Publié le 7 Novembre 2019

Lors d'une manifestation hebdomadaire du Mouvement populaire en Algérie, 2019

Lors d'une manifestation hebdomadaire du Mouvement populaire en Algérie, 2019

La contribution précédente (1) sur l’institution des comités populaires a suscité des interrogations. Un lecteur les résume ainsi : « Que vont faire ces comités élus ? Est-ce qu’ils vont désigner une instance collégiale pour conduire la transition ? Est-ce qu’ils vont décider eux-mêmes de quelle transition il s’agit (Constituante ou amendement de la Constitution) ? Qui va désigner le gouvernement provisoire ? Qui va se charger de modifier la Constitution : des experts crédibles ou une instance particulière désignée pour ce rôle ? Est-ce qu’il faut aller à la présidentielle sans changement de Constitution, et c’est au futur Président de se charger des modifications à réaliser ? Qu’en est-il de la feuille de route : qui doit la rédiger ou est-elle inutile ? Etc…., etc. »

À toutes ces questions, la réponse est simple à deux conditions : d’une part, examiner l’histoire sociale des peuples, en particulier comment furent réalisées les changements sociaux radicaux (révolutions), et, d’autre part, se préoccuper non pas d’une vue à court mais à moyen et long termes.

Alors, se présente la problématique des comités populaires. Ils indiquent des assemblées, constituées par la libre décision de citoyens qui se considèrent égaux en droits et en devoirs, et solidaires entre eux. Leur but fondamental est la création d’institutions en mesure de gérer la société dont ces citoyens font partie, cette gestion étant la plus démocratique possible, donc une auto-gestion sociale généralisée ? Cette expression contemporaine équivaut à l’anglais self-government et au principe « par le peuple et pour le peuple ».

Toutes les questions évoquées au début de ce texte devraient être de la compétence (discussions et décisions) des comités populaires, en partant de ceux géographiquement locaux jusqu’aux intermédiaires pour aboutir à un comité (assemblée) national.

 

Citoyens et experts.

Des élitistes objecteront que certains problèmes, trop « complexes », ne peuvent pas être exposés, discutés puis les solutions décidées par des citoyens non experts. La réponse à cette objection revêt deux formes.

D’une part, là où des experts sont indispensables, ils seront sollicités pour intervenir, mais, - là est le point fondamental caractérisant l’authentique démocratie -, ces experts assumeront un rôle strictement consultatif, la décision appartenant au comité populaire, à ses niveaux respectifs.

D’autre part, les phénomènes de révolution sociale, partout et toujours, y compris l’Algérie, montrent ceci : durant ces moments particuliers d’ébullition sociale, la conscience citoyenne, en incluant celle du moins instruit et du moins averti des réalités sociales, cette conscience se révèle meilleure. Preuve significative : suite au déclenchement de l’intifadha populaire, un nombre appréciable de citoyennes et citoyens, auparavant ignorants et désintéressés de tout ce qui concernait la gestion de la société, se sont mis à vouloir comprendre puis à discuter de Constitution, de modèle social, de corruption mafieuse au sein de l’État, de loi sur les hydrocarbures, etc, etc. ?

 

Décisions.

Au sein des comités populaires, quelqu’un soit l’importance géographique, la prise de décision devrait préférer l’unanimité. À défaut de celle-ci, aux membres des comités de choisir quelle majorité est nécessaire pour adopter les décisions de manière à leur donner une concrétisation effective.

Bien entendu, - et ce n’est pas là un défaut mais une caractéristique de la démocratie -, les discussions peuvent nécessiter du temps. Eh bien, la démocratie authentique exige ce prix.

 

Mandataires.

Les décisions devraient être concrétisées par des représentants, là encore, quelque soit l’importance géographique du comité populaire.

Cependant, tout représentant, une fois élu démocratiquement, recevra un mandat strictement impératif. Ce dernier signifie que le représentant est susceptible d’être révoqué à tout moment, si les membres du comité populaire estiment qu’il n’a pas correctement respecté et exécuté le contenu de son mandat.

Autre aspect fondamental : tout représentant accomplira sa fonction soit de manière bénévole, soit, en cas de nécessité, en bénéficiant d’un salaire, lequel ne devrait absolument pas être supérieur à celui d’un ouvrier moyen. Cette procédure est la seule qui écarte tout opportuniste, tout carriériste qui exploiterait sa fonction pour acquérir des privilèges. Car c’est ainsi que se forme l’oligarchie, partout et toujours.

 

Facteur temps.

Certains jugeront que l’institution de comités populaires exigerait énormément de temps, lequel est pressant car l’économie est en difficulté, les ennemis du peuple aux abois, et le risque de vide institutionnel dangereux.

Répondons que si le peuple le veut, ces comités populaires se créeront dans un laps de temps extrêmement court, et que leur travail se réalisera dans un délai raisonnable… Encore faut-il que le travail de ces comités populaires ne soit pas entravé d’une manière ou d’une autre, et s’il l’est, que les membres des comités populaires sachent comment neutraliser ces obstacles.

 

Caractéristique fondamentale.

Partout dans le monde, en considérant l’histoire de tous les changements sociaux voulant éliminer un système social oligarchique pour le remplacer par un autre authentiquement au service du peuple, on constate que l’élément fondamental qui a vu le jour et qui s’est institutionnalisé, ce furent précisément des formes de comités populaires autogérés. Ils furent nommés « comités », « assemblées » ou « clubs » durant la Révolution française de 1789 ; « soviets » durant la Révolution russe de 1905 (avortée) puis de celle de 1917 ; « comités » durant la Révolution allemande de 1918 ; « colletividad » (collectivités) durant la Révolution espagnole (1936-1939) ; « comités d’autogestion » juste après l’indépendance algérienne, « comités » durant la révolution échouée de 1968 en France, etc., etc.

Toutes ces formes de comités furent éliminés généralement dans le sang par la répression militaire, y compris en Russie. En Algérie, les détenteurs du pouvoir éliminèrent les comités d’autogestion de manière bureaucratique, toutefois en sachant être appuyés par la force militaire.

 

Occultation.

Mais, demanderait-on, pourquoi l’histoire et l’importance de ces comités est généralement inconnue dans l’opinion publique, partout dans le monde, y compris en Algérie, laquelle, pourtant, connut une phase d’autogestion ?… La réponse est très simple : l’autogestion fut, demeure et sera toujours férocement combattue par tous les tenants de l’autoritarisme hiérarchique, et ils constituent, malheureusement, la majorité des fabricants d’idées, d’histoires sociales et d’opinions : « libéraux », fascistes, cléricaux, marxistes classiques.

Toutefois, il faut reconnaître un fait, lui aussi occulté. Les marxistes, à commencer par le fondateur de la doctrine politique, sont les plus coupables de cette stigmatisation de l’autogestion comme socialement « anarchie » (évidemment dans le sens péjoratif du terme), « économiquement non productive » (contrairement aux résultats réels). Le motif de cettre calomnie marxiste est que l’autogestion défend le principe de la démocratie, au sens authentique, donc populaire, du terme, tandis que les marxistes pratiquent le principe autoritaire hiérarchique : autrement dit des « experts » en « révolution », auto-proclamés, sont les seuls capables de concevoir et de décider quel est le « bonheur » du peuple, ce dernier se contentant de leur obéir, même quand il constate qu’il ne fait que servir une oligarchie de forme inédite… Mais cette histoire réelle est occultée car les marxistes dominent comme idéologues dans la sphère « progressiste ». En voici des preuves. Combien de personnes, croyant savoir le nécessaire sur les révolutions, connaissent ces faits : que les authentiques partisans d’un changement social radical en faveur du peuple furent, durant la Révolution française, les « Égaux », les « Hébertistes », les « Enragés » et les « Sans-Culottes », et qu’ils furent éliminés par la guillotine sur décision des « révolutionnaires » Robespierre et Saint-Just ?… Que les authentiques révolutionnaires radicaux, durant la Révolution russe de 1917, furent les créateurs et membres des soviets, mais qu’ils furent militairement écrasés sur décision de Lénine et sur exécution par l’armée dite « rouge », dirigée par Trotski (2) ?.. Que les authentiques révolutionnaires radicaux durant la guerre civile en Espagne furent les créateurs et membres des « colletividad », mais qu’ils furent éliminées militairement non seulement par les fascistes franquistes, mais également par les staliniens (donc marxistes) russes, intervenant en Espagne (3) ?… Que les authentiques révolutionnaires radicaux, après l’indépendance de l’Algérie, furent les créateurs et membres des comités d’autogestion, et que ces comités furent éliminés par un « Président » (et son ministre de la défense et chef d’État-major)) qui se déclaraient « socialistes » (4) ?

Dès lors, faut-il s’étonner qu’après huit mois d’intifadha populaire en Algérie, l’idée de comités populaires autogérés demeure quasi ignorée ? Faut-il s’étonner que l’on évoque, à très juste titre, la proclamation du 1er novembre 1954 ainsi que la Plate-forme de la Soummam de 1956, mais que l’on fasse silence sur l’apparition et la pratique autogestionnaire juste après l’indépendance ? Pourtant, cette expérience fut le résultat le plus conséquent, le plus éclatant, le plus significatif, ce qu’il y eut de meilleur et de radical comme concrétisation des idéaux proclamés le 1er novembre 1954 et en 1956 : alors, avec l’autogestion agricole et industrielle, le pouvoir était réellement exercé par et pour le peuple. Malheureusement, les « socialistes » d’Algérie (oui ! Les « socialistes » marxisants, et pas uniquement les réactionnaires pro-capitalisme) écrasèrent l’autogestion, à tel point qu’elle est devenue quasi totalement oubliée quand pas stigmatisée. Précisons que les « socialistes » algériens sont les disciples du marxisme, et, en bons disciples, ignorent ce que Joseph Proudhon déclara à Marx : que sa théorie politique est « le ténia du socialisme ». L’histoire confirma le diagnostic.

 

Hypothèse.

Il n’est pas nécessaire d’être devin ou expert pour exprimer une hypothèse : sans la création d’institutions où les citoyens discutent et réellement décident le modèle social, à travers leurs mandataires réellement représentatifs, la démocratie réellement populaire ne verra le jour en aucun pays ; qu’en Algérie l’intifadha populaire actuelle, comme la guerre de libération nationale, risque de servir comme masse de manœuvre pour installer une nouvelle oligarchie, moins féroce et moins mafieuse que les précédentes, mais néanmoins où le peuple ne sera pas réellement souverain. Faut-il ignorer que le capitalisme soit-disant « libéral », dans ses formes sauvage ou « sociale » (social-démocratie), n’a jamais été et ne sera jamais une démocratie au service du peuple, mais, d’abord, au bénéfice d’une oligarchie, car telle est l’essence, la caractérisque fondamentale de toute forme ce capitalisme (privé ou étatique) ?… Non, il n’est pas, il n’est jamais tard pour créer des comités populaires. Ils surgiraient, - l’histoire le montre partout dans le monde -, comme des champignons après une bénéfique pluie, si le peuple arrive à la conscience claire et nette qu’il lui appartient, comme droit et devoir, de discuter et de décider du modèle social qui répond à ses intérets légitimes. Pour y parvenir, il ne faut pas négliger le rôle de celles et ceux en mesure de stimuler cette conscience populaire. Mais combien sont les personnes non aliénées par des privilèges illégitimes, à tel point d’être réellement au service du peuple ?… Là est le problème des problèmes.

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(1) Voir « Comment vaincre les oligarchies liguées » in http://kadour-naimi.over-blog.com/

(2) Voir Voline, « La révolution inconnue », librement disponible ici : http://kropot.free.fr/Voline-revinco.htm

(3) Voir Gaston Duval, « Espagne libertaire 1936-1939 » librement disponible ici :

http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fwww.somnisllibertaris.com%2Flibro%2Fespagnelibertaire%2Findex05.htm

(4) Voir « David Porter et l’autogestion algérienne » in http://kadour-naimi.over-blog.com/2018/02/david-porter-et-l-autogestion-algerienne.html

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 3 Novembre 2019

Des comités populaires pour éviter d’accoucher d’une nouvelle oligarchie

Hypothèses.

Dans l’actuelle intifadha populaire, une hypothèse a vu le jour, quoique apparemment minoritaire. Elle estime que l’intifadha populaire doit continuer et augmenter de pression à tel point que la partie réellement patriotique et populaire du commandement de l’armée finirait par se décider à écarter la partie du commandement qui entrave la réalisation des revendications populaires.

Les partisans de cette hypothèse s’appuient, peut-être, sur le mouvement des capitaines en Portugal. Certes, ce soulèvement militaire, qui fut pacifique, a mis fin au régime fasciste et colonialiste… Mais, par la suite, quel fut le résultat à moyen et long terme ?… Un système social capitaliste, où le peuple est encore exclu du « gâteau » social.

Ajoutons une autre observation. L’un des slogans principaux de l’intifadha populaire est : « Daoulâ dimocratiyâ, mâ chî ‘askariyâ » (État civil et non militaire). Dès lors, espérer un changement à partir d’une partie des militaires, est-ce cohérent avec la revendication d’un pouvoir civil ?

Au sein de l’intifadha populaire, une autre hypothèse semble privilégiée. Elle consiste à vouloir doter les manifestations hebdomadaires d’un nombre maximum de personnes, d’y ajouter les actions suivantes : bruits quotidiens de « mahrâz » (pilon) et de klaxons de voitures, des grèves dans des secteurs décisifs, éventuellement amplifier le mouvement populaire par des actions de désobéissance civile... De cette manière, estime-t-on, les tenants actuels du pouvoir étatique seraient contraints de jeter l’éponge, permettant ainsi à des citoyens honnêtes de diriger le pays. On serait, alors, dans la situation classique de rupture sociale ; elle se caractérise par le fait que les détenteurs du pouvoir ne peuvent plus gouverner, d’une part, et, d’autre part, les citoyens ne peuvent plus supporter le système social en cours.

