Publié le 20 Août 2019

La belle au bois dormant

Dans un texte précédent (1) fut évoquée l’absence totale du thème de l’autogestion dans les débats sur la « deuxième république » espérée en Algérie. Deux faits, survenus par la suite, obligent à y ajouter des considérations.

D’un « représentant »

Dans une publication (2), on lit ces déclarations de M. Karim Younes, coordinateur de l’instance de dialogue et de la médiation : « « Nous ne représentons ni le hirak ni le pouvoir » »… Soit. Mais, alors qui ?

Eh bien, la réponse se trouve dans un extrait suivant de la même déclaration :

« A cet effet, nous appelons à l’union des forces patriotiques et démocratique pour qu’éclose le génie libérateur du peuple algérien au service d’un État de droit qui repose sur une économie sociale de marché qui consacre le mérite tout en protégeant les plus démunis », a-t-il expliqué. »

Donc, M. Karim Younes représente un capitalisme qui se voudrait « protecteur » des « plus démunis », et comment y parvenir ?… Par le « génie libérateur du peuple algérien ». Oui ! l’adjectif est bien « libérateur ». Donc, si on comprend bien cette assertion, le « génie libérateur du peuple algérien » travaillerait pour une économie de « marché, autrement dit un système qui en ferait des salariés travaillant pour un patron, donc des exploités !... Évidemment, M. Younes a le droit de vouloir cette option, et de la présenter à sa manière : un « peuple » se « libérant » en instaurant le capitalisme !... Cependant, ce choix et la manière de le présenter appelle des remarques.

Remarquons d’abord la manière, typique d’une certaine caste élitiste et élitaire, non pas algérienne, mais mondiale : commencer par évoquer le « génie libérateur d’un peuple » pour justifier le système non pas autogestionnaire, mais... capitaliste. Soit M. Younes ignore les contradictions contenues dans ce qu’il dit, soit il prend le peuple pour un troupeau de dindons.

Seconde remarque. Où donc existe actuellement ce genre d’ « économie sociale de marché » ?… En Finlande, dans les pays scandinaves, en Suisse ?… Dans ces nations, les « plus démunis », le « peuple », se considèrent-ils réellement « protégés » ?

Troisième remarque. Un coordinateur de dialogue et de médiation a-t-il le droit de proclamer un choix en faveur d’un « marché » ?… Ne doit-il pas, au préalable, s’informer sur ce que veulent, d’une part, l’autorité étatique, et, d’autre part et surtout, le peuple qui manifeste depuis cinq mois ?Ne doit-il pas s’assurer si ce peuple opte pour un système où ce qu’on appelle les « démunis », plus exactement les exploités économiquement sans oublier les exclus du système économique comme chômeurs (indispensable masse de manœuvre dans le système capitaliste pour disposer d’une pression sur les travailleurs en ce qui concerne leurs revendications salariales), que ces « démunis » n’ont qu’à être « protégés », au lieu d’être les protagonistes du système social nouveau qui éliminera cette catégorie de « démunis » ?

Quatrième remarque. Que signifie une économie « sociale » ?… L’adjectif semble joli, sonne bien à l’oreille, mais quel en est le contenu réel ?… S’agirait-il de capitalisme « social », autrement dit la concession d’os à ronger pour les « démunis », afin de les dissuader de se révolter ?

Et pourquoi dire « marché » au lieu de « capitaliste » ? N’est-ce pas là une tartufferie, une tromperie ? Et encore : un système social qui a besoin d’une « protection des plus démunis », quelle est sa nature, sinon de menacer ces démunis puisqu’il faut, alors, les « protéger » ?… Quant à ce système de « marché qui « consacre le mérite », sait-on ce que signifie ce mot « mérite » dans une économie capitaliste ? Généralement, n’est-ce pas la ruse, la filouterie, le vol légalisé ?… Est-ce donc pour ce système-là que le peuple algérien occupe les rues depuis cinq mois ?

Mesures pour pallier à des déficiences.

Un autre fait est à signaler. On lit dans les journaux que les autorités étatiques sont préoccupées pour le fonctionnement des unités économiques dont les propriétaires se trouvent actuellement en prison. Juste préoccupation.

Mais, quand, juste après l’indépendance nationale, des entreprises économiques virent leurs propriétaires, y compris les cadres administratifs et techniques, abandonner ces entreprises, n’est-ce pas les travailleurs mêmes de ces entreprises qui ont repris la gestion, et cela avec succès, quoiqu’en disaient les ennemis de cette autogestion, ennemis non seulement capitalistes, mais tout autant les nouveaux détenteurs du nouvel État, pourtant proclamé « démocratique et populaire » ?

Alors, actuellement, en 2019, pourquoi ne pas confier la gestion de ces entreprises privées à leurs travailleurs, d’autant plus que sont présents les cadres aussi bien administratifs que techniques ?

Ajoutons cet autre argument en faveur de cette option autogestionnaire. Entre un patron privé et une propriété collective autogérée par ses employés et travailleurs, qui est susceptible de gabegie, de gaspillage, de pots de vin, de causer des obstacles à une production nationale autonome pour privilégier l’importation, afin de bénéficier de versements-pots de vin en argent dans des comptes off-shore ?… Bref, qui œuvre et œuvrera pour le bien réel de l’entreprise, donc, pour celui de la communauté nationale toute entière : une entreprise possédée par un patron privée (même si compétent et surtout « honnête » - que l’on en cite un seul, en Algérie comme dans le monde !) ou, au contraire, gérée collectivement par ses employés et travailleurs ?

Clarifications.

Écartons de faciles et opportunistes malentendus. 1) Le problème débattu ici concerne la propriété des moyens collectifs de production, et non la propriété strictement individuelle qui satisfait des besoins tout autant strictement individuels. 2) Le plaidoyer ne vise pas à reproduire les « modèles » passés, dits « socialistes » : non seulement ils eurent l’échec qu’ils méritaient (parce que gérés par des oligarchies étatiques), mais ils furent les impitoyables destructeurs de toute forme d’autogestion économique et sociale par et pour le peuple, dont ces « modèles » se proclamaient soit disant « représentants ». 3) En Algérie, l’autogestion collective fut éliminée par le capitalisme étatique, maquillé en « socialisme », imposé par Ben Bella et consolidé par le colonel Boumédiène. 4)Les propos tenus dans cette contribution n’affirment nullement que l’autogestion est le modèle idéal, mais simplement d’introduire ce système social dans la discussion publique, non seulement entre « experts » de l’ « élite », mais également au sein du peuple, à travers la création de comités populaires de discussion et de réflexion. N’est-ce pas cela la démocratie authentique, c’est-à-dire par et pour le peuple ?… La question, donc, est la suivante : pourquoi la belle au bois dormant, de la fable, ne serait pas précisément le système économique autogestionnaire, et que son seul prince charmant ne serait pas le peuple, en premier lieu celui des travailleurs, lesquels sont la colonne vertébrale de ce qu’on nomme peuple ?

Première ou dernière roue de la charrette ?

Au lecteur de conclure : un médiateur, M. Younès, d’une part, et, d’autre part, des détenteurs de l’État qui optent pour le capitalisme, quelque soit le maquillage (« social ») dont on veut l’embellir, en ignorant totalement l’alternative autogestionnaire, ne devraient-ils pas, si réellement ils veulent tenir compte du peuple, lui demander son avis à ce sujet ? Bref, le peuple est-il la première ou la dernière roue de la charrette qu’est la communauté nationale ?

Attention donc aux plus belles déclarations verbales en faveur du peuple et des « démunis » ! Il faut absolument vérifier dans la réalité concrète si elles ne sont pas semblables aux déclarations d’un marchand de poissons : c’est en les mangeant que l’acheteur se rend compte s’il a bien fait de croire les vantardises du vendeur où s’il fut trompé. Dit plus doctement, les plus belles proclamations se fracassent toujours en révélant leur imposture quand elles sont examinées en considérant la réalité qui les contredit. Et la réalité, c’est : de quel droit un être humain prend possession (généralement de façon illégitime, mafieuse) d’un bien de production collectif, d’une part, et, d’autre part, de cette manière, réduire un autre être humain, un peuple, à une marchandise, à une vache à lait ?… Si les systèmes esclavagiste puis féodal furent décrétés comme éternels, par ceux qui en profitaient, mais furent éliminés par les luttes des peuples qui en étaient les victimes, est-il censé de prétendre que le système capitaliste, lui, durera éternellement ?… Un idiot mandarin, professeur dans une université des États-Unis, a déclaré voici peu de temps la « fin de l’histoire ». Les peuples, dont l’université est la vie, lui ont démontré le contraire.

« Erga omnes » !

En alternative au système capitaliste, n’est-il pas, alors, non seulement permis mais un devoir de re-poser la question de l’autogestion collective, non pas comme « modèle prêt-à-penser » et « prêt-à-appliquer », mais comme source concrète d’inspiration pour trouver ce que la raison et l’exigence de justice indiquent : plus jamais d’exploitation économique, mais coopération économique ! Plus jamais de domination politique, mais consensus réellement démocratique donc populaire ! Plus jamais de conditionnement idéologique et culturel aliénant, mais recherche sereine et objective des valeurs permettant l’établissement d’une humanité proclamant sur ses édifices publics : Liberté, Égalité, Solidarité, en mettant ces mots en pratique.

Utopie irréalisable ?… Les privilégiés des systèmes esclavagiste puis féodal le déclaraient. Les peuples leur ont donné tort. Quel devin, aujourd’hui, prétendrait que les peuples ne finiront pas par donner tort aux tenants du capitalisme, y compris « social », en instaurant l’autogestion collective ?

Sans doute, du temps sera nécessaire, des luttes populaires également. Autrement, où mènera le capitalisme sinon aux guerres, dont la dernière sera nucléaire, laquelle fera disparaître l’espèce humaine toute entière ? Les oligarques ont partout et toujours opté pour ne disparaître qu’en faisant disparaître avec eux ceux qui les contestaient : « Après moi, le déluge ! »… Pourquoi pas l’autogestion collective, source de coopération pacifique, libre et égalitaire entre les peuples ?… Celui qui objecterait : « L’humanité est trop mauvaise, par nature, pour parvenir à cette utopie ! », qu’il prenne la peine de connaître le chemin parcouru par cette humanité depuis l’esclavage à aujourd’hui. Il apprendra, par exemple, quel était le mot d’ordre de la première révolte d’esclaves, dirigée par Spartacus, contre le système qui les opprimait : « erga omnes » : « pour tous » !

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(1) « L’occultée de la « deuxième république » », in https://www.lematindalgerie.com/loccultee-de-la-deuxieme-republique

(2) https://www.tsa-algerie.com/pour-karim-younes-le-hirak-doit-se-poursuivre-pour-maintenir-la-pression/

 

Publié sur Algérie Patriotique, le 16 août 2019 , Le Matin d'Algérie, le 17 août 2019, La Tribune Diplomatique Internationale, le 19 août 2019. Voir les commentaires de lecteurs dans les publications.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 9 Août 2019

LA BELLA PRIMAVERA : Semi di libertà solidale nel maggio francese

Publication en version italienne de l'essai de Kadour Naimi.

Il est déjà paru en français sous le titre

UN MAI LIBRE ET SOLIDAIRE : La traversée de 68 par un jeune Algérien

publié par Editions Atelier Libertaire

et en anglais sous le titre :

FREEDOM IN SOLDARITY :
My experiences in the May 1968 Uprising

translated by David Porter

publié par AK Press.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 9 Août 2019

Un travailleur de la SNVI face à des gendarmes.

Un travailleur de la SNVI face à des gendarmes.

Le « cadavre »

Qui pourrait expliquer pour quel motif, en Algérie, les « experts » en tout genre ont noirci et continuent à noircir des tonnes de livres, de revues, de journaux, de blogs, etc., concernant la forme politique la plus convenable, « démocratique » disent-ils tous, sans jamais pas même faire allusion à l’autogestion ? Pour qui l’ignore, - car l’argument fut et demeure occulté totalement -, cette autogestion avait surgi dans le pays au lendemain de l’indépendance. En absence, d’une part, des propriétaires et des cadres techniques et administratifs d’entreprises, agricoles et industrielles, et, d’autre part, en absence d’un État nouveau pas encore formé, des travailleurs ont su s’organiser en comités de gestion, puis non seulement ils ont pu produire, mais encore avec une productivité meilleure par rapport à la période où ils n’étaient que des esclaves salariés. Ce fait, aussi surprenant que considérable, fut calomnié par les dirigeants même du nouvel État constitué et par leurs fonctionnaires les plus importants, au point que, par la suite, l’expérience autogestionnaire fut, dans le meilleur des cas, oubliée, et, dans le pire, considérée comme un échec caractérisé par le « désordre », la « gabegie » et l’ « anarchie », alors que ces derniers caractérisent le système capitaliste, qu’il soit de forme privée ou étatique ; preuves en sont, pour le capitalisme étatique, l’échec lamentable des pays dits « socialistes », et, pour le capitalisme privé, les « crises » cycliques, les guerres économiques et militaires, le ravage des ressources de la planète, sans oublier les luttes incessantes des producteurs salariés contre leur réduction à la pire des exploitations.

