Publié le 1 Mars 2020

Gamal Albanna

Gamal Albanna

Comme promis dans la précédente contribution (1), voici son complément. C’est un extrait de mon essai, publié en juin 2017 (2), accompagné d’un court commentaire final. On y constatera combien, en Algérie, des personnages qui se définissent « intellectuels universitaires », tel Lahouari Addi, ou agissent comme politiciens se considérant démocrates, soit ignorent ce qui est exposé ci-dessous, soit l’occultent pour un motif inavoué.

 

« De l’État islamique.

Sur la question de sa nécessité combien de soit-disant experts de l'Islam, quelque soit leur provenance, connaissent Gamal Albanna (3) et ce qu'il dit à ce sujet ? Et s’ils sont au courant de ses propos, pourquoi ne les mentionnent-ils pas ?… Lisons :

« - Pourquoi l’État Islamique a failli dans l'époque moderne ?

- (...) Le penseur islamique Gamal Al-banna souligna le fait que les tentatives islamiques de réaliser un État religieux en Algérie, Soudan, Afghanistan et Pakistan ont failli, et que les tentatives en Iran et Arabie Saoudite sont deux problèmes et ne peuvent pas être considérés un bon exemple.

Al-Banna précisa que l'adhésion à la réalisation d'un État musulman est due à l'interprétation erronée du verset « Et il a créé des djinn [Êtres supra-naturels, correspondants aux anges] et des hommes, mais pour le culte ». Les personnes qui soutiennent l'idée d'un État islamique avec l'unique objectif que l'Islam est un culte, et ont donc réduit l'Islam à l'objectif de culte, rendant ainsi l’État islamique un objectif de telle manière que toutes les personnes adorent Allah, cela est une chose inimaginable. L’État, selon Al-Banna, est un instrument de soumission et d'autorité, et donc quand un État est créé sur des valeurs religieuses, qu'elles soient chrétiennes ou musulmanes, ou des valeurs morales, comme le socialisme, la justice ou l'égalité, ces valeurs seraient corrompues. Cela parce que l'autorité, avec ses prisons, ses armées et forces de police, devient une doctrine, une ruine. (...) »

Le Hadith(4) sur l' « État de Médine » [où a séjourné le Prophète] concerne, selon Al-Banna, l'exception et non la règle. (...)

Les motifs varient à propos de la faillite des tentatives pour un État islamique. Le plus important de ces motifs, selon Gamal Al-Banna, peut être le manque de liberté dans toutes ces tentatives, dans la mesure où le manque de liberté peut être le facteur commun à toutes ces expériences.

Cela est en addition à un autre facteur, c'est-à-dire que ces tentatives ne maintiennent pas le niveau minimum de dignité humaine dans leurs sociétés, sans discrimination entre hommes et femmes, ou blanc et noir. Un autre motif à propos de la faillite de l’État islamique dans ses diverses tentatives concerne le fait que le plus important devoir d'un État est le développement.

D'un autre côté, Al-Banna a discuté l'idée de la nécessité d'un État islamique pour la diffusion du message de l'Islam ou l'application de la Shari’a [la loi coranique] islamique. Il a discrédité cet argument que beaucoup de courants islamiques soutiennent, en assurant qu'il n'est pas nécessaire de disposer d'un État islamique pour appliquer la Shari'a, dans la mesure où la Shari'a peut être appliquée seulement s'il y a un pays islamique qui peut suivre les méthodes consenties par la constitution qui émane la loi. » (5)

 

De la dissension en général.

Dans les pays arabo-musulmans, son expression est réprimée pour deux motifs internes. D'une part, elle est combattue par la répression des gouvernements dictatoriaux, et, d'autre part, par l'action terroriste de l'intégrisme religieux.

Un motif externe existe, également. Dans les pays occidentaux, la majorité dominante (dirigeants politiques, médias et intellectuels) qui, dans le passé récent, avait fait connaître et soutenu les dissidents de l'ex-Union Soviétique et des ex-pays de l'Est européen, ne soutient pas ou pas de la même manière les dissidents musulmans contre l'intégrisme et contre l’État dominateur.

Le journaliste Timothy Garton Ash est l'un des rares journalistes à avertir sur la gravité de l'enjeu. Voici ce qu'il dit :

« Nous faisons une erreur fatale en ignorant les dissidents à l'intérieur de l'Islam. (...)

L' »Islam », a dit la Frankfurter Allgemeine Zeitung, l'an dernier, « n'est pas compatible avec la société libérale, qui est le résultat des Lumières ».

Beaucoup d'intellectuels occidentaux laïcs qui participent à ces débats sont d'accord. Mais non certains intellectuels musulmans. Je crois que nous devrons les écouter attentivement. Outre à tout le reste, quand il s'agit de discuter de l'Islam, ils savent de quoi ils parlent.

Prenez Gamal al-Banna, par exemple (...) il a dédié toute sa vie à étudier l'Islam et ses relations avec la politique. Un homme de tranquille clarté, il est devenu un peu agité seulement quand il a dénoncé la perversion de l'Islam de la part de Sayyid Qutb, l'apôtre égyptien de l'extrémisme, de l'islamisme takfiri et un héros pour Al-Qaïda.

Gamal al-Banna soutient qu' « il n'y a aucune contradiction entre la totale liberté de pensée et de religion » et que « l'Islam ne prétend pas au monopole de la sagesse ». Des idées critiques sur l'Islam doivent être combattues « avec les paroles et non avec la confrontation, le terrorisme ou takfir - anathème sur quelqu'un en l'indiquant comme infidèle. Comme pour l'apostasie « le Musulman a le droit de renoncer à l'Islam, les versets du Coran sont très explicites sur la question : « Il n'y a pas de contrainte dans la religion » (Al-Baqara, La Vache, II, 256). Le renoncement à la religion est mentionné au moins cinq fois dans le Coran, et aucun n'est lié à une peine. À l'époque du Prophète, beaucoup de personnes renoncèrent à l'Islam : l'un d'eux était un scribe du Coran. Le Prophète n'a puni aucun d'eux. »

La déclaration souvent attribuée au Prophète - « qui change sa religion doit être exécuté » - est repoussée en tant qu'inauthentique selon l'imam Muslim, un des premiers et plus respectés compilateurs de collections de hadiths [déclarations et actes du Prophète], mais l'imam Al-Bukari, un autre compilateur respecté, l'inclut dans sa version. « Les signes de falsification sont très clairs dans cette déclaration », commente Banna « et il contredit beaucoup de versets du Coran qui confirment la liberté de foi ». (...)

Ces dissidents à l'intérieur de l'Islam sont une petite minorité. Le sont aussi les extrémistes takfiri qui endoctrinent les auteurs d'attentats. Toutefois, ces deux minorités ont la capacité de faire appel au plus grand nombre de la majorité [des Musulmans] parmi eux - et, en particulier, aux Musulmans qui vivent en Occident. Donc la voix des dissidents a besoin d'être écoutée plus clairement. Cette lutte pour les cœurs et les esprits musulmans devrait être décidée par les Musulmans, capables d'argumenter entre eux leurs thèses, mais nous non-Musulmans, nous formons sans doute le contexte - et nous contrôlons beaucoup de médias où cela a lieu.

La position défectueuse de certains intellectuels occidentaux laïcs engagés dans le débat actuel semble être : l'unique Musulman bon est un ex-musulman. Cela est paternaliste et produit l'effet contraire. Il s'agit d'une simple parodie de la vraie diversité de l'Islam. Naturellement, nous non- Musulmans, nous devrons chercher de réveiller notre pensée sur la nature de l'Islam, avec les moyens limités à notre disposition. Mais rien ne peut être plus ridicule et stupide que l'éventuelle déclaration d'un intellectuel laïc occidental, qui, ne connaissant pas l'arabe et ayant une faible connaissance de l'histoire islamique, de la philosophie et de la loi, affirme avec confiance que Gamal Al-Banna est un représentant moins vrai de l'Islam que Sayyid Qutb ou Osama bin Laden. Et nous ne devrons pas être stupides si nous voulons rester libres (6). »

Voici, par exemple, ce que beaucoup d’intellectuels occidentaux ignorent ou semblent ignorer : aujourd’hui, en Occident, la conception de ce que sont les Musulmans a des ressemblances frappantes avec ce qu’était, dans l’Antiquité occidentale romaine, la vision concernant les Juifs puis les Chrétiens. Que l’on consulte l’ouvrage de Barnard Lazare, L’antisémitisme : ses origines et ses causes, notamment le chapitre II : L’antijudaïsme dans l’antiquité (7) . On y trouve presque les mêmes critiques pour presque les mêmes motifs.

Une autre difficulté que vit la dissension islamique pacifique et anti-intégriste est ce fait : les moyens d'information occidentaux l’ignorent généralement, pour présenter presque exclusivement les manifestations d'intégrisme islamique, notamment violent. Exemple : combien de moyens d’information occidentaux ont signalé les manifestations de condamnation des derniers attentats à Bombay ?

« Le 7 décembre, soit dix jours après les attentats de Bombay, mollahs, muftis (8) et simples musulmans ont participé dans la ville à un rassemblement silencieux en souvenir des victimes, organisé par l'écrivain Anand et son groupe Muslims for Secular Democracy. Ils ont également exprimé leur indignation vis-à-vis de l' « effondrement de tout le système de gouvernement et condamné la totalité des organisations impliquées dans les meurtres de masse », à savoir Al-Qaïda, les talibans, les mouvements pakistanais, notamment Lashkar-e-Taiba, et certains groupes indiens locaux. « Pas en notre nom », ont-ils clamé (9). »

Si les gouvernements et intellectuels occidentaux ont fait connaître et soutenu les dissidents contre la dictature dans les ex-pays totalitaires de l'Europe, mais ne soutiennent pas les dissidents musulmans contre la dictature dans les pays arabo-musulmans, quel peut être le motif ?

La dissidence musulmane, libérale et démocratique, ne s’oppose pas uniquement à l’intégrisme religieux mais tout autant aux dictateurs qui dominent les peuples arabo-musulmans. « Ni dictature islamiste ni dictature non islamiste ! » voilà le principe de cette dissidence. Cette attitude ne répond pas aux intérêts des gouvernements occidentaux. Nous avons déjà vu que, pour satisfaire ces intérêts, ces gouvernements ont besoin de l’existence d’une oligarchie locale.

Par conséquent, ces gouvernements, en ignorant la dissension islamique libérale et démocratique, représentée par Gamal Al-Banna, pour ne parler que de la menace de l'intégrisme et du terrorisme islamiques, sont doublement complices des deux parties qui s’opposent, dans les pays arabo-musulmans, à cette revendication de démocratie, aussi bien politique que religieuse : d'une part, les dictateurs, d'autre part, les intégristes terroristes.

Voilà pourquoi la dissidence démocratique musulmane, déjà minoritaire dans son pays, est pratiquement inconnue en Occident. C'est qu'elle est combattue par trois ennemis : le terrorisme des dictateurs, le terrorisme des intégristes, et l'hostilité des gouvernements occidentaux relayés par les médias qui les soutiennent, et qui sont dominants.

En effet, combien de films, de télévisions, de journaux, de maisons d'éditions occidentales ont donné la parole aux dissidents musulmans démocratiques ? Combien d'intellectuels et d’experts occidentaux du monde musulman en ont parlé ?

 

Combattre l’ignorance manipulatrice.

Voici le commentaire, ajouté à l’extrait exposé.

En Algérie et dans la diaspora, combien d’intellectuels universitaires et de politiciens démocrates connaissent ces dissidents musulmans, en tiennent compte et en informent le public ? Nous constatons, plutôt, des propos systématiques et sans aucune nuance : 1) soit, ils stigmatisent l’Islam, en tant que tel, comme intrinsèquement anti-démocratique, violent et terroriste, en se basant sur certains versets du Coran, cités par des organisations terroristes ; 2) soit affirment l’Islam, en considérant la Charia, comme unique et absolue base de structuration sociale, en condamnant à la mort tout citoyen contestant cette conception, en se basant sur d’autres versets du même Coran, cependant contestables, comme Gamal Al-Banna l’affirme ; 3) soit, - c’est le cas de certains personnages, se proclamant démocrates -, affirment, au nom des droits de l’Homme et de la démocratie, la légitimité d’existence de l’islamisme politique dans la compétition électorale, mais sans prendre la précaution élémentaire de contrôler si les programmes de cet islamisme politique acceptent clairement et sans ambiguïté le principe démocratique, concernant l’alternance au pouvoir.

Les représentants de ces trois conceptions ignorent ou occultent, pour un motif inavoué, l’existence de la dissidence musulmane démocratique, dont Gamal Al-Banna est le plus illustre représentant.

La preuve que les citoyens des pays musulmans, dont l’Algérie, sont manipulés par les représentants des trois conceptions ci-dessus évoquées, la voici : beaucoup d’entre ces citoyens ont entendu parler des « Frères Musulmans » et de leur fondateur, Hassan Al-Banna, et un nombre significatif de citoyens prêtent crédit à leurs représentants, avoués ou masqués, tels Larbi Zitout ou Lahouari Addi. Mais, en comparaison, combien ont entendu parler de Gamal Al-Banna et de ses écrits ?… Considérons les citoyens, musulmans ou laïcs, mais tous voulant une société où le peuple soit l’unique volonté suprême, tel est le principe démocratique. Pour que ces citoyens ne soient pas victimes de manipulation de la part d’activistes, de politiciens ou d’ « intellectuels universitaires », tous se proclamant contre la dictature, ces citoyens doivent accomplir l’effort de se documenter sur internet. Le pire manipulé est celui qui l’ignore. Car la conception dictatoriale, quelle que soit sa forme, théocratique ou laïque, se nourrit, d’abord, de l’ignorance des citoyens. Dès lors, la liberté et la démocratie commencent par l’effort de s’instruire, en y consentant le temps nécessaire.

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(1) http://kadour-naimi.over-blog.com/2020/02/l-islamisme-politique-1.situation-algerienne.html

(2) « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?... », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-guerre-paix.html

(3) Gamal Albanna, à 87 ans, est l’un des plus importants chercheurs musulmans égyptiens de l'Islam, et frère de Hassan Albanna, fondateur de l'organisation islamique fondamentaliste « Frères Musulmans ». Stupéfiant hasard de l’histoire : deux frères aux conceptions totalement opposées.

(4) Commentaire religieux qui fait autorité comme interprétation de la religion musulmane.

(5) Compte­rendu de l'intervention durant le symposium intitulé "Why Did the Islamic State Fail in the ModernAge ?" (Pourquoi l'État islamique a échoué dans l'époque moderne ?), organisé le 13.9.2004, par The Cairo Center for Human Rights Studies (Centre du Caire pour les Etudes sur les Droits Humains). Voir le site, visité le 08.02.2008. Sur les thèmes de l'Islam, des Arabes et de la politique, il est très intéressant de consulter l'ensemble du texte du site.

(6) 15 mars 2007, in The Guardian, visité le 7 février 2008.

(7) Léon Chaillez Editeur, Paris, 1891. Libre accès sur le site http://fr.wikisource.org, visité le 31.10.2016.

(8) Prêtres musulmans, les mollahs sont de la tendance chiite, tandis que les muftis sont d’obédience sunnite.

(9) Wendy Kristianasen dans le mensuel Le Monde Diplomatique, janvier 2009, p. 1. L'auteur signale le site : Muslims for Secular Democracy (Musulmans pour une démocratie séculaire): www.mfsd.org.

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Publié sur

Algérie Patriotique (01.02..2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (01.02.2020).

 

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 26 Février 2020

Des manifestants brandissent le portrait de l'ex-chef du FIS.

Des manifestants brandissent le portrait de l'ex-chef du FIS.

En Algérie, l’islamisme politique a fait débat, il a coûté dix années de tragédie et environ 200.000 morts. À l’occasion de l’actuel Mouvement populaire algérien, le débat revient. Oui ou non, l’islamiste politique en Algérie ? Dans cette première contribution la situation algérienne est examinée ; dans une seconde, complémentaire, sera exposée la problématique générale dans les pays à majorité musulmane.

 

Des balbutiements occultes à l’affirmation publique.

Au cours de l’actuel Mouvement populaire, l’islamisme politique a, d’abord, au début, commencé très timidement à se manifester, par quelques slogans genre « Allah akbar ! » (Dieu est grand !). Ensuite l’exigence d’unité du mouvement l’a fait pratiquement disparaître. Il est revenu notamment avec la mort de l’ex-président égyptien Mohamed Morsi, un représentant important de l’organisation mondiale des « Frères Musulmans », notamment par les hommages rendus par des manifestants. Enfin, avec le temps, constatant que le Mouvement populaire ne s’auto-organisait pas pour disposer de sa structure autonome le dotant de ses authentiques représentants (Lahouari Addi est allé jusqu’à affirmer que le Mouvement populaire « n’a pas vocation à s’organiser », et on découvrira ci-dessous le vrai motif de cette affirmation), l’islamisme politique s’est de plus en plus manifesté, notamment à travers l’organisation islamiste « Rachad », et son représentant le plus actif sur les réseaux sociaux, Mohamed Larbi Zitout. Avec le point d’orgue que fut la rencontre de Paris, où, avec stupéfaction, on a constaté la présence d’un personnage se définissant intellectuel universitaire démocrate : Lahouari Addi.

En outre, tout le long du Mouvement populaire, on constate l’action de la chaîne de télévision « Al Magharibia ». Le propriétaire est l’un des fils de Abassi Madani, ex-dirigeant du FIS (Front du Salut Islamique), mais on ignore la provenance du financement de cette télévision. Ce qu’on voit, toutefois, ce sont des débats où participent des personnalités qui se définissent démocrates.

L’ultime fait à relever est la rencontre de quatre personnalités : chez Ali Belhadj, en présence de Benlarbi, étaient présents Mustapha Bouchouchi et Lakhdar Bouregaa. La photo de cette rencontre a suscité deux très vives réactions opposées. Les uns ont exprimé des interrogations perplexes, se résumant ainsi : comment des démocrates confirmés comme Bouchouchi et Bouregaa ont accepté de rendre visite à un ex-instigateur de l’assassinat des démocrates algériens, notamment intellectuels, journalistes, étudiants, des deux sexes ? D’autres ont approuvé cette rencontre, avec deux genres d’arguments. Les uns déclarèrent que le passé est désormais à oublier pour ne considérer que le présent sous forme d’unité des Algériens contre le régime à éliminer ; les autres vont plus loin : épousant la thèse des islamistes du FIS et de « Rachad », sans oublier certains « intellectuels démocrates », ils affirment, - sans preuves convaincantes -, que les massacres de civils durant la décennie noire sont tous à imputer à l’armée. Pourtant, il suffit d’aller voir des vidéos sur internet pour constater que l’un des dirigeants de l’ex-FIS, Mourad Dhina (et actuellement membre de « Rachad »), justifiait ouvertement l’assassinat des journalistes.

 

Principe et réalité.

Voici la position défendue par un courant de l’islamisme politique, avec le soutien de personnalités se déclarant démocrates : au nom des droits de l’Homme et de la démocratie, le courant de l’islamiste politique a droit de cité en Algérie, et, donc, à la compétition électorale.

Essayons d’examiner ce principe, non pas en étant motivé par la passion (partisane idéologique, donc par des intérêts individuels de caste), mais uniquement par la raison (au service du peuple).

Par principe, un vrai démocrate n’exclut l’expression d’aucune opinion, d’aucune forme d’association, dans la participation à la gestion d’une nation.

Toutefois, ce principe est sujet à une condition fondamentale et non discutable : que cette opinion, que cette association n’emploient pas, de manière ouverte ou occulte, le fonctionnement démocratique pour parvenir au pouvoir étatique, afin d’éliminer le fonctionnement démocratique, d’une manière « soft » ou violente, pour établir une théocratie, laquelle ne peut être, par nature, qu’une dictature.

Il s’ensuit cette conséquence : les représentants d’un islamisme politique qui nieraient la valeur de la démocratie, pour évoquer la seule « volonté divine » comme référence, cet islamisme là, est-il admissible dans un système démocratique ?… Non, car il instaurerait une dictature. Elle serait même pire que celle de militaires laïcs. En effet, ces derniers tireraient leur légitimité uniquement de leur prétention à être les « meilleurs » représentants de la nation, en s’appuyant, naturellement, sur la force armée. Tandis que les partisans d’un islamisme politique, prétendendant représenter la volonté divine, tireraient leur légitimité d’une notion supérieure à celle laïque des militaires, la volonté divine ; cependant, comme islamistes et militaires imposeraient leur conception à partir de la violence armée.

Dès lors, dénoncer l’illégitimité d’une dictature militaire, c’est remettre en question uniquement une volonté d’êtres humains. Par contre, dans le cas d’une dictature religieuse, ce serait remettre en question la volonté de Dieu. On comprend, alors, où se trouve la dictature la plus totalitaire, et, donc, la difficulté de la contester par un peuple dominé. En effet, comment faire raisonner un être humain qui s’auto-proclame dépositaire de la volonté divine ?

Voilà donc le motif pour lequel un islamisme politique qui a comme référence la volonté divine, et la prétention unilatérale de la représenter, cet islamisme politique est incompatible avec un système démocratique, donc pas acceptable, dans le cadre d’un fonctionnement démocratique. Dans ce cas là, ce ne sont pas les démocrates qui excluent l’islamisme politique de la règle démocratique, mais c’est lui-même qui s’en exclut. Dès lors, quel droit aurait-il d’agir dans un système démocratique, sinon pour le détruire ? Et, dans ce cas, est-il démocratique de le laisser faire ?

