Publié le 29 Septembre 2019

Comment affronter l’hydre de la corruption

Problème.

Déjà, au IVè siècle avant J.-C, on le savait : « « Le peuple a faim parce que celui qui est en haut se mange trop de taxes. Voilà pourquoi le peuple a faim. Le peuple est difficile à gouverner parce que celui qui est en haut aime exagérer. Voilà pourquoi il est difficile de gouverner. » (Lao Ze).

À présent, quelques dictons d’intelligence populaire : « Quand la tête du poisson et pourri, le corps l’est aussi », « Quand le bon Dieu joue de la musique, les anges dansent », « Si vous voulez que le peuple soit honnête, que le chef de la nation donne le premier l’exemple », etc. C’est donc constater que le phénomène de la corruption est à éliminer d’abord parmi les chefs : en premier lieu, de la nation, ensuite des chefs d’entreprises (bancaires, industrielles, etc.), à commencer par les multinationales, au niveau international, et par les entreprises nationales, qu’elles soient privées ou étatiques.

Voici la situation actuelle : - Question : «Comment ces chefs d’État peuvent-ils céder à la tentation ? » - « Eva Joly : C’est très souvent parce qu’ils sont payés, eux, à titre personnel avec des fonds sur des comptes (...). C’est très peu cher pour les multinationales. Ils donnent 100, 120 millions aux dirigeants corrompus et moyennant quoi ils peuvent continuer à piller le pays. » Un exemple : «  l’argent de Elf était réparti : un peu retournait en Afrique mais beaucoup restait en France et servait pour les besoin propres des dirigeants, pour leurs femmes, leurs enfants, leurs maîtresses, pour leur train de vie. » (1)

Voilà donc la racine du mal, du problème. Et cela partout dans le monde, aussi bien développé que sous-développé. Cependant, dans ce dernier genre de nation :

« Le fait grave est que ce type de corruption n'est pas comparable avec celle existante dans les pays démocratiques. La corruption dans les pays soumis à dictature (interne ou externe) constitue un cancer dans le système économique et social. Il empêche n'importe quelle activité économique saine et n'importe quelle relation sociale saine, depuis le chef du gouvernement jusqu'au plus modeste policier de quartier. » (2)

Par conséquent, le premier devoir des citoyens, pour savoir ce qu’il en est de l’intégrité éthique de leurs dirigeants, d’abord étatiques, ensuite économiques, est d’exiger d’eux, - je dis bien : exiger !, car c’est un droit citoyen fondamental, celui de savoir qui sont leurs dirigeants -, que ces derniers donc déclarent tous les biens qu’ils possèdent, et comment ils en sont devenus propriétaires. Ensuite, en faire de même avec les membres de la soit disant « élite » administrative, intellectuelle, bref partout où des « chefs », - grands d’abord, intermédiaires ensuite, petits enfin -, opèrent dans tous les domaines sociaux. En Algérie, les citoyens en manifestation l’ont compris : « Khlitou al blâd, ya sarraguîne ! » (Vous avez mangé le pays, ô voleurs !) Et les manifestants ne sont pas dupes : leur accusation véridique ne visent pas uniquement certains, une frange, un « clan », comme on dit en Algérie, mais tous les membres de tous les « clans » qui s’enrichissent sans vergogne au détriment du peuple, et cela d’abord au plus haut sommet de la hiérarchie étatique. Souvenons-nous. En Algérie, dernièrement, un général qui occupait une fonction stratégique, dont on découvrit les méfaits, et qui se trouve actuellement en prison, déclara en substance qu’une personne ayant les mains sales ne peut pas juger une autre. N’est-ce pas avouer, implicitement, qu’en « haut » tout est pourri ? Et, venant d’un général ayant occupé une haute fonction, peut-on en douter ?… Écartons un malentendu. Il ne s’agit pas de laisser entendre que « tout est pourri », mais « qu’il y a quelque chose de pourri » au sein même de l’État, cela n’est-il pas certain ?… Et que l’on ne vienne pas objecter, comme à l’habitude, que le Chef suprême n’en sait rien : dans ce cas, il faut qu’il démissionne ou le licencier, comme n’importe quel travailleur incompétent.

Dès lors, plutôt que reprocher à un pauvre diable du peuple d’être corrompu, ne faut-il pas, d’abord, s’occuper des individus qui ont instauré la corruption au plus haut de la hiérarchie sociale ?… Certes, il est facile de s’en prendre à un pauvre diable, et non à un individu disposant d’une force hiérarchique de dissuasion. Dès lors, se comprennent les résistances venant d’en « haut » contre tout changement social qui exige l’élimination de la corruption en tant que système, soulignons-le, car l’hydre de la corruption a plusieurs têtes : il ne suffit pas d’en éliminer une ou quelques unes, mais de mettre fin à la bête toute entière.

 

Solution.

Ceci dit, dénoncer la corruption en tant que système est nécessaire, mais ce qui est indispensable est que le peuple se crée les instruments adéquats pour obliger ces grands voleurs, dans la hiérarchie sociale, à cesser leurs méfaits. Pour cela, le peuple n’a pas d’autre choix, - les expériences le prouvent partout dans le monde -, que de disposer d’un pouvoir effectif. Sans lui, les voleurs continueront à voler, éventuellement en changeant de tactique. L’une d’elles est de corrompre un autre genre ou davantage d’individus, question de les faire taire en les rendant complices du vol, et, donc, du maintien du système de corruption existant. « Ranâ chab3anîne bî fadh 3mî Massoud ! » (Nous sommes rassasiés grâce à notre oncle Messaoud, à savoir la rente pétrolière) me déclara, toute honte bue et tout fier de son infamie, un ex-directeur de théâtre régional.

Et l’autre moyen pour maintenir la corruption est, bien entendu, la répression. Ce n’est pas par hasard que la violence étatique soit la plus manifeste et la plus grave dans les pays sous-développés mais disposant de matières premières, et dont les dirigeants ont une haine inflexible contre toute forme de démocratie. Sans elle, en effet, ces dirigeants étatiques bradent les ressources premières de la nation aux multinationales de façon criminelle en échange de misérables millions leur servant à jouer aux nouveaux riches et aux nababs. C’est dire que le sous-développement est d’abord celui des dirigeants étatiques de ces pays, sous-développement de leur cerveau parce que de prédateur pré-historique et, pour parler en terme psychiatrique, psychopathe, autrement dit d’où est absent totalement le moindre signe de scrupule, et donc est présente une pratique systématique de la violence la plus extrême. Tout moyen qui enrichit ces obsédés de l’argent est le bon, y compris le massacre des citoyens qui protestent pacifiquement. Il reste seulement à ces derniers de trouver, eux, l’organisation concrète pour affronter et vaincre ce genre d’adversaire. Tout le problème est là.

Dans son entretien, Eva Joly propose de « créer un registre mondial de biens qui permettrait de suivre qui est propriétaire de quoi, partout ». Mais comment cette proposition serait possible tant que les multinationales (car là se trouvent les premiers responsables de la corruption, ne l’oublions jamais, comme il ne faut pas oublier que les premiers de ces responsables ne sont pas les dirigeants mais les actionnaires), que les multinationales donc dominent en corrompant les dirigeants étatiques non seulement des pays sous-développés mais également de ceux développés ?… N’est-ce pas le système capitaliste lui-même qui est la cause première de cette corruption, laquelle est structurelle ? Et donc que c’est ce système même qui est à éliminer, au bénéfice d’un autre destiné à servir de manière équitable et solidaire l’humanité en tant que telle ? E où le trouver sinon dans l’autogestion sociale généralisée ?… « Soyons réalistes, demandons l’(apparemment) impossible ! » En y consentant les efforts nécessaires tout en sachant le rôle du facteur temps.

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(1) Entretien avec Eva Joly in https://tribune-diplomatique-internationale.com/index.php/2019/09/21/entretien-avec-eva-joly-ils-donnent-100-120-millions-aux-dirigeants-corrompus-et-moyennant-quoi-ils-peuvent-continuer-a-piller-le-pays/

(2) Kaddour Naïmi, « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?... » p. 110-111, librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-guerre-paix.html

 

Publié le 25 septembre 2019 sur Algérie Patriotique, le 25 septembre 2019 Le Matin d'Algérie,  le 26 septembre 2019 La Tribune Diplomatique Internationale. - Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 24 Septembre 2019

Maniestation populaire en Algérie, 2019

Maniestation populaire en Algérie, 2019

Dans ma jeunesse, après avoir participé activement au soulèvement populaire-estudiantin appelé de mai 68, en France, son échec m’obligea à m’efforcer d’en comprendre les motifs (1). Ce constat me porta plus loin : comprendre d’une manière générale l’échec des révolutions populaires (2). Comme, à présent, j’essaie de comprendre dans quelle mesure l’actuel mouvement populaire en Algérie risque d’échouer dans son objectif fondamental : changer de système social. En addition à ce que mes textes précédents ont déjà exposé (3), voici un aspect complémentaire : la relation entre un mouvement social et l’individu en tant que tel qui y participe.

Vers la fin de 1968, le hasard m’a mis entre les mains une brochure intitulée : « Qu’est-ce qui te fait courir, camarade ? ». Écrite par une personne ou un collectif d’auteurs ayant gardé l’anonymat, cette brochure m’a beaucoup éclairé. Voici ce que j’en ai tiré, sur la base de mon expérience militante personnelle.

Ce qui fait courir la majorité des « camarades », autrement dit des personnes qui déclarent, plus ou moins clairement et honnêtement, contribuer à un changement radical (4) de système social, ce qui les fait courir donc n’est pas en réalité de contribuer à la réalisation de ce système radical. Les motifs réels de ces « camarades » est d’abord d’investir dans le mouvement collectif pour leurs propres intérêts individuels, et cela de deux manières.

 

Conscience et... inconscience ?

La première est consciente. Ces personnes ambitionnent de devenir des leaders, d’une part, adorés comme « géniaux » et « sauveurs », et, d’autre part, pouvant tirer de cette position élitaire hiérarchique des bénéfices vulgairement matériels, tels bureau de travail, voiture et chauffeur de service, salaire et avantages particuliers, bref devenir des personnes privilégiées. Pour y parvenir, bien entendu, ces personnes combattent pour un système où la hiérarchie sociale et l’autoritarisme qui va avec demeurent. Certains embelliront ce système d’expressions pompeuses, telles « dictature du prolétariat » ou « démocratie populaire ». En réalité, il s’agit de d’établir une nouvelle caste pour laquelle le radicalisme qu’est l’autogestion sociale généralisée est considéré comme « anarchie », « désordre », « non productivité », etc. En fait, ces « camarades », visant à diriger, sont conscients que leur intérêt de caste (dirigeante) est incompatible avec l’autogestion sociale où tous les membres de la collectivité sociale, - de manière libre, égalitaire et solidaire -, contribuent au fonctionnement de tous les domaines sociaux : économique, politique et intellectuel (5).

Cependant, il est possible que ces camarades, ou certains d’entre eux, agissent de manière autoritaire et hiérarchique sans s’en rendre clairement compte. Ils sont persuadés d’être animés de bonnes intentions. En effet, pour parler uniquement des plus significatifs, peut-on nier qu’un Karl Marx, un Lénine, un Mao Tsé Toung ou un Fidel Castro ont agi de manière consciente pour s’ériger en caste étatique (6) ? Cependant, leurs adversaires anarchistes (7) les avaient critiqués, avertis et même prédit l’échec de leur action, parce que le « radicalisme » de ces dirigeants « géniaux » et « omniscients » restait emprisonné dans la mentalité autoritaire hiérarchique (8). Cette mentalité est caractéristique de l’histoire de l’humanité, une fois constituées des agglomérations, et cela depuis l’antiquité. L’histoire a désormais montré qui avait tort et qui avait raison. Cependant, la mentalité hiérarchique autoritaire est encore tellement ancrée dans les esprits des « réformateurs » et « révolutionnaires » qu’on en est encore à considérer les théories et pratiques autogestionnaires comme des utopies ou des conceptions qui menacent l’ « ordre » social. Or, celui-ci n’est-il pas basé, en réalité, sur le désordre constitué par l’exploitation économique de la majorité des citoyens par une minorité oligarchique ?

Est-ce un hasard si les marxistes, depuis toujours, ont violemment nié l’existence de la psychologie, parce qu’elle accorde de l’importance à l’inconscient et au subconscient ?… En effet, c’est précisément dans ces domaines psychiques que demeure la mentalité autoritaire hiérarchique. Du point de vue psychique, d’où vient cette mentalité sinon d’un ego excessif et égoïste, parce qu’au lieu de servir la collectivité comme simple membre, cet ego se sert de la collectivité pour s’auto-ériger (et se faire ériger par sa « cour ») en « Leader Génial », « Père des Peuples », « Timonier », « Lider Massimo », etc., en réprimant violemment toute contestation de ce leadership. D’où l’on comprend la peur qu’ont des dirigeants de ce genre vis-à-vis de la psychologie, car elle révèle les ressorts cachés (inconscients) de leur action « révolutionnaire ». Écartons tout malentendu. Ces leaders ont grandement contribué à un changement social, ont accepté d’énormes sacrifices, mais, une fois au pouvoir, ils imposèrent à leur peuple leur propre schéma, une forme inédite de hiérarchie autoritaire dont ces leaders étaient les chefs incontestés, et, cela, par la terreur. Ils la justifiaient comme action contre les « contre-révolutionnaires », mais les faits prouvés montrent que cette répression s’exerçait tout autant, quand pas davantage, sur les citoyens qui dénonçaient la transformation du processus de rupture sociale révolutionnaire en système totalitaire conservateur, de type hiérarchique autoritaire.