Mais combien connaissent la vérité ? Que l’autogestion ne fut pas une « utopie » d’aventuriers, mais une réalité de producteurs ex-salariés, c’est-à-dire ex-exploités ; qu’elle ne fut pas un « échec », mais une réussite concrète. Et combien savent comment l’autogestion fut éliminée ? Par la répression bureaucratique, les licenciements, les arrestations, les tortures si pas plus grave encore.

Nous voici, donc, une soixantaine d’années après, dans une situation où l’on ne parle plus de l’expérience autogestionnaire, mais seulement de la guerre de libération nationale. Pourtant, l’expérience autogestionnaire des travailleurs après l’indépendance fut l’unique suite logique de la guerre de libération nationale, car elle fut une libération sociale, et la meilleure imaginable, aussi inattendue que réelle.

On parle également, toutefois rarement, des assemblées de village en Kabylie, comme forme de démocratie directe, et du mouvement citoyen de 2001. Mais, encore une fois, pourquoi on n’évoque jamais l’expérience autogestionnaire ?… Au point qu’au temps de Ahmed Ouyahia comme premier ministre, on parla de minoteries et de briquetteries, déclarées déficientes, pour les confier à des… privés. Bien entendu, on sait lesquels : ceux de la « issaba » (bande). Dernièrement encore, on lisait dans la presse que certaines petites unités industrielles étaient mal gérées, et, donc, idem : privatisation, c’est-à-dire très probablement « issabisation ». Mais, pourquoi pas confier ces unités productives à leurs travailleurs, au moins dans un premier temps, pour vérifier leurs capacités autogestionnaires ?!… Pourquoi l’État, dit « démocratique et populaire » », favorise par principe les privés au détriment des travailleurs ?

La question.

Alors, voici une question. Elle ne s’adresse pas aux adorateurs du « Divin Marché » capitaliste et de son « progrès fantastique » (prétendant comme bénéficiaires tous les citoyens, alors que la réalité prouve le contraire), ni aux croyants au « capitalisme d’État », prétendument socialiste (déclarant comme bénéficiaire le « peuple », alors que les expériences à ce sujet montrent que les seuls bénéficiaires furent les membres des oligarchies étatiques régnantes), ni aux ignorants qui s’illusionnent que l’existence de « pauvres » et « riches » (entendons exploiteurs et exploités) est dans la « nature » humaine, ni à ceux qui justifient par une volonté divine la même division, ni aux désillusionnés qui n’attendent rien du peuple, considéré « taré », puisque démuni de diplômes universitaires, ni enfin à ceux qui traitent l’autogestion d’ « archaïque », de chose « passée », alors qu’ils ignorent totalement de quoi il s’agit, à part que ce fut une initiative de travailleurs, ce qui, pour ces désillusionnés « élitistes », est l’inconcevable. Il y a, enfin, ceux qui affirmèrent que l’autogestion fut l’œuvre de « pieds rouges » (communistes) étrangers, manipulant les travailleurs algériens. Évidemment, pour les auteurs de cette allégation, les travailleurs étaient incapables, par eux-mêmes, de prendre l’initiative de s’autogérer.

La question donc s’adresse à tous ceux, « experts » ou pas, qui se professent les plus « démocratiques », « progressistes » et « partisans » du peuple. Et voici la question : pourquoi, dans les débats en cours sur la forme de société répondant aux intérêts du peuple en Algérie, à ma connaissance aucun de ces intervenant n’a évoqué la période autogestionnaire, pas même seulement pour la rappeler comme faisant partie de l’histoire du peuple algérien, afin d’exprimer à son sujet un jugement à propos de la meilleure forme à donner à ce qui est appelé la « deuxième république » en Algérie, censée, pourtant, résoudre tous les maux du pays, sur la base de la volonté du peuple, donc des travailleurs producteurs de richesse ?

La vérité.

Et, pourtant, si on prend la peine de savoir ce que fut réellement l’autogestion algérienne, on s’apercevrait qu’elle fut l’embryon d’où pouvait naître une authentique démocratie réellement au service du peuple. En effet, l’autogestion instaura la coopération entre les producteurs, en éliminant l’exploitation économique de la part d’un propriétaire privé, donc elle élimina la base même économique de tout système exploiteur ; par conséquent, cette mesure supprima la hiérarchie autoritaire distinguant celui qui décide et commande sur celui qui se contente d’exécuter, donc toute forme de domination politique. Et, comble de l’hérésie de toute mentalité autoritaire hiérarchique : l’expérience autogestionnaire démontra qu’il n’est pas indispensable d’avoir un État autoritaire et oligarchique pour produire économiquement de la meilleure manière possible, mais simplement de disposer d’institutions non élitistes, non parasitaires (donc gaspilleuses), mais efficaces, au service réellement du peuple producteur de richesses.

Que l’on prenne la peine de voir la carte des entreprises autogérées juste après l’indépendance, et leur extension maximale ; qu’on sache ce que fut la production réalisée ; qu’on lise les procès-verbaux des assemblées d’autogestion ; et l’on comprendra que si l’oligarchie indigène du nouvel État ne s’était pas opposée à l’autogestion (en l’ « embrassant » par les décrets de mars 1963, pour mieux l’étouffer), cette autogestion aurait pu être la base pour édifier une société réellement « par le peuple et pour le peuple », une démocratie réellement populaire... Et que l’on apprenne, à l’opposé, alors que les combattants de l’intérieur manquaient d’armement pour poursuivre la lutte anti-coloniale, comment l’oligarchie qui s’est formée déjà à la frontière marocaine de l’Algérie a plongé le pays dans la dictature, masquée de démagogie populiste socialisante, en laissant les vautours s’emparer de tout ce qu’ils pouvaient, à commencer par les « biens dits vacants », ensuite par l’obtention de privilèges divers illégitimes, vautours qui formèrent la base sociale de soutien de cette oligarchie inédite autochtone, laquelle eut l’imposture de se réclamer des chouhadas tombés au combat pour la libération non seulement nationale mais sociale (Charte de la Soummam) du peuple algérien.

Rappelons à la mémoire.

Le déclenchement de l’insurrection armée anti-coloniale fut l’initiative d’un groupe de citoyens, jeunes et socio-économiquement modestes ; ils reçurent les quolibets des « bien-pensants » petits-bourgeois et bourgeois dans le pays, évidemment arrogants et méprisants, qui les traitèrent d’ « irréalistes », d’« aventuriers ». Ces critiqueurs rejoignirent l’insurrection seulement quand ils comprirent que c’était le train qui allait vaincre.

Quant à l’autogestion, elle fut une initiative de simples travailleurs. Là fut l’hérésie pour le même genre de petits-bourgeois, bourgeois et aspirant à l’être, y compris ceux « socialisants », « nationalo-populistes ». Comprend-on, alors, la menace ?… Le peuple travailleur prenait en main l’économie défaillante et avec succès ! Et qui dit économie, dit pouvoir. C’était enlever aux aspirants voleurs, accapareurs et exploiteurs toute espérance de sucer la sueur du peuple et de profiter des ressources économiques du pays indépendant. Dès lors, il fallait absolument éliminer cette autogestion. Et ils réussirent par la bureaucratie, sinon la violence. Résultat : la longue chaîne de misères, d’humiliations, de terreur dont la conséquence logique fut l’apothéose de corruption rapace et mafieuse que fut le régime Bouteflika, où dominèrent des escrocs sans vergogne et de tout acabit, du haut au bas de l’échelle sociale. Est-ce un hasard si c’est cet homme même qui, juste avant l’indépendance, alla soudoyer les dirigeants de la révolution prisonniers en France, et convainquit l’ambitieux de pouvoir, Ben Bella, de se joindre à l’autre ambitieux, le colonel Boumédiène, pour plonger le pays dans la dictature militaire avec toutes ses conséquences : désastre économique, régression sociale et culturelle, sans oublier la « décennie sanglante », suivie par les vingt années de filouterie et d’escroquerie de la « issaba » et de ses complices étrangers, sous le règne de celui qui se faisait appeler « Fakhamatouhou » (Son Excellence). Alors, l’Algérie montra ce qu’elle contenait de pire, de plus vile, de plus sale, de plus anti-patriotique, de plus harki aux néo-colonialismes, bref de plus abject, au point de rendre le citoyen ordinaire algérien honteux de lui-même, parce que détroussé de sa simple dignité, honteux de se dire algérien, parce que spolié de ses droits légitimes de citoyen, honteux de son histoire passée, parce que bafouée.

Le jugement.

Qui jugerait que ces propos ont le défaut d’être marqués de « radicalisme » inapproprié, vieillot et dépassé (d’autres ajouteraient « outrancier »), qu’ils expliquent comment instaurer une république réellement démocratique, au bénéfice du peuple tout entier, sans supprimer l’exploitation économique de l’être humain par son semblable. Quant à la fable hollywoodienne du pauvre vendeur de lacets de chaussures dans les rues de New York, qui devient, à force de travail et d’intelligence, propriétaire milliardaire d’usines de chaussures, tout esprit non infantile sait que pour y parvenir il faut une dose indispensable de ruse, de combines et de vol des sueurs d’autrui ; mais ces moyens sont « légaux » puisque accomplis dans le système capitaliste où « que le meilleur gagne », en fait le plus filou. En Algérie, on sait, depuis l’indépendance, comment l’on devient propriétaire d’un moyen collectif de production : généralement par le vol, la corruption et la violence, permis et protégés par des fonctionnaires de l’État, qui en tirent leurs dividendes. La « issaba » serait-elle née uniquement avec l’instauration de Bouteflika comme chef d’État ?… Avec lui ne s’agit-il pas simplement de sa manifestation la plus arrogante, la plus parasitaire et la plus mafieuse dans l’accaparement des richesses du pays ? L’apparition de cette « issaba » ne remonterait-elle pas, en fait, à l’assassinat de Larbi Ben Mhidi et de Abane Ramdane, suivi par l’enterrement de la « Charte de la Soummam », et poursuivi par un putsch militaire qui permit d’occuper l’État, et, juste après, d’éliminer l’autogestion, puis de la faire oublier complètement par les fameuses « trois révolutions » : « réforme » agraire (avec les villages et marchés du fellah, inopérants parce que conçus par une caste autoritaire et hiérarchique), gestion « socialiste » des entreprises (qui transforma les syndicats en courroie de transmission des ordres venus d’en « haut »), et « révolution » culturelle (ou l’héritage arabo-islamique servit à conditionner le peuple pour mieux l’asservir) ? Tous ces échecs ont justifié, par la suite, l’instauration du « libéralisme » dans sa forme capitaliste la plus mafieuse, et dont quelques représentants, privés et étatiques, sont désormais connus officiellement.

Reconnaissons que sur cette planète souffle le vampire d’un capitalisme débridé de jungle et de western, totalement psychopathe (1). Est-ce là un motif pour le laisser investir la patrie des chouhadas du 1er nombre 1954 et des autres chouhadas victimes de la dictature qui s’ensuivit, ainsi que la patrie de celles et ceux qui en sont à leur cinquième mois de manifestations pacifiques, en brandissant les portraits notamment de Abane Ramdane et de Larbi Ben Mhidi ?

Après ce qui vient d’être dit, pourrait-on espérer que cet article susciterait quelque réaction ?… Il a le défaut d’être écrit par un ordinaire citoyen et, fait aggravant, il ose jeter un pavé dans la mare des « experts » qui se déclarent « patriotes », « démocrates » et « progressistes ». Et, pourtant, qu’est donc l’intifadha actuelle du peuple sinon une autogestion (malgré les tentatives manipulatrices d’officines internes ou étrangères ainsi que de « personnalités » algériennes) d’un mouvement populaire qui veut l’application réelle du principe inscrit sur les frontons publics : « par le peuple et pour le peuple », et, donc, l’application réelle de la définition de la nation : « démocratique et populaire » ?