Considérons des exemples concrets. En Algérie, dans les années 1990, le FIS déclarait publiquement, par la voix de l’un de ses deux co-fondateurs, Ali Belhadj, que la démocratie est « kofr » (blasphème), qu’en cas de victoire électorale, le FIS éliminerait la démocratie pour établir la « charia », autrement dit le système théocratique (donc dictatorial), dont, évidemment, lui, Ali Belhadj et ses partisans s’auto-proclament représentants, indiscutables et infaillibles. On sait ce que cela signifie pour les citoyens qui seraient en désaccord : l’Afghanistan des Talibans a donné l’exemple. En Algérie, la « décennie noire » vit l’assassinat de journalistes, d’intellectuels, d’enseignants, d’étudiants, d’artistes parce que démocrates.

Un cas est plus grave encore. En Iran, des démocrates ont soutenu l’imam Khomeiny dans sa conquête du pouvoir étatique. Une fois celui-ci et ses partisans parvenus au pouvoir, ils firent assassiner tous les démocrates qui avaient eu l’illusion de croire que l’idéologie de Khomeiny leur aurait permis d’exister encore dans un système théocratique.

Se pose, alors, une autre question.

 

Un islamisme politique démocratique est-il concevable ?

Commençons par examiner une autre religion. En Italie, notamment, un parti politique s’inspirant de la religion a existé et dirigé le pays pendant une période. Toutefois, ce parti prit le soin de désigner son nom de manière claire : Parti démocrate-chrétien. Et, de fait, son action a respecté le système démocratique (1).

À ma connaissance, dans les pays musulmans, jusqu’à présent, aucun parti d’idéologie islamiste n’a considéré opportun de se nommer en prenant la précaution d’ajouter le terme « démocrate ». Cela aurait donné, au moins, une garantie formelle d’acceptation du système démocratique.

Arrivons à la question : peut-il exister un islamisme politique se concevant dans le système démocratique ?

La démocratie, répétons-le, signifie considérer la volonté du peuple comme valeur suprême, dans le choix d’un système social. Or, une idéologie se réclamant de l’Islam, normalement, considère la volonté de Dieu comme valeur suprême. Dès lors, comment cet islamisme politique peut-il considérer comme suprême la volonté du peuple, et non celle de Dieu ?… Là est la réponse qu’un islamisme politique doit donner, de manière claire et sans aucune ambiguïté, pour démontrer et convaincre qu’il peut fonctionner dans un système démocratique. Question : en Algérie, est-ce les partis politiques d’obédience islamiste, est-ce que l’association « Rachad », également islamiste contiennent, dans leur programme, les éléments fournissant la conviction que la volonté du peuple est prioritaire par rapport à la volonté divine ? N’est-ce pas là l’unique manière d’accepter la règle démocratique ?

Autre question. En Algérie, toutes les personnalités, politiques ou intellectuelles, qui affirment le droit à l’existence de l’islamisme politique, davantage encore, qui fréquentent et se font photographier en bonne compagnie avec des représentants de l’islamisme politique, ces personnalités ont-elles reçu la garantie claire et sans ambiguïté, et d’abord à travers les programmes, que les représentants de cet islamisme politique considèrent la volonté du peuple prioritaire par rapport à celle de Dieu ?… Autrement, de quelle garantie disposent ces personnalités démocrates pour accorder à cet islamisme politique le droit à l’existence, en ayant en vue le principe démocratique et celui des droits de l’homme (sans oublier celui de la femme) ?… En considérant les faits historiques, quelle garantie ont ces personnalités démocrates pour penser que, dans le cas où cet islamisme politique parviendrait au pouvoir étatique dans un cadre d’élections démocratiques, il n’agirait pas comme les Talibans en Afghanistan, comme Khomeiny en Iran, et comme Ali Belhadj, co-fondateur du FIS, voulait publiquement dans ses déclarations publiques dans les années 1990 ?

Tant qu’à ces questions les personnalités se déclarant démocrates ne donnent pas des réponses claires et sans ambiguïté, n’est-on pas en droit de rester vigilants, et de contester à ces démocrates la qualité qu’ils prétendent avoir ?

Voici une autre preuve de la nécessité de cette vigilance. En Égypte, Morsi est, certes, parvenu au pouvoir par des élections régulières. Cependant, une fois au pouvoir, ses actes révélèrent clairement son programme : islamiser la société de manière à favoriser l’établissement d’une théocratie, donc une dictature. L’explication de ce comportement est claire : Mohamed Morsi est un éminent représentant de l’organisation des « Frères Musulmans ». La connaissance des écrits et programmes de cette organisation montrent clairement leur stratégie ; pratiquer l’entrisme dans les institutions étatiques, en profitant du principe démocratique, dans le but de conquérir le pouvoir étatique, pour établir leur idéologie : une théocratie religieuse.

Deux exemples. En Égypte, ce processus a été stoppé par l’armée. Les pro-Morsi déclarent que le coup d’État fut une action unilatérale des militaires. C’est occulter les manifestations monstres populaires qui, durant le règne de Morsi, dénonçaient déjà ses actions visant à transformer l’Égypte en théocratie.

Second exemple : il est en cours actuellement en Tunisie, sous forme de pénétration de l’islamisme politique dans le parlement, par l’intermédiaire d’élections démocratiques régulières.

Certains objecteront : « Mais tu es, alors, pour la dictature militaire ? »… Ce serait ne pas comprendre mes propos. Ils ne sont pour aucune forme de dictature, ni militaire ni théocratique ; mes propos se proposent de défendre le principe démocratique, tout en sachant qu’il est le moins mauvais des principes de fonctionnement social.

 

Problème fondamental.

Certes, oui, le peuple algérien a besoin de l’union la plus large de toutes les bonnes volontés, quelques soient leur idéologies, pour construire un système social libre, égalitaire et solidaire. Mais la condition n’est-elle pas que la volonté du peuple soit la volonté suprême ?… Comment y parvenir si l’on ne sépare pas le domaine politico-social de celui de la conviction religieuse individuelle ? Comme individu, on a le droit légitime de considérer la suprématie de la volonté divine, et d’y conformer le comportement personnel. Mais, dans le domaine politico-social, la suprématie de la volonté doit appartenir au peuple, autrement on est hors de la démocratie, mais dans la dictature théocratique.

En Algérie, il faut que des personnes (comme Lahouari Addi), s’ils sont réellement des démocrates :

1) cessent de répéter l’accusation de Larbi Zitout et de « Rachad » : que toute critique de l’islamisme politique émane d’ « agents du DRS » ;

2) cessent de charger uniquement l’armée des crimes de la « décennie noire », mais évoquent également ceux des islamistes, sans se contenter de les disculper en disant qu’ils étaient infiltrés par le DRS ; en effet, en quoi une infiltration par l’adversaire élimine la responsabilité des infiltrés ? Et, par exemple, en quoi les déclarations d’un Mourad Dhina ou d’un Ali Belhadj, clairement anti-démocratiques, s’expliqueraient par l’infiltration du DRS ?… Clarifions un point. Ces mêmes politiciens ou intellectuels démocrates ont le droit (et le devoir) d’émettre des critiques sur le comportement de l’armée durant la « décennie noire ». Mais n’ont-ils pas, aussi, le devoir éthique d’être objectifs, à savoir évoquer également le comportement des islamistes dans la tragédie ? Autrement, n’est-on pas dans la vile propagande partisane d’imposteurs manipulateurs, c’est-à-dire prétendre combattre contre une dictature militaire, mais, en réalité, défendre une dictature théocratique ?

3) avouent publiquement soit d’ignorer (dans ce cas quelle est leur crédibilité d’intellectuels universitaires ou de politiciens démocrates ?), soit d’occulter (alors, ils seraient des imposteurs manipulateurs) ce qu’on constate facilement sur des documents et des vidéos sur internet : Larbi Zitout et son organisation « Rachad » font partie de « Mou’tamar al Oumma » (Congrès de la Communauté, sous-entendu islamique) ; cette organisation fait partie des « Frères Musulmans » ; le président de Turquie Erdogan en est membre ; et, - voici le comble ou plutôt l’imposture démasquée -, que fait Erdogan ?… Son armée soutient les organisations terroristes qui opèrent en Syrie, et dont certains, vaincus par l’armée syrienne, ont été déplacés, dans les avions de l’armée turque, en Libye, d’où ces mêmes terroristes menacent publiquement l’Algérie, en s’adressant à leurs partisans dans le pays (les vidéos sur internet en font foi)… Alors, démocrates, politiciens ou intellectuels universitaires, vous qui fréquentez Larbi Zitout, vous qui vous présentez avec lui à la rencontre de Paris, vous qui osez même lever avec lui le « V » de la victoire, vous qui vous faites photographier dans la maison de Ali Belhadj, n’avez-vous pas un devoir ? Celui de démontrer au peuple, que vous déclarez défendre, ceci : est-il vrai ou faux que l’organisation des « Frères Musulmans », dans ses écrits et programmes, vise, dans tous les pays à majorité musulmane, la conquête du pouvoir étatique, par l’entrisme dans les institutions étatiques, sous prétexte de combattre la dictature militaire, mais, en réalité, afin d’établir la « loi » musulmane, autrement dit la dictature théocratique ? Si telle est la réalité, quel est votre but en fréquentant des personnalités de cet islamisme politique ? Le principe démocratique ne vous oblige-t-il pas à dire au peuple la vérité, toute la vérité et rien d’autre que la vérité ?

Le problème fondamental, donc, n’est pas d’être pour ou contre l’islamisme politique, mais que ce dernier fournisse les preuves concrètes et convaincantes qu’il n’utilisera pas la démocratie pour l’éliminer. La seule manière de convaincre n’est-elle pas dans le fait que le programme et les déclarations publiques de l’islamisme politique doivent affirmer, clairement et sans équivoque, la priorité de la volonté du peuple sur toute autre volonté, précisément celle divine ?

La question s’adresse, d’abord, aux représentants de ce courant politique, s’ils veulent avoir le droit d’existence dans un cadre démocratique. La question s’adresse, ensuite, aux démocrates, - s’ils le sont réellement -, qui les légitiment, leur donnant ainsi une crédibilité démocratique. Ces démocrates n’ont-ils pas le devoir de fournir au peuple, dont ils se réclament les défenseurs, une garantie convaincante ? À savoir que leur fréquentation de représentants de l’islamisme politique n’est pas un opportunisme illusoire où, prenant leur désir pour réalité, ils sont les dindons de la farce, et entraînent le peuple dans une future dictature théocratique ?… Ou, peut-être, parce que ces démocrates ignorent les écrits d’une personnalité soigneusement occultée ?… Ce sera l’objet de la prochaine et complémentaire contribution.

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(1) N’entrons pas dans les détails, notamment certains liens avec la mafia locale, durant les compétitions électorales.

 

 

Publié sur

Algérie Patriotique (26.02..2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (26.02.2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 23 Février 2020

Mouvement populaire : entre récupération et structuration

De la tragédie à la farce.

C’est une loi empiriquement observable depuis toujours et partout : tout mouvement populaire court le risque certain d’être manipulé et récupéré par des éléments organisés, qui s’auto-proclament haut et fort comme étant les seuls, les meilleurs, les authentiques représentants du mouvement populaire en question.

Citons des cas historiques significatifs.

Le mouvement populaire de 1789 en France, comme celui de 1917 en Russie furent une surprise totale pour les élites plus ou moins organisés de leur époque. Ni un Robespierre ni Lénine ou Trotski, malgré tout leur engagement social et toutes leurs connaissances théoriques, ne s’attendaient au surgissement du mouvement populaire. Cependant, les Jacobins s’organisèrent très vite pour s’imposer dans la direction du mouvement populaire. Quant aux Bolcheviks, ils étaient organisés depuis près longtemps pour prendre la direction du mouvement populaire. Les uns et les autres réussirent à faire entrer leurs militants dans le mouvement, à le noyauter, à le manipuler jusqu’à en obtenir la direction.

Robespierre et ses partisans proclamaient en paroles leur adhésion complète à la révolution. Mais, constatant l’aspect auto-organisationnel qui commençait à se concrétiser, avec la contribution des hébertistes, babouvistes et « enragés », Robespierre et ses partisans s’organisèrent dans le Club des Jacobins, puis employèrent un langage tel qu’ils semblaient suivre le peuple dans ses revendications. En réalité, ce fut là une tactique qui leur permit de prendre la direction du mouvement populaire. Une fois au pouvoir, sous divers prétextes, ils instaurèrent la Terreur et la concrétisèrent avec la guillotine. Ils exécutèrent moins de nobles contre-révolutionnaires que de révolutionnaires qui avaient le seul tort de vouloir un gouvernement réel du peuple par le peuple.

Considérons les Bolcheviks. Voyant le surgissement des soviets (comités, assemblées) d’ouvriers, de soldats et de paysans, surgissement spontané à la seule initiative de ces derniers, Lénine écrivit à la hâte, diffusa ouvrage L’État et la révolution, et lança le fameux slogan « Tout le pouvoir aux soviets ». L’ouvrage et ce slogan donnèrent l’illusion aux partisans réels des soviets que les Bolcheviks les suivaient. Oui, ils les « suivaient », mais pour prendre le contrôle du mouvement soviétique. Et ils réussirent. Quand, trois ans plus tard, les partisans sincères des soviets finirent par s’apercevoir que les Bolcheviks s’érigeaient, en fait, en une caste inédite de dominateurs au détriment du peuple, et se révoltèrent, notamment à Kronstadt et en Ukraine, l’armée « rouge », commandée par Trotski, les massacra avec une cruauté semblable à celle de l’oligarchie tsariste.

Un sage observateur de la société avait noté, en substance : des faits historiques surgissent parfois en tragédie pour être imités sous forme de farce. Le scénario évoqué plus haut, tragique, se répète, actuellement sous forme de farce. Voici le cas. Ceux qui, depuis la naissance du mouvement populaire algérien, déclarent qu’il n’a pas « vocation à s’auto-organiser », mais seulement à marcher pour éliminer la caste au pouvoir, que doit-on conclure quand on voit ces personnages à la rencontre de Paris, en compagnie de Larbi Zitout, représentant de l’organisation « Rachad » (1) ?… Qu’en réalité, les arguments évoqués par ces personnages pour nier au mouvement populaire de s’auto-organiser (arrestation de leaders, infiltration du mouvement populaire, divisions idéologiques en son sein) (2), étaient, en réalité, uniquement présentés pour masquer le véritable but : empêcher le mouvement populaire de s’auto-organiser afin de le manipuler par « Rachad ». À Paris, tous ces personnages se sont auto-proclamés comme les meilleurs, les seuls représentants du mouvement populaire. En réalité, c’est l’organisation islamiste « Rachad », représentée par Labri Zitout, qui domine ce rassemblement. Elle a pris la précaution tactique de se renforcer par les habituels « idiots utiles » (pas tellement idiots, car ils y trouvent leur compte… en banque, et une promesse de poste institutionnel, lui aussi fournisseur de compte en banque !) incarnés par des personnages du genre intellectuel universitaire, en paroles laïcs et démocrates.

Le point commun à tous ces activistes : le mouvement populaire n’a pas à s’auto-organiser, mais seulement à continuer à marcher afin de faire tomber le régime, car c’est à nous, « diplomates », « intellectuels universitaires » à savoir ce qu’il faut faire par la suite. C’est-à-dire, comme les Jacobins, comme les Bolcheviks, prendre le pouvoir et imposer la domination, bien entendu au nom du peuple.

En passant, une constatation. Le drame de l’Algérie fut l’existence d’une « armée des frontières ». Commodément installée hors du pays, bien financée et bien dotée en « cadres » dirigeants, elle a pu, à l’indépendance, opérer son coup d’État militaire et usurper le pouvoir, en promettant le bonheur au peuple algérien, avec les conséquences constatées. Voici, aujourd’hui, une organisation, elle aussi installée hors du pays, elle aussi bien financée, elle aussi disposant de « cadres » dirigeants, elle aussi promettant le bonheur au peuple algérien, qui manœuvre pour conquérir le pouvoir en Algérie : l’organisation « Rachad ». On lit, déjà, sur des réseaux sociaux, comment est appelé son représentant le plus en vue : « âssad » (lion), lequel a toujours en bouche « bî idni Allah ! » (Avec la permission de Dieu !). Bonjour, l’adoration servile et sanctifiée du « Zaïm » (Chef) !… Notez, toutefois, la casquette qu’il arborait à la rencontre de Paris : elle portait « NY » ! Est-ce judicieux, pour un « Sauveur » du peuple algérien, contre tout impérialisme, y compris culturel et publicitaire ?

 

Réveil ?

Cependant, des activistes du mouvement populaire algérien appellent et agissent actuellement pour débattre entre eux et se coordonner, sans prétendre ni représenter le mouvement populaire, ni le structurer. Il s’agit du PAD (Pacte pour l’Alternative Démocratique), et de certains acteurs et collectifs du mouvement populaire, provenant de l’ensemble du territoire national, ainsi que de la diaspora. Ces derniers déclarent, dans la presse, vouloir « coordonner entre les différents acteurs du hirak en vue de contribuer à concrétiser les exigences du hirak ».

Condamner ce genre d’initiative, sans arguments convaincants, relève de l’un de ces deux cas. 1) Soit la stupidité, car toute suggestion au mouvement populaire pour s’auto-organiser de manière autonome est la bienvenue, autrement il court à l’échec. 2) Soit la récupération. Par exemple, l’un des universitaires qui a attaqué le PAD était, par la suite, présent avec l’organisation « Rachad » lors de la rencontre de Paris, évoquée ci-dessus. Ainsi, l’on comprend que ce personnage s’est attaqué au PAD pour, en réalité, le neutraliser au profit de « Rachad », dans le but de prendre le contrôle du mouvement populaire. Ce fait ne rend-il pas évident la manipulation de cet intellectuel, se proclamant laïc, qui affirme que l’islamisme politique est désormais mort ? Comment expliquer, dès lors, la présence de ce même personnage à Paris, avec l’organisation « Rachad » ?

Encore une fois, à l’occasion du mouvement populaire algérien, on assiste à la lutte entre une organisation islamiste bien structurée (et bien financée par des puissances étrangères) (3) et des organisations démocrates, nettement moins bien structurées et moins dotées financièrement. Voici la différence : « Rachad », dont les représentants les plus actifs sont des ex-membres du FIS, se présentent comme partisans de la démocratie, alors que leur association fait partie d’une organisation mondiale, les « Frères Musulmans », qui pratique l’entrisme dans les institutions pour conquérir le pouvoir étatique, puis établir une conception sociale totalitaire (4).

Quoiqu’il en soit, voici le plus important. Soit le mouvement populaire se dote de sa propre structure, le transformant en agent social opératoire, soit il est récupéré au profit d’une organisation-caste (future oligarchie dominante), soit il dépérit et disparaît. Et le temps est à l’urgence, parce que une année de marches hebdomadaires est passée, sans rien donner de consistant en terme de changement social conforme aux revendications du mouvement, et parce que la rencontre de Paris et l’apparition de « Rachad » au grand jour démontrent que la course pour la récupération du mouvement populaire est devenue impérative.

Par conséquent, il est d’une extrême urgence d’examiner le plus attentivement toute proposition, tout programme de n’importe quelle association afin d’établir clairement si cette proposition ou ce programme visent, sans aucune ambiguïté, - il faut le souligner -, à permettre au peuple de se doter des institutions convenables. Elles le sont si elles concrétisent réellement le principe : par et pour le peuple, à travers ses représentants démocratiquement élus, et respectant scrupuleusement leur mandat. Partout et toujours dans le monde, un peuple peut vivre dignement à la seule condition de conquérir une conscience telle qu’il se dote d’institutions où ses représentants non pas se servent de lui pour se servir (en caste privilégiée), mais trouvent leur intérêt uniquement à le servir, et, par conséquent, à se servir comme simples citoyens, identiques aux autres.

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(1) « Les porte-parole autoproclamés du Hirak étalent les vérités de La Palice à Paris », https://www.algeriepatriotique.com/2020/02/16/les-porte-parole-autoproclames-du-hirak-etalent-leurs-lapalissades-a-paris/

(2) L’auteur de ces lignes en a montré l’inconsistance dans diverses contributions publiées dans ce même journal.

(3) Voir « Alliance entre Rachad et mak : menace sur l’intégrité nationale », http://kadour-naimi.over-blog.com/2020/01/alliance-entre-rachad-et-mak-menace-sur-l-integrite-nationale.html

(4) Idem.

Publié sur

Algérie Patriotique (20.02..2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (23.02.2020).

 

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 16 Février 2020

ET L’ORGANISATION DE L’ « ÉLITE » ?

Dans la contribution précédente, concernant l’auto-organisation du Mouvement populaire comme agent social opératoire, un lecteur inséra ce commentaire :

« C’est plutôt à l’élite intellectuelle et politique qu’il revient de se structurer, s’organiser, et montrer concrètement, sur le terrain de la lutte, une combativité franche et soutenue en faisant bon usage de la force d’appui considérable que le Hirak met à son service. Mais pour l’instant, il est regrettable de constater que cette élite brille par son absence sur le terrain de la lutte. (…) En attendant que cette élite endosse honorablement sa tenue de combat, le Hirak est toujours là, debout, et il déblaie pour la postérité. » (1)

 

Tentatives vaines.

À l’exemple de ce lecteur, qui donc, parmi les membres de cette « élite », a posé ce problème réel ?… Voici l’objection prévisible : « Et toi, qu’as-tu fait ? »… Bien que parler de soi n’est pour le moins pas appréciable, il faut bien répondre à cette légitime interpellation ; elle a, en outre, l’avantage de valider cet exposé par un témoignage personnel. Pour ma part, voici ce que j’ai proposé.

En janvier 2018, j’ai publié un « Appel pour un mouvement d’autogestion sociale » (2). Résultat : silence total !