Cette mentalité hiérarchique autoritaire est à tel point puissante que les plus révolutionnaires, comme ceux évoqués plus haut, n’ont jamais admis que leurs actes étaient animés de telle manière à créer une caste inédite. Ils parlaient de la nécessité d’un ordre social et de discipline ; cependant, comme par hasard, cet ordre et cette discipline s’exerçaient au détriment du peuple. Les écrits théoriques de ces dirigeants se sont efforcés de toutes les manières pour justifier la nécessité de la hiérarchie et de l’autorité comme moyens pour construire la société « idéale » pour laquelle ils déclaraient combattre. Mais quand on a constaté la justesse des vues de leurs adversaires. Proudhon refusa de collaborer avec Marx en déclarant qu’il était contraire à la création d’une nouvelle « église » et d’un nouveau « dogme » ; Bakounine déclara que le plus pur et le mieux intentionné révolutionnaire, une fois au pouvoir, se transforme rapidement en le plus cruel des dictateurs. Ce fut le cas ! J’en ai personnellement beaucoup souffert, dans mon adolescence, car j’avais commencé par être marxiste-léniniste-maoiste-guévariste. C’est ma participation au soulèvement social de mai 1968 qui m’a éclairé sur mon erreur. Endoctriné par mon marxisme, j’ambitionnais à devenir un leader « sauveur du peuple ». Alors qu’il faut rendre leader le peuple lui-même, par la pratique de l’autogestion. L’ « Internationale », écrite par un ouvrier cordonnier, le chante : « Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes. Décrétons le salut commun ». Autrement, c’est l’échec : soit le mouvement est écrasé par une oligarchie traditionnelle déjà existante, soit il est manipulé pour accoucher d’une oligarchie inédite, mais en pire, car elle prétend représenter le peuple. Qu’on le veuille ou pas, n’est-ce pas là une réalité, partout et toujours dans le monde ?

 

Les « buffles du peuple ».

Reste, parmi les « camarades », une infime minorité. Ils « courent » réellement pour les intérêts authentiques du peuple, parce qu’ils s’y reconnaissent entièrement. L’un deux, un écrivain chinois nommé Lou Xun, utilisa même cette significative métaphore, se déclarant « le buffle du peuple ». Et non pas son « cavalier » (son chef). Ma pratique personnelle m’a, hélas, montré combien trop nombreux sont les « camarades » qui combattent pour un changement social où ils deviennent des membres d’une caste privilégiée. De fait, examinons toutes les expériences révolutionnaires dans le monde : la majorité des ex-combattants révolutionnaires se transforment en « bureaucrates », « intellectuels », « experts », « écrivains », « artistes », etc., bref en membres d’une nouvelle caste au détriment du peuple. Et c’est précisément cette caste qui cause la faillite de l’entreprise authentiquement révolutionnaire, au point que celle-ci finit, quelques années ou décennies après, en un capitalisme dans une sauce plus ou moins officiellement déclarée.

Quand les militants ayant participé à des soulèvements populaires expliquent leurs échecs par le manque, d’une part, d’organisation autonome, et, d’autre part, d’individus formés au service du peuple, ils disent ceci : la majorité des détenteurs de savoir, même s’ils agissent au sein d’un soulèvement populaire, en réalité servent leur propre compte individuel. La preuve ?… Jamais ils ne parlent d’autogestion sociale, jamais ils ne parlent et agissent pour la formation d’une organisation autonome des citoyens et de représentants issus d’elle. Le cas le plus ahurissant est celui-ci : les dirigeants du parti bolchevique, Lénine et Trotski en tête, fêtèrent l’anniversaire de la Commune de Paris de 1871, au moment même où l’armée « rouge », commandée par le second, et sous l’ordre du premier, massacra les militants des soviets libres, sous prétexte qu’ils étaient des « contre-révolutionnaires », alors que ces soviets étaient, exactement, des répliques de la Commune de Paris ! Dès lors, faut-il s’étonner des impostures de « leaders » de calibre inférieur ? Dès lors, on comprend qu’est-ce qui fait courir les « camarades » et, par suite, jusqu’à présent l’échec des mouvements sociaux visant réellement à l’appropriation et à la gestion du pouvoir par le peuple lui-même, à travers ses institutions réellement autonomes et de ses mandataires réellement représentatifs.

 

« Et à l’aurore, où est l’espoir » ? (9)

Les désolantes constatations qui viennent d’être exposées signifient-elles jeter l’éponge, perdre tout espoir, ou, pis encore, mépriser le peuple ?… Que non ! Simplement le processus d’émancipation de l’humanité vers son autogestion a besoin de temps ainsi que de conditions matérielles et, surtout, psychiques et éthiques (morales, si l’on veut). Attendre, comme affirment les marxistes, que les contradictions s’aiguisent dans l’économie pour arriver à une rupture sociale, cette hypothèse a montré, désormais, que ce facteur, bien qu’important, n’est pas suffisant.

Ce n’est pas un hasard si les marxistes ont très peu écrit sur la « morale » et l’ « éthique », tandis que les autogestionnaires l’ont fait davantage. Et quand les marxistes ont écrit sur la morale, le constat est lamentable (Trotski) ; au contraire, qu’on lise l’ouvrage de Kropotkine sur le même thème.

Voilà pourquoi, personnellement, je considère l’humanité encore dans sa phase primitive, celle où dominent la hiérarchie et l’autorité. Et que cette humanité entrera réellement dans la civilisation, au sens le plus correct et noble du terme, seulement quand la partie exploitée économiquement, dominée politiquement et aliénée idéologiquement comprendra les illusions de tous les systèmes sociaux jusqu’ici existants, pour essayer, non pas le « modèle » ou les « recettes » proposés par des « savants » et « experts » en tout genre et de toute couleur politique, mais d’exercer le pouvoir « par le peuple et pour le peuple » de manière véritable, concrète. Cette pratique s’appelle autogestion sociale. Ne doit-on pas, ainsi, conclure : « Révolutionnaires ! Encore un effort pour oser non pas vous servir du peuple, mais le servir ! » Car plus il sera libre et solidaire, plus vous le serez. Dans ce but, ne faut-il pas accorder toutes leurs importance, outre à l’économie, à la politique et à l’idéologie, également et tout autant à l’éthique et à la psychologie, aussi bien collectives qu’individuelles ? Pour revenir au mouvement populaire algérien actuel, où en sommes-nous dans ces domaines ?

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(1) Voir « Liberté solidaire: la traversée de mai 68 par un jeune algérien » in http://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits-mai-68.html

(2) Voir « AUTOGESTION E HÉTÉRO-GESTION : DU PROCESSUS DE RUPTURE RÉVOLUTIONNAIRE AU SYSTÈME CONSERVATEUR TOTALITAIRE. Etude comparative Russie - Algérie », in http://www.kadour-naimi.com/f-societe-autogestion-heterogestion-revolution.htm

(3) In http://kadour-naimi.over-blog.com/

(4) Constatant l’actuelle totale confusion de certains termes, il est indispensable de rappeler chaque fois ce qui est entendu, ici, par « radical » : abolir le salariat, parce que basé sur l’exploitation de la force de travail intellectuel et physique, au bénéfice du travail coopératif solidaire ; 2) donc, abolir le fonctionnement politico-juridique et la production idéologique qui justifient ce fonctionnement économique, au bénéfice d’une autogestion sociale généralisée.

(5) Dans ce cas, dire « idéologie » serait impropre. La définition exacte de celle-ci est la production d’idées qui ne correspondent pas à la réalité matérielle et sociale, mais sont exprimées pour jusfifier de mannière extra-scientifique des faits.

(6) Et non pas seulement « bureaucratique », comme le prétendait Trostski, lequel, professant lui aussi une idéologie autoritaire hiérarchique, ne voyait dans le « stalinisme » qu’une exubérance administrative, et non pas un système social inédit, où la bureaucratie n’est que l’un des aspects et non l’unique.

(7) Précisons que ce terme tellement galvaudé et manipulé équivaut, en théorie et en fait, essentiellement à l’idéal d’autogestion sociale.

(8) Signalons, néanmoins, deux leaders qui constituent l’exception à la règle consistant à profiter de la position sociale acquise pour s’ériger en dictateur accroché au pouvoir : Gandhi et Nelson Mandela.

(9) Titre d’un poème de Nazim Hikmet, ayant servi également de titre à l’une de mes pièces théâtrales, voir http://www.kadour-naimi.com/f-aurore_espoir.htm

 

Publié le 19 septembre 2019 sur Algérie Patriotique, le 21 septembre 2019 sur Le Matin d'Algérie, le 20 septembre 2019 sur  La Tribune Diplomatique Internationale. - Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 24 Septembre 2019

Lors d'une manifestation populaire en Algérie, 2019

Lors d'une manifestation populaire en Algérie, 2019

Gandhi lors d'une marche populaire.

Gandhi lors d'une marche populaire.

Une scène du film « Gandhi » réalisé par Richard Attenborough (disponible sur Youtube) vient à la mémoire, au regard des combats pacifiques des peuples pour leur émancipation, comme c’est l’exemple actuellement en Algérie.

Voici Gandhi à la tête d’un groupe de citoyens qui avancent pour affirmer un droit fondamental et légitime des citoyens. Leur chemin est barré par des policiers, tenant des gros bâtons en main. La tête du cortège de manifestants s’arrête, hésite, a peur, mais réfléchit. Puis Gandhi et ceux qui sont avec lui avancent lentement mais résolus. Ils sont violemment bastonnés au point de tomber par terre où ils gisent. Un second groupe de manifestants avance. Encore bastonnés de la même manière et tombés à terre. Un troisième groupe avance. Même traitement. Etc. Mais, à la fin, les manifestants triomphent : ils ont montré leur capacité d’affronter la violence de manière pacifique, organisée, unie, résolue, et d’y aller jusqu’au dernier s’il le faut.

Cependant, et c’est fondamental : des journalistes étaient présents, et ont relaté l’événement dans les principaux journaux du pays et du monde. Ainsi, la conscience de l’opinion locale et mondiale, sensible aux injustices, fut secouée. Comment peut-elle ne pas l’être devant un combat pacifique, pour des droits légitimes, alors que l’adversaire étatique réagit avec une violence absolument inadmissible ?… Ainsi le combat pacifique de Gandhi et de ses partisans en est sorti renforcé. On connaît la suite.

Pourquoi cette scène revient en mémoire et pourquoi en faire une publication ?… Parce que, lors d’une marche hebdomadaire récente en Algérie, des manifestants, réagissant à des arrestations par la police, ont crié : « Nous sommes tous prêts à aller en prison ! » En effet, quel pouvoir étatique tiendrait si des milliers, pour ne pas dire des millions de citoyens sont réellement résolus à aller en prison pour défendre des droits légitimes ?

Quant au peuple algérien, n’a-t-il pas consenti plus d’un millions de morts, sans compter les emprisonnés, pour conquérir son indépendance nationale ? Serait-il exagérer d’affirmer : voici le peuple algérien renouer avec la dignité qui lui a permis de conquérir son indépendance nationale ; cette dignité retrouvée sera-t-elle assez forte pour lui permettre de conquérir la phase complémentaire, celle de son émancipation sociale ?… Au vu des actions dont le mouvement populaire est victime en ce moment, d’une part, et, d’autre part, de son manque d’auto-organisation et de mandataires représentatifs, certains, déjà, estiment que le mouvement a perdu, qu’il s’agit encore d’un « ratage ». Rappelons leur l’histoire sociale : les mouvements populaires sont capables de produire des surprises que nul expert, pas même un Marx ou un Lénine, ni un chef de C.I.A. ou de K.G.B., sont capables de prévoir. Et même si un mouvement populaire est destiné au ratage, ceux qui lui veulent du bien ne doivent-ils pas rester avec lui afin que le ratage ne soit pas un échec mais une leçon pour mieux faire ?

 

Publié le 23 septembre 2019 sur Algérie Patriotique, le 24 septembre 2019sur Le Matin d'Algérie, le 23 septembre 2019 sur La Tribune Diplomatique Internationale. - Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 17 Septembre 2019

Lors d'une manifestation hebdomadaire du mouvement populaire en Algérie 2019

Lors d'une manifestation hebdomadaire du mouvement populaire en Algérie 2019

La précédente contribution (1) a suscité d’intéressants commentaires. L’un d’eux pose une question très pertinente : « (...) si le Hirak n'est ni une populace en mouvement , ni pourvu de toutes les qualités qui auraient fait de lui une révolution, qu'est-ce que c'est ? »

 

« Populace ».