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(1) Voir John Perkins, « Les Confessions d'un assassin financier ». Il écrit dans sa préface : « « Les assassins financiers sont des professionnels grassement payés qui escroquent des milliards de dollars à divers pays du globe. Ils dirigent l’argent de la Banque mondiale, de l’Agence américaine du développement international (US Agency for International Development – USAID) et d’autres organisations « humanitaires » vers les coffres de grandes compagnies et vers les poches de quelques familles richissimes qui contrôlent les ressources naturelles de la planète. Leurs armes principales : les rapports financiers frauduleux, les élections truquées. les pots-de-vin, l’extorsion, le sexe et le meurtre. Ils jouent un jeu vieux comme le monde, mais qui a atteint des proportions terrifiantes en cette époque de mondialisation. Je sais très bien de quoi je parle... car j’ai été moi-même un assassin financier. »… Et, en Algérie, l’on s’étonne des méfaits du régime Bouteflika, en croyant mieux faire avec le capitalisme.

 

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 7 août 2019, et sur Algérie Patriotique, le 9 août 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE, #AUTOGESTION

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Publié le 7 Août 2019

Kaddour Naimi presentant une piece de theâtre dans une ferme agricole près d'Alger-1969

Kaddour Naimi presentant une piece de theâtre dans une ferme agricole près d'Alger-1969

Des voix d’artistes se sont élevées pour appeler au boycott des festivals de musique. Élargissons le problème à tous les festivals artistiques, littéraires ou autres, en nous cantonnant, toutefois, de parler des artistes, quitte au lecteur à considérer également les autres domaines d’activité.

En cette phase d’intifadha populaire salvatrice de la patrie, où des citoyens et citoyennes renoncent au repos et aux loisirs hebdomadaires du vendredi, pour battre le pavé et crier leurs légitimes revendications, en dénonçant les gaspillages des gestionnaires étatiques, un artiste, qui se considère du peuple, sinon sympathisant de ce peuple, cet artiste peut-il cautionner, par sa participation, un festival caractérisé, d’une part, par le gaspillage éhonté de l’argent provenant de la rente pétrolière, et, d’autre part, par une production agréée par les responsables de ce gaspillage, car, ces derniers accepteraient-ils une œuvre qui refléteraient les misères réelles du peuple et ses luttes pour s’en affranchir (donc la fin du gaspillage et des privilèges qui le caractérisent) ?

Pour écarter tout malentendu, il faut bien que je parle d’expérience personnelle, au risque d’être traité de critiqueur refusé par des festivals. Au Festival International de Théâtre de Béjaïa, en 2012, j’acceptais de réaliser une pièce de théâtre. Bien que le « commissaire » mettait à ma disposition tout l’argent désirable (on me déclarait ; « ranâ chabĕanîne ! » - Nous sommes rassasiés !), je me contentais d’en employer le moins possible, car conscient que cet argent était celui du peuple. Et je réalisais une pièce théâtrale (1). Mais, une fois vue à l’avant-première par ce fonctionnaire, il… refusa sa représentation. Seule la peur du scandale dénonçant publiquement une censure lui fit accepter de la faire représenter, toutefois dans les pires conditions. Et, bien entendu, cette pièce ne fut pas présentée dans le reste du pays. Une masse d’argent dépensée pour... une unique représentation ! (2)

Par la suite, un homme de théâtre se distingua en accusant, dans la presse, le peuple de déserter les théâtres, montrant ainsi d’une part son mépris du peuple, et, d’autre part, son ignorance de ce qu’est un théâtre populaire (3). Cet individu en fut… récompensé : il devint le nouveau « commissaire » du Festival International de Théâtre de Béjaïa. Nous avons dans ce cas un exemple du fonctionnement de la « issaba » bouteflikienne : méprise le peuple, accuse-le de toutes les tares, ainsi tu mériteras de faire partie de la « bande », en occupant un fauteuil excellemment rémunéré. Pratique mafieuse. Posons, alors, la question : tous les individus qui occupent ce genre de fonction étatique de « issaba », à quel prix ?… Et, donc, participer aux « festivités » dont ils tirent leurs privilèges, à quel prix pour l’artiste honnête, soucieux du peuple ?

En ce moment d’effort du peuple pour récupérer sa dignité trop longtemps bafouée, un artiste, ayant conscience d’appartenir à ce peuple, et non pas à l’oligarchie qui le domine, peut-il présenter son travail, en sachant qu’il sera, d’une part, grassement rémunéré (avec l’argent du pétrole et du gaz), et, d’autre part, parce que sa production sera agréée par celui qui lui donne cet argent, donc servant les intérêts de l’oligarchie dominante ?

Écartons un malentendu. Boycotter un festival n’est pas motivé par le fait que l’activité qui s’y déroule est « harâ», comme le voulaient dans le passé des obscurantistes, mais parce que cette activité est décidée et gérée par des fonctionnaires d’une oligarchie, pour servir leur intérêt : maintenir le peuple dans une subculture asservissante, tout en jouissant de salaires mirobolants.

Évidemment, l’artiste doit proposer son œuvre, mais d’une autre manière. La place de l’œuvre d’un artiste appartenant au peuple, ou de son coté, n’est-elle pas, plutôt, sur les lieux où se trouve le peuple, les places publiques et les rues, pour présenter au peuple le travail créatif, librement et gratuitement ou en sollicitant des dons volontaires ?… N’est-ce pas uniquement ainsi que cet artiste, qui se dit « démocrate », « progressiste », « populaire », « aimant le peuple », etc., sera cohérent entre ses déclarations et ses productions, en acceptant, évidemment, les risques de son engagement artistique et citoyen ?… Que donc les artistes organisent leur propre festival autonome, géré par eux, en trouvant le moyen de l’auto-financer et même de recourir au bénévolat de citoyens conscients de leur mission sociale. Il est probable que les autorités en place interdisent ce genre d’initiative. Eh bien, il faut trouver comment y remédier. Pour ceux qui l’ignorent, l’auteur de « Richard III », de « Hamlet » et de « Coriolan », ainsi que celui de « Tartuffe » et de « Don Juan » n’étaient jamais certains d’assurer la pitance des membres de leur troupe, ni de dormir dans leur lit. Ces faits expliquent, en partie, l’importance de ces deux artistes dans la marche de l’humanité vers son affranchissement de toute forme d’asservissement.

Il est vrai que parler du peuple, de ses misères et de ses luttes n’est pas facile. Le risque est grand de tomber dans le superficiel et le démagogique. Mais voici une méthode pour éviter ces défauts : lisez ou relisez avec l’attention requise les œuvres théâtrales classiques citées auparavant, et vous aurez un enseignement très précieux sur la manière de composer vos œuvres. En outre, informez-vous sur internet du travail des troupes « Bread & Puppet » et « Living Theater », et, - pardon de me citer -, lisez l’ouvrage où je relate quel théâtre j’ai pratiqué en Algérie (4), et vous saurez quoi, comment et pour qui produire. Commencez par des sketchs, de courtes scènes, des piécettes ou des pièces, et que votre établissement théâtral soit une « halga » sur une place publique populaire… Prenez leçon du peuple : par son intifadha, il tente lui aussi, avec les moyens dont il dispose, de se libérer de ceux qui ont causé tous ses maux, afin de produire une Algérie enfin éthjiquement libre, égalitaire et solidaire, donc esthétiquement belle !

Artistes ! Voici le moment d’être ce que vous etes réellement !

Soit des « artistes » mercenaires «chabĕanîne » (rassasiés), apparemment soucieux du peuple mais, en réalité, l’ignorant et le méprisant, et, pour prix de cette infamie, bénéficier du « privilège » de faire de votre activité un business rentable, d’être des harkis que le puissant du moment vous lance comme os à ronger, en échange d’une médiocre quand pas misérable production.

Soit à la hauteur de votre peuple. Plus qu’auparavant, voici venu le moment de prouver que quel coté est un artiste par sa production, et quelle est sa capacité pour produire le mieux artistique avec le plus de liberté et de solidarité. Car il faut bien, comme dit le peuple, « wassal al kadhâb hatta al bâb a dâr » (Emmène le menteur jusqu’à la porte de la maison). En ce moment, c’est ce peuple des vendredis qui emmène tous les menteurs, parce que profiteurs, à se découvrir, qui oblige tous, donc également les artistes, à la vérité vraie : contre ou avec le peuple.

____

(1) Vidéo in https://www.youtube.com/watch?v=YhW3_B6UDto

(2) Détails in « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », Livre 4 : « RETOUR EN ZONE DE TEMPÊTES », in https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-theatre-oeuvres-ecrits%20sur%20theatre_ethique_esthetique_theatre_alentours.html

(3) Voir l’article « Au théâtre, les absents sont les artistes ! » in http://kadour-naimi.over-blog.com/search/absents%20sont%20les%20artistes/

(4) Voir «  Éthique et esthétique... », o. c. Livre 1 : « EN ZONE DE TEMPÊTES ».

 

Publié sur Algérie Patriotique, le 04 août 2019 , et sur Le Matin d'Algérie, le 05 août 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 2 Août 2019

Assemblée citoyenne de discussion, sur la Place du 1er Novembre 1954, à Oran, juillet 2019. Photo de l'auteur.

Assemblée citoyenne de discussion, sur la Place du 1er Novembre 1954, à Oran, juillet 2019. Photo de l'auteur.

Agora.

Plus d’une fois, de la ville d’Oran ont surgi des initiatives très heureuses, jusqu’à étonner par leur originalité et leur utilité, jusqu’à devenir des exemples suivis dans le reste du pays. Cirons deux qui me viennent à l’esprit : la musique raï et, pardon de me citer, l’emploi de la halga (cercle) traditionnelle comme scénographie de représentation théâtrale (1).

Depuis la bénie intifadha populaire inaugurée le 22 février 2019, Oran a vu surgir un Forum de discussion, en plein centre de la ville, sur la bien nommée place du 1er novembre (2). Durant le ramadhan, les réunions eurent lieu le soir, vers 22 heures ; après le ramadhan, ils ont lieu vers six heures de l’après-midi. Les rencontres sont quotidiennes, durent généralement deux heures. Les organisateurs mettent un microphone avec hauts-parleurs amplifiés pour écouter convenablement. Par chance, le trafic des véhicules n’est pas dérangeant.

Pas d’agents de police tout près du Forum. Tout au plus, un véhicule de ce service stationne discrètement au loin.

Au Forum, toute personne est invitée à intervenir pour exprimer ses opinions. La liberté de parole est totale, limitée uniquement par l’emploi d’un langage respectueux. Ce qui se réalise presque toujours de manière aisée, sans intervention du modérateur.

Durant les réunions auxquelles j’ai assisté, quelques barbus habillés de chemise longue saoudienne étaient présents ; leurs interventions respectaient les règles de convivialité, leur langage n’avait rien d’intégriste totalitaire mais reflétait un esprit démocratique. Durant mes discussions personnelles, j’ai constaté que kamis et sandales saoudiens, ainsi que barbe ne signifient pas automatiquement intégriste fasciste, mais au contraire, une personne réellement désireuse d’une Algérie authentiquement démocratique dans le sens populaire. Attention donc aux apparences et aux observations superficielles !

Les intervenant sont de diverses catégories sociales : chômeurs, travailleurs manuels, enseignants, avocats et autres ; de tous les âges, jeunes, adultes et chibani, des - comme on dit - « instruits » et des « pas instruits ». Outre les organisateurs, quelques personnes assistent et interviennent d’une manière régulière, au cours de réunions successives ; d’autres viennent les jours où leur activité le leur permet.

Les propos sont généralement courtois et clairs. Rarement, un intervenant se laisse échauffer par ses émotions. Je n’ai pas entendu un seul mot inconvenant. Parfois, un humour sain et très agréable allège les discussions. Certains passages d’intervenants sont applaudis par les assistants, en signe d’acquiescement et de soutien.

Les assemblées se concluent en se prolongeant par la constitution de petits groupes qui poursuivent leur discussion pendant plus d’une heure encore.

Les « bien-pensants » seraient totalement surpris, eux qui décrétèrent le peuple algérien gravement dépourvu de convenance et de convivialité sociales.

Université populaire.

