Publié le 21 Mars 2019

Manifestations populaires, Algérie, mars 2019.

Manifestations populaires, Algérie, mars 2019.

« Réseaux sociaux »

Jusqu’à présent, le mouvement populaire en Algérie se présente comme émanant de « réseaux sociaux », sans autre précision. Il reste à déterminer avec précision l’identité des voix qui alimentent ces réseaux sociaux. Jusqu’à présent, personne n’en est capable. Bien entendu, des hypothèses, parfois accompagnées de preuves plus ou moins vérifiables, sont formulées. Ces interventions dans les réseaux sociaux émanent : 1) soit de citoyens et citoyennes du peuple, très conscients des enjeux en cours, sincèrement dévoués au peuple, mais refusant de se faire connaître pour des motifs de sécurité ou pour ne pas s’ériger en chefs déclarés du mouvement ; 2) soit d’agents d’officines subversives intérieures et/ou étrangères, spécialisés dans les provocations et/ou détournements de mouvements populaires, destinés à dominer le pays (donc ses ressources naturelles) ; 3) soit un mélange des deux cas.

Il peut arriver, beaucoup de temps après l’échec du mouvement populaire, de se rendre compte et de disposer des preuves irréfutables dévoilant l’agent principal qui dirigeait le mouvement populaire. C’est le cas des prétendues « révolutions » dites colorées, où cet agent était étranger, capitaliste impérialiste, avec la complicité d’agents internes serviles. Cependant, durant la phase de surgissement et de développement du mouvement populaire, il est extrêmement difficile de savoir, preuves irréfutables à l’appui, quel est l’agent principal stimulant et dirigeant le mouvement populaire. C’est là un fait très négatif. En effet, d’une part l’oligarchie dominante agite le spectre de l’intervention étrangère (et/ou interne), à tort ou à raison, en tout cas cette évocation lui sert comme alibi pour manipuler le peuple. D’autre part, le peuple peut être désorienté, parce qu’il ignore qui est l’auteur principal des slogans mobilisateurs.

Représentants du peuple

Dans l’impossibilité de déterminer avec précision la vérité concernant les auteurs agissant par l’intermédiaire des réseaux sociaux, ce qui reste à faire est que le peuple se dote de représentants publiquement déclarés. Pour lui, c’est l’unique manière de demeurer maître de son mouvement, de démontrer publiquement qu’il l’est.

Ainsi, le peuple démontrera que même si des agents d’officines récupératrices de son mouvements agissent, - ce qui est de « bonne » guerre, et ne peut étonner que les naïfs -, ces agents manipulateurs ne sont pas maîtres du mouvement populaire. Ce fait est d’une importance stratégique, car il permet de supprimer les doutes quant à la direction du mouvement populaire ; par conséquent, les citoyens et citoyennes ne sont pas victimes de doutes, de perplexité quant à la nature et à la direction de leur mouvement social.

Toutefois, l’existence de représentants du peuple pose des problèmes qui exigent des solutions adéquates.

Comment élire des représentants qui soient réellement et sincèrement l’expression de la volonté uniquement du peuple ?... Le problème qui surgit, alors, est le risque de voir ces représentants s’ériger en chefs autoritaires susceptibles de se transformer en membres d’une caste dominatrice nouvelle.

La solution est connue : l’emploi du mandat impératif. Pour qui l’ignore, il s’agit, pour toute unité sociale (de celle de base à celles intermédiaires jusqu’au niveau national) de choisir par élection ouverte, non secrète mais à main levée, des citoyens et citoyennes chargées de présenter, défendre et mettre en application les revendications populaires. Ces représentants sont à tout moment susceptibles d’être révoqués par leurs mandataires, si ces derniers constatent que ces représentants n’incarnent pas correctement la volonté de leurs mandataires.

Cependant, l’existence de représentants déclarés présente le risque de les voir soit récupérés par la caste dominatrice, par la corruption, soit éliminés par cette même caste ou par des agents d’une caste adverse (étrangère et/ou interne), par l’assassinat, déguisé en « accident » ou meurtre par un « individu isolé ». Cette pratique relève du traditionnel principe : terroriser pour dominer. Ce risque est réel. Une solution permet de le réduire au minimum, sinon le supprimer. Elle consiste à pratiquer la rotation la plus rapide possible de ces représentants. Ainsi, plus les représentants sont changés et diversifiés, plus leur récupération ou leur assassinat devient difficile. En outre, le mouvement est plus démocratique, puisqu’il réduit la distinction-contradiction entre dirigeants et dirigés.

Toutefois, étant donnée la complexité de la mission, la rotation dans le choix des représentants risque de les voir manquer du temps nécessaire pour l’accomplir avec succès, ou ne pas être à sa hauteur. Il reste à s’efforcer de résoudre ces deux difficultés.

Ce qui est certain est le fait suivant : tout changement social, surtout s’il est radical (1), ne comporte pas de recettes toutes faites, qu’il suffit simplement d’appliquer. Certes, des principes fondamentaux existent, mais leur concrétisation dépend de la situation concrète et des capacités créatrices des personnes chargées de les réaliser. Ces capacités dépendent de l’expérience pratique et des connaissances théoriques de ces personnes. Les expériences historiques montrent que cette pratique et ces connaissances théoriques ne sont pas toujours suffisantes, même quand agissent des « professionnels » du changement social. Car ces derniers ne sont pas le peuple, composé, lui, de citoyennes et citoyens qui sont, en définitif, l’élément décisif dans le changement social. Généralement, le peuple est réduit à une masse de manœuvre, qui sera, une fois le pouvoir conquis, remis à son habituelle place : celle d’une masse dominée, de manière plus ou moins démagogique. L’unique manière d’éviter ce risque est de voir le peuple doté de ses propres représentants, à savoir émanant de ses rangs et élus par mandat impératif.

Ajoutons que ces représentants doivent veiller à refléter la réalité du peuple. Il s’agit d’incarner toutes ses composantes sans exception, en tenant compte des plus exploitées-dominées : les femmes et les jeunes. La libération de l’homme dépend de celle de la femme, la libération des adultes et des vieillards dépend de celle des jeunes.

Peuple et « élites » intellectuelles

Une des difficultés pour le peuple de s’auto-organiser de manière autonome, pour éviter la récupération de son mouvement par des castes inédites, réside dans le fait que la majorité des « élites » intellectuelles ne conçoivent pas de voir ce peuple s’ériger en maître réel de son destin. Il suffit de lire les publications et d’entendre les discours de la majorité de ces intellectuels.

Généralement, ils ont plein la bouche de beaux mots tels « démocratie », « liberté », « laïcité », etc., mais ces phraseurs ne précisent pas le contenu réel qu’ils mettent dans ces mots. Les capitalistes impérialistes et leurs « intellectuels » idéologues emploient les mêmes termes pour agresser et exploiter les peuples. Par contre, l’expression « exploitation économique » (2) n’est pas formulée par ces intellectuels. N’est-ce pas symptomatique ? En effet, comment pourraient exister démocratie et liberté authentiques sans éliminer l’exploitation de l’être humain par son semblable ?

Généralement, encore, ces intellectuels, pour réaliser les objectifs qu’ils invoquent (démocratie, liberté, laïcité, etc.), font appel à des intellectuels comme eux, sans jamais faire référence au peuple. Ce qui suppose qu’il en est incapable parce qu’il manquerait du « savoir » et du « savoir faire ».

C’est là que se découvre le pot aux roses, que le loup se démasque devant ce qu’il prend pour le petit chaperon rouge. D’une part, ces intellectuels dressent de magnifiques lauriers au peuple, formulent les éloges les plus sonnants et flamboyants ; mais, d’autre part, en désignant uniquement des membres de l’élite intellectuelle comme susceptibles de réaliser le changement social, ils occultent la capacité du peuple à s’auto-organiser de manière autonome pour réaliser ses revendications légitimes ; ils nient donc implicitement à ce peuple ce qu’ils semblent lui prêter en paroles comme possibilité. En effet, soit le peuple est « génial », et, alors, il peut manifester cette « génialité » par son auto-organisation autonome, soit il est incapable de réaliser cette dernière, et, donc, sa « génialité » se cantonne à être la masse de manœuvre d’intellectuels prétendant représenter ses intérêts spécifiques. Mais, affirmer la « génialité » d’un peuple tout en lui niant la capacité de l’exercer sous forme d’auto-organisation, qu’est-ce donc sinon hypocrisie, inconsciente ou volontaire ?… Depuis que je publie des textes sur l’autogestion sociale, je note toujours ceci : les personnes qui la rejettent comme archaïque, illusoire, impossible n’ont jamais lu les livres des pratiquants de l’autogestion, en Algérie et ailleurs, qui fournissent les preuves concrètes montrant la valeur positive des pratiques autogestionnaires. Ah ! L’ignorance causée par les préjugés idéologiques !