Durant le printemps de la même année, j’ai commencé par proposer à deux intellectuels universitaires, - se distinguant par leurs écrits comme soucieux du peuple algérien -, dont l’un renommé en Algérie, j’ai donc proposé la création d’une revue culturelle. Elle regrouperait toutes les bonnes volontés et compétences afin de contribuer ensemble, chacun et chacune à sa manière, à l’indispensable production culturelle qui manque dramatiquement en Algérie, et qui serait susceptible de contribuer à la naissance d’un mouvement social en mesure de changer positivement la situation dans le pays. L’un des deux sollicités a fini par me calomnier dans la presse, l’autre a simplement décliné la proposition. Il m’a semblé inutile d’aller plus loin.

Retournons au passé lointain.

Juste après l’indépendance, le regretté et ami Yahia Alwahrani, de son vrai nom Jean Sénac, voulut faire de l’Union des Écrivains Algériens un noyau contribuant à cette culture indispensable à un surgissement d’une conscience sociale émancipatrice. On se moqua de l’initiative de Jean Sénac. On serait très étonné d’apprendre qui fut l’un de ces moqueurs qui préféra faire cavalier seul, avec son petit groupe d’amis.

Personnellement, en créant la troupe du Théâtre de la Mer à fin 1968, je déclarai vouloir en faire un exemple incitant à créer un maximum de troupes du genre sur le territoire national, afin de contribuer à la naissance d’un mouvement culturel émancipateur. Un seul critique le comprit (3), sans être entendu.

 

Cas exemplaires.

La conscience de la nécessité d’une auto-organisation des intellectuels en Algérie, cette nécessité provenait d’une connaissance personnelle d’exemples historiques.

Des nations ont connu une union d’intellectuels, ayant su produire les idées que leurs peuples ont, par la suite, employées comme moyens d’émancipation politique et sociale. Exemples significatifs mais non exhaustifs : les membres du « Siècle des Lumières » en France, réunis autour de L’Encyclopédie, dirigée par Denis Diderot ; le mouvement intellectuel russe d’avant 1917, réuni autour de la revue La Cloche, dirigée par Alexandre Herzen ; le mouvement intellectuel chinois qui porta à l’élimination du régime féodal en 1919, puis au développement du mouvement populaire émancipateur.

Il y eut, également, - il faut le noter -, des « élites » réactionnaires qui, en s’auto-organisant, eurent une certaine influence sur leurs peuples. Exemples significatifs et non exhaustifs : les intellectuels allemands nazis, les intellectuels arabes qui ont créé l’organisation « Frères Musulmans » (4).

Certes, dans tous les cas, il s’agissait d’une minorité d’intellectuels, mais leurs capacités en matière de culture émancipatrice (ou réactionnaire) était assez forte. Leurs productions eurent un rôle important dans le réveil (ou la manipulation aliénante réactionnaire) de la conscience sociale, suivie par l’action populaire. Ces productions constituèrent une base pour l’établissement d’un programme, d’une « feuille de route » qui permirent de concrétiser les changements sociaux émancipateurs (ou réactionnaires).

 

Bilan.

En Algérie, si l’islamisme politique armé a été vaincu, par contre, l’islamisme politique et idéologique demeure vivace et influent, quoiqu’en disent certains intellectuels qui prennent leur désir pour réalité. Cet islamisme dispose de ce qui donne la force sociale : une auto-organisation, un programme d’action commun et des représentants pour le concrétiser. Ces trois éléments manquent aux intellectuels se réclamant de la démocratie, quelque soit sa nature, capitaliste ou socialisante. Même durant l’hécatombe d’intellectuels, qui eut lieu durant la « décennie noire », à ma connaissance il n’y eut pas d’auto-organisation effective des intellectuels.

Retournons au passé d’après l’indépendance. Il y eut des tentatives d’organisation des élites algériennes. Principalement par deux partis politiques d’opposition. L’un fut radical et sans concessions avec l’oligarchie alors dominante : le P.R.S. (Parti de la Révolution Socialiste), dirigé par le regretté Mohamed Boudiaf. Malheureusement, ce Parti fut trop faible, principalement à cause de l’impitoyable répression exercée contre lui par l’oligarchie dominante… L’autre parti, le P.A.G.S. (Parti de l’Avant-Garde Socialiste) pratiqua, hélas, le « soutien critique » avec l’oligarchie. Il en résulta une élite intellectuelle opportuniste (certes, suite à une répression impitoyable de la part de l’oligarchie) et « caporaliste ». Opportuniste, elle bénéficia des strapontins administratifs concédés par l’oligarchie régnante, tout en s’efforçant de créer des « espaces de liberté ». Il en résultat une désorientation qui a neutralisé, quand pas corrompu financièrement, des membres de cette élite intellectuelle, isolant et neutralisant la minorité d’entre eux, réellement au service du peuple. Quant au « caporalisme », il se manifesta par une action où l’asservissement à l’idéologie et à la politique du Parti (« l’Avant-Garde » !) primait sur la valeur qualitative de la production intellectuelle. Mécanisme typique jdanoviste stalinien. Comme en Russie, où le bolchevisme au pouvoir annihila l’émancipatrice production intellectuelle, en Algérie le pagsisme eut un résultat identique : la médiocrité servile érigée en « culture ». Le cas le plus flagrant fut le théâtre caporalisé de l’époque. J’en ai payé les frais (5).

Encore aujourd’hui, quoique ce Parti est depuis longtemps dissous suite à ses contradictions internes, sa mentalité reste majoritaire parmi les intellectuels algériens : opportuniste et caporaliste. Opportunisme, parce que préférant les strapontins offrant de confortables sinécures dans l’administration, tout en se proclamant « progressiste » et « démocratique ». Et « caporalisme », car tout intellectuel n’adhérant pas à cette position est automatiquement occulté, écarté de toute possibilité de travail dans les domaines où ces intellectuels « progressistes » ont des responsabilités étatiques. Là, aussi, j’en ai payé les frais (6).

Notons un aspect fondamental. Le point commun entre les gérants de l’État et les membres de l’élite d’opposition est la mentalité autoritaire hiérarchique : seuls les membres des élites conçoivent et ordonnent, le peuple se contentant d’applaudir et d’exécuter. On comprend, alors, que le concept d’autogestion sociale soit totalement tabou. Certes, la formule « Par et pour le peuple » est évoquée tout le temps (sauf par les intégristes islamistes) ; mais, dans les faits, il s’agit uniquement d’une proclamation démagogique. Pour ces élites, le but n’est pas de partager le pouvoir entre tous les citoyens, mais de prendre le pouvoir, pour, ensuite, édifier un système social où ces élites demeurent dominantes.

Le pays a, certes, une minorité, - à ma connaissance toute petite minorité -, d’intellectuels professionnellement compétents et éthiquement au service de l’émancipation sociale réelle. Mais, en règle générale, - tout au moins selon mes constatations personnelles, basées sur les actes et non sur les déclarations d’intentions -, le souci premier des intellectuels se proclamant favorables au peuple est ailleurs : d’abord, s’assurer une carrière professionnelle qui leur fournit une certaine réputation médiatique et les bénéfices matériels qui l’accompagnent. Pour ces intellectuels, la conscience de la nécessité de s’unir sur base d’un programme d’action commun, cette conscience est absente, sinon hésitante. Depuis l’indépendance, à part Jean Sénac, qui et combien sont les intellectuels qui se sont unis dans une structure commune, non caporalisée - précisons-le -, autonome, pour contribuer à la production d’une culture servant à l’émancipation sociale du peuple ?

Voici un cas flagrant où les intellectuels algériens, francophones comme arabophones, ont failli totalement à leur devoir : la promotion de la langue populaire arabophone, dite « darija ». Alors que dans le monde, un groupe d’intellectuels a contrecarré la langue élitaire dominante dans son pays, pour promouvoir la langue populaire (par exemple, le français était, au temps de Ronsard, une simple « darija », dominée par le latin, mais qui devint langue à part entière grâce au groupe d’intellectuels réunis dans la « Pléiade »), en Algérie on se contenta du français et de l’arabe classique, au mépris de la langue populaire arabophone. Pis encore : on évoqua des arguments de fanfarons (tare habituelle de l’aliénation de colonisé) pour justifier ces choix. Seuls, les intellectuels amazighes eurent le courage et l’honneur de combattre pour valoriser leur langue populaire. Et quand, pour introduire le débat, j’ai publié mon essai Défense des langues populaires : le cas algérien (7), silence total. En Algérie, ce n’est pas l’argument qui compte, mais le statut médiatique de l’auteur. Ce statut est concédé par des élites oligarchiques de l’ex-métropole coloniale ou par celles moyen-orientales. Frantz Fanon, reviens ! Pour constater combien d’intellectuels algériens, au pays ou dans la diaspora, sont encore colonisés ou néo-colonisés, tout en se proclamant libres penseurs au service du peuple.

Au cours de l’actuel Mouvement populaire algérien, l’enthousiasme me porta, avec un ami informaticien, à élaborer un projet de revue culturelle, où interviendrait toutes celles et ceux qui estimeraient indispensable de créer un mouvement culturel d’émancipation sociale. Mais voici la question : combien de personnes collaboreraient de manière bénévole et régulière ?

La majorité dominante des membres de l’élite politique, syndicale et intellectuelle, y compris « progressiste » et « démocrate », se caractérise par le « zaïmisme », le leadership : « Moi, le meilleur ! Qui n’y consent pas est un envieux ! » Ces intellectuels adorent être érigés en icône (voir leur manière de poser devant l’appareil photographique, tels de vulgaires acteurs de Hollywood), qualifiés de « Monument », de « Géant », de « Mythe »… Ils le sont par la petite-bourgeoisie superficiellement cultivée, psychiquement demeurée enfantine parce que besogneuse de « Père Sauveur ».

Au contraire, s’unir dans une structure, c’est mettre au second plan la personnalité individuelle au bénéfice de l’organisation collective. La majorité des intellectuels font cavalier seul. Cette posture leur permet de bénéficier du beurre et de l’argent du beurre : argent et privilèges d’une part (jamais révélés publiquement) concédés par les gérants du pouvoir (étatique ou privé), et, d’autre part, une image (ostentatoire) d’ami et défenseur du peuple. Cependant, la critique des autorités (étatiques ou privées) est soigneusement calibrée : elle pointe le secondaire et occulte l’essentiel, par exemple, dénoncer la « bureaucratie » et non l’oligarchie dominante, cause de la bureaucratie ; ou encore dénoncer des problèmes sociaux stigmatisés comme « tares », en occultant les premiers responsables de ces « tares ».

Prêtons finalement attention uniquement à la minorité d’intellectuels réellement soucieux de l’émancipation du peuple. Avant ou pendant qu’ils parlent ou écrivent pour demander au peuple de s’auto-organiser, ne devraient-ils pas, d’abord, commencer par donner l’exemple eux-mêmes ?

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(1) « Un Hirak qui ne s’organise pas échouera », https://www.algeriepatriotique.com/2020/02/10/contribution-de-kaddour-naimi-un-hirak-qui-ne-sorganise-pas-est-voue-a-lechec/

(2) Voir « Vers l’intifadha populaire en Algérie 2019 », disponible ici https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-vers-intifadha-algerie-2019.html

(3) « « Le Théâtre de la Mer doit exister à des milliers d'exemplaires (...) », article non signé, revue « Echabab », 7 février 1971.

(4) Pour plus d’informations concernant la Chine, l’Allemagne et les pays arabes, voir https://journals.openedition.org/perspectiveschinoises/1076

(5) Voir « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », Livre 2 : « Écriture de l’histoire avec la gomme ou le prix du silence », disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-theatre-oeuvres-ecrits%20sur%20theatre_ethique_esthetique_theatre_alentours.html

(6) Voir « Éthique... », o. c., Livre 4 : Retour en zone de tempêtes.

(7) Librement accessible ici :https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-defense_langues_populaires.html

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Publié sur

Algérie Patriotique (16.02..2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (16.02.2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 13 Février 2020

QUELLES PERSPECTIVES POUR LE MOUVEMENT POPULAIRE EN ALGÉRIE ?

Un géographe et militant actif de la Commune de Paris de 1870, Elisée Reclus, déclara en substance (citation de mémoire) : une personne qui donne au peuple des indications erronées est aussi criminelle que celle qui donne de fausses informations à des navigateurs. Ajoutons que cette criminalité est d’autant plus grave que la personne en question se proclame « amie » du peuple, ou du navigateur. En Algérie, depuis longtemps, et notamment depuis le déclenchement du Mouvement populaire et jusqu’à aujourd’hui, combien de personnes, notamment celles qui se considèrent « expertes », ont donné et donnent au peuple des indications pour lui permettre d’agir correctement afin de concrétiser ses revendications fondamentales ?

 

Loi fondamentale.

 

Une semaine après le surgissement du Mouvement populaire, l’auteur de ces lignes a signalé, puis a répété dans toutes ses contributions, une loi fondamentale. Elle est observable empiriquement, quelque soit le pays.

Tout mouvements populaire contestataire qui ne se dote pas, - de manière libre, démocratique et autonome -, de sa propre auto-organisation territoriale, pour produire un programme d’action commun, à défendre par des représentants élus sur mandat impératif, afin de constituer un agent social disposant d’un poids significatif et opératoire dans le rapport de force avec son adversaire étatique, ce mouvement populaire est voué à l’échec. Dans le meilleur des cas, le mouvement servira comme masse de manœuvre pour l’apparition d’une nouvelle caste dominante, moins dominatrice que la précédente, mais néanmoins dominatrice. Et si, par hasard, ce mouvement populaire contient des éléments qui veulent absolument le voir auto-gérer son action, ces éléments ont connus l’un de ces deux sorts :

1) écrasés dans le sang. Tel fut le cas des révolutions les plus significatives : la Révolution française, dont la caste victorieuse jacobine, avec le « révolutionnaire » Robespierre, envoya à la guillotine les hébertistes, babouvistes et « enragés » ; la révolution russe, dont la caste victorieuse bolchevique, dirigée par Lénine et Trotski, envoya l’armée « rouge » massacrer les réels partisans des soviets à Kronstadt et en Ukraine ;

2) étouffés par la bureaucratie, appuyée sur la force militaire : ce fut le cas de l’autogestion ouvrière et paysanne en Algérie, après l’indépendance.

Par conséquent, toute invitation à poursuivre les marches hebdomadaires, en leur tressant les éloges les plus démagogiques, sans rappeler l’indispensable et vitale auto-organisation du mouvement, ces invitations sont-elles autre chose que des manières de pousser le mouvement dans l’impasse ? Cette tactique permet à des « experts » ou « militants » de terrain d’occuper une place dans les institutions étatiques, d’une part ; on le constate déjà. D’autre part, cette tactique pourrait créer un « chaos » susceptible de faire intervenir, pour établir la « démocratie », des armées étrangères qui installeraient leurs laquais comme nouvelle caste dominatrice dans le pays.

 

Constat.

 

Comme dit auparavant, une semaine après le déclenchement du Mouvement populaire en Algérie, l’auteur de ces lignes publiait un article dont le titre était on ne peut plus clair : « Du cri à l’organisation »(1). Il ne s’agissait ni d’une prophétie, ni d’une manière de prendre un désir pour réalité, ni de déclaration d’ « expert ». Le texte était simplement le résultat de plusieurs aspects de l’auteur : 1) il avait entrepris un doctorat de recherches en sociologie concernant le processus de transformation de révolutions en contre-révolution, examinant comparativement la Russie et l’Algérie (3) ; 2) il participa activement au Mouvement social de 1968 en France (2) ; 3) il passa des années à approfondir ses connaissances sur les mouvements populaires : surgissement, réussites et échecs, notamment concernant la révolution du XXè siècle la plus importante en terme de réalisations conformes à l’idéal proclamé (4) ; 4) enfin, il suivit avec attention les diverses soit disant « révolutions colorées » et leurs résultats ; 5) il participa sur le terrain au Mouvement populaire à Oran, en réalisant un documentaire sur les marches, et un second sur un forum citoyen (5).

Voici les éléments qui permettaient de comprendre, dès le surgissement du Mouvement populaire en Algérie, que les manifestations de rue, aussi grandioses qu’elles pouvaient être, restaient absolument insuffisantes si elles ne se dotaient pas de leur complément indispensable : une auto-organisation en force sociale significative, sous forme de comités (ou assemblées) de base territoriale, fédérés en un comité (assemblée) national, pour établir un programme d’action commun, à défendre par l’élection de représentants sur mandat impératif.

Depuis le 29 février 2019, l’auteur de ces lignes n’a jamais cessé de rappeler et de souligner la nécessité de l’auto-organisation telle que décrite ici (6). Progressivement, il devenait clair que ce genre de rappel était un « cri dans le désert », comme le reconnut l’auteur lui-même, en proposant des hypothèses d’explication de cet état de fait (7).

Ce qui est non pas surprenant, mais dans la logique autoritaire hiérarchique, c’est de constater le nombre de membres de ce qu’on appelle les « élites » algériennes qui ignorent ou occultent sciemment, depuis le début jusqu’à aujourd’hui, soit onze mois après, ce problème de l’auto-organisation d’un mouvement en agent social structuré de manière autonome, afin de constituer un réel poids dans le rapport de force social l’opposant à son adversaire étatique. Ils se contentaient, et continuent à se contenter, de débattre de problèmes secondaires, jusqu’à prêter attention à un chroniqueur, érigé en écrivain par une caste d’outre-méditerranée, pour examiner ses arguments, d’une superficialité que seuls des adorateurs d’institutions littéraires oligarchiques (8) peuvent considérer. Ignorent-ils ou ont-ils oublié comment les imposteurs de l’intellect se démasquent toujours par les organes soit disant d’information, en réalité de conditionnement, qui les paient ? (9)

L’important est de constater où en est le Mouvement populaire, en dépit de ceux qui prennent leur désir pour la réalité, par ignorance, même s’ils se présentent en « experts ». À propos de ces derniers, posons la question : en quoi consiste le soutien du peuple dans ses revendications légitimes ? Est-ce à chercher à régler ses propres comptes personnels d’ « expert » avec les membres du régime étatique, dans le but (inavoué, bien entendu) de prendre leur place, ou à aider le peuple à se doter de sa propre auto-organisation pour réaliser sa propre émancipation ?

 

Perspectives.

 

Est-ce à dire que le Mouvement populaire a échoué ?… Oui et non.

Oui, parce que ses revendications fondamentales n’ont pas été réalisées, tout au au moins jusqu’à présent.

Non, si ce Mouvement populaire prend conscience de ce qui lui manquait et lui manque encore : cette auto-organisation le transformant en agent social doté d’un poids significatif dans le rapport de force avec l’institution étatique. Ce processus structurel exige des efforts, de l’intelligence, de la modestie, de la persévérance, du travail au quotidien, de l’étude, de la patience, de l’activité dans tous les domaines de la vie sociale, une transformation collective et individuelle dans les valeurs et les normes, en se basant sur le triptyque : liberté, égalité, solidarité, et en visant à l’autogestion (terme pour désigner le gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple). N’est-ce pas là l’authentique changement social et individuel, l’authentique révolution, pour employer ce terme si ridiculement galvaudé ?

Alors, avec le temps et l’énergie indispensables, le Mouvement populaire surgi en février 2019 pourrait concrétiser finalement et réellement l’idéal revendiqué : une Algérie de démocratie gérée et au service du peuple.

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(1) Voir « Sur l’intifadha populaire en Algérie 2019 », https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-sur-intifadha-algerie-2019.html

(2) La présentation de thèse n’eut pas lieu, l’auteur préférant s’occuper d’autre chose que d’enseigner dans une université dont le rôle principal est de former les futurs membres des castes élitaires dominantes.

(3) La présentation de thèse n’eut pas lieu, l’auteur préférant s’occuper d’autre chose que d’enseigner dans une université dont le rôle principal est de former les futurs membres des castes élitaires dominantes.

(4) « La (méconnue) plus importante révolution du XXè siècle » in « Vers l’intifadha populaire en Algérie 2019 », https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-vers-intifadha-algerie-2019.html

(5) Voir respectivement https://www.youtube.com/watch?v=6syXIhNSXqQ et https://www.youtube.com/watch?v=CZgiMergUX0

(6) Reconnaissant qu’un petit Parti politique a toujours, lui aussi, appelé à l’auto-organisation : le Parti Socialiste des Travailleurs.

(7) « « Sur l’intifadha populaire en Algérie 2019 », o. c.

(8) Par exemple, l’Académie Française refusa des sièges à des auteurs tels que Molière et Balzac, parce que leur « profil » personnel ainsi que leurs œuvres n’allaient pas dans le sens idéologique de l’oligarchie dominante.