L’un des organisateurs du Forum, de profession avocat et ex-juge, fournit quand nécessaire des explications dans le domaine juridique en ce qui concerne les institutions du pays. Bien entendu, il parle non pas en français (très exceptionnellement) ou en arabe classique, mais en langage populaire. Ses exposés sont clairs, d’un langage simple mais précis, à la portée de tout un chacun. Et certains imposteurs, néo-colonialement aliénés, prétendent que le parler populaire, dans ce cas arabophone, - que j’appelle non pas darija, mais dziriya (3) - ne se prête pas aux concepts et aux nuances. Qu’ils se daignent d’aller assister au Forum !

Un 19 juin, ce ne furent pas les chars qui occupèrent le centre-ville à Alger (en 1965), cet autre 19 juin de l’année 2019, le Forum d’Oran accueillit un enseignant d’université, Rabah Lounissi. Il fit une conférence sur le « mouvement » citoyen. Absolument merveilleux !…(4) Un professeur d’université intervenant non pas dans un amphithéâtre universitaire mais sur une place publique, entouré non pas d’étudiants ou d’ « experts », mais de citoyens ordinaires, employant non pas la langue française mais celle arabe classique, toutefois simplifiée autant que possible. J’aurais préféré qu’il fasse l’effort de recourir uniquement sinon principalement à la langue du peuple. Oui, je le répète, le souligne et le démontre dans l’essai sur les langues auparavant mentionné, la langue populaire dziriya est capable d’exposé sur l’intifadha populaire actuelle !... Toutefois, la présence de cet intellectuel sur une place publique, parmi des membres du peuple, fut une excellente et exemplaire initiative. Professeur, permettez : encore un effort linguistique pour se rapprocher du peuple en sachant utiliser son propre langage. C’est possible ! L’intifadha populaire, c’est, aussi, mettre à l’honneur le langage du peuple.

Après l’exposé, des assistants formulèrent des questions auxquels le conférencier répondit.

Qui l’aurait imaginé en Algérie ?... Après tout ce que le peuple algérien a subi depuis le putsch militaire de l’été 1962. Oui ! J’avais personnellement des difficultés à croire à mes yeux et à mes oreilles, ainsi qu’à retenir mon émotion. Moi qui, en octobre 1968, avait lancé à Oran la halga comme forme théâtrale, l’avait concrétisée sur une place publique dans le quartier Al Hamri, voir, quasi cinquante années après, en 2019, une même halga, cette fois-ci haussée et élargie à des discussions démocratiques de citoyens sur leur pays, comment pouvais-je ne pas croire que je rêvais ? Comment ne pas être envahi d’une émotion au plus profond de l’être ? Comment ne pas être conscient de vivre des moments absolument exceptionnels, uniques, splendides dans ce pays de ma naissance, quitté en 1973, parce que trop humilié par la hogra oligarchique et ses harkis ?

Mais je n’étais pas surpris. L’apprentissage de l’histoire sociale enseigne que tout est possible, le pire et le meilleur. En Algérie, le pire commença juste après l’indépendance nationale, et le meilleur débuta le 22 février 2019. Espérons que ce meilleur continuera jusqu’à concrétiser les espoirs de ce peuple trop maltraité par une bande de mafieux masqués derrière le drapeau national et une « légitimité révolutionnaire » usurpée mais rentable en privilèges illégitimes.

Contre-révolution.

Durant les multiples rassemblements du Forum auxquels j’assistais, une seule fois, une tentative essaya d’interrompre le bon déroulement des discussions. On ne sait pas exactement qui eut l’initiative de mettre sur la place du 1er Novembre des tentes pour une soit disant foire d’artisans. Immédiatement, à travers un réseau social, les partisans du Forum réagirent, en se rassemblant sur la place. Et les inopportunes tentes furent éliminées pacifiquement. Ainsi, le Forum poursuivit sa pacifique et très utile activité d’échanges libres d’opinions.

Rarement, un incident survient, par exemple le 20 juin. Un jeune ivrogne tient absolument à intervenir. La parole lui est donnée, bien que son ivresse l’empêche de respecter l’ordre d’intervention établi auparavant. « Khawa ! Khawa ! » (Frères ! Frères !) se limite-t-il à dire.

Une fois, le 20 juin, la sérénité des discussions fut un peu violemment, mais uniquement sur le plan verbal, interrompue par l’intervention d’un jeune. Il employa trop souvent le terme « zouaoui » pour indiquer les compatriotes kabyles. C’est qu’à cette rencontre, le débat se concentra trop sur l’intervention du chef d’État-major, au sujet de l’interdiction d’emblème autre que le drapeau national. Mais rapidement, les modérateurs et des assistants parvinrent à rétablir la sérénité et l’usage verbal adéquat : non pas « zouaoui » mais « amazighe ». Les échanges se sont poursuivis de manière fructueuse.

Après la mort du leader égyptien Morsi, membre de la secte des « Frères Musulmans », au Forum intervinrent quelques jeunes. Visiblement, ils semblaient faire partie de la même organisation. Ils exprimèrent librement leurs opinions sur la disparition de ce leader ; l’un des intervenants demanda même une prière pour le défunt, ce qui se réalisa.

 Tout est possible !  

Et tous les Tartuffes du monde – intéressés mais hypocrites – proclament que les peuples ne sont jamais préparés à la démocratie !

Pourtant, sur cette place centrale d’une ville algérienne, à Oran, des citoyens et citoyennes parlaient librement, en un langage convivial, généralement dans leur langue maternelle, à propos des maux dont sont victimes le peuple et l’Algérie, et des moyens de s’en affranchir pour établir une société libre, égalitaire et solidaire. On objecterait que si la liberté (« hourriya ») était toujours évoquée, par contre les deux autres termes ne l’étaient pas. Eh bien, non, ils l’étaient à la manière populaire : « khawa, khawa » n’est-ce pas l’égalité ? Et « ittihâd », « tadhâmoun », n’est-ce pas « solidarité » ?… Je suis curieux de savoir comment ce genre de Forum se déroule dans la partie amazighophone du pays, et avec l’emploi de quel langage.

Avant le 22 février 2019, avant les manifestations du vendredi et ce Forum d’Oran, des soit disant intellectuels se permettaient d’insulter le peuple algérien comme un ramassis de « tubes digestifs », de « populace », d’ « obsédés sexuels », d’ « aliénés obscurantistes religieux », etc. Déjà, alors, je démontrais l’ineptie arrogante et « élitiste » de telles allégations (5). L’intifadha populaire dans tout le pays, et le Forum public de discussion d’Oran montrent à quel point le peuple était simplement soumis à la peur et à la terreur de l’oligarchie dominatrice. Et qu’il a fallu à ce peuple endurcir au point de ne plus supporter, et donc d’occuper la rue en masse, dans toutes les villes du pays, à la surprise de tous les « bien-pensants », « théoriciens » et « analystes ». Ce phénomène populaire est le plus évident quand le processus socio-historique parvient à sa phase la plus intéressante : celle où les opprimés ne supportent plus leur asservissement, tandis que les oppresseurs ne sont plus capables de les dominer. On y est finalement en Algérie, en 2019, après quasi une soixantaine d’années de domination oligarchique autochtone, avatar de la précédente domination coloniale, ce que Rabah Lounissi démontra clairement.

Organisateurs.

Ce Forum fut lancé par un groupe de citoyens. Parmi eux un enseignant de langue arabe, une avocate et un avocat ancien-juge. Pour lancer la discussion, ce dernier fait un bref exposé sur le thème crucial du moment de l’intifadha populaire : problèmes et perspectives.

L’organisation des rencontres est excellente. L’intervention des présents est encouragée, convenablement conçue. Les candidats à intervenir demandent un billet que le modérateur leur délivre. Si un intervenant prolonge au-delà des minutes accordées de manière égale à tous, le modérateur le rappelle courtoisement à conclure, ce qui se fait convenablement.

L’interview de membres du groupe organisateurs (6) fournit davantage d’éclaircissements sur ce Forum. Ils m’ont déclaré que l’exemple du Forum d’Oran est imité dans d’autres villes du pays.

L’espoir est que le Forum du centre-ville soit suivi par le même genre de rassemblement dans tous les quartiers de la ville, notamment les plus défavorisés, plus exactement les plus exploités-opprimés. Certes, comme l’affirme l’un des organisateurs du Forum de la place du 1er novembre, il ne sera pas aisé d’organiser ce genre de réunions dans les quartiers populaires, pour de multiples motifs, le principal étant le conditionnement idéologique obscurantiste systématique des habitants. Mais il faut tenter, car l’intifadha populaire actuelle stimule tous les espoirs, y compis les « miracles ». Cette multiplication de Forums de discussion citoyenne, bien entendu, renforcerait celui du centre-ville.

L’autre espoir est que ce genre de Forum se généralise au pays tout entier, jusqu’au plus reculé village et douar, et même devienne une tradition ininterrompue. Notons en passant que ce genre de Forum est infiniment plus démocratique que la traditionnelle réunion des arches en Kabylie, car, alors, la parole n’est pas aux notables et aux hommes uniquement, mais aux citoyennes et citoyens sans distinction.

Même dans un pays authentiquement démocratique (où existerait-il actuellement ?), il est sain et utile pour la société toute entière que des citoyens puissent s’assembler librement sur un lieu public pour échanger pacifiquement leurs opinions sur la communauté nationale dont ils sont membres. L’interdire, c’est craindre le peuple, et la crainte du peuple provient de la conscience de l’opprimer pour l’exploiter. En effet, les assemblées démocratiques de base, auto-gérées, quelque soit le domaine d’activité et le lieu de réunion, sont la graine unique, - je dis bien unique -, d’où germe le plus beau des fruits sociaux : l’authentique démocratie. Elle consiste, ne cessons jamais de le préciser, dans la pratique collective de la trinité : liberté, égalité, solidarité au sein et entre les peuples de la planète. Existe-t-il meilleure voie pour le progrès civilisationnel de l’humanité ?

_____

(1) Voir « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », « LIVRE 1 : EN ZONE DE TEMPÊTES », point « 6. Scénographie circulaire », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-theatre-oeuvres-ecrits%20sur%20theatre_ethique_esthetique_theatre_alentours.html

(2) Voir le documentaire vidéo dont ce texte est une présentation, in https://youtu.be/CZgiMergUX0

(3) Voir l’essai « Défense des langues populaires : le cas algérien », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-defense_langues_populaires.html

(4) Voir la vidéo précédemment référencée en note 2

(5) Voir « Vers l’intifadha populaire en Algérie 2019 », librement disponible ici: https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-vers-intifadha-algerie-2019.html

(6) Voir la vidéo précédemment référencée en note 2.

 

Publié sur La Tribune Diplomatique Internationale, le 28 juillet 2019, Algérie Patriotique, en deux livraisons les 28 et 29 juillet 2019, Le Matin d'Algérie, le 30 juillet 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 21 Juillet 2019

Couverture du premier livre, avec dessin de l'auteur.

Couverture du premier livre, avec dessin de l'auteur.

Publier dans la presse indépendante des textes brefs, de manière continue et régulière est, bien entendu, très utile. Les réunir dans un recueil est encore mieux. La somme permet, d’une part, de vérifier si une logique, et laquelle, a présidé à la rédaction des textes, et, d’autre part, d’avoir une vue d’ensemble du ou des phénomènes sociaux examinés.

Voici proposés deux recueils complémentaires l’un à l’autre, respectivement intitulés « Vers l’intifadha populaire en Algérie 2019 » et « Sur l’intifadha populaire en Algérie 2019 ».

Vers le soulèvement populaire

Le premier volume expose diverses causes et différentes formes de domination sociale oligarchique, d’un coté, et, de l’autre, des formes d’action de résistance populaire. Cette domination et cette résistance ont eu lieu dans tous les domaines de la vie sociale, de haut (institution étatique) en bas (citoyen le plus ordinaire), en passant par les intermédiaires entre les deux.

Contrairement à celles et ceux qui ont désespéré du peuple, même en tant qu’opposants politiques du régime, par élitisme arrogant et méprisant de personnes jouissant de statut social privilégié, d’autres, dont l’auteur de « Vers l’intifadha populaire... », n’ont jamais dénié au peuple ses capacités de résistance et de résilience. Sans occulter les carences du peuple, on garde l’estime de celui-ci, même quand il est victime du pire des conditionnements idéologiques. Cette estime n’est pas causée par une illusion béate et utopique sur les capacités du peuple, quel qu’il soit, mais par ce que un Maître, appelé l’histoire sociale, enseigne : la société humaine a, partout et toujours, y compris l’Algérie, parmi ses lois celle-ci : tant qu’une oligarchie parvient à dominer, et ses victimes consentent à subir, la communauté sociale (le prétendu « ordre social », en réalité un désordre entretenu) perdure et peut même empirer. Toutefois...