Même à supposer que toutes actions voient le jour, toutefois, se pose la question : quel serait, alors, le processus de transition, et, d’abord et principalement, comment élire ses gestionnaires de manière réellement démocratique ?… Suffit-il d’affirmer que les dirigeants de ce processus seraient des personnalités, comme par exemple Lakhdar Bouregaâ, Karim Tabou, Djamila Bouhired, etc. ?… Évidemment, ces frères et sœur sont de dignes membres et défenseurs de l’intifadha populaire. Mais, consentiraient-ils à cette manière de procéder ? En effet, ce mode de désignation est-il réellement démocratique ?

 

Objections.

Dans les cas de l’intervention d’une partie du commandement de l’armée ou de personnalités civiles patriotiques authentiques, l’intifadha populaire en reste à recourir à des méthodes absolument non démocratiques. Et l’histoire le démontre partout et toujours : un moyen erroné ne peut jamais donner une fin correcte ; dans le cas concret spécifique, un recours non démocratique ne peut pas aboutir à un système social démocratique.

Certains croient admissible et praticable cette contradiction entre moyen et fin. Ils estiment que dans certains cas la fin justifie le moyen. Ignorons l’aspect machiavélique de cette conception, et contentons-nous de rappeler ce que l’histoire concrète des peuples démontre : jamais une fin correcte n’a été obtenue par un moyen qui ne l’est pas. Ajoutons que cette conception machiavélique présente, pour certains, l’avantage d’aller vite en besogne, apparemment de manière réaliste et pratique. Hélas ! L’histoire des peuples démontre qu’il s’agit d’une simple illusion caractérisée par un opportunisme de courte vue. Celui-ci finit toujours par accoucher d’une nouvelle oligarchie. Au début, elle répond aux intérêts du peuple, mais, progressivement, elle s’en éloigne pour devenir carrément antagoniste. En effet, mettez le plus ardent défenseur du peuple au pouvoir ; s’il n’est pas sous le contrôle direct et effectif du peuple, à travers des institutions réellement autogérées, ce défenseur du peuple devient tôt ou tard un tyran. Encore une fois, c’est l’histoire qui le montre. Seules les personnes profitant de ce nouveau système oligarchique dénient ce fait.

 

Propositions.

Alors, que faire ?… Il faut aller vite mais à pas sûr, être réaliste, toutefois en considérant pas uniquement le court terme, mais les moyen et long termes.

Pour cela, il faut considérer et partir non pas d’un « sommet », d’un « haut » hiérarchique, quel qu’il soit et quelque soit ses bonnes intentions -, mais de la base. D’une certaine manière, le frère Lakhdar Bouregaâ l’a déclaré, en affirmant qu’il ne sortira pas de prison tant que l’ultime jeune emprisonné pour participation à l’intifadha populaire ne serait pas libéré. Également, la sœur Djamila Bouhired l’a dit, à sa manière, en appelant les participants au soulèvement populaire à ne pas se faire « voler » leur mouvement. À sa manière, Karim Tabou, par ses déclarations et par sa participation personnelle aux manifestations populaires, reconnaît, lui aussi, l’importance primordiale de la volonté populaire.

On en vient, alors, à l’idée, malheureusement très minoritaire, mais cependant existante : la création de comités populaires locaux, autogérés, partout sur le territoire national. Ces comités sont des assemblées libres de citoyennes et citoyennes qui se mettent ensemble, toutes opinions acceptées, pour débattre et prendre des décisions, de manière démocratique.

Ces comités élisent, sur mandat absolument impératif, des représentants. Ces derniers forment des comités non pas à des « niveaux » plus « élevés », mais dans des sphères horizontales plus élargies : quartier ; ensemble de quartiers ; ville ; daïra ; willaya ; jusqu’à aboutir à un Comité (ou Assemblée) Populaire National autogéré. N’est-ce pas ainsi que la démocratie authentique, c’est-à-dire de forme auto-gérée, se constitue ?

L’ironie veut qu’en Algérie furent inscrits sur les édifices publiques « Par le peuple et pour le peuple », que les institutions furent dotées de l’adjectif « populaire » (APC, APW, Assemblée Populaire Nationale », etc. N’oublions pas, également, la dénomination de la république comme « démocratique et populaire ». Mais la réalité montre que ce n’est là que des étiquettes, destinées à tromper le peuple… Dès lors, ne faut-il pas que l’intifadha populaire agisse de manière à ce que ces mêmes institutions deviennent réellement populaires ?… Et cela, par le moyen d’élections, mais authentiques, sous le contrôle direct et effectif du peuple, à travers ses représentants mandatés par lui. Dans ce cas, les comités populaires locaux autogérés réalisent ce que les partis politiques d’opposition se sont révélés incapables de concrétiser : l’authentique pratique démocratique, capable de remplacer celle oligarchique.

Pour y parvenir, bien entendu, il faut que le peuple dispose de son entière et totale liberté d’expression et d’association. Cette liberté lui a été interdite jusqu’au salutaire 22 février 2019. Depuis cette date, le peuple exprime pacifiquement et publiquement ses revendications par des marches hebdomadaires. Jusqu’à présent, après huit mois, elles se révèlent insuffisantes à concrétiser les intérêts du peuple. De cette constatation est née l’idée de former des comités populaires locaux autogérés. Ils seraient le moyen d’institutionnaliser les acquis du mouvement populaire.

N’est-ce pas la solution la plus logique ?… Ajoutons une observation de la plus grande importance. Ces comités populaires locaux autogérés sont la seule et unique procédure où moyen et fin se correspondent, se répondent, se complètent et s’harmonisent. En effet, cette forme autogérée de démocratie, par l’institution de comités (ou assemblées), est la seule et unique où la démocratie au niveau national se construit par la démocratie au niveau le plus local, la seule et unique où c’est le local (la base) qui détermine le central (et non pas le « sommet ») . N’est-ce pas ainsi que peut se concrétiser réellement le principe « Par et pour le peuple », et que les autres institutions dites « populaires » le deviennent réellement ?

Certes, l’institution de comités populaires locaux autogérés est une entreprise difficile : elle a contre elles toutes les mentalités autoritaires hiérarchiques, donc oligarchiques, notamment parmi les « amis » du peuple. Mais cette institution n’est-elle pas indispensable ? Et n’est-elle pas la meilleure réfutation de l’accusation consistant à dire que le mouvement populaire est manipulé par des agents internes ou/et étrangers ?

Comprend-on, dès lors, pourquoi cette forme de démocratie, l’autogestion sociale généralisée, fut et demeure la conception la plus occultée quand pas stigmatisée, et cela tant par les « libéraux » que par les marxistes (1), autrement dit par tous les adorateurs de l’autoritarisme hiérarchique ? Ces derniers oublient ou occultent le fait que l’autorité, certes, est nécessaire pour gérer une société, mais que cette autorité est réellement au service du peuple seulement quand elle est l’expression effective de sa volonté, et non pas d’une oligarchie dominante, quelque soit son idéologie.

Si, donc, des éléments de l’armée ou des personnalités patriotiques veulent défendre le projet de changement social populaire, ce n’est pas en tant que militaires, pour les premiers, ni en tant que « personnalités », pour les seconds, qu’ils devraient agir, mais comme simples citoyens.

En son temps, Lénine déclara que le principe des soviets (conseil, comité) est qu’une cuisinière sache diriger l’État. Cela resta, hélas !, rien d’autre qu’une déclaration de bonne intention. Cependant, le principe est juste. Oui, la démocratie authentique est celle où tout « cuisinier » et toute « cuisinière » aient le droit et acquièrent la capacité réelle de participer à la gestion du système social dont ils font partie. N’est-ce pas ce que, au fond et essentiellement, exigent les participants aux manifestations hebdomadaires en Algérie ? N’est-ce pas ce qu’un ouvrier cordonnier avait compris et mis en chanson : « Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes » ? N’est-ce pas ce que le peuple algérien veut en proclamant « Un seul héros, le peuple » ?

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(1) Certains objecteront que Karl Marx, dans son ouvrage sur La Commune de Paris de 1871, a défendu le principe autogestionnaire. Ce qui est certain est que, par la suite, il lui préféra la « dictature du prolétariat » autoritaire, hiérarchique et centralisée (ah ! le prétendu « centralisme démocratique » !), pour finir dans le parlementarisme, notamment avec Friedrich Engels. La preuve la plus significative de cette dictature mais contre le peuple, est l’élimination dans le sang des soviets réellement libres, par l’armée « rouge », sous l’ordre de Lénine et la conduite militaire de Trotski, dont le stalinisme ne fut que la forme extrême du bolchevisme.

 

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 29 Octobre 2019

Lors d'une manifestation hebdomadaire du soulèvement populaire en Algérie, 2019

Lors d'une manifestation hebdomadaire du soulèvement populaire en Algérie, 2019

Les banalités élémentaires ont le défaut d’être oubliées quand pas occultées, bien que certaines ont une importance décisive. C’est le cas de la solidarité. Cependant, elle se manifeste de diverses manières, selon l’agent social qui y recourt.

 

Oligarchie.

Les membres des oligarchies, partout et toujours, savent pratiquer la règle de la solidarité. Même quand ces oligarchies sont composées de groupes (clans) aux intérêts contradictoires, toutefois ces derniers font tout pour maintenir leur solidarité. Elle est rompue uniquement quand les contradictions entre les composantes de l’oligarchie deviennent insoutenables. Dès lors, la composante la plus puissante, - économiquement, donc militairement -, se débarrasse de la composante devenue un obstacle. Ainsi, la solidarité redevient la règle au sein de la composante victorieuse. Jusqu’à ce que, au sein même de celle-ci, les vulgaires appétits en matière d’enrichissement opposent, de nouveau, les uns aux autres, donnant, alors, naissance à de nouvelles contradictions. Et le conflit éclate, encore une fois, portant à la création de composantes nouvelles, aux intérêts opposés. Alors, le même processus de confrontation se déclenche, pour aboutir à la victoire d’une composante de l’oligarchie, parce qu’elle détient les deux leviers fondamentaux de la guerre sociale : l’économie et les armes.

C’est, par exemple, ainsi que se comprennent les dominations oligarchiques nationales, aussi bien aux États-Unis qu’en Chine, et partout ailleurs, dont l’Algérie. C’est également ainsi que se comprennent les oligarchies mondiales, constituées par des groupes comme le G7 (ou 8, etc.), le groupe dit de Davos, le Conseil de Sécurité de l’ONU, etc.

La solidarité, quoique relative, est donc l’un des éléments stratégiques de la domination oligarchique, tant au niveau national qu’à celui international.

 

Peuple.

Au contraire, au sein des peuples, au niveau national comme à celui international, la solidarité, partout et toujours, est difficile à concrétiser. Deux motifs expliquent cette carence.

Le premier est extérieur. Toujours et partout, au niveau national comme international, l’oligarchie dominante applique systématiquement et résolument la règle, en ce qui concerne le peuple : « Divide ut regnes » (Diviser pour régner). Le théoricien le plus représentatif des oligarchies l’exprima par la formule « Divide et impera » (Machiavel). La procédure consiste à créer le plus possible de tensions, de conflits, allant jusqu’à la confrontation violente, au sein du peuple (au niveau national) et entre les peuples (au niveau international). Cette procédure est la meilleure garantie d’existence dominatrice d’une oligarchie. Cette dernière le sait parfaitement et agit en conséquence.

L’oligarchie cause les conflits principalement en manipulant des contradictions secondaires au sein du ou des peuples. Ainsi, l’oligarchie manipule les aspects suivants, au sein d’une nation ou entre les nations : 1) l’ethnie (ou la race) ; 2) les croyances spirituelles (religions monothéistes, ou doctrines spirituelles là où les premières sont inexistantes) ; 3) civilisationnels. Ce processus se manifeste par la présentation d’une ethnie, d’une croyance religieuse ou spirituelle et d’une civilisation comme « supérieures » à d’autres, décrétées unilatéralement comme « inférieures », « barbares », donc représentant une « menace » pour l’ethnie, la croyance religieuse ou spirituelle et la civilisation proclamées arbitrairement comme les seules valables.

Les appareils de conditionnement idéologique des oligarchies étant dominantes, les conséquences de ce bourrage de crane sont les conflits et oppositions au sein du peuple d’une nation et entre les peuples des diverses nations, et tout cela au bénéfice des oligarchies. Ces oppositions se manifestent par des conflits larvés, jusqu’à éclater en guerres civiles et en massacres de masse. Où les membres de l’oligarchie sortent toujours gagnants. Un propriétaire d’usine d’armement, durant la seconde boucherie mondiale, déclara : « Quand les bombes d’avion explosent et le sang coule, les dividendes augmentent ! »

L’Algérie n’échappe pas à cette procédure oligarchique, et cela depuis l’indépendance nationale. Du sang coulé durant la guerre de libération nationale, du sang coulé lors du putsch militaire de l’été 1962, du sang coulé par la suite, notamment en octobre 1988, en 2001 et durant la « décennie noire », qui donc a profité en terme d’enrichissement illégitime et illégal ? N’est-ce pas les membres de l’oligarchie ?