(9) Le chroniqueur en question a publié sur deux organes connus comme porte-parole de l’oligarchie impérialiste états-unienne. Voir mes articles « Pourquoi le New York Times s’est payé un néo­harkisme ? » et « 19.2 Dans le « Washington Post », le néo­harkisme algérien » in « Contre l’idéologie harkie : pour la culture libre et solidaire », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres_ideologie_harkie.html

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Publié sur

Algérie Patriotique (10.02..2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (11.02.2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 9 Février 2020

Dans le « Washington Post », le néo-harkisme algérien
Du journal
Je finissais de rédiger une contribution générale sur le thème du servilisme idéologique dans le monde, quand je suis tombé sur un article du 1er décembre du Washington Post (1). Devinez sur qui ?… Sur l’ « écrivain » Kamel Daoud. Les guillemets se justifient non pas par la négation de cette qualification à l’auteur, mais par le fait que cet aspect est avancé non pas pour parler de sa littérature, mais de ses « opinions » extra-littéraires, sur la société musulmane en général, et algérienne en particulier.
Or, qui est le propriétaire du Washington Post ?… Des membres de l’oligarchie impérialiste états-unienne. Et ce journal accueillait quelles autres « opinions » d’un homme présenté comme « dissident » et comme « journaliste » ?… Jamal Kashoggi, celui qui déclarait dans ses articles que les crimes des organisations « islamistes » en Syrie étaient du « bon travail », et qu’ils « savaient ce qu’ils faisaient »… Des lecteurs (ou trolls) pourraient objecter en croyant triompher : « Mais, alors, c’est la preuve que ce journal est impartial : il publie aussi bien les « opinions » d’un homme qui soutient les terroristes (Khashoggi) que celle d’un autre qui critique les intégristes islamistes (Daoud) ! »
Concernant ce dernier, dans ma contribution précédente (2), j’ai déjà fourni les arguments montrant que la critique faite par K. Daoud aux islamistes extrémistes, en occultant le fait qu’ils sont la création des oligarchies impérialistes (U.S. et anglaise), reproduit exactement la propagande de ces oligarchies : focaliser l’attention sur les « islamistes » intégristes pour la détourner des crimes et projets impérialistes, nettement plus graves que ceux des organisations terroristes islamistes : ces derniers coupent des têtes, les premiers déchiquettent et carbonisent les corps de civils par les missiles de leurs avions.
Quant à J. Kashoggi, ses critiques à l’oligarchie saoudienne ne visent pas la démocratisation du régime en faveur du peuple d’Arabie, mais l’instauration d’une oligarchie différente, dirigée par les « Frères Musulmans », parrainés par le régime turc actuel.
Un lecteur (ou troll) pourrait contester : « Quel serait l’intérêt des lecteurs d’un journal algérien, en l’occurrence A.P., à savoir ce qu’un journal étranger, pas même français, mais américain, écrit sur l’Algérie ? »… Et bien, le plus grand intérêt ! Car la lecture des journaux de l’oligarchie, à prétention de domination mondiale, indique leurs projets et le type de conditionnement pour les légitimer auprès de leur peuple. Et l’Algérie fait partie des projets stratégiques de l’oligarchie impériale, pour des motifs évidents : pétrole et gaz, situation territoriale d’importance stratégique en Méditerranée et dans la « sphère arabo-musulmane ». L’expérience l’a désormais montré, notamment avec l’Afghanistan et l’Irak : chaque fois qu’un journal de l’oligarchie états-unienne s’intéresse à un pays de la planète, et commence, notamment par la voix d’indigènes du pays en question, à répandre sur ce pays des considérations sur son manque de « libertés individuelles », de « démocratie », sur l’oppression des femmes causée par la religion, sur son régime dictatorial, l’étape suivante fut l’agression militaire pour « libérer » le peuple des tares signalées, avec le résultat qu’on a constaté. Si ces tares existent dans un pays, mais les journaux de l’oligarchie impériale n’en parlent pas, c’est que le régime de ce pays sert les intérêts de l’oligarchie impériale : c’est le cas des monarchies du Moyen-Orient.
Destinataires
Dans l’examen d’un article, l’un des aspects qu’il est indispensable de connaître est celui-ci : à qui s’adresse l’auteur ?… Quand le texte est publié dans le Washington Post, il est destiné aux lecteurs d’abord des États-Unis, et, accessoirement, à ceux du monde anglo-saxon… Or, dans ma contribution précédente, j’ai déjà dit que le Washington Post, comme le New York Times, sont des organes de l’oligarchie impériale états-unienne, que la faction soit « républicaine » ou « démocrate » ne change rien, comme l’histoire le montre amplement. Si ces deux factions s’affrontent parfois pour la détention du pouvoir, c’est uniquement parce qu’elles diffèrent sur la méthode de gestion de l’emprise impérialiste mondiale, rien d’autre ; c’est le cas, actuellement, en ce qui concerne les conflits entre « démocrates » à la Hillary Clinton, et « républicains » à la Donald Trump.
Ceci étant précisé, venons au contenu de l’article sur le W.P. Il est écrit par James MacAuley, à partir de Paris .
« France », « Algérie
D’abord, le titre : « Why France loves this Algerian writer more than Algeria does ? » (Pourquoi la France aime cet écrivain algérien plus que l’Algérie ?)… Comme à l’habitude, on a affaire à ce voilà 5.000 ans, Confucius dénonçait : la confusion des mots. En effet, que signifie « France » et « Algérie » ?… Voici la vérité : la « France » qui aime cet écrivain algérien est celle de l’oligarchie dominante en France. Le Président E. Macron (ce « représentant » magnifique des Français exploités et dominés, tel les « Gilets jaunes ») l’a invité à déjeuner, lors de sa visite en Algérie ; Bernard Henri-Levi (ce « défenseur » acharné des peuples d’Afghanistan, d’Irak, de Libye, de Syrie et de Palestine) le défend. L’article du W.P. fait précéder son texte d’une photo de K. Daoud avec cette légende : « Algerian writer and journalist Kamel Daoud poses in Paris on April 14, 2016 after receiving the Jean-Luc Lagardere prize for journalist of the year ». Rien de moins ! K. Daoud est célébré comme le « journaliste de l’année », par un « prix » intitulé au nom de Jean-Luc Lagardère. Qui fut donc cet homme ?... Un défenseur des opprimés de France, d’Algérie et de la planète ? Voici la vérité : un membre éminent de l’oligarchie industrielle et médiatique de France ; et qu’on lise les journaux, revues et livres que ses médias publient : on découvrira quel journalisme est pratiqué, et le « prix » à accorder à ses journalistes.
En outre, le lecteur du W.P. est invité à regarder le genre de photo à laquelle s’est apprêté K. Daoud. L’image est d’une importance fondamentale, dans toute communication, qu’elle soit commerciale (gagner plus d’argent) ou idéologique (détenir plus de pouvoir politique). Examinons d’abord ce qu’a fait le photographe : intense lumière blanche derrière et au-dessus de la tête du « primé », complétée par une sorte de nuage blanchâtre vaporeux ; le reste de l’image est plongé dans le noir, pour faire ressortir le personnage photographié. À présent, examinons ce personnage lui-même. Son regard n’est pas de face, mais oblique. Pourquoi donc ?… Et surtout, surtout, que remarque-t-on ?… Une chemise blanche sinon très claire, et ouverte sur la poitrine. Qui donc est connu pour se présenter toujours dans cet accoutrement ?… BHL. Coïncidence ?… Seules une personne ignorant les lois connues de la production de l’image de propagande (commerciale ou politique) pourrait s’y laisser prendre. Par conséquent, dans la conception de cette photo, serait-il erroné d’en conclure à une complicité totale entre le photographe et le photographié ?… N’est-ce pas dans la tentative, par l’image, de faire ce qu’on fait par la médiatisation de K. Daoud ?… Un prophète ? Une icône ? Un porte-voix ? Un leader ?… De quoi ? Mais de la « dissidence » anti-islamique intégriste et anti-« régime incapable de transition », au nom des sacro-saintes « libertés individuelles ».
Le journaliste de W.P. cite, les admirateurs de K. Daoud : «  Il est un homme extrêmement courageux », dit Alain Finkielkraut, un intellectuel public de droite » (…) « Pour Caroline Fourest, Daoud est l’image de l’homme musulman éclairé. « Kamel Daoud est une remarquable voix, qui correspond clairement à la tradition française de Voltaire, » dit-elle. « Il est un dissident qui n’a pas peur de dire la vérité, spécialement en face de la tyrannie religieuse. » Notons ceci : le journaliste du W.P. dit à ses lecteurs que cette femme est « une féministe et critique française du port du voile par certaines femmes musulmanes ». Mais est-ce que le lecteur ordinaire anglo-saxon prendra la peine de savoir qui est, plus précisément, cette femme ?… Voici la vérité : elle est, entre autre, éditorialiste à Marianne. Et si le même lecteur veut savoir qui est le propriétaire de ce journal, il saurait ceci : « En avril 2018, 91 % du capital du journal sont cédés au milliardaire tchèque Daniel Křetínský », un oligarque tchèque. À propos : Voltaire écrivait-il dans des journaux possédés par des milliardaires de son époque, comme le font Kamel Daoud et Caroline Fourest ?
Il est vrai que le journaliste du W.P. précise plus loin : « Daoud n’est pas universellement bien-aimé en France, où il est régulièrement critiqué comme étant complice en recyclant l’islamophobie, spécialement par des Musulmans français et par des académiques de gauche. »… En réalité, il s’agit de Français qui se distinguent par leur réelle position en faveur des exploités-dominés de France, d’Algérie et du monde, et ceci quelque soit leur religion ou leur athéisme.
Venons à ce que le titre de l’article du W.P. nomme « Algérie ».
L’ « Algérie » qui défend K. Daoud est celle qui ne fait pas partie des exploités-opprimés du peuple algérien, quoi qu’elle dise ; il serait facile de déconstruire les « arguments » de ces défenseurs, comme il facile d’opérer la même déconstruction des « arguments » de leur « héros ».
Quant à l’ « Algérie » qui n’apprécie pas K. Daoud, le journaliste du W.P. cite des auteurs. Akram Belkaïd : « Il y a un trauma qui n’a jamais été pris en compte » ; « Il est dangereux de mettre un couvercle sur la question de la mémoire historique. Tous les pays qui ont fait cela ne sont pas particulièrement bien lotis. »  ; « d’autres écrivains algériens de la génération de Daoud sont en désaccord avec le fait que le passé colonial n’est désormais plus une préoccupation urgente ». Cependant, le journaliste du W.P. ne précise pas que ce désaccord ne concerne pas uniquement le passé colonial, mais le présent néo-colonial, qu’une certaine vision du passé, présentée par K. Daoud, légitime. Enfin, il est dit qu’il est également reproché à K. Daoud de publier des livres que « les colonisateurs du pays [l’Algérie] veulent lire ». Sofiane Hadjaj déclare : « Le même texte écrit et édité en Algérie n’est pas lu de la même façon qu’il l’est en France ou aux États-Unis ».
Le journaliste du W.P. cite également l’imam qui alla jusqu’à appeler à l’assassinat de K. Daoud. Cependant, le même journaliste ne précise pas que cet appel d’un imam fut dénoncé comme inacceptable par une partie non négligeable d’Algériens.
Notons, enfin, que le journaliste du W.P. n’a pas informé ses lecteurs concernant les deux auteurs algériens qui ont le plus et mieux analysé les écrits de K. Daoud : Rachid Boudjedra et Ahmed Bensaada. On devine qu’exposer les critiques de ces deux intellectuels algériens aurait donné de K. Daoud une image par trop négative, notamment en dénonçant les accointances entre les écrits de K. Daoud et la propagande impérialiste. Le W.P. pouvait-il se le permettre ?… On voit ainsi comment ce journal pratique l’information de ses lecteurs : il leur donne l’impression de l’objectivité, de l’impartialité, en fournissant des points de vue opposés sur les écrits de K. Daoud, mais en évitant les opinions remettant en question l’idéologie même du journal.
Des excuses
Le journaliste du W. P. écrit, concernant K. Daoud (3) : « Mais au-delà de ses talents littéraires, il fait appel aux sympathies françaises [lesquelles précisément, celles des opprimés ou des oppresseurs ?] en déclarant qu’il n’est pas particulièrement intéressé par des excuses (4) en ce qui concerne la violence employée pour essayer de supprimer l’indépendance algérienne. Il dit que le colonialisme est devenu un peu plus qu’une excuse pour l’Algérie [laquelle ? Celle des opprimés ou des oppresseurs?] pour ignorer sa dégradation interne. »
Que le colonialisme soit, en effet, une excuse pour une minorité d’oppresseurs algériens, peut-on, à partir de ce fait, évacuer le problème du colonialisme et ses effets jusqu’à aujourd’hui sur le peuple ?
Pour un lecteur états-unien, hostile à la reconnaissance des crimes de l’oligarchie états-unienne, et cela depuis le génocide des Amérindiens jusqu’à ses agressions actuelles dans le monde, lire qu’un auteur algérien n’est pas particulièrement intéressé par des excuses concernant le colonialisme, qu’est-ce sinon rassurer ce lecteur états-unien dans son confortable désintéressement concernant les crimes commis par l’oligarchie qui domine sa nation, et dont il profite matériellement dans son « american way of life » ?
Et comment, selon le journaliste du W.P., K. Daoud justifie son désintérêt ?… Par la « dégradation interne » de l’Algérie… Mais qui donc a produit celle-ci ?… Ne faut-il pas le préciser, indiquer les agents sociaux de cette dégradation, tous sans exception, en précisant ceux principaux et ceux secondaires ? Et, encore une fois, cette réelle dégradation interne, autorise-t-elle à ignorer celle produite par le passé colonial, et par le présent néo-colonial ?
Colonialisme
Le journaliste du W.S., continue en citant K. Daoud : « Aussitôt que vous dites quoique ce soit, ils vous disent que c’est la faute du colonialisme », « Si vous dites que ce n’est pas vrai, ils vous disent : « Alors, vous êtes en faveur de la colonisation » Non. Je suis pour le présent. Maintenant. »
Examinons ces arguments. Concernant les « ils » employé par K. Daoud, le lecteur états-unien du W.P., qui ignore tout de l’Algérie, en vient à penser que ce « ils » indique la majorité des intellectuels et du peuple algériens… Car cet emploi du « ils » ne peut signifier autre chose. Cela correspond-il à la vérité ?… Les intellectuels et le peuple algériens, depuis déjà bien longtemps, ne déclarent-ils pas que leurs maux principaux viennent d’une dictature interne ? Quand au colonialisme, ne déclarent-ils pas qu’il n’est qu’un aspect des maux du peuple algérien, mais, cependant, qu’il n’est pas correct de négliger les trauma psychologiques multiples qu’il a laissés dans le peuple, et le fait que ce colonialisme vaincu persiste à renaître de sa défaite sous forme néo-coloniale ? Les interventions à peine récentes et actuelles de l’armée française ne sont-elles pas une preuve « bombardante » de ce néo-colonialisme ?… Dès lors, parler de « ils » de manière générale, est-ce rendre compte correctement de la réalité ? Et cette généralisation, sert-elle le peuple algérien ou ceux qui ont intérêt à l’opprimer de nouveau ?
Quand K. Daoud affirme : « Je suis pour le présent. Maintenant. » Ce présent n’est-il pas rempli d’agressions néo-coloniales (française et anglaise), impérialistes états-uniennes, sionistes israéliennes, et de projets du même genre, sous les noms de « Nouveau siècle américain », « Nouveau Grand Moyen-Orient », « Nouvel Ordre mondial », « lutte contre le terrorisme », combat pour les « libertés individuelles » (tout en les rétrécissant de plus en plus dans les nations impérialistes, néo-coloniales et sioniste) ? Peut-on oublier le cas le plus significatif de ce bâillonnement des libertés individuelles qu’est le « Patriot Act » états-unien, et le sort dont est victime Julian Assange (5), tandis que les colonnes du NYT et de Le Monde publient les « opinions » d’un K. Daoud, et le W.P., celles d’un Jamal Kashoggi, ainsi que cet article sur K. Daoud ?
Musulmans et Arabes…
Le journaliste du W.P., continue : « Daoud réserve la masse de sa critique aux fellow Muslims (6). Quand la tombe de son père dans la ville algérienne de Mesra fut vandalisée, Daoud blâma la propagation de l’extrémisme islamiste. »
Là, encore, si le blâme se limite aux vandales extrémistes islamiques, ne fait-il pas le jeu précisément de la propagande oligarchique impérialiste, laquelle fait croire que ce phénomène d’extrémisme islamiste est le produit uniquement de la « mentalité » ou de la religion musulmanes, en occultant qu’il est d’abord et principalement le produit des oligarchies pétrolières du Moyen-Orient, lesquels, n’oublions jamais de le préciser, ne sont que les marionnettes des oligarchies impérialistes ?
et émigrés arabes
Le journaliste du W.P. continue : « Après qu’un groupe d’hommes arabes orchestra des assauts sexuels à Cologne, en Allemagne, durant le Nouvel An en 2015, il [K. Daoud] se moqua du « vœu pieux » (7) de la gauche européenne, laquelle, dans sa conception, a aveuglement accueilli les réfugiés arabes sans savoir que ces mêmes hommes, voient les femmes comme « coupables d'un crime horrible - la vie. »
Notons le terme « assauts », ce qui suggère une « horde », laquelle implique « animalité », donc « barbarie ». Comme on le constate, le journaliste du W.P. ne fait que reproduire les déclarations de K. Daoud. Et, encore une fois, le procédé de ce dernier est triple : généralisation, amalgame, stigmatisation. Ce que le journaliste occulte, c’est le fait que le tribunal allemand reconnut non coupables les jeunes accusés par K. Daoud et l’ensemble de la presse raciste et oligarchique impérialiste. Donc, pour le lecteur du W.P., cette fausse information concernant les viols est présentée comme vraie information.
À ce propos, à ma connaissance, je n’ai pas lu une déclaration de K. Daoud reconnaissant qu’il eut tort de lancer son accusation contre les jeunes émigrés. S’il la fait, j’en prendrais connaissance volontiers. Et s’il ne l’a pas encore fait, ne devrait-il pas faire cette auto-critique, comme tout journaliste honnête digne de ce nom ?
Sexualité
Le journaliste du W.P. continue : « Deux semaines après, il [K. Daoud] souligna « la misère sexuelle du monde arabe » dans le New York Times (8). Son dernier livre développe ce thème. »
Que le monde arabe soit en proie à une misère sexuelle, c’est une vérité. Mais celle-ci n’est-elle pas le résultat d’une conception voulue et programmée par les oligarchies internes à ce monde arabe, pour maintenir leurs peuples dans toutes les formes de misères possibles, dont celle sexuelle n’est pas la seule, car ce « monde arabe » (plus exactement ses peuples) souffrent également de misère matérielle : l’exploitation économique et la domination politique ?… Et les peuples non arabes, précisément occidentaux et « judéo-chrétiens » (pour reprendre leur formule), n’ont-ils pas souffert de cette misère sexuelle, jusqu’aux années 1968 ? (9)… Rappelons un autre fait. Dans le monde non arabe, (comme, probablement dans ce dernier, de manière égale), le marché de la vidéo qui rapporte le maximum de profit à ses vendeurs est la pornographie. Ce fait ne prouve-t-il pas que le monde non arabe, à sa façon, souffre, lui aussi, de misère sexuelle ?
Encore un fait. On lit ceci : « Lundi 23 avril à Toronto (Canada), un jeune homme a foncé en voiture sur des passants. Il appartenait à la mouvance des Incel, ces « célibataires involontaires » mâles, victimes autoproclamées de la cruauté des femmes. Le crime de ces dernières ? Ne pas être sexuellement intéressées. Le châtiment ? Dix innocents fauchés, dont huit étaient des femmes.» (10) Il ne s’est trouvé aucun journaliste, ni aucun écrivain du Canada pour tirer, de ce fait, la conclusion que tous les hommes du « monde canadien » sont des obsédés sexuels et des oppresseurs de femmes. Imaginons ce que K. Daoud (et tous les « opinionistes » des oligarchies dominantes occidentales) auraient écrit si cet homme aurait été un Algérien, un Arabe ou un Musulman.
Par conséquent, se focaliser uniquement sur la misère sexuelle du « monde arabe », sans en fournir les causes originelles, et sans établir de relations avec les autres « mondes » de la planète, est-ce raisonner correctement ? Et à qui sert ce genre de raisonnement incorrect ?… Encore une fois, le lecteur ordinaire du W.P. que verra-t-il dans cette focalisation exclusive sur la « misère sexuelle du monde arabe » ?… Eh bien, que ces pauvres Arabes doivent en être libérés ! Et par qui ?… Pardi, par l’armée états-unienne ! Comme elle l’a déjà fait en Afghanistan, en Irak et ailleurs.
Le journaliste du W.P. précise que le dernier livre de K. Daoud « se développe sur ce thème ». N’est-ce pas là de l’acharnement, de l’obsession ?… Ou, plus trivialement, avoir constaté que le thème se vend, et qu’il faut donc augmenter la recette financière. Et qui finance la publication de ce livre ?… Bien entendu, des maisons d’éditions liées au oligarchies impérialistes. Et qui lit ce genre de livre ? Bien entendu, ceux qui cherchent à légitimer leurs préjugés méprisants ou haineux contre le « monde arabe ». Et qui voit augmenter son compte bancaire avec la publication de ce libre ? Bien entendu, les éditeurs et l’auteur. Et qui insérera les « arguments » contenus dans ce livre dans les médias qu’il contrôle, en les présentant comme reflétant la réalité du « monde arabe » ?… Bien entendu, les membres de ces oligarchies impérialistes.
Le journaliste du W.P. continue : « En France, toujours aux prises avec les conséquences d'une série d'attentats meurtriers, ses vues [de K. Daoud] lui ont gagné l’estime comme brave étranger dissident qui dit la vérité. Il est un commentateur régulier d’une radio française et un pilier dans les journaux français »… Lesquels ?… Le journaliste se contente d’ajouter : « souvent par ceux qui ne sont pas spécialement connu pour leur charité envers les Musulmans ». Le journaliste ne précise pas se ces « ceux » sont, toutefois, connus pour leur charité envers les exploités-dominés de la planète.
Comme on le constate, les attaques terroristes sont confondues avec les « Musulmans ». Autrement dit, une minorité se proclamant de l’Islam est confondue avec la majorité des croyants à cette religion. Encore une fois, qui diffuse cette propagande sinon les oligarchies impérialistes, selon la fameuse « théorie » du « choc des civilisations », dont l’auteur est un éminent membre de l’oligarchie idéologique états-unienne, Samuel Huntington ?
Islam

Le journaliste du W.P. ajoute, citant K. Daoud : « Le problème avec l’Islam, il n’est pas colonisation ou oppression par l’Ouest. C’est l’oppression faite par la religion elle-même, d’abord sur les femmes, qui rend alors les hommes fous. » Cette ligne se trouve également être la thèse du nouveau livre de Daoud. »

Que la religion islamique soit employée comme instrument idéologique pour opprimer les femmes, c’est vrai. Reste à préciser qui sont exactement les agents qui utilisent de cette manière la religion. Reste également à se demander pourquoi les oligarchies impérialistes soutiennent les monarchies où cette oppression des femmes par la religion est la plus rétrograde, la plus obscurantiste, la plus cruelle, la plus totalitaire. Était-ce dans la dictature de Saddam Hussein ? Est-ce en Algérie ? Ou, plutôt, dans les pays satellites de l’oligarchie impérialiste états-unienne, en premier lieu la monarchie saoudienne ?… Dès lors, dénoncer l’oppression des femmes par la religion ne doit-il pas porter à compléter par les informations ci-dessus évoquées ?… Et ne faut-il pas, également, rappeler que le thème de l’oppression des femmes par la religion fut évoqué précisément juste avant l’agression de l’armée U.S. contre l’Afghanistan des Talibans ? Et que l’occupation du pays n’a fondamentalement rien changé à la situation des femmes, du moins celles du peuple.

