeté cette conception comme erronée, en montrant l’infondé des motifs qui prétendaient la justifier ; par la suite, je signalais les accointances de Lahouari Addi avec des personnages tels Mourad Dhina et Mohamed Larbi Zitout (5).

Question : un authentique démocrate aurait-il dissuadé le mouvement populaire de se structurer, et aurait-il accepté des relations de soutien, - précisons-le -, avec un Mourad Dhina et un Zitout ?

Quant à l’infiltration du mouvement populaire par des organisations occultes voulant le manipuler pour des objectifs contraires à ses intérêts, mes contributions l’induisaient du fait que les initiateurs et organisateurs du mouvement populaire ont soigneusement évité son auto-organisation autonome, non seulement comme manifestations hebdomadaires, mais tout autant comme structures de base durant la semaine (6).

Les publications de Ahmed Bensaada sont attaquées avec virulence principalement parce qu’elles fournissent les preuves irréfutables de cette manipulation.

 

Leçons de fables.

De la même manière qu’il serait insensé de demander au loup de promouvoir le bien-être des moutons, il n’est pas logique d’attendre d’une institution (et de ceux qui y participent), faisant partie d’un système impérialiste, de promouvoir la réelle démocratie dans le monde.

Tout au plus, on le constate, est promue une démocratie formelle, de façade. Ses représentants seront des marionnettes. Elles gèrent leur pays, protégés par les services secrets, si nécessaire le soutien militaire, de leurs patrons impérialistes, lesquels, pour leur survie, doivent veiller à ce que, dans le pays « démocratisé », les ressources matérielles servent l’économie impériale, et son territoire serve sa domination militaire. Les faits sont constatables. Il faut être stupide ou complice pour les réfuter.

Il est donc impératif que les peuples, notamment les jeunes, en désirant légitimement une démocratie véritable, se méfient et se défient de leurs faux amis, ces « professeurs émérites », « académiciens », « experts », « spécialistes », « progressistes », de « gauche », « anti-impérialistes », dotés de « respectabilité » parce que jouissant d’un « statut social ». Leur médiatisation et leur rémunération par les organes de domination impérialiste prouvent, en plus de tout ce qui a été dit auparavant, qu’ils s’agit des pires ennemis des peuples. « Le renard vit aux dépens de celui qui l’écoute », en le flattant de lui offrir la « démocratie », alors qu’il convoite le « fromage » : ses matières premières et son territoire, en recourant aux personnages de « niveau académique », jouissant de « respectabilité » et de « rang social ». En Algérie, le peuple les appellent du terme indiquant les collaborateurs indigènes du système colonial, qui avaient une « respectabilité » et un « statut social », tel le bachagha Boualem : « harkis ».

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(1) « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? »

(2) « Contre l'idéologie harkie, Pour une culture libre et solidaire », http://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits_ideologie_harkie.html

(3) https://tribune-diplomatique-internationale.com/bensaadahirakalgerie/

(4) http://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits_sur_intifadha.html

 (5) Idem.

(6) Idem.

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Publié sur

Algérie Patriotique (20 juin 2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (20 juin 2020)

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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