Publié le 2 Juin 2020

Politique, social et éducation

Observation empirique

 

L’examen objectif de l’histoire humaine montre ceci : le changement politique sans le changement social consiste tout au plus à changer de dirigeants politiques, d’oligarchie mais non de société. Le changement politique est mis en avant seulement par les personnes qui veulent conquérir le pouvoir étatique sans changer de système social.

Ce fait explique l’échec de toutes les révolutions ou tentatives de révolutions, y compris les plus fameuses : la Révolution française, la révolution russe et celles qui ont suivi. Cette constatation est surprenante uniquement pour les personnes qui ignorent les écrits de ceux qui, avant et pendant ce genre de révolution, avaient expliqué de manière très claire cette nécessité : le changement social prime et doit primer sur celui politique, et le premier garantit le second ; autrement, la priorité ou, pire, l’exclusivité accordée au changement politique ne fait qu’accoucher d’une forme inédite de domination sociale, éventuellement moins contraignante mais cependant domination.

N’est-ce pas le cas, en Algérie, du mouvement populaire déclenché le 22 février 2019 ?… Dès son apparition, l’auteur de ces lignes remarquait (1) que les marches hebdomadaires, réclamant un changement politique, n’étaient pas accompagnées par des actions montrant le désir d’un changement social. Au moins deux faits le prouvaient. 1) Après le passage des manifestants, le nettoyage des rues, volontaire par des manifestants, n’était pas précédé ou accompagné par un nettoyage dans les quartiers (à l’exception de certains villages en Kabylie). 2) L’organisation des manifestations hebdomadaires n’était pas précédée ni suivie par une organisation de base dans les quartiers pour discuter des problèmes sociaux à résoudre.

 

Temps et énergie

 

Il est vrai que le changement politique nécessite moins d’investissement en terme de temps et d’énergie que le changement social. D’où la facilité pour les personnes, ignorant les nécessités dans le domaine du changement social, de croire qu’en allant vite et avec le moins d’effort, on obtient le résultat escompté. L’histoire démontre qu’il s’agit là d’une erreur d’évaluation.

Il y a des cas où le changement social prépara et permit le changement politique. Par exemple, toute la production du siècle dit des « Lumières » eut ce rôle dans le surgissement de la Révolution française. Elle vit la classe bourgeoise éliminer celle féodale, et conquérir le pouvoir politique. Ainsi, elle a établi le changement social sous forme de société bourgeoise.

Par contre, les révolutions marxistes ont opéré un changement politique, par la conquête de l’État, sans parvenir à opérer le changement social nécessaire. Tout au contraire, les nouveaux dirigeants l’ont réprimé, car il menaçait leurs privilèges de nouvelle oligarchie dominante.

Ces États « socialistes » se sont écroulés, non à cause des agissements des adversaires capitalistes, mais d’abord et principalement suite aux contradictions internes entre le changement politique survenu (une nouvelle oligarchie prétendument au service du peuple) et le changement social non réalisé (une équitable répartition des ressources entre tous les citoyens). En fait, le « socialisme » proclamé était un capitalisme étatique qui finit par succomber suite, comme déjà dit, à ses contradictions internes.

Quant aux révolutions nationalistes, dont celle algérienne, le changement politique (de dirigeants étatiques) suite à l’indépendance, là aussi, ne s’est pas accompagné d’un changement social au bénéfice de la collectivité. D’où les tensions et conflits causés par le surgissement d’une classe parasitaire bureaucratico-compradore. Son intérêt est l’existence d’une dépendance économique par rapport aux puissances ex-coloniales et néo-coloniales, assuré par un sous-développement économique et même une régression sociale et culturelle (par rapport à l’époque de la guerre de libération nationale), régression où seul un esprit idéologiquement aveugle ou intéressé peut trouver quelque chose de « fécond ».

 

Education

 

Les propos ci-dessus ne signifient pas que les tentatives de changement politique ne sont pas à considérer, mais qu’il est indispensable de les placer dans le cadre d’un changement social, si l’on veut que ce dernier produise des résultats positifs (bénéfique à la collectivité dans son ensemble).

Certes, la mentalité dominante (pressée, et apparemment « réaliste ») croit qu’il faut conquérir l’État pour, ensuite, changer la société. L’observation empirique démontre le contraire. C’est le changement social qui garantit le changement politique correspondant.

Considérons l’Algérie actuelle. Comment serait-il possible qu’un changement politique puisse produire un satisfaisant changement social, tant que le nombre de centres culturels reste dérisoire, tant que des universités populaires autogérées sont inexistantes, tant que les productions intellectuelles et artistiques libres et autonomes restent infimes, tant que la connaissance et la culture émancipatrices sont l’exception, tant que les « élites » intellectuelles demeurent généralement intéressées d’abord par l’opportunisme carriériste, tant que les femmes restent victimes du machisme masculin, tant que l’école et l’université sont d’un niveau déplorable, tant que les citoyens attendent tout de l’État et rien d’eux-mêmes (pas même au niveau de la propreté des lieux publics), tant qu’ils croient au « mektoub » (« fatalité ») avant de considérer leur propre responsabilité dans leurs actes ?… Que l’on ne recourt pas à la sempiternelle excuse «L’État nous interdit ceci et cela ! ». Pour y remédier, il y a l’imagination créatrice au service de l’émancipation, à condition d’y mettre la convenable volonté. Pas facile ?… Où donc ce fut facile ?

« Alors, inutile d’exiger un changement politique ? Le mouvement populaire, les manifestations publiques ne serviraient-ils à rien ? »… Pas du tout ! Toute action citoyenne émancipatrice est la bienvenue. À condition de l’insérer dans son cadre social, qui, nous l’avons dit, exige temps et énergie spécifiques, et que cette action soit réellement autogérée par les citoyens, à travers des organisations de base démocratiques, fonctionnant sur mandat impératif.

Voici l’enseignement fourni par l’histoire des peuples. Tout changement, pour l’être réellement, doit opérer non seulement sur le terrain politique mais également social, sur base d’une éthique correspondante. Ce but est réalisable d’abord et principalement par une action dans le domaine de l’éducation. Pour que cette dernière soit émancipatrice, elle doit non pas produire des robots conditionnés à un servilisme quelconque, mais former des citoyens libres, égalitaires et solidaires.

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(1) Voir « Sur l’intifadha populaire en Algérie 2019 », disponible in http://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits_sur_intifadha.html

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Publié sur

Algérie Patriotique (02 juin 2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (02 juin 2020)

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #EDUCATION-CULTURE, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 24 Mai 2020

Le microbe et le terrain

Prémisses

 

En suivant avec attention tout ce qui se dit sur l’actuelle pandémie, notamment sur les vaccins, il semble utile d’y ajouter des observations.

Pasteur aurait dit, à la fin de sa vie : « Béchamp avait raison. Le microbe n’est rien, le terrain est tout ». L’observation empirique démontre ce fait, dans n’importe quel domaine : biologique, social, psychologique, l’idéologique.

En son temps, Mao Tsé Toung (si ma mémoire est correcte) employa une métaphore dont voici la substance. Considérons un coup de poing. S’il frappe une tomate, elle se réduit en miettes ; si, par contre, il frappe un caillou, c’est le poing qui est réduit en miettes.

De manière plus conceptuelle, dans tout phénomène, sa ou ses contradictions internes, autrement dit les conflits qui s’y trouvent, sont d’abord à considérer pour estimer combien des contradictions externes à ce phénomène (autrement dit des conflits qui le visent) peuvent influencer ce phénomène.

Exprimé d’une manière axiomatique : toute considération sur un fait doit rechercher et trouver sa cause première, laquelle provoque des causes secondaires.

Pourquoi commencer par ces prémisses ?… Pour dire que les propos suivants sont dictés par l’observation empirique, laquelle dépend du bon sens et de raison garder, sans considérer les propres convictions, la propre morale ni idéologie.

 

Chats et fripons

 

Dans la majorité des arguments justifiant ou récusant l’emploi de vaccins, d’une manière particulière, comme dans les considérations sur la pandémie actuelle, en général, ne semble-t-il pas que ce qui a été dit dans les prémisses ci-dessus n’est pas respecté, ou pas de manière suffisamment claire, autrement dit, pour reprendre l’expression de Boileau, d’ « appeler un chat, un chat, et un fripon, un fripon » ? Essayons donc de clarifier.

La pandémie et le débat sur les vaccins, dans quel système social existent-ils ?… Dans un système capitaliste, privé ou étatique, mais capitaliste. Quelle est la base et la caractéristique principales de ce système ?… Le profit financier, l’enrichissement. De qui ? De tous ?… Non pas : d’une minorité d’environ 1 %, composée de détenteurs de capital consistant (genre Bill Gates, Rothshild, Soros, etc.), sans oublier les actionnaires, du plus important aux plus petit. Tout ces gens-là, quel est le motif premier de leurs activités, de leur existence sur cette planète ?… Produire le bonheur sur terre pour toute l’humanité ? Ou, d’abord, produire leur enrichissement financier personnel ? Et quand ce dernier entre en conflit avec le bonheur de l’humanité toute entière, est que le détenteur de capital (ou d’action capitaliste) choisit de renoncer à son enrichissement personnel au détriment du bonheur de l’humanité ou, au contraire, il opte pour le bonheur de l’humanité au détriment de son enrichissement personnel ?

Le système capitaliste est clair à ce sujet : priorité au profit financier personnel du détenteur de capital (ou d’action). Évidemment, dans leurs déclarations, les capitalistes prétendent le contraire, en invoquant Dieu ou la « Morale » : qu’ils œuvrent pour le bonheur de l’humanité. « Enrichissez-vous ! » proclamait le ministre français Guizot, à l’aube du capitalisme. À l’époque du même capitalisme devenu triomphant contre le « socialisme » (plus exactement, capitalisme étatique), autre déclara : « Il n’y a pas de honte à s’enrichir ! », en ajoutant : « Qu’importe si le chat est noir ou blanc, l’important est qu’il attrape la souris ! » (Deng Xiao Ping, qui se disait « communiste »).

Serait-il incorrect de déduire de ce qui vient d’être dit : Qu’importe le sort de l’humanité, l’important est de réaliser un profit financier !… Oui, bien entendu : on prétend que l’enrichissement profitera à l’humanité entière. L’observation empirique montre qui est le profiteur de cette situation : d’abord une minorité d’individus, et une amélioration relative des classes moyennes : il faut qu’ils achètent pour produire du profit aux marchands. Quant au reste de l’humanité, - qui est la majorité -, qu’elle se débrouille ou meure. « Loi de sélection sociale, conforme à celle naturelle », disent les capitalistes.

On objecterait : mais la personne qui penserait ainsi serait folle, car, pour réaliser un profit financier, il est nécessaire d’exploiter des êtres humains, il faut des « souris » à attraper, des exploités d’où tirer une plus-value.