Il reste que l’histoire sociale montre suffisamment qu’en ce qui concerne les changements sociaux réellement en faveur du peuple, seule une minorité d’intellectuels est réellement solidaire de ce peuple. C’est qu’elle prend la peine de le connaître réellement, et de connaître réellement l’histoire de ses expériences d’émancipation sur cette planète. Au contraire, la majorité des intellectuels s’agitent comme membres d’une caste au service de cette caste. De là, la nécessité pour tout peuple de compter d’abord sur ses capacités créatrices, et de distinguer l’authentique de la fausse solidarité avec lui. L’histoire humaine montre que le peuple en est capable, s’il le désire suffisamment, pour trouver les solutions adéquates. Qui en doute, qu’il renonce à ses préjugés, et prenne la peine, s’il en est capable, de se documenter de manière suffisante.

Péché originel

Une question se pose : pourquoi des intellectuels, supposés posséder la quintessence du savoir social et pratiquer l’objectivité scientifique tombent dans cette contradiction de faire en même temps l’éloge du « génie » populaire, tout en lui déniant la capacité de réaliser ses objectifs légitimes par ses propres représentants ?… On peut y trouver plusieurs causes.

L’intellectuel, généralement, fait partie d’une caste privilégiée : le fait même d’avoir pu accéder au statut d’intellectuel démontre qu’il ne fait pas partie des exploités condamnés à survivre en vendant à vil prix leur force de travail physique. En outre, faire partie de la caste détenant un capital intellectuel porte, plus ou moins consciemment, à être peu réceptif à la condition de radicale exploitation du peuple. Preuve en est que ce genre d’intellectuel est toujours prompt à reprocher au peuple son « radicalisme ». Comme le dit la sagesse populaire algérienne : Ne peut ressentir le feu du brasier que la personne qui est assise dessus.

À propos du jugement de l’intellectuel concernant le peuple, ajoutons un fait psychologique. Généralement, l’intellectuel, parce que faisant partie d’une caste privilégiée, et parce que jouissant d’un savoir, sanctionné par des diplômes prestigieux, est porté à s’auto-dresser une statue de « savant » infaillible, par opposition à la « crasse ignorance » du peuple, et cela même dans les domaines où le peuple détient un savoir authentique, par exemple l’organisation du travail dans une unité productive, l’organisation des études dans une unité scolaire, l’organisation familiale, etc. Rappelons-nous l’adage algérien : « Ilâ antâ mîr ou ana mîr, achkoun issoug al hmîr ? » (Si tu es maire et je suis maire, qui conduira les ânes). Bien entendu, les « ânes » c’est le peuple, et le choix du maire doit se faire uniquement entre des personnes qui ne soient pas des « ânes », autrement dit des possédants de capital intellectuel, socialement sanctionné par la caste dominante.

Une autre caractéristique de ce genre d’intellectuel privilégié est d’aimer s’ériger lui-même une statue de « Sauveur », d’ « Icône » devant laquelle le peuple n’a qu’à s’émerveiller, applaudir et exécuter, sous peine d’être traité d’ignorant, d’imbécile, d’anarchiste. Et, malheureusement, de fait, on trouve des gens parmi le peuple qui adorent les « Sauveurs » et les « Icônes ». Ce genre d’intellectuel s’enivre d’exercer une autorité, légitimée par son capital intellectuel. Même un Karl Marx, un Lénine, un Mao Tsé Toung, un Fidel Castro, etc. ont manifesté cette tendance, avec les résultats funestes constatées. Michel Bakounine l’avait dit en son temps (citation de mémoire) : Mettez le plus pur et sincère révolutionnaire au pouvoir, il deviendra très vite un dictateur. L’histoire l’a démontré. En effet, combien de Gandhi et de Nelson Mandela existent, c’est-à-dire de dirigeants qui ont contribué au changement social en faveur du peuple, sans se transformer en statues vivantes à adorer et craindre, sans jamais quitter le pouvoir, et en assassinant les personnes qui leur reprochaient cette maladie du pouvoir ?

Détruire et construire

Tout participant à un changement social le constate : si la destruction d’un système social inique est difficile, encore plus difficile est la construction d’un système social alternatif, équitable pour le peuple.

Pour s’en tenir à l’actuel mouvement populaire en Algérie (comme ailleurs), certes est difficile la mobilisation du peuple pour revendiquer ses intérêts légitimes.

Mais plus difficile encore pour ce peuple s’auto-organiser pour les concrétiser. Parce que le peuple : 1) a trop d’ennemis, internes et externes, qui veulent le maintenir dominé ; 2) trop de faux amis, qui ont en bouche de jolis mots mais veulent, eux aussi, dominer le peuple d’une façon diverse ; 3) trop de conditionnement idéologique à être « dirigé », au lieu de compter sur ses propres forces pour s’auto-diriger.

Cette dernière observation doit écarter un malentendu. Elle n’affirme pas que le peuple est incapable de s’auto-organiser de manière autonome, mais simplement que l’entreprise lui est difficile, non pas par son incapacité intrinsèque, mais parce que s’opposent à son entreprise auto-émancipatrice des adversaires organisés et résolus : d’une part, les faux amis « intellectuels » avec leur conditionnement idéologique néfaste, et, d’autre part, la caste dominatrice, laquelle dispose de la force répressive.

C’est dire que les difficultés les plus consistantes commencent quand le peuple arrive à la phase de son auto-organisation pour construire le système social alternatif, apte à répondre réellement à ses intérêts légitimes.

Du « système »

Des personnalités ainsi que des manifestants déclarent leur refus du système actuel. Bien ! Quant au système qui doit le remplacer, il est indiqué comme étant la fin de la corruption et le rejet des corrompus dans le système nouveau. Cela suffit-il ?… Prenons un exemple : un Issad Rebrab, parce qu’il a des difficultés avec le système actuellement dominant, auquel par conséquent il s’oppose, ce Issad Rebrab ferait-il partie du nouveau système, sous le prétexte qu’il « crée de la richesse » et « offre du travail » aux Algériens ?… Oublie-t-on comment il a accumulé le capital qui lui a permis de devenir patron, et comment il a licencié des travailleurs parce qu’ils ne servaient plus à lui garantir un profit financier personnel comme patron ?

La corruption ne consiste-t-elle pas, également, à exploiter économiquement un être humain, en lui volant une partie de la valeur de son travail, physique et/ou intellectuel, pour en en tirer un profit, sous le prétexte d’être propriétaire des moyens de production ? Mais comment ce propriétaire les a acquis, sinon par le vol et la corruption, d’une manière ou d’une autre ?... Par conséquent, un système devant remplacer le système corrompu et corrupteur ne devrait-il pas veiller à éliminer également cette forme de corruption qui s’appelle exploitation économique ?… Sinon, quelle est la nature du système nouveau revendiqué ?… Celui qui affirmerait que ce système social excluant l’exploitation économique n’a existé nulle part, je le renvoie à l’étude de l’histoire sociale des peuples.

« Donner la parole au peuple »

On proclame la nécessité de « donner la parole au peuple ». Or, le peuple algérien a démontré dans les faits qu’il ne se reconnaît pas dans les partis d’opposition, encore moins dans les membres du gouvernement actuel, même recyclés et tenant un langage de loup devant le petit chaperon rouge. C’est qu’il est impossible au membre d’une oligarchie dominante de se débarrasser d’une tare : croire que le peuple est par nature idiot, et donc manipulable.

Ce même peuple n’a pas, non plus (ou très peu), évoqué des personnalités pour parler en son nom, ni d’organisations autonomes, dotées de représentants adéquats, à l’exception de syndicats autonomes de travailleurs et de quelques rares associations citoyennes. Cet état de choses est, évidemment, causé par la répression exercée par l’oligarchie dominante.