Encore aujourd’hui, en cette phase salutaire d’intifadha populaire, l’oligarchie régnante actionne ces deux leviers : l’ethnicisation (notamment au sujet de l’emblème amazighe) et la religion (avec les récentes mesures contre des églises en Kabylie). Un troisième moyen est mis en œuvre, lui aussi classique, partout dans le monde et depuis toujours : un pseudo-patriotisme consistant à accuser de « trahison de la nation » tout opposant aux décisions prises par les détenteurs du pouvoir étatique. Quel meilleur et plus significatif exemple que de constater l’emprisonnement de l’exemplaire et symbolique frère Lakhdar Bouregaa, alors que tellement de membres de l’oligarchie régnante continuent à jouir de leurs illégitimes privilèges ?

Malheureusement, une frange, - non négligeable -, du peuple tombe dans le piège fabriqué par l’oligarchie. C’est le résultat d’un systématique et permanent bourrage de crane des appareils de propagande oligarchiques, créant une désolante carence de conscience sociale adéquate. Aux citoyens résignées et indifférents (1), il faut ajouter la non négligeable armada de harkis de l’oligarchie, achetés avec plus ou moins de postes administratifs, donc de salaires et de privilèges, du plus haut au plus bas de la hiérarchie sociale.

C’est là le motif interne de la carence de solidarité au sein et entre les peuples. Certes, l’intifadha populaire actuelle en Algérie est le produit d’une positive et impressionnante solidarité entre hommes et femmes, jeunes et vieux, citoyens démunis et ceux jouissant d’une relative aisance, résidents au pays et dans la diaspora. Mais, les faits répressifs contre des militants du mouvement populaire prouvent qu’il faut davantage de solidarité pour que l’action libératrice pèse de manière décisive dans le rapport de force l’opposant à l’adversaire oligarchique. L’un des moyens pour y parvenir a été indiqué à plusieurs reprises : c’est la constitution de comités populaires de base autogérés partout sur le territoire national.

 

Aspects fondamentaux.

Pour construire la stratégique solidarité populaire, il s’agit donc de démontrer et de convaincre le (s) peuple (s) que ce qui les constituent en premier lieu, ce ne sont pas l’ethnie, la croyance spirituelle, le degré de civilisation ou le pseudo-patriotisme, mais le fait que le peuple est d’abord et principalement formé de citoyens économiquement exclus des richesses nationales, donc exploités ; politiquement exclus de la gestion de la société, donc dominés ; idéologiquement interdits de libre expression, donc aliénés, qu’enfin ces trois aspects sont intimement liés et se conditionnent totalement l’un l’autre.

D’ailleurs, les oligarchies fournissent l’exemple à ce sujet. En effet, au niveau d’une nation comme à celui international, les membres de l’oligarchie ne se solidarisent pas sur une base ethnique, religieuse-spirituelle, civilisationnelle ou patriotique, mais sur le fait que ces membres des oligarchies sont économiquement exploiteurs, politiquement dominateurs et idéologiquement hégémoniques. Les institutions oligarchiques déterminantes sont les multinationales, et, ne l’oublions jamais, ces dernières ont comme base fondamentale non pas uniquement des propriétaires connus, mais la masse des actionnaires, du possesseur de la plus grande part d’action à celui qui en détient la plus petite.

Voilà pourquoi, des oligarchies de diverses idéologies, - mais toutes exploiteuses -, se solidarisent contre leurs peuples : sionistes israéliens, wahabites saoudiens, émiratis, états-uniens, européens, algériens, asiatiques agissent de manière solidaire, en considérant leurs autres contradictions comme secondaires.

Il reste donc aux peuples d’apprendre au mieux possible la leçon. Ils doivent comprendre que s’ils parviennent à éliminer le système basé sur l’exploitation économique, la domination politique et l’aliénation idéologique, alors les distinctions et conflits de nature ethnique, spirituelle, civilisationnelle et patriotique trouveront de justes solutions, bénéfiques à tous sans exception, parce que la solidarité suppose la liberté et l’égalité authentiques entre les citoyens au sein et entre les nations, et parce que ces trois caractéristiques assureront une vie collective harmonieuse, où chacun trouvera son légitime intérêt.

Bien entendu, la conscientisation du peuple à son indispensable solidarité exige une action organisée (notamment, comités autogérés populaires de base), patiente en terme de temps, intelligente sur le plan pédagogique, et, parfois, des risques d’emprisonnement et autre.

En ce qui concerne le peuple algérien, la question ayant besoin de réponse est celle-ci : Sœur citoyenne, frère citoyen ! Qu’es-tu d’abord ? Un Kabyle, Arabe, Chaoui, Mozabite ou autre encore ?... Un musulman (sunnite ou chiite ou autre encore) ou non musulman ?... Ou, plutôt et d’abord, tu es un « mahgour » (2) parce que ta force de travail n’est pas rétribuée à sa juste valeur mais sert à enrichir un membre de l’oligarchie, parce que ta part de gestion de la société dont tu fais partie t’est reniée pour te réduire à un « beni oui oui » de décisions prises autoritairement par une minorité d’oligarques, parce que ton droit à la connaissance t’est dénié pour te cantonner à l’obscurantisme le plus débile qui fait de toi un vulgaire harki néo-colonisé ?… Par conséquent, de quel genre de solidarité as-tu besoin pour devenir un membre d’une société libre, égalitaire et solidaire, caractéristiques fondamentales d’une authentique démocratie ?… Durant l’infâme et criminelle colonisation, française, le peuple algérien a pu vaincre parce qu’il s’est d’abord et principalement défini comme colonisé, au-delà de ses autres caractéristiques ethniques et religieuses. À présent, le peuple vaincra s’il parvient à se définir d’abord et principalement comme néo-colonisé par une oligarchie autochtone, au-delà des aspects ethniques et religieux caractérisant le peuple.

Avec la délicatesse indispensable (car l’intifadha populaire, c’est, aussi, changer en positives et créatrices nos propres manières de communiquer avec les autres), là sont donc les questions concrètes que chacun de nous doit poser aux membres de sa famille (dont certains sont des policiers, des gendarmes et des soldats), à ses amis, à ses collègues de travail, à toute personne avec laquelle s’établit un contact. Le mieux, pour mener à bien cette conscientisation citoyenne, est, - il faut le répéter et le souligner encore et toujours -, de constituer des comités populaires autogérés de base, partout. Bien entendu, il faut y réunir toutes les diverses opinions visant à l’authentique démocratie, et neutraliser les habituelles infiltrations (autochtones ou étrangères) tendant à semer confusion et division. Alors, les actions des militants dans les réseaux sociaux auront tout leur positif impact pour obtenir les droits légitimes proclamés par l’intifadha populaire. Au « diviser pour régner » des oligarchies, il s’agit de répliquer par : Se solidariser pour démocratiser (dans le sens de : auto-gérer). L’unité la plus large, le front le plus solide, dans le cadre de la démocratie la plus auto-gérée, pour le but principal qu’est l’émancipation du (des) peuple (s) de tous les maux qui les affligent, voilà, partout et toujours, des éléments fondamentaux pour sortir l’humanité de l’affligeante et psychopathe préhistoire oligarchique, pour construire une société où l’humain manifestera ce qu’il a de meilleur en terme de bonté et de beauté. N’est-ce pas là qu’est l’authentique civilisation ?

_____

(1) Une contribution précédente suggéra des groupes sociaux avec lesquels il est stratégique de concrétiser cette solidarité. Voir http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/10/resignes-et-indifferents-l-enjeu-de-l-intifadha-populaire-algerienne.html

(2) Maltraité et humilié. Lors de la présentation de la pièce de l’auteur de ce texte « Al hnana, ya ouled ! » (La tendresse, les enfants !), au Festival International de Théâtre de Béjaïa, en novembre 2012, quand le personnage de l’ouvrier ivre s’écria « Yahia hizb al mahgourne ! » (Vive le parti des maltraités-humiliés), le public manifesta son accord par de très vifs applaudissements.

 

Publié sur Algérie Patriotique (25.10.2019), La Tribune Diplomatique Internationale (27.10.2019), Le Matin d'Algérie (19.10.2019) - Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 24 Octobre 2019

Festivités à l'occasion de la victoire de l'équipe algérienne au championnat africain de football

Festivités à l'occasion de la victoire de l'équipe algérienne au championnat africain de football

Étrange peuple !… Son équipe nationale de football obtient une belle victoire, cependant après une vingtaine d’années d’effort, mais félicitations à l’équipe !… Quelle liesse bien conquise !

Mais pourquoi ce « One, two, tree, viva l’Algérie ! » ?… Trois mots en anglais, la langue des ex-coloniaux et des actuels néo-coloniaux ; un mot espagnol, celui d’une ex-oligarchie coloniale ; et, enfin, un mot français, de l’ex-oligarchie colonisatrice de l’Algérie… Mais, au contraire, aucun mot du peuple ! Absolument aucun !… J’ignore ce qu’il en est dans la partie amazighe du pays, en ce qui concerne ce slogan.

De par le monde, a-t-on vu un peuple chanter une victoire sportive en employant d’autres mots que ceux qu’ils parlent dans sa vie courante ?… Voir des Algériens chanter l’Algérie mais pas dans leur langue quotidienne, est-ce normal ?…

N’est-ce pas là une défaite honteuse dans le domaine linguistique ?… Mais pourquoi pas « Ouhad, zouj, talata, tahhya al jazaïr ! » ? Et l’équivalent en tamazight ?… Ces expressions dans les langues populaires sont-elles si méprisables ?… Que des ex-colonisateurs ou nouveaux néo-colonisateurs le pensent, c’est dans leur infâme nature. Mais le peuple algérien, peut-il tomber dans une si basse aliénation néo-coloniale, d’autant plus qu’il est légitimement fier de son algérianité ?

Un peuple qui n’est pas capable d’employer sa langue maternelle, sa langue de communication quotidienne, pour fêter une victoire, quel peuple est-il ? Plus exactement, quel est la nature de son psychisme ? Plus précisément encore, s’est-il libéré de l’aliénation linguistique que lui ont imposé, d’une manière directe ou indirecte, des oligarchies ex-coloniales ou néo-coloniales ?

A qui la faute ?… D’abord aux intellectuels et aux politiciens algériens, partisans du français comme « trésor de guerre » ou de l’arabe classique moyen-oriental comme « retour aux sources ». A ce sujet, un essai fut publié, sans avoir eu absolument aucun écho (1). Combien d’intellectuels algériens savent que les langues anglaise, française, espagnole et française ont été littéralement créées par un groupe restreint d’intellectuels ? Ls eurent la liberté d’esprit, l’intelligence et le courage de renoncer à la langue oligarchique dominante de l’époque, le latin, et, s’intéressant uniquement aux langues vernaculaires respectives, ils démontrèrent à la caste des pharisiens de l’époque que les langues populaires sont susceptibles de développement jusqu’à devenir des langues à part entière. Ce qui se réalisa.

Dans le passé, j'eus la grande surprise de lire un très intéressant article. Parlant de « tentative de meurtre contre culture populaire », il commençait ainsi : « Qu'aurait été l'Algérie si on avait osé institutionnaliser le dialecte algérien au lendemain de l'indépendance ? Peut-être une grande nation. » (2)

En effet, c’est ainsi que devinrent grandes les nations qui osèrent institutionnaliser leur dialecte national comme langue à part entière. Ainsi, ils montrèrent leur légitime fierté nationale, autrement dit leur indépendance linguistique, et le redevable respect de leur peuple.

A ce sujet, que penser de ce ministre algérien qui, voilà peu de temps, osa déclarer de remplacer, en Algérie, le français par… l’anglais ?

Alors, est-il encore possible de rêver à une victoire linguistique du peuple algérien ? Où est l’équipe d’intellectuels algériens qui oseront offrir au peuple algérien cette victoire linguistique, nettement plus positive qu’une victoire sportive ?

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(1) « Défense des langues populaires : le cas algérien », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-defense_langues_populaires.html

(2) Que l’auteur m’excuse, je n’ai pas retrouvé la référence concernant la citation.

 

Publié sur Algérie Patriotique (21.07.2019).

 

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 23 Octobre 2019

Résignés et indifférents : l’enjeu de l'intifadha populaire algérienne

Comme partout et toujours dans le monde, les mouvements populaires contestant un système social dominateur-exploiteur au bénéfice d’un autre, de liberté-égalité-solidarité, ces mouvements ont des adversaires sociaux, en particulier un certain type d’adversaire social, souvent méconnu. Pour le savoir, il suffit de prendre la peine de participer à la vie quotidienne et d’entendre les gens parler.

 

Adversaires connus.

Bien entendu, le premier adversaire du mouvement populaire est l’oligarchie détentrice du pouvoir assurant l’existence du système social dominateur-exploiteur. Mais ce n’est pas ce genre d’adversaire qui est examiné ici.

L’autre adversaire social du mouvement populaire est, lui aussi, connu : il comprend toute la masse de personnes qui profitent du système social dominateur-exploiteur ; ces personnes se trouvent du plus haut de l’échelle sociale au plus bas, jusqu’aux petits malfrats (baltaguia) et petits mouchards, payés par ceux qui veulent détruire le mouvement populaire.

 

Victimes consentantes.

Mais voici un autre type d’adversaire du mouvement populaire. Ces personnes sont concrètement victimes du système social dominateur-exploiteur, et en sont conscientes. Mais, leurs parcours existentiels ont porté ces personnes à adopter un comportement qui les rend, plus ou moins à leur insu, adversaires du mouvement populaire.

 

Résignés.

Les uns acceptent le système social dominateur, parce que aliénés par une idéologie, principalement cléricale. Elle est suscitée par des considérations telles que : « Dieu a voulu que nous soyons les victimes de ceux qu’il Lui a plu d’instituer comme nos maîtres », « Le système social qui nous domine, et ceux qui le gèrent sont l’expression de la Volonté Divine ; il serait donc blasphématoire de les contester. Par conséquent, ce n’est pas à nous de changer le système social et les dirigeants qui le gèrent, mais à Dieu. Soyons confiants en Lui et attendant son Bon Vouloir ! » ».