Enfin, après cette considération sur le rôle oppressive des femmes par la religion, quelle conclusion est tirée ?… Que l’ « Ouest » et la « colonisation ou oppression » par lui n’a rien à voir … Mais, alors, pourquoi les femmes musulmanes des monarchies pétrolières sont infiniment plus opprimées que les femmes en Afrique du Nord, au Pakistan ou dans la province du nord-est de la Chine, à majorité musulmane ?… Pourquoi ne pas rappeler que l’oligarchie saoudienne, en ce domaine, est la plus criminelle, et qu’elle fut mise au pouvoir par l’oligarchie anglaise, puis soutenue, en échange de pétrole à prix convenable, par l’oligarchie états-unienne ?… Dès lors, partir d’un fait réel (oppression des femmes par l’Islam) pour en tirer la conclusion que l’ « Ouest » (vaguement indiqué, sans préciser qu’il s’agit de ses oligarchies dominantes) et ses « colonisation ou oppression » n’ont rien à voir dans cette situation, est-ce correct, est-ce que cela correspond à la réalité historique et sociale ?… N’est-ce pas le langage précisément de la propagande impérialiste ?

Effet des écrits

Le journaliste du W.P. écrit : « Daoud dit être tranquille par sa popularité parmi un certain type de lecteur européen. « Devrais-je interrompre mes critiques de la société musulmane parce que mes écrits serviraient l’extrême droite ? Ou dois-je dois-je continuer, même si les écrits servent l’extrême droite » dit-il. « J’ai beaucoup réfléchi à cela, et je suis parvenu à une conclusion, à savoir que j’ai une responsabilité envers ma fille, mon épouse, le peuple autour de moi. Je dois dénoncer la violence qui leur est faite, même si mes mots sont appropriés [par d’autres, à savoir l’extrême droite]. »

Ne doit-on pas se demander : mais pourquoi les écrits de K. Daoud sont appropriés par l’extrême droite, et la servent ?… Et pourquoi pas les écrits d’Algériens qui mettent clairement à nu le système social capitaliste-impérialiste, en le montrant comme basé sur l’exploitation-domination des peuples, avec la complicité de ses satellites, notamment « musulmans » des monarchies pétrolières du Moyen-Orient ?

Autre demande : un intellectuel algérien doit-il se soucier uniquement de sa fille, de son épouse et du « peuple autour de lui » ?… Les filles et les épouses des autres ne méritent-elles pas également de la préoccupation ? Et qui est donc ce « peuple autour » de K. Daoud ?… Les exploités-dominés dans leur ensemble, non seulement par l’obscurantisme islamiste, mais également par le « libéralisme » économique laïc ?… N’est-il pas nécessaire de le préciser ?… Dans le NYT (11), Daoud présenta la guerre de libération nationale algérienne en se basant sur ses « parents », « proches » et « amis ». À présent, il déclare qu’il écrit pour défendre sa fille, son épouse et le « peuple autour de lui ». Est-ce suffisant ?… Se cantonner à défendre uniquement ces trois types, est-ce que les oligarques impérialistes n’agissent pas de la même manière ?

Enfin, K. Daoud pose la question : « Ma voix est-elle parfois appropriée ? Oui, elle l’est de temps en temps. Mais est-ce une raison pour se taire ? Non. »

N’est-il pas correct de poser, plutôt, d’autres questions : si ma voix est appropriée par l’extrême droite, c’est là une raison pour mieux réfléchir à ce que j’écris, à découvrir en quoi et pourquoi mes écrits servent cette extrême droite, puis faire en sorte que cela cesse. Sinon, quelle valeur peuvent avoir mes écrits s’ils ne servent pas uniquement les exploités-dominés, et non leurs bourreaux ? Si tel n’est pas le cas, alors, il y a quelque chose d’ambigu, de pas clair dans mes écrits. Il me faut donc le découvrir pour devenir clair, sans possibilité de récupération. N’est-ce pas ainsi que, partout et toujours, agissent les intellectuels dignes de ce nom ?

Voici un autre effet des écrits de K. Daoud, signalé par le journaliste du W.P. : « Pour la romancière Amina Mekahli (…) « Kamel Daoud représente l’espoir des Algériens qui vivent toujours en Algérie » (…) « Il donne cet espoir – je le vois aujourd’hui – spécialement aux jeunes écrivains algériens qui peuvent maintenant dire « Oui, c’est possible ». Et cela parce que Kamel Daoud vient d’un petit village de l’ouest. »

Qu’est-ce qui est donc « possible » ? Cela n’est précisé : défendre les opprimés au point de risquer l’emprisonnement et la mort, ou se vendre au plus offrant, en bénéficiant d’une médiatisation qui satisfait un ego ?… On le saura en posant la question : qui donc est cette Amina Mekahli ?… Pour le savoir, il suffit de lire ses écrits. Citons quelques extraits de l’un de ses articles (12). « L’Algérie se déconstruit, se reconstruit en oubliant de se construire. La traîtrise ! Quel vilain mot je trouve. Qui trahit qui et quoi ? Qui a juré fidélité ? À une idée, un mot, une ville, une meute ? Taillés comme des crayons les opinions pointent le pouce vers le bas. Aucune réussite n’est exonérée de trahison, aucune… »

On remarque déjà le style : il se veut flamboyant, autrement des mots qui voudraient sonner ; en réalité, ils sonnent creux et ne veulent rien dire. Passons, également sur « Quel vilain mot » : ne semble-t-il pas sortir de la bouche d’une Précieuse ridicule de Molière ?

Venons aux « arguments ». Pour cette auteure, la « traîtrise » n’est qu’ « un vilain mot ». Traître à son peuple, en faisant partie de ses exploiteurs-dominateurs, cela n’existe-t-il donc pas ? Traître à son peuple qui a combattu pour se libérer d’une domination coloniale ou impérialiste, cela n’existe donc pas ?... Quant à la « fidélité », se réduit-elle à l’être pour « un mot, une ville, une meute » ? Alors, la fidélité envers les peuples exploités et dominés, cela n’existe pas ? Enfin, pourquoi parler de « meute », ce terme qui rappelle les chiens, la « canaille populaire » et la « racaille » (dixit Sarkozy), qui rappelle, aussi, les « émeutiers », pour désigner de manière méprisante les révoltés du peuple contre l’injustice ?… Ah ! Les mots ! On croit les employer pour se masquer (en présentant une figure respectable), alors qu’on se démasque comme un vile petit-bourgeois arrogant envers la « meute » (peuple), et aspirant… à quoi ?… On le découvrira dans la suite du texte.

L’auteure ajoute (les gras sont les siens) :

« Les guerres des genres et des limites des frontières aiguisent les contradictions, et nous restons tous tièdes et gris, la peau noire et la feuille blanche, rasant les murs de la médiocrité, par peur de sombrer dans la haute trahison de la réussite et de l’universalité de l’esprit. »

De quelle « réussite » s’agit-il, et pourquoi ne pas lui accorder l’honneur de l’écriture en gras ?... Cela n’est pas précisé. Mais puisque cette auteure défend K. Daoud, ne faut-il pas en déduire qu’il s’agit de la « réussite » de ce dernier ?… Et de quelle « universalité » (mise en gras) est-il question, sinon de celle de se faire publier par les maisons d’éditions et dans les journaux des oligarchies mondiales, comme K. Daoud ?… Dès lors, cette universalité n’est-elle pas celle de l’exploitation-domination mondiale des peuples ?… Ah ! Encore les mots qui veulent masquer la servilité, mais la trahissent !

Et encore, l’auteure : « Un film qui ose toucher à la sacro-sainte révolution est une trahison, un artiste qui ose s’exporter est une trahison, un écrivain, un musicien, un individu lambda aussi. »

Décidément, la « révolution » (en gras), que l’auteure n’ose pas (par dégoût ? Mépris ?… comme K. Daoud ?) appeler guerre de libération nationale algérienne, cette « révolution » obsède certains et certaines ; ils s’acharnent absolument à la rabaisser, dénigrer, ne tenir compte que de ses aspects négatifs, comme le fait K. Daoud dans le NYT, et à l’égout le bébé avec l’eau sale !… Car le « bébé » dérange trop : il rappelle que le peuple algérien a eu des citoyens et citoyennes tellement valeureux qu’ils ont réussi à chasser de leur pays une des plus puissantes oligarchies coloniales, et ont libéré ceux qui sont nés après eux de l’infâme colonialisme. Mais ces valeureux ignoraient qu’une petite partie de ces bénéficiaires cracherait sur eux et leur combat. Pourquoi ? Pour de l’argent et de la « gloire » « universelle » ! Fournis par qui ? Par les descendants des colonisateurs. Dans quel but ? Pour prendre leur revanche par un néo-colonialisme où les harkis anciens seront remplacés par des harkis de nouvelle génération ; les premiers étaient en majorité des supplétifs militaires culturellement ignorants ; les nouveaux harkis sont des supplétifs « culturels » car dotés de « culture ».

Venons à ce que l’auteure appelle « s’exporter ». Question : mais s’exporter chez qui, en offrant quoi ?… Chez les éditeurs et journaux qui défendent les opprimés de la planète ou chez ceux qui tirent profit de cette oppression ?… L’auteure ne précise pas, mais on comprend aisément auxquels elle se réfère.

Elle écrit encore : « Où s’arrête la légitimité historique, politique, artistique, identitaire ? Et où commence la trahison ? Comment lever ses bras par-dessus les étoiles sans tomber dans l’oubli des siens ? Se greffer un drapeau sur les paupières ou se tatouer le nom de sa tribu sur la langue ? S’habiller de valeurs ou dévaloriser ses guenilles ? »

Glissons sur le style, encore à prétention flamboyante. Mais notons le mot « tribu », à défaut de peuple, car, pour l’auteur, elle a uniquement les « siens » (comme K. Daoud a sa « fille », son « épouse », le « peuple autour » de lui, ainsi que ses « parents », « proches » et « amis).

Intéressons-nous à l’ « argument » : la légitimité. L’auteure ignore donc que légitimité et trahison se révèlent selon la présentation faite d’un combat d’opprimés pour se libérer de leur oppression (étrangère ou interne) ? Que la légitimité consiste à revendiquer ce combat comme épopée libératrice, malgré ses aspects négatifs, et que la trahison consiste à partir de ces aspects négatifs pour condamner ce combat libérateur en le réduisant à une entreprise risible d’imposteurs, de profiteurs et de vantards ?

Remarquons que cet article de l’auteure est publié comme « chronique », lequel procédé fut un tremplin pour K. Daoud pour se faire publier.

Avec cette jeune femme auteure, ne constate-t-on pas que K. Daoud produit des émules qui aspirent à la même « exportation » et « universalité », par l’emploi du même langage et des mêmes procédés pour se faire connaître et vendre ?

Enfin, le journaliste du W.P., qui la cite, termine ainsi son article : « Il y a des gens qui le [K. Daoud] critique très violemment, mais il a aussi beaucoup de supporters » dit Hadjadj, son éditeur. « Tout simplement, c'est quelqu'un qui est lu. C'est le véritable accomplissement. »

Or, que signifie, dans la langue d’un éditeur, être « lu » ?… C’est vendre les livres qu’il fabrique, par conséquent engranger de l’argent. N’est-ce pas la loi « sacro-sainte » du capitalisme ? Là est le « véritable accomplissement ». Le contenu vendu, l’éditeur n’en parle pas : que lui importe-t-il, pourvu qu’il rapporte de l’argent ?

 

Questions finales

Je termine cette contribution comme la précédente. Une seconde fois, je m’adresse à Kamel Daoud. Si vos intentions sont de défendre, outre votre fille, votre épouse et le « peuple autour de vous » : 1) Entendez-vous par cette vague expression le peuple algérien dans son ensemble, celui opprimé non seulement par l’islamisme, mais, également, par les oligarchies impérialistes qui le soutiennent ? 2) Si votre souci est ce peuple algérien, notamment ses femmes (sans oublier ses jeunes, ses vieillards, et d’une manière générale, ses hommes opprimés), pourquoi ne vous contentez-vous pas d’écrire uniquement dans des journaux algériens, pour vous adresser aux Algériens ? 3) Concernant votre souci de vous adresser également à des lecteurs occidentaux, pourquoi publier vos « opinions » dans des journaux tels que Le Monde et le NYT ? Comme journaliste, pouvez-vous ignorer que ces deux journaux sont possédés par des milliardaires qui font partie de l’oligarchie exploiteuse-dominante, et donc servent ses intérêts exclusifs ? Dès lors, pourquoi ne pas publier dans des journaux occidentaux qui dénoncent la domination oligarchique impérialiste, et défendent les opprimés de la planète ? 4) Pourquoi vos « opinions » coïncident avec les contenus de la propagande impérialiste et néo-colonialiste ? 5) Pourquoi vos écrits sont-ils appropriables par l’extrême droite, sans que cela vous pose problème ? 6) Pourquoi vous faites-vous photographier dans des poses qui ressemblent à celle d’un vulgaire acteur hollywoodien de série B, y compris son regard, sans parler de cette chemise blanche ouverte sur la poitrine ? 7) Pourquoi vous focalisez les problèmes de l’Algérie et du « monde arabe » uniquement sur l’extrémisme islamiste, la sexualité et les libertés individuelles, sans jamais évoquer le cadre dans lequel ces problèmes sont insérés : un système capitaliste basé sur l’exploitation-domination d’une majorité du peuple par une minorité d’enrichis, et que ce système capitaliste, par sa nature, par son essence provoque les guerres d’agression du plus fort et rapace contre le plus faible ? 8) Pourquoi votre défense des « libertés individuelles » ne vous fait-elle pas écrire, sur Le Monde et sur le NYT, votre « opinion » sur le cas de Julian Assange et sur les limitations des libertés individuelles sous prétexte de « guerre au terrorisme » ?... Enfin, démontrez donc, dans le journal où vous le jugez utile, que mes arguments sont faux, servent l’ « islamisme » intégriste, le « régime incapable de transition », sont contraires aux « libertés individuelles », entendues, par moi, comme solidaires avec les libertés collectives, précisément celles du peuple algérien (et de tout peuple) à n’être exploité-dominé en aucune manière, ni religieuse, ni laïque, ni interne ni externe. 9) Pourquoi ne pas écrire, enfin, sur cette autre misère : celle de ces jeunes (d’Algérie et de la planète) qui emploient leurs connaissances intellectuelles non pas pour combattre le système exploiteur-dominateur, sous toutes ses formes, cléricales et laïques, mais pour se mettre à son service pour un misérable gain financier et un encore plus misérable besoin de célébrité ?

 

Gare aux « cadeaux » !

Est-il nécessaire de conclure par cette affirmation ? La nécessité de combattre toute forme d’exploitation-domination, tant interne qu’externe, exige le combat contre les « faux » amis des peuples : ils prétendent le servir, alors que leurs écrits et leurs actes montrent qu’ils sont au service de leurs oppresseurs. Croire que s’intéresser à ces faux amis des peuples est secondaire est une grave erreur : les meilleures preuves en sont les agressions et les projets d’agression des diverses oligarchies néo-colonialistes, impérialistes et sionistes, directement ou par l’intermédiaire de leurs supplétifs « intellectuels », lesquels, précisément, se présentent comme amis des peuples, tout en s’exprimant dans les médias des exploiteurs des peuples. N’est-ce pas là une contradiction très révélatrice ?… Dans ces agressions, la propagande, notamment formulée par des indigènes de ces peuples, vise à démoraliser ces peuples, en leur donnant une image d’eux-mêmes dévalorisante, de « barbares » à « civiliser », et par qui ?… Par les plus barbares de la planète : ceux qui recourent aux missiles contre les populations civiles, pour les dominer puis exploiter leurs ressources naturelles. Enfin, gare aux naïfs et aux trolls qui font croire que les faux amis des peuples sont à négliger : après dix années de résistance, Troie, en acceptant dans l’enceinte de la ville un « cadeau », représenté par un cheval, sans tenir compte qu’il était offert par des Grecs impérialistes, est tombée ! Donc, gare aux « cadeaux » des faux amis, formulés en écrits ou en « coopération économique » !

_____

(1) In https://www.washingtonpost.com/world/europe/why-france-loves-this-algerian-writer-more-than-algeria-does/2018/12/01/d79f2807-8165-41c1-9b44-9c61ef6c974d_story.html?noredirect=on&utm_term=.1a5e8c2fa567

(2) Intitulée « Peau basanée, masque néo-colonial ».

(3) La traduction en français est la mienne.

(4) Notons que le journaliste du W.P., en parlant de Maurice Audin dit « militant algérien anti-colonial » (sans, toutefois, préciser sa qualité de communiste – cela ne se dit pas dans le W.P.), alors que Daoud le nomme « Français ». Voir ma contribution précédente: « Peau basanée, masque néo-colonial ».

(5) Voir « La crucifixion de Julian Assange » in https://www.investigaction.net/fr/la-crucifixion-de-julian-assange/

(6) Je ne sais pas comment traduire fidèlement cette expression : partisans des Musulmans ?

(7) In https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/01/31/cologne-lieu-de-fantasmes_4856694_3232.htmlIdées

(8) Version française ici : https://www.nytimes.com/2016/02/14/opinion/sunday/la-misere-sexuelle-du-monde-arabe.html

 (9) Voir la brochure « De la misère en milieu étudiant … » (1966).

(10) In https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2018/04/29/frustration-et-terrorisme-nos-croyances-sexuelles-nous-massacrent_5292137_4497916.html

(11) Voir ma contribution précédente « Peau basanée... »

(12) In https://www.oranais.com/all/amina-mekahli

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #EDUCATION-CULTURE, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 9 Février 2020

Pourquoi le New York Times s’est payé un néo-harkisme ?

Le « prestigieux » New York Times a publié un article de Kamal Daoud, le 15 octobre 2018 (1). À ce sujet, deux choses sont à préciser. Ce n’est pas la personnalité de Kamel Daoud qui sera examinée ici (le titre de cette contribution parle de néo-harkisme et non de néo-harki), ni son œuvre littéraire, mais uniquement les « arguments » contenus dans son article ; en outre, la présente contribution s’adresse prioritairement aux personnes (et non aux trolls, rétribués ou non) qui, de bonne foi, croient que certaines idées de K. Daoud sont bénéfiques au peuple algérien.

 

De la guerre.

À l’auteur qui examine les déclarations publiques de K. Daoud, certains reprochent une « obsession » et un « acharnement » concernant cette personne. Pourquoi ne s’agirait-il pas, au contraire, de l’obsession et de l’acharnent de ce dernier à évoquer le thème de la guerre de libération nationale ? Son article sur le NYT ne s’intitule-t-il pas : « Ma guerre avec la guerre d’Algérie » ?

Et pourquoi le choix de ce jeu de mots ? N’est-il pas un banal procédé rhétorique qui fait bien « sonner » les mots pour impressionner ?… On connaît la fameuse expression « guerre à la guerre ». Elle est inadéquate et incongrue comme slogan pacifiste. Pour un pacifiste, il ne s’agit pas de faire la guerre à une guerre, mais de mettre fin à toute guerre. Revenons à l’expression employée par K. Daoud. Ne serait-il pas plus pertinent, plus raisonnable de dire plutôt : Paix avec la guerre d’Algérie ?… En effet, K. Daoud déclare dans son article : « Tout ce que j’entendis alors a créé en moi, comme dans l’esprit de beaucoup de personnes de mon âge, une saturation qui provoqua le rejet. » Dès lors, ces deux résultats sont-ils surmontables par la « guerre » à la guerre, ou, au contraire, par la paix ?… Autrement dit par la résilience ?

 

Des idées qui dérangent, mais qui ?

D’autres lecteurs ont exprimé leur admiration pour K.Daoud parce qu’il « dérange » les idées officielles étatiques

Est-il certain que la critique de la version étatique suffit pour considérer un auteur utile à la clarification des idées et des conceptions ?… En effet, on peut critiquer la propagande officielle étatique dans deux buts différents : le premier est pour défendre les intérêts du peuple, dominé et exploité par les dirigeants de l’État en question. Est-ce la cas chez K. Daoud ?

Dans son article, il déclare : « Mes engagements en Algérie se préoccupent plus des libertés individuelles, d’un régime incapable de transition et de la montée de l’islamisme. » Certes, ces problèmes existent et exigent des solutions. Mais l’Algérie n’a-t-elle pas, également, d’autres problèmes ?… Le peuple n’est-il pas exploité et dominé par une oligarchie, en partie étatique, en partie privée, aux intérêts convergents ? Les associations citoyennes collectives, notamment les syndicats, ne sont-ils pas empêchés dans l’exercice de leurs droits légitimes ?… Ceci à l’intérieur. Et, concernant l’extérieur, n’y a-t-il pas une triple menace néo-coloniale française-impérialiste U.S.-sioniste israélienne ? Et, cela, parce que les dirigeants étatiques algériens, bien que anti-démocratiques à l’intérieur, manifestent cependant une indépendance nationale tout à l’opposé des régimes arabes soumis aux puissances néo-coloniales (anglaise et française), impérialiste états-unienne et sioniste israélienne ?