Toutefois, ce peuple évoque la nécessité d’élections véritablement libres et démocratiques. Cela nécessite des débats les plus libres et larges, impliquant un temps suffisamment nécessaire.

Reste le problème déterminant : comment le peuple pourrait disposer de représentants réellement légitimes ? À ce sujet, la contribution précédente a formulé des propositions (3). On le sait : en période d’effervescence populaire, les jours valent des mois sinon des années. D’où l’urgence que le peuple se dote lui-même de son organisation de manière libre, égalitaire et solidaire. C’est au souci et à l’aide portée à cette entreprise que se reconnaissent les possesseurs de savoir intellectuel réellement soucieux du peuple.

La jonction, finalement !

La moujahida Djamila Bouhired vient de rejoindre le mouvement populaire, et de lancer un appel en avertissant : « Ne les laissez pas voler votre victoire ! » (4) Merveilleuse, hautement symbolique et significative, cette jonction publiquement déclarée, finalement, entre la génération (sa partie la plus désintéressée et courageuse) qui a donné l’indépendance nationale à l’Algérie, avec la génération qui, espérons-le, saura donner au peuple sa libération sociale de toute forme d’exploitation économique, de domination politique et de conditionnement idéologique. Voici le peuple algérien non seulement face à son destin, mais, également, face à l’exemple qu’il pourrait donner aux autres peuples dominés de la planète.

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(1) Voir « Trois pour, trois contre et deux conditions » in http://www.lematindalgerie.com/trois-pour-trois-contre-et-deux-conditions

(2) Idem.

(3) Idem.

(4) Voir http://www.lematindalgerie.com/djamila-bouhired-la-jeunesse-algerienne-ne-les-laissez-pas-voler-votre-victoire

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Publié sur Le Matin d'Algérie, le 15 mars 2019, sous le titre "Nécessités de la révolution". et sur Algérie Patriotique, le 18 mars 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 18 Mars 2019

Présentation de "La valeur de l'accord" à la ferme de Bouchaoui, Alger, 1969.

Présentation de "La valeur de l'accord" à la ferme de Bouchaoui, Alger, 1969.

Veut-on constater à quel point on peut, en Algérie, étudier ou faire du théâtre tout en ignorant la majorité de ses destinataires potentiels ?... Un article permet de s’en rendre compte (Fayçal Métaoui, Comment séduire le public ? publié sur le quotidien El Watan du 30.09.2016).

Écartons d’abord tout malentendu. Je n’ai pas assisté à la journée d’études dont il rend compte ; je ne dispose que de qu’a écrit le journaliste. Par conséquent, mes observations se basent uniquement sur ce qu’il a relaté.

On lit :

« Le théâtre algérien (TNA) ose enfin ouvrir le débat sur l’intérêt que porte le public aux pièces. Des solutions sont proposées pour faire revenir les spectateurs dans les salles. (…) Comment renouer avec le public ? Comment faire pour attirer les spectateurs en grand nombre vers les salles de théâtre ? Des questions auxquelles ont tenté de répondre plusieurs intervenants (...) »

La réponse est dans la question elle-même : on ne se préoccupe nullement d’aller vers le public, dans les lieux où lui se trouve : les quartiers où il vit, pour ne pas ajouter ceux où il travaille. En outre, étant donné que les salles de théâtre se trouvent uniquement dans quelques villes, plus exactement dans leur centre, le reste de la population n’est pas considéré : celle qui vit dans les périphéries de ces villes, celle qui vit dans les villes dépourvues de ce genre d’établissement, et celle qui réside à la campagne, dans les grands et petits villages.

L’essayiste Ahmed Cheniki déclare :

« Comme si le spectateur était absent de la représentation théâtrale, alors que tous les grands hommes de théâtre prennent comme point de départ le public qui contribue à façonner les réseaux thématiques et les éléments esthétiques. Il est tout à fait normal d’interroger ce phénomène du public dont les réponses permettraient peut-être de régler au-delà de la dimension esthétique les jeux extrêmement complexes de la réception et de la fréquentation», souligne-t-il. Ahmed Cheniki propose de revoir l’organisation des établissements étatiques du théâtre et des coopératives. « Le statut de ces coopératives est flou.

On ne sait pas si elles sont dans le théâtre amateur ou professionnel. Les créateurs du théâtre sont victimes d’une situation figée et d’une gestion peu étudiée des espaces de spectacles», dit-il. »

Là, aussi, l’intervenant parle d’ « absence » du spectateur et non pas des artistes de théâtre auprès du public.

Pourtant Ahmed Cheniki est un chercheur et essayiste qui, de par ses fonctions, connaît l’expérience du Théâtre de la Mer, dont il a parlé dans des écrits précédents. Il sait sinon devrait savoir que cette compagnie n’a jamais eu à se poser le problème du public, puisque c’est elle qui allait là où il se trouvait, précisément :

- en ville, dans des espaces divers : de travail (usines), d’études (lycées, université), de vie (quartiers)

- dans les centres de formation professionnelle de petites villes,

- à la campagne : dans des villages, comme Gdyel, ou à la ferme autogérée de Bouchaoui, près d’Alger.

Entre fin 1968, moment de sa fondation, jusqu’à 1973, où j’ai quitté la compagnie, elle a présenté ses réalisations des centaines de fois, de cette manière. Seulement quatre représentations de Mon corps, ta voix et sa pensée furent données au TNA d’Alger (où spectateurs et acteurs se trouvaient sur le plateau, transformé en espace circulaire de jeu, autrement dit halga) et cinq représentations de La Fourmi et l’Éléphant à la salle El Mouggar d’Alger.

Pourquoi Cheniki n’a pas relaté cette expérience qui démontra, dans les faits, que le problème n’est pas l’absence du public au théâtre, mais le contraire, celle des artistes auprès du public ?

« Pour Ahmed Cheniki, le théâtre doit avoir des rapports continus avec les écoles, les universités et les secteurs du sport et de la jeunesse. « Il faut s’interroger sur ce qu’on peut faire aujourd’hui pour améliorer l’activité théâtrale en Algérie. Allons-nous reprendre les expériences de Allalou, Alloula, Bachtarzi ?» s’interroge-t-il. »

Quand Cheniki évoque un public autre que conventionnel, il ne mentionne pas celui laborieux : la partie de la population qui vit dans les quartiers pauvres, ainsi que les ouvriers des usines, les paysans des fermes et des villages.

En outre, on constate que ce chercheur cite des « expériences » mais pas celle du Théâtre de la Mer. Pourtant, en matière de public, quelle troupe et quel homme de théâtre a accompli ce que cette dernière et son animateur ont réalisé auprès du public dans toutes ses catégories, sans en exclure aucune ?

Dans l’article, on lit ensuite :

« Makhlouf Boukrouh a analysé l’évolution de la présence du public au fil du temps depuis l’indépendance du pays. «Dans les années 1960, 1970 et 1980, le problème ne se posait pas. Le public était présent. Les chiffres peuvent en témoigner. Il y avait un environnement qui permettait ce déplacement du public. Aujourd’hui, il faut s’interroger sur le fonctionnement des théâtres, sur la qualité des spectacles offerts au public, sur la continuité des représentations», relève-t-il. »

On constate que le seul genre de public considéré est l’habituel public : celui des établissements conventionnel des villes.

On lit encore :

«Il faut être réaliste et se dire : que se passe-t-il avec nous ? Comment sont gérés les établissements de théâtre ? Ont-ils des programmes à long terme ? Comment choisit-on un texte? Qu’avons-nous fait ces dix dernières années ? Où sont passés les résultats des conférences et débats organisés au TNA ?» se demande le metteur en scène Chawki Bouzid. Il plaide pour un rapprochement entre pratiquants du théâtre, les critiques et l’administration des théâtres. «Pour l’instant, chacun est dans son carré. Avant de penser au public, il faut instaurer un dialogue entre les créateurs et l’administration. »

Et pourquoi pas le « rapprochement » entre les pratiquants de théâtre et le public qui ne peut pas aller dans les salles conventionnelles des quelques villes ?… Les hommes de théâtre ne sont-ils, eux, dans leur « carré », en ignorant ce public ?