Ainsi s’explique le motif réel de la multiplication exponentielle des mosquées. La preuve : au lieu de rendre les citoyens éthiquement plus intègres, on assiste à une très grave et déplorable régression générale des mœurs, allant jusqu’à la plus misérable des formes de corruption, et à l’extrême saleté des lieux publics et privés. Ce qui a fait dire qu’en Algérie, il y a l’Islam, mais d’un genre tel qu’il n’y a pas de Musulmans, entendu comme personnes éthiquement intègres, respectueux et respectables. Dans ce cas, la religion est essentiellement utilisée comme moyen pour anesthésier la conscience sociale des exploités-dominés, afin de les résigner à leur situation, quitte à espérer dans l’au-delà une vie pleine de tous les délices désirés.

 

Indifférents.

Les autres adversaires du mouvement populaire sont les personnes qui se considèrent totalement non concernées par l’action contestataire. Le motif principal est que leur situation de dominés-exploités n’est pas grave au point de les indigner puis de les révolter. Pour ces personnes, peu importe qui gère la société, pourvu qu’il ne mette pas en risque la situation matérielle de ces personnes, jugée précaire mais néanmoins acceptable.

 

Avec le plus fort.

Ces résignés et ces indifférents, il est facile de les reconnaître : les jours de manifestations hebdomadaires, elles vaquent normalement à leurs affaires. Et elles sont toujours prêtes à soutenir et suivre, tel un troupeau de moutons, celui qui se révèle le plus fort « berger » dans le conflit social : l’oligarchie étatique ou le peuple contestataire.

Il en ressort que ces deux adversaires, pour créer un rapport de force favorable, ont le plus grand intérêt à ne pas négliger le poids social des résignés et des indifférents. Par conséquent, il semble bien que des deux adversaires principaux en présence, - le mouvement populaire et l’oligarchie au pouvoir -, l’emportera celui qui réussira à mettre de son coté les résignés et les indifférents.

 

Appareils étatiques.

En ce qui concerne l’oligarchie, il suffit de voir les programmes télévisés pour se rendre compte de tous les efforts déployés pour conquérir cette masse de résignés et d’indifférents. Les actions vont des discours de dirigeants étatiques, cléricaux et d’ « experts » en tout genre jusqu’au télé-films (« moussalsalât) de toute forme d’imbécillité : là, seules les obsessions sexuelles, enjolivées en « sentiments », ont de l’importance, tout le reste étant inexistant.

 

Comités populaires.

À l’opposé, le mouvement populaire semble n’avoir qu’un très faible sinon aucun effet, quand, pis encore, un effet négatif sur la masse des résignés et des indifférents. En effet, ces personnes déplorent que le mouvement populaire « ne fait que tourner en rond », qu’il « rend la vie plus difficile encore », qu’il « met la nation en danger », qu’il est « manipulé par des forces internes et externes hostiles au peuple et à la nation », etc. Ces résignés et indifférents vont jusqu’à affirmer que le mouvement populaire « ne fait que s’agiter inutilement, car il n’est même pas capables de se doter de représentants pour parler en son nom avec les autorités ».

Que peut, alors, faire le mouvement populaire pour mettre de son coté la masse des résignés et indifférents ?

L’exemplarité des démonstrations publiques hebdomadaires n’a, - on l’a dit -, que peu sinon pas d’effet pour convaincre les résignés et les indifférents. Reste la méthode traditionnelle, conventionnelle, qui a toujours et partout montré son efficacité : la constitution de comités populaires locaux, partout. En effet, c’est par la constitution de ces organisations de base, libres (parce que suscitées par un vrai consensus individuel) et démocratiques (parce que réunissant et respectant toutes les diverses opinions), par ces organisations de base, donc, que les participants des manifestations populaires hebdomadaires auront l’occasion d’établir des relations de dialogue avec les résignés et les indifférents. Le premier but est de contribuer à libérer ces derniers de leur aliénation, en leur expliquant, avec la patience et la pédagogie convenables, leur intérêt à rejoindre le mouvement populaire.

Toutefois, pour que les membres du mouvement populaire parviennent au stade de création de comités populaires de base, il leur faudrait prendre conscience que les manifestations hebdomadaires, surtout après huit mois de démonstration, ne suffisent pas à éliminer un système social pour le remplacer par un autre plus conforme aux intérêts du peuple et de sa nation.

Il faut, cependant, reconnaître que la constitution de comités populaires rencontre deux difficultés. La première est interne au mouvement populaire : il lui faut déployer une grande énergie pour constituer ces comités populaires. L’autre difficulté est externe au mouvement populaire : les autorités étatiques feront tout pour empêcher la constitution de ces comités populaires, car elles sont parfaitement conscientes du danger qu’ils représentent dans l’établissement du rapport de force entre mouvement populaire et oligarchie dominatrice.

Au vu de ce qui vient d’être exposé, de manière succincte, ne doit-on pas déduire une conclusion : que l’issue de la confrontation entre oligarchie étatique et mouvement populaire dépendra de la capacité de l’un des deux adversaires à conquérir la masse des résignés et des indifférents ? Une première occasion de le vérifier, n’a-t-elle pas été le tout récent bradage du pétrole et du gaz algériens aux multinationales étrangères, que les manifestations populaires n’ont pas pu empêcher ? Et la prochaine occasion pour savoir qui bénéficiera du rapport de force n’est-elle pas l’enjeu constitué par l’élection présidentielle ?… Alors, en faveur de quel adversaire les résignés et les indifférents feront peser le rapport de force ?

Certains objecteront : « Et l’armée, qu’en est-il dans ce rapport de force ? »… Réponse : elle aussi, ne dépend-elle pas du rôle qu’assumera la masse des résignés et des indifférents ?

D’autres ricaneraient en déclarant : « Ce seraient donc les moins intéressés à la confrontation sociale, à savoir les résignés et les indifférents, qui décideraient de l’issue de cette opposition entre mouvement populaire et oligarchie étatique ? »... La réponse sera fournie par les événements prochains, en premier lieu l’enjeu le plus important : l’élection présidentielle.

 

Publié sur Algérie Patriotique (18.10.2019), La Tribune Diplomatique Internationale (18.10.2019), Le Matin d'Algérie (19.10.2019) - Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 20 Octobre 2019

Lettres de l’autre partie de la planète 2. Réalité et connaissance

Suite à une première partie sur la spiritualité en Chine, voici une seconde sur la connaissance d’une manière générale.

Qui ne connaît pas le symbole taoïste, ce dessin en noir et blanc, qu’on appelle, aussi, le symbole du yin-yang ?… Mais combien de personnes, hors d’Asie, savent de quoi il s’agit ?

Voici quelques informations substantielles. Elles sont moins le reflet d’explications données par d’autres, que le résultat de lectures et de conclusions personnelles. Donc, sujet à caution. Évidemment, dans le cadre d’un article, elles constituent uniquement une très brève introduction, nécessitant un approfondissement par la personne intéressée.

Précisons, d’abord, que ce symbole du yin-yang remonte à une conception antique, plus de 2.500 ans auparavant, cependant bien documentée par des livres de l’époque.

Ce symbole concerne la réalité objective et la connaissance que l’être humain peut avoir à son propos. En passant, notons qu’ici le terme « Occident » et « occidental » désigne la partie géographique de la planète située à l’ouest du territoire chinois, par conséquent elle comprend non seulement l’Europe (par extension l’Amérique) mais également le Moyen-Orient et l’Afrique.

 

Yīn yáng (阴 阳)

Pour employer un langage occidental, le dessin taoïste représente, d’une part, les forces « obscures », et, d’autre part, les forces de « lumière » existant dans l’univers. Celui-ci comprend, évidemment, la planète Terre et tout ce qu’elle contient, comme matière vivante, et matière dite, de manière erronée, inerte.

L’ « obscur », c’est ce que les Chinois appellent yīn. Le caractère correspondant est : . Il est composé de deux images : à gauche, un mur ; à droite, la lune.

Donc, le yīn concerne tout ce qui lunaire, nocturne, humide, froid. Par extension, c’est tout ce qui est « féminin », parce qu’il reçoit quelque chose, notamment le sperme, source de vie.

Le « clair », c’est ce que les Chinois appellent yáng. Le caractère correspondant est : . Il est composé de deux images : à gauche, un mur ; à droite, un soleil.

Donc, le yáng concerne tout ce qui est lumière, diurne, sec, chaud. Par extension, c’est tout ce qui est masculin, parce qu’il fournit quelque chose, notamment le sperme, source de vie.

Ces deux forces, yīn et yáng, ont plusieurs caractéristiques.

Ces deux forces (ou énergies) sont en lutte permanentes entre elles, chacune cherchant à dominer en éliminant l’autre. Nous constatons, ici, une équivalence avec une conception occidentale. Elle est formulée de deux manières. L’une est laïque : la « lutte des contraires, entre le positif et le négatif » ; l’autre est religieuse : la lutte entre « le Bien et le Mal ».

 

Noir dans le blanc, blanc dans le noir

Voici où la conception chinoise est spécifique, notable. Dans le dessin du symbole, on constate une petite portion de couleur noire dans la partie « blanche », et, réciproquement, une petite portion de couleur blanche dans la partie noire. En voici l’explication. Les deux parties antagonistes, blanche et noire, ne sont pas totalement et uniquement d’une couleur unique. Traduisons ce fait dans le domaine du processus de la connaissance humaine. Dans toute couleur « banche » (vérité, positivité, lumière) existe une part de « noir » (erreur, négativité, obscurité). Et, vice-versa, dans toute partie « noire » existe une part de « blanc ».

Nous nous trouvons, alors, totalement à l’opposé de la conception occidentale qui se formule par ce qu’on appelle le dualisme absolu. Il affirme l’existence d’un « positif absolu » et d’un « négatif absolu » (dans le domaine laïc), ou d’un « Mal absolu » et d’un « Bien absolu » (dans le domaine moral et religieux).

 

Plus de vérité ou moins d’erreur ?

Ajoutons ceci. Ne considérons pas la conception religieuse affirmant une Vérité absolue existant de toute éternité. Cette vision est en totale opposition avec la conception taoïste, laquelle est, comme on vient de l’exposer, plus nuancée, relativiste.

Examinons la conception laïque et scientifique. Pendant très longtemps, en Occident, cette dernière a considéré le processus de connaissance comme un progrès vers plus de vérité. Puis, à l’époque moderne, les scientifiques (et les philosophes sérieux après eux) ont fini par reconnaître le contraire : la connaissance (ou, si l’on veut la vérité concernant la nature dans le sens le plus général) est un processus vers la découverte de moins d’erreur.

Apparemment, il semblerait identique d’affirmer ceci : la connaissance va toujours vers plus de vérité, ou de dire : la connaissance va toujours vers moins d’erreur. En fait, pas du tout. En effet, croire d’aller vers toujours plus de vérité, c’est supposer acquise définitivement une vérité, pour, ensuite, découvrir une autre. Or, l’expérience montre le contraire : le processus cognitif va toujours vers moins d’erreur, car il consiste à corriger ce qu’on croyait être une vérité. En voici deux exemples significatifs.

Le premier concerne Galilée. Les autorités ecclésiastiques refusèrent, au nom d’une « vérité biblique », d’admettre sa découverte ; elle affirmait que la Terre tourne autour du soleil (et non pas le contraire, déclarée dans l’Ancien Testament). Suite à cette découverte d’une erreur d’appréciation, le scientifique fut … menacé du bûcher s’il ne se rétractait pas. On connaît la réponse qui lui fut attribuée, après s’être vu contraint, pour sauver sa vie, à se rétracter : « Eppure, si muove ! » (Et, pourtant, elle tourne !)

Dans le domaine scientifique, accorder la priorité à une « vérité » a mené, également, au dogmatisme allant jusqu’à la répression. Le cas le plus significatif est celui de Trofim Lyssenko. Durant la dictature stalinienne, ce technicien agricole imposa ses vues « scientifiques » ; cependant, elles étaient conditionnées par l’idéologie. Les résultats concrets révélèrent que ces vues étaient erronées, et avaient entraîné des dommages matériels importants.

Dans le domaine social-politique, un phénomène semblable existe. Voici le plus significatif. Karl Marx (avec Frederich Engels) a cru découvrir les règles absolues du fonctionnement social. Il a ainsi formulé le matérialisme historique, le matérialisme dialectique, le socialisme « scientifique »1, la dictature du prolétariat comme transition pour accéder au communisme, considéré comme phase ultime du salut universel. L’expérience pratique a cependant démontré les graves limites dogmatiques et idéologiques2 de ces diverses théories, notamment par les tragédies que furent le bolchévisme léniniste-trotskyste et ses diverses variantes.

Actuellement, nous avons affaire à l’idéologie dite « libérale ». Elle affirme le capitalisme comme unique « vérité », conforme à la « nature » humaine. Par conséquent, toute contestation de cette conception serait utopie, charlatanerie et désordre social, à combattre par tous les moyens, y compris illégaux (voir les agissements des services secrets des régimes capitalistes).

 

Tào ()

Retournons au symbole yīn et yáng. Il est généralement associé à la conception spirituelle de ce qu’on appelle le taoïsme. Ce mot vient du fait que cette conception a comme concept central le tào (ou dào). (). C’est un terme polysémique. Il signifie tout à la fois, voie, méthode, but.