Dès lors, se limiter à évoquer les « libertés individuelles », le « régime incapable de transition » et la « montée de l’islamisme », est-ce suffisant pour décrire les problèmes qui affligent l’Algérie ?… Ces arguments, bien que pertinents, ne sont-ils pas des arbres qui cachent la forêt ?… En effet, les thèmes évoqués par K. Daoud ne sont-ils pas ceux habituels de la propagande néo-coloniale-impérialiste-sioniste ?… N’est-ce pas par celle-ci que furent et demeurent justifiées les agressions militaires contre l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie, l’Iran ?… Dès lors, le contenu des « engagements » formulé par K. Daoud, qui dérange-t-il ?… Seulement le « régime » algérien et « l’islamisme » ?… Plus loin, nous examinerons la pertinence des trois aspects des « engagements » de K. Daoud.

 

Reconnaissance.

Considérons ce que certains commentaires (trolls ?) définissent comme « réussite » professionnelle et « reconnaissance » du « monde » envers K. Daoud.

Ce « monde », c’est qui concrètement ?… Est-ce celui des personnes et des associations citoyennes (algériennes ou étrangères) qui combattent réellement pour un monde sans agressions étrangères, sans dictatures internes, un monde où liberté et solidarité humaines se conjuguent et se complètent ?… Le New York Times est-il le journal qui exprime et défend ces combats ?… N’est-il pas, au contraire, la propriété de membres de l’oligarchie états-unienne, et, par conséquent, justifie et défend son comportement de gendarme de la planète, pour conserver l’hégémonie impériale sur ses ressources et ses peuples, condition indispensable pour garantir les richesses et le pouvoir de cette oligarchie ?… Alors, comment expliquer la publication de l’article de K. Daoud dans ce journal, si réellement ses « engagements » remettaient en question cette hégémonie impériale ?

 

Encore de la guerre, mais laquelle ?.

Notons le titre de l’article de K. Daoud dans le NYT : « Ma guerre à la guerre d’Algérie ». De par le monde, y compris l’Algérie, les personnes soucieuses de précision ne parlent pas de « guerre » (d’Algérie, de Viet Nam, de Chine, etc.), mais de guerres de libération nationale. Seuls les auteurs écrivant dans les médias de propagande impérialiste préfèrent les expressions « guerre du Viet Nam », « guerre de Chine » ou « guerre d’Algérie ».

En effet, ce genre d’expression, en se référant uniquement au terme indiquant le pays, occulte ce qui caractérisa ces guerres : une résistance populaire pour libérer la patrie d’une oppression militaire étrangère. Ainsi, l’on constate que les mots et les expressions ne sont pas innocents, ni le fruit du hasard. Soit l’auteur est un ignorant, et dans ce cas est-il un journaliste et un écrivain dignes de ces qualificatifs ? Soit il sait de quoi il parle, et, alors, son vocabulaire appartient à la propagande impérialiste, et donc manipule et conditionne les lecteurs pour servir les intérêts impérialistes.

Une expérience éclaire davantage ces observations. Sur le moteur de recherche de Google, j’ai écris d’abord en français : « guerre d’indépendance américaine » ; j’ai obtenu beaucoup de liens. Ensuite, j’ai écris : « guerre d’Amérique » : aucun ne concernait la guerre d’indépendance des États-Unis. Puis, en anglais, j’ai écris : « independence american war » : j’ai obtenu beaucoup de liens ; en écrivant : « America war » : le premier lien correspondait à ces deux mots, par contre le second fut « america war of independence » (les deux derniers mots en gras). Donc, le moteur de recherche Google, dont les propriétaires font partie de l’oligarchie états-unienne, sait très bien distinguer entre « guerre d’indépendance » des États-Unis et « guerre américaine » (2). Quant à l’encyclopédie en ligne Wikipédia, elle parle de « American Revolutionary War (1775–1783), also known as the American War of Independence ».

Par contre, les membres de l’oligarchie française commencèrent par parler d’ « événements » d’Algérie, ensuite certains ont fini par prononcer « guerre d’Algérie ». Mais aucun n’a dit, jusqu’à ce jour, pas même le Président Macron, « guerre de libération algérienne » ni « guerre d’indépendance algérienne ». Dès lors, quand K. Daoud parle de « guerre d’Algérie » dans le NYT, son discours et sa conception reflètent quelle vision, et donc position idéologico-politique, autrement dit servent quels intérêts ?… Ceux de la vérité historique ? Ceux du peuple algérien ?

L’emploi de l’expression « guerre d’Algérie » par K. Daoud, soit elle a été bien réfléchie par un journaliste et écrivain qui sait employer son cerveau correctement, et, alors, elle n’exprime que la formulation impérialiste de ce fait historique ; soit, il s’agit d’une expression pas suffisamment méditée par l’auteur, et, donc, qu’en est-il de l’effort de clarification historico-sociale qui devrait caractériser tout journaliste et écrivain digne de ces attributions ?

À ce sujet, examinons l’article. K. Daoud déclare : « Je n’ai pas connu la guerre, mais elle a été présente dans mon imaginaire. Par la voie de mes parents et proches et de leurs discussions, et par la voie de l’État : l’école, la télévision, les fêtes officielles et les discours politiques. »

K. Daoud n’a-t-il donc pas, comme d’autres personnes de son âge, connu ou entendu parler d’aucun authentique combattant (et combattante) de la guerre de libération ? Et n’a-t-il pas lu des témoignages publiés par certains d’autres eux ?

K. Daoud ajoute :

« Quand j’étais enfant, l’une des façons de faire rire autour de soi était de moquer les vétérans de guerre et leur propension à exagérer ou inventer leurs faits d’armes passés pour bénéficier de privilèges au présent. On sentait dès l’école qu’il y avait mensonge. Cette intuition était confortée par nos parents qui nous parlaient de faux moudjahidines — de faux anciens combattants — de plus en plus nombreux à réclamer des droits, et aussi par le spectacle des injustices induites par ces droits : accès privilégié au logement et à l’emploi, détaxes, protections sociales spéciales et autre. »

Décidément, l’enfant K. Daoud n’a entendu parler, de la part de ses « parents » que d’une catégorie de « vétérans de guerre » qui faisaient « rire » par leur « propension à exagérer ou inventer » ou à avoir un « accès privilégié ». Quant aux combattants de la guerre de libération qui ont courageusement affronté les tortures ou la mort et qui, après l’indépendance, ont simplement considéré avoir accompli leur devoir de citoyen désirant sa propre dignité, selon ses dires, K. Daoud n’en a jamais entendu parler de la part de ses parents. Que penser, alors, de ce genre de parents qui, eux, au contraire de leur enfant Kamal, ont connu la guerre de libération nationale ?

Présenter la guerre de libération nationale algérienne, en l’appelant « guerre d’Algérie », et en la réduisant à des « vétérans » risibles, imposteurs et profiteurs, est-ce acceptable de la part d’une personne définie comme journaliste et romancier (laissons de coté le fait qu’il soit algérien) ?… Considérons à présent le journal NYT. Publierait-il l’article d’un auteur qui se baserait uniquement sur des racontars de parents et de proches ainsi que sur la propagande étatique, pour définir la guerre états-unienne d’indépendance anti-coloniale seulement comme « guerre d’Amérique », avec principalement un ramassis de « vétérans », risibles, imposteurs et profiteurs, parce que l’auteur de l’article n’a connu que ce que ses parents, ses proches et une propagande étatique lui ont dit sur ce fait historique ?

K. Daoud conclut :

« Je fais donc partie de cette génération pour qui la mémoire de la guerre d’Algérie — et selon les manuels scolaires, son million et de demi de martyrs algériens — est marquée par la méfiance. Nous avons grandi convaincus qu’il s’agissait désormais d’une rente et non plus d’une épopée. »

Lire ces mots de la part d’un jeune algérien manquant de culture, d’instruction et de connaissances historiques peut être compréhensible. Mais est-ce le cas quand il s’agit d’une personne qui écrit dans des journaux algériens et new-yorkais, sans parler de la publication de deux romans ?… Sa « méfiance », - légitime -, pourquoi ne l’a-t-elle pas porté à connaître l’histoire réelle, pour distinguer et séparer le vrai du faux, savoir où est la « rente » et où est l’ « épopée » ? où sont les faux et les vrais combattants de la guerre de libération ? Où est la propagande étatique et la vérité historique ?… De la part d’un journaliste et écrivain digne de ce nom, ce genre d’étude, de recherche et de discernement ne sont-ils pas une obligation absolue ?… Par conséquent, ne voir qu’un aspect de la guerre de libération, à savoir ses représentants « risibles », imposteurs et profiteurs, autorise-t-il à ignorer et à rejeter l’aspect positif d’épopée que fut la guerre de libération algérienne, comme toute autre guerre de libération nationale, en dépit de ses errements et de ses carences ?… Dès lors, de la part d’un intellectuel, occulter l’aspect positif d’un fait historique, comment le caractériser ?… Ignorance ?… Mais, alors, est-on un intellectuel digne de ce nom ? L’autre hypothèse serait de connaître la vérité mais l’occulter. Qui en serai, alors, le bénéficiaire ?… Est-ce la vérité historique ? Est-ce le peuple algérien ? Sont-ce les lecteurs de l’article de K. Daoud ? Ou, plutôt, tous ceux qui veulent ternir, salir, stigmatiser, ridiculiser et s’esclaffer de rire en évoquant la « guerre d’Algérie » (ou toute autre guerre de libération nationale), en la (les) réduisant à des individus imposteurs et profiteurs, parce que, voyez-vous, c’est ce que mes « parents » et mes « proches » m’ont dit. Est-ce ainsi qu’un article doit décrire l’histoire réelle d’un fait historique ?… Il est vrai que le NYT est un journal « prestigieux », pour ceux qui ignorent qu’il est la propriété des membres de l’oligarchie impériale états-unienne. (fin partie 1)

 

De la mémoire (3)

Souvenons-nous. En décembre 2017, le Président français E. Macron, dans un bain de foule à Alger, déclara à un jeune qui l’interpella sur le passé colonial : « Mais vous n’avez jamais connu la colonisation ! Qu’est-ce que vous venez m’embrouiller avec ça ? »... Que dit K. Daoud dans son article ?… « Aujourd’hui, la France d’Emmanuel Macron — un président qui, comme moi, n’a pas connu cette guerre » ; et, ailleurs, le même Daoud dénonce le fait de « ressasser sa mémoire coloniale ». Notons les verbes : Macron (« embrouiller »), Daoud (« ressasser »), et leur signification sémantique concernant l’une des guerres de libération nationale les plus importantes du siècle passé.

Si l’on comprend bien la « logique » de Macron et de Daoud, une personne qui n’a pas connu une guerre ne devrait pas s’en sentir concerné, parce que ce conflit appartient au passé (ou, pourquoi pas, au présent). Cependant, la richesse de la France dans laquelle vit Macron n’est-elle pas, aussi et en partie, le résultat des entreprises coloniales de son pays ? Et la situation de Daoud, comme journaliste et écrivain non colonisé, n’est-elle pas, elle aussi et en partie, la conséquence d’une guerre de libération nationale ?

Le même Président français déclara : « Votre génération doit regarder l’avenir ». Et que dit K. Daoud dans son article ?… « il est aussi nécessaire aux décolonisés de dépasser le passé, et assumer leur présent, avec sincérité. »… On estimera que K. Daoud a la « liberté individuelle » de refléter la vision du Président français. Soit ! Mais que penser de cette coïncidence d’identité de vue, au point de quasi paraphraser les déclarations du Président français ?… S’étonnerait-on, alors, du fait que lors de sa visite à Alger, ce même Président invita à déjeuner, à Alger, entre autres « personnalités » de l’ « opposition », Kamel Daoud ?… Et devinez quelle photo accompagne l’article de K. Daoud dans le NYT ?… Une splendide photo du Président Macron, tout sourire et tendant amicalement la main à des Algériens, eux aussi tout sourire, lors de son fameux bain de foule à Alger.

Venons à la reconnaissance de ce Président au sujet de l’assassinat de Maurice Audin par l’armée française. Concernant ce dernier, K. Daoud écrit aux lecteurs états-uniens : « Maurice Audin, un jeune communiste français ». Est-ce la vérité ?… La voici : plus exactement, Maurice Audin, bien que de souche française, ne fut pas membre du parti communiste français, mais algérien, et c’est en tant que militant de cette organisation qu’il a combattu l’armée coloniale française. Encore une fois, le vocabulaire de K. Daoud n’est-il le reflet direct de celui de l’oligarchie française ? C’est elle qui parle de « communiste français », occultant l’algérianité assumée par Maurice Audin.

À ce sujet, notons cette coïncidence. K. Daoud note, justement, ceci : « les islamistes salafistes ou les islamistes sans mandat politique direct insistent plutôt sur le fait qu’Audin était communiste et athée ». Ainsi, est occultée l’algérianité de Maurice Audin. Quel est, alors, le vocabulaire de K. Daoud ? Il présente Audin comme « français », reflétant ainsi le vocabulaire de l’oligarchie française. Il est vrai que plus loin, K. Daoud émet cette réserve : « Français ou non ». Mais, pourquoi pas : « Français ou Algérien » ?… Ce genre d’expression n’est-il pas, de la part de K. Daoud, identique à celui des salafistes qui nient l’algérianité de Audin ?

Revenons au Président Macron. K. Daoud parle de « son miracle de self-made-man politique »… Une personne soucieuse de vérité, encore plus si elle se prétend journaliste, trouvera autre chose. Ceci : « La subite apparition d’un nouveau parti politique, En Marche !, sur la scène électorale française, et la candidature de son président, Emmanuel Macron, à la présidence de la République ne doivent rien au hasard. Les partisans de l’alliance entre la classe dirigeante française et les États-Unis n’en sont pas à leur coup d’essai. » (4)

Quant à la mémoire de tous les méfaits commis par le colonialisme non seulement en Algérie mais sur la planète, à propos de la reconnaissance par le Président E. Macron, non pas de ces crimes contre l’humanité, mais uniquement de la torture puis l’assassinat du combattant algérien pour l’indépendance, Maurice Audin, K. Daoud écrit : « « J’avais du mal à trouver des mots sincères. Je voulais saluer le courage de la déclaration mais sans pour autant m’enfermer dans le rôle du décolonisé qui ne fait que ressasser sa mémoire coloniale et attendre des excuses (5). Je voulais à la fois honorer le passé et affirmer ma liberté vis-à-vis de lui. »

De quelle « liberté » s’agit-il ?… Celle de ne voir dans le passé que des faux combattants de guerre « risibles », imposteurs et profiteurs ?… Élargissons l’examen. Quand l’exigence de reconnaissance (n’allons pas jusqu’aux excuses) est exprimée par les peuples autochtones d’Amérique en ce qui concerne le génocide de leurs ancêtres, par les peuples d’Afrique en ce qui concerne leur esclavage dans les plantations états-unienne, par le peuple chinois en ce qui concerne les méfaits de l’armée impériale fasciste japonaise notamment dans la ville de Nankin, par le peuple japonais en ce qui concerne les deux bombardements atomiques sur des villes (non militaires), les peuples colonisés en ce qui concerne ce que les envahisseurs leur ont fait subir,... ce genre d’exigence, est-ce donc uniquement « ressasser sa mémoire » ?… Parler ainsi, n’est-ce pas là le discours précisément de toutes les oligarchies ayant commis des crimes contre l’humanité, et refusant jusqu’à aujourd’hui de les admettre ?… À une seule exception, - il faut le noter - du crime contre l’humanité que fut la « solution finale » nazie contre les Juifs ; ce crime a été non seulement reconnu par l’État allemand succédant au nazisme, mais des dédommagements financiers furent concédés aux descendants des victimes ; plus encore, une majorité des oligarchies européennes vont jusqu’à justifier les crimes de l’armée israélienne contre le peuple palestinien par le fait que le peuple juif fut victime d’un holocauste. Encore une fois, est-il juste que le peuple dit « juif » soit l’unique peuple à mériter reconnaissance, compensations financières et justification des crimes d’Israël ? Qui en a décidé ainsi ? Et dans quel but ?

Précisons, cependant, qu’en 2001, le Parlement français a reconnu officiellement que l'esclavage et la traite des Africains étaient un « crime contre l'humanité », et a consacré le 10 mai à leur souvenir. En 2007, pour la première fois, l’État U.S. de Virginie a admis sa responsabilité et a demandé les excuses pour l'esclavage des Africains et pour « l'exploitation des natifs Américains ». Et le colonialisme planétaire, quand sera-t-il reconnu, sans parler non pas d’excuse mais d’indemnisations pour les destructions humaines, matérielles et culturelles conséquentes ?… S’agit-il là seulement de « ressasser la mémoire » ?... Toute réconciliation, que ce soit entre individus ou entre peuples, ne nécessite-t-elle pas au moins la reconnaissance des torts commis, pour ne pas parler d’excuses et de dédommagements matériels ?… Quand le poète martiniquais Aimé Césaire écrit : « Combien de sang dans ma mémoire », est-ce qu’il « ressasse » ?

 

Destinataires.

Quand le NYT publie un article de K. Daoud, à qui s’adresse-t-il principalement ?… Aux lecteurs des États-Unis (dans la version anglaise). En leur présentant une « guerre d’Algérie » (et non une guerre de libération nationale anti-coloniale), « risible », dominée par des imposteurs et profiteurs, favorisés par un « régime », quel est le but poursuivi par ce journal ?… Sachant que son éditeur en chef n’est pas un idiot amateur, mais sait ce qu’il fait, que ce journal est la propriété de membres de l’oligarchie impérialiste états-unienne, et qu’il a, par conséquent, toujours défendu leurs guerres d’agression, quelle conclusion s’impose ? Un tableau si méprisable de la guerre de libération nationale algérienne, en outre fourni par une personne présentée comme écrivain non pas états-unien, mais algérien et vivant en Algérie, ce genre de tableau ne prépare-t-il pas les lecteurs du journal NYT a justifier une éventuelle guerre de l’armée états-unienne pour offrir à l’Algérie, selon les dires de K. Daoud dans l’article concernant ses « engagements », les « libertés individuelles », combattre un « régime incapable de transition » et la « montée de l’islamisme », avec les résultat déjà constatés en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie ?… Et demain en Algérie, parce que ce dernier pays, malgré ses tares, n’a pas consenti à s’abaisser au misérable rôle de marionnette de l'hégémonie impériale ?… Toute guerre d’agression se prépare par des mots dans des organes dit d’information, faut-il le rappeler ? Et faut-il rappeler, aussi, que ces mots sont plus efficaces si ce ne sont pas les agresseurs qui les prononcent, mais des membres du peuple à agresser, vivant en son sein ?… Autrement, pourquoi, l’article de K. Daoud, tel que publié dans le NYT, commence par « ORAN, Algérie » ?

Culpabilité ou dette de reconnaissance ?

K. Daoud écrit: “On me faisait sentir coupable de n’être pas né plus tôt pour pouvoir faire la guerre. »… Quelle est l’identité précise de ce « on » ? La propagande étatique officielle ?… Et comment expliquer la contradiction suivante ? D’une part, K. Daoud affirme n’avoir connu de cette guerre que des aspects risibles, de vantards et profiteurs ; cependant, d’autre part, il s’est trouvé des « on » qui lui reprochaient de n’avoir pas participé à cette farce honteuse.… Peut-on culpabiliser une personne pour n’avoir pas été membre d’une imposture ?

Autre considération. Dans son excellent témoignage « Se questo è un uomo », Primo Levi, qui fut interné en camp de concentration, parla d’un sentiment étrange de culpabilité : celui d’avoir survécu à ses compagnons d’infortune. Primo Levi n’eut pas besoin de « on » pour le culpabiliser. La noblesse de sa conscience humaine, basée sur la solidarité avec les victimes, lui a suffi pour éprouver ce sentiment de culpabilité. Le porta-t-elle finalement au suicide ? Seul, lui le savait.

En ce qui me concerne, personne ne m’a fait « sentir coupable » de n’avoir pas participé à la guerre de libération nationale algérienne. Bien qu’enfant, j’ai cependant participé aux manifestations populaires patriotiques. Et j’ai regretté, sans avoir subi nulle pression, de ne pas être monté au maquis. Nous fûmes quelques uns, au lycée, à le proposer. Un dirigeant de la lutte vint nous dire : « Merci pour votre dévouement. Mais l’indépendance arrivera bientôt. Vous serez plus précieux au pays en lui fournissant par la suite vos connaissances. » Aussi, je n’ai éprouvé aucun sentiment de culpabilité, et je n’ai jamais connu des « on » qui me reprochèrent ce comportement.

Par contre, j’ai eu et je conserverai jusqu’à ma mort un sentiment de dette envers les compatriotes qui avaient sacrifié leur vie afin que je puisse être affranchi de ma condition de colonisé. Et je me considérerais un ingrat si je ne transmets pas ce sentiment de dette à mes enfants et aux autres enfants (6). Et cette dette ne s’arrête pas aux combattants de la guerre de libération nationale algérienne ; elle remonte aux premiers êtres humains qui, sur cette planète, ont combattu pour leur dignité, leur liberté et leur solidarité, en nous transmettant la mémoire de leurs luttes pour continuer à réaliser ce qui est le plus noble idéal de l’humanité. Ce devoir de dette ne se manifeste-t-il pas symboliquement chez tous les peuples du monde, par la commémoration annuelle de leur libération d’une domination étrangère, ou d’une domination oligarchique (fête internationale des travailleurs, le 1er mai) ?