L’article poursuit :

« Habib Boukhelifa, enseignant à l’Institut supérieur des métiers des arts de spectacles et de l’audiovisuel (ISMAS), estime que (...) « Un système politique et social qui ne peut pas gérer une ville ou sécuriser le citoyen ne peut pas, à mon point de vue, organiser une activité théâtrale. »

Il est vrai que le problème sécuritaire existe. Mais dans quelle mesure ce facteur est vraiment déterminant dans l’absence de public ?

« Ces dernières années, nous avons tourné en rond. L’entreprise théâtrale est devenue plus un espace de rente qu’un espace de production. »

N’est-ce pas, justement, cette « rente » qui, non seulement explique la carence de production, mais, également, l’oubli du public ?… Tant que le salaire mensuel arrive dans le compte bancaire, pourquoi se soucier d’autre chose ?

« Ceux qui peuvent améliorer beaucoup de choses à l’art théâtral sont marginalisés, entre autres, les enseignants de l’ISMAS. Comment peut-on souhaiter la présence du public avec des spectacles médiocres, des spectacles qui ne répondent pas à l’amplitude passionnelle d’un peuple et à son authenticité (...) La présence du public dans les salles dépend de la qualité des spectacles ».

Bien entendu, la médiocrité est un des facteurs d’absence de public. Mais, là encore, celui évoqué est le même : celui des salles conventionnelles. La « recherche », justement proposée par Boukhelifa, ne concerne pas les autres catégories de public.

Continuons.

« Hamida Aït El Hadj, metteur en scène et enseignante à l’ISMAS, refuse que les créateurs soient culpabilisés. « Nous ne sommes pas coupables de la désertion du public, de l’absence du théâtre scolaire. Le théâtre a disparu des écoles et des manuels d’enseignement. Les gens du théâtre ne sont pas coupables de la décennie noire.

Pendant dix ans, les Algériens ne pouvaient pas sortir de leur maison le soir, comment voulez-vous qu’ils reviennent au théâtre aujourd’hui ?Il n’y a pas de transport le soir dans les villes. Tout s’arrête après 17h. Je ne suis pas coupable et je continue de lutter pour que le théâtre vive dans ce pays », relève Hamida Aït El Hadj, plaidant pour revoir le système de formation aux arts dramatiques et les formules de tournées des spectacles. »

Il est vrai que la « décennie noire » a tout bloqué. Mais elle a pris fin en l’an 2000 environ. Dix-sept années sont passées. Alors ?

Quand Hamida parle de « ce pays », entend-elle autre chose que l’habituel public des conventionnels théâtres ?

Voyons la suite :

« Mohamed Frimehdi, metteur en scène, estime qu’il faut prendre en compte les complexités de la vie sociale moderne, la technologie et les modes de consommation avant d’analyser la problématique de la relation du public avec le théâtre. « Les arts vivants doivent s’adapter à cette situation.

Les jeunes portent aujourd’hui dans leurs poches, grâce au smartphone, des tonnes d’informations, d’images et de sons du monde entier. La dictature de la rapidité fait que les gens n’ont plus le temps d’aller à une salle de spectacle pour passer une heure à regarder une pièce.»

Là, aussi, le même conventionnel public est envisagé. En outre, si l’on suit la logique de cet extrait, ne semble-t-il pas que la seule solution qui reste est tout simplement de fermer les théâtres ?

« La plupart des intervenants ont insisté sur l’importance de la communication et de la promotion des spectacles de théâtre, notamment à travers l’affichage en ville, les réseaux sociaux et les médias. « Avez-vous vu un jour une publicité pour pièce de théâtre dans journal ou au petit écran ?» interroge le critique Nabil Hadji. »

Cet extrait laisse supposer que les participants croient à la qualité des œuvres proposées, tout en ne considérant, encore, que le public conventionnel des villes.

Enfin, l’article conclut :

« Le scénographe Abderrahmane Zaâboubi souhaite l’organisation d’assises nationales «sérieuses» sur le théâtre pour discuter de tous les problèmes et proposer des solutions en vue de relancer les arts vivants à travers le pays d’une manière durable. «Il faut ouvrir un débat direct avec le public, inviter ses représentants à ces assises, savoir ce qu’il veut », propose-t-il. »

J’apprécie la référence de Zaâboubi au « sérieux ». En outre, il est le seul à considérer le public comme ayant quelque chose à dire pour « savoir ce qu’il veut ». Notons que ce souci est exprimé non pas par un chercheur, un auteur ou un metteur en scène, mais uniquement par un scénographe.

J’aurais voulu, cependant, savoir ce qu’il entend par l’expression « à travers le pays » : à quels types de public il se réfère ?

Concluons.

Dans toutes ces interventions, à l’exception de Zaâboubi, le public est évoqué sans considérer important de savoir ce que lui pense et veut.

En outre, le seul public évoqué est celui des théâtres conventionnels des quelques villes où il existe.

Toutes les autres catégories de public ne sont pas mentionnées : celles qui, précisément, sont exclues du droit culturel de voir des œuvres théâtrales. Et ces catégories sont exactement celles qui produisent la richesse du pays, sont la majorité de la population, et fournissent la nourriture que mangent les participants à cette journée d’études : les ouvriers et les paysans, sans oublier leurs familles qui vivent dans des quartiers délaissés des villes, et dans des villages mal entretenus dans les campagnes.

Pourquoi donc ce public-ci n’a pas bénéficié de l’attention des intervenants ? Pourquoi le journaliste qui relate leurs propos n’a pas, lui non plus, noté cette particularité ?… Question subsidiaire : pourquoi l’expérience du Théâtre de la Mer n’a pas été rappelée, tout au moins par le chercheur Cheniki et le journaliste Métaoui ?

Ultime question : le problème du théatre en Algérie réside-t-il dans l’absence du public ou, au contraire, dans l’ignorance où est tenue sa majorité par ceux qui écrivent sur le théâtre ou le pratiquent ? Cette majorité de public ne mérite-t-elle pas l’attention de la part de personnes qui, je suppose, sont démocrates et progressistes ?

Kadour Naïmi,

ex-fondateur et animateur du Théâtre de la Mer.

 

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 19 Jan 2017.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #THÉÂTRE

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Publié le 15 Mars 2019

Manifestations populaires, Algérie, mars 2019

Manifestations populaires, Algérie, mars 2019

Pour les personnes qui, comme militants et/ou théoriciens, ont sérieusement et honnêtement étudié l’histoire sociale des peuples, certaines observations sont élémentaires et banales. Par contre, pour d’autres personnes, ces mêmes observations sont, dans le meilleur cas, nouvelles et surprenantes mais cependant dignes de considération, et, dans le pire, absolument farfelues, incroyables et irrecevables. Ce second type de réaction n’est pas étonnant de la part de personnes ayant des intérêts matériels à défendre, dans le cadre d’une oligarchie dominante. Malheureusement, beaucoup de personnes qui sont victimes d’une domination oligarchique manifestent le même rejet. C’est à ces victimes que ce genre de contribution s’adresse.

À propos du mouvement populaire actuel en Algérie, un lecteur m’a écrit : « Actuellement, le mouvement de la dignité est un fœtus à l’état embryonnaire. De ce constat, à votre avis, quelle est la meilleure projection à faire pour arriver à jeter le socle de revendications unifiées, et aboutir avec des propositions à mettre à table face à ce régime ? »

Essayons de déceler ce qui peut unifier le mouvement populaire, afin qu’il soit en mesure de formuler des propositions qui servent ses intérêts.

En présence d’un phénomène social, la meilleure méthode est de penser local et actuel (ici et maintenant) en tenant compte du mondial et du passé (partout et toujours).

À ce sujet, quelque soit le pays et l’époque de surgissement d’un mouvement populaire, il s’agit de déceler quels sont les enjeux fondamentaux, au-delà des slogans proclamés. Ces enjeux comprennent ce qui est refusé, et, par conséquent, ce qui est voulu.

Les trois non.

Qu’est-ce qui unifie un peuple, sinon ce qui intéresse sa grande majorité, indépendamment de ses spécificités ethniques, spirituelles, sexuelles et d’âge biologique ?... C’est la dépense de sa force de travail physique et/ou intellectuelle en échange d’un prix équivalent à l’énergie fournie. Or, le salaire en question est toujours inférieur à la valeur du travail donné. Ce qui est, toute personne raisonnable et équitable en convient, ni raisonnable ni juste.