Voici mon interprétation de l’association du symbole yīn et yáng avec le concept dào. L’existence des forces antagonistes yīn et yáng (obscurité/lumière, erreur/connaissance, négativité/ positivité, destruction/construction, anéantissement/création) et de leurs luttes incessantes pour l’hégémonie, cette figuration donc représente : 1) la voie (la manière) dont se comporte l’existant universel, 2) nous montre la méthode pour l’affronter positivement, 3) afin d’atteindre le but ultime qui est la connaissance. Celle-ci demeure, toutefois, la moins erronée, donc susceptible de correction par une découverte nouvelle qui diminue la part d’erreur.

Ceci étant dit, faut-il s’étonner de découvrir que l’ancêtre de la conception anarchiste, dans sa signification la plus sérieuse, est peut-être un sage taoïste ayant vécu voilà environ 2.400 ans ? Il se nommait Zhuāngzǐ3.

 

Universalité et humanité

Longtemps, parce que né en Occident (Algérie), mes connaissances étaient limitées à la production intellectuelle de cette partie de la planète. Et cela, malgré deux faits : d’une part, le conseil musulman « Demande la science, même en Chine », et, d’autre part, mon adhésion juvénile au maoïsme.

Ce n’est qu’en parvenant à l’âge adulte que je me suis rendu compte de mon effarante ignorance de l’essentiel de la production intellectuelle de la Chine, que j’ai compris l’insensée vision qui croit posséder la connaissance « universelle » et « humaine » parce qu’elle connaît uniquement celle de l’Occident.

Se pose, alors, la question : comment s’explique l’ignorance abyssale des Occidentaux en ce qui concerne la culture chinoise ?… Des motifs principaux me semblent l’expliquer.

Le premier : l’isolement géographique. Déjà, dans l’antiquité, Alexandre dit « le Grand » parvint, dans ses conquêtes, jusqu’en Inde, sans jamais arriver en Chine. Les impérialistes romains, non plus, dans leur extension coloniale, n’arrivèrent jamais jusqu’en Chine, bien que les deux empires, romain et chinois, semblent avoir eu des contacts par l’intermédiaire de représentants « diplomatiques »4.

Second motif : l’extension territoriale de la Chine lui a toujours permis de vivre de manière autarcique. Il y eut, dans le passé, une fameuse tentative d’élargir la présence chinoise, à travers une expédition maritime constituée par une impressionnante flotte. Mais, pour des raisons diverses, cette entreprise prit rapidement fin.

Troisième motif. Jusqu’au XVIIIè siècle, la Chine se suffisait à elle-même, produisait des découvertes scientifiques et techniques5, et même se permettait d’être une puissance exportatrice de certains denrées. Vint ensuite l’écroulement, l’affaiblissement. Il permit aux puissances coloniales nouvelles, occidentales européennes, de se jeter sur cet espace immense, en opérant ce que tout impérialisme fait : envoyer des armées pour massacrer la population, asservir les survivants, s’emparer des ressources matériels du pays et, éventuellement, installer des colons.

Ainsi, à l’ignorance occidentale de la culture chinoise s’ajouta l’idéologie impérialiste. Pour justifier sa main-mise sur le pays, elle distilla, par l’intermédiaire de ses « intellectuels organiques » (selon l’expression de Gramsci), tous les préjugés imaginaires sur la « race jaune » fainéante, fourbe, jouisseuse, méchante, barbare, à laquelle l’Occident chrétien devait porter la civilisation et la religion de Dieu. Les impérialistes britannique allèrent jusqu’à la pire des infamies imaginables. Ils établirent la culture de l’opium. Cette pratique eut deux avantages : procurer aux rapaces propriétaires un immense profit, d’une part, et, d’autre part, plonger le peuple chinois dans la dépendance de l’opium, et donc dans la servilité la plus dégradante.

Enfin, vint le sursaut, à partir des années 1920. Il fut, notons-le, d’abord culturel, animé par des groupes d’intellectuels patriotes intelligents et solidaires. Puis ce fut la guerre sociale jusqu’à la victoire des maoïstes. Enfin, nous assistons à la phase actuelle, capitaliste à la chinoise ; elle est entrée en concurrence économique mondiale avec l’impérialisme états-unien actuellement hégémonique, mais économiquement affaibli.

Cette guerre commerciale est, encore une fois, le prétexte pour les idéologues occidentaux, « intellectuels » et journalistes, pour diffuser les clichés sur le « péril jaune » et la « barbarie » asiatique. Le représentant le plus notable de cette idéologie est Samuel Huntington avec sa théorie du « choc des civilisations ». Décidément, ce dernier terme, employé depuis l’antiquité par tout aspirant à l’impérialisme, semble encore fonctionner pour tromper sur les intentions criminelles réelles.

Il reste aux « Occidentaux » qui tiennent à connaître la réelle universalité de l’espèce humaine, de prendre la peine de connaître la culture chinoise. Alors, ils découvriront quelles carences limitent et appauvrissent leurs connaissances de ce qu’est l’humanité. Pour leur part, les Musulmans connaissent depuis longtemps la fameuse invitation « Atloubi al’ilma wa laou fi sîne » (Demande la science même si c’est en Chine). Mais combien de ces Musulmans pratiquent cette recommandation ?… Et leurs tragédies ne proviennent-ils pas, notamment, de l’ignorance de cette sage recommandation ?

1 Par respect de la vérité, notons que le premier à utiliser cette expression « socialisme scientifique » fut Joseph Proudhon. À notre connaissance, Marx reprit l’expression mais sans signaler ce fait, s’attribuant ainsi la paternité de la formule.

2 L’ironie de l’histoire a voulu que le pourfendeur de l’idéologie tombe dans des vues idéologiques, à son insu.

3 Il avait écrit : le monde « n’a pas besoin d’être gouverné ; en fait, il ne devrait pas être gouverné », « le bon ordre résulte spontanément quand les choses sont laissées à leur cours ». Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Tchouang-tseu#cite_note-6

4 Toutefois, dans le nord-ouest de la Chine, existe une localité où les habitants ont d’étranges ressemblances physiques et coutumières qui rappellent les Romains de l’antiquité.

5 Les Occidentaux ignoraient ce qu’était un livre, quand les Chinois possédaient des bibliothèques !

 

Publié le 11.09.2019 sur Le Matin d'Algérie, et le 12.09.2019 sur Algérie Patriotique.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 17 Octobre 2019

Lors d'une manifestation du Mouvement populaire en Algérie, 2019 - PPAgency

Lors d'une manifestation du Mouvement populaire en Algérie, 2019 - PPAgency

Il semble utile de savoir quand, comment et par qui ont commencé les malheurs du peuple algérien, soumis et dominé par une oligarchie autochtone. C’est en allant à l’origine des causes que l’on peut trouver les solutions pour s’en affranchir.

 

1956 : assassinats.

Désormais, les personnes correctement informées le savent : les malheurs du peuple algérien ont commencé par la négation de la Plate-forme de la Soumman, suivie par l’assassinat de ses deux inspirateurs et défenseurs : Abane Ramdane, tué par ses propres « frères » d’arme, et Larbi Ben Mhidi, dont la découverte de son refuge par l’armée coloniale française ne semble pas être due au hasard. Cependant, le hasard a voulu que ces deux authentiques leaders du peuple algérien soient l’un amazighopone et l’autre arabophone, ce qui constituait l’unité du peuple algérien.

Après l’assassinat de ces deux dirigeants authentiques du peuple algérien, tandis que les moudjahines de l’intérieur continuaient à combattre en manquant tragiquement de moyens matériels, les éléments résidant à la frontière marocaine constituaient, eux, une armée dotée de tout le nécessaire pour devenir la force unique, militaire, de la future nation algérienne indépendante.

 

1961 : corruption.

Par conséquent, quand l’indépendance devint un objectif réalisable tout proche, le chef de l’État-major de l’armée des frontières, le colonel Boumédiène, envoya son émissaire en France pour tester qui serait le premier président marionnette à placer à la tête de l’État, pour faire croire au peuple algérien qu’il aurait le Président qu’il fallait. Qui était l’émissaire en question ?… Abdelaziz Bouteflika. On sait que le premier qu’il rencontra fut le regretté Mohamed Boudiaf. Ce dernier s’offusqua de cette démarche totalement oligarchique. Hocine Aït Ahmed, également, refusa la proposition scélérate. Ahmed Ben Bella, lui, accepta et entra dans la combine.

 

Été 1962 : coup d’État militaire.

Ainsi, juste après l’indépendance, les chars du colonel Boumédiène massacrèrent sans scrupule les combattants de l’intérieur qui s’opposaient à ce qui était un coup d’État militaire… Le peuple, alors, sortit dans les rues en criant « Sab3 assnîne, barakât ! » (Sept ans, ça suffit), sous-entendu de sang algérien versé.

Malheureusement, les manifestants ne disposaient pas de suffisamment de conscience sociale pour comprendre que leurs protestations pacifiques ne suffisaient absolument pas, que les sept années de sacrifices exigeaient davantage de sacrifices encore. Il fallait se mettre résolument du coté des combattants de l’intérieur, et continuer la lutte contre les usurpateurs, déjà constitués en oligarchie militaire, pour les éliminer d’une manière ou d’une autre, et instaurer la démocratie réellement populaire.

 

Long calvaire.

La suite est connue. L’oligarchie algérienne montra ce que toute oligarchie est capable comme soif d’enrichissement illégitime et obsession de pouvoir illégal (1). Plus grave : en Algérie, comme dans toutes les nations sous-développées, - non seulement économiquement, mais culturellement, l’un n’allant pas sans l’autre -, l’oligarchie algérienne manifesta le pire de l’inculture, de l’obscurantisme et de la cruauté. Toute la rhétorique démagogique à propos de « nationalisme », de « patriotisme », de « populisme », de « socialisme », maintenant de « libéralisme » était et demeure à la mesure de toute la corruption caractérisant cette oligarchie sous-développée : corruption, répétons-le, non seulement par le vol des richesses matérielles, mais tout autant, - et pour y parvenir -, par le vol de la liberté du peuple à gérer lui-même sa nation.

Déplorons seulement le lâche aveuglement des opportunistes de tout bord qui, en échange de strapontins dans l’administration, ont soutenu les diverses formes prises par l’oligarchie pour dominer le peuple algérien. Ainsi, l’Algérie vit des Présidents, depuis le premier, fabriqués par des « élections » manipulées, inspirées directement de la méthode coloniale. Et, pour se maintenir, ces Présidents se sont appuyés sur les divers groupes d’une oligarchie qui s’est enrichie sans vergogne, par l’intermédiaire de la force militaire. Cette oligarchie commença par s’accaparer les « biens vacants », pour finir, avec Abdelaziz Bouteflika, par mettre la main sur des entreprises et des terres étatiques, bradées au dinar symbolique. Pis encore ! Pour se maintenir au pouvoir, cette oligarchie permit à des entreprises étrangères, en échange de leur soutien, d’exploiter des ressources naturelles et la sueur du peuple algérien à « bon prix », en échange de pots-de-vin aux oligarques, placés dans des banques étrangères.

À ce propos, une remarque. Certains déclarèrent que le colonel Boumédiène est mort sans s’être enrichi. Quel besoin avait-il de voler les biens du peuple ? À ce peuple, il avait volé, par la coercition militaire, ce que ce peuple avait de plus précieux : la liberté de décider par lui-même de la gestion de son pays. Ainsi, l’oligarchie s’est renforcée, avec le « soutien critique » des opportunistes, jouissant de strapontins administratifs, et le soutien tout court de ce que la société algérienne contient de plus misérable comme personnalité. Rappelons la fameuse déclaration du Boumediène élu Président, citée ici en substance : Qui travaille avec le miel ne peut s’empêcher d’y goûter. On a constaté combien de personnes y ont goûté, de quelle manière et jusqu’à quel point. Qui vole un œuf, vole un bœuf. La corruption, dans tous les domaines de la vie sociale : voilà la base systémique, structurelle, de l’oligarchie algérienne, et cela depuis l’assassinat de Abane Ramdane et de Larbi Ben Mhidi, puis la rencontre, en 1961, de Abdelaziz Bouteflika avec les dirigeants alors prisonniers en France.

Par conséquent, ne doit-on pas conclure que les premiers représentants de l’oligarchie dominante-exploiteuse algérienne sont d’abord un militaire, le colonel Boumédiène, servi par un civil fantoche, Ahmed Ben Bella ? Et que, depuis, c’est le même système social qui domine l’Algérie ?… Avec une seule exception : un homme intègre voulut redonner le pouvoir au peuple. La preuve qu’il le voulait réellement, c’est qu’il fut... assassiné, et publiquement. L’ironie de l’histoire est que cet homme était précisément celui qui, le premier, en 1961, rejeta avec indignation l’infâme proposition de l’envoyé du colonel Boumédiène, Abdelaziz Bouteflika, d’en faire un Président fantoche de l’Algérie. C’était le regretté Mohamed Boudiaf. Il eut la fatale illusion de croire, cette fois-ci, qu’il n’aurait pas été un Président-marionnette au service de l’oligarchie.

L’oligarchie algérienne veille, depuis sa constitution, à propager sa seule version de l’histoire, invoquant sans vergogne une « légitimité révolutionnaire » illégitime, pour protéger et défendre sa vile obsession d’accaparement du pouvoir étatique et d’enrichissement matériel, au détriment du peuple et du développement économique de la nation.

Cette oligarchie algérienne est tellement de mentalité sous-développée qu’elle est incapable de jouer un rôle de bourgeoisie capitaliste, trouvant son profit dans le développement économique de la nation. Au contraire, elle se contente d’être totalement parasitaire, en s’offrant des demeures luxueuses et autres stupides et dérisoires objets de consommation. D’où l’aspect compradore de l’économie algérienne, et sa dépendance presque totale de la vente du pétrole et du gaz.