K. Daoud écrit encore : « Reconnaître le crime [concernant Maurice Audin] c’est donc, pour le gouvernement français, enrayer le geste de ceux qui voudraient lancer ce passé [colonial] comme un cocktail Molotov dans le présent. »… Ainsi, reconnaître le passé colonial ne serait rien d’autre ? Ce langage n’est-il pas celui des membres de l’oligarchie coloniale et néo-coloniale ?… Comparaison n’est pas raison, dit-on. Mais, à ce sujet, vient en mémoire un fait. Voici quelques jours, une municipalité de Los-Angeles a décidé de déboulonner une statue de Christophe Colomb, désormais considéré comme une personne ayant commis des crimes contre l’humanité envers les populations autochtones d’Amérique. Il s’est trouvé quelques journalistes espagnols pour protester contre ce qu’ils considéraient comme inacceptable. Il est vrai que ce colonisateur a considérablement enrichi l’oligarchie espagnole de l’époque et que, d’une certaine manière, cette richesse continue à profiter à ces « journalistes » espagnols contemporains. Par contre, des représentants d’Amérindiens ont applaudi à ce qu’ils estiment être enfin un acte de reconnaissance de crime contre leurs ancêtres.

Ce fait permet de répondre à la question que K. Daoud se contente de poser : « Mais pour moi, pour nous ? Que doit faire le décolonisé quand il obtient les excuses de l’ex-colonisateur ? »… Mais il serait, enfin, décolonisé dans le domaine historique, parce qu’il verrait, enfin, les descendants de ses colonisateurs renier l’image qu’ils s’étaient confectionnée du colonisé : un « barbare » et un « fainéant » tout juste à coloniser, pour le « civiliser » et, pour cela, tenter de l’exterminer par des massacres collectifs, et, en cas de résistance, comme en Algérie, le réduire à une masse d’ « Arabes » et de « Kabyles » expropriés de leurs terres et condamnés à « suer du burnous » pour leurs « bienfaiteurs » coloniaux.

K. Daoud conclut : « Audin est enfin reconnu comme victime de torture et sa mort comme un crime. Très bien. Mais s’il est nécessaire pour le colonisateur de sortir de la mémoire coloniale avec honneur, il est aussi nécessaire aux décolonisés de dépasser le passé, et assumer leur présent, avec sincérité. »… Les déclarations du Président Macron, concernant Maurice Audin et le colonialisme en Algérie, suffisent-elles pour parler d’ « honneur » à leur propos ? Le reste serait donc insignifiant ? C’est-à-dire la destruction d’une entière société dans ses structures matérielles et culturelles, et la tentative de lui appliquer la « solution indienne », c’est-à-dire l’éliminer pour la remplacer par des colons français, sans parler des méfaits commis par l’armée française durant la guerre de libération nationale algérienne.

Quant aux décolonisés, « dépasser leur passé », consiste-il à le présenter comme une guerre uniquement finie en objet de « rire » et de « rente », sans rien d’autre ?… Et « assumer leur présent, avec sincérité » consiste-t-il uniquement à évoquer les « libertés individuelles », le « régime incapable de transition » et la « montée de l’islamisme » ?… Sont-elles donc insignifiantes la domination-exploitation du peuple algérien par l’oligarchie régnante, d’une part ? Et, d’autre part, la menace de plus en plus pressante de l’alliance des oligarchies impérialiste U.S.-britanique-française-israélienne pour réduire l’Algérie à ce qu’elle a fait des autres pays du Moyen-Orient (sans oublier le Maroc), à l’exception de la Syrie de l’Iran et du Yémen ?

Revenons en détail à ce que K. Daoud définit comme étant ses « engagements ».

 

Libertés individuelles.

Précisons d’abord l’origine de l’expression. Elle fut formulée par les partisans du « libéralisme », d’où le terme. Il s’agissait concrètement d’abord du fameux « laissez faire, laissez aller » en matière économique, base fondamentale du capitalisme. La bourgeoisie naissante avait besoin de disposer de toutes les libertés possibles (d’expression, d’association) pour vaincre l’aristocratie féodale. Par suite, les victimes de la conception « libérale » s’aperçurent que la « liberté individuelle » dont il était question était celle du détenteur de richesses (de capitaux) en vue d’exploiter ceux qui ne possédaient que leur force de travail, pour les « traire » comme une vache et en tirer le maximum de profit. Par conséquent, la « liberté individuelle » en question était et demeure celle d’une minorité d’assoiffés de profit financier au détriment de la majorité des autres ; cette « liberté » excluait toute solidarité entre les êtres humains. La preuve : dans tous les pays dits « libéraux », à présent que l’oligarchie bourgeoise capitaliste domine, et veut maintenir sa domination, les « libertés individuelles » sont de plus en plus supprimées dans les pays « libéraux ». Motif déclaré (propagandiste) ?… Auparavant, lutter contre le « communisme » ; à présent, « combattre le terrorisme islamique ». Dès lors, revendiquer des « libertés individuelles » sans en préciser le contenu concret, c’est dans le meilleur des cas une stupide platitude, dans le pire une manipulation.

En voici la raison. Si les « libertés individuelles » ne sont pas considérées en relation avec la solidarité collective, que sont ces libertés sinon l’expression de l’égoïsme arrogant d’une caste méprisant le peuple, et s’alliant à d’autres castes hégémoniques dans le monde ?… En effet, les « libertés individuelles » existant dans les pays soit disant « démocratiques » et « libéraux » ont-elles permis à leurs citoyens du bas de l’échelle sociale de bénéficier de la liberté de mieux vivre : avec un salaire plus juste, une sécurité sociale convenable dans la vieillesse, un système de santé plus accessible, un habitat plus vivable, un accès à l’instruction et à la culture plus émancipateur, enfin, un sentiment de justice empêchant leurs armées d’agresser et de massacrer d’autres peuples de la planète ?… Quant à la liberté de la presse, à la liberté syndicale, à la liberté de critiquer le régime capitaliste, à la liberté de lutter pour l’abolir et le remplacer par un système social plus juste, ne constate-t-on pas que dans tous les pays « libéraux », sans aucune exception, ces libertés sont de plus en plus niées et réprimées, à mesure que le système capitaliste mondial est en proie à des crises économiques et sociales, donc perd sa légitimité consistant à prétendre qu’il agit pour le « bien de l’humanité » et qu’il n’y a pas d’alternative meilleure ? (fin partie 2)

 

Régime.

Concernant le « régime incapable de transition » en Algérie, cette constatation n’est-elle pas vague, ressemblant à du langage diplomatique codé ? Un journaliste compétent et honnête ne devrait-il pas mentionner vers quel type de système socio-politique doit aller cette transition ?… Il est vrai que lorsqu’on écrit sur un journal comme le NYT, il faut veiller à ne pas « déranger » le vocabulaire employé, et surtout ne jamais appeler un chat, un chat, et un fripon, un fripon.

Mais si, par « transition », K. Daoud (et d’abord l’éditeur du NYT) sous-entend le mot « démocratie », il y a risque. Certains lecteurs avertis savent que, déjà, l’ex-Président Bush Jr., l’ex-premier ministre Tony Blair et l’ex-Président Sarkozy (sans parler de Bernard Henri-Levi) avaient promis la « démocratie » aux peuples d’Afghanistan, d’Irak et de Libye, avec les résultats constatés. Bien entendu, ces « personnalités » ne pouvaient pas déclarer de manière publique, franche et cynique : « En réalité, nous agressons les pays pour nous emparer de leurs territoires et y établir des bases militaires pour d’autres agressions, pour mettre la main sur des ressources naturelles notamment le pétrole et le gaz, afin de renforcer nos industries et nos armées, enfin pour exploiter la main-d’œuvre locale ; seulement ainsi les oligarchies, qui ont permis notre élection et les privilèges dont nous jouissons, maintiendront et augmenteront leurs richesses ». Ne reste-t-il pas donc à K. Daoud à préciser la « transition » qu’il souhaite ? Se limite-t-elle aux deux des thèmes qui composent ses « engagements » : « libertés individuelles » et pas d’ « islamisme » ?… Nous avons déjà dit que l’Algérie, plus exactement son peuple, n’a pas que ces deux exigences.

 

Islamisme.

Concernant, la « montée de l’islamisme », si, là aussi, ne sont pas nommés qui en ont été et demeurent les initiateurs réels de ce phénomène, fait-on du journalisme compétent et honnête 

Toute personne qui s’informe correctement sur internet sait que l’islamisme politique (salafiste et des Frères Musulmans), ainsi que l’islamisme terroriste (des organisations islamistes militaires), dans tous les pays du monde, dont l’Algérie, cette personne donc connaît désormais ses créateurs, ses financiers et ses soutiens : les oligarchies impérialiste U.S., néo-coloniales anglaise et française, colonialiste israélienne, ainsi que leurs sous-traitants : les oligarchies saoudienne et qatarie.

Ne pas porter ces précisions, en se contentant de dénoncer la « montée de l’islamisme », comme on le lit dans l’article de K. Daoud, c’est exactement ce que la propagande officielle des oligarchies mentionnées ci-dessus déclare. Après avoir créé cet « islamisme » pour déstabiliser les États récalcitrants à leurs visées hégémoniques, ces oligarchies prétendent le combattre. Or, désormais, en Syrie, les masques sont tombés : ce sont l’armée syrienne étatique, avec le soutien de la Russie, du Hezbollah libanais et de militaires iraniens qui combattent les organisations terroristes islamistes, tandis que les corps spéciaux des armées états-unienne, anglaise et française collaborent sur le terrain (en envahissant illégalement le territoire syrien) avec ces organisations islamistes, présentées comme « démocrates » (bien entendu !). La région d’Idlib en est la preuve la plus évidente : l’armée syrienne et ses collaborateurs russes ne peuvent pas éliminer les organisations terroristes qui s’y trouvent pour un seul motif : elles sont protégées par ceux-là même qui déclarent officiellement combattre l’ « islamiste » radical.

Bien entendu, l’organe de l’oligarchie impériale, le NYT, ne peut qu’accueillir toute version qui prétend combattre la « montée de l’islamisme », précisément en la liant à l’existence d’un « régime incapable de transition ». Et la présenter par la voix d’une « personnalité » algérienne est une excellente tactique propagandiste. À payer à prix d’or ! L’argent étant le nerf de toute entreprise, surtout quand elle est rapace et vile.

Lier l’ « islamisme » et un « régime » est une tactique propagandiste connue. L’exemple le plus significatif fut, par les propagandistes états-uniens, d’associer Al-Qaïda avec le régime de Saddam Hussein, certes dictatorial mais laïc ! Joseph Goebbels, le spécialiste en propagande, affirma : « Plus le mensonge est gros, plus il a de chance d’être cru ». Et certains y ont cru.

En outre, en évoquant la « montée de l’islamisme », fait-on preuve de déontologie journalistique en ne fournissant pas d’autres informations, qui complètent la situation ?… Celles-ci. Dans les pays occidentaux, notamment aux États-Unis, la montée des sectes évangéliques chrétiennes politiquement néo-conservatrices, donc en faveur des agressions impérialistes, et en Israël celle des intégristes juifs qui veulent l’extermination des Palestiniens pour réaliser le « grand » Eretz Israël, promis par leur Dieu au « peuple élu ».

Certains objecteront que le phénomène islamiste se manifeste de manière plus cruelle et plus brutale, d’où l’insistance à le condamner. Question : les manifestations bruyantes et violentes des islamistes, ainsi que les égorgements spectaculaires de prisonniers par les organisations islamistes, diffusés en vidéo, sont-ils plus cruels et plus barbares que les massacres de populations civiles par les bombardements des armées états-unienne, anglaise et française ?… Certes, il est vrai que les évangélistes chrétiens et les intégristes juifs agissent de manière discrète, et que les résultats des bombardements sont soigneusement occultés à l’opinion publique. Mais un journaliste compétent et honnête peut-il en être dupe, à moins de complicité ?

Je vous serais reconnaissant de démontrer aux lecteurs, d’un journal algérien ou français ou dans le NYT, l’inconsistance de mes arguments et mes propres errements, éventuellement en mettant en évidence leur aspect « islamiste », de voix du « régime », de « décolonisé » qui « ressasse sa mémoire » ou tout ce qui vous semblera utile. À moins de juger cette contribution citoyenne au débat indigne de mériter une clarification.

 

Adresse.

Qu’il soit permis de la formuler à l’auteur de l’article qui vient d’être discuté.

Après ce que vous avez admis concernant vos errements de première jeunesse dans la nébuleuse islamiste du Front Islamique du Salut, - ce qui est à apprécier -, n’êtes-vous pas, à présent, en errements dans la nébuleuse idéologique de leurs mentors états-uniens et français, en bénéficiant, cette fois-ci, des privilèges qui vont avec : une certaine gloire médiatique et, bien entendu, des rétributions financières pour vos écrits de journaliste et de romancier ?

Ignorez-vous que le NYT vient de se distinguer par une fake news ?… Elle fut révélée dans The Nation, un journal états-unien qui n’appartient pas, lui, à l’oligarchie états-unienne, et par un journaliste d’investigation (celle authentique) Tim Shorrock. L’article s’intitule « Comment le New York Times a trompé l’opinion à propos de la Corée du Nord », dans le but de manipuler les citoyens états-uniens pour une éventuelle agression contre ce pays (7). Bien entendu, la Corée du Nord est considérée par l’oligarchie états-unienne, pour employer votre langage (mais n’est-ce pas, d’abord, celui de cette oligarchie ?), un « régime incapable de transition ». Soit !… De quel droit une armée étrangère devrait opérer cette « transition », et non son propre peuple ?… N’avons-nous pas, déjà, les exemples de la manière dont des « régimes incapables de transition » ont été traités par les oligarchies états-unienne-anglaise-française en Afghanistan, Irak, Libye et ont tenté de faire en Syrie ?

« Errare humanum est, perseverare diabolicum » (L'erreur est humaine, l'entêtement [dans son erreur] est diabolique).

Il semble que vous n’avez pas seulement persévéré à errer de la nébuleuse islamiste à celle de leurs mentors oligarchiques occidentaux. Vous avez manifesté une autre double errance. La première fut votre article concernant les faits de Cologne. Vous vous êtes empressé, dans un journal bien entendu d’une oligarchie occidentale, « Le Monde », à dresser un tableau des jeunes algériens comme des obsédés sexuels. Vous affirmez : « Le sexe est la plus grande misère dans le ‘‘monde d’Allah’’ »... Ce n’est donc pas l’exploitation économique (avec sa corollaire, la domination politique) qui est à la base de la misère sexuelle, quelque soit la société considérée, et la religion qui y domine ?… Il est vrai que les personnes qui ne souffrent pas d’exploitation économique peuvent considérer leur sexualité frustrée comme « la plus grande misère », mais pas seulement dans le « monde d’Allah ».

À présent, dans le NYT, vous avez traité la guerre de libération de phénomène risible d’imposteurs profiteurs.

Or, quelle est l’une des caractéristiques de ce qu’on appelle la propagande, autrement dit les fausses informations visant à manipuler l’opinion publique pour servir une oligarchie dominante (et payante) ?… C’est l’extrapolation. Elle consiste à partir d’un fait relatif (réel ou supposé) pour en déduire une généralisation outrancière, ni logique, ni raisonnable, qui condamne une totalité dans son ensemble.

Deux exemples. La propagande nazie, partant du fait que quelques banquiers allemands étaient de religion juive, fit croire que tout Juif est un un financier véreux, donc que tout le peuple juif est obsédé par l’accumulation financière au détriment des autres peuples. Résultat ?… La solution finale des chambres à gaz. La propagande coloniale française, partant du fait que des résistants algériens employaient le couteau ou la bombe artisanale comme arme, parce qu’ils ne disposaient pas de mitraillettes ni de chars ni d’avions, décréta que les Algériens sont une race de « barbares cruels » (occultant la cruauté infiniment plus barbare des bombardements au napalm de l’armée coloniale française).

Et vous, quel fut votre « raisonnement » concernant les événements de Cologne, puis la guerre de libération nationale algérienne ?… Partant de quelques viols attribués à des jeunes Algériens (que le tribunal allemand reconnut, ensuite, comme infondés), vous avez évoqué le problème des frustrations sexuels (réels) en Algérie, pour laisser entendre que tout Algérien en Europe est un violeur en puissance. Cela est, de toute évidence, une fausseté. Mais c’est une musique qui sonne très bien dans les oreilles fascistes et racistes occidentales… Puis, avec votre article sur la guerre de libération nationale, vous partez des dires de vos « parents » et « proches » (comme s’ils représentaient la vérité historique objective), puis d’un fait réel (des faux moudjahidines) pour laisser croire que la guerre de libération nationale est un « passé » qui n’a donné comme résultat en fin de compte qu’un ramassis de profiteurs. Là, encore, cela ne correspond pas à la vérité historique. Mais c’est une musique pour les oreilles de l’éditeur du NYT. Et cet éditeur, avec vous, a fait mieux qu’avec la fake news concernant la Corée du Nord. Alors qu’au sujet de ce pays, le NYT publia l’article d’un journaliste états-unien, David Danger, connu pour ses liaisons avec la CIA, avec vous, concernant l’Algérie, le NYT a eu le coup de « génie » de faire écrire un Algérien, en prenant la précaution de commencer l’article par son lieu de résidence : « ORAN, Algérie ».

Si la fake news concernant la Corée du Nord a comme but évident de préparer l’opinion états-unienne à une agression contre ce pays parce que c’est un « régime incapable de transition », (comme, auparavant, le même « argument » de propagande fut employé pour préparer l’opinion états-unienne à l’agression contre l’Irak), quel est donc le but réel du même NYT en publiant votre « information » sur la guerre de libération nationale algérienne ?

Dès lors, « sincèrement », comme vous l’écrivez, êtes-vous certain d’être, pour votre part, un « décolonisé », non seulement dans votre « imaginaire », mais dans vos écrits ? Et que vos déclarations servent le peuple algérien, et non les oligarchies néo-coloniales (européennes, dans le cas de Cologne) et impérialiste (à propos de la guerre de libération nationale algérienne) ?

Je vous serais reconnaissant, et probablement également les lecteurs qui vous défendent en croyant à la sincérité et à la bienfaisance de vos engagements, de répondre à cette contribution, pour en réfuter, invalider ou nuancer l’argumentation ; ainsi, vous montrerez que vos engagements, tels que définis par vous, sont réellement en faveur du peuple algérien, et non de ceux qui voudraient encore une fois lui faire « suer le burnous ». à

Enfin, pourquoi ne pas ajouter à vos « engagements » la dénonciation de la mentalité harkie (économique, politique et « intellectuelle »). Ne continue-t-elle pas à exister sous une forme nouvelle, correspondante à la période néo-coloniale et impérialiste ? En proposant vos articles aux journaux Le Monde et The New York Times ?… À moins de nier l’existence de ce néo-harkisme, pour le présenter comme une « libre » défense des fameuses « libertés individuelles », de « combat contre l’islamisme » et contre un « régime incapable de transition ».

 

Approfondir.

Les lecteurs qui souhaiteraient enrichir ces considérations pourraient lire ou relire « Peaux noires, masques blancs » de Frantz Fanon, « Portrait du néo-colonisé » d’Albert Memmi, « Les chiens de garde » de Paul Nizan, « La trahison des clercs » de Julien Benda, et « Les nouveaux chiens de garde » de Serge Halimi. On y découvrira ou on rappellera respectivement : que l’on peut avoir une peau noire tout en aspirant la voir blanche (par exemple, être algérien de peau basanée, tout en désirant avoir un « visage » ou masque « blanc », européen ou « occidental ») ; que pour être « dé »-colonisé, il faut encore ne pas devenir néo-colonisé ; que l’oligarchie sait toujours trouver les intellectuels qui la servent, tout en se réclamant d’idées généreuses telles que « liberté », «laïcité», « démocratie » ; que les personnes se présentant comme les intellectuels les plus « dérangeants » et les plus « sincères » peuvent, en réalité, trahir ces mêmes idéaux dont ils se parent, pour jouir d’une misérable gloire médiatique et d’un vile salaire de mercenaire ; qu’enfin la sincère sincérité n’a jamais été et ne sera jamais publiée dans les médias d’une quelconque oligarchie dominante, et donc exploiteuse, de cette planète, encore moins quand cette oligarchie manifeste concrètement et partout une ambition impériale.

Dès lors, il avait raison, Diogène dit le cynique : dans ma première pièce de théâtre, en janvier 1968, je l’avais représenté en tenant sa légendaire lanterne, en plein jour ; aux gens qui lui demandaient le motif de ce bizarre comportement, il répondait, selon les uns, « Je cherche un homme », selon d’autre « Je cherche la vérité ». Sacré Diogène !… Au puissant Alexandre le Grand, déjà conquérant impérialiste, qui vint le trouver en lui demandant : « Dis-moi ce que tu veux, et je te le donnerai », le vieux philosophe, modestement vêtu et étendu par terre tranquillement, lui répliqua simplement : « Enlève-toi de mon soleil. » Qu’est-ce donc que le soleil sinon la liberté authentique par rapport aux puissants du moment, qu’ils soient autochtones ou étrangers ? Et cette liberté ne se réduit-elle pas à forfaiture et privilège de caste, si elle n’est pas complétée par la solidarité égalitaire entre tous les êtres humains ? Et cette solidarité est-elle possible sans abolir le système capitaliste pour le remplacer par un autre qui assure cette solidarité ?… Lequel ? Aux citoyens de le trouver. Pour ma part, c’est l’autogestion sociale généralisée. J’y reviendrai.

_____

(1) Il est utile d’en lire le contenu ici : https://www.nytimes.com/2018/10/15/opinion/audin-macron-france-guerre-algerie-torture-crimes.html

(2) Le lecteur peut compléter la recherche en inscrivant au lieu de « Amérique » ou « America » respectivement « États-Unis » ou « United-States ».