Ce phénomène existe là où une personne privée ou un groupe de personnes occupant l’État sont en possession des moyens de production matérielle, généralement obtenus à l’origine par une forme plus ou moins déguisée de frauduleuse appropriation, privée ou étatique. C’est précisément cette possession qui permet à ces propriétaires d’acheter une force de travail physique et/ou intellectuelle à un prix inférieur à sa valeur, d’où le profit (l’enrichissement) qui en résulte sous forme de plus-value. Ce phénomène a un nom précis : exploitation économique de l’être humain par son semblable. Il faut donc dire non à cette exploitation économique.

Cependant, celle-ci, pour exister, a besoin d’être défendue par une domination politique, et légitimée par un conditionnement idéologique, religieux ou/et laïc… Par conséquent, dire non à l’exploitation économique implique absolument de dire non à la domination politique et au conditionnement idéologique.

Malheureusement, ce dernier est si fort qu’en général le peuple refuse la domination politique mais sans aller jusqu’à refuser également l’exploitation économique. Parce que le conditionnement idéologique est tel que le peuple ne comprend pas, ou pas suffisamment, que la domination politique existe uniquement parce qu’elle défend l’exploitation économique. D’où l’illusion fatale et néfaste de dénoncer la conséquence (domination) ou oubliant ce qui la cause (exploitation). C’est l’un des motifs de l’échec des mouvements populaires. Pour réussir, ils devraient exiger la radicalité (contrairement à ceux qui tremblent ou se scandalisent à la lecture de ce mot, il s’agit simplement et logiquement d’aller à la racine du problème), autrement ils ne font qu’accoucher d’une forme d’exploitation économique différente, toujours enjolivée de mots ronflants et trompeurs : le « libéralisme » privé agite l’illusion de la richesse pour tous, tandis que le « socialisme » étatique promet le paradis sur terre.

Les trois oui.

Les trois non ainsi décelés et précisés, il reste à indiquer les oui qui doivent les éliminer. Car il ne suffit jamais de se cantonner à dire non à quelque chose ; il reste encore à savoir à quoi dire oui.

L’élimination de la racine du mal social, à savoir l’exploitation économique, exige de dire oui à trois impératifs : égalité, liberté et solidarité.

En effet, sans égalité entre les citoyens et citoyennes, la liberté reste limitée à des castes privilégiées au détriment de la majorité du peuple ; cela signifie qu’une minorité de personnes (les possesseurs, privés ou étatiques, de moyens de production) ont la « liberté » d’exploiter économiquement les autres, donc la « liberté » de les dominer politiquement, donc la « liberté » de les conditionner idéologiquement à ce genre de « liberté ».

Certains objecteront : mais si vous critiquez la possession étatique des moyens de production, en considérant l’État comme exploiteur, quelle autre forme de possession des moyens de production peut exister ?… La possession collective des moyens de production par celles et ceux qui y mettent leur force de travail physique et intellectuelle. Cette forme a existé partout où l’auto-gestion fut instaurée. À ce sujet, hélas !, le « socialisme » étatique a eu la grave et immense imposture de confondre l’État et la collectivité des citoyens, ce qui lui a permis de constituer une caste d’exploiteurs de forme inédite, qui, depuis 1789, s’est présentée comme « révolutionnaire », « républicaine », « socialiste », « communiste » ou « populaire ».

Revenons à l’égalité et à la liberté. Sans solidarité, les deux premières restent cantonnées à des castes privilégiées aux dépens de la majorité du peuple. En effet, nous avons alors des « égaux » mais pas tous égaux (les égaux parce que membres de la caste dominatrice, et les « égaux » parce que membres de la majorité dominée), et nous avons la « liberté » des exploiteurs économiques, et la « liberté » des exploités de vendre leur force de travail à un prix inférieur à sa valeur réelle.

Cependant, l’histoire montre ceci : la solidarité n’a jamais existé, et ne peut l’être entre la personne qui tire sa jouissance de l’exploitation économique d’une autre personne, et cette dernière. La solidarité ne peut exister qu’entre les membres partageant les mêmes intérêts matériels (comme exploiteurs ou exploités).

Or, les exploiteurs savent généralement se solidariser, parce qu’ils sont très conscients de sa nécessité pour pouvoir dominer politiquement. Malheureusement, les exploités, conditionnés idéologiquement par une certaine vision opportuniste de la religion et/ou de la morale, peinent à se solidariser. Ajoutons que les dominateurs exercent toutes sortes de moyens pour causer et maintenir la division parmi les victimes. Ainsi, ils ont recours à des catégorisations comme la religion (telle religion contre une autre ou contre l’athéisme), l’ethnie (telle composante ethnique contre une autre), le sexe (distinguer les hommes des femmes), l’âge (séparer les jeunes des adultes ou des vieillards), jusqu’à la nationalité (opposer tel peuple à un autre).

C’est dire, par conséquent, et pour revenir sur les modalités d’unification d’un peuple, que celle-ci ne peut se faire que sur une base fondamentale : le fait d’être exploité économiquement, et, donc, de refuser cette injustice.

Qui objecterait que cette forme d’injustice a toujours existé, soit ignore l’histoire de l’espèce humaine, soit veut défendre son intérêt d’exploiteur.

Ajoutons que la solidarité, sur la base économique décrite ci-dessus, doit être la plus large possible. Cela signifie que le peuple doit savoir comment non pas exclure ou dénigrer des personnalités, ou des associations telles les partis politiques, et, surtout, les organisations syndicales, mais les unir au mouvement populaire, lequel doit maintenir son contrôle sur l’ensemble.

Par conséquent, les trois oui ne peuvent se concrétiser sans les trois non. Autrement, l’histoire l’enseigne chaque fois, les mots égalité, liberté et solidarité sont, dans le meilleur cas, des termes réduits à du verbiage sans consistance, et, dans le pire des cas, une manipulation du peuple par des castes dominantes ou aspirant à la domination.

Les deux conditions.

Le lecteur cité au début de ce texte demande des clarifications concernant des « propositions à mettre à table face à ce régime ».

Une première réponse est celle-ci : aux intéressé-e-s à déterminer ces propositions, sur la base des non et des oui évoqués auparavant. La précédente contribution (1) a déjà fourni des éléments de réponse. Approfondissons.

En toute logique, il appartient aux citoyens et citoyennes qui ont le plus intérêt à la concrétisation des trois oui de trouver les moyens pour les concrétiser. Ces moyens se résument à une organisation adéquate, dotée d’une autorité correspondante. Ces deux moyens peuvent prendre des formes diverses, selon le pays, ses traditions et le contexte socio-historique ; cependant, ces formes doivent impérativement veiller à respecter les trois oui : égalité, liberté, solidarité.

À ce propos, le peuple algérien dispose d’une expérience qui lui est propre. Malheureusement, elle fut tellement calomniée qu’elle a été totalement oubliée, quand pas, encore, victime des mêmes calomnies jusqu’à aujourd’hui : il s’agit de l’autogestion agricole et industrielle qui avait surgi juste après l’indépendance nationale. Cette autogestion prouva que les travailleurs furent capables de produire de manière satisfaisante en l’absence de propriétaire privé, de cadres technico-administratifs et d’État. Et que cette expérience ne fut éliminée que par l’intervention bureaucratico-répressive de cet État, une fois constitué, c’est-à-dire occupé par une caste de personnes qui eurent l’imposture de prétendre revendiquer l’autogestion, alors qu’en réalité, selon la formule connue, ils ont embrassé pour mieux étouffer.

Toutefois, tout peuple dispose également d’expériences réalisées par d’autres peuples, en premier lieu la Commune de Paris de 1871, les soviets libres russes et les collectivités populaires espagnoles durant la guerre civile de 1936-1939.

Notons un fait essentiel. Auparavant, en Algérie, les autorités étatiques ont tout fait pour interdire la formation d’associations citoyennes réellement libres, leurs réunions, leurs fédérations (notamment les syndicats autonomes), donc l’expression pacifique de leurs revendications. Le mouvement populaire actuellement en cours a l’immense avantage de permettre aux citoyens et citoyennes de concrétiser ce qui leur était auparavant interdit. En effet, il est quasi certain que la force actuelle du mouvement populaire est tellement puissante qu’elle dissuadera les autorités étatiques de poursuivre leur interdiction, par crainte de donner au mouvement populaire un motif pour se manifester d’une manière encore plus déterminante. Il faut donc profiter de l’occasion qui se présente.