Est-ce un hasard si la majorité des voleurs trouvent refuge dans l’ex-métropole coloniale, alors qu’ils se targuaient de « patriotes » en évoquant la guerre de libération nationale, et résident dans des appartements achetés avec l’argent du peuple algérien ? Est-ce un hasard si ces spoliateurs ne sont pas remis par les autorités françaises au peuple algérien pour être jugés sur leurs vils méfaits ?

Disons-le clairement. Avec l’assassinat de Abane Ramdane et de Larbi Ben Mhidi, puis les étranges embuscades de l’armée coloniale où tombèrent tour à tour les colonels Amirouche puis le colonel Lotfi, la société algérienne a produit tout ce qu’elle contient de pourri jusqu’à la moelle : usurpateurs psychopathes, imposteurs méprisables, voleurs mesquins, assassins de jeunes contestataires, mercenaires dépravés, charlatans vils, harkis infâmes, opportunistes lâches de strapontins, tout grands et tout petits dictateurs spoliateurs. Une hideuse régression dans tous les domaines, du plus haut au plus bas de l’échelle sociale. Tout ce que le peuple algérien avait conquis en dignité durant la guerre de libération nationale fut manipulé, travesti, méprisé, stigmatisé, avili, jusqu’à arriver à l’infamie la plus vile : un journaleux traitant les combattants, ayant donné l’indépendance nationale, en imposteurs et profiteurs, et un écrivaillon ne voyant dans l’Armée de Libération Nationale que des nazis. Doit-on, alors, aujourd’hui, s’étonner de découvrir tous les méfaits des membres de l’oligarchie, dont les vilenies et les crimes sont à la mesure de leur cerveau sous-développé et de leur personnalité dépravée ? De voir l’intègre ancien moudjahid Lakhdar Bouregaa en prison, tandis que les pourris jouissent encore de la liberté de profiter de leurs vols des richesses du peuple, en résidant en Algérie ou ailleurs, notamment en France et aux Émirats ?… Ce qui étonne, aujourd’hui, c’est l’endurance et la patience, prolongées et douloureuses, du peuple algérien, soumis à une oligarchie aux méthodes typiquement mafieuses, dans le sens le plus exact de ce terme.

Depuis l’assassinat de Abane Ramdane et de Larbi Ben Mhidi, le peuple algérien est exploité et dominé, victime de tellement de forfaits ; ils seraient jugés criminels par un tribunal digne de ce nom. Depuis 1956, tellement d’emprisonnés, de torturés, d’assassinés, non par les tenants du colonialisme étranger, mais par les membres du colonialisme indigène. Ce dernier agissait avec les mêmes méthodes, le même mépris, la même cruauté contre le peuple. Ce n’est pas un hasard si les institutions algériennes, établies par l’oligarchie usurpatrice, sont un « copier-coller » de celles de l’administration coloniale. La crainte populaire du militaire, du policier, du cadi, du préfet et du maire coloniaux est remplacée par celle de leurs exacts avatars indigènes.

 

2019 : le sursaut de la dignité.

Dans le cas de la victoire du mouvement populaire actuel, ne serait-il pas légitime non seulement de récupérer tous les biens matériels volés, mais, également, que toutes les institutions publiques, portant le nom de l’un des usurpateurs de la légitimité populaire algérienne, soient rebaptisées, en leur donnant les noms de personnes qui furent réellement dignes de l’estime du peuple algérien ? Ainsi, les imposteurs voleurs, de biens matériels ou de liberté du peuple, seront jetés dans la poubelle de l’histoire, et sera honorée la véritable épopée du combat du peuple algérien pour son émancipation nationale et sociale.

Voilà en quoi l’intifadha (soulèvement) populaire actuel, malgré ses carences, est une action radicale : elle veut éliminer toute forme de « fassâd » (corruption). En quoi consiste celle-ci sinon à voler, à s'accaparer non seulement les ressources matérielles, mais tout autant la liberté du peuple algérien ? Car sans la liberté du peuple à gérer lui-même ses ressources naturelles, à travers ses institutions authentiques, il est impossible à ce peuple de mettre fin au « fassâd » économique de l’oligarchie.

C’est dire combien le mouvement populaire actuel en Algérie est l’initiative la meilleure, depuis la guerre de libération nationale anti-colonialiste, pour finalement concrétiser le projet du 1er Novembre 1954, approfondi par la Charte de la Soummam de 1956. Ainsi, et seulement ainsi, tous les chouhadas tombés pour la dignité du peuple algérien, durant l’époque coloniale puis celle dictatoriale (n’oublions pas ces derniers !), seront authentiquement honorés. Ainsi, et seulement ainsi, reviendra au peuple algérien le droit absolu qu’il revendique : la dignité citoyenne, autrement dit la liberté de disposer de ses propres institutions et de ses propres mandataires représentatifs. Ainsi, la nation algérienne fera partie de manière digne du reste des nations. Ainsi, le passeport algérien ne sera plus méprisé, mais respecté partout sur cette planète. Ainsi, partout en ce beau pays, s’épanouiront les sourires, première source, premier capital pour développer la nation, dans tous les domaines. Vive l’intifadha populaire algérienne !

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(1) Rappel historique. « La maigreur qui nous afflige, le spectacle de notre misère sont un inventaire qui montre leur opulence ; notre misère est un profit pour eux. [...] Ils nous laissent mourir de faim quand leurs magasins sont trop pleins de grain ; ils produisent des lois en faveur de l’usure pour soutenir les usuriers ; ils rejettent chaque jour quelque salutaire acte établi contre les riches, et promulguent des statuts plus vexatoires pour enchaîner et asservir les pauvres. Si les guerres ne nous dévorent pas, ce sont eux qui s’en chargeront. » Déclaration d’un représentant du peuple durant la guerre du Péloponnèse. C’était en Grèce, il y a 25 siècles.

Et ceci : « « La liberté d’une démocratie est en danger si le peuple tolère l’influence croissante de puissances privées au point de posséder plus de pouvoir par rapport à l’État démocratique. C’est l’essence même du fascisme – la domination sur le gouvernement par un individu, un groupe ou tout autre pouvoir de contrôle privé. » L’auteur de cette déclaration est l’ex-président des États-Unis Franklin D. Roosevelt, qui dénonçait, alors, l’emprise du complexe militaro-industriel sur le pays.

 

Publié le 14 octobre 2019 sur Algérie Patriotique, Le Matin d'Algérie, La Tribune Diplomatique Internationale - Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

 

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 15 Octobre 2019

Manifestation hebdomadaire du Mouvement populaire, Algérie 2019

Manifestation hebdomadaire du Mouvement populaire, Algérie 2019

La liberté est une conquête.

La précédente contribution (1) a suscité divers commentaires. Certains appellent un approfondissement. À propos de l’opportunité de créer des comités populaires autogérés locaux, le lecteur DZA interroge : « où cet espace pour s’organiser en toute liberté ?
Tous les mouvements sont contrôlés, limités, réprimés. » Le lecteur
Mouloud F observe : « Le HIRAK a-t-il accès aux médias, a-t-il le droit de faire des meeting ? NON ! Il ne peut y avoir, cher monsieur, d’organisation horizontale, verticale ou même diagonale s’il n’y pas de libertés d’expression totale, d’accès à tous les médias. Réveillez vous, Il y a plutôt une chasse à l’homme qui ne dit pas son nom. »

L’espace de liberté dont il est question, pour exercer de légitimes droits citoyens de participation au fonctionnement social, cet espace peut-on s’attendre à le voir offert gracieusement par des gérants de pouvoir étatique, surtout quand ce pouvoir se caractérise par l’autoritarisme ?… Cet espace ne doit-il pas, tout au contraire, être conquis par les citoyens, de manière pacifique, mais néanmoins conquis ? En outre, ce genre de conquête peut-il avoir l’illusion que les autorités étatiques laisseront faire sans trouver toutes les parades pour empêcher la création de ce genre d’espace de liberté citoyenne ?

Certes, l’auteur de ces lignes a signalé l’apparition du Forum citoyen de la ville d’Oran (2). Il fut pacifiquement conquis par des citoyens du mouvement populaire. Voilà donc une des solutions. Toujours et partout dans le monde, dans les nations « libérales » comme celles dictatoriales, les espaces libres furent, demeurent et resteront l’initiative de citoyens libres, égalitaires et solidaires. Parfois, au prix du sang ; d’autres fois, de manière pacifique, si la pression populaire est telle que les autorités étatiques n’ont pas la possibilité d’entraver la réalisation de l’action.

Voici le plus bizarre. Les personnes qui se demandent où trouver des espaces de liberté, telles les lecteurs évoqués ci-dessus, oublient le plus évident et significatif exemple, pourtant devant leurs yeux : le mouvement populaire lui-même. Celui-ci s’est-il contenté de se demander où se trouvent des espaces de liberté, en déplorant la répression étatique ? N’a-t-il pas, au contraire, avec intelligence, simplement occupé de fait l’espace constitué par les rues et les places publiques ? Ainsi, il démontré par son action la validité de ce principe : la liberté ne s’offre jamais ; elle se conquiert, et, parfois, au prix le plus coûteux. Ajoutons ceci : la liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.

 

« Aller au charbon ».

Ajoutons d’autres observations. La toute récente victoire des partis islamistes en Tunisie, comme, des années auparavant, la victoire des islamistes algériens aux législatives, comment ces succès ont-ils pu se concrétiser ?… Au-delà des violences commises par les islamistes, le principal facteur de leur réussite électorale ne fut-il pas un travail des militants de ces partis sur le terrain local, quartier par quartier, notamment ceux exclus du « gâteau » national, sans oublier le quadrillage par des mosquées où des « services » étaient rendus, telle l’alphabétisation en langue arabe ?

De l’autre coté, celui des partis d’opposition « progressistes », a-t-on vu une présence sur le terrain local aussi consistante que celle des partis islamistes ?… Le curieux de l’affaire est que les islamistes se conduisent comme les communistes et les anarchistes du début du siècle dernier, tandis que les communistes, anarchistes et « progressistes » contemporains sont généralement absents des quartiers populaires.

On objecterait : le motif est que les oligarchies étatiques ont favorisé les islamistes, tout en pourchassant les opposants démocrates progressistes. Ce fait est incontestable. Toutefois, les militants islamistes sont allés au « charbon », à la rencontre des misères du peuple, avec un enthousiasme « bolchevique » ou « anarchiste », tandis que les démocrates progressistes n’ont pas su trouver la parade aux obstacles dressés contre leur présence par les autorités étatiques. Dès lors, les démocrates progressistes n’ont-ils pas manqué d’imagination, sinon de volonté d’aller au peuple ? Par démocrates progressistes, on entend pas, évidemment, des marionnettes, avatars du système oligarchique, tels Ali Benflis et les « militants » de son « parti », mais des vrais démocrates progressistes.

Dans un domaine particulier, celui du théâtre, le problème se pose de façon identique. Pardon pour l’auto-citation. Dans les années fin 1968 à 1972, l’auteur de ces lignes, en pleine dictature militaire boumédiéniste, a trouvé le moyen de pratiquer son activité théâtrale et de la présenter en allant au peuple dans les quartiers où ce celui-ci vivait (telle une place du quartier de Lamur, à Oran), dans les lieux où il travaillait (usines et fermes), dans ceux où ses enfants étudiaient (lycées et universités), y compris dans les villages, et même dans l’hôpital psychiatrique de Sidi Chahmi, pour les malades mentaux. Évidemment, ce genre d’activité exigeait de grands efforts physiques, mais il fut assumé avec joie car le choix était d’aller au peuple et de lui offrir le fruit de notre travail. L’expérience dura environ trois années. Son interruption ne vint pas des autorités étatiques, du moins de façon directe, mais par des « amis » progressistes qui finirent, comme récompense, fonctionnaires dans un théâtre régional étatique, à Sidi-Bel-Abbès (3)… L’auteur de ces lignes eut, également, l’occasion de rappeler à l’homme de théâtre Slimane Bénaïssa la réalité vraie. Il publia un article en reprochant au peuple son absence des établissements étatiques de théâtres ; cet artiste « démocrate progressiste » ignorait que ce n’est pas au peuple d’aller dans les établissements étatiques de théâtre, mais aux artistes de théâtre d’aller au peuple (4). Est-ce un hasard que S. Bénaïssa soit, aujourd’hui, récompensé par l’oligarchie dominante du fauteuil de « commissaire » du Festival International de Théâtre de Bejaïa ? Et est-ce un hasard s’il a rejoint le prétendu « panel » constitué par les autorités étatiques (5) ?… Posons, enfin, cette question : aujourd’hui, en plein mouvement populaire, a-t-on vu des troupes de théâtre aller au peuple pour lui présenter des œuvres capables de l’intéresser et de l’accompagner dans son action émancipatrice ?

Il est vrai qu’aller au peuple, quelque soit l’action à réaliser, est extrêmement dur : conditions physiques pour se déplacer dans les endroits, y compris les plus insalubres, difficultés de parler le langage du peuple de manière convaincante pour lui ; tout cela, généralement sans aucun gain financier. Donc, sueur et parfois larmes, deux liquides amers, avec une seule récompense : servir le peuple.. Pour y consentir, il y faut une conviction à toute épreuve, la plus grande modestie (être le « buffle » du peuple, disait Lu Xun), la plus fine des capacités à comprendre et à dialoguer avec le peuple, notamment sa partie la plus exclue du « festin » oligarchique. Jouer au démocrate progressiste est tellement aisé ; il suffit de mouvoir la langue ou de taper sur un clavier d’ordinateur. Ce genre d’activité est même rentable en prestige, parfois, également, en monnaie. Mais assumer un comportement conforme aux paroles proclamées est une toute autre affaire, exigeant des sacrifices, pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement pour « activité subversive ». On ne sert jamais le peuple impunément, là où le peuple est asservi.