Sur le soulèvement populaire

Toutefois, arrive un moment où les dominés, trop exploités et trop humiliés, ne réussissent plus à se résigner à leur condition, d’une part, et, d’autre part, les dominateurs, trop certains d’eux-mêmes, trop arrogants et trop avides de richesses suite à l’exploitation du peuple et des ressources naturelles de la nation, ne disposent plus de moyens pour maintenir leur pathogène et criminelle oppression. Surgit, alors, le soulèvement populaire, exigeant l’élimination radicale du système social dominateur, et l’établissement d’un nouveau système social, plus conforme à la dignité humaine. Ce phénomène social de contestation radicale ne surprend que les ignorants en matière d’histoire sociale, parce que manquant de connaissance suffisante ou parce que aveuglés par leurs privilèges de caste, même si cette dernière se proclame « démocratique », « libérale » ou encore « révolutionnaire ». C’est ce qu’examine le second volume.

Il demeure néanmoins un travail incomplet, à continuer, un « work in progress », car l’intifadha populaire est en cours. Elle manifeste des forces et des faiblesses, et personne, aucun « expert », aucun politicien, pas même les protagonistes du soulèvement, n’est capable d’entrevoir où se dirige le processus.

Cependant, l’histoire sociale des peuples, en général, et celle du peuple algérien, en particulier, permettent d’avancer des hypothèses et des pistes de recherche et d’action, basées sur la connaissance des expériences passées, nationales et mondiales, de ce genre de soulèvement populaire. Néanmoins, partout et toujours, le peuple reste souverain dans sa démarche, tout au moins jusqu’à une certaine phase du processus. À ce sujet, Maître Histoire sociale enseigne encore ceci : tout est possible, le pire et le meilleur. L’issue dépend du degré d’intelligence stratégique des protagonistes adversaires ; le peuple, d’une part, et, d’autre part, ceux qui le gouvernent. Cette intelligence stratégique se manifeste dans le niveau d’organisation autonome, produisant une direction incarnée par des représentants adéquats, d’une part, et, d’autre part, par la connaissance la plus précise des forces et faiblesses que chaque protagoniste a de lui-même et de son adversaire. Pas aisé, comme on le devine.

Principes conducteurs

Les idées exposées dans les deux ouvrages en question se développent sur la base de deux principes fondamentaux, exposés de manière claire, - tout au moins il faut l’espérer -, également répétitive, parce que ces principes sont très généralement ignorés, sinon occultés.

Le premier principe est le triptyque liberté, égalité et solidarité. Ces trois concepts, ces droits citoyens sont indissociables parce qu’ils forment une unité complémentaire, où les éléments dépendent l’un de l’autre. En absence de cette unité complémentaire, la liberté n’est que celle du plus fort-rusé-égoïste au détriment des autres, l’égalité n’est que celle entre les dominateurs (bien que parmi eux une lutte existe entre castes ou, si l’on veut, entre clans) face aux dominés, et la solidarité n’est que celle des dominateurs, tant qu’ils sont obligés de se confronter avec les opprimés pour maintenir leur domination sur eux. En effet, les oppresseurs interdisent aux oppressés, d’une manière ou d’une autre, le droit à liberté (parce qu’elle est susceptible de contester la domination oligarchique), le droit à l’égalité (formellement reconnue et proclamée, elle est niée dans les faits), et le droit à la solidarité (l’oligarchie veille à diviser le peuple pour le dominer).

Le second principe conducteur des textes de ces deux essais est le suivant : un peuple ne peut se sauver que par lui-même. Cela est possible, répétons-le, à travers sa capacité auto-organisatrice et représentative.

Tout au plus, une minorité de privilégiés, parce que dotés néanmoins d’une éthique citoyenne correcte (autrement dit, concevant liberté, égalité et solidarité comme unité complémentaire indissociable), cette minorité peut contribuer à l’affranchissement de ce peuple de toute forme d’assujettissement, à condition de ne pas s’ériger en nouvelle oligarchie dominatrice, quelque soit l’étiquette, plus exactement le masque, servant à légitimer cette forme inédite de domination.

Jusqu’à présent, partout dans le monde, dans le passé, un peuple a tout au plus réussi à s’auto-gouverner pendant un bref laps de temps (au maximum trois ans), puis il fut vaincu par une nouvelle oligarchie. Les exemples sont mentionnés dans le premier volume. Ces brèves expériences demeurent néanmoins très précieuses. Elles sont des « exercices » constituant des leçons pour mieux agir dans le futur.

Concernant le problème stratégique de la capacité auto-organisatrice et représentative du peuple, c’est précisément le problème stratégique auquel est confronté, en cette phase où ces lignes sont écrites, l’intifadha populaire en Algérie.

Étant donné que le pays dispose d’une effarante et désolante minorité de librairies, et que parmi les candidats lecteurs certains ne disposent pas du prix marchand d’un livre, surtout volumineux, les deux essais considérés ici sont gratuitement disponibles en format PDF par les Éditions Électrons Libres.

 

Pour télé-décharger :

« Vers l’intifadha populaire en Algérie 2019 » in https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-vers-intifadha-algerie-2019.html

« Sur l’intifadha populaire en Algérie 2019 » in https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-sur-intifadha-algerie-2019.html

 

Publié sur La Tribune Diplomatique Internationale, le 08 juillet 2019, Algérie Patriotique, le 20 juillet 2019, Le Matin d'Algérie, le 21 juillet 2019.

 

 

 

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 13 Juillet 2019

Manifestation populaire à Alger, printemps 2019.

Manifestation populaire à Alger, printemps 2019.

« Ceux qui tuent, viendra le jour où ils s’entre-tueront.

Partout et toujours,

l'histoire a donné la leçon.

Celui qui vainc sans armes et sans tuer,

montre ainsi la puissance de sa raison et de ses pensées. »

 

« Al hanana, ya ouled ! » (La tendresse, les enfants !)

En 2012, lors de mon retour au pays, après une quarantaine d’années d’exil volontaire, le « commissaire » (quelle appellation !) du Festival International de Théâtre de Bejaïa me « permit » de réaliser une pièce de théâtre à présenter lors de cet événement. Son thème fondamental était la non-violence, inspirée de l’action et de la théorie de Gandhi, comme stratégie défensive victorieuse. La citation en exergue ci-dessus vient de la pièce

La plupart des « bien-pensants » d’Algérie m’objectèrent que cette idée de non-violence ne pouvait être que d’un Algérien totalement déconnecté des « réalités » de l’Algérie, parce que vivant depuis trop longtemps à l’étranger ; certains osèrent jusqu’à parler de « mièvrerie » et d’une personne qui vit dans la planète Mars.

Enfin, pour enterrer l’idée de résistance pacifique comme stratégie, les plus malhonnêtes déclarèrent, contre toute évidence du contenu de la pièce, que l’œuvre que je présentais était un éloge de la … « réconciliation nationale » de l’ex-président Bouteflika. Ce fut le motif pour que le « commissaire » du Festival, nommé par l’oligarchie bouteflikiste, après une unique représentation, a interdit définitivement d’autres représentations de l’œuvre (1). Quant à l’argent employé pour la réalisation de la pièce, le « commissaire » ne s’en désola même pas, puisque « ‘Ammi Messaoud » (Oncle Messaoud), autrement dit les puits de pétrole de Sidi Messaoud permettaient tous les gaspillages. C’est dire combien large, profonde et nocive est la « issaba » (bande de mafieux) dominant le pays des chouhadas.

Et voilà que sept années après, en 2019, le peuple choisit, contre toute attente des mêmes « bien pensants », la stratégie gandhienne de non violence pour exprimer publiquement ses revendications sociales. Le groupe de personnages incarné dans la pièce, hommes et femmes, appelés « hmamâ» (colombes, en référence au symbole de la paix) devint des millions d’Algériens et d’Algériennes, manifestant pacifiquement et joyeusement dans les rues d’Algérie. À la hogra dont je fus victime de la part du « commissaire » du Festival, et de ses compères dans une certaine presse, le peuple m’a libéré. Et je l’en remercie de tout cœur !

 

Pouvoir de l’intelligence

Certains voient dans l’emploi de la méthode pacifiste gandhienne une inspiration néo-impérialiste manipulant le peuple par l’intermédiaire de harkis indigènes. En effet, des motifs sérieux constituent des preuves irréfutables de cette visée manipulatrice.

Néanmoins, cette tactique pacifique peut être une arme efficace au service du peuple, à condition qu’il sache comment l’employer à son bénéfice. Martin Luther King l’employa avec succès, même s’il fut assassiné (d’ailleurs, Gandhi le fut également), pour la conquête sociale des droits civiques aux États-Unis (2).

Quant à l’intifadha populaire actuelle en Algérie, ses résultats si pas encore totalement concluants, ils ne sont toutefois pas négligeables. Certes, vues les difficultés rencontrées, - notamment l’incapacité d’auto-organisation et d’élection de représentants adéquats (3) -, des doutes persistent, un certain pessimisme est compréhensible quant au succès final de l’intifadha populaire algérienne. Il reste à ses activistes de trouver comment poursuivre efficacement l’action pour l’obtention de leurs buts légitimes : liberté, égalité et solidarité collectives. Uniquement ainsi, à l’Algérie et à son peuple sera redonnée la dignité exemplaire que lui avaient conférée ses chouhadas, et dont veulent, depuis lors, se venger les oligarchies vaincues, avec l’habituelle complicité de leurs harkis locaux, constituant la fameuse « issaba

Devant des adversaires capables de recourir à la violence physique, sous prétexte de violences de la part des manifestants, et sachant que ce genre de violence, d’où qu’elle vienne, est absolument néfaste tant pour le peuple que pour la nation algérienne, ce même peuple contestataire a su jusqu’ici maintenir le principe pacifique dans la revendication de ses légitimes droits bafoués par un régime mafieux, répétons-le. Et ce pacifisme est maintenu, malgré les tentatives, de la part du régime contesté, de manipuler de diverses manières la situation à son profit. Pour l’intifadha populaire, quelques soient par ailleurs ses carences, le maintien jusqu’ici de la pratique pacifiste est la démonstration d’une intelligence aiguë en matière d’action sociale.

 

Force et faiblesse

Partout dans le monde, les diverses expériences de rupture sociale radicale, au bénéfice du peuple, ont démontré ceci : le recours à la violence, de la part du peuple, pour éliminer une oligarchie trop prédatrice, n’a conduit jusqu’à présent à rien d’autre qu’à l’instauration d’une oligarchie de forme nouvelle. Elle parvient à récupérer l’action contestataire radicale du peuple, et s’empare du pouvoir, d’une manière ou d’une autre. Cette caste victorieuse prend soit la forme d’une « démocratie », en réalité capitaliste (donc exploiteuse), soit la forme d’une « démocratie populaire », en réalité capitaliste étatique (exploiteuse d’une autre manière, qui peut être même pire, voir les soit disant « camp de travail », l’interdiction de syndicats autonomes ou de s’expatrier, une police politique interdisant au peuple tout forme de contestation, même pacifique, etc. (4)

C’est que ce genre de rupture sociale, - élitiste, hiérarchique et autoritaire -, s’opère par le recours à la violence. Or, ce mème recours à la violence, qui a servi à éliminer un système social honni, continue à servir pour créer et maintenir la nouvelle oligarchie dominante. La citation en exergue l’affirme.

Toutefois, il est vrai que la stratégie pacifiste, elle aussi, peut aboutir au même résultat non désiré par le peuple, à savoir la naissance d’une nouvelle oligarchie dominatrice. Le cas exemplaire est celui de l’Inde. Une fois obtenue l’indépendance par l’action pacifique gandhienne, le pays a vu s’établir une oligarchie inédite autochtone, dominatrice-exploiteuse, où les castes sociales perdurent, sans parler de l’obtention de la bombe nucléaire.

Ceci étant exposé, voici les avantages de la stratégie pacifiste, en constatant les résultats des diverses expériences historiques mondiales.