Un fait essentiel, principal, fondamental est d’une importance vitale pour un mouvement populaire : c’est la prise de conscience que, quelque soit l’époque et le pays, aucune oligarchie dominante ne renonce à sa domination. Si elle s’y voit obligée, elle préfère entraîner le peuple dans la tragédie. Auparavant, bien entendu, elle s’efforce à trouver toutes les ruses possibles afin de se maintenir, en présentant des propositions apparemment alléchantes pour le peuple, des compromis, quitte à les renier une fois que l’oligarchie recouvre sa puissance dominatrice. Voilà pourquoi le peuple, s’il veut réellement se garantir des chances de victoire, doit veiller à compter d’abord et avant tout sur ses propres forces créatrices, tout en considérant et en accueillant toute forme de solidarité dans la stricte mesure où elle répond réellement à ses intérêts de peuple.

Ce processus peut exister à ,une seule condition. Que les citoyens et citoyennes de toute unité sociale de base prennent en charge leur vie, et trouvent le moyen de l’auto-gérer, selon les trois non et les trois oui ; alors ces derniers ont la possibilité de se concrétiser. Ces unités de base sont les lieux de résidence (de l’immeuble au quartier à l’ensemble des quartiers), de travail (de l’atelier à l’usine à l’ensemble d’usines, de la ferme à l’ensemble de fermes), d’études (des classes de l’école primaire à celles des collèges et lycées, aux facultés des universités), de loisirs, etc.

Ces diverses unités sociales de base délèguent des mandataires aux unités sociales de niveau moyen jusqu’au niveau général, celui de la nation. Ainsi, l’organisation et l’autorité partent de la base la plus petite pour se retrouver dans la forme nationale. De celle-ci se dégagera la forme de gestion de la nation, selon la volonté exprimée par le peuple.

Ce genre de proposition peut sembler totalement farfelu, mais seulement à la personne qui, de bonne foi, ignore l’histoire sociale des peuples, ou à la personne qui, de mauvaise foi, voit ses intérêts de caste menacés par ce genre d’organisation sociale, où l’autorité émane du peuple et réalise ses réels intérêts, selon la formule « par le peuple et pour le peuple ».

Avec une telle forme d’organisation et d’autorité, nulle crainte de voir le mouvement d’émancipation populaire récupéré par quiconque, intérieur (clérical ou laïc) ou étranger.

On pourrait poser la question : un système où l’exploitation économique serait exclue est-il vraiment possible ?… Oui, puisqu’il a existé dans quelques pays à des dates déterminées : Commune de Paris de 1871, soviets russes libres, collectivités espagnoles durant la guerre civile, autogestion algérienne. Il s’agit d’un idéal humain, et comme tous les idéaux humains, il nécessite un certain temps pour être compris puis réalisé, temps qui dépend des expériences des exploités, et de leurs capacités à prendre conscience que oui, ils peuvent s’affranchir de cette exploitation. Combien de temps a-t-il fallu aux esclaves pour conquérir la liberté, à la bourgeoisie pour s’affirmer en éliminant le féodalisme ?… Eh bien, le système auto-gestionnaire mettra, lui aussi, son temps pour se concrétiser. L’essentiel est d’y contribuer, même si on ne le verra pas durant sa propre vie ; ainsi ont agi celles et ceux qui ont contribué à l’élimination successivement de l’esclavagisme et du féodalisme.

Une chose est à comprendre et avoir clairement en conscience : la pratique autogestionnaire a une particularité absolument unique et merveilleuse. Elle ne consiste pas en un but auquel parvenir dans le futur, mais c’est une pratique qui est elle-même le but. Le moyen est la fin. En effet, apprendre à auto-gérer son propre immeuble, sa propre usine ou ferme, sa propre salle de classe, sa propre association, c’est apprendre à gérer, en définitif, l’État, lequel, pour être réellement représentatif du peuple, ne devrait être rien d’autre que l’émanation de toutes les unités sociales, et cela non pas de manière verticale, hiérarchique et autoritaire, mais horizontale, consensuelle, où l’expression et l’exercice de l’autorité soient uniquement l’émanation des volontés formulées, en partant de l’unité sociale la plus petite jusqu’à arriver à celle la plus générale, nationale. La formule donc est le fédéralisme solidaire.

À propos du surgissement d’un mouvement populaire, parler de « miracle » est un mot qui ne veut rien dire. Cela suppose au mieux qu’on ne comprend pas la dynamique sociale des peuples, au pire, de ne pas y croire. Ce qui est le fait, dans le premier cas, des ignorants de la dynamique sociale, et, dans le second, de ceux qui méprisent le peuple, même s’ils se déclarent « démocrates » et « progressistes ». On reconnaît ces derniers à leurs déclarations, telles s’être « trompé » de peuple, vouloir « changer » de peuple, ou considérer le peuple comme uniquement un troupeau ou des « tubes digestifs ».

Autre observation. Toutes celles et ceux qui se déclarent opposés aux pouvoir et système actuels ne sont pas nécessairement des partisans du peuple. Celui-ci doit savoir distinguer entre les personnes qui défendent réellement ses intérêts et celles qui, de manière ouverte ou déguisée, ne visent qu’à la satisfaction de leurs intérêts de caste privilégiée, voulant remplacer la caste actuellement dominante.

Il reste cependant à convaincre les victimes du système social, basé sur les trois non évoqués ci-dessus, de la validité des trois oui mentionnés. À celles et ceux qui, selon leur possibilité, sont en mesure d’entreprendre cette salubre œuvre d’explication d’agir. Elle n’est pas facile, mais elle est décisive, si l’on veut réellement que le mouvement populaire obtienne ce qu’il revendique légitimement. Les manifestations populaires, pour avoir un sens et une validité, ne devraient être que la partie la plus visible de l’iceberg qui en est le socle : une organisation et un exercice de l’autorité émanant du peuple en faveur du peuple, à travers ses mandataires dûment élus par lui selon un mandat impératif, ayant inscrit au fronton de son mouvement : égalité, liberté, solidarité. Enfin, selon la fameuse expression d’un passé récent : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat » émancipateur !

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(1) http://www.lematindalgerie.com/algerie-perspectives-du-mouvement-populaire

Publié sur Algérie Patriotique et sur Le Matin d'Algérie, le 13 mars 2019.
 

 

 

 

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 12 Mars 2019

Manifestations populaires, Algérie, février 2019.

Manifestations populaires, Algérie, février 2019.

Dans la légitime euphorie et le bel enthousiasme qui caractérisent un mouvement populaire, quelque soit le pays et l’époque, il est de la plus haute importance de ne pas perdre de vue et de rappeler ce que les espérances de l’action contiennent de positif mais, également, de négatif. Souvenons-nous de ce qu’avait écrit un militant totalement dédié au mouvement populaire, durant la Commune de Paris de 1871. Je cite de mémoire : celui qui présente au peuple des promesses illusoires est aussi criminel que le géographe qui dresse des cartes erronées aux navigateurs.

Pour s’en tenir mouvement populaire qui a surgi en Algérie (comme d’ailleurs pour d’autres, par exemple le mouvement français des « Gilets jaunes »), on constate des critiques très pertinentes du système, mais elles ne vont pas jusqu’à des propositions claires, concrètes, praticables.

On lit également des revendications concernant des solutions, mais elles sont tellement générales qu’elles manquent de prospective pratique. Par exemple, réclamer la démocratie, la liberté, l’égalité, une Assemblée constituante, etc., soit ! Mais comment, concrètement, les réaliser ? À ce sujet, on parle de réunion des partis politiques dits d’opposition pour parvenir à un front commun consensuel. Mais la représentativité populaire de ces partis est trop inconsistante pour la tenir en considération. Le candidat Ali Ghediri propose une « rupture », sans préciser son contenu concret de manière suffisante ; il déclare s’appuyer sur le peuple, sans indiquer de quelle manière concrète. Ce qui en fait plutôt la figure de l’habituel « Sauveur ». L’histoire montre où ce genre de processus mène.

On avance, aussi, le recours à des élections réellement transparentes et démocratiques. Mais suffisent-elles ?… En effet, pour que ces élections satisfassent réellement les intérêts du peuple, il est nécessaire que les électeurs sachent avec suffisamment de précision quels sont les enjeux et les solutions réels. Ce qui implique des informations et des débats les plus larges, clairs, démocratiques dans tout le territoire national. Donc du temps. Qui en est capable ?