 

Manifestations hebdomadaires et vie quotidienne.

Revenons sur une observation, déjà exposée dans des contributions précédentes : en quoi et comment le mouvement populaire a-t-il influencé la vie des quartiers populaires, pour ne pas évoquer des villages ?… Sans cette influence, cette osmose, le mouvement populaire suffit-il pour imposer la concrétisation de ses revendications légitimes ?… Voilà huit mois que le mouvement populaire se manifeste hebdomadairement. Quels en sont les résultats dans la vie quotidienne des quartiers ?… Ma mémoire flanche à propos de l’auteur dont voici, en substance, la citation : il est aussi criminel pour des cartographes de dresser de fausses cartes pour les navigateurs, que pour des théoriciens/praticiens de la révolution sociale de proposer de fausses solutions aux citoyens désireux de s’affranchir de leur servitude pour établir une société solidaire. Cette observation vise toutes les proclamations faisant l’éloge du mouvement populaire actuel. Il les mérite évidemment. Toutefois, les boursouflures démagogiques à son propos ne sont pas des encouragements, mais, au contraire, des effets pernicieux. Quand ces boursouflures outrancières ne visent pas à manipuler le mouvement populaire, elles l’empêchent de voir ce qui lui manque dans la concrétisation de ses objectifs légitimes. À ce propos, osons la question : la destitution de Abdelaziz Bouteflika, suivie par des arrestations d’oligarques, qui donc en a tiré jusqu’à aujourd’hui le plus de profit ?… La réponse à cette question donne la mesure de ce que le mouvement populaire contient de force et de carence. Chantons donc la force du mouvement populaire, et, précisément pour l’augmenter, notons les carences, et cherchons les solutions.

 

Comités populaires.

L’une des solutions, sinon la première et la plus importante, ne réside-t-elle pas dans la constitution de comités populaires de base ? Ils devraient être réellement démocratiques, accueillant toutes les composantes du mouvement populaire, pour établir une organisation autonome, produisant ses mandataires représentatifs.

Certains déclarent qu’il suffit que les marches populaires continuent, qu’elles sont un moyen de pression suffisant sur les autorités étatiques. N’est-ce pas là une manière erronée, sinon manipulatrice, d’occulter quand pas mépriser la nécessité pour le mouvement populaire de s’organiser de manière plus conséquente ? Des marches hebdomadaires impressionnantes mais sans comités populaires de quartier avec activité quotidienne, n’est-ce pas un géant aux pieds d’argile, un océan sans fleuves et pluie pour l’alimenter ?

Que l’on consente de parler avec des citoyennes et citoyens qui, bien que désirant un système social nouveau, équitable, ne participent néanmoins pas ou plus aux marches hebdomadaires. Voici leur propos : « À quoi bon continuer à marcher chaque semaine dans les rues, après huit mois ?… On tourne en rond !... Ne faut-il pas, désormais, disposer d’une organisation autonome et de mandataires représentatifs pour aller de l’avant ?… Le pouvoir étatique, lui, est organisé et dispose de ses représentants. Pourquoi pas nous, le peuple ? »… À l’objection : « Mais les autorités ne le permettront jamais ! », cette contribution a déjà fourni la réponse : la liberté n’est jamais un cadeau, mais une conquête !… Ajoutons ceci : que l’on prenne la peine d’imaginer des citoyens qui veulent constituer librement un comité populaire de quartier. Et efforçons-nous de comprendre quelle est la signification pratique de cette initiative dans le cadre du mouvement populaire… Evidemment, à e sujet, certains « intellectuels » présenteront des « analyses » pour déplorer que le peuple algérien, pour divers motifs, n’est pas capable de faire plus que de marcher hebdomadairement pour, finalement, échouer. Bien que ces motifs sont à considérer, sont-ils néanmoins un argument pour se cantonner dans sa confortable tour d’ivoire élitaire, dorloté par une « bonne » conscience ?

Concluons. Est-il nécessaire d’attendre l’échec du mouvement populaire pour ouvrir les yeux sur ses carences, en se lamentant par la suite ? Est-il correct et honnête de les noter pour justifier une inertie personnelle, tellement convenable, enjolivée par l’orgueil égoïste d’avoir tout compris ? Ou, au contraire, ne doit-on pas déceler ces carences du mouvement populaire le plus tôt possible, et débattre des solutions adéquates, pour qu’il réussisse à réaliser ses légitimes objectifs ?

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(1) In http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/10/le-mystere-de-l-intifadha-populaire-algerienne.html

(2) In http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/08/que-vive-la-democratie-directe.html

(3) In « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-theatre-oeuvres-ecrits%20sur%20theatre_ethique_esthetique_theatre_alentours.html

(4) In http://kadour-naimi.over-blog.com/2017/12/au-theatre-les-absents-sont-les-artistes.html

(5) In http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/09/slimane-benaissa-un-prototype-theatral-du-systeme-bouteflikien.html

 

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 9 Octobre 2019

Lors du 33e vendredi de manifestations à Alger-Centre. PPAgency

Lors du 33e vendredi de manifestations à Alger-Centre. PPAgency

Partout dans le monde, et depuis toujours, un mouvement populaire vise à se doter le plus tôt possible d’une organisation autonome, pourvue de mandataires représentatifs. Car tout mouvement populaire dans le monde, en absence d’une telle auto-organisation et de tels mandataires représentatifs, fut voué à l’échec, soit en étant récupéré par une partie de l’oligarchie combattue, qui, alors, conquiert l’hégémonie, soit en disparaisssant tout simplement parce que l’oligarchie dominante dispose, elle, de sa propre organisation et de ses propres mandataires représentatifs.

Alors, pourquoi et en quoi le mouvement populaire algérien actuel ferait exception ?

En effet, au huitième mois du soulèvement, pas d’auto-organisation autre que celle des manifestations hebdomadaires, et pas de mandataires représentatifs ?… L’auteur de ces lignes pose cette question depuis le début de l’intifadha, revenant à plusieurs reprises sur ce problème (1). Une minorité d’autres Algériens évoquent également la nécessité d’une auto-organisation complémentaire du mouvement social, sous forme de comités populaires autonomes, produisant des mandataires représentatifs. Mais encore rien !… Aussi, les circonstances exigent de revenir sur ce problème.

Rappelons et éclaircissons davantage. D’une part, le mouvement populaire démontre une remarquable organisation et un admirable comportement tactique lors de ses manifestations hebdomadaires, tant générales qu’estudiantines. Cela prouve la présence d’un encadrement très compétent, quelque soit sa nature : propre au mouvement populaire ou composé de manipulateurs, internes ou étrangers, ou, encore, un mélange des deux types d’agents. De là, la question fondamentale : quelle est l’identité des membres de cet encadrement ? Qui représentent-ils réellement ?

 

Manipulations ?

Certains pensent aux manipulateurs des agences étrangères états-uniennes, spécialistes des « révolutions colorées ». Certes, des aspects du mouvement populaire permettent cette hypothèse : pacifisme et sourires, nettoyage des rues. Cependant, il est incontestable que le peuple des manifestants exprime, au-delà de toute hypothétique manipulation, des exigences légitimes. Toutefois, elles se cantonnent essentiellement à des négations (« Yatnahou ga3 ! », « Qu’ils dégagent tous ! »), pour proposer de temps à autre des « personnalités » non compromises avec le système social rejeté… Or jamais, nulle part, des « personnalités », aussi honnêtes et compétentes soient-elles, n’ont permis la réalisation des objectifs les plus essentiels d’un mouvement populaire. Pas même Lénine, ni Mao Tsé Toung, ni Ho Chi Minh, ni Fidel Castro. Pas même Gandhi, ni Nelson Mandela !… Les preuves en sont là : une oligarchie ancienne fut remplacée par une oligarchie inédite, d’une certaine manière plus cruelle envers le peuple que la précédente, avec le prétexte de savoir mieux que le peuple en quoi consiste son « bonheur ».

D’autres pensent à des manipulations intérieures du mouvement populaire, venant du « clan » oligarchique algérien vaincu par celui actuellement vainqueur. Hypothèse également à considérer, tout en sachant que l’intifadha (secousse) populaire a ses motifs propres et légitimes d’exister.

 

Occultation.

Bien entendu, seul un ignorant ou un naïf peut s’étonner de constater que les « personnalités » politiques algériennes de l’opposition n’évoquent jamais la nécessité de l’auto-organisation de comités populaires autogérés, produisant leurs mandataires représentatifs, afin de concrétiser les objectifs légitimes du mouvement populaire. Un exemple. Saïd Sadi, vieux routier de l’opposition, souligne, dans une très récente déclaration : « Il reste à répondre à la déjà vieille question de savoir par quelle stratégie la révolution peut faire concrétiser au mieux et au plus vite son objectif de refondation nationale ». Et Saïd Sadi envisage : « Des actions diversifiées et pacifiques sont à même d’augmenter la pression sur le pouvoir afin d’écourter ces périodes grises propices aux provocations. » (2) N’est-ce pas vague, trop vague, donc sans consistance pratique ?… Sacrés donneurs de leçons et de « sauveurs du peuple » ! Il leur est impossible de s’intéresser et de comprendre que le peuple ne peut réellement se sauver que par sa propre auto-organisation autonome, autogérée, disposant de ses propres mandataires représentatifs ; que donc les Saïd Sadi peuvent tout au plus être invités à donner des avis, mais jamais se voir confier la gestion de la société, afin d’éviter de voir s’établir une nouvelle oligarchie, dite « libérale », « moderniste », « laïque » (et qu’on ajoute les étiquettes les plus luisantes), mais néanmoins oligarchie. L’histoire ne cesse de le démontrer : les peuples ont à se méfier plus de leurs auto-proclamés « amis » que de leurs déclarés ennemis. Évidemment, les « sauveurs de peuple » traitent ces observations avec condescendance quand pas mépris, en les stigmatisant comme « anarchie », « illusions dangereuses », « propos irresponsables », etc.

 

L’aspect décisif.

Quelque soient les agents qui animent le mouvement populaire, ils semblent s’en tenir aux manifestations hebdomadaires, sans consolider ce mouvement par ce qui lui est indispensable : une auto-organisation horizontale capillaire dans tous les quartiers des villes et villages, sous forme de comités populaires autogérés, choisissant leurs propres représentants sous mandat impératif. Pourquoi ce manque ?

Il est vrai que des manipulateurs du mouvement populaire, étrangers ou internes, n’ont absolument aucun intérêt à voir le mouvement populaire se doter d’une auto-organisation de base, qui l’anime dans la quotidienneté, qui le structure en tant que contre-pouvoir institutionnel réel, fort, capable d’affronter le pouvoir étatique de manière victorieuse. De là, le terrible et légitime soupçon que le mouvement populaire est, malgré lui, manipulé. Par exemple : le mouvement populaire rejette la tenue d’élections organisées par les autorités étatiques. Soit ! Cependant, ces dernières font tout pour réaliser des élections, à la manière des anciennes, en changeant seulement les apparences. Preuve en est la déclaration la plus récente de Mouloud Hamrouche, refusant de participer à ces élections (3).

Alors, pour le mouvement populaire, pourquoi se contenter de refuser les élections proposées par l’adversaire, sans, toutefois, organiser, à sa manière et selon ses possibilités, sa propre et autonome campagne d’élection populaire ?… Parce que le mouvement n’en a pas les capacités ?… Alors, il est dangereusement faible, et court le risque d’être vaincu... Parce que les animateurs, - les authentiques, les honnêtes, et non les manipulateurs -, n’en sont pas convaincus ?… Pour quels motifs ?… Comment et pourquoi donc des animateurs d’un mouvement populaire, ayant fourni toutes les preuves de sa maturité tactique durant huit mois de manifestations populaires, ne produit-il pas son auto-organisation horizontale, la plus large et la plus insérée dans la population ?… N’est-ce pas montrer une remarquable capacité tactique, mais une absence de capacité stratégique ? En effet, les manifestations hebdomadaires constituent des batailles, mais pas la guerre. Celle-ci consiste, pour le mouvement populaire, à se concrétiser de manière institutionnelle, pour sortir vainqueur, autrement dit à remplacer un système social prédateur oligarchique par un système social au bénéfice du peuple et de sa nation. Dès lors, pourquoi pas d’existence de comités citoyens autogérés dans les quartiers populaires des villes, dans les villages et partout où vivent des collectivités locales ? Sans ces structures organisationnelles, comment un mouvement populaire, quelque soit la puissance et les performances de ses démonstrations de rues et de places publiques, peut-il être autre chose qu’une masse de manœuvre utilisée par la composante hégémonique de l’oligarchie dominante, au service de ses intérêts exclusifs ?... En effet, qu’a donc obtenu le mouvement populaire jusqu’à présent sinon la victoire d’une partie de l’oligarchie dominante sur une autre partie, la victorieuse pratiquant la même politique autoritaire que la vaincue, en ce qui concerne les droits citoyens légitimes ? Encore une fois, la déclaration de Mouloud Hamrouche le prouve, au point de reconnaître : « Je vous le dis sincèrement : même si j’étais élu Président dans le cadre du processus actuel, je ne pourrais rien faire. » Il va jusqu’à avouer : « Il y a des choses que je ne peux pas dire ». Est-ce là des signes d’un changement positif dans le système de gouvernance actuel, par rapport à celui de Bouteflika ?