Réponse. Observez empiriquement, exactement comme le savant observe un microbe, le comportement réel (en le comparant aux déclarations) des capitalistes. Ne constate-t-on pas les traits essentiels du psychopathe ?

Dans un essai, je signalais les observations d’un psychologue canadien. Il n’a rien d’un anarchiste, communiste, gauchiste, complotiste, contestataire. Il est renommé pour ses recherches sur la psychologie criminelle :

« Le Dr Robert Hare, un consultant pour le FBI sur les psychopathes, établit des parallèles entre un psychopathe et la corporation moderne.

Ses conclusions corroborent le comportement suivant : dure indifférence pour les sentiments d'autrui, incapacité à maintenir des relations durables, imprudent mépris pour la sécurité d'autrui, trompeur en mentant à répétition et en trompant les autres en vue du profit, incapacité de faire l'expérience du sens de culpabilité, incapacité à se conformer aux normes sociales avec respect pour les comportements licites. » (1)

Dès lors, concernant la pandémie actuelle (et toute autre), et les manières de l’affronter (vaccin ou pas, gratuit ou payant, curatif ou dangereux, etc.), faut-il s’étonner du comportement actuel de tout ce qui appartient et se nourrit du système capitaliste, c’est-à-dire de la priorité absolue du profit financier personnel d’une minorité d’individus ?

 

Réforme ou rupture ?

 

Une déclaration m’a contraint à réfléchir, d’où la rédaction de ce texte. Une députée italienne, Sara Cunial, parlant au Parlement, dénonça les méfaits de la gestion actuelle de la pandémie, allant jusqu’à demander de déférer Bill Gates pour crime contre l’humanité auprès du Tribunal Pénal International (2). En envoyant cette information à un ami italien, généralement bien informé, il resta perplexe à propos de cette déclaration. Alors, je lui ai envoyé la déclaration de Robert Kennedy Jr concernant les implications du même Bill Gates dans l’affaire de la pandémie (3). L’’ami italien ‘n resta effaré : « Est-ce possible ? »

Je lui expliquais qu’il n’y avait pas de quoi l’être. En effet, s’il peut exister un capitaliste qui se prive de son capital (optant pour une vie ordinaire de citoyen) ou en offre une partie pour des œuvres bénéficiant réellement à l’humanité (et non pas exploitant de manière opportuniste cette action pour augmenter son capital), ce genre de personne est l’exceptionnelle exception à la règle absolument dominante.

Dès lors, et retournant aux prémisses introductives, n’est-il pas légitime, raisonnable et logique de poser la question : le système capitaliste est-il réformable ?… Par exemple, pour une gestion correcte, c’est-à-dire au bénéfice de l’humanité et non pas d’abord de l’enrichissement financier personnel, suffit-il à Sara Cunial de proposer l’envoi de Bill Gates devant le Tribunal Pénal International ? Suffit-il à Robert Kennedy Jr de dénoncer les méfaits de Bill Gates ? Suffit-il aux professeurs Didier Raoult, Stefano Montanari et autres savants (non dépendants financièrement de firmes capitalistes) de dénoncer les malfonctionnements du système sanitaire national et mondial ?

Certes, après la victoire contre le nazisme et le fascisme à la fin de la seconde guerre mondiale, puis durant l’existence des deux blocs idéologiques pendant la guerre froide, les dirigeants capitalistes furent contraints, oui contraints, de pratiquer des politiques sociales pour empêcher leurs peuples d’être attirés par le modèle social adverse.

Mais, à présent que le capitalisme domine la planète entière, sous forme privée ou étatique, les capitalistes considèrent avoir toute la liberté de s’enrichir sans freins, à outrance. Ils reviennent au capitalisme sauvage du début de ce système. À celles et ceux qui s’étonnent de les voir mettre en péril jusqu’à l’existence de l’espèce humaine sur terre, notamment par l’exploitation effrénée de la nature, par la course aux armements y compris bactériologiques, faut-il rappeler le caractère psychopathe des partisans du profit avant tout ? L’histoire le montre : toute oligarchie n’accepte jamais de disparaître sans entraîner avec elle ceux qui la font disparaître : « Après moi, le déluge ».

À l’heure actuelle , cependant  : 1) les forces d’opposition à ce système capitaliste ne disposent pas d’un rapport de force sociale (nationale et mondiale) favorable, parce que : 2) les peuples sont généralement anesthésiés par les moyens de conditionnement et de consentement contrôlés par les capitalistes, et : 3) les détenteurs d’un savoir émancipateur demeurent une minorité disposant de peu de moyens d’action et de diffusion de leurs idées.

Faut-il se résigner ?… Rappelons un précédent historique. Dans la Grèce puis la Rome antiques, comme dans la Chine antique, existait le système esclavagiste. Il dominait à tel point que, en Grèce, les plus « éminents » penseurs (Platon, Aristote) considéraient le système esclavagiste comme « naturel » et « éternel » ; seules de rares personnalités à contre-courant dénonçaient l’esclavage comme une tare sociale à éliminer (Antisthène, Diogène de Sinope, Épicure). En Chine, de même, le plus « éminent » penseur considérait la domination de la minorité sur la majorité comme « normale » et appelait uniquement à une « charité humaine » (Confucius) ; là aussi, seules de rares personnalités à contre-courant dénonçaient la domination sociale comme une tare à éliminer (Zhuang Zi). Tous ces contestataires défendaient un principe d’auto-gouvernement par l’ensemble de la communauté des citoyens.

Après plusieurs siècles, sous le coup des luttes populaires (et intellectuelles) et les contradictions internes au système esclavagiste, il disparut dans les poubelles nauséabondes de l’histoire. Le capitalisme inventa un esclavage adapté à son époque : l’exploitation salariale par le conditionnement à la servitude volontaire.

Pourquoi, donc, le capitalisme serait-il, comme l’esclavagisme et le féodalisme auparavant, « naturel » et « éternel » ou, encore, « le moins pire des systèmes » ?… Certes, il domine actuellement et dominera un certain temps. Mais les Antisthène, les Diogène de Sinope, les Épicure, les Zhuang Zi d’aujourd’hui et de demain, d’une part, et, d’autre part, les révoltes citoyennes d’aujourd’hui et de demain, faut-il les ignorer, les dédaigner, les mépriser ?… N’est-il pas raisonnable, logique et, - osons le mot -, honorable en cette époque obscure de capitalisme triomphant, de ne jamais oublier que « le microbe n’est rien, le terrain est tout » ?… Le terrain, n’est-il pas le niveau de conscience des peuples (et de la partie des détenteurs de savoir qui en font partie) ? Et ce niveau de conscience n’est-il pas à stimuler par toute personne intéressée non pas au profit financier personnel, mais à la dignité collective de l’espèce humaine et de son cadre naturel vie vie ?

Par conséquent, lutter pour des réformes, oui ! Entreprendre toutes les actions possibles pour « corriger » les « errances », « incohérences » et « injustices » (on appelait cela les contradictions) du système social capitaliste, oui !… Toutefois, est-ce suffisant sans tenir compte de la cause des causes : un système qui donne la priorité au profit personnel au détriment du bien-être de l’humanité ? Autrement, n’est-on pas dans la situation de personnes se trouvant dans une barque trouée, se limitant à jeter par dessus-bord l’eau envahissante, sans néanmoins se préoccuper de se munir d’une barque sans trous ? La « barque » qu’est la planète Terre a des trous dans l’ozone, des « trous » appelés bases militaires secrètes de guerre nucléaire et bactériologique, des trous appelés spéculations financières, et des trous qui provoquent des pandémies mondiales.

 

Quel modèle ?

 

D’accord, dirait-on, mais, alors, quelle « barque » utiliser, par quoi remplacer le capitalisme ?… Le système qui, dans le passé, était antagoniste à celui capitaliste a, désormais, montré sa tragique inefficacité. Il s’est révélé très vite, au-delà du vocabulaire de novlangue, n’avoir été qu’un capitalisme de forme étatique.

Alors, quand on demande légitimement à ce que les citoyens, les peuples décident réellement et en réelle connaissance de cause de leur société, que demande-t-on ?… Une « démocratie populaire » ?…. Oui, si l’expression n’a pas été prostituée par des régimes qui s’en réclamaient avec la plus hypocrite des impostures. Autogestion sociale ?… Oui, si le terme n’avait pas été stigmatisé comme « anarchie » en y voyant désordre social et utopie ridicule.

Toutefois, l’observation empirique constate : le système capitaliste ne permet pas réellement aux citoyens, aux peuples de connaître correctement les enjeux sociaux pour décider raisonnablement qui les représenteraient fidèlement dans ce domaine. Autrement, le capitalisme serait éliminé. La preuve ?… C’est toujours la minorité des détenteurs de capitaux (privés ou étatiques) qui décident et gèrent la planète, à travers des institutions (nationales et internationales), dans tous les domaines stratégiques (comprenant la santé, évidemment), institutions conçues par eux et appliqués par leurs employés convenablement stipendiés et glorifiés. Ces derniers sont d’abord les dirigeants politiques étatiques élus grâce à l’argent des capitalistes (privés ou étatiques), ensuite, les idéologues qui gèrent la machine du consentement servile de la majorité des citoyens.

Revenons à la gestion sociale par le peuple. Les rares fois où elle exista réellement, elle fut noyée dans le sang. Au sujet de l’appellation de cette gestion sociale, peu importe l’expression et les termes employés ; au fond, c’est le contenu concret qui importe. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un « modèle » tout prêt à appliquer, pas d’une recette toute faite. On a suffisamment constaté le désastre du dogmatisme, y compris « scientifique » ou « révolutionnaire ». La gestion sociale par les citoyens est une indication, une proposition à expérimenter, de manière libre, égalitaire et solidaire. Les trois conditions forment une unité complémentaire indissociable.

Concluons avec un dicton chinois ancien : « Un voyage commence par un premier pas ». Le voyage vers l’émancipation de l’humanité ne consiste-t-il pas à raisonner en distinguant la cause première des causes secondaires, le microbe par rapport au terrain, le coup de poing qui frappe une tomate ou un caillou, à désigner un chat, un chat, et un fripon, un fripon ?

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(1) Plus de détails in « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?... », disponible in https://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits_guerre_paix.html

(2) https://www.youtube.com/watch?list=PLaRAHzymuCedM997KHKXHAa2Fzy9B2Aok&time_continue=5&v=eq_CY08uk5g&feature=emb_title

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Publié sur

Réseau International (21 mai 2020),  Algérie Patriotique (22 mai 2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (22 mai 2020)

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE, #EDUCATION-CULTURE

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Publié le 30 Avril 2020

45ème anniversaire de la réunification du Vietnam

Le 30 avril 2020 est le 45ème anniversaire de la libération de la partie sud et de la réunification du Viet Nam. Nous qui étions adolescents durant la guerre d'agression impérialiste états-unienne contre le Viet Nam, ce conflit nous a marqué profondément. Il nous as fourni l'occasion d'acquérir l'indispensable conscience sociale et humaine. Elle concerne, d'une part, la nature intrinsèquement psychopathe, donc criminelle de l'impérialisme états-unien, et, d'autre part, la nécessité de lui résister jusqu'à son élimination complète de la planète.