D’abord, contrairement à ce qu’affirment certains, il faut beaucoup plus de courage et d’intelligence pour affronter un adversaire de manière pacifique que de manière violente. Ensuite, la pratique pacifiste écarte, tout au moins par principe, toute velléité d’élitisme et d’autoritarisme hiérarchique totalitaire. Enfin, la pratique pacifiste opère sur les consciences citoyennes de la manière la plus large, la plus profonde, à long terme (5). C’est ainsi que les peuples, partout dans le monde, furent conscientisés et préparés aux actions de rupture sociale. Dans ces cas-là, le temps se compte en décennies. Ce n’est pas un motif individuel pour renoncer à l’éthique citoyenne d’ajouter sa propre contribution, selon les possibilités disponibles, y compris dans l’incertitude de voir se réaliser l’idéal espéré.

Cependant, hélas !, les « Grands Soirs » de révolution violente n’ont jamais concrétisé leurs belles promesses. Au contraire, le travail de « taupe » patiente du pacifisme a permis de concrétiser sinon tous ses objectifs, tout au moins certains, par exemple les droits de vote pour les femmes dans certaines nations « démocratiques » cependant machistes (les « suffragettes » en Angleterre), l’indépendance de l’Inde, les droits civiques dans les nations « démocratiques » cependant racistes (États-Unis). Aujourd’hui, par exemple, l’État colonialiste d’Israël craint moins l’action armée du peuple palestinien que son action pacifique de boycott des productions réalisés illégalement sur la partie du territoire de Palestine revenant de droit, reconnu par les Nations Unis, au peuple palestinien. Rappelons, également, dans le passé, l’impact très important qu’eut le boycott économique pour l’élimination de l’apartheid en Afrique du Sud.

La méthode pacifiste en est venue à être considérée par les agences des oligarchies impérialistes, néo-colonialistes et colonialiste sioniste comme un instrument fondamental de manipulation des peuples dominés-exploités, pour le changement de régimes politiques, mais au profit de ces mêmes oligarchies impérialistes, néo-colonialistes et colonialiste sioniste. C’est dire l’importance de cette stratégie, puisque les ennemis des peuples, eux-mêmes, y recourent. Dès lors, comme déjà dit auparavant, cette méthode d’action pacifique, même dans le cas de violence manifestée par l’adversaire dominateur, devrait se maintenir coûte que coûte (rappelons-nous les massacres des colonialistes anglais en Inde, durant la revendication d’indépendance), car la stratégie pacifiste peut se révéler victorieuse au bénéfice des peuples. Tout le problème est d’éviter les tentatives oligarchiques de diviser pour dominer le peuple, que celui-ci donc doit maintenir son union solidaire. Cela ne veut pas dire qu’en son sein des contradictions n’existent pas, mais qu’il lui faut leur trouver des solutions de manière démocratique, selon la loi de la majorité, quand l’unanimité se révèle impossible.

 

Encore de l’intelligence !

Reste au peuple d’empêcher la naissance d’une oligarchie nouvelle, pour réussir à construire le système social au bénéfice du peuple tout entier. Tout est là : vaincre par l’action pacifique et, par elle encore, établir la démocratie dans sa forme la meilleure (d’autres disent la moins mauvaise), à savoir celle où réellement nous avons affaire à « houkm a chaab » (6) (le pouvoir du peuple), par et pour le peuple. Cela signifie, - répétons-le tant qu’il sera nécessaire - : liberté, égalité et solidarité collectives, seule manière d’éliminer toute forme d’exploitation de l’être humain par son semblable, sans oublier l’exploitation criminelle des ressources naturelles de la planète.

Utopie ?… Elle ne l’est que tant qu’elle ne sera pas réalisée. Comme l’utopie qui élimina l’esclavagisme, puis le féodalisme. Pourquoi donc le capitalisme, privé ou étatique, serait-il éternel ? Quant à croire le « moins mauvais » le système « libéral », n’est-il pas oligarchique ? Le « moins mauvais » son système économique capitaliste, n’est-il pas monopoliste, fauteur de guerres pour la conquête des marchés mondiaux et destructeur des ressources naturelles de la planète ? Le « moins mauvais » son système démocratique, n’est-il pas oligarchique ? La « moins mauvaise » sa civilisation, ne produit-elle pas les ravages écologiques et le conditionnement idéologique transformant les êtres humains, individus et peuples, en ennemis engagés dans un féroce et impitoyable « struggle for life », en robots travaillant uniquement pour le profit de la caste oligarchique, en âmes mortes dévoreuses d’anxiolytiques, au profit des multinationales de médicaments, en mercenaires en uniforme d’armées d’agressions au profit des usines d’armement, en des animaux dont le comportement est inférieur à celui des bêtes sauvages, réduisant la planète à un asile de dérangés mentaux, dirigés par des psychopathes diplômés, cravatés, au sourire aussi grimaçant qu’hypocrite, où tout est publicitaire, donc mensonger et manipulateur, dans le seul but d’enrichir une minorité d’obsédés de compte en banque, pour lesquels « après moi, le déluge ! » ?

Dès lors, pourquoi ne pas essayer, de manière pacifique, avec la patience et l’intelligence nécessaires, l’instauration d’une démocratie de type populaire, laquelle est autogestionnaire, c’est-à-dire auto-gouvernée par des institutions reflétant réellement la volonté populaire la meilleure ? Et que veut tout peuple, enfin conscient, débarrassé de tout conditionnement oligarchique, sinon la liberté, l’égalité et la solidarité pour toutes et tous sans exclusion aucune, au sein et entre les nations de cette planète ?

___

(1) Détails sur l’affaire in « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », LIVRE 4 : « Retour en zone de tempêtes », librement disponibe https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-theatre-oeuvres-ecrits%20sur%20theatre_ethique_esthetique_theatre_alentours.html La pièce est visible ici : https://www.youtube.com/watch?v=YhW3_B6UDto

(2) Voir « Des adversaires du mouvement populaire et comment les neutraliser » in « Vers l’intifadha populaire en Algérie 2019 », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-vers-intifadha-algerie-2019.html

(3) Voir « Des représentants du mouvement populaire : 1. Sont-ils inutiles ? 2. Sont-ils nécessaires ? » in « Vers l’intifadha... », o. c.

(4) Voir « Démocratie, mais laquelle ? » in « Sur l’intifadha populaire en Algérie 2019 », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-sur-intifadha-algerie-2019.html

(5) Voir « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?... », chapitre « Pacifisme », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-guerre-paix.html

(6) Que penser des linguistes arabes qui ont la fainéantise intellectuelle de traduire « démocratie » par cet affreux mot « dimocratiya », au lieu d’agir comme les linguistes chinois ? Ces derniers, au lieu de s’abaisser à être de piètres suivistes néo-colonisés, disent « mín zŭ », textuellement « peuple maître », ou, traduit de manière plus libre mais fidèle : gouvernement (administration, gestion) [du, par] le peuple. Sur le problème linguistique, voir « DEFENSE DES LANGUES POPULAIRES : Le cas algérien », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-defense_langues_populaires.html

 

Publié sur Algérie Patriotique, le 03 juillet 2019, La Tribune Diplomatique Internationale, le  03 juillet 2019 , Le Matin d'Algérie, le 10 juilllet 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 12 Juillet 2019

Dé-caporaliser l’université algérienne

Lors de la journée nationale de l’étudiant, rappelant le 19 mai 1956, furent recueillis des témoignages, le premier d’enseignants (1), le second d’un étudiant (2). Bien qu’il s’agisse de protagonistes uniquement d’un département d’une université particulière d’Oran, ces témoignages reflètent la situation de l’université algérienne dans son ensemble.

Comme le reste des institutions en Algérie, l’université fut dès le départ, après l’indépendance, systématiquement caporalisée. Ce fut d’abord au nom du prétendu « socialisme », ensuite de la soit disant arabisation, enfin de … n’importe quoi, pourvu que la situation profite à la minorité oligarchique dominante.

Toutes ces phases sont caractérisées par un fil noir : fabriquer des cadres administratifs-caporaux d’une immense caserne appelée université, où les enseignants sont contraints d’assumer le rôle de dresseurs d’étudiants réduits à des perroquets. L’argent sert aux bureaucrates et aux mandarins comme carotte pour leur faire jouer l’infamant rôle de courroie de transmission de la volonté de l’oligarchie. Oui, l’argent corrupteur maudit a étouffé le noble esprit générateur de culture. Et tout cela en se proclamant « vrai musulman », de la « famille révolutionnaire », « patriote » exemplaire. Imposture totale ! Mais profitable à l’oligarchie et à ses harkis (3).

Le résultat actuel est constaté par toutes les personnes honnêtes et objectives qui s’activent dans l’université : servilisme bureaucratique, donc médiocrité affligeante dans tous les domaines. Toute personne compétente et honnête est neutralisée, sinon écartée, quand pas obligée à démissionner, autrement carrément assassinée dans des conditions « mystérieuses ».

Le curieux de ce constat est ce fait : du temps de la dictature militaire déclarée, une certaine résistance d’enseignants et d’étudiants parvenait, au prix d’une répression implacable, à sauver un peu l’université de sa réduction à un instrument de production et de reproduction de la servitude volontaire, et de sa conséquence, l’abêtissement de toute forme de connaissance susceptible de développement économique, social et culturel.

Mais, depuis la « libéralisation » économique du pays, l’argent de la rente a acheté presque toutes les consciences au bénéfice de l’oligarchie.

Bien entendu, entre-temps, les enfants de cette dernière, eux, bénéficient d’études dans des universités occidentales renommées, jouissant par la suite des privilèges qui en découlent. L’Algérie était, - et demeure encore -, la proie d’une bande de mafieux (« issâba »). Je me rappelle un échange avec un ami italien. Je lui reprochais le fait que l’État italien était corrompu par les infiltrations de la mafia. Il me répondit, en souriant : « Oui, c’est vrai, l’État italien est influencé par les membres de la mafia. Mais, chez vous, en Algérie, la mafia est au pouvoir ! »

Dès lors, les témoignages proposés en complément audio et video de cette brève contribution fournissent, en ce qui concerne les enseignants, les preuves concrètes de cette caporalisation programmée de l’université algérienne. Il faut être ignorant de la situation ou volontairement la nier, parce que bénéficiant de privilèges de caste, pour occulter cette volonté délibérée de réduction de l’université à une honteuse fabrique d’esprits bornés. Elle est néanmoins profitable à l’oligarchie mafieuse dont le seul but est de s’enrichir le plus vite, au maximum et par tous les moyens, au prix d’entraîner l’Algérie dans la pire des situations.

Parmi les enseignants compétents et honnêtes, beaucoup quittent avec amertume le pays pour des nations où leurs connaissances sont reconnues et bien rémunérées. Seule une minorité, soucieuse de sa dignité citoyenne au sein du peuple où elle est née, préfère rester et lutter, affrontant tous les risques, contre cette déchéance criminelle.

Quant au témoignage de l’étudiant, il expose les motifs de la révolte estudiantine en vue de redonner à l’institution universitaire le digne et indispensable rôle qu’elle doit avoir dans une nation méritant ce nom.

Laissons la conclusion à l’enseignante : « Mais ce soulèvement [l’intifadha populaire actuelle] nous a donné de l’espoir. (…) Il faut élire des gens pour nous représenter, il faut qu’on commence à réfléchir, à nous donner à faire, pour le bien de ce pays, de ce peuple ! »

Pour y parvenir, quelle est la solution la plus raisonnable et la plus juste ?… Ne consiste-t-elle pas à recourir à l’élection des représentants, aussi bien des gestionnaires administratifs, des enseignants que des étudiants : 1) sur base de la compétence technique doublée de l’éthique citoyenne, 2) de manière démocratique avec mandat impératif, c’est-à-dire avec révocabilité à tout moment en cas de manquement au mandat assumé ? N’est-ce pas cela l’indépendance de l’institution universitaire, selon le principe « par le peuple et pour le peuple » ?… il reste à l’intifadha populaire actuelle à concrétiser ce but ; il redonnera au peuple et à l’Algérie la dignité pour laquelle ses chouhadas ont consenti le sacrifice qui fut le leur.

_____

 

(1) Voir video in https://www.youtube.com/watch?v=GfvPgKeuSM8&feature=youtu.be

(2) Voir video in https://www.youtube.com/watch?v=XpoTSJ2YrSk&feature=youtu.be

(3) Dans le domaine politique et économique, un seul eut la courageuse honnêteté de reconnaître qu’il fut un « harki » du système oligarchique : Sid Ahmed Ghozali, ex-patron de la Sonatrach, puis ex-ministre.