Ce mot est d’une telle vulgarité qu’il ne peut être prononcé que par une personne vulgaire. Pourquoi ?… Parce que cette personne manifeste un mépris caractéristique des ignorants de ce qu’est un peuple. Ce dernier, même tombé dans la pire régression, devrait encore mériter: 1) le respect des personnes si elles sont dotées d’intelligence (pour comprendre ce phénomène de régression sociale, et, d’abord, ceux qui en sont responsables, autrement dit une oligarchie exploiteuse dominante, qui, elle, est à mépriser) ; 2) la générosité (de la part des personnes capables d’empathie pour ce peuple victime, réduit à être traité de « populace »).

En outre, il n’est pas surprenant que le peuple soit traité de « populace » par une personne appartenant à la classe des exploiteurs-dominateurs, par exemple De Gaulle ou Sarkozy parlant respectivement de « chienlit » ou de « racaille ». Mais qu’une personne laisse croire qu’elle n’est pas de la classe des exploiteurs-dominateurs, tout en traitant le peuple de « populace », voici l’objection qui se présente : « Et toi, qui prétends être doté de conscience sociale adéquate, ignores-tu qui, comment et pourquoi nous a rendu « populace » ? Ignores-tu les immenses difficultés que nous avons à devenir peuple : salaires misérables, conditions de vie insupportables, tous les obstacles mis par nos dominateurs-exploiteurs afin que nous n’accédions à aucune culture, à aucune conscience de peuple ?… Enfin, si nous sommes « populace», toi qui en est conscient, au lieu de te contenter de le constater, avec un mépris plus ou moins évident, qu’as-tu fait, que fais-tu pour qu’on devienne un peuple ? N’as-tu donc aucune responsabilité dans notre situation de « populace » ? Crois-tu avoir dit tout ce que tu dois faire en nous traitant de « populace » ? »

 

Révolution.

Tout montre que le mouvement populaire n’est pas une révolution, au sens strict du terme. Comme l’écrit le lecteur commentateur, celle-ci est, « l'expression d'un changement qui se réalise. » Encore que cette définition est trop vague. Il reste à préciser de quel « changement » il est question… Pour qu’il y ait révolution au sens strict, il faut que la ou les racines mêmes du système social soient abolies pour être remplacées par d’autres radicalement opposées. Par exemple la Révolution française fut l’abolition du système féodal au bénéfice de celui capitaliste bourgeois. Dans ce sens strict, ce qu’on appelle la révolution russe n’en fut pas une, car elle se limita à remplacer le système féodalo-capitaliste tsariste par un système de capitalisme étatique ; au-delà de la propagande intéressée, une oligarchie fut remplacée par une autre, laquelle était exploiteuse-dominatrice au détriment du peuple laborieux. En Algérie, peut-parler de « révolution », au vu du remplacement de l’oligarchie coloniale étrangère par une oligarchie autochtone ?

Les mots, tels « révolution », sont devenus chewing-gum ; ils sont employés sans la précision qu’ils exigent. Toute caste dominatrice n’a pas intérêt à la précision des termes. Ce fait est connu depuis… le IVè siècle avant J.-C. (voir Confucius). Jusqu’à voir une banque italienne d’importance nationale ou une marque mondiale de parfum parler de « révolution » pour vanter une nouvelle réforme bancaire ou une nouvelle recette de parfum. Alors, il n’y a pas à s’étonner que n’importe s’autorise à parler de « révolution » chaque fois que le mot lui caresse les oreilles, sans que ses méninges se posent la question sur la pertinence d’emploi de ce terme.

Considérons le soulèvement populaire algérien actuel. Évidemment, il ne s’agit pas de révolution dans le sens strict du terme. Pis encore. Non seulement ce mouvement n’a pas réussi à éliminer les racines du système social (2) qu’il rejette, mais il n’a pas même réussi à se doter d’une organisation autonome, produisant des représentants authentiques, en mesure de faire contre-poids à l’antagoniste étatique.

 

Nature du mouvement populaire.

Alors quelle est la caractéristique fondamentale du soulèvement populaire algérien actuel ?

La phase actuelle du soulèvement populaire peut être définie comme une révolte, c’est-à-dire une action de protestation sociale contre l’oppression oligarchique, mais sans programme clairement élaboré ni organisation adéquate pour le réaliser.

Les aspects positifs sont clairement indéniables : affranchissement de la peur qui enchaînait le peuple, élimination des divisions qui le fragmentaient (religieuses, ethniques, territoriales), organisation parfaite des manifestations dans tout le pays, pratique réussie (jusqu’à présent) de la tactique de lutte pacifique, élévation de la conscience sociale citoyenne (des personnes qui étaient totalement indifférentes ou dégoûtées de la vie sociale politique, se sont mis à s’intéresser à la gestion de la nation), une certaine fierté retrouvée à se considérer algériens, autrement dit membres de la communauté de naissance ou de passeport. Tous ces aspects sont-ils dérisoires ? Autorisent-ils à parler de « populace », bien qu’ils ne permettent pas de parler de révolution ?

Une hypothèse et une question se présentent. Ce soulèvement populaire n’est-il pas une manière de mettre la charrue avant les bœufs ?… Autrement dit, ne devait-il pas, au lieu d’exploser de manière surprenante et spontanée, - ce qui semble jusqu’à présent, à moins de découvrir des aspects occultés (3) - , être le résultat d’un combat de longue durée ?

Certes, il le fut, en un sens. Ce soulèvement populaire est, du point de vue historico-social, l’aboutissement d’un long combat. Il a commencé avec l’élaboration de la Charte de la Soummam (1956) pour l’établissement d’un système algérien authentiquement au bénéfice du peuple ; mais ce projet fut, comme on le sait, rejeté par une caste qui parvint à s’emparer de la direction de la guerre de libération nationale, puis de l’État algérien indépendant où cette caste devint oligarchie dictatoriale.

Le soulèvement populaire actuel est également le résultat des luttes citoyennes, politiques, syndicales et culturelles menées depuis l’indépendance, et même avant, par exemple de ce qu’on appela la « crise berbériste » de 1949.

Cependant, comme le commentateur évoqué auparavant le note, il faut garder présent à l’esprit ceci : « les archaïsmes économiques et culturels sont de nature à reproduire la société et non à la révolutionner ».

À ce sujet, une observation. D’une part, depuis l’indépendance, les détenteurs du pouvoir ont tout fait pour faire taire (par l’idéologie, « populiste-cléricale ») sinon faire disparaître (par la violence) toutes les possibilités de défense des intérêts légitimes du peuple. Les résultats sont constatables : partis politiques sans poids dans le rapport de force, syndicats autonomes faibles, « élites » au service des maîtres, sinon en exil (intérieur ou extérieur), jusqu’aux librairies dont le nombre est affreusement dérisoire.

D’autre part, - n’est-ce pas là que réside le pire ? -, les partis politiques d’opposition, dits de « gauche », « progressistes », qu’ils soient d’inspiration « libérale » capitaliste ou marxiste, ont pratiqué et continuent à pratiquer la politique de l’ « Avant-Garde » d’un parti composé d’une caste de « professionnels » de la pratique politique. Autrement dit, le peuple doit se soumettre à une « élite » censée détenir seule les recettes pour « sauver » le peuple de ses dominateurs. Donc, toute tentative de permettre au peuple de compter sur lui-même, sur ses propres forces, sur son intelligence créatrice pour créer ses propres organisations autonomes (libres, égalitaires et solidaires), ce projet était et demeure dénoncé comme « aventurisme », « anarchie », faisant le « jeu de la réaction interne et de l’impérialisme externe ». Quand on veut se débarrasser d’un « chien », on l’accuse de « rage », n’est-ce pas ?

Dès lors, est-il surprenant de constater que le soulèvement populaire actuel ne dispose pas de sa propre organisation et de ses représentants légitimes ?… Où est la culture, la philosophie, la conception qui l’auraient préparé à cette exigence stratégique ?… Oui, il y eut l’autogestion ouvrière et paysanne juste après l’indépendance, puis, à un moindre degré, le mouvement social de 2001, né en Kabylie et qui tenta de s’étendre au territoire national. Mais combien en ont a parlé et en parlent suffisamment ? Quasi occultés ces deux mouvements sociaux, pourtant d’importance historique fondamentale. En Algérie, dès qu’on parle de manière sérieuse de conception sociale réellement « par et pour le peuple », les conservateurs comme les « progressistes », religieux ou laïcs, dénoncent l’ « anarchie ». Autrement dit, le « désordre », donc la « menace » contre l’ « ordre social », par suite contre l’ « intégrité nationale ». Dans ces conditions, comment le peuple pourrait-il se doter des institutions lui permettant d’appliquer le principe « par le peuple et pour le peuple » ? Et, vue cette impossibilité, quelle est la responsabilité des « élites » algériennes, notamment de celles qui déclarent le bonheur du peuple ?

 

« Répétition générale » ?

En cas d’échec du soulèvement populaire pour la réalisation de son objectif fondamental, à savoir changer radicalement de système social, il restera à considérer ce mouvement comme une sorte de « répétition générale », à la manière du soulèvement populaire russe de 1905. Cette « répétition » enseignerait au peuple, dans sa magnifique tentative d’affranchissement social, les leçons indispensables. L’une d’elles, sinon la principale, n’est-elle pas de prendre conscience et de se libérer de ses « archaïsmes » et de ses « tares », - comme les a nommés justement le lecteur commentateur -, et d’abord de ceux culturels ? Le principal de ces archaïsmes du peuple (et de ceux qui déclarent défendre ses intérêts) n’est-il pas de renoncer aux divers « sauveurs suprêmes », en instituant une organisation populaire libre, égalitaire et solidaire, caractéristiques de l’authentique démocratie dans son sens strict : pouvoir exercé par le peuple et pour le peuple ? Cette entreprise ne doit-elle pas commencer par la création de comités populaires, fonctionnant sur mandat impératif, sur l’ensemble du territoire national, et, d’abord, dans les quartiers les plus nécessiteux ? À ce sujet, peux-on compter sur les personnes qui jugent le peuple comme « populace » ? Et peut-on compter sur les personnes qui se contentent de tisser les éloges les plus dithyrambiques au « peuple », parce qu’il continue à manifester hebdomadairement, mais sans se doter de l’organisation autonome qui doit concrétiser ses revendications légitimes ?

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(1) Voir https://www.algeriepatriotique.com/2019/09/11/contribution-est-il-possible-de-concretiser-les-revendications-populaires/

(2) Vue la confusion régnante au sujet des racines, rappelons ce qu’elles sont : l’exploitation économique de la force de travail humain (physique et intellectuel), obtenue par un vol plus ou moins « légalisé », défendue par un système politique se maintenant par des institutions juridico-répressives, et justifiée par une idéologie adéquate. Cette diabolique trinité est indissociable ; elle constitue une unité complémentaire au-delà des contradictions toutes relatives entre ses trois éléments.

(3) Certains le déclarent, pour le moment sans fournir de preuves irréfutables.

 

Publié le 14 septembre 2019 sur Algérie Patriotique, le 15 Le Matin d'Algérie, le 14 La Tribune Diplomatique Internationale. - Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 12 Septembre 2019

Est-il possible de concrétiser les revendications populaires ?

Après six mois de manifestations hebdomadaires, de manière nationale, unie, organisée, pacifique en affrontant tous les aléas (ramadan, vacances, chaleur estivale, blocages policiers, arrestations de militants, etc.), la question qui se posait déjà au départ de cette intifadha (soulèvement) populaire (1) reste problématique. Mais avec le temps, cette question, déjà cruciale pour le succès ou l’échec de l’action collective populaire, devient de première urgence : comment concrétiser les revendications des manifestants hebdomadaires, et cela, en évitant que le soulèvement populaire aboutisse uniquement à sa manipulation pour le changement d’une composante de l’oligarchie dominante par une autre ? Un slogan des manifestants montre cette inquiétude, en dénonçant non pas une « issabâ » (une bande, un clan) mais des « issabâte » (des bandes, des clans).

Seconde phase.

En effet, dans ce soulèvement populaire, pourquoi encore l’absence de passage à la deuxième phase, celle de création d’une organisation autonome et représentative de ce soulèvement ?

En participant aux marches du vendredi et en assistant à des forums citoyens (2), j’ai remarqué une forme d’organisation efficace de ces activités. Mais pourquoi n’est-elle pas parvenue jusqu’à former des comités populaires locaux et autonomes, en mesure de fournir à l’action revendicative citoyenne les instruments transformant les exigences légitimes proclamées pendant les marches et les forums en programme concret pratique, doté de ses mandataires élus par ces comités populaires sur mandat impératif ? Quelque soient les motifs de cette carence, celle-ci ne démontre-t-elle pas la faiblesse stratégique de ce mouvement populaire, nonobstant ses indéniables qualités dans sa première phase de protestation de rue et de négation du système social dominant ?