 

Résistante et victoire contre le colonialisme français.

De 1946 à 1954, le peuple vietnamien, encadré par son parti communiste, dirigé par Ho Chi Minh, affronta d'abord la machine de guerre impérialiste française. Le peuple vietnamien adopta la stratégie de la guerre populaire, théorisée et menée par le général Nguyen Giap. Cette stratégie permit à un peuple composé essentiellement de paysans, disposant de peu de moyens matériels, de résister jusqu'à vaincre l'agresseur colonialiste français par une bataille finale à Dien Bien Phu.

Cette victoire ne fut pas uniquement celle du peuple vietnamien. À travers lui, tous les peuples colonisés, dont l'Algérie, s'en inspirèrent. Ils lancèrent leurs propres résistances contre les puissances coloniales oppressives. Et cette résistance adopta, selon les circonstances, la stratégie de la guerre populaire.

À l’issue de la victoire totale du peuple vietnamien, les accords de Genève de 1954 imposèrent aux dirigeants vietnamiens la division du pays en deux parties : nord et sud séparées par le 17ème parallèle. Cette division fut présentée comme « provisoire ».

Au Nord Viet Nam, le système social établi répondait aux besoins du peuple qui soutenait pleinement ses dirigeants. Par contre, dans la partie sud, dominaient la corruption, entraînant des révoltes populaires.

 

Résistance et victoire contre l’impérialisme U.S.

Mais, comme le déclara un jour le général Nguyen Giap, les impérialistes sont de « mauvais élèves » qui ne savent pas « apprendre la leçon » de l’histoire. De fait, le départ de l’armée coloniale française fut immédiatement suivi par l’intervention impérialiste états-unienne. Elle se réalisa d’abord dans le sud du pays. Prétexte ?... « Lutter et contenir la menace communiste ».

Dans le sud du pays, les dirigeants de l’oligarchie impérialiste états-unienne installèrent un fantoche, Diem, comme « Président ». Pour encadrer son armée, ils envoyèrent sur place des soit disant « conseillers militaires ».

Puis, les dirigeants états-uniens provoquèrent l’incident dit du Golfe du Tonkin. Ils déclarèrent que des bateaux de pêche du Nord-Viet Nam auraient attaqué un… navire de guerre états-unien !… Bien entendu, par la suite, on découvrit que c’était là un mensonge pour justifier le début de l’agression militaire contre le Nord-Viet Nam. Elle se concrétisa par des bombardements massifs, en 1964. Ainsi, commença la deuxième guerre de résistance du peuple vietnamien, cette fois-ci contre l’armada militaire la plus puissante du monde.

Concernant la gravité des bombardements, l’administration U.S. veilla à fournir le moins d’informations possible à la population états-unienne. La meme administration produisit une immense propagande par radios, télévisions et films affirmant que les communistes voulaient envahir le monde entier pour déposséder les gens du moindre objet qui leur appartenait, et qu’il fallait donc les stopper au Viet Nam. Un vétéran déclara : « Je suis allé au Vietnam pour tuer des communistes » (1). La propagande eut également recours au stéréotype raciste anti- « jaunes ». Il porta les soldats à évoquer les Vietnamiens principalement par le terme « museaux jaunes ». Ainsi, toute humanité étant niée à cette population, il devint plus aisée de la massacrer sans remords aucun. Un vétéran témoigna : « Tout ce que je savais des Vietcongs, c’est qu’ils étaient petits, jaunes, qu’ils avaient les yeux bridés et qu’on allait leur botter le c... » (2)

Bien entendu, les stratèges militaires impérialistes crurent à une victoire rapide et facile. Constatant, cependant, la résistance inattendue et inébranlable du peuple vietnamien, ces mêmes stratèges menacèrent de réduire le Nord-Viet Nam à « l’âge de pierre ».

Dès lors, la guerre devint totale. L’armée U.S. eut recours aux bombardements non seulement classiques (identiques à ceux opérés par l’aviation nazie), mais ils employèrent également des épanchements de gaz toxiques sur la nature et la population, contrairement aux règles internationales de la guerre. C’était là, donc, des crimes de guerre caractérisés, des crimes contre l’humanité. Le peuple et la terre vietnamiennes furent donc les victimes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Mais la puissance états-unienne était et demeure telle qu’il est impossible de présenter ses dirigeants d’alors devant un deuxième tribunal du genre Nuremberg.

Néanmoins, le peuple vietnamien continua à résister, aussi bien au nord qu’au sud Viet Nam. La guerre du peuple était, encore une fois, appliquée avec succès. Parmi ses principes notons : transformer la faiblesse (matérielle) en force morale, ou, encore, l’intelligence (du peuple) contre la barbarie (des stratèges militaires agresseurs).

D’un cote, l’agression impérialiste fut tellement destructrice qu’elle finit par soulever l’indignation des peuples des États-Unis et du reste du monde. Étudiants et citoyens condamnèrent la guerre impérialiste par des manifestations grandioses. La répression policière contre elles n’y put rien. Elle démontra seulement que dans les pays soit disant « démocratiques », le droit démocratique de contester une guerre injuste était réprimé par la violence institutionnelle.

De l’autre coté, la résistance inouïe et extraordinaire du peuple vietnamien provoqua un éveil de conscience significatif des peuples contre l’hégémonie états-unienne. Cette conscience se manifesta en guerres populaires parmi d’autres peuples opprimés de la planète, d’une part, et, d’autre part, par des mouvements sociaux contestataires du système social dominant dans les pays capitalistes dits développés, y compris les États-Unis. Dans ce dernier pays, il est vrai que le nombre de soldats retournés morts eut son impact sur la mobilisation contre la guerre.

Après la première éclatante et stratégique victoire de Dien Bien Phu contre le colonialisme français, une deuxième fois le peuple vietnamien obtint une identique victoire contre l’agression impérialiste états-unienne, en avril 1975. Enfin, la patrie vietnamienne fut réunifiée. Enfin, le peuple vietnamien commença à vivre en paix en construisant sa société sans intervention étrangère.

 

Télévision.

La guerre au Viet Nam fut entièrement télévisée. Quotidiennement, chaque soir, les images des méfaits de l’armée états-unienne étaient vus par les télé-spectateurs du monde entier. La guerre, la vraie, l’atroce, l’insupportable, l’incroyable était vue en direct, dans toute son horreur, avec ses crimes insupportables, les villages entièrement incendiés, les paysans tués sur place avec leurs vaches, leurs cochons et leurs poules, vieillards, femmes et bébés. Le 16 mars 1968, le massacre des villageois de My Lai fut un atroce crime de guerre. Comment expliquer une telle barbarie, allant jusqu’aux crimes contre l’humanité, identique à celle des Nazis, commise par la nation qui se prétendait « le modèle du monde » ?… Les motifs ont été évoqués auparavant.

Pour revenir au rôle fondamental de la télévision dans la prise de conscience de la nature barbare de cette agression, notons que depuis lors, les armées impérialistes n’ont plus jamais laissé les photographes et cameramen libres : ils devinrent et demeurent des « embedded » (liés aux armées d’agression pour contrôler leur travail, devenu un moyen de propagande justifiant les agressions contre les peuples.

 

Leçons pour le monde.

Celles et ceux qui ont vécu ces terribles et héroïques (le mot n’est pas trop fort) résistances du peuple vietnamien ne les ont jamais oubliées. Elles permirent l’éveil des consciences, non seulement de peuples opprimés dans les pays dits « sous-développés », et de citoyens dans les pays dits « développés », mais également de militaires états-uniens. Ces derniers finirent par comprendre qu’ils ont été manipulés jusqu’à commettre des crimes de guerre qu’ils regrettaient. Parmi ces vétérans, un nombre significatif, de retour aux États-Unis, se sont suicidés par remords.

Une autre leçon fut tirée par des observateurs états-uniens eux-mêmes. Dans un essai (3), j’écrivais : « On impute généralement les résultats négatifs de la politique extérieure U.S. à la personnalité d'un président particulier, par exemple Bush jr. On ignore ou on oublie la démonstration de David Hauberstam, dans son fameux libre de 1972 : « The Best and The Brightest » (Les meilleurs et les plus brillants). Il y démontre comment les dirigeants U.S. des années 1960 étaient les hommes parmi les meilleurs et les plus intelligents aux États-Unis, et, malgré cela, ils ont conçu et conduit au Vietnam la guerre la plus sanguinaire et la plus désastreuse. »

Je citais également ce constat :

« Après la Seconde Guerre mondiale, les caractéristiques dominantes des plus hauts responsables des forces armées américaines étaient devenues l'arrogance professionnelle, le manque d'imagination et de sensibilité morale et intellectuelle. C'est ce qui avait amené des hommes, par ailleurs intelligents (...) à se conduire comme des imbéciles. » (4)

Après la réunification du Viet Nam, on constate dans le monde que les impérialistes s’obstinent à être de « mauvais élèves » qui « n’apprennent pas la leçon ». Il reste donc aux peuples opprimés à s’inspirer correctement de la leçon fournie par le peuple vietnamien. Sa résistance et sa victoire sont une épopée dans la lutte des peuples pour leur indépendance.

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(1) « Viêtnam, La sale guerre », ARTE, documentaire 2015, https://www.youtube.com/watch?v=TiwRVMExiNw

(2) Idem.

(3) « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?... », librement disponible in https://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits_guerre_paix.html

(4) Neil Sheehan, ex journaliste U.S. durant la guerre du Vietnam, in « A Bright Shining Lie » (Un lumineux étincelant mensonge), Edition Random House Inc., New York, 1988.

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Publié sur

Algérie Patriotique (27.04.2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (28.04.2020),

Réseau International (30.04.2020) et Reporters.dz (30.04.2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 16 Avril 2020

« Le train du destin »

Voici, à présent, de Kaddour Naïmi, une nouvelle.

Dans l’extrême sud de la Chine aujourd'hui, un train, deux voyageuses. Elles sont étrangères l'une à l'autre, l’une paysanne sexagénaire, l’autre, jeune enseignante de philosophie. Le destin est en marche…

Le lieu principal de l’action est une fiction. Par contre, les faits relatés s’inspirent d’une probable réalité sociale, connue par l’auteur. L’essentiel est dans la proposition de portraits de personnages typiques et contrastés, vivant actuellement dans un pays en plein essor économique mais où existent des laissés pour compte.