Les propositions les plus concrètes furent formulées par le général à la retraite Hocine Benhadid (1)

À ma connaissance, une seule voix, celle du P.S.T. (Parti Socialiste des Travailleurs) s’est élevée pour proposer clairement, en employant l’expression exacte « auto-organisation du peuple », ce qui me paraît la solution la plus en mesure de garantir la concrétisation des revendications légitimes de ce peuple. Cependant, la déclaration du P.S.T. n’indique pas, au-delà du juste principe proclamé, la méthode concrète pour réaliser cette auto-organisation du peuple. Pour ma part, je m’étais efforcé à fournir quelques propositions concrètes (2). Il me semble utile d’ajouter d’autres réflexions.

Forces.

Elles se manifeste par une expression libre, spontanée et auto-organisée. Nul besoin de chef charismatique, de leader politique « génial », d’intellectuel « savant », de « révolutionnaire professionnel ».

Un autre aspect de la force du mouvement populaire s’exprime par son aspect égalitaire et solidaire. Les citoyens et citoyennes en action proviennent de toutes les classes ou catégories sociales souffrant d’exploitation économique, assurée par la domination politique. Ainsi, on y trouve le chômeur, le travailleur manuel, le petit employé, l’étudiant, l’enseignant, jusqu’à une partie de la moyenne bourgeoisie, vieux et jeunes, hommes et femmes.

Enfin, la force du mouvement populaire est dans sa consistance. Elle est telle qu’elle fait trembler l’oligarchie qui domine ce peuple, au point que cette dernière menace d’employer l’ultime recours : la répression, pouvant aller jusqu’à son expression extrême. L’humanité ne présente aucun cas d’oligarchie qui, devant un mouvement populaire puissant et résolu, a consenti à renoncer à sa domination. L’oligarchie a toujours préféré entraîner le pays dans l’apocalypse, plutôt que d’accepter de se voir éliminée par un mouvement populaire. Qu’on le déplore ou pas, ainsi est malheureusement l’histoire humaine.

Faiblesses.

Mais tout mouvement populaire présente des carences.

En premier lieu, la récupération (détournement) du mouvement populaire au profit d’une caste (ou oligarchie) nouvelle, quelle soit ou non liée à des intérêts étrangers impérialistes. Bien entendu, les membres de cette dernière sont les plus virulents critiques de l’oligarchie régnante, d’une part, et, d’autre part, promettent monts et merveilles au peuple, en lui garantissant de faire son bonheur, parce que ces « sauveurs » possèdent la connaissance et l’expérience pour réaliser ce bonheur du peuple.

Ajoutons à ce phénomène un autre fait. Le peuple, pour être dominé, est toujours soumis à un conditionnement continuel et systématique. Il consiste à lui faire croire, de la part de l’oligarchie qui le domine (ou qui vise à la remplacer), qu’il est totalement incapable d’auto-gérer ses propres affaires, sans préciser que tout est conçu par l’oligarchie dominante (ou celle qui vise à la remplacer) pour le mettre et le maintenir dans une ignorance telle qu’effectivement, ce peuple, dans sa grande majorité, finit par être convaincu qu’il a absolument besoin de « bergers », de « guides », de « maîtres », d’ « experts » pour lui montrer comment réaliser son propre bonheur. Évidemment, le peuple est dépourvu de diplômes universitaires et de savoir social spécialisé. Cependant, les uns oublient, par bonne foi, d’autres occultent, par calcul, ce fait : un exploité est le mieux placé pour savoir ce qui lui est contraire et ce qui lui est favorable. Par conséquent, tout « expert » qui, prétendant « connaître », n’accorde pas la parole à un exploité parce qu’il se croit mieux capable de savoir quel est l’intérêt d’un exploité, cet expert est un manipulateur, quelque soit sa supposée bonne intention. L’exemple le plus funeste et le plus calamiteux fut et reste le marxiste. Dans les efforts modernes d’émancipation sociale, l’idéologie de Marx fut, selon l’expression de Proudhon, « le ténia du socialisme ». La pratique historique lui a malheureusement donné raison. Comme toujours, et selon le proverbe populaire, il s’agit de se prémunir de ses « amis » ; ils sont plus difficiles à discerner et à combattre que les ennemis.

On pourrait objecter : mais comment expliquer l’ascendant que le marxisme eut et continue (un peu moins) à avoir sur les mouvements d’émancipation sociale ?… Mon hypothèse est la suivante : c’est parce que la mentalité autoritaire demeure encore prépondérante au sein des peuples. J’y reviendrai dans une autre contribution.

Dans ce cas, l’histoire humaine l’a montré à qui est capable de la voir sans lunettes idéologiques préconçues : le mouvement populaire ne sera qu’un moyen (levier, occasion) opportuniste pour une oligarchie nouvelle de remplacer la précédente. Bien entendu, quelques améliorations concrètes dans la vie sociale du peuple pourraient se voir réalisées, mais la base même du système social demeure intacte : l’existence d’un peuple géré par une oligarchie qui en tire ses privilèges, et cela par la perpétuation d’un système social constitué de détenteurs (privés ou étatiques) de moyens de production, d’une part, et, d’autre part, de citoyens réduits à vendre leur force (physique ou intellectuelle) de travail aux conditions fixées par l’oligarchie dominante nouvelle.

Autre carence du mouvement populaire : le risque d’être étouffé par une répression institutionnelle adéquate.

Organisation et autorité.

Les militants les plus riches d’expérience pratique et de conscience théoriques sont unanimes, partout dans le monde, à faire une constatation : tous les mouvements populaires surgis dans l’histoire humaine ont échoué à cause de carences internes au mouvement, à savoir une organisation inadéquate et une autorité insuffisante.

En effet, les mouvements populaires nés de manière spontanée, parce que soucieux d’égalité, de liberté et de solidarité, ont tendance à répugner à l’existence, en leur sein, d’une forme d’organisation et d’un exercice d’autorité. Les citoyens et citoyennes craignent, et parfois constatent, que cette organisation devienne rapidement autoritaire, créant une forme inédite de domination entre une caste de chefs décidant et dictant ce qu’il faut faire à une majorité réduite à exécuter. Ce phénomène est une tendance observable partout.

Cependant, sans organisation adéquate, aucun mouvement populaire ne peut concrétiser ses buts. Et sans disposer d’une autorité pour concrétiser ses revendications, aucun mouvement populaire ne peut réussir.

Tout mouvement populaire exige donc une organisation et une forme d’autorité qui correspondent à ses caractéristiques : autonomie, égalité, liberté, solidarité. À ce sujet, les expériences historiques montrent les difficultés et l’extrême complexité. Le problème est celui-ci : il s’agit d’affronter positivement l’adversaire, lequel dispose d’une organisation et d’une autorité hiérarchiques qui ont leur efficacité, en matière de domination sociale. Il s’agit donc pour le mouvement populaire d’opposer à ces organisation et autorité, hiérarchiques parce que dominatrices, des formes d’organisation et d’autorité conformes aux aspirations populaires, à savoir égalitaires, libres et solidaires. En l’absence de cela, l’histoire enseigne : tout mouvement populaire échoue et finit par être récupéré par une oligarchie nouvelle, peut-être moins dominatrice mais, cependant, toujours exploiteuse. Ce fut le cas de l’oligarchie féodale qui a remplacé celle esclavagiste, de l’oligarchie capitaliste qui a remplacé celle féodale, de l’oligarchie étatiste « socialiste » (ou « communiste ») qui a remplace celle capitaliste privée.

Depuis l’apparition du marxisme, le problème le plus grave semble résider dans un fait. Les marxistes, qui se déclarent les plus sensibles et conscients des revendications populaires, ont le fatal défaut de toutes les castes autoritaires : au nom de leur savoir, prétendre assurer le bonheur du peuple sans sa participation directe, en se limitant à lui demander d’approuver leurs décisions puis de les exécuter. Là encore, l’histoire sociale a montré que le peuple ne fait que changer de caste dominatrice.