N’est-il pas pertinent de conclure, en paraphrasant une fameuse expression : « Intifadha populaire algérienne, où est ta victoire ? », autrement dit la concrétisation de ton propre objectif, à savoir l’établissement d’un système social authentiquement par et pour le peuple ? Autre manière, concrète et pratique, de poser la question : Intifadha populaire, quelle est ta stratégie ?

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(1) Voir http://kadour-naimi.over-blog.com/

(2) Voir https://www.lematindalgerie.com/said-sadi-lappel-de-novembre

(3) Voir https://www.algeriepatriotique.com/2019/10/05/mouloud-hamrouche-a-ses-partisans-il-y-a-des-choses-que-je-ne-peux-pas-dire/

 

Publié sur Algérie Patriotique (07 octobre 2019), Le Matin d'Algérie, (08 octobre 2019), La Tribune Diplomatique Internationale (07 octobre 2019) - Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

 

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 5 Octobre 2019

Lors d'une des hebdomadaires manifestations du mouvement populaire en Algérie, 2019

Lors d'une des hebdomadaires manifestations du mouvement populaire en Algérie, 2019

Décidément, le mot « démocratie » est à la mode : pour les peuples, c’est une revendication légitime mais qui leur coûte souvent des larmes et du sang, tandis que pour les oligarchies qui se revendiquent de la démocratie, c’est le joli subterfuge masquant le hideux museau du loup désirant dévorer le « petit chaperon rouge » auquel ces oligarchies réduisent les peuples. Mais qu’en est-il dans la réalité ?

 

Définitions.

Bien entendu, commençons par établir, de manière succinate, ce que le mot « démocratie » recouvre (1). L’idée fut inventée dans l’antique Athènes. Cependant, la démocratie dont il était question alors concernait uniquement les membres de l’oligarchie au pouvoir : ceux-ci discutaient librement entre eux et prenaient les décisions qui répondaient à leurs intérêts de caste. Celle-ci excluait les femmes et les esclaves, lesquels constituaient la majorité absolue de la société athénienne. On avait donc affaire à une démocratie de forme oligarchique.

Des siècles plus tard, vint la démocratie états-unienne. Là, encore, malgré le verbalisme, il s’agissait d’une démocratie dont les femmes et les esclaves étaient exclus ; on avait donc affaire à une démocratie oligarchique de forme nouvelle.

Puis vint la Révolution française de 1789. Dans ce cas, s’opposèrent violemment deux manières totalement antagonistes de concevoir la démocratie. Pour les uns, il s’agissait d’appliquer le mot à lettre, c’est-à-dire que le pouvoir soit réellement aux mains du peuple, considéré comme celui des exploités économiquement. Cette conception fut celle des Babouvistes, des Hébertistes, des « Enragés » et des « Sans-Culottes ». C’était la conception authentique du mot « démocratie » : pouvoir du peuple, autrement dit gestion de la société par et pour le peuple, soit l’autogestion sociale.

Pour d’autres, au contraire, la démocratie consistait à faire gérer le pouvoir par une caste. Cette dernière se proclamait « révolutionnaire » et « au service du peuple », mais, en réalité, il s’agissait d’une oligarchique de forme inédite. Elle se constitua notamment par ce qu’elle eut l’outrecuidance d’appeler la « Terreur ». Bien entendu, cette dernière était déclarée un moyen d’éliminer les « contre-révolutionnaires ». Dans la réalité, les victimes furent plus nombreuses parmi le peuple et les partisans de la démocratie authentique.

Enfin, est apparu l’avatar de cette démocratie « révolutionnaire », en fait oligarchique bourgeoise capitaliste, sous forme de « dictature du prolétariat » et de « démocratie populaire ». Là, encore, les tenants du pouvoir, proclamant combattre les « contre-révolutionnaires », éliminèrent non seulement ces derniers, mais, par la suite, une fois consolidés au pouvoir, exterminèrent par la « terreur » dite « rouge » les authentiques révolutionnaires, partisans de la vraie démocratie en tant que pouvoir du peuple. Cette démocratie authentique était incarnée par les soviets libres de travailleurs et de soldats.

Ainsi, partout sur la planète, triompha la « démocratie » dans sa forme oligarchique, de forme « libérale » capitaliste ou de forme « socialiste » de capitalisme étatique. Nous en sommes là.

Mais combien connaissent ces faits historiques ? Dans l’opinion publique, mais également dans la majorité des « élites » intellectuelles, on parle de la démocratie athénienne comme une merveille, en ignorant ou occultant l’exclusion des femmes et des esclaves ; on fait l’éloge de la Révolution française en évoquant Robespierre et les Jacobins, en ignorant ou occultant Babeuf, Hébert, les « Enragés » et les « Sans-culottes » ; on chante la démocratie états-unienne en ignorant ou occultant l’exclusion des femmes et des esclaves, sans parler des habitants originels du pays, les Amérindiens ; enfin, certains regrettent la « démocratie » des ex-pays dits « socialistes » en vantant les mérites de Marx, de Lénine et de leurs semblables, en ignorant ou occultant les expériences d’institution de soviets libres, organes de l’autogestion sociale.

C’est dire combien graves sont l’occultation, d’une part, et, d’autre part, sa conséquence, l’ignorance de ce qu’est la démocratie dans les faits. Voilà pourquoi la forme authentique de démocratie, constituée par l’autogestion sociale, est ignorée parce qu’occultée par la majorité des « élites » intellectuelles, non seulement « libérales » mais tout autant par celles « progressistes » et « démocrates ». C’est que ces deux genres d’ « élites » ont un point commun : une mentalité autoritaire hiérarchique incompatible avec la conception autogestionnaire, laquelle se distingue par le triptyque : liberté, égalité, solidarité. Pour ces « élites », la liberté c’est l’anarchie ; l’égalité c’est favoriser la médiocratie ; la solidarité c’est l’encouragement de la fainéantise.

Ceci étant précisé, il devient, alors, possible de poser la vraie question : de l’authentique démocratie, celle où le peuple exerce réellement le pouvoir à travers ses propres institutions autonomes et ses propres représentants (c’est cela l’autogestion, ou self-government), qui y trouve son intérêt ?

 

Niveau national.

Au sein de chaque nation de la planète, quelque soit son niveau de développement économico-social, ceux qui trouveraient leur intérêt à l’instauration de cette démocratie authentique sont précisément ceux qui pâtissent de la démocratie oligarchique : tous les citoyens qui sont réduits au salariat au profit des propriétaires, privés ou étatiques, des moyens de production économique. Notons ceci : tandis que dans la démocratie oligarchique antique, étaient exclus du droit de délibération et de vote les femmes et les esclaves, dans la démocratie oligarchique tant « libérale » capitaliste que « socialiste » de capitalisme d’État, étaient exclus de la propriété des moyens de production la majorité des citoyens, réduits à des salariés.

Dans l’antiquité, les femmes étaient exploitées en tant qu’épouses s’occupant du foyer familial, et les esclaves étaient exploités pour accomplir tous les travaux manuels ; à l’époque moderne, l’exploitation a fait un progrès, si l’on peut dire : la majorité de la population est exploitée par le salariat au profit d’une oligarchie détenant les moyens de production, de manière privée ou étatique. C’est la forme moderne de l’esclavage. Les sangsues de la sueur du travail acceptèrent l’abolition de l’esclavage (dans l’antiquité comme aux modernes États-Unis) parce qu’ils se rendirent compte qu’ils engrangeaient plus de profit de la part d’un être humain libre que d’un esclave qu’ils devaient entretenir complètement.

C’est donc constater que les exploités économiques, seuls, ont intérêt à la démocratie autogestionnaire. Au contraire, les propriétaires, privés ou étatiques, des moyens de production économique ne peuvent qu’y être opposés, et tenir à la démocratie oligarchique. Ignorons les nations où règne une caste dictatoriale : elle exclut toute démocratie, y compris oligarchique, au profit d’une forme totalitaire de gestion sociale ; c’est la forme extrême d’oligarchie. Certains ont l’outrecuidante imposture de l’appeler... « socialisme ».

 

Niveau international.

Les représentants des oligarchies occidentales proclament toujours qu’ils sont pour la démocratie dans tous les pays de la planète, et déclarent même l’exporter dans les pays dictatoriaux.

Commençons par noter que certains pays ne sont pas considérés comme ayant besoin qu’on y exporte la démocratie, tels l’Arabie dite saoudite ou les Émirats du Golfe. D’autres pays ont vu l’instauration d’une démocratie sous forme de « révolution colorée » : le résultat fut l’instauration d’une oligarchie semblable sinon pire à celle qui fut éliminée : l’Ukraine et la Géorgie, par exemple. Et puis il y a les nations où les hérauts de la démocratie occidentale (entendons oligarchique capitaliste) dénoncent la dictature et proclament la nécessité d’instaurer dans ces nations la démocratie, par exemple la Corée du Nord, l’Iran, le Venezuela, l’Algérie, etc.

Raisonnons alors de la manière la plus simple et la plus concrète.

Dans les nations où n’existe pas la démocratie, pas même oligarchique de forme capitaliste occidentale, quelle est la situation ?… Un gang mafieux, constitué d’une caste dominant l’État, gère le pays par la terreur. Bénéficiant des pots-de-vin de toute sorte (2), d’une part, ce gang vend au plus bas prix les matières premières et la force de travail de la nation aux oligarchies des pays économiquement (et militairement) dominants ; et, d’autre part, ce gang importe les produits de ces pays dominants au plus haut prix, en s’arrangeant pour contrecarrer toute possibilité de la nation à se doter d’une production économique autonome. Ainsi, les deux oligarchies, celle du pays dominant et celle du pays dominé, satisfont leurs intérêts : profits colossaux pour les multinationales, et pots-de-vin consistants pour les gangsters qui gèrent les pays dictatoriaux (d’une manière ouverte ou déguisée par des simulacres d’élections « démocratiques »).

Dans ce cas, les membres des oligarchies économiquement hégémoniques, d’une part, et, d’autre part, celles dominées ont-elles intérêt à l’instauration de la démocratie de forme autogestionnaire dans les nations économiquement dominées ?… La démocratie autogestionnaire, c’est la gestion de la nation par et pour le peuple. Dans ce cas, le peuple, possesseur réel des ressources matérielles du pays, les vendrait au prix le plus cher sur le marché international, d’une part, et, d’autre part, créerait sa propre structure économique afin de mettre sur son marché intérieur les produits au plus bas prix. Cette situation est, évidemment, contraire aux intérêts aussi bien des oligarchies hégémoniques mondiales que de celles subalternes des nations dominées.

Allons plus loin. Les membres des oligarchies économiquement hégémoniques, d’une part, et, d’autre part, celles dominées, qui vivent par les pots-de-vin, - formant donc une oligarchie de forme compradore, rentière -, ont-elles intérêt à l’instauration, dans les nations dominées, d’une démocratie de forme oligarchique mais constituée par un groupe capitaliste nationaliste ? La caractéristique de ce dernier est de se constituer en groupe autonome opérant dans sa nation, en cherchant à y créer une structure économique indépendante, répondant aux besoins internes de la nation, d’une part, et, d’autre part, au niveau mondial, à entrer en concurrence avec les autres groupes capitalistes. En Algérie, un représentant de ce groupe est Issad Rebrab ; les déboires qu’il a rencontrés deviennent compréhensibles. Leur motif n’est-il pas dans le fait que l’Algérie est dominée par une oligarchie de forme compradore ? D’où une corruption de type structurelle ? (3) Ce fait n’a-t-il pas comme preuve plus significative la situation de l’Algérie ? Soixante années après l’indépendance, elle est dans la dépendance économique. Le contre-exemple est la Corée du Sud : se trouvant en 1962 au niveau économique de l’Algérie, et ne disposant ni de pétrole ni de gaz, cette nation a acquis un développement économique qui lui permet même d’exporter de la technologie.

D’où il devient évident que les oligarchies économiquement hégémoniques sur la planète, et leurs subordonnées oligarchies compradore dans les nations dominées, n’ont absolument aucun intérêt à voir les nations économiquement dominées se doter de démocratie, que cette dernière soit de forme oligarchique mais économiquement productiviste, ou de forme autogestionnaire.

N’est-ce pas là le fond, l’essentiel en ce qui concerne le thème de la démocratie ? Ainsi, ne deviennent-ils pas plus clairs les enjeux des conflits aussi bien au niveau international que national, quelque soit le pays considéré ? N’est-elle pas évidente la difficulté extrême pour les peuples à concrétiser l’authentique démocratie, celle où réellement ce sont eux qui gèrent la collectivité dont ils font partie ? N’est-il pas plus aisé de comprendre pourquoi l’expression la plus occultée est précisément celle de démocratie autogestionnaire, avec son triptyque : liberté, égalité, solidarité ? Enfin, ne constate-t-on pas combien la majorité des « élites » ne produisent que des considérations caractérisées principalement par l’ignorance sinon l’occultation des réalités sociales, agissant ainsi en idéologues mandarins, trouvant leurs intérêts de caste en servant ceux d’une oligarchie dominante ? Toutes ces considérations ne fournissent-elles pas un éclairage essentiel sur les événements qui caractérisent l’actuelle intifadha populaire en Algérie, ainsi que les combats de tous les peuples de la planète pour leur émancipation authentique ?

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(1) Détails dans mon essai « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?... » librement disponible in https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-guerre-paix.html

(2) Voir « Comment affronter l’hydre de la corruption » in https://www.algeriepatriotique.com/2019/09/25/une-contribution-de-kaddour-naimi-comment-affronter-et-vaincre-les-corrompus/

(3) Idem.

Publié le 30 septembre 2019 sur Algérie Patriotique, Le Matin d'Algérie, La Tribune Diplomatique Internationale. - Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

 

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Rédigé par Kadour Naimi

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