Le début : 

« Dans l’extrême sud de la Chine, à Kùn Míng, capitale de la province du Yún Nán, la jeune Lì Huà monta dans un train, à destination de la petite agglomération de Jiàn Shui. Elle voulait trouver une place tranquille pour y relire une nouvelle qui l’avait touchée : La véritable histoire de Ah Q, écrite par Lu Xùn, une satire de la société chinoise et de la révolution inachevée de 1911.
La voyageuse parcourut plusieurs wagons. Elle eut la chance de découvrir un compartiment où se trouvait uniquement une femme. Celle-ci, la soixantaine d’années, avait l'air d'une paysanne de la région ; ses habits étaient modestes, son visage ridé par ce qu’on appelle les aléas de la vie, mais son regard reflétait une évidente dignité. »

La nouvelle est librement disponible en version texte et audio ici :

https://www.audiocite.net/livres-audio-gratuits-nouvelles/kadour-na%C3%AFmi-le-train-du-destin.html?

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Algérie Patriotique (15 avril 2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (14 avril 2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #NOUVELLE-ROMAN

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Publié le 29 Mars 2020

Le Mouvement populaire face à la situation sanitaire

La sagesse des peuples enseigne que face à tout drame, il faut s’efforcer de trouver ce qu’il peut contenir de positif. Voici une opinion au sujet de la menace sanitaire en Algérie.

 

Solidarité.

L’épreuve actuelle est une occasion de constater le degré de solidarité existant au sein du peuple, laquelle solidarité est la manifestation d’un niveau de conscience sociale. Ne considérons pas les responsables étatiques, leur devoir étant de faire leur… devoir. Considérons les citoyens.

Combien parmi eux appliquent personnellement les recommandations indispensables afin de ne pas porter atteinte à leur santé mais également à celle des autres ? Combien se portent volontaires pour nettoyer les rues et les espaces publics ? Combien s’adressent aux citoyens qui se trouvent dans ces lieux pour leur expliquer la nécessité de respecter les consignes sanitaires indispensables ? Combien de citoyens nantis portent secours à ceux qui manquent du minimum nécessaire dans tous les domaines ?… Notamment, on a remarqué que pendant les marches hebdomadaires, les participants veillaient au nettoyage des rues où ils passaient. Combien parmi eux, à présent, veillent au nettoyage des espaces publics pour préserver la santé collective ?

Le manque de sens de responsabilité de certains citoyens n’est-il pas l’occasion pour que les participants au Mouvement populaire entrent en contact avec eux, afin de les sensibiliser à la solidarité citoyenne ? N’est-ce pas là une très précieuse et utile occasion de poursuivre et d’approfondir le Mouvement populaire, de montrer qu’il ne vise pas uniquement à changer de personnel étatique, mais également à changer les mœurs des citoyens ? Quant aux citoyens qui n’appliquent pas les consignes de protection, parce qu’ils comptent sur Dieu pour les protéger, n’est-ce pas l’occasion de leur expliquer que Dieu leur recommande d’abord de compter sur eux-mêmes et seulement ensuite de le solliciter ? Fournissant cette explication, n’est-ce pas une utile occasion pour démasquer les charlatans qui surfent sur la situation sanitaire pour entretenir leur unique fond de commerce : instrumentaliser la religion ?

 

Auto-organisation.

Bien entendu, pour entreprendre les actions ci-dessus évoquées, ne faut-il pas trouver des formes d’auto-organisation : associations, comités de quartiers, etc. ?… Et ces formes d’auto-organisation ne pourraient-elles pas, par la suite, une fois la menace sanitaire vaincue, devenir des formes organisationnelles pour continuer à agir pour le bien du peuple ?… Un fait, en passant, comme exemple : le système sanitaire cubain est l’un des plus performants au monde, malgré le criminel blocus yankee, parce qu’il a commencé par créer des comités de médecine familiale populaire, sous l’égide d’un médecin nommé Ernesto « Che » Guevarra.

En s’auto-organisant sur le plan sanitaire, les participants des marches hebdomadaires ne montreront-ils pas, ainsi, qu’ils savent faire mieux que marcher, proclamer des slogans et chanter ? Autre exemple : dans certaines régions du pays, des citoyens ont formé des associations de nettoyage et désinfection de rues. Malheureusement, ces initiatives restent trop limitées. Les milliers de marcheurs hebdomadaires ne gagneraient-ils pas à faire de même, pour obtenir plus de crédibilité populaire en vue de la concrétisation de leurs revendications démocratiques ?

 

Auto-instruction : assembler les pièces du puzzle.

Si l’on ignore comment s’auto-organiser, des livres existent qui proposent non pas des recettes toutes faites, mais des exemples concrets d’inspiration à partir desquels l’intelligence peut trouver les formes les plus adéquates d’auto-organisation dans la situation actuelle.

En outre, le confinement à la maison est une occasion très opportune pour s’instruire au sujet des mouvements populaires : connaître leurs processus, leurs mode d’action, les motifs de leurs succès et de leurs échecs. À ce sujet, pas besoin d’aller dans une librairie, il suffit de chercher sur internet de manière sérieuse, patiente et intelligente.

L’arrêt des marches hebdomadaires, et le confinement qui s’ensuit, ne devraient-ils pas être l’occasion d’augmenter la compréhension de la dynamique du Mouvement populaire, en particulier, et, en général, du fonctionnement de la société ? Notamment comprendre pourquoi une année entière de marches hebdomadaires n’a pas abouti au résultat escompté. Ou encore : comprendre le contenu et le but réels ainsi que le moment d’apparition de certains slogans, tels « Dawlâ madaniyâ, machî askariyâ » (État civil, non militaire), « Yatnahaou gaě » (ils doivent tous être écartés), « jaïch chaěb khâwa khâwa », « État de droit », etc. Et, encore, découvrir le motif réel et inavoué qui faisait déclarer à certains personnages que le Mouvement populaire n’avait « pas vocation à se structurer ». On découvrirait, alors, que l’un des auteurs de ce choix se présenta en compagnie de Larbi Zitout, représentant de « Rachad », à la rencontre de Paris, et que ce même personnage est l’auteur de la « régression féconde ». Ainsi, on parvient à assembler logiquement les pièces du puzzle ; alors, on cesse d’être manipulé, en se croyant libre de ses actions et opinions, et l’on devient réellement libre parce que disposant de toutes les informations nécessaires pour se faire une opinion objective.

Plus dangereux et plus fatal que le virus biologique, qu’il y a-t-il sinon l’ignorance dans le domaine où l’on agit ? Et quelle est la pire des ignorances sinon celle de croire savoir, alors qu’on est simplement conditionné et manipulé pour servir, à son insu, les intérêts d’autres que soi-même, d’autres que le peuple ?

 

Changer le mode de vie.

Bien entendu, durant le confinement, il est important de se détendre, de se divertir comme l’on peut, de rire pour éviter l’angoisse et la dépression. Mais ne doit-on pas veiller à ne pas tomber dans le piège de ceux qui poussent à se contenter uniquement du divertissement ?… Dans « divertissement », il y a « diversion ». Cette dernière peut être bénéfique ou maléfique, selon l’usage qui en est fait.

Outre au sain et bénéfique divertissement, le confinement peut être l’occasion de méditer utilement sur le mode de vie qu’on a mené jusqu’à présent : pourquoi et comment j’ai vécu ? Dans quelle mesure j’étais animé et guidé par la raison la plus sage et non par des illusions trompeuses ? Dans quelle mesure mes actions étaient réellement le résultat de ma conscience éclairée par des connaissances objectives, et non pas d’une manipulation par des experts en la matière jouant sur mon ignorance ?

Ce genre de lectures et de méditation personnelles, mais aussi collectivement partagées à travers des échanges virtuels ou directs, montrera que l’action a besoin de compréhension, et vice-versa. L’expérience montre que Karl Marx avait tort d’affirmer : « Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde ; il faut désormais le transformer ». Les échecs pratiques de Marx et des marxistes prouvent que leur action sur le monde a manqué de compréhension concernant ce dernier. N’affirment-ils pas que la pratique est le critère de la vérité d’une théorie : succès si elle est vraie, échec si elle est fausse ?… Or, les expériences marxistes ont toutes échoué, au profit du capitalisme le plus débridé sur presque l’ensemble de la planète. La leçon a en tirer n’est-elle pas : transformation et compréhension doivent aller de pair, se compléter réciproquement ?… Pour en revenir au Mouvement populaire, la présente situation sanitaire ne lui fournit-elle une très précieuse occasion pour réfléchir sur lui-même, pour entreprendre des actions sanitaires ponctuelles de solidarité sur le terrain, et, ainsi, tisser de meilleurs liens avec le peuple ?

 

Un ouvrage sur le Mouvement populaire est disponible ici :

https://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits_sur_intifadha.html

Une liste de livres librement accessibles se trouve ici :

https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-auteurs-preferes.html

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Publié sur

Algérie Patriotique (23.03.2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (23.03.2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #EDUCATION-CULTURE, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 29 Mars 2020

Manifestation populaire en Algérie.

Manifestation populaire en Algérie.

Avec le temps que dure le Mouvement populaire, diverses manœuvres opportunistes ont fini par se démasquer. Suite aux dernières contributions publiées (1), nous poursuivons la discussion à ce sujet. L’essentiel est de démontrer l’enjeu réel : ce n’est pas la religion en tant que telle, mais son instrumentalisation comme moyen de conquête et/ou de légitimation du pouvoir politique. Par conséquent, il n’est pas question d’opposer laïcs et religieux, mais, dans les deux camps, déceler et distinguer entre la tendance faisant de la religion un simple moyen opportuniste de domination (ce qu’on appelle l’ »islam politique »), et la tendance se contentant de pratiquer sa foi sans la mêler aux conflits politiques (appelons cette attitude « religion personnelle ») ou, alors, la faire servir à une émancipation sociale (ce qui fut appelé dans une précédente contribution « théologie émancipatrice »).

 

Occultations.

Les représentants déclarés de l’islamisme politique, tels Ali Belhadj, Larbi Zitout, et défenseurs de ce courant, tel Lahouari Addi, déclarent que le peuple, sinon une partie significative de celui-ci est pour l’islamisme politique. Leur argument à ce sujet est : parce que le peuple algérien est musulman. Dans un post sur un réseau social, Lahouari Addi est allé jusqu’à quantifier le poids électoral de l’islamisme politique à environ 20 %. Un vrai sociologue aurait fourni les données justifiant un tel pronostic, mais Lahouari Addi ne les fournit pas. Évidemment, les ignorants et les naïfs le croiront parce qu’il est un « éminent professeur » ; mais toute personne employant la raison exige de toute affirmation des preuves concrètes vérifiables.

Dans la présentation de l’islamisme politique par ses représentants et défenseurs, voici des éléments occultés.

 

1. L’alternance démocratique.

Ils ne déclarent jamais clairement et sans ambiguïté leur accord quant au principe de l’alternance politique. À savoir ceci : au cas où des élections démocratiques les portent au pouvoir, leur absolu respect d’y être uniquement le temps d’une législature, puis, à échéance, organiser des élections nouvelles, totalement libres et transparentes, susceptibles de voir les électeurs accorder leurs suffrages à une formation politique opposée.