Suffit-il de dénoncer le « panel » de « discussion » comme émanation des détenteurs du pouvoir, et, donc, comme non représentatif des revendications du peuple ?… Qu’a donc le mouvement populaire à proposer, lui, comme programme constructif, avec ses propres représentants, mandatés impérativement pour concrétiser ses revendications, proclamées lors des manifestations hebdomadaires ?… Depuis des mois, certains, dont l’auteur de ces lignes, rappellent la nécessité fondamentale pour le mouvement de protestation hebdomadaire de se doter d’institutions autonomes démocratiques, propres à ce mouvement, dans le but de dialoguer, négocier, confronter, exiger, etc. (que l’on emploie le verbe le plus adéquat). Et c’est vrai qu’il faut agir le plus vite possible, toutefois avec le maximum de sagacité pour éviter les multiples pièges tendus par les adversaires tant internes qu’externes du mouvement populaire.

Pourquoi, donc, pas encore une organisation au niveau national, unie dans sa diversité, démocratiquement élue, synthétisant les multiples exigences légitimes du peuple, pour représenter de manière fidèle le mouvement populaire ?… Peur de voir ces représentants changer casaque et trahir le mouvement ?… Le mandat impératif garantit d’éviter ce genre de risque… Peur de voir des représentants authentiques du peuple emprisonnés, voire agressés ?… Ce risque fait partie de l’action, et, pour l’éviter, des mesures préventives doivent être appliquées. Les changements sociaux radicaux impliquent des risques qu’il faut savoir déceler correctement et résoudre efficacement. Des expériences semblables ont existé dans le monde ; il s’agit de les connaître et de s’en inspirer. Et le plus vite possible ! Car le temps est, quoiqu’on veuille, un élément décisif ; et il semble jouer contre l’action populaire. En effet, du coté des détenteurs du pouvoir, les méthodes typiques du système social contesté reprennent : blocages policiers de points névralgiques de la capitale, actions répressives de plus en plus nombreuses, interdictions de réunion des partisans d’une transition, d’une part, et, d’autre part, la création du « panel », et les actions pour convaincre une partie des citoyens d’adopter la feuille de route des détenteurs de l’État (voir les « interviews » de citoyens dans les chaînes de télévision nationales et privées).

Mais du coté du mouvement populaire, rien de ce type d’initiative. Il reste aux manifestations hebdomadaires, en ajustant cependant les slogans revendicatifs, et quelques forums qui ne parviennent toutefois pas à s’élargir à d’autres endroits des villes, notamment dans les quartiers populaires. Il ne s’agit pas, ici, de griefs avancés contre le mouvement populaire, mais simplement de constatations : reconnaître les mérites indéniables du soulèvement doit aller de pair avec le constat de ce qui semble être ses faiblesses, afin de leur trouver les solutions indispensables.

« Dégager » et s’engager.

Manifester hebdomadairement crée et maintient, certes, une pression non négligeable sur les détenteurs du pouvoir, mais, certainement, ne suffit pas pour les convaincre ni de « dégager » ni de satisfaire les revendications légitimes du mouvement populaire. En effet, s’ils « dégagent », qui mettre à la place ? Et peut-on s’attendre à ce que ces détenteurs du pouvoir consentent à « dégager » alors que personne d’autre ne se présente pour les remplacer de manière acceptable pour le peuple ?… Même les représentants de l’ « Alternative démocratique » se voient interdire leurs réunions ! N’est-ce pas là un signe de la régression du soulèvement populaire dans le rapport de forces avec les détenteurs du pouvoir ?

Un changement social est le produit d’un rapport de forces entre deux antagonistes sociaux. C’est là une banalité élémentaire. Mais, alors que les détenteurs du pouvoir disposent de leurs institutions et de leurs représentants, le mouvement populaire n’en a pas. Dès lors, en toute logique sociale, peut-on croire que les manifestations seules suffiront à créer un rapport de forces en faveur du peuple, au point d’obtenir ce que le mouvement populaire réclame, et cela depuis désormais six mois ?

Se pose, alors, la question : un soulèvement populaire tellement significatif, si impressionnant, ayant mérité l’admiration des peuples du monde, pourquoi, après six longs mois de manifestations hebdomadaires, n’a-t-il pas produit ce qui, logiquement et impérativement, il doit produire : une organisation et des mandataires authentiquement représentatifs, capables de concrétiser ses aspirations légitimes, publiquement formulées durant les marches hebdomadaires ?

Hypothèses.

Certains estiment que le peuple, malgré son magnifique soulèvement, demeure encore d’un niveau de conscience sociale insuffisant pour passer à la seconde phase de son action, celle de se doter de ses propres institutions représentatives. L’hypothèse mérite discussion, et très urgente. Car ce sont des erreurs : d’une part, celle de mépriser le peuple en le réduisant à une « populace », et, d’autre part, celle de l’idéaliser à outrance.

Quant à ceux qui signalent les mérites, certains et admirables, du mouvement populaire, ne devraient-ils pas, désormais, eux aussi, examiner la seconde phase : le passage à l’institutionnalisation du pouvoir populaire partout sur le territoire national, et dans tous les domaines sociaux d’activité ? N’est-ce pas ainsi que le peuple démontrera, non en paroles mais en actes, l’infondé des craintes (légitimes, quoiqu’on dise) parlant de menaces, internes et externes, sur l’intégrité nationale, l’économie nationale et le « vide » constitutionnel ?

Certains autres estiment que ce qu’ils appellent une « phase transitoire » permettrait de doter le peuple des institutions qui le représenteraient effectivement. Cependant, les détenteurs du pouvoir s’y opposent, et préconisent leur propre programme d’élections présidentielles.

Enfin, d’autres encore misent sur une pression du mouvement populaire telle qu’elle mettrait en crise la cohésion du commandement militaire, avec l’hypothèse de voir des éléments nettement favorables aux revendications populaires prendre le commandement (3). N’est-ce pas là le sous-entendu du slogan « chaab djaich khawa khawa » (peuple, armée : frères frères), tout en critiquant les décisions du chef d’État-major jugées anti-populaires ?

Ne pas oublier, également, des déclarations émanant de membres du soulèvement populaire menaçant de recourir à des formes de désobéissance civile, sous forme de grèves nationales ou de refus de paiement des impôts. C’est là un recours certes pacifique et constituant un moyen significatif de pression populaire sur les détenteurs du pouvoir, mais, cette tactique de lutte, en élevant très haut le niveau d’intensité de la revendication populaire, est susceptible de provoquer des risques graves dans la confrontation entre les antagonistes : mouvement populaire et pouvoir étatique. Ce qui semble certain c’est que chacun des protagonistes fera tout son possible pour éviter la violence, car elle ne sert aucun des deux, mais seulement les ennemis externes et internes du peuple et de la patrie algériens, lesquels ennemis agissent certainement : n’oublions jamais la théorie du « chaos créatif » de Condoleeza Rice, qui a conduit au démantèlement de l’Irak et de la Libye ainsi que de la situation précaire au Liban (4).

Rapport de forces.

Précisons, cependant, qu’il ne suffit pas que le peuple se donne une institution représentative autonome. Il faut encore que celle-ci soit en mesure de peser positivement sur le rapport de force avec l’institution détentrice du pouvoir étatique.

Peut-être que les inspirateurs et organisateurs des manifestations hebdomadaires jugent le mouvement populaire encore incapable de disposer de ce genre d’organisationn autonome, par insuffisance de conscience sociale. N’oublions pas les expériences historiques, étrangères (soviets en Russie, collectividad en Espagne, autogestion yougoslave) et l’expérience autogestionnaire algérienne. Dans tous ces cas, le peuple s’est doté d’institutions autonomes mais, hélas !, elles ne furent pas capables de s’affirmer positivement face aux détenteurs du pouvoir étatique : ces derniers finirent par les éliminer, de manière bureaucratique sinon armée.

Alors, le mouvement populaire algérien croit-il que ses manifestations hebdomadaires suffiraient à changer de système social ?… Mais où donc cela s’est-il produit dans le monde, sans disposer d’une organisation représentative déterminante dans le rapport de force contre ses adversaires ? Et peut-on croire que le soulèvement algérien serait l’exception miraculeuse ?… Oublie-t-on que toute société humaine fonctionne selon certaines lois (règles) ? Que l’une d’entre elle est la nécessité stratégique d’une organisation en mesure de concrétiser l’action revendicative citoyenne, et cela quelque soit la classe sociale contestataire ?… Par exemple, durant la Révolution française, la révolution russe, la guerre de libération nationale algérienne, successivement le peuple laborieux fut vaincu respectivement par la bourgeoise jacobine, par la caste bolchevique (dont le stalinisme n’est que l’aggravation ultime), par la caste militaire boumédiéniste (dont le bouteflikisme n’est que le stade ultime de régression) parce que ces castes nouvelles disposaient de leur propre organisation représentative (non seulement bureaucratique mais armée), tandis que le peuple en était démuni ou insuffisamment doté. Par ailleurs, les « collectividad » espagnols, elles, bien que disposant d’une organisation politico-militaire respectable, n’eurent toutefois pas la force de vaincre : elles eurent contre elles non seulement l’armée fasciste du général Franco (comprenant des bataillons marocains), soutenue par l’aviation nazie et des bataillons fascistes italiens, mais, également, les forces staliniennes espagnoles et russes (5).

En Algérie, comme ailleurs et toujours, un soulèvement populaire n’est jamais la cause productrice de chaos social, mais, exactement le contraire, ce soulèvement surgit pour mettre fin à un chaos social produit par l’oligarchie au pouvoir (6). C’est uniquement les idéologues d’une oligarchie qui prétendent le contraire, contre toute évidence ; autrement dit, ce sont les fauteurs de désordre social qui accusent ceux qui veulent y mettre fin, par l’instauration d’un authentique ordre social, d’en être les coupables. En effet, un authentique ordre social se caractérise par l’équité, tandis que le prétendu « ordre » social oligarchique est en fait un réel désordre social, parce qu’il est de nature inique, et donc produisant des conflits entre oppresseurs-exploiteurs et opprimés-exploités. En se révoltant, ces derniers veulent légitimement s’affranchir de leur condition servile. Les livres de morale sociale de toute époque et de toute nation le déclarent : quand domine l’injustice, le droit à la révolte est un devoir pour y mettre fin au bénéfice de ce que la collectivité considère comme étant la justice, à savoir une consensuelle distribution des droits et des devoirs citoyens.

En tout les cas, si le soulèvement populaire algérien ne réussit pas à mettre en pratique ses revendications légitimes, il apprendra par son échec qu’il devait se doter d’une organisation autonome représentative, et pas seulement, mais qu’elle devait disposer du plus de poids sur le rapport de force social. Est-ce là une considératioin erronée ?

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(1) Voir http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/04/auto-organisation-ou-l-echec.html

(2) Voir respectivement http://kadour-naimi.over-blog.com/search/13%C3%A8me%20vendredi%20de%20manifestation/ et http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/08/que-vive-la-democratie-directe.html

(3) Dans une récente tribune, Mouloud Hamrouche, ex-premier ministre, attira l’attention sur le risque de scission au sein de l’armée. Avant lui on a évoqué la révolution des « œillets » portugaise de 1974. Ce qui est certain c’est que le peuple algérien est très conscient de sa nécessité de faire « khawa khawa » avec ce qu’il considère son armée, car il sait que les éléments de cette institution sont dans leur très grande majorité des enfants du peuple et de la patrie, donc soucieux de leur bien-être.

(4) Voir « 10.10. Théorie du « chaos créatif », p. 565, de l’ouvrage « LA GUERRE, POURQUOI ? LA PAIX, COMMENT ?... », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-guerre-paix.html

(5) Voir http://kadour-naimi.over-blog.com/2018/01/le-premier-exemple-de-comment-une-revolution-devrait-etre-faite.html

(6) La théorie du « chaos créatif » de Condolezza Rice en est la preuve publiquement avouée.

 

Publié le 11 septembre 2019 sur Algérie Patriotique, Le Matin d'Algérie, La Tribune Diplomatique Internationale. - Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #EDUCATION-CULTURE

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Publié le 8 Septembre 2019

Slimane Benaïssa : Un prototype théâtral du système bouteflikien

Qui paie ?

On raconte que le président du Conseil du Front Populaire, Léon Blum, demandait, quand on lui proposait un journaliste qui voulait l’interviewer : « Qui le paie ? ». C’est uniquement quand on lui fournissait la réponse, Blum acceptait ou refusait de recevoir le journaliste. Ceci pour dire cette banalité élémentaire que les naïfs oublient et les manipulateurs occultent : il est de première importance, quand on entend un individu parler, de savoir qui le paie, quel salaire il reçoit et de quels privilèges il bénéficie. Il peut être également utile de compléter l’information en sachant ceux qui, dans le passé de cet individu, le payèrent depuis le début de sa carrière. Uniquement ainsi, on détient la boussole qui permet de ne pas être réduit au corbeau dont le renard convoite le fromage. Dans le cas examiné ici, le fromage c’est l’adhésion du lecteur ou de l’auditeur aux « idées » et « opinions » de l’individu qui parle ou écrit.

L’art de « s’accomoder ».

À ce sujet, un cas exemplaire, quasi une pièce de théâtre, vient d’être réalisée (1). Ce fut un théâtre-réalité (vérité), dans un salon télévisé. Les personnages en étaient l’animateur de l’émission et Slimane Bénaïssa. Alors, les spectateurs sauront comment parle et « raisonne » un fonctionnaire, nommé par le régime de Bouteflika, et qui, aujourd’hui, a rejoint le « panel » dit de « dialogue ».

Par chance, l’animateur ne se contenta pas de recueillir les propos de son invité, mais lui présenta les objections adéquates. Elles consistaient en des faits concrets incontestables. Ce dont il faut remercier l’animateur. L’invité, lui, répondit toujours en... Tartuffe ! Inutile de relever tous les « arguments » de l’invité pour nier les faits, les déformer ou les ignorer (« Cachez ce sein que je ne saurais voir ! »). Tout télé-spectateur sachant employer correctement sa raison, en considérant des faits concrets et vérifiables, se rend compte de la nature des « opinions » de l’interrogé. Il est utile de consacrer le temps à écouter l’interview. Voici quelques exemples de la manière de l’invité de se trahir lui-même sans le savoir.

D’abord, d’une manière banale : gêné par une question, il garde le silence de manière significative avant de trouver quoi répliquer, souvent de manière embarrassée ; une fois, il en arriva même à se pincer instinctivement le nez, ce qui démontre un embarras certain.

Venons à ses réponses aux questions. Les contradictions pullulent, sans trop troubler l’invité. Présentons quelques spécimens. L’invité commence par affirmer « hna oulad acchaab anta’ assah » (Nous, on est des enfants du peuple vraiment). Il précise : « on connaît l’Algérie très très bien » (2).

Puis il déclare, parlant du « panel » : « pour le moment c’est le meilleur endroit où je dois être, hatta wouhad ma issalny, c’est mon opinion et j’ai pas à me justifier de cette attitude ». Or, il passa toute l’émission à tenter de se justifier. Très Tartuffe.

Et puis, voici le fond de la pensée de l’invité, mérite de l’animateur qui le contraignit à se démasquer : « on ne peut pas choisir le fruit qu’on veut, tu dois t’accommoder (…) l’intelligence est de s’accommoder de ce qui existe... ». Voici donc à quoi se réduit l’intelligence chez l’invité. N’est-ce pas là la profession de foi de l’opportunisme même, dans ce qu’il a de plus lâche ? N’est-ce pas là le type même de l’individu mangeant à tous les râteliers ? C’est, par exemple, exactement les propos que tenaient, durant l’époque coloniale, ceux qui défendaient (parce qu’ils profitaient) du colonialisme : « s’accommoder de ce qui existe ». Ainsi, Bénaïssa « s’accommoda » du régime Bouteflika, qui le nomma « commissaire » d’un Festival de Théâtre International à Béjaïa (3) ; et, aujourd’hui, le même Bénaïssa, occupant la même fonction sauf erreur, « s’accommode » au « panel ».

Quant au fait que l’invité fut, dans le passé, « censurés, réprimés, renvoyés », le nombre de ceux qui le furent, partout et toujours dans le monde, puis ont fini par « s’accomoder de ce qui existe », ce nombre est légion. La « convoitise » du poste et du salaire qu’il procure se révéla plus forte (4).

Dès lors, faut-il s’étonner d’entendre l’invité de l’émission déclarer : « arriver à la démocratie n’est pas forcément un chemin pour le moment démocratique khattar (parce que) on sort d’une maladie... »… Ah, bon ?!… Comme quoi le peuple n’est jamais prêt pour la démocratie : cliché imbécile (mais très intéressé) de toutes les oligarchies, partout et toujours dans le monde. Quant au mot « maladie », sait-on qui l’employa pour contester une résistance populaire ?… Le général Franco, en lançant son armée fasciste contre le peuple espagnol qui défendait la légitime république. Et, une fois le pouvoir conquis, le même golpiste justifia la terreur systématique pratiquée en parlant d’ « éradiquer la maladie » dont souffrait le peuple espagnol, à savoir la… démocratie ! Quand à l’invité de l’émission, on apprit ce qu’il entendait par « maladie » : la « corruption ». Mais il ne précisa pas qui sont les corrompus, tous sans exception, et cela malgré l’insistance de l’animateur.

En passant, notons cette particularité qui en dit long sur l’ « amour » du « peuple » et du « pays » de la part de l’invité à l’émission. Alors que l’animateur employait systématiquement l’arabe algérien (ce qui permet à une personne du peuple de comprendre ses paroles), l’invité, cet homme de théâtre, parlait généralement en… français. Pas totalement correct, mais français quand même. Sans, toutefois, « s’accomoder de ce qui existe », à savoir des téléspectateurs qui pratiquent leur langue maternelle arabophone. Mais, bof ! Là, il s’agit seulement du peuple ! Quel intérêt à s’y « accomoder », puisque le peuple n’a pas nommé l’invité comme fonctionnaire ?

Théâtre et culture.

Notons, également, certaines déclarations de l’invité, qui a passé toute sa vie à faire du théâtre. Il cita Brecht : « « quand le théâtre est dans la rue, il faut fermer les théâtres ». Quand l’animateur dit alors à l’invité que le public est dans la rue, et que c’est là qu’il faut donc aller faire du théâtre, l’invité ne répond pas, mais se lance dans une autre considération rhétorique de sophiste.

Puis ceci : « le théâtre est un acte politique supérieur à la politique ». Ah, bon ? Où et depuis quand ?… Notons qu’au début de l’interview, l’invité déclara faire du théâtre et pas de politique.

Enfin, ce propos : « pour pratiquer la culture, il faut qu’il y ait un pays dans la paix, il faut que les gens viennent te (5) voir paisiblement et dans la paix. Antamma tnajam atwa3ihoum » (Là tu peux leur faire prendre conscience). La réalité historique, partout et toujours, est exactement le contraire : la culture la meilleure se produit dans les périodes de turbulences sociales. Exemples les plus significatifs : le théâtre antique grec, le théâtre élisabéthain, sans parler du théâtre de Brecht. Sophocle, Shakespeare, Molière, Brecht n’étaient jamais certains de passer leur nuit dans leur lit, voilà certainement un des motifs qui leur a permis de produire des chefs-d’œuvre. Sophocle défendit la légitimité éthique contre celle royale arbitraire (« Antigone )». En disant : « Il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark », Hamlet faisait clairement allusion à celui qui détenait, alors, le pouvoir dans le pays, son oncle, assassin du roi légitime, le père d’Hamlet ; dans la réalité, l’allusion de Shakespeare visait un clan de l’oligarchie au pouvoir, alors, en Angleterre. Le « Tartuffe » de Molière dénonçait, à travers ce personnage, les turpitudes de l’oligarchie cléricale en France. Quant à Brecht, inutile d’en parler.

Un Ménénius-Tartuffe en Algérie.

Durant l’interview, l’invité de l’émission se vanta qu’on parle de lui, même en mal. Dans le présent texte, cet invité est évoqué uniquement pour essayer de montrer ce qu’est le prototype même du fonctionnaire du système bouteflikien, et s’il se trouve à présent dans le « panel », c’est parce qu’il continue à être ce prototype de personnage. Du coté des puissants du moment : « s’accomoder de ce qui existe ». Cela prouve que de ce système bouteflikien, le pays est encore la proie, sans Bouteflika. Mais Bouteflika lui-même est le produit du système issu de la négation de la Plate-forme de la Soummam, système parvenu alors au pire degré d’infamie. Ce système, c’est aussi la production de fonctionnaires aussi médiocres intellectuellement que vils éthiquement, opportunistes politiquement, « s’accomodant de ce qui existe » car ils en vivent. Leurs déclarations « patriotiques » (« intégrité du territoire », « stabilité du pays » et même « armée ») sont à la mesure de leurs « convoitises » et de leurs « »combines » (6). En effet, quand un personnage, tenant les propos tenus par l’invité de l’émission en question, se présente comme ayant rejoint le « panel » pour porter la parole du peuple aux détenteurs du pouvoir, il faut être un corbeau bien naïf pour lui offrir le « fromage » (l’adhésion) qui lui permet d’occuper la fonction bien lucrative qu’il occupe. Et si ce genre d’individu jouit encore de cette fonction administrative trop bien rétribuée, c’est que l’intifadha populaire algérienne a encore des efforts à accomplir pour se débarrasser de toutes les formes de corruption, c’est-à-dire des corrompus déclarés mais également des corrompus cachés parce que honteux et encore accrochés à leurs « convoitises » et à leurs « combines ». Merci, Molière, d’en avoir livré l’imposture avec Tartuffe ! Et merci à Shakespeare, pour avoir mis dans la bouche d’Hamlet ceci, à propos de conscience : « Qui, en effet, voudrait supporter les flagellations et les dédains du monde, l’injure de l’oppresseur, l’humiliation de la pauvreté, les angoisses de l’amour méprisé, les lenteurs de la loi, l’insolence du pouvoir, et les rebuffades que le mérite résigné reçoit d’hommes indignes… ? »

Pour savoir combien Slimane Bénaïssa fait partie de ces hommes indignes, il suffit de signaler comment, durant l’émission, il répondit à une observation de l’animateur concernant les divers méfaits des détenteurs du pouvoir actuel contre les revendications légitimes du peuple. L’interrogé fit une comparaison entre ces détenteurs du pouvoir et ses... propres parents (père, mère, etc.), en déclarant comprendre que les parents puissent... maltraiter leurs enfants (7). À l’homme de théâtre Bénaïssa, rappelons comment, dans « Coriolan » de Shakespeare, Ménénius, sénateur patricien, prétendait calmer la révolte populaire des plébéiens contre les méfaits de l’oligarchie patricienne. Ce sénateur, membre de l’oligarchie patricienne, présenta le système politique oppressif romain en le comparant à un... « ventre » ayant la responsabilité de collecter puis distribuer la nourriture à tous les « membres » du « corps » social. Or, la métaphore physiologique de Ménénius était contraire à la réalité des faits, où les richesses étaient détenues par les membres de l’oligarchie patricienne au détriment du peuple plébéien. Notons que cette pièce fut écrite à une époque de turbulences politiques en Angleterre, où l’oligarchie aristocratique commençait à être menacée par la montée de la bourgeoisie marchande citadine, plus proche du peuple laborieux.

En conclusion, la « maladie » de l’Algérie a commencé avec le rejet de la Charte de la Soummam. Il a fabriqué des individus intéressés uniquement à s’enrichir au détriment de la sueur du peuple et de ses richesses naturelles, tout en osant l’imposture de se déclarer « patriotes » : le beurre et l’argent du beurre. Aussi, dans le domaine du théâtre, voici une question : ne serait-il pas opportun que les artistes algériens, réellement soucieux de l’intifadha (soulèvement) populaire actuelle, aillent à Béjaïa, lors du prochain Festival International de Théâtre, non pas pour présenter leurs pièces, mais pour manifester devant le siège du Théâtre en réclamant : « Slimane Bénaïssa, dégage !… Nous voulons un responsable qui soit, d’une part, compétent en matière d’histoire du théâtre algérien et mondial, et, d’autre part, n’ayant pas fait partie du système Bouteflika ! »

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(1) Vidéo ici : https://m.youtube.com/watch?v=UMDdBbPCCkk

(2) Pour vérifier ce « très très », voir article « Au théâtre, les absents sont les artistes ! » in http://kadour-naimi.over-blog.com/2017/12/au-theatre-les-absents-sont-les-artistes.html

(3) Ne serait-il pas utile d’en connaître le salaire et, éventuellement, les privilèges genre voiture de fonction avec chauffeur, restaurants, hôtels et voyages accordés par l’oligarchie, au détriment du peuple algérien ?

(4) Dans les années 1968-1972, Slimane Bénaïssa présenta une pièce de théâtre sur le thème de la femme algérienne, dans la compagnie d’amateur, liée à la JFLN (Jeunesse du FLN). L’œuvre, que j’ai vue, était écrite de telle manière qu’elle confortait l’idéologie « émancipatrice » de la « gauche » d’alors (« soutien critique » au colonel Boumédiène), tout en égratignant l’idéologie cléricale anti-féministe. Dans l’interview de l’émission de 2019, l’attitude est identique : des paroles mielleuses en faveur du « peuple » tout en égratignant, à peine, non pas les détenteurs du pouvoir actuel, mais en dénonçant… Bouteflika. Pourtant, Bénaïssa lui doit sa nomination comme « commissaire » du Festival International de Théâtre. Mais, Bouteflika étant désormais hors-jeu, il ne s’agit plus de s’en « accommoder », mais de « ce qui existe » : les actuels détenteurs du pouvoir. Comme quoi, la mentalité « soutien critique », dans son aspect le plus abject, perdure en Algérie, comme le symbole même de l’opportunisme politique, cependant garant de lucratifs postes administratifs. Le loup change de peau mais pas de nature.

(5) Curieux amour du peuple : au lieu d’aller le voir, c’est au peuple d’aller voir celui qui lui « fera prendre conscience ». Et quelle « conscience » ! Décidément, on a affaire à l’habituel fonctionnaire mandarinal que le peuple doit aller « voir ». Voir l’article cité en note 2 : « Au théâtre, les absents sont les artistes ! »

(6) Expressions et mots employés par l’invité à l’émission.

(7) Cela ne ressemble-t-il pas à ce sophisme de prêcheurs cléricaux islamistes qui expliquaient qu’un époux peut battre sa femme, mais, cependant, d’une manière modérée ?

 

Publié le 6 septembre 2019 sur Algérie Patriotique, Le Matin d'Algérie, La Tribune Diplomatique Internationale. - Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #EDUCATION-CULTURE

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Publié le 6 Septembre 2019

Quatre questions sur le système social

Quelque soit l’action humaine, individuelle ou collective, partout et toujours quatre questions fondamentales se posent, exigeant des réponses. Bien entendu, la pertinence des premières conditionnent celle des secondes. Dans ce texte, considérons l’action populaire collective dans sa caractéristique d’unité complémentaire avec l’action individuelle. À ce sujet, examinons des problèmes qui ne sont, en réalité, que des banalités élémentaires, cependant occultées par qui tire profit de cette occultation.

Bases sociales fondamentales.

Intéressons-nous au peuple et à l’individu victimes de trois fléaux sociaux : 1) exploités économiquement, 2) dominés politiquement, 3) conditionnés idéologiquement. Toute considération qui n’examine pas ces trois aspects, dans leur unité complémentaire, ne peut effectuer que des observations superficielles, par ignorance, ou manipulatrices, parce que visant à défendre des privilèges illégitimes. En effet, un type de système économique engendre et implique, pour exister, un type correspondant de système politique, et ces deux systèmes, pour se légitimer, engendrent et impliquent un système idéologique de « valeurs », de « normes », de « principes ».

Pourquoi ?

Pourquoi des individus, composant un peuple (ou un peuple, composé d’individus) agissent ou devraient-ils agir ?… D’après ce qui précède, c’est pour se libérer des trois fléaux caractérisant le système social qui les oppriment.

Le premier fléau est matériel : c’est le vol de leur force de travail (physique et/ou intellectuelle) par un individu privé ou un État géré par une oligarchie, lesquels sont détenteurs des moyens de production matérielle collective. Or, l’examen historique objectif montre que cette détention est illégitime, car elle est, à son tour, le produit d’un vol, opéré d’une manière ou d’une autre, illégale ou justifiée par une « légalité » imposé par la force complémentairement à la ruse. On sait que les « lois » sont toujours conçues, promulguées et imposées par le plus fort, plus exactement par le groupe ou la classe sociale les plus forts, cette force se manifestant en première (ou dernière) instance par l’exercice de la violence organisée.

Pour mettre fin à ce vol de la force de travail, le seul moyen efficace est d’éliminer le système politique qui permet ce vol, et, pour mettre fin à ce système politique, le seul moyen efficace est d’éliminer le système idéologique qui le légitime.

Pour remplacer ces systèmes par quoi ?… Remplacer le vol des moyens de production collective par leur restitution et possession par la collectivité elle-même, à travers ses institutions propres. Jusqu’à aujourd’hui, une solution existe (non pas un « modèle »), mais elle fut toujours éliminée par la force oligarchique : l’autogestion économique. Sans cette rupture avec l’exploitation économique et son remplacement par la coopération libre, égalitaire et solidaire, aucune autre solution n’a éliminé le fléau qu’est le vol de la force de travail humaine.

Seulement, la gestion collective (à ne pas confondre avec l’imposture dite « socialisme » ou « communisme » qui furent en réalité des capitalismes étatiques) de l’économie permet et implique un système politique où l’État est réellement au service de la collectivité, et non pas d’une oligarchie privée ou étatique. Et seulement ainsi le système de production des idées ne sera plus un conditionnement au service d’une exploitation économique et d’une domination politique, mais un enrichissement au bénéfice d’une coopération économique libre, égalitaire et solidaire, et d’une gestion politique au service de la collectivité toute entière.

Par qui ?

Qui, individu ou peuple, peut et doit opérer ce genre de changement social radical ?… La réponse est dans la question : tout individu et tout peuple volés de sa force de travail physique et/ou intellectuelle. En parlant ainsi, on dépasse la notion de « classe ouvrière », de « classe laborieuse » entendue uniquement comme fournissant un travail physique. Il est vrai que les personnes qui vivent (plus exactement survivent) uniquement par la vente de leur travail physique sont les plus exploités économiquement. À ce sujet, n’oublions pas les femmes, doublement exploitées : en tant que travailleuses et en tant qu’épouses. Cependant, les personnes qui vendent leur travail intellectuel au profit de celui qui leur donne un salaire, ces personnes, également, bien que moins exploitées, le sont tout de même.

Dans le passé, on crut au mythe de la « classe ouvrière » ou « prolétarienne », parce que composante sociale la plus nombreuse et la plus organisée, pour réaliser le changement social radical. L’histoire montra que ce fut une erreur. Non seulement cette classe sociale ne parvint pas à réaliser le changement programmé, mais elle fut victime : d’une part, elle resta exploitée dans le système capitaliste (avec quelques arrangements dans les sociétés de capitalisme dit « social », autrement dit « social-démocrate ») ; d’autre part, dans les systèmes de capitalisme étatique (masqué en « socialisme », « communisme » ou « démocratie populaire »), cette classe sociale en fut réduite à ne pas même avoir le droit d’avoir un syndicat pour défendre ses intérêts. Elle fut soumise à un patron absolu que fut l’État oligarchique.

Quant à la paysannerie, elle fut toujours manipulée comme masse de manœuvre pour, finalement, être rejetée dans l’éternel mépris et l’éternelle exploitation (de la Chine « communiste » à l’Algérie « démocratique populaire »).

Par conséquent, un changement social radical, tel que décrit ici, concerne tous les individus qui sont exploités d’une manière ou d’une autre, dans le vol de leur force de travail physique ou intellectuelle, sans oublier la femme en tant qu soumise à l’homme.

Pour qui ?

À cette question, la réponse est déjà dans la question précédente : un individu (homme ou femme) ou un peuple opprimés combattent pour éliminer l’oppression dont ils sont victimes. Autrement, leur action en fait uniquement une masse de manœuvre servant des intérêts qui leurs sont étrangers, donc perpétuant, d’une manière ou d’une autre, la domination sur les individus et le peuple opprimés.

Comment ?

Par la violence, le changement a toujours et partout échoué. Il a donné naissance uniquement à une oligarchie de type inédit, privée (capitalisme privé dit « libéralisme ») ou étatique (capitalisme étatique maquillé en « socialisme » ou « démocratie populaire »). Pourquoi ce phénomène ?… Parce que ceux qui emploient la violence pour détruire un système social, continuent immanquablement à employer la violence pour construire un système social nouveau. Et pourquoi continuent-ils à employer la violence ?…. Officiellement, pour éliminer les ennemis, partisans du système abattu. Cela est vrai, mais, pour dire toute la vérité, ces nouveaux dirigeants recourent à la violence également pour éliminer ceux qui leur reprochent de s’ériger en nouvelle oligarchie, de forme étatique. La preuve : le nombre des personnes parmi le peuple et ses authentiques défenseurs qui sont victimes de la répression dite « révolutionnaire » est infiniment plus grand que celui des partisans du système détruit. On constate ce mécanisme depuis la Révolution française de 1789 jusqu’aux révolutions dites « prolétariennes » ou « nationalistes populaires ».

Une question se pose alors : pourquoi des révolutionnaires authentiques durant le combat pour détruire un système social honni se transforment en dictateurs sanguinaires contre leur propre peuple ?… Avançons une hypothèse dont le développement sera examiné dans un autre texte : la cause en est dans la persistance d’une mentalité autoritaire hiérarchique, typique de l’époque pré-historique.

Pour changer radicalement un système social (c’est-à-dire en éliminer le vol de la force de travail et instituer la coopération libre et égalitaire), il reste donc le recours à la méthode pacifique. Hélas ! ses résultats ne sont pas décisifs. La méthode gandhienne a obtenu l’indépendance nationale, mais n’a éliminé ni la structure sociale inégalitaire ni la formation d’une armée dotée de la bombe nucléaire. Quant à la méthode de Martin Luther King, elle a relativement établi des droits sociaux pour les États-uniens d’origine africaine, mais ils demeurent encore les plus exploités.

Notons également les carences des principaux soulèvements populaires pour l’émancipation générale. Les successifs authentiques partisans d’un changement radical au bénéfice du peuple (Révolution française, Commune de Paris, Soviets russes, collectivités espagnols, révolution chinoise, cubaine, etc., autogestion algérienne) ont manqué d’un élément stratégique : une auto-organisation assez puissante pour constituer un pouvoir autonome décisif dans le rapport de force avec l’oligarchie au pouvoir. Cette carence, selon les militants les plus avertis de ces mouvements, avait pour cause : une insuffisance d’éléments suffisamment formés sur le plan théorico-pratique pour fournir au peuple les connaissances indispensables afin de transformer avec succès ses revendications en réalisations concrètes.

Concernant l’actuel soulèvement populaire en Algérie, il semble que l’action souffre des mêmes carences : inexistence d’une organisation autonome assez forte, dotée de ses représentants authentiques (librement élus, révocables à tout moment, ne jouissant d’aucun privilège matériel) pour passer des manifestations hebdomadaires des rues à la construction d’institutions autonomes d’autogestion sociale, libres, égalitaires et solidaires. Existe-t-il une autre solution (efficacement au service du peuple) pour concrétiser les droits légitimes de ce peuple qui clame ce principe fondamental : « Par le peuple et pour le peuple » ? Un mal dont on n’extirpe pas la racine (c’est le sens exact du terme « radical ») économique, ce mal peut-il être guéri ? Ce mal a comme nom successivement esclavagisme, féodalisme, capitalisme privé, capitalisme étatique. Quand donc remettra-t-on dans le débat l’autogestion comme système social, avec ses principes fondamentaux : liberté, égalité, solidarité au sein et entre les nations de cette planète ?

 

Publié sur Algérie Patriotique, le 03 septembre 2019, Le Matin d'Algérie, le 04 septembre 2019, La Tribune Diplomatique Internationale, le 03 septembre 2019. Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 31 Août 2019

Arrestation d'un journaliste lors d'un sit-in à Alger. PPAgency

Arrestation d'un journaliste lors d'un sit-in à Alger. PPAgency

Le titre est emprunté à la fameuse déclaration du philosophe Miguel De Unamuno, face aux militaires fascistes qui avaient envahi l’université dont il était le recteur, durant la guerre civile espagnole. De Unamuno leur avait dit : « Vous avez vaincu, mais pas convaincu ! »

De fait, après quelques décennies de dictature militaire fasciste (1), couplée avec un obscurantisme religieux médiéval, le peuple espagnol a reconquis son droit à une démocratie, certes, bourgeoise capitaliste, mais néanmoins libérée du hideux et mortifère fascisme, avec l’emprise cléricale sur laquelle il se basait : la carotte sinon le bâton.

Ceci étant dit, partout et toujours dans le monde, quand des autorités censurent, interdisent, bloquent des médias d’information ou de culture, certes, ces autorités montrent qu’elles possèdent la force. Mais disposent-elles du droit et de l’intelligence ?

Le droit.

Le droit est celui déclaré par la Charte des Nations Unies, paraphé par les nations qui en font partie. Ce droit reconnaît et légitime l’une des conquêtes de l’humanité, marquant son caractère civilisé, à savoir le droit d’expression et d’accès libre dans le domaine de l’information et de la culture.

Les autorités étatiques qui entravent ce droit, d’une part, sont en contradiction avec la Charte signée par l’État qu’ils incarnent, d’autre part, généralement, avec la propre Constitution de cet État. Mais il est vrai que les oligarchies ne s’embarrassent jamais du droit, puisqu’elles sont nées et existent essentiellement par la force. On est donc en présence du « droit » que permet la force, et non pas de la force que légitime le droit. Voir les développements à ce sujet sur le classique « Le Prince » de Machiavel.

L’intelligence.

Les autorités qui interdisent des publications informatives ou culturelles peuvent objecter que les interdictions qu’elles ont prises contre ces publications se justifient parce que ces dernières diffusent de fausses informations et des valeurs négatives.

Soit ! Supposons qu’en effet ces publications agissent ainsi.

Si les autorités déclarent verbalement que leur peuple est intelligent et sait distinguer le faux du vrai, pourquoi lui interdire l’accès à ces publications diffusant le faux ?… N’est-ce pas, alors, impliquer que ce peuple n’est pas, en réalité, capable de distinguer le faux du vrai ?… Et s’il en est incapable, à qui la faute ?… N’est-ce pas à un système étatique incapable de fournir au peuple les instruments cognitifs indispensables pour distinguer le faux du vrai ?… Et quel genre d’État agit ainsi sinon un État qui ne voit pas d’intérêt à ce que le peuple soit en mesure de distinguer le faux du vrai ? Et pourquoi cet État agit ainsi sinon pour dominer ce peuple ? Et pourquoi veut-il le dominer sinon pour l’exploiter et en tirer des privilèges illégitimes ?

Obscurité et lumière.

Un État représentant réellement son peuple, croyant sincèrement à sa maturité citoyenne, ne doit-il pas recourir uniquement à la conviction, et pas à l’interdiction, en matière informationnelle et culturelle ?… Et dans le cas où cet État craint que le peuple soit manipulé par des publications hostiles, la meilleure solution est-elle d’interdire ces publications ?… Dès lors, comment le peuple saura connaître et distinguer le faux du vrai ?… Un peuple auquel n’est permis que l’accès à ce que l’État veut bien lui faire connaître, ce peuple peut-il croire à ce que cet État lui dit ?

La meilleure manière de combattre des productions informationnelles ou culturelles jugées négatives ou hostiles n’est-il pas de leur permettre d’exister, et cela pour deux motifs ?… Le premier est de permettre au peuple de connaître ces publications et d’apprendre à en reconnaître leur négativité vis-à-vis du peuple et de sa patrie. Le second motif est de stimuler la critique publique de ces productions jugées négatives, et donc favoriser l’exercice de saine critique de la part du peuple. En effet, le moyen de montrer la négativité de certaines informations et idées n’est-il pas de ne pas les cantonner dans l’obscurité et dans la clandestinité, mais de les livrer à la lumière et à la publicité, et cela afin de démasquer leur négativité ?… Rappelons la fameuse déclaration (citation de mémoire, fidèle à la substance quand pas aux mots exacts) : « Je suis prêt à donner ma vie afin que la personne qui n’est pas d’accord avec moi aie le droit de parler ! » L’auteur de cette assertion fut l’un de ceux qui avaient contribué à cette splendide époque de l’humanité, appelée « illuminisme » en France. Son nom : Voltaire, le combattant acharné de l’obscurantisme et du despotisme sous toutes leurs formes, alors féodales.

Bataille et guerre.

De ces quelques brèves considérations, ne faut-il pas en conclure que jamais, au grand jamais vaincre par la force de l’interdiction, ce n’est pas convaincre ? Qu’au contraire, c’est seulement montrer la faiblesse dans le domaine des idées de celui qui interdit, parce qu’il est incapable de répondre publiquement à ces publications, ou parce qu’il craint que ces publications révèlent des choses qui remettent en cause la légitimité de celui qui interdit ?… Ne doit-on pas en conclure que des autorités légitimes et représentatives réellement du peuple n’ont nul besoin d’interdire, mais de laisser leurs adversaires libres de s’exprimer, afin de montrer leurs négativité ? Pour vaincre de manière rationnelle et légitime, la seule méthode n’est-elle pas de savoir convaincre ? Et, pour en être capable, ne faut-il pas avoir de son coté le droit, celui authentique, qui s’exerce au réel bénéfice du peuple et de la patrie où il vit ? La vérité ne se dégage-t-elle pas dans la confrontation publique, libre et démocratique ? N’est-ce pas là le signe de l’intelligence d’un peuple et, par conséquent, de ses représentants légitimes ?… Enfin, interdire l’expression et l’accès libres en matière d’informations, n’est-ce pas gagner seulement une bataille en se leurrant de gagner la guerre ? En effet, la vérité ne finit-elle pas triompher toujours, même si elle besoin de temps qui peut être des décennies ?

La preuve de l’intelligence d’un peuple, c’est qu’il finit tôt ou tard par connaître la vérité, et cela en confrontant les idées et informations contraires. À plus ou moins long terme, aucun peuple ne veut être vaincu, mais seulement convaincu, et, pour l’être, seule la confrontation publique des idées opposées est opérante. Dans le monde, des siècles d’esclavagisme, puis des siècles de féodalisme, puis quelques siècles de capitalisme, enfin quelques décennies de totalitarisme fasciste et « socialiste » étatique, ne sont-ils pas des leçons suffisantes ? Et, en Algérie, cent trente deux ans de colonialisme étranger, plus de cinquante ans de colonialisme indigène, et six mois de manifestations populaires ne sont-ils pas des leçons suffisantes ?

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(1) Qui élimina dans le sang (avec le soutien des staliniens, il faut le préciser) l’autogestion paysanne, ouvrière et administrative.

 

Publié sur Algérie Patriotique, le 29 août 2019, Le Matin d'Algérie, le 30 août 2019 , La Tribune Diplomatique Internationale, le 29 août 2019. Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

 

 

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #EDUCATION-CULTURE, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 29 Août 2019

6ème mois des manifestations populaires hebdomadaires en Algérie, aout 2019.

6ème mois des manifestations populaires hebdomadaires en Algérie, aout 2019.

Cohérence.

Partout et toujours, également en Algérie, chaque fois que le peuple bouge et présente ses revendications, on constate les déclarations d’intellectuels de tout bord, de toute idéologie. Celle-ci est généralement camouflée, enrobée dans des mots flatteurs pour le lecteur ou l’auditeur. La majorité de ces intellectuels ont deux caractéristiques : d’une part, ils proclament avec leurs plus belles paroles et leur meilleure maîtrise de la sophistique qu’elles aiment le peuple, le respectent, lui veulent tout le bonheur possible ; d’autre part, ces mêmes intellectuels s’arrogent le droit d’affirmer la recette, l’unique, pour réaliser ce bonheur du peuple. Pour les uns, cette recette est une interprétation tout personnelle d’une religion (ou d’une morale, par exemple confucéenne ou shintoïste) ; pour d’autres c’est le capitalisme, bien entendu non « sauvage » (qui se permettrait de faire l’éloge de la barbarie ?), mais « social-démocrate » (ah, le joli mot : « social », triste relique du beau mot « socialisme », si vilement exploité par les oligarchies d’inspiration marxiste-léniniste).

Mais, qui donne le droit à des intellectuels de décider que ce qui convient au peuple, c’est ce qui semble convenir à ces intellectuels ?… Certes, ils ont le droit de proclamer ce qui leur convient, mais pourquoi l’alléguer automatiquement comme convenant au peuple ?

On peut deviner le motif de cette procédure : ces intellectuels se croient dépositaires de la Recette-Miracle, parce qu’ils possèdent un diplôme et un emploi universitaires, que, d’ailleurs, ils brandissent toujours comme faire-valoir. Ce qui implique, - bien que rarement déclaré -, que le peuple est trop ignorant pour savoir ce qui lui convient, puisqu’il ne peut pas arborer les mêmes distinctions académiques.

Pourtant, le peuple a un dicton : « Être instruit n’est pas forcément être intelligent ». En effet, le peuple sait, par expérience, que les privilèges matériels aveuglent généralement l’intelligence, celle scientifiquement objective et éthiquement honnête.

 

Cas algérien.

Prenons le cas algérien actuel. À tous ceux qui déclarent ou écrivent que le modèle capitaliste, atténué sous forme social-démocrate, est la solution pour l’Algérie, tout en évoquant la légitimité de l’intifadha populaire actuelle, ne comprennent-ils pas leur contradiction ? Ne voient-ils pas que leur allégation ne tient pas compte de l’avis de ce peuple qui, pourtant, occupe les rues hebdomadairement depuis six mois ?… Ne doivent-ils pas avoir la modestie de demander à ce peuple ce qu’il considère, lui, la meilleure solution pour le pays, donc pour lui ?… Est-ce le travailleur qui doit se conformer à la conception de l’économiste, le citoyen à celle du politicien, la « base » au « sommet » ou, au contraire, l’économiste qui doit se conformer aux nécessités du travailleur, le politicien à celles du citoyen, le « sommet » à la « base » ?… Par conséquent, en quoi l’intellectuel est-il légitimé à affirmer la nécessité d’un capitalisme, même le plus « social », sans préalablement vérifier que le peuple partage ce choix ? Un enfant le dira à sa manière : ne parlez pas en mon nom sans me demander mon avis, ou, alors, vous êtes des imposteurs.

Alors, intellectuels, encore un effort, non pas pour être réellement en faveur du peuple (je n’ose pas dire : à son service), mais, au moins, pour être cohérents du point de vue où vous vous croyez maîtres, celui intellectuel. En affirmant votre préférence (adoration) pour un système capitaliste, n’ajoutez pas que c’est la meilleure solution pour le peuple, mais contentez-vous de la vérité : que ce système capitaliste est celui qui répond à vos intérêts de caste. Autrement, si vous en êtes capables, montrez, - non seulement en paroles mais en actes -, ce que sont, pour vous, l’amour de l’humanité et d’abord de sa partie opprimée, l’humilité de l’authentique intellectuel, et la grandeur de l’authentique être humain. Car, on sait que l’obsession des privilèges vient de la sécheresse du cœur, et que cette calamité infirme l’intelligence de l’esprit, dès lors tout « raisonnement » n’est que verbiage sophiste trompeur.

 

Perspective historique.

Ceci étant dit, la majorité des intellectuels, de par leur position économico-sociale élitiste de caste, ne sont pas et ne peuvent pas accorder au peuple de l’intelligence, même quand ils osent le qualifient de « génial ». Génial ou stupide, le peuple, il faut choisir. Encore une contradiction !

Alors pourquoi parler de ces intellectuels ?… Pour en démasquer l’imposture de caste, celle consistant à vouloir le beurre (se présenter comme amis et soucieux du peuple) et l’argent du beurre (celle d’ignorer ce peuple quand il s’agit de parler d’un modèle socio-économique). En effet, le capitalisme « social », la « social-démocratie », certes, sont moins sauvages que le capitalisme sans foi ni loi ; mais, est-ce là ce qui est, réellement, meilleur pour un peuple ?… Pendant des siècles, la caste intellectuelle, à une infime minorité d’entre eux (l’exception confirmant la règle) a déclaré le système esclavagiste « naturel » ; même les sommités de l’époque, Aristote et Platon, l’ont affirmé. Qu’on lise leurs écrits à ce sujet, et l’on éclatera de rire au ridicule de leurs « raisonnements » pour justifier l’esclavagisme. Il en est de même du système féodal. Qu’on lise les écrits des sommités intellectuelles d’alors (en Occident, un Machiavel, un Saint Thomas ou un Saint Augustin ; en Extrême-Orient, un Confucius). On rira de même du ridicule des « raisonnements » justifiant l’existence de seigneurs et de serfs.

À l’inverse, qu’on lise, durant l’époque esclavagiste, les très rares penseurs qui ont critiqué sinon dénoncé ce système social, tels Diogène de Synope en Occident, puis, durant l’époque féodal, Étienne de la Boétie en Occident, et un Zhuang Ze en Chine. On y trouvera la défense et l’illustration de la capacité des humains à gérer eux-mêmes leur propre existence, de manière libre, égalitaire et solidaire ; donc on découvrira la première idée de l’autogestion sociale collective généralisée. Est-ce un hasard que ces auteurs soient tellement peu connus, quand pas occultés ?

Alors, ayant en vue cette perspective historique de long terme, qu’on lise les « sommités » intellectuelles actuelles concernant le capitalisme, qu’il soit sauvage, « libéral », « social-démocrate » ou toute autre étiquette. Si l’on n’est pas aveuglé par des privilèges personnels, si l’on dispose d’un raisonnement objectif, si l’on est donc capable d’ « appeler un chat, un chat, et un fripon, un fripon », on rira également aux « raisonnements » ridicules qui justifient le capitalisme, quelque soit sa forme. Mais ces intellectuels majoritaires profitent de l’idéologie actuellement dominante. Doit-on, pour cela, les considérer plus pertinents, moins ridicules, moins oligarchiques que les sommités qui les ont précédés dans les systèmes respectivement esclavagiste puis féodal ?… Et doit-on s’étonner que la thématique auto-gestionnaire soit systématiquement occultée, aussi bien comme théorie que comme expériences ayant existé, en Algérie comme dans le monde (1) ?

 

Questions.

Enfin, quand un intellectuel « raisonne » et propose un modèle économico-social, ne faut-il pas lui poser ces questions : le peuple, dont tu prétends faire le bonheur, as-tu pris l’élémentaire précaution méthodologique de demander son avis ? Sinon, ne devrais-tu pas avoir l’honnêteté de te limiter à parler uniquement en ton nom personnel (celui de ta caste), sans te masquer derrière l’invocation du peuple ? Car tu ne trompes point les personnes éclairées, sinon par l’instruction du moins par l’expérience de l’humiliation : ton refus d’accorder de l’importance, - la première, et avant la tienne -, à la voix populaire, c’est ton refus de caste à comprendre ce peuple, c’est ton abdication intellectuelle à l’intelligence de ce qu’est la valeur du peuple, quelques soient ses carences. Aussi bas qu’il tombe, il ne l’est pas au niveau de mercenaire, de menteur, de profiteur, d’imposteur. Aussi peu instruit qu’est le peuple, aussi conditionné par ses dominateurs qu’il peut l’être, le peuple sait, d’une manière ou d’une autre, parce son existence d’opprimé le lui enseigne, ce que contiennent et représentent des expressions comme exploitation économique, domination politique, ainsi que des mots comme liberté, égalité, solidarité. En Algérie, mieux qu’auparavant depuis le 22 février 2019, le peuple ne le démontre-t-il pas, à sa manière ?… Il lui reste à s’auto-organiser pour se doter de ses propres institutions représentatives et de ses propres mandataires, révocables à tout moment, ne bénéficiant d’aucun privilège sinon celui de servir le peuple, dans le sens le plus noble du terme ; ainsi, ces mandataires se servent également eux-mêmes, car la liberté de l’intellectuel est la plus authentique là où l’est aussi celle du peuple.

_____

 

(1) Pour l’Algérie, voir https://editionsasymetrie.org/autogestion/. Pour la Russie : Voline « La révolution inconnue », pour l’Espagne : « L’Espagne libertaire 1936-1939 », respectivement disponibles in http://kropot.free.fr/Voline-revinco.htm et http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fwww.somnisllibertaris.com%2Flibro%2Fespagnelibertaire%2Findex05.htm

 

Publié sur Algérie Patriotique, le 24 août 2019, Le Matin d'Algérie, le 28 août 2019, La Tribune Diplomatique Internationale, le 24 août 2019 . Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

 

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 23 Août 2019

De la volonté du peuple de s’autogérer

Le peuple est, déclare-t-on, souverain, base de la légitimité des lois dont la Constitution est le premier fondamental.

Alors, logiquement, il faut tout d’abord donner la parole à ce peuple, afin qu’il choisisse sa Constitution. Mais, attention ! Tout est dans la manière de la lui donner, cette parole, de la lui accorder, sa volonté. À cet effet, seront exposées succinctement des considérations générales, puis particulières.

 

Méthode « hard ».

Il y a la manière forte, brutale, violente, autoritaire et totalitaire. Elle s’auto-proclame détentrice de ce qui fait le bonheur du peuple, et les auteurs de cette manière imposent leur conception au peuple. Malheur à lui s’il conteste : ce sera, alors, la terreur, de forme cléricale, fasciste ou « bolchevique ». On est, alors, dans le cas d’un régime « religieux », d’essence fasciste ou formellement (mais uniquement formellement) « soviétique », « communiste », « socialiste », « démocratique et populaire », etc.

Dans ces cas, les instruments décisifs pour « convaincre » le peuple d’être la source de la volonté « nationale » (en réalité, de la volonté d’une oligarchie), sont : 1) la propagande étatique ; 2) la domination d’un Parti unique, auto-proclamé Omniscient et Omnipotent, incarné par un « Leader » charismatique ; 3) la terreur policière, sinon militaire.

Par chance, pour ainsi dire, ce genre de régime dur ne… dure pas longtemps : tout au plus quelques générations, après lesquelles le peuple, soumis aux injustices devenues insupportables, se révolte, de manière violente ou pacifique, autonome ou manipulé par des officines impérialistes étrangères, au point de faire écrouler le régime dominateur. Mais soyons clair : le régime s’écoule non pas parce que des agents étrangers ont agi (ils ne sont qu’un élément secondaire), mais parce que les contradictions internes entre le peuple et ses dominateurs arrivent au point de n’être plus gérables par l’oligarchie au pouvoir.

 

Méthode « soft ».

Et il y a la manière douce, pacifique, formellement (mais uniquement formellement) libre, démocratique, égalitaire et solidaire. Cette manière consiste à manipuler le peuple, à l’étourdir, l’aliéner, le tromper, le flatter jusqu’à l’amener à opter pour ce qui est contraire à son intérêt, par exemple un système économique où ce peuple sera exploité au profit d’une minorité, travestie en démocratique, progressiste et bienfaitrice pour la nation entière. On a, alors, une forme de capitalisme dit « libéral » (où la liberté est généralement celle du plus rusé et malhonnête pour s’emparer des moyens collectifs de production, et réduire les autres à des salariés dont il tire la plus-value qui l’enrichit), « social » (consistant à concéder aux exploités des miettes comme « amortisseurs sociaux », empêchant leur révolte), « progressiste » (dans l’enrichissement des capitalistes, lesquels font tout pour maintenir les salaires dans une proportion maximisant la plus-value, d’où l’apparition de milliardaires), « idéal » (pour l’enrichissement d’une minorité au détriment d’une majorité), le « moins pire » des systèmes (bien entendu, comparé aux faillites lamentables du système dit « socialiste », en réalité capitaliste étatique, tandis que le système auto-gestionnaire est, évidemment, occulté), etc.

Dans ce cas, les instruments décisifs pour convaincre le peuple d’être la source de la volonté nationale, sont : 1) essentiellement la propagande, par le contrôle des médias d’information et de « culture » ; 2) la possibilité uniquement à deux partis politiques principaux de concourir et de gagner les élections présidentielles (aux États-Unis « républicains » vs « démocrates », en Angleterre « conservateurs » vs « travaillistes », en France « libéraux » vs « socialistes », en Allemagne « conservateurs » vs « social-démocrates, etc.) ; 3) la terreur policière ; 4) la répression armée intervient seulement en dernier recours, très rarement, quand le peuple s’aperçoit de la manipulation dont il est victime et, par conséquent, se révolte contre « son » État, « sa » Constitution et « ses » lois, lesquelles sont, en réalité, conçus et établis par l’oligarchie qui est parvenue à faire croire au peuple qu’elle est sa représentante légitime et bienfaitrice. Exemples de répression armée (ou seulement menace par le déploiement des militaires) : les manifestations contre la ségrégation raciale et pour les droits civiques aux États-Unis, le mouvement de mai 1968 en France.

Par malchance, ce genre de régime « doux » parvient jusqu’à présent à se maintenir, depuis sa naissance au XVIIIè siècle. D’où l’illusion des esprits à très courte vue, parce que aveuglés par leurs privilèges (ou par leur ignorance), de croire ce système éternel, le meilleur, l’incontournable, le réaliste, etc.

Dans ces deux cas, dur (hard) et doux (soft), les gérants de l’État font croire et exigent du peuple qu’il reconnaisse que sa volonté est respectée et appliquée. Et que, par conséquent, toute contestation de sa part est illégale, anti-constitutionnelle, une menace à la sécurité et à l’intégrité de la nation, etc., etc. À ma connaissance, ce genre de situation a connu une seule exception : après la révolte populaire de 1968 en France, le chef de l’État contesté s’est risqué à un référendum, demandant au peuple s’il accepte qu’il continue à présider l’État. Le peuple se prononça négativement, et Charles De Gaulle se retira. Il est permis de croire que ce double « Sauveur » de la France (d’abord occupée par les nazis, puis menacée de guerre civile suite à la guerre de libération nationale algérienne), eh bien ce deux fois « Sauveur » ne s’attendait pas au résultat populaire négatif, que néanmoins, il respecta. Ceci dit, le chef de l’État changea, mais le système économique demeura.

 

Cas algérien.

Les précédentes observations ont été exprimées pour arriver à la situation actuelle de l’Algérie.

Voilà un peuple qui arrive à son sixième mois de manifestations pacifiques, résolues et continues pour exiger que sa voix soit écoutée, que sa volonté soit respectée, que ses légitimes revendications soient appliquées. Voilà six mois que ce peuple auto-gère son intifadha (soulèvement, si le premier terme dérange certains). Oui : auto-gère ! Sans dirigeants ni parti politique ni leader charismatiques.

Et à ce peuple, des « représentants » représentant quelque chose (avoué ou occulté) ou même rien proposent toutes sortes de solutions, toutes du type capitaliste, qu’ils appellent « libéral » (ci-dessus fut précisé ce qu’il faut entendre par cet adjectif, apparemment positif), autrement dit hétéro-gérées (gestion par d’autres : membres d’une « élite » soit disant savante et compétente), mais jamais n’est évoquée, pas même pour la rejeter, l’autogestion comme système économique, social et politique.

La question est alors : est-il concevable, acceptable, raisonnable, logique qu’un peuple qui a auto-géré son soulèvement durant six mois, accepterait l’instauration d’un système social (défini comme « seconde république ») où de l’auto-gestion de son soulèvement populaire, il passerait à une hétéro-gestion du reste de sa vie sociale ?

Certes, oui, ce funeste résultat est possible si ce peuple n’a pas la conscience suffisante pour faire accoucher de son soulèvement autogestionnaire des institutions permettant l’établissement d’une forme de société également autogestionnaire. Et cette hypothèse anti-populaire est plausible tant que ce soulèvement populaire n’a pas, - parce qu’il ne veut pas ou ne peut pas -, disposer de ses propres et légitimes représentants, laissant à d’autres le soin de s’auto-proclamer comme ses représentants. Alors, le peuple retombera dans la malédiction de Sisyphe : soulever le rocher de la révolte émancipatrice pour la laisser retomber au pied de la montagne de l’exploitation économique, quitte à ré-essayer encore et encore, jusqu’à devenir capable d’auto-gérer non seulement, dans un premier temps, son soulèvement contre une oligarchie, mais également, par la suite, sa construction d’une société d’où sera éliminée toute forme d’oligarchie. Ce nouveau système social, pourrait-il exister autrement que par l’autogestion sociale généralisée ?… Ceux qui déclarent que ce dernier système fut un échec ou est une utopie, soit ignorent de quoi ils parlent, soit occultent volontairement la vérité historique ; dans les deux cas, leur affirmation est dictée par leur crainte de voir les privilèges dont ils jouissent disparaître en cas d’instauration d’un système auto-gestionnaire. Aussi, face à toutes les belles déclarations en faveur du « génie » du peuple, à l’auteur qui l’affirme il faut demander : « Es-tu, alors, prêt à contribuer à ce que le peuple prenne en main son propre destin, autrement dit puisse établir les institutions lui permettant d’auto-gèrer la société qu’il constitue ? » N’est-ce pas là la question fondamentale que la raison impose ? Et, selon la réponse claire et nette, - car il faut qu’elle le soit ! -, savoir qui est, en réalité, par et pour une hétéro-gestion (par nature oligarchique), et qui est par et pour une auto-gestion (par nature populaire) ? Enfin, qui est capable d’expliquer en quoi le juste principe « par et pour le peuple » correspondrait à un système hétéro- et non auto-gestionnaire ?… Voilà comment démasquer les divers jésuitismes intéressés des castes privilégiées, du genre capitalisme « libéral », « social », « marché », « nantis », « démunis », « progrès », « nation », « patrie », jésuitismes employés uniquement pour tromper le peuple, à la manière du renard flattant le corbeau dont il veut posséder le fromage. « Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute », dit la fable.

C’est dire combien la conscience vigilante d’un peuple doit être la plus large et la plus profonde possible s’il ne veut pas être réduit à une simple masse de manœuvre pour changer seulement la forme oligarchique d’un système économique en conservant sa nature. Voilà pourquoi toute réflexion sociale doit être soumise à la lumière du phare économique, en examinant la question de base de tout système social : le travail humain doit-il servir à enrichir une caste minoritaire ou la collectivité entière, de manière équitable ? Pour répondre à cette question, il est obligatoire, - si l’on est éthiquement honnête -, de mettre en comparaison le capitalisme, quelque soit sa forme (« libérale », « sociale » ou étatique), et l’hypothèse auto-gestionnaire. Ignorer ou occulter cette hypothèse, c’est avouer l’incapacité d’infirmer sa validité. Il reste, alors, au peuple concerné, et à lui seul, de démontrer la valeur de ce qui lui permet de gérer lui-même sa vie, en établissant ses propres institutions, de manière libre, égalitaire et solidaire. Le chemin est long et ardu, mais existe-t-il un autre ?

Tout ce que l’on peut affirmer est que le moyen et le but, heureusement, se confondent : l’auto-gestion sociale générale commence par l’auto-gestion de tout domaine d’activité sociale possible, y compris le plus petit : un long voyage commence par des premiers pas. Il faudrait donc que les marches hebdomadaires, les forums citoyens et toutes les autres formes légitimes d’action populaire accouchent de méthodes plus raffinées d’autogestion sociale. Imagine-t-on, alors, combien ce genre de système social évitera les gaspillages, les vols de biens publics, le parasitisme, la corruption non seulement en haut de la hiérarchie sociale, mais également au plus bas ( car elle existe, renforce et légitime celle d’en haut), bref empêcher toute forme d’action mafieuse ? Est-ce là de l’ « aventurisme », de l’ « anarchie », de l’ « irresponsabilité », du « radicalisme », de l’ « utopie » ? N’est-ce pas ainsi, - et seulement ainsi - que l’on contribue réellement à édifier une nation économiquement prospère, politiquement démocratique, socialement unie, culturellement de progrès, psychiquement saine ?

 

Publié sur Algérie Patriotique, le 20 août 2019, Le Matin d'Algérie, le 22 août 2019, La Tribune Diplomatique Internationale, le 21 août 2019. Voir les commentaires de lecteurs dans les publications, notamment sur Algérie Patriotique.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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