Évitons un malentendu. Pour le mouvement populaire, il ne s’agit pas de rejeter par principe toute aide, toute proposition, toute contribution venant de personnes se présentant comme au service des intérêts du peuple, encore moins de les ignorer ou les dénigrer. Le peuple a besoin de toutes les solidarités et de toutes les connaissances possibles. L’unique risque à éviter comme la peste c’est, pour le peuple, de perdre le contrôle absolu et total de son mouvement, en le délégant à des représentants qui ne font pas partie de lui (parce que pas exploités économiquement), et qui, donc, risquent de récupérer le mouvement en leur faveur et au détriment du peuple. L’exemple le plus funeste fut celui-ci : suite au mouvement populaire en Russie, lequel surprit le parti bolchevique, y compris son chef Lénine, ce dernier s’empressa de proclamer « Tout le pouvoir aux soviets ». Puis la réalité montra qu’en fait Lénine et son parti n’ont pas fait autre chose que chevaucher le mouvement pour parvenir à en prendre les commandes. Une fois Lénine et son parti parvenus à se stade, les soviets furent transformés, par la répression militaire, en simples annexes de l’oligarchie nouvelle au pouvoir. L’appellation du pays comme « soviétique » fut une totale imposture, la première de la série, jusqu’à arriver à la République algérienne « démocratique et populaire », qui, depuis sa création, n’a rien de démocratique ni de populaire.

C’est dire, en conclusion, qu’en présence d’un mouvement populaire, l’euphorie n’est pas de mise à moins d’être conscient des enjeux, des espoirs et des risques en présence. Par conséquent, après avoir chanter victoire, parce que le peuple a osé manifester publiquement et en bon ordre, il reste à contribuer à la réalisation concrète de ses revendications légitimes. Ce but exige organisation et autorité efficaces, capables de garantir au mouvement populaire ses aspects autonome, libre, égalitaire et solidaire. Très difficile action, mais la seule à fournir des garanties sérieuses de possible victoire du mouvement populaire.

Le mérite de surgissement d’un puissant mouvement populaire, c’est de faciliter la prise de conscience et l’exercice pratique de l’auto-organisation citoyenne libre, égalitaire et solidaire. C’est à cette action que le peuple et ses vrais partisans devraient s’atteler le plus rapidement et le plus largement possible. C’est l’unique garantie pour éviter au mouvement populaire d’être récupéré par une quelconque caste, pour lui permettre de se maintenir, de se consolider, de s’élargir, de parvenir réellement à la concrétisation de ses légitimes objectifs pour, enfin, créer une société humaine sans exploitation économique, donc sans domination politique, ni conditionnement idéologique.

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(1) https://www.elwatan.com/edition/actualite/hocine-benhadid-general-a-la-retraite-les-algeriens-ne-doivent-pas-croire-aux-affabulations-de-gaid-salah-08-03-2019

(2) https://www.algeriepatriotique.com/2019/02/27/du-cri-a-lorganisation/#comments

 

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 9 mars 2019, et sur  Algérie Patriotique, le 10 mars 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 12 Mars 2019

Changer, mais quoi ?

Depuis que l’être humain est capable de réfléchir, il a compris l’importance primordiale de définir les mots, afin d’élucider correctement la réalité. La langue française offre ce significatif rapprochement : les mots des maux. En effet, les maux nécessitent les mots exacts qui les désignent. Autrement, on est dans la confusion, laquelle profite uniquement aux dominateurs de toutes sortes, et jamais aux personnes qui veulent vivre de manière libre et solidaire.

Le mot « rupture » est invoqué par les uns et les autres, en ce qui concerne le futur prochain d’un pays, en l’occurrence l’Algérie. En lisant ce qui est mis dans ce mot, on constate que les contenus sont différents. Il est donc nécessaire de contribuer à la clarification qui s’impose.

Par rapport au système esclavagiste, le féodalisme fut une rupture, par rapport auquel le capitalisme fut la rupture, par rapport auquel un capitalisme étatique (présenté comme « socialisme » et même « scientifique ») fut encore une rupture. Mais, dans ces trois cas, la rupture fondamentale ne fut pas réalisée : l’exploitation économique et ses deux conditions, la domination politique et le conditionnement idéologique. Le féodalisme, le capitalisme privé puis le capitalisme étatique se sont contentés simplement de modifier la forme de cette exploitation économique. Pour le peuple travailleur, ce qui changea, c’est uniquement ceci : de l’exploiteur esclavagiste, il passa à l’exploiteur capitaliste privé, puis à l’exploiteur capitaliste étatique.

La seule fois où la rupture élimina l’exploitation économique quelque soit sa forme, ce fut quand le peuple travailleur (ouvriers, paysans, petits employés, membres de la petite-bourgeoisie, etc.) prit en main lui-même la gestion de la société, avec l’aide de personnalités éclairées, honnêtes, sensibles aux souffrances du peuple. Ces personnalités se distinguaient par une particularité fondamentale : se solidariser avec le peuple travailleur, en mettant à sa disposition leurs connaissances, mais sans jamais l’administrer, le diriger, s’ériger en chefs, lui imposer leurs vues prétendument « scientifiques ». Cela se réalisa principalement lors de la Commune de Paris de 1871 (1), des soviets libres de Kronstadt et d’Ukraine (2), des collectivités espagnoles( (3), de l’autogestion agricole et industrielle en Algérie. Dans ces cas précis, il s’est agi d’une rupture dans son sens le plus réelle, le plus authentique, bref dans son sens radical, à savoir éliminer la racine du mal social : l’exploitation économique.

Aussi, quand on entend ou on lit le terme « rupture », il est indispensable de savoir de quel genre de rupture il s’agit. Ajoutons aux formes de rupture relatives sus-mentionnées, qui sont les principales, ces formes de rupture tout-à-fait secondaires, par exemple la venue au pouvoir d’un Obama où d’un Mitterand, d’un Trump ou d’un Macron. Chacun d’eux prétend opérer une « rupture » par rapport à ses prédécesseurs. Dans tous ces cas, le peuple travailleur ne fait que changer de dominateurs, avec, éventuellement, quelques quasi insignifiants changements dans les conditions de sa vie réelle, celle d’exploité économique.

Ajoutons cette autre précision. Le mot « rupture » ne s’entend pas de la même manière par un chômeur, un travailleur manuel dans l’agriculture ou dans l’industrie, un petit employé administratif, un professeur d’université, un petit patron d’une entreprise d’une dizaine de salariés, un patron d’une multi-nationale, un civil, un militaire, un laïc, un religieux, une homme, une femme, un jeune, un adulte ou un vieux, etc. Pourquoi ?… Parce que chacun souffre ou profite de l’exploitation économique à un degré divers, ce qui lui donne une conscience correspondante à sa condition matérielle d’existence.

Mais, dirait-on, où serait alors le dénominateur social commun ?… La nation ou la patrie ?… Est-ce possible, tant qu’y existe des exploiteurs et des exploités ?… La nation ou la patrie, que signifient-elles pour les exploiteurs sinon le droit d’exploiter la majorité des composantes de cette nation ou patrie ? Au contraire, pour les exploités, nation et patrie signifient-elles autre chose que le droit de vivre dans un territoire d’où est exclu toute forme d’exploitation ?… Dès lors, il faut veiller à savoir le contenu mis dans ces mots « nation » et « patrie ».

Par conséquent, vouloir une « rupture » avec un système, soit ! Encore faut-il préciser par quel autre système il faut le remplacer. Ajoutons encore d’autres exemples. Les fascismes italien et japonais, le nazisme allemand, la « révolution » bolchevique, le putsch militaire de l’été 1962 en Algérie, les « révolutions » colorées ont tous été des ruptures, mais de quoi ont-elles accouché ?

Considérons un autre thème. Certains parlent d’éliminer la corruption. Soit !… Mais la réalité montre qu’elle existe toujours, à un degré plus ou moins grave, plus ou moins visible, dans tous les systèmes sociaux où demeure… l’exploitation économique de l’être humain par son semblable. Certains cite l’exemplarité de la Norvège comme le pays qui se distingue en premier comme non gangrené par la corruption. D’accord ! Mais ce pays ne fait-il pas partie du pacte impérialiste de l’OTAN ?… Quant aux multinationales des pays soit disant « démocratiques », seuls les non informés et les mal informés ignorent leur degré de corruption en matière fiscale. Ne parlons pas des « paradis fiscaux » gérés par les diverses oligarchies, en premier lieu l’anglaise. Toute oligarchie ne peut exister que par la corruption, laquelle fait partie de sa nature. Et cela parce que