Autrement, le scénario serait identique à celui de tous les totalitarismes, qu’ils soient laïcs (les États « socialistes », fascistes ou nazis) ou cléricaux (Talibans en Afghanistan, Iran actuel). Dans ce cas, n’est-ce pas une folie de permettre à une force politique d’instrumentaliser le principe démocratique pour l’éliminer ?… Or, dans les programmes, livres et déclarations des représentants et défenseurs de l’islamisme politique, où trouve-t-on une affirmation claire et sans ambiguïté du respect du principe de l’alternance électorale ? Possible que Lahouari Addi en parle, mais le plus important n’est pas sa voix (après tout il n’est rien qu’un « professeur d’université », donc un possible « idiot utile »), mais celle des représentants officiels de l’islamisme politique.

 

2. La référence.

Considérer Dieu comme critère suprême est, bien entendu, concevable et normal dans la sphère du comportement privé, mais, dans le domaine de la gestion sociale, cette conception est, toujours et partout dans le monde, un moyen de domination totalitaire. Même les Nazis proclamèrent « Got mitt uns » (Dieu avec nous).

Il s’agit donc, pour les représentants de l’islamisme politique, de dire clairement et sans ambiguïté si, pour eux, bien que musulmans, ce qui prime dans la sphère sociale est la volonté populaire exprimée en un vote démocratique. Que, par conséquent, s’ils parviennent au pouvoir, ils ne peuvent pas prétendre que c’est Dieu qui les a portés au pouvoir, et que seul Dieu les en priverait.

 

La tactique du « cheval de Troie ».

À ma connaissance, le défenseur de l’islamisme politique, inventeur de la « régression féconde », Lahouari Addi, n’a pas reconnu non seulement l’absurdité de cette expression, mais, plus grave, sa dangerosité. En effet, nulle régression ne peut être féconde. Où et quand ce fut le cas ?

Lahouari Addi préconise de permettre au courant de l’islamiste politique d’entrer en compétition électorale, quitte à ce que, en cas de victoire, sa gestion insatisfaisante ouvrirait les yeux des électeurs qui, alors, voteraient pour un autre courant politique.

Or, comment présenter une telle proposition au sujet d’un courant politique qui n’a pas, clairement et sans ambiguïté, déclaré dans ses programmes, livres et proclamations de ses représentants le respect absolu du principe de l’alternance électorale ?… Dès lors, n’est-on pas dans le cas d’une manipulation machiavélique pour permettre au courant islamiste d’arriver au pouvoir pour ne jamais le quitter ?

On objecterait : Et pourquoi il ne le quitterait pas ?… Pour un motif évident : ce courant politique a comme principe et base que sa présence au pouvoir n’est pas, en réalité et d’abord, la volonté populaire, mais celle de Dieu, car sans la volonté de Dieu, les électeurs n’auraient pas voté en faveur de ce courant politique. Après cela, allez donc dire à ces gens parvenus au pouvoir qu’ils doivent organiser de nouvelles élections afin que le peuple se prononce de nouveau, avec le risque pour eux d’être remplacés par une force politique adverse. Leur réponse ne serait-elle pas, en logique avec leur conception : « Nous sommes ici par la volonté de Dieu, et seul Lui pourrait nous en chasser ».… Voici pourquoi la « régression féconde » se révèle être, en fait, une tactique opportuniste machiavélique pour introduire le « cheval de Troie » de l’islamisme politique au pouvoir étatique, pour détruire la démocratie au profit d’une « régression » (en fait, un totalitarisme théocratique) « féconde » (on a vu ce que cette « fécondité » a donné en Afghanistan, et partout où domine l’islamisme politique au Proche-Orient).

 

« Pas en notre nom ! »

Dès lors, que faire ?… La réponse est déjà dans les précédentes contributions. Précisons. Il s’agit pour les musulmans qui ont une conception réellement démocratique impliquant le principe de l’alternance électorale, de se faire entendre. Comme leurs coreligionnaires d’autres pays musulmans ou non, ils devraient publiquement déclarer que l’islamisme politique n’exprime pas la volonté de tous les musulmans, qu’il existe des musulmans démocrates.

Ainsi, d’une part, l’islamisme politique ne sera pas le seul à prétendre parler au nom des musulmans, et, d’autre part, les laïcs sauront qu’ils partagent le même principe démocratique avec des musulmans. Dès lors, le débat aura à examiner le véritable enjeu : le mode de gestion de la société au détriment ou au bénéfice du peuple.

 

Vérité et justice.

Bien entendu, pour y réussir pleinement, une chose serait à faire : imiter ce qui fut réalisé et donna des résultats positifs en Afrique du Sud, à savoir établir en Algérie une commission « Vérité et Justice ». Elle concernerait les principaux événements tragiques passés, et cela depuis octobre 1988 jusqu’à la « décennie sanglante ». La vérité établirait objectivement la responsabilité des uns et des autres, tandis que la justice adopterait les actions adéquates et conséquentes dans un esprit de résilience. Cette dernière signifie une action dont le but est de permettre au peuple algérien de soigner une mémoire collective gravement traumatisée, afin de pouvoir finalement édifier une société libre, égalitaire et solidaire.

Une telle commission est-elle possible en Algérie ?… En tout cas, sans elle, les morts du passé continueront à peser sur les vivants du présent.

 

Indispensable clarification.

Toute ambiguïté ne profite qu’à ceux qui manipulent le peuple pour servir leurs seuls intérêts de caste. Tout peuple ne peut être servi et progresser que par le maximum de clarté, appuyée sur des preuves concrètes et vérifiables. Aussi, toute personne déclarant que tant que la « issaba » n’est pas éliminée, il faut éviter les clarifications, parce que susceptibles de diviser le mouvement populaire, ce genre de personne pèche en eaux troubles, manipule les citoyens, les considère des stupides incapables de discerner la vérité et leurs intérêts. En voici la dernière preuve. Dans un post récent, Lahouari Addi intitule son texte : « Pour mettre fin à la diversion sur l’islamisme politique ». Notons le mot « diversion ». Tout son propos est de faire croire que parler d’islamisme politique est une « diversion ». N’est-ce pas là révéler le but inavoué : mettre fin à la clarification à ce sujet ? En effet, la clarification n’est-elle pas d’une importance vitale pour le peuple ? Ce dernier n’a-t-il pas le droit et le devoir de savoir pourquoi il se bat, dans quel but précis ?… Dès lors, qui joue réellement de la « diversion » : celui qui met au débat le problème de l’islamisme politique, ou celui qui déclare qu’il s’agit là uniquement d’une « diversion » ?

Désormais, après un an d’existence du mouvement populaire, l’ambiguïté ne le sert pas ; au contraire, tout indique qu’elle le détruira, au profit de la tendance qui saura manipuler ce mouvement populaire. Dès lors, le temps et l’urgence ne sont-ils pas à l’indispensable clarification dans ce domaine ?

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(1) Voir http://kadour-naimi.over-blog.com/2020/03/religions-et-cycles-historiques.html et précédentes.

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Algérie Patriotique (19.03.2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (19.03.2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 16 Mars 2020

Ibn Rouchd (Averroès).

Ibn Rouchd (Averroès).

Des guerres de religion.

Réfléchissant sur le long cours de l’histoire, une observation s’impose. En Europe, l’élimination du système féodal, parce qu’il était arrivé à son terme d’utilité productive, et l’accouchement de ce qu’on appelle la modernité, autrement dit du système économique capitaliste, accompagné de son type de fonctionnement politique (démocratie parlementaire), cet accouchement prit la forme, entre autre, de guerre dites de religion au sein de la chrétienté. Elles ont duré des décennies et opposèrent essentiellement catholiques et protestants, avec les horribles massacres qui eurent lieu. Les catholiques soutenaient le système ancien, féodal, contre les protestants qui défendaient le système nouveau, moderne, capitaliste.

Dès lors, une question se pose. Actuellement, dans les nations à majorité musulmane, n’assiste-t-on pas à un phénomène social semblable ? À savoir l’accouchement d’une modernité, sous forme essentiellement capitaliste, avec un affrontement, au sein de l’Islam, principalement entre deux tendances : un courant conservateur, féodal, et un autre progressiste, capitaliste (précédemment nationaliste socialisant) ?

Dans l’Europe s’émancipant de la féodalité, le courant catholique était le plus fort, parce que lié à l’oligarchie politiquement dominante, et utilisant la violence sous toutes ses formes. Rappelons la fameuse phrase, lancée durant les guerres de religion en Europe : « Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens ! ». Au contraire, le courant protestant, représenté par Luther et Calvin, recourant principalement à un combat intellectuel-idéologique, fut contraint de subir les pires exactions.

Dans les nations musulmanes actuelles, on constate des ressemblances. Le courant conservateur féodal est le plus fort, parce que lié à des oligarchies politiques dominantes (Arabie saoudite d’une part, et, de l’autre, Turquie), et utilisant la violence (des armées institutionnelles, et d’organisations satellitaires).

Tandis que le courant théologique musulman compatible avec la démocratie demeure minoritaire, parce qu’il est combattu par trois adversaires : les oligarchies dominantes soit disant musulmanes, les organisations du courant islamique conservateur totalitaire, et les oligarchies impérialistes. En outre, tandis que ces trois adversaires emploient la violence, le courant théologique musulman émancipateur se limite, par principe, à un combat uniquement intellectuel et idéologique.

Voici la différence entre l’Europe et les nations musulmanes actuelles. Si le courant émancipateur protestant eut son Luther et son Calvin, aujourd’hui, le courant émancipateur musulman n’a pas eu et n’a pas encore de leaders de cette importance en terme d’influence sociale. Dans la contribution précédente (1), un lecteur, Djamel, cite « des intellectuels et théologiens éclairés et porteurs d’un islam des lumières entièrement compatible avec la démocratie ». Mais aucun d’eux, malheureusement, ne joua un rôle de leader tels Calvin ou Luther dans la chrétienté.

 

Ibn Rouchd.

En Islam, l’opposition entre courant conservateur et courant émancipateur se manifesta déjà à l’époque féodale (pour ne pas remonter jusqu’à Al Hallâj). Son représentant le plus illustre fut Ibn Rouchd, connu également sous le nom d’Averroès. Il écrivit : « L’ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence. » Peut-on mieux décrire, en une seule phrase et de manière totalement claire, le processus de régression culturelle ? Ce théologien et juriste d’il y a dix siècles n’est-il pas, déjà, la contestation de la prétendue « régression féconde », avancée par un personnage qui s’auto-définit « intellectuel universitaire » et même « démocrate » ? ?

Ibn Rouchd, dans tous les domaines, privilégiait deux éléments : la raison et la justice. Il est allé jusqu’à défendre l’égalité des sexes, pour ne pas cantonner les femmes uniquement au rôle de mères au foyer ; il souhaitait qu’elles puissent travailler à l’instar des hommes. Et cela était affirmé dans les années mille cent, alors que l’Europe pataugeait dans l’obscurantisme féodalo-clérical.