(3) Pour ce thème, un ample développement se trouve dans mon essai « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?... »: PRÉMISSE ou droit de pensée et devoir de mémoire, Partie II. Mémoire, librement accessible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-guerre-paix.html

(4) Voir les détails ici : De la Fondation Saint-Simon à Emmanuel Macron, par Thierry Meyssan

http://www.voltairenet.org/article196012.html

(5) En passant, notons que le titre de l’article de K. Daoud, dans sa version anglaise sur le NYT est : « What to Do When Your Colonizer Apologizes ».

(6) J’en parle dans mon prochain roman « Grande-Terre, Tour A » ; j’ai, également, évoqué ce thème dans certaines de mes contributions précédentes dans la presse.

(7) Voir https://reseauinternational.net/comment-le-new-york-times-a-trompe-lopinion-a-propos-de-la-coree-du-nord-tim-shorrock/

Publié sur Le Matin d’Algérie (28.11.2018)

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE, #EDUCATION-CULTURE

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Publié le 8 Février 2020

« La Fourmi et l’Éléphant » :  épopée du peuple vietnamien

À l’occasion de la commémoration de la fondation, le 3 février 1930, du Parti qui a dirigé victorieusement la résistance vietnamienne contre le colonialisme français puis l’impérialiste états-uniens, il semble utile de rappeler à la mémoire une œuvre théâtrale algérienne. Elle retraça cette épopée à la salle El Mouggar, à Alger, en 1971, en pleine agression états-unienne.

La pièce s’intitulait « La Fourmi et l’Éléphant », une création collective du Théâtre de la Mer, dirigé alors par l’auteur de ces lignes.

L’œuvre fut un théâtre total, contenant texte parlé, chants, musiques, ballets de forme vietnamienne et la projection d’un documentaire d’archives. La représentation durait trois heures trente.

 

Pourquoi le choix de cette pièce ?

En 1971, l’oligarchie au pouvoir en Algérie soutenait la résistance du peuple vietnamien contre l’agression impérialiste états-unienne. Cependant, les moyens de communication officiels algériens n’expliquaient jamais le secret de cette épopée : comment un petit (en nombre d’habitants) peuple de paysans et d’ouvriers, d’un pays essentiellement agricole, économiquement sous-développé, aux moyens militaires très limités, comment donc ce peuple a pu vaincre militairement l’armée coloniale française, en lui infligeant la stratégique et symbolique défaite de Dien Bien Phu ; puis, comment ce même peuple continuait à résister victorieusement à la plus puissante armée mondiale, celles des États-Unis.

« La Fourmi et l’Éléphant » se proposait de donner l’explication de cette épopée : comment les « fourmis » (avec ce mot, la propagande raciste stigmatisait avec mépris les peuples asiatiques) affrontaient victorieusement l’ « Éléphant » qu’était la plus grande puissance militaire du monde, mais se comportant comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Ce furent les motifs de cette épopée vietnamienne que « La Fourmi et l’Éléphant » se proposait de révéler.

 

Contenu.

La pièce : 1) mettait en relief le rôle fondamental du Parti politique qui organisait et dirigeait les luttes populaires : un Parti essentiellement de paysans et d’ouvriers, avec la contribution d’une élite intellectuelle à leur total service ; 2) évoquait le problème de l’importance de la langue populaire ; 3) montrait le rôle patriotique de la spiritualité ; 4) soulignait l’importance des minorités ethniques. Voici quelques extraits :

« Luttes pour le riz et la liberté : La lutte de classes.

COMMENTAIRE :

Mais, cette nation unifiée

­- comme toutes les nations -

n’a pas un corps social homogène.

En elle existe la lutte des classes,

à travers les contradictions profondes

qui se manifestent au sein de la nation,

la lutte des classes,

à chaque instant moteur de l’histoire.

La contradiction fondamentale

oppose

ceux qui travaillent la terre

et ceux qui en profitent. »

Quant au Parti qui dirigeait la résistance, ses mots d’ordre étaient : « 1) Renverser l’impérialisme français, le féodalisme et la bourgeoisie réactionnaire au Viet Nam, 2) Conquérir l’indépendance complète de l’Indochine, 3) Former un gouvernement des ouvriers, des paysans et des soldats, 4) Confisquer les banques et autres entreprises aux impérialistes et les placer sous le contrôle du gouvernement des ouvriers, des paysans et des soldats, 5) Confisquer toutes les plantations et tous les autres biens des impérialistes et des bourgeois réactionnaires vietnamiens pour les distribuer aux paysans pauvres, 6) Appliquer la journée de travail de huit heures, 7) Abolir les emprunts forcés, la capitation et autres impôts exorbitants pour les pauvres, 8) Promouvoir les libertés démocratiques en faveur des masses, 9) Dispenser l’instruction à tous, 10) Réaliser l’égalité des sexes. »

En outre, les spectateurs entendait ce genre de discours :

« Combien y a-t-il de sortes de révolutions ?

Il y a deux sortes de révolutions :

A- Quand le Viet Nam chasse les Français, l’Inde les Anglais, la Corée les Japonais, les Philippins les Américains, la Chine les divers impérialistes pour recouvrer la liberté et l’égalité, ils font une révolution nationale.

B- Quand tous les paysans et ouvriers, de n’importe quel pays, dans n’importe quel endroit dans le monde s’unissent comme les frères d’une même famille pour renverser tous les capitalistes, de sorte que chaque paysan, chaque peuple puisse jouir du bonheur, et que se réalise la fraternité universelle, c’est la révolution mondiale.

Ces deux révolutions diffèrent l’une de l’autre, car la révolution nationale n’est pas encore une révolution de classe, autrement dit dans cette révolution, les intellectuels, les paysans, les ouvriers, les commerçants et les industriels sont unanimes pour s’opposer aux agresseurs. Dans la révolution mondiale, ce sont les prolétaires (ouvriers et paysans) qui sont aux premiers rangs. »

 

Succès.

À la première représentation de la pièce, une délégation de l’ambassade vietnamienne fut présente ; en conclusion du spectacle, elle témoigna son appréciation par un gros bouquet de roses rouges.

Le succès de la pièce, tant public que de critique, fut appréciable. Concernant cette dernière, on lisait : « cette pièce aura vraiment laissé une empreinte et non des moindres dans l'évolution du jeune théâtre amateur. » « Théâtre expérimental, il pourrait être source d'originalité, contribuant ainsi à la rénovation du monde théâtral. » « Le Théâtre de la Mer doit exister à des milliers d'exemplaires dans une Algérie (...) » (1)

 

Occultation.

Malgré ce succès reconnu, la pièce eut des mésaventures.

Des pressions venant de personnages envoyés en toute apparence par l’État obligèrent à l’interruption des représentations, après la quatrième. Cette réaction n’était pas surprenante. En effet, le genre de contenu, tel que mentionné ci-dessus, pouvait-il laisser indifférent le spectateur algérien, et, par conséquent, les détenteurs de l’État qui veillaient à son endoctrinement selon leurs intérêts d’oligarchie ?

Entendre ces propos sur une scène d’un théâtre étatique important d’Alger, c’était trop pour l’oligarchie de l’époque : elle avait usurpé le pouvoir suite à l’indépendance, dominait le peuple par la terreur et, déjà, commençait à employer les aspects religieux, ethnique et linguistique pour diviser ce peuple, tout en niant l’existence des classes sociales, au nom, - l’imposture -, du « socialisme » et de la « révolution ». Dès lors, dans une société algérienne où toute voix non conforme à l’idéologie dominante était interdite, « La Fourmi et l’Éléphant » fut considérée une manière indirecte, en parlant du Viet Nam, de faire de l’agitation subversive en faveur de l’émancipation du peuple algérien. Dans toute dictature, la culture libre est de fait subversive. Quand l’oligarchie ne peut pas la neutraliser et récupérer par l’argent et la « gloire » médiatique corrupteurs, elle lui oppose le revolver, selon la formule d’un oligarque nazi.

On se demanderait : dans ce cas, comment « La Fourmi et l’Éléphant » a pu être présentée à la salle étatique prestigieuse d’El Mouggar, dans la capitale ?… Parce que, par chance miraculeuse, le directeur, alors, était un ex-officier de l’armée, doté d’une culture admirable et d’une conception sociale réellement démocratique populaire. Il assista aux répétitions et fut content de la pièce (2).

L’autre mésaventure de la pièce fut sa totale occultation par la suite. S’il était dans la logique de l’oligarchie dominante que cette occultation soit accomplie par les moyens de communication étatiques, l’inattendu fut une seconde occultation systématique. Cette dernière fut commise par les moyens de communication contrôlés par le camp appelé « progressiste ». Ce fait, pas vraiment surprenant, a des motifs : une connivence entre la « caporalisation » idéologique de l’opposition au régime étatique par un parti stalinien, le PAGS, et des intérets bassement individuels de caste intellectuelle « progressiste » (3).

Il reste que « La Fourmi et l’Éléphant » est une œuvre algérienne à connaître, peut-être inspiratrice, pour les personnes intéressées par une forme de théâtre original, mêlant tous les arts à la fois, présentant une forme épique, et offrant un contenu au service réel du peuple des travailleurs (4).

_____

(1) Un exposé détaillé sur la genèse, l’écriture, la réalisation et l’accueil de la pièce se trouve in « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », Livre 1 : En zone de tempêtes, point 9. Théâtre total : La Fourmi et l’Éléphant (1971). L’ouvrage est librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-theatre-oeuvres-ecrits%20sur%20theatre_ethique_esthetique_theatre_alentours.html

(2) Pardon de la défaillance de mémoire au sujet de son nom.

(3) Le tout est exposé dans l’ouvrage cité, Livre 2 : « Écriture de l’histoire avec la gomme ou le prix du silence ».

(4) La version française du texte de la pièce est librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-theatre-oeuvres-pieces_ecrites.html

 

Publié sur Algérie Patriotique (07.02..2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (07.02.2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #THÉÂTRE

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Publié le 30 Janvier 2020

LA FOURMI ET L’ÉLÉPHANT et ÊTRE OU NE PAS ÊTRE : pièces théâtrales

Voici enfin les manuscrits de LA FOURMI ET L’ÉLÉPHANT et du texte base ÊTRE OU NE PAS ÊTRE, pièces théâtrales sur l’histoire de la résistance du peuple vietnamien à tous les impérialismes, depuis l’antiquité jusqu’à l’agression états-unienne.

Livre librement accessible ici :

https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/LA%20FOURMI%20ET%20L_ELEPHANT_ETRE_OU_NE_PAS_ETRE_Kadour_NAIMI.pdf

ou ici

https://www.kadour-naimi.com/LA%20FOURMI%20ET%20L_ELEPHANT_ETRE_OU_NE_PAS_ETRE_Kadour_NAIMI.pdf

 

L’exposé concernant l’écriture, la réalisation et la réception critique se trouve dans l’ouvrage ÉTHIQUE ET ESTHÉTIQUE AU THÉÂTRE ET ALENTOURS, volume 1, point 9. Théâtre total : La Fourmi et l’Éléphant (1971).

Librement accessible ici :

https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-theatre-oeuvres-ecrits%20sur%20theatre_ethique_esthetique_theatre_alentours.html

ou ici :

https://www.kadour-naimi.com/f-ecrits_theatre_ethique_esthetique.html

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #THÉÂTRE

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Publié le 24 Janvier 2020

REPRÉSENTATION DU MOUVEMENT POPULAIRE ALGÉRIEN :  CONTRADICTIONS ET PARADOXES

Représentation ?… Non, merci !

 

Un ami m’écrit :

« Je discutais hier avec un hirakiste pur et dur engagé et mobilisé depuis le 22 février à ce jour. Je lui ai posé cette question simple : « Le Hirak a trois slogans fondamentaux : yetnahaw gaâ [Qu’ils dégagent tous], pas de représentants du Hirak et silmia [pacifisme]. Abstraction faite du troisième qui a permis à GS [l’ex-chef d’État-major Gaïd Salah] de mettre à exécution sa feuille de route du début jusqu'à la fin, la mise en pratique des deux premiers donnerait ceci : tous les responsables se retireraient du pouvoir et de l'administration et personne ne les remplacerait puisque le Hirak qui exige cela refuse d'être représenté. Qui prendra les commandes alors ?" Mon interlocuteur a beugué. »

L’auteur de ce commentaire est un compatriote qui se bat depuis très longtemps pour l’établissement d’une authentique démocratie en Algérie, par conséquent, il soutient et défend le Mouvement populaire avec tous les moyens à sa disposition.

Quant à l’auteur du texte qui suit, depuis le 29 février 2019 (1), il attire l’attention sur le fait de ne pas se limiter au « cri » des marches hebdomadaires, mais à la nécessité stratégique d’auto-organiser le Mouvement populaire, pas seulement pour marcher, mais pour réfléchir, échanger des idées, établir une plateforme commune de revendications permettant la création d’un Front uni, basé sur des structures territoriales, et, enfin, débouchant sur l’élection démocratique de représentants sur mandat impératif.

Mais, voilà : le Mouvement populaire ne dispose pas de représentants dûment élus et de manière démocratique.

 

Objections et réfutations.

 

On connaît les diverses objections.

1) Ces représentants seraient emprisonnés ou récupérés.

Mais ces phénomènes sont caractéristiques de tout mouvement social, depuis toujours dans le monde. C’est là un risque auquel il faut trouver une solution. À moins que le Mouvement populaire algérien croit ne disposer que de très peu de citoyens et citoyennes capables d’agir comme représentants, et que, s’ils seraient emprisonnés ou récupérés, il n’y aurait plus d’autres citoyens et citoyennes capables de les remplacer. Ce serait, alors, reconnaître une grave carence du Mouvement populaire en terme de nombre de citoyens-ennes capables d’assumer le rôle de représentants. Pourtant, selon le diction, les cimetières sont remplis de personnes que l’on croyait indispensables.

2) Ces représentants existent déjà, mais ils sont en prison.

Mais des militants et militantes du Mouvement populaire jetés en prison, de quel droit seraient-ils des représentants de ce mouvement ?… Un mouvement authentiquement démocratique ne doit-il pas prendre la peine d’organiser des élections pour se choisir des représentants, et que ces derniers le soient sur base de mandat impératif, afin de veiller au respect de la mission confiée, notamment au risque de récupération des représentants ?

3) Les comités ou assemblées en comités sont interdits par les autorités étatiques, dès lors comment se réunir ?

Pourtant, des associations diverses existent et agissent, malgré les difficultés causées par les autorités étatiques, ceci d’une part. D’autre part, avant le 22 février 2019, les manifestations publiques devaient demander l’autorisation étatique pour avoir lieu ; néanmoins, le 22 février, elles eurent lieu sans aucune autorisation, et, depuis, se répètent chaque semaine… Alors, des citoyens qui ont su imposer des manifestations publiques, que penser du fait que ces mêmes citoyens soient incapables d’imposer également l’existence d’assemblées et de comités territoriaux ?

Ajoutons ce fait : malgré les arrestations, y compris de personnalités, les marches hebdomadaires se poursuivent. Dès lors, pourquoi le risque d’arrestations justifierait le refus de se doter de représentants élus ?

4) Il suffit que les marches hebdomadaires continuent et se renforcent jusqu’à faire chuter le régime en place, alors seraient organisées des élections où le Mouvement populaire élirait ses représentants. Certains même osent affirmer que ces marches pourraient durer des… années !

Où donc, sur la planète, un Mouvement populaire opéra ainsi ?… Uniquement dans les soit disant « révolutions colorées », et pour une durée limitée. Le résultat fut partout, et rapidement, l’élimination d’une oligarchie dominante et son remplacement par une autre, laquelle s’est révélée avoir manipulé la contestation populaire comme simple masse de manœuvre.

Une fois réfutées les objections ci-dessus, se pose la question : les personnes et personnalités qui, bien que participants au Mouvement populaire, ou le soutenant verbalement à partir de leur tour d’ivoire, lui dénient la nécessité de disposer de représentants élus, comment expliquer ce déni ?… Des hypothèses de réponses furent déjà exposées auparavant (2). Ajoutons une autre observation.

 

« Chaos créatif ».

 

Certaines personnalités et organisations (3) ont un intérêt certain à l’absence de représentation effective du Mouvement populaire. Leur stratégie est la suivante : que les marches hebdomadaires parviennent à causer un chaos en Algérie tel qu’il mettrait en difficulté les autorités étatiques, au point de faire sortir l’armée contre le peuple. Alors, ces personnalités et organisations dénonceraient la répression étatique contre le peuple, crieraient aux « droits humains » à défendre et appelleraient à l’ « aide » des puissances « démocratiques » pour éliminer la « dictature militaire » et établir la démocratie en Algérie.

Dans ce schéma, on reconnaît les cas irakien, libyen et syrien. Pour le cas libyen, la vidéo est visible (4) ; elle montre Mohamed Larbi Zitout, représentant de l’organisation « Rachad », justifier l’intervention même de l’armée colonialiste israélienne pour « porter secours » au peuple libyen massacré par le « dictateur » Gueddafi. On constate le résultat.

À ce propos, rappelons deux faits.

1) La théorie du « chaos créatif », formulé par l’ex-Secrétaire d’État U.S. Condoleezza Rice (5). En substance, il affirmait que pour créer le « nouveau Moyen-Orient », voulu par l’oligarchie impérialiste états-unienne et sa vassale l’oligarchie israélienne colonialiste (avec la complicité de leurs sous-vassaux, les monarchies pétrolières moyen-orientales), il fallait créer un chaos dans les nations de la région, et cela jusqu’en Afrique du Nord : contestation populaire contre les autorités étatiques, à un degré qui oblige l’armée à tirer sur les manifestants. Cet événement créerait une délégitimation de l’autorité étatique en place et la légitimation d’une intervention d’armées étrangères, avec le prétexte de venir en aide au peuple martyrisé par ses dictateurs, puis établir la « démocratie ».

À ceux qui déduiraient de cette observation que l’auteur méconnaît ou défend les dictatures, répondons que dénoncer les plans de l’impérialisme doit aller de pair avec la dénonciation des dictatures, et que la lutte contre les dictatures doit être l’action uniquement des peuples qui en sont victimes, sans aucune interférence étrangère, quelque soit son motif. Autrement, le résultat est sous nos yeux: en Irak, Libye, Soudan, Yémen, Syrie. Reste l’Algérie.

2) La théorie des « révolutions colorées ». Pour éliminer un régime politique, recourir uniquement aux manifestations populaires pacifiques, parfaitement organisées par des agents non identifiés, mais où, cependant, agissent publiquement des « militants » autochtones, comme « représentants spontanés » du mouvement social contestataire.

On constate le résultat partout. L’oligarchie dominante, désormais incapable de poursuivre son emprise, est remplacée par une nouvelle. Cette dernière est vassale notamment de l’oligarchie états-unienne, d’une part ; d’autre part, en ce qui concerne les « militants » autochtones, les plus rusés deviennent membres de la nouvelle oligarchie dominante, et les naïfs retrouvent l’anonymat sans aucun profit personnel.

En Algérie, il est évident que ces deux théories sont mises en action. Seuls les ignorants et les partisans des théories impérialistes le contesteraient. Cependant, jusqu’à présent, ces deux théories subversives sont mises en échec en Algérie, tant par le peuple que par l’autorité étatique.

Restent les menaces contre l’Algérie, constituées par la guerre dans la nation voisine, la Libye, notamment avec l’intervention de l’armée turque, et par des organisations terroristes sur la frontière sud, soutenues par les oligarchies impérialistes tout en prétendant combattre le « »terrorisme international ».

C’est dire combien le degré de conscience, de vigilance et de préparation doit être le plus élevé, tant parmi le peuple contestataire que l’armée et les autorités étatiques, afin que les problèmes algériens soient réglés uniquement par les citoyens d’Algérie, de manière pacifique, démocratique et sans aucune ingérence extérieure.

 

Perspective.

 

Une possibilité de solution semble se dessiner : les assises nationales du PAD (Pacte de l’alternative démocratique), qui devraient avoir lieu le 25 janvier prochain « pour l’alternative démocratique et pour la souveraineté populaire » (6).

C’est là, cependant, non pas l’émanation d’un processus d’élections démocratiques de représentants du Mouvement populaire, mais une initiative de personnalités qui pourrait en constituer une étape, un premier pas, une incitation, par la formulation d’une plateforme commune d’action. Celle-ci devrait logiquement être suivie par la constitution de structures de base territoriale (comités ou assemblées) pour discuter et améliorer le texte proposé, puis, espérons-le, déboucher sur un processus d’élection de représentants (sur mandat impératif) du Mouvement populaire.

Espérons que les onze mois de marches hebdomadaires et d’activités annexes de diverses formes d’associations citoyennes finiront par être une leçon pratique pour que le Mouvement populaire se dote enfin des moyens pratiques pour réaliser ses revendications fondamentales en terme de démocratie authentique, c’est-à-dire au service réel du peuple, donc de la nation algérienne.

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(1) « Du cri à l’organisation » in « Sur l’intifadha populaire en Algérie 2019 », librement accessible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-sur-intifadha-algerie-2019.html

(2) « Pourquoi le Mouvement populaire n’a pas d’auto-organisation ? » in http://kadour-naimi.over-blog.com/2020/01/pourquoi-le-mouvement-populaire-algerien-n-a-pas-d-auto-organisation.html

 (3) « Alliance Rachad et MAK : menace sur l’intégrité nationale » in « Sur l’intifadha... », o. c.

(4) ALGERIE rafaa156 JZR 20200119 in https://www.youtube.com/watch?v=7xrulE4kmTw&pbjreload=10

(5) K. Naïmi, point « 10.10. Théorie du « chaos créatif » dans l’ouvrage « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?... », librement accessible in https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-guerre-paix.html

(6) https://www.algeriepatriotique.com/2020/01/22/les-forces-du-pacte-de-lalternative-democratique-tiennent-leurs-assises-ce-samedi/

*

Publié sur Algérie Patriotique (24.01.2020) et La Tribune Diplomatique Internationale (24.01.2020).

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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