 

Publie le 25 juin 2019 sur Algérie Patriotique, Le Matin d'Algérie, le 25 juin 2019, La Tribune Diplomatique Internationale.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 11 Juillet 2019

Démocratie, mais laquelle ?

S’il y a un mot qui fut, demeure et sera le plus utilisé, c’est bien celui de « démocratie ». Oh ! Merci à ceux qui ont l’affront de la dénoncer publiquement comme nuisible : tous les autoritaires totalitaires, laïcs ou cléricaux du monde. Au moins, avec ces gens-là, la situation est totalement claire. Ce sont des ennemis déclarés de toute forme de démocratie.

Il reste les prétendus « amis », « partisans » et « défenseurs » de ce qu’ils appellent la démocratie.

Dans ce texte, contentons-nous d’une présentation essentielle, espérons non superficielle. L’important est de fournir quelques éclaircissements offrant des pistes de réflexion.

Invention.

Commençons par les inventeurs du mot, les Grecs antiques. D’abord, il faut leur reconnaître le mérite d’avoir créé cette idée, ce concept. Ensuite, il faut ne pas être dupe. Ce sont les membres de l’oligarchie dominante athénienne qui ont vanté et défendu cette démocratie. En fait, elle existait uniquement entre les membres de cette oligarchie, détentrice du pouvoir étatique, économique et idéologique dans la cité. Le peuple, les femmes et les esclaves, autrement dit la grande majorité de la population, en étaient totalement exclus. Ce fut cela la démocratie athénienne. Et elle fut impérialiste envers les autres cités et territoires de la Grèce, et mème au-delà, notamment en Italie du sud.

Démocraties oligarchiques : premières adaptations.

Dans la Rome antique, les luttes citoyennes du peuple réalisèrent un progrès. Dans la République romaine, elle aussi impérialiste, l’oligarchie, constituée par les patriciens (les membres du Sénat, l’empereur) furent obligés de reconnaître des droits au peuple travailleur qui parvint à élire ses représentants, les plébéiens.

Bien que les patriciens s’efforcèrent de maintenir le pouvoir entre leurs mains, en excluant totalement les représentants de la « plèbe », ces derniers parvenaient néanmoins à infléchir le degré d'exploitation-domination exercé par l’oligarchie sur le peuple. Ce progrès nécessita des guerres civiles sanglantes où le peuple laborieux (les plébéiens) furent obligés de payer le prix le plus coûteux.

Vint ensuite l’obscure période féodale, où le mot même de démocratie s’évanouit. Quand cette époque funeste entra dans des contradictions insolubles, les communes commencèrent à se former puis à revendiquer leurs droits. Ce fut la naissance de la bourgeoisie marchande et financière.

Avec le développement de ses activités économiques, elle comprit qu’il lui fallait éliminer la caste féodale, devenue parasitaire. C’est alors que progressivement le mot démocratie revint à l’ordre du jour. Cet idéal convenait à la bourgeoisie. Il impliquait la liberté… du commerce, d’investir et de réaliser des profits (au détriment des autres), jusqu’à parvenir au fameux slogan du ministre Guizot « Enrichissez-vous ! », bien entendu sans dire par quel moyen, car on le savait au détriment des victimes de cet enrichissement d’une minorité privilégiée. Dans cette perspective, la religion fut, évidemment, embrigadée, notamment sous sa forme protestante, au prix de guerres civiles monstrueuses. « Tuez-les tous et Dieu reconnaîtra les siens ! » fut le slogan favori.

Mais la caste féodale résistait, tenait à son parasitisme, cherchant à exploiter à son profit la bourgeoisie naissante, plus riche. Les contradictions devinrent telles que la bourgeoise fut obligée de recourir à la révolution armée, d’abord en Angleterre (Cromwell), puis en France (1789).

Les révolutionnaires français mirent en avant le slogan « Liberté, Égalité, Fraternité ». Mais très vite, environ trois années après, des éléments de la bourgeoisie, dont Robespierre était le représentant le plus en vue, transformèrent la liberté en celle du… commerce, au détriment des libertés politiques, éliminées à coups de guillotine contre ceux qui défendaient une liberté en faveur du peuple travailleur (Hébertistes, babouvistes, « Enragés », « Sans culottes »). L’égalité, elle, fut enterrée, ainsi que la fraternité, manière familière à l’époque, peut-être un reste de féodalisme, pour désigner la solidarité. Et, pour se légitimer, Robespierre et sa clique inventèrent une nouvelle religion, celle de l’ « Être Suprême », pour aliéner le peuple à leur pouvoir oligarchique.

Quant à la république qui vit le jour aux États-Unis, dans la Constitution le mot « démocratie » n’y figurait pas ! Et les droits du citoyen proclamés ne comprenaient pas les esclaves. Le pays nouvellement colonisé, au prix des génocides de populations autochtones que l’on sait, fut la proie d’une oligarchie de type nouveau. Mais, au fond, elle fonctionnait comme celles antiques grecque puis romaine.

Adaptations modernes.

Ainsi, la classe bourgeoisie, à travers ses représentants politiques (également économiques et idéologiques), parvint à dominer entièrement le pouvoir étatique, renforçant en retour son pouvoir économique et son emprise idéologique. Le système capitaliste était né. On l’orna du substantif « libéral », en référence, évidemment, à la « sainte » liberté, celle d’exploiter les plus faibles, à savoir la majorité du peuple.

On prit le soin de légitimer ce système également par la religion. La Bible affirme la volonté divine de créer des riches (autrement dit les exploiteurs) et des pauvres (les exploités). Les Évangiles accomplirent un progrès. Ils fustigeaient les riches (exploiteurs) et honoraient les pauvres (exploités) en déclarant que les premiers n’entreront pas plus au Paradis qu’un chameau au travers de l’ouverture d’une aiguille, tandis que les seconds bénéficieront pleinement du Paradis. Ainsi, les castes cléricales juive et chrétienne ont pu jouir de privilèges, en échange de la légitimation qu’elles accordaient à l’oligarchie.

Ce système capitaliste entraîna ce que sa nature même devait entraîner : l’expansion coloniale, l’invasion armée des autres territoires disponibles, les génocides de leurs peuples et la rapine de leurs matières premières. La propagande de l’oligarchie bourgeoise appela ces actions criminelles la « découverte » du « nouveau monde », où elle déclarait porter, déjà !, la « liberté », la « démocratie », et, avec elles, la « civilisation », qui comprenait la « révélation chrétienne ».

Ainsi, sont nées les « démocraties libérales ». Deux mots plutôt qu’un seul masquaient mieux la laideur du système exploiteur-dominateur, tout en l’enjolivant. En effet, la démocratie se partageait uniquement entre les castes formant l’oligarchie, par exemple les « républicains » et les « démocrates ». Tout autre parti qui se proposait de défendre la classe des exploiteurs était dénoncé, d’abord comme « athée », ensuite comme « anarchiste », « socialiste », « communiste ». Quand la stigmatisation verbale ne suffisait plus, la neutralisation s’opérait par la répression policière, puis armée, soit de manière camouflée (milice de gangsters) sinon ouverte (l’armé). Nous en sommes encore là.

Tentative avortées.

Le développement de la bourgeoisie capitaliste provoqua celui de la classe qu’elle exploitait pour s’enrichir : les travailleurs des manufactures.

À son tour, ceux-ci, à travers une élite intellectuelle à leur service, tenta d’imiter la bourgeoisie en s’organisant pour effectuer une autre sorte de révolution : « prolétarienne », pour éliminer le système capitaliste et le remplacer par un autre d’où seraient exclue toute forme d’exploitation économique, de domination politique et d’aliénation idéologique.

Hélas et beaucoup de fois hélas !… Comme dans les révolutions bourgeoises, notamment française, l’idée et la stratégie qui s’imposèrent ne furent pas celles d’un mouvement social qui s’auto-émancipait avec ses propres forces (position de l’anarchisme libertaire). Au contraire, ce mouvement social devait se soumettre à une « élite » qui s’auto-proclama « scientifique et unique révolutionnaire » (position marxiste). En ceci, la théorie de Marx, après des écrits de jeunesse certes libertaires, se révéla être, dans sa nature fondamentale, une vision bourgeoise parce que de caste élitaire et autoritaire. Et comme l’idéologie dominante de l’époque était ainsi caractérisée, le marxisme l’emporta sur l’anarchisme libertaire, avec les résultats que l’on sait. L’expérience concrète fut l’impitoyable et objective critique des prétentions marxistes, déjà dénoncées lors de leur apparition par ceux qui désiraient sincèrement « Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes ».

Le résultat du mouvement prolétarien fut dans son essence identique à celui de la révolution bourgeoise. Une caste nouvelle s’empara du pouvoir étatique, s’enrichit économiquement et domina idéologiquement. Avec la révolution française, cette oligarchie fut bourgeoise capitaliste ; avec la révolution russe, et celles qui l’imitèrent, cette oligarchie fut capitaliste étatique, et son aspect bourgeois fut masqué par une rhétorique « prolétarienne ». Voilà pourquoi les structures sociales fondamentales demeurèrent d’essence bourgeoise capitaliste, quoiqu’en disaient les leaders qui continuaient à oser l’imposture de se proclamer « prolétariens ».

« Démocratie populaire ».

Cependant, dans le naufrage du mouvement des peuples laborieux, cette expression est à noter. À première vue, « démocratie » et « populaire » semblent synonymes, des pléonasmes. En effet, demos-cratos signifie pouvoir du peuple ; dès lors, pourquoi ajouter l’adjectif « populaire » ?… Eh bien, pour distinguer la démocratie bourgeoise de celle populaire.

La démocratie bourgeoise reste fondamentalement semblable à la première forme de démocratie, celle athénienne : une minorité oligarchique se partage les pouvoirs étatique, économique et idéologique au détriment de la majorité de la population. Ajoutons-y l’impérialisme, ne l’oublions pas.

À la majorité de la population, constituée de travailleurs dans diverses professions, est concédé le droit de vote pour choisir quel... clan de la caste oligarchique détiendra le pouvoir, au nom de la Cité (Athènes) ou de la nation (époque moderne). Et les appareils idéologiques médiatiques de l’oligarchie bourgeoise sont là pour conditionner le peuple à opter pour le vote non seulement « utile » mais... « libre » !.. Là est l’immense succès machiavélique de la bourgeoisie capitaliste impérialiste : convaincre le peuple qu’il est totalement libre de choisir ses représentants. En effet, l’apparence y est, mais pas la nature essentielle du phénomène des élections. Il y a donc, en effet, une démocratie mais bourgeoise. Mais ses représentants n’emploient jamais l’adjectif, car il dénoncerait la nature sociale de cette démocratie, à savoir un système où une minorité oligarchique vit au détriment de la majorité de la population.

Par contre, dire « démocratie populaire », c’est préciser la caractéristique de cette démocratie : en l’occurrence, celle qui sert les intérêts du peuple. Et c’est bien là la forme de démocratie la plus complète, la plus authentique, la meilleure. En effet, ce type de démocratie implique : 1) la liberté, mais pas au détriment des autres, y compris dans le domaine économique ; s’il y a profit, il doit être au service de la communauté entière, et non pas uniquement d’une minorité oligarchique ; 2) ce genre de liberté authentique implique l’égalité entre tous les membres de la communauté humaine, et non pas uniquement entre les membres de l’oligarchie ; 3) ce type de liberté et d’égalité implique la solidarité entre tous, et non pas uniquement entre les membres des divers clans constituant l’oligarchie,.

Encore hélas et beaucoup de fois hélas !… Ce merveilleux concept de démocratie populaire fut récupéré, détourné, sali et avili par les castes marxistes ou marxisantes et leurs avatars « populistes » et « nationalistes » qui prirent le pouvoir dans certaines nations, dont l’Algérie… Au point que cette magnifique et juste expression, démocratie populaire, est devenue pratiquement inutilisable, inopérante, l’objet de sarcasmes à jute titre, car montrant une méprisable imposture. En effet, qu’y avait-il ou qu’y a-t-il de réellement démocratique et populaire dans les nations qui se déclaraient ou se déclarent telles ?

Voilà pourquoi les expériences prétendument « révolutionnaires », « pour » le peuple ont échoué, parce que rejetées par le peuple lui-même qui se rendait compte de la tromperie. Il finissait par constater que les soit disant « leaders », « guides », « sauveurs » populaires, et autres titres ronflants, étaient, en réalité, une forme inédite d’oligarchie. Même pire que celle de capitalisme privée, car elle était totalitaire : interdits les syndicats autonomes de travailleurs, interdite la liberté d’association et d’opinion, interdite et impitoyablement réprimée toute contestation de la part du peuple de cette monstrueuse oligarchie.