À cause de ses écrits émancipateurs, Ibn Rouchd a subi, vers la fin de sa vie, l’anathème, la stigmatisation et la condamnation de la part des réactionnaires de l’époque. Le calife d’alors, Abou Youssouf Yaqub Al Mansour, fit interdire la philosophie, les études et les livres, ainsi que la vente du vin et les métiers de … chanteur et de musicien !… Ne retrouve-t-on pas les mêmes interdictions dans les nations musulmanes actuelles ?

Les membres du clergé, se proclamant « ceux qui craignent Dieu », s’auto-nommant les « oulémas » (2) (ne retrouve-t-on pas les mêmes expressions aujourd’hui ?) exercèrent leur influence sur le calife contre Ibn Rouchd. Ce dernier fut présenté publiquement dans la mosquée de Cordoue, et humilié, puis contraint de quitter sa ville natale.

Ensuite, ses livres furent brûlés et lui-même accusé d’hérésie. Même un poète, Ibn Joubaïr, écrivit des épigrammes pour discréditer le philosophe théologien, en déclarant : « Tu as été traître à la religion » (3).

Conséquence de cet ostracisme obscurantiste : c’est à partir de cette époque et suite à ces actes d’intolérance que le monde arabo-musulman cessa toute relation avec le progrès scientifique, et que l’empire almohade déclina. Ibn Rochd mourut à Marrakech, sans pouvoir retourner dans sa ville natale. Depuis lors, la civilisation musulmane stagna dans la régression. Elle n’eut rien de « fécond », et ne pourrait l’avoir que dans le cerveau d’un personnage qui, aujourd’hui, confond son désir psychique personnel de régression avec une prétendue « fécondité » qui n’a jamais existé nulle part, ni en Islam ni ailleurs.

 

Religion et impérialisme.

Les leaders et idéologues des pays impérialistes se gaussent des horreurs actuelles que subissent les peuples musulmans, à cause des guerres livrées par le courant conservateur totalitaire islamique. Or, les guerres de religions en Europe furent-elles moins ou plus horribles ?

Par ailleurs, il ne faut jamais perdre de vue un fait : les victimes principales des guerres actuelles sont les musulmans eux-mêmes, et nettement moins les institutions des oligarchies impérialistes, dont le colonialisme sioniste est l’un des éléments.

Ce fait prouve que ce courant islamique conservateur totalitaire vise à dominer les peuples musulmans. Ainsi, il mettra la main sur les ressources naturelles et sur la main-d’œuvre des nations musulmanes.

Telle fut la stratégie appliquée par l’impérialisme britannique quand il permit à l’oligarchie de la famille saoudienne de s’emparer de l’Arabie. Dès lors, faut-il s’étonner que cette même oligarchie, parvenue au pouvoir, s’active pour étendre la domination de sa conception féodale sur l’ensemble des nations musulmanes ? Et, par ailleurs, faut-il s’étonner que les services secrets britanniques et états-uniens ont des relations avec l’organisation mondiale des « Frères Musulmans », dont on connaît l’ambition d’établir un califat ?

Quant à la domination ottomane, n’a-t-elle pas dans le passé, instrumentalisé à sa manière l’Islam pour conquérir et dominer de manière colonialiste les nations musulmanes, dont l’Algérie ?… D’où l’actuel antagonisme entre les oligarchies turque et saoudienne, dans leurs plans concurrentiels pour dominer le monde musulman.

Ainsi, la religion musulmane est instrumentalisée par les oligarchies impérialistes, avec la complicité des oligarchies étatiques soit disant musulmanes, des organisations telles les « Frères Musulmans » et les organisations terroristes. Les preuves de connivence se trouvent sur internet.

Pour les démocrates des pays à dominante musulmane s’ensuivent l’une de ces deux attitudes. Soit rejeter l’Islam en tant que tel : mais cette option fait le jeu des idéologues qui laissent croire que les enjeux fondamentaux se situent dans le domaine religieux (et civilisationnel). Soit chercher et soutenir, dans l’Islam, les représentants de sa tendance émancipatrice ; ainsi l’on démontrera que les enjeux réels ne sont pas la religion, mais la gestion économique, donc politique, de la société ; en outre, le courant religieux émancipateur viendra enrichir et renforcer le front démocratique. Ceux qui croiraient qu’une théologie musulmane émancipatrice ferait le jeu de l’islamisme totalitaire, ou est une autre version de la « régression féconde » justifiant l’islamisme totalitaire, ces gens soit ignorent de quoi il est question (notamment la complexité de la dynamique des rapports de force dans les processus sociaux), soit sont des manipulateurs qui dénigrent l’importance d’une théologie musulmane émancipatrice. À ce sujet, rappelons une observation d’Aristote : « L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit ».

 

Transformer le négatif en positif.

Voici le drame du musulman démocrate : les démocrates le stigmatisent, parce qu’il est croyant, d’incapacité d’être démocrate, tandis que les islamistes totalitaires le condamnent, parce qu’il est démocrate, d’incapacité d’être un bon musulman. Là est toute la difficulté du courant théologique musulman de s’affirmer. La preuve ?… Presque tous connaissent Hassan Al banna, fondateur des « Frères Musulmans », mais combien connaissent Gamal Al banna et ses écrits ? En Algérie, qui ne connaît pas Ali Belhadj, Abbas Madani et Larbi Zitout ? Mais combien connaissent Mohamed Arkoun ?

Concernant le mouvement populaire algérien actuel, comme pour tout mouvement populaire dans une nation à dominante religieuse (musulmane ou autre), est-ce que le résultat ne dépend pas de la capacité des démocrates, laïcs et religieux, à créer un rapport de force qui leur permette de parvenir à l’hégémonie culturelle, condition d’existence d’une démocratie, soit bourgeoise (exemple italien), soit au service du peuple ?… Qui en doute, qu’il prenne la peine de connaître l’histoire : toujours et partout dans le monde, une religion (monothéiste ou hindoue) ou une spiritualité (stoïcisme, épicurisme, bouddhisme, taoïsme, confucianisme) ont, selon la dynamique sociale et l’intelligence des membres d’un courant émancipateur, cette religion ou cette spiritualité ont joué un rôle soit de régression totalitaire, soit de progrès libérateur. Ce rôle dépendait du rapport de force entre les deux principaux adversaires sociaux : conservateur totalitaire ou progressiste libérateur.

Pour s’en tenir à l’histoire algérienne, les premiers dirigeants de la guerre de libération nationale n’ont-ils pas réussi à transformer une théologie musulmane algérienne colonisée (zaouïas obscurantistes, d’une part, et, d’autre part, prétendus « oulémas », représentés par Ben Badis) en un Islam patriotique ? Qui oserait affirmer que cette démarche fut erronée ?… Puis, dans un second temps, après l’assassinat de Abane Ramdane et de Larbi Ben Mhidi, suivi par le rejet de la Charte de la Soumman, et débouchant sur le coup d’État militaire de l’été 1962, n’a-t-on pas assisté au reflux inverse, à savoir l’instrumentalisation de la religion pour légitimer une domination totalitaire, jusqu’au résultat actuel ?

Par conséquent, aujourd’hui, n’est-on pas devant le même problème : transformer la conception religieuse totalitaire conservatrice en une conception socialement libre et émancipatrice ? L’Algérie a besoin de nouveaux Abane Ramdane et Larbi Ben Mhidi, ainsi que d’un nouveau Frantz Fanon. Les deux premiers ont su transformer, comme dit auparavant, une théologie musulmane rétrograde en une théologie émancipatrice, tandis que Fanon sut remarquablement décrire ce qu’est une mentalité colonisée et comment s’en affranchir.

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(1) http://kadour-naimi.over-blog.com/2020/03/democrates-et-theologie-musulmane-emancipatrice.html

(2) Savants dans le domaine théologique.

(3) À voir « Le destin », film de Youcef Chahine : à travers l’histoire de Ibn Rouchd, il expose les causes et méfaits du fanatisme et la nécessité vitale de l’ouverture vers l’autre. Thème d’une actualité brûlante.*

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Publié sur

Algérie Patriotique (14.03.2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (14.03.2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 10 Mars 2020

Démocrates et théologie musulmane émancipatrice

Suite à la contribution précédente (1), il semble nécessaire de développer l’exposé. La confusion qui caractérise la phase actuelle exige le maximum de clarification ; elle ne signifie pas, bien entendu, asséner des « vérités » ou des recettes toutes faites, mais simplement s’efforcer de comprendre en distinguant ce qui est réellement au bénéfice au peuple et à sa nation, par rapport à ce qui leur est contraire. « Patti chiari, amicizia lunga » (Pacte clair, longue amitié) dit un proverbe populaire italien. C’est dire que le peuple, pour s’unir convenablement, ne peut pas se contenter d’ambiguïtés, sujettes à toutes sortes de malveillantes manœuvres, mais a un besoin vital de clarification, et le plus tôt est le mieux.

 

Émancipation contre « régression féconde ».

Le commentateur qui a vu un rapport entre la proposition d’une théologie musulmane émancipatrice et la conception de Lahouari Addi, ce commentateur n’a pas lu attentivement la dite contribution. Précisons.

Lahouari Addi : 1) parle de « régression féconde », tandis qu’une théologie musulmane émancipatrice dénonce toute forme de régression, n’y trouvant absolument rien de « fécond », tout le contraire ; 2) il présente l’islamisme politique comme susceptible d’exister dans le cadre de l’alternance démocratique ; malheureusement, Lahouari Addi se contente d’affirmer, sans fournir aucune preuve concrète convaincante ; de là, le doute légitime laissant croire à une manœuvre opportuniste hypocrite : « al harbou khidaě » (la guerre [est] ruse), affirme toute idéologie totalitaire, par essence machiavélique (la fin justifie les moyens).

Par contre, une théologie musulmane émancipatrice (voir Gamal Albanna) reconnaît et dénonce le caractère totalitaire de l’islamisme politique, et prône une conception musulmane compatible avec un système démocratique, lequel implique le principe de l’alternance au pouvoir, en fonction du résultat des élections populaires.

 

Religion et formation sociale.

Un lecteur, Abou Stroff, note, cependant, un point fondamental qui mérite d’être signalé. « la soi disant théologie émancipatrice, écrit-il, ne peut être que le produit d’une émancipation de la formation sociale. » Exact. Ajoutons, toutefois, que les faits sociaux constituent une unité d’éléments, parfois contradictoires, parfois complémentaires. Ainsi, une théologie émancipatrice peut favoriser la naissance d’une formation sociale également émancipatrice, et vice-versa. Quand, par exemple, le message évangélique déclara l’égalité entre tous les êtres humains, il contribua à l’élimination du système esclavagiste antique. La réforme luthérienne contribua à la naissance du modèle capitaliste. L’Islam réussit à unifier des tribus, éparpillées et se livrant systématiquement la guerre, en une nation, au point d’en faire la conquérante d’un empire.

À ce sujet, ceux qui citent Marx (2) à propos de religion ne tiennent pas compte de « la protestation contre la détresse réelle ». En outre, ils oublient ou ignorent que le même Marx accepta l’adhésion de travailleurs croyant en une foi religieuse, au sein de l’Association Internationale des Travailleurs. En effet, l’histoire mondiale montre non seulement un aspect aliénant des religions, mais, également, un aspect émancipateur. Ne pas en tenir compte, c’est, d’une part, déformer la conception et la pratique de Marx, et, d’autre part, ignorer la complexité des faits historiques. Attention, donc, au piège du dogmatisme, et même sa pire forme : déclarer en parole rejeter un dogme (religieux, dans ce cas), en raisonnant de façon dogmatique, autrement dit non corme à la réalité socio-historique.

Par conséquent, affirmer que toute religion, en tant que telle, est absolument incompatible avec une conception émancipatrice, donc avec la démocratie, prouve soit une ignorance des faits historiques dans le monde, soit une mauvaise foi manipulatrice qui veut centrer le débat sur la religion, en occultant qu’il est et doit être d’abord sur le système social basé sur l’oppression sociale. Cette ignorance ou cette manipulation font, certainement, le jeu de l’islamisme totalitaire, qui, lui, opère de la même manière, en centrant les problèmes sociaux unilatéralement et exclusivement sur la religion.

 

Réforme ou stigmatisation ?

Un lecteur, qui signe par le pseudonyme Karamazov, a raison d’écrire : « Le problème n’est pas le contenu de la religion mais sa fonction sociale. » Cependant, le même lecteur ajoute : «  Ce qu’il faut ce n’est pas une réforme de la religion mais se défaire de son emprise sur la société. »… Comment y parvenir sans une réforme de la dite religion, à moins que « défaire » signifie interdire, exclure la pratique religieuse, ce qui serait une forme de dictature ?

Prenons un exemple. Une fois parvenus au pouvoir, les Bolcheviks, d’abord avec Lénine, ensuite de manière systématique et violente avec Staline, entreprirent une lutte acharnée contre les croyances religieuses, allant jusqu’à détruire des temples et emprisonner des hommes de religion. Il en fut de même en Chine durant la soit disant « Grande Révolution culturelle prolétarienne »… Résultat ?… Les croyants poursuivirent leurs pratiques religieuses dans la clandestinité. Et quand le système soit disant « socialiste » s’écroula en Russie, et se réforma en Chine, les pratiques religieuses ont repris. Par conséquent, ce n’est pas l’interdiction imposée à une pratique religieuse qui améliore une société, mais un échange libre d’opinions. Pour paraphraser une formule connue, la lumière et le progrès jaillissent de la discussion, tandis que l’imposition produit uniquement de l’obscurité et de la régression. Partout dans le monde, les libres productions intellectuelles ont un résultat nettement meilleur que les impositions totalitaires.

 

Qui soutenir ?

L’auteur de ces lignes n’est, bien entendu, ni un théologien, ni un « expert » en matière religieuse. Cependant, il essaie de contribuer à élucider une question : l’Islam a-t-il et peut-il avoir un aspect émancipateur dans le domaine social ? D’où l’utilité de se référer à des auteurs tels Gamal Albanna, théologien trop occulté, au profit de son frère, Hassan Albanna, fondateur des « Frères Musulmans ».

S’en tenir au seul courant représenté par cette dernière organisation, - dont fait partie organiquement l’islamisme politique totalitaire -, n’est-ce pas faire son jeu, à supposer qu’on soit un sincère démocrate, tout en étant musulman ?… N’est-ce pas le cas des intellectuels (tels Lahouari Addi, présent à la rencontre de Paris avec Labri Zitout), des politiciens (tels Karim Tabou ou Sadek Hadjerès rencontrant respectivement Larbi Zitout) ou d’une personnalité historique (tel Lakhdar Bouregaa rencontrant Ali Belhadj) ?

Pourquoi ces personnes n’évoquent pas, ne fréquentent pas des représentants algériens proches de la conception de Gamal Albanna ?… Ne fréquenter que la composante religieuse puissante et menaçante, - les représentants de l’islamisme politique totalitaire -, et ignorer des représentants d’une théologie musulmane émancipatrice, n’est-ce pas adopter une realpolitik qui est, en fait, un opportunisme, en outre de perdant, donc une compromission, à moins d’être un partisan de cet islamisme totalitaire ?… Même si, en Algérie, des représentants d’une théologie musulmane émancipatrice sont actuellement une minorité, ne faut-il pas, précisément, que les authentiques démocrates, musulmans ou non, les fréquentent et les soutiennent ? N’est-ce pas là une démarche claire, conséquente, logique et sans ambiguïté pour contribuer à un Islam réellement compatible avec la démocratie sociale et populaire ?

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(1) http://kadour-naimi.over-blog.com/2020/03/pour-une-theologie-musulmane-emancipatrice.html

(2) « La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. »

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Publié sur

Algérie Patriotique (10.03.2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (10.03.2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 8 Mars 2020

Scène en Indonésie

Scène en Indonésie

Ce texte se propose de contribuer au débat sur la possibilité de démocratie en terre d’Islam, thème déjà examiné dans les deux contributions précédentes (1).

Certaines voix de démocrates authentiques affirment, en le déplorant, que dans un pays où le peuple est musulman, tel l’Algérie, toute démocratie est impossible. Or, celle-ci existe dans la plus grande nation musulmane du monde, l’Indonésie, pour se limiter à cet exemple.

D’autres voix dénoncent une tentative de récupération du mouvement populaire algérien par une mouvance totalitaire, masquée en « islamisme politique », avec le soutien de personnalités se déclarant « démocrates » et même « figures représentatives » du mouvement populaire.

Voici quelques observations et propositions pour un débat en cours, visant non pas à la division mais à l’union du peuple de manière démocratique.

 

Théologie et conception totalitaires.

Certains, pour conquérir le pouvoir étatique, produisent une « théologie » de haine, d’intolérance, de violence absolue et systématique. Ses victimes ne sont pas seulement les représentants de l’autorité étatique, certes dictatoriale, mais également l’élite intellectuelle, stigmatisée comme démocratique et laïque, mais encore contre la population civile, décrétée impie, parce que ne prenant pas les armes contre les autorités étatiques. L’application de cette conception totalitaire a coûté très cher au peuple algérien.

L’idéologue de l’establishment impérialiste (Samuel Huntington) et les idéologues de la théologie totalitaire islamique (Sayyid Qutb, Hassan Albanna, etc.) sont d’accord : le premier parle de « choc des civilisations » et de « guerre au terrorisme islamique », tandis que les seconds évoquent la guerre sainte contre les mécréants (« jihâd »). En réalité, ces deux adversaires masquent leur but identique : mettre la main sur les richesses naturelles des nations musulmanes et exploiter leurs peuples, dominés soit par l’empire états-unien, soit par l’empire du califat. Dans les deux cas, impérialisme.

Cette « théologie » islamique et cette idéologie du « choc des civilisations » présentent des caractéristiques. 1) Elles disposent de puissantes sources financières, donc de moyens de propagande dominants. 2) Elles sont totalitaires, mais de manière différente : la « théologie » islamique se cache derrière la volonté divine, dont elle s’auto-proclame l’unique interprète et représentant ; au contraire, l’idéologie du « choc des civilisations » prétend défendre la « démocratie », avec les résultats constatés, de l’Afghanistan à la Syrie. 3) « Théologie » islamique et idéologie « civilisatrice » emploient principalement la violence pour faire triompher leurs conceptions : la « théologie » islamique par l’intervention d’organisations terroristes, et la conception « civilisatrice » par l’intervention des services secrets et des armées impérialistes, sans oublier la manipulation, quand pas la création d’organisations se présentant comme « islamistes », afin de détruire les États-nations pour y établir des oligarchies-mercenaires, à l’exemple des oligarchies pétrolifères du Moyen-Orient.

Par conséquent, puissantes sources financières, puissantes organisations et recours à la violence expliquent la prédominance de l’islamisme totalitaire et de l’idéologie « civilisatrice » impérialiste.

 

Théologie et conception libératrices.

On comprend, donc, sinon l’absence, du moins l’existence toute relative d’une théologie musulmane, d’une part, et, d’autre part, d’une conception laïque, chacune d’elles visant à l’émancipation des peuples contre toute forme de domination.

Concernant les conceptions laïques émancipatrices, la faillite de la théorie politique marxiste a gravement démobilisé, désorienté, fragmenté et diminué toute conception laïque visant à la libération des peuples. La conception alternative qui aurait pu avoir du succès, l’auto-gestion sociale, fut vaincue, non seulement par des forces capitalistes, mais également par des forces marxistes, toutes les deux partageant la même mentalité de caste autoritaire hiérarchique

Quant à une théologie émancipatrice musulmane, elle eut moins de succès encore que la théologie de la libération chrétienne.

Cette dernière apparut dans les années 1960, se manifestant clairement au service des opprimés dans le monde. Elle donna des résultats appréciables, notamment en Amérique latine. Malheureusement, l’arrivée de Jean-Paul II comme Pape mit fin à cette théologie libératrice. Cependant, cette dernière montra la possibilité d’être croyant en une religion, tout en agissant pour l’émancipation des peuples.

Quant à la religion musulmane, des tentatives émancipatrices eurent également lieu. Dans la contribution précédente fut signalée l’existence de Gamal Albanna (2). Malheureusement, cette théologie musulmane émancipatrice eut et continue à subir une triple hostilité : celle des partisans de la « théologie » islamique totalitaire, celle des gouvernants dictatoriaux des nations à majorité musulmanes, et celle des impérialistes. Et tous les trois recourent principalement à la violence dans la réalisation de leur but.

Signalons, également, les partisans d’une certaine forme d’athéisme : en son nom, ils condamnent de manière absolue toute croyance religieuse, la considérant uniquement comme forme d’aliénation et d’ « opium du peuple ». À ces intransigeants, rappelons un fait historique. À l’époque de l’Association Internationale des Travailleurs, fondée à Londres en 1864, un débat eut lieu : faut-il ou non accepter l’adhésion de travailleurs qui ont une foi religieuse ? On prit la décision de les accepter. Sage décision..

En effet, ce qui importe le plus n’est pas d’avoir ou pas une foi religieuse, mais si celle-ci sert ou pas l’émancipation sociale. L’histoire prouve qu’elle peut la servir, et elle servit durant la guerre de libération nationale algérienne, comme on le verra ci-dessous.

Par conséquent, les non croyants qui condamnent toute conviction religieuse en tant que telle, sans tenir compte si celle-ci empêche ou favorise l’émancipation sociale, ces non croyants font, en réalité, le jeu du « choc » des civilisations et des religions. Car ces non croyants placent les enjeux sur ces deux terrains, alors que les véritables enjeux sont sur le terrain de l’oppression sociale des peuples.

Voici le plus gros problème : les partisans d’une théologie religieuse émancipatrice risquent d’être menacés par le recours à la violence contre eux de la part de leurs adversaires.

La théologie chrétienne de libération eut ses martyrs. Oscar Romero, archevêque de San Salvador, défendait les droits de l'homme, notamment ceux des paysans. Il fut assassiné en pleine messe. D’autres curés et prêtres de la même tendance furent également assassinés. Don Helder Camara, évêque catholique brésilien, déclara : « Quand je donne de quoi manger aux pauvres, on dit que je suis un Saint. Quand je demande pourquoi les pauvres n'ont pas à manger, on me traite de communiste. » D’où les hostilités qu’il eut à affronter.

Une théologie émancipatrice a des points communs avec une conception laïque également libératrice, notamment le socialisme. Précisons qu’il ne s’agit pas de celui pratiqué par les oligarchies de capitalisme étatique (les soit disant pays « socialistes), mais du socialisme entendu dans sa signification authentique de partage équitable de la gestion étatique, et donc économique et culturelle. Ainsi, l’on comprend un fait : la théologie totalitaire condamne en même temps les dictateurs militaires, les laïcs, les socialistes, les communistes et les religieux de conception émancipatrice des peuples.

 

Clarification.

Une personne réellement soucieuse du peuple ne devrait-elle pas soutenir toute conception, laïque ou religieuse, qui favorise la libération des peuples de toute forme d’oppression, et, par là même, ne plus faire de la religion un problème conflictuel ?... En effet, supprimez l’oppression des peuples, et vous n’aurez plus de problème de « religion » ni de « civilisation » ! Ces dernières existeraient dans le respect réciproque.

En Algérie, une clarification se ferait : elle distinguerait un islamisme (ou théologie) totalitaire d’une théologie musulmane émancipatrice. Certains laïcs sauteraient de surprise indignée, parce que le mot « théologie » ou/et celui de « musulmane » soulèveraient leur soupçon (« Ah ! Encore une manipulation de pro-islamiste ! »). Cette réaction est une erreur d’appréciation, une vision superficielle de la réalité. En effet, si la religion chrétienne a pu produire, malgré ce qu’elle pratiqua comme monstruosités totalitaires dans le passé, une théologie de la libération qui eut des résultats positifs, pourquoi la religion musulmane, - qui fut instrumentalisée de manière totalitaire pour produire également des monstruosités -, ne serait-elle pas capable de la même innovation émancipatrice ? Pourtant, de Ibn Rouchd à Gamal Albanna, jusqu’à l’Algérien Mohamed Arkoun, on trouve dans la religion musulmane les éléments pour promouvoir une théologie musulmane de libération sociale.

Voici un exemple spécifiquement algérien. Avant le déclenchement de la guerre de la libération nationale, la version islamique dominante s’accommodait du colonialisme au point qu’Ibn Badis affirma que la France était « notre mère protectrice » ! (3) Cependant, les nationalistes parvinrent à encourager une conception musulmane patriotique, jusqu’à faire servir la foi religieuse du peuple à la libération nationale de la patrie. Notons ceci dans la Déclaration du 1er novembre 1954. « But : L’Indépendance nationale par : - La restauration de l’état algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques. - Le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions. » Le second alinéa supprime toute ambiguïté : il affirme un Islam émancipateur. Ainsi, le Front de Libération Nationale réalisa une solidarité réelle entre religieux et laïcs au service de l’indépendance nationale. L’actuel mouvement populaire ne concrétise-t-il pas, déjà, ce genre positif d’alliance ? Ne s’agit-il pas, alors, d’en prendre une pleine conscience, en dehors de tout dogmatisme simpliste, pour agir en faveur de l’émancipation démocratique et sociale du peuple ?

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(1) « L’islamisme politique : 1. Situation algérienne » et « L’islamisme politique : 2. État et dissidence en Islam » respectivement in http://kadour-naimi.over-blog.com/2020/02/l-islamisme-politique-1.situation-algerienne.html et http://kadour-naimi.over-blog.com/2020/03/l-islamisme-politique-2.etat-et-dissidence-en-islam.html

(2) « État et dissidence en Islam », http://kadour-naimi.over-blog.com/2020/03/l-islamisme-politique-2.etat-et-dissidence-en-islam.html

(3) Combien la conception d’Ibn Badis était favorable à la présence coloniale, on peut le constater en visionnant à ce sujet les vidéos de Rafaa 156JZR.

Publié sur

lgérie Patriotique (06.03.2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (07.03.2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 8 Mars 2020

Lettre ouverte au frère Lakhdar Bouregaa

À propos de votre visite chez Ali Belhadj, vous déclarez :

« Je dois vous répondre avec ce que disait l’architecte de la Révolution et du Congrès de la Soummam. Abane Ramdane disait : « Il ne faut rien laisser à la France ». Abane Ramdane avait tout fait, absolument tout, pour récupérer les Algériennes et Algériens et les pousser à s’engager dans la voie de la révolution, celle de la rupture radicale avec la France, en commençant par oublier leurs appartenances organiques et leurs sensibilités politiques et idéologiques pour enfin se fondre dans le glorieux Front de Libération Nationale (FLN). (…) Il a récupéré les messalistes, les communistes, les Oulémas, les différentes associations, les sensibilités les plus contradictoires pour les mettre sous le commandement du Front de libération national, dans un seul objectif, celui de détruire l’ordre colonial. Moi, aussi, je suis dans la ligne d’Abane Ramdane. Il ne faut rien laisser au pouvoir actuel, le Hirak doit ratisser large et ne rien laisser au pouvoir, si on veut que la révolution pacifique en finisse avec ce système mafieux et injuste et bâtir l’Algérie démocratique et sociale dont ont rêvé les chouhada. C’est ma profonde conviction, celle d’un vieux moudjahid qui n’aspire à plus rien sauf à voir son peuple réapprendre à rêver. » (1)

Voici donc des observations, suivies de questions.

 

1.

Du commandement.

La stratégie que vous accordez à Abane Ramdane est exacte. Cependant, vous notez que toutes les tendances furent « fondues » et mises « sous le commandement du Front de libération national ».

Observation. Aujourd’hui, le Mouvement populaire actuel n’a ni programme clair (comme la Déclaration du 1er novembre 1954, puis la Charte de la Soummam de 1956), ni leader représentatif (comme Abane Ramdane), ni organisation (comme le parti FLN). Au contraire, Ali Belhadj dispose de son programme, de son organisation et incarne leur leader.

Question. En rendant visite à Ali Belhadj, représentant de l’idéologie que vous connaissez, sous quel « commandement » pensez-vous le mettre ? Et l’idéologie d’Ali Belhadj étant ce qu’elle est, croyez-vous qu’il se « fondrait » et se mettrait sous un « commandement » autre que celui qui est le sien ?

 

2.

De la démocratie sociale.

Vous parlez de « bâtir l’Algérie démocratique et sociale dont ont rêvé les chouhada ».

Observation. Les déclarations publiques d’Ali Belhadj, passées comme présentes, contiennent-elles la moindre indication pour une « démocratie sociale » ? Son programme et son idéologie sont-ils ceux « rêvés par les chouhada » ou, au contraire, rêvés par les oligarchies théocratiques du Moyen-Orient ?… À ma connaissance, j’ai vu seulement une vidéo où Ali Belhadj déclare qu’il faut « tous s’unir » pour éliminer la « issaba ». Cette conception est la seule preuve d’une identité de vue entre la démarche d’Ali Belhadj et la vôtre, ci-dessus exposée.

Question. Avez-vous des preuves convaincantes qu’Ali Belhadj partage votre conception démocratique et sociale ?… Dans ce cas, il devrait renoncer à considérer la volonté divine comme critère suprême (et lui comme son représentant auto-déclaré) pour faire fonctionner une société, et reconnaître comme volonté suprême uniquement celle du peuple.

Question subsidiaire. Avez-vous reçu de la part d’Ali Belhadj les garanties nécessaires de ce changement radical de conception ? Si oui, vous êtes prié de les communiquer, afin d’éclaircir la situation actuelle et légitimier la justesse de votre visite à Ali Belhadj.

Seconde observation. Ali Belhadj dispose d’une organisation et de relais salafistes (au Moyen-Orient) qui la renforcent, et il possède des accointances avec « Rachad » (qui fait partie de l’organisation mondiale des « Frères Musulmans »). Certes, les « Frères Musulmans », désormais sous la férule turque, s’opposent à l’oligarchie wahhabite ; cependant les deux présentent un front commun contre toute forme de démocratie sociale.

Question. En cas d’élimination de cette « issaba », de ce « pouvoir actuel », de quelle organisation disposez-vous, vous démocrate social, pour empêcher Ali Belhadj de concrétiser son programme théocratique ? En quoi ce dernier consisterait-il à « bâtir l’Algérie démocratique et sociale » ? Quelles garanties avez-vous ? Si vous les avez, ne devriez-vous pas les communiquer au peuple algérien, pour le convaincre de la justesse de votre démarche ?

 

3.

Du rêve populaire.

Vous déclarez votre aspiration « à voir [le] peuple réapprendre à rêver. »

Observation. À ma connaissance, Ali Belhadj n’a appris au peuple à rêver que de « paradis » pour les personnes qui adopteraient son idéologie, et d’enfer pour toutes celles qui s’y opposeraient, en recourant aux massacres non seulement contre les représentants des institutions étatiques, mais également contre les intellectuels et démocrates, et même contre les citoyens accusés de ne pas prendre les armes contre le régime au pouvoir.

Question. Pouvez-nous nous indiquer comment, aujourd’hui, votre rêve concernant le peuple est compatible avec celui d’Ali Belhadj ?

 

4.

Faillite de l’opportunisme politique.

En Iran, les démocrates avaient constitué un front commun avec les partisans de Khomeini, pour abattre la dictature du Shah. Cependant, une fois ce dernier parvenu au pouvoir, il fit interdire toutes les organisations non conformes à son idéologie, emprisonna et massacra les démocrates qui l’avaient aidé à prendre le pouvoir. Pourtant, ces démocrates disposaient d’organisations d’un poids significatif dans le rapport de force.

Question. En Algérie, en cas d’élimination du régime actuel, et de possibilité qu’Ali Belhadj et ses partisans parviennent au pouvoir, par des élections démocratiques, quelles garanties avez-vous que le scénario khomeiniste ne se reproduira pas en Algérie ? Et s’il se produit, de quelles organisations disposez-vous pour empêcher sa réalisation ?

En espérant vos éclaircissements, salutations fraternelles.

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(1) Entretien réalisé par Kamel Lakhdar-Chaouche, 03 mars 2020, DZVID.

 

Publié sur

Algérie Patriotique (05.03.2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (05.03.2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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