Voilà pourquoi actuellement, partout dans le monde, le peuple et les intellectuels qui s’en soucient peinent énormément à trouver les mots, les idées, les concepts pour indiquer un système social réellement juste à construire. Certains parlent d’ « État de droit », de « justice indépendance », de « droits humains », de « liberté », de « démocratie » (et même de « civilisation » !), sans autre précision. Cependant, celle-ci est donnée par les situations de plus en plus précaires des peuples, les enrichissements de plus en plus scandaleux de minorités oligarchiques, et les agressions de plus en plus criminelles contre l’humanité des divers impérialistes, néo-colonialistes et ce qui reste encore de colonialistes.

Mais combien notent que les mots « démocratie », « liberté », « État de droit », « justice indépendante », « droits de l’homme », etc., ne sont jamais accompagnés des termes « égalité » et « solidarité » ? C’est-à-dire ces deux termes qui donnent précisément aux autres mots leur définition et leur contenu les plus authentiques, les plus humains, parce que ces deux mots jamais prononcés, égalité et solidarité, englobent tous les êtres humains sans exception, donc élimine toute forme d’oligarchie, donc d’exploitation économique par l’intermédiaire d’une domination politique, légitimée par un conditionnement idéologique… Celui qui objecterait que ces réflexions sont « extrémistes », « trop radicales », etc., qu’est-il sinon un privilégié, d’une manière ou d’une autre, du système social qui réduit les peuples aux misères qui, elles, sont extrêmes et radicales ?

Quand donc finira le jeu de dupes (dupeurs et dupés) de ceux qui emploient le mot « démocratie » pour exploiter-dominer de façon machiavélique, ignominieusement criminelle, les peuples de la planète, pour arriver enfin à un emploi de ce terme de manière conforme aux intérêts de l’humanité entière ? (1)

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(1) Sur le thème de la démocratie, des approfondissements se trouvent ici : « LA GUERRE, POURQUOI ? LA PAIX, COMMENT... », « SECTION I.LES FACTEURS DE GUERRE / PARTIE II. POUVOIR ou qui commande au détriment de qui? Et pourquoi? », et « SECTION III. QUEL ORDRE ou qui tire profit du désordre? / PARTIE III. POUVOIR ». In https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-guerre-paix.html, librement télé-déchargeable.

 

Publié sur Algérie Patriotique, le 18 juin 2019, sur Le Matin d'Algérie, le 20 juin 2019, et sur La Tribune Diplomatique Internationale, le 19 juin 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 10 Juillet 2019

Le dilemme de l’intifadha populaire

Dans mes écrits précédents, avant et pendant la présente intifadha populaire surgie le 22 février 2019, je soulignais l’importance stratégique de l’auto-organisation et de l’élection, sous mandat impératif, de représentants pour défendre les exigences légitimes populaires devant les détenteurs du pouvoir étatique. Après quatorze vendredis de manifestations publiques, je ne parvenais pas à comprendre la carence fatale de cette auto-organisation.

Peurs.

Des contacts et conversations avec des participants au mouvement populaire m’ont fourni un premier éclaircissement. Le voici, présenté en substance.

- Nous avons, m’a-t-on déclaré, une expérience extrêmement négative des organisations et des représentants, pour le motif suivant. Les organisations ont toujours été rapidement infiltrées par des éléments de la police politique, et les représentants qu’on avait choisis étaient assez facilement achetés par les gens du pouvoir. Dès lors, nous avons peur de commettre les mêmes erreurs.

- D’accord, je comprends très bien votre crainte. M ais, je suis également très conscient de ce que toutes les expériences de rupture sociale enseignent : sans auto-organisation et représentants adéquats, aucun mouvement populaire ne peut passer de la phase négative, - à savoir contester l’oligarchie dominante en place -, à la phase constructive d’un nouveau système social, correspondant aux exigences légitimes du peuple.

- Oui, admettent mes interlocuteurs, nous comprenons la nécessité de l’auto-organisation, néanmoins, nous avons peur de tomber dans le piège auparavant évoqué.

- Mais, concernant le problème de la récupération de vos représentants par l’oligarchie dominante, le mandat impératif est une très bonne garantie pour maintenir vos représentants dans le respect de leur mission. En effet, le mandat impératif a ces caractéristiques : vos représentants seront chargés uniquement de formuler aux gens du pouvoir vos exigences, puis de vous rapporter les réponses fournies, rien d’autre. Si, par hasard, vous constaterez que vos représentants ne remplissent pas convenablement leur mission, d’une manière ou d’une autre, volontairement ou non, eh bien, vous n’avez qu’à les changer.

- D’accord ! Mais comment éviter l’infiltration de notre auto-organisation par des éléments introduits par l’oligarchie dominante ?

- C’est vrai que c’est là un sérieux problème.… L’infiltration est une méthode normale de la guerre sociale que livre toute oligarchie aux organisations populaires.

- Comment l’éviter, alors ?

- Par la définition claire de vos objectifs, avec vote majoritaire. Une fois ces objectifs décidés, toute tentative de déviation, visiblement au service de l’oligarchie, vous permettra de démasquer son promoteur comme un agent infiltré.

- Cela exige le maximum de conscience et de vigilance de notre part.

- Exactement !

- Voilà le problème : nous manquons terriblement de formation politique, donc de conscience et de vigilance citoyennes. Même les syndicats autonomes de travailleurs rencontrent des difficultés : pas seulement la lutte entre chefs, dévorés les uns les autres par le « zaimisme », à savoir vouloir être le chef incontesté, de mentalité hiérarchique autoritaire, mais l’autre problème est l’infiltration par des agents de l’oligarchie, qui sèment la confusion, le doute et le désespoir parmi les membres du syndicat autonome. Pour affronter et éliminer ces risques certains, seule la formation et la conscience politiques les plus aiguës peuvent servir. Malheureusement, nous en manquons terriblement.

- Comment expliquer cette situation ?

- Durant ces vingt dernières années de boutéflikisme, tout a été fait pour annihiler la conscience sociale et politique, et le moyen le plus performant a été l’argent ! Celui du pétrole et du gaz. Avec l’argent, toutes les consciences ont été achetées, corrompues, asservies, celle des soit disant « élites » comme celle du peuple, les juteux salaires et privilèges pour les « élites », et les subventions sociales pour le peuple. Sans parler de l’obscurantisme religieux. Qui donc a multiplié la construction de mosquées ? L’État et les affairistes privés, dans les deux cas de manière mafieuse !… N’oublions pas, pour la toute petite minorité qui ne s’est pas vendue, par respect de sa propre dignité, la peur !… La peur de la répression, de perdre son travail, d’être emprisonné sous fausse accusation, de risquer de mourir dans une prison par manque de soins.

- Qu’en est-il, alors, de cette peur ?

- Elle n’a pas tout-à-fait disparu. Oui, il y a les manifestations de rues. Mais vas dans les quartiers, parles avec les gens de ce qu’ils pensent des événements, de la nécessité de faire dégager toute la issaba [oligarchie] qui est restée, après la démission honteuse de Bouteflika, et tu constateras que la peur est encore là d’avoir des ennuis en exprimant son opinion sur cette issaba encore en place. À ce sujet, j’ajoute ceci : il est possible que ceux qui pourraient être nos représentants n’ont pas suffisamment confiance dans les autorités étatiques pour se montrer et agir, de peur qu’il leur arrive quelque chose de trop regrettable.

- Il reste, alors, d’une part, à récupérer le temps perdu en ce qui concerne la conscientisation sociale et politique, et, d’autre part, d’arriver au courage et à la sécurité d’élire des représentants malgré le risque dont tu parles.

- Ah ! Le temps et la sécurité !… Comment réaliser en quelques jours ce qui a été détruit durant des décennies, depuis l’indépendance nationale ?

- Eh bien, il n’y pas de choix : il faut commencer le plus vite possible. Par exemple, en dehors des manifestations populaires du vendredi, à auto-organiser des forums de discussion. Ils commencent à apparaître. Mais pas seulement en un seule point de la ville, par exemple au centre, mais dans tous les quartiers, systématiquement. Là est la véritable force du mouvement populaire. Car il est plutôt facile de neutraliser un forum unique dans le centre-ville, mais beaucoup plus difficile de neutraliser des dizaines, éparpillés dans le plus de quartiers possible.

- Nous sommes conscients, ou, plutôt, nous commençons à prendre conscience de cette nécessité, mais nous ne sommes pas assez nombreux pour réaliser un tel projet, qui est, évidemment, indispensable.

- À propos de nombre, combien sont les membres de ce qu’on appelle l’ « élite » qui sont avec vous, sur le terrain, combien de militants de partis politiques, d’universitaires, d’étudiants, d’intellectuels ?

- Oh, hélas ! Pas bezzaf ! Pas bezzaf ! Trop peu !

Hypothèse explicative.

Voilà où en est le magnifique soulèvement populaire en Algérie, surgie voici quatorze vendredis. Et là est le dilemme : être ou ne pas être un mouvement populaire, autrement dit un mouvement capable, après avoir manifesté publiquement et magnifiquement sa présence dans les rues, capable de s’auto-organiser comme institution de contre-pouvoir afin de devenir le pouvoir authentique du peuple démocratique. Même le chef d’État-major a exprimé le souhait de voir le mouvement populaire se doter de représentants pour dialoguer avec eux (1).

Alors ?… Alors, peut-être que l’explication de cette carence, au-delà des motifs évoqués plus haut, réside plus profondément : dans le manque historique de capacité auto-organisatrice du peuple et de ses « élites ».

À l’exception de la période d’autogestion, surgie juste après l’indépendance, et l’expérience des comités de village durant le mouvement citoyen de 2001, le peuple algérien n’a connu que : 1) le zaimisme, à commencer par Messali Hadj, jusqu’à aujourd’hui ; 2) le caporalisme, tant celui du pouvoir étatique que d’un parti majoritaire de l’opposition passée : le PAGS ; 3) une « élite » politico-intellectuelle qui n’a jamais cru aux possibilités créatrices auto-organisationnelles du peuple. Aujourd’hui encore, après quatorze vendredis de manifestations populaires, extrêmement rares sont les voix qui appellent et/ou contribuent à l’auto-organisation du peuple ; la majorité des voix dites « autorisées » et « éminentes », s’auto-proclament les « sauveurs » de ce peuple, tout en lui dressant, verbalement, les plus beaux lauriers, à l’exception, bien entendu, du meilleur des lauriers : celui d’être capable de s’auto-organiser.

C’est à contribuer à cette capacité que se reconnaissent les amis et amies vraiment sincères du peuple (2), car le problème fondamental est celui non pas de se servir du peuple, pour faire carrière, mais de servir le peuple pour construire une société libre, égalitaire et solidaire, caractéristiques de la meilleure des démocraties (3).

Il reste donc à contribuer au surgissement de cette conscience citoyenne, levier stratégique pour permettre au mouvement populaire de passer de la phase contestataire à celle auto-institutionnelle.

Ceci étant dit, tout mouvement populaire dans le monde, de tout temps, a toujours souffert de carence en matière d’auto-organisation et de solidarité des « élites » politiques et intellectuelles, même dans le cas le plus exemplaire, celui espagnol (3). En 1936, lors du surgissement des « colectividad » (collectivités, équivalents à des comités d’autogestion), l’esprit auto-organisationnel y avait une histoire riche, plus que séculaire, commencée déjà dans les années 1860, grâce à l’influence d’un homme de réflexion théorique et d’action sur le terrain, nommé Michel Bakounine. Ce qu’il appelait « anarchie », rappelons-le, c’était, en fait, la destruction de ce qui était le désordre social le plus barbare, pour instituer le seul authentique ordre social, celui du règne de la liberté, de l’égalité et de la solidarité humaines.

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(1) Dans une contribution suivante, ce problème sera exposé au vu d’une récente déclaration.

(2) Voir http://kadour-naimi.over-blog.com/preview/37130cfcfcbd9b559baa8fe1b071ff3a1e0a21dd

(3) Une prochaine contribution examinera le thème de la démocratie.

(3) Voir http://kadour-naimi.over-blog.com/search/comment%20une%20r%C3%A9volution%20devrait%20%C3%AAtre%20faite/

 

Publié sur Algérie Patriotique, le 01 juin 2019, et sur Le Matin d'Algérie, le 28 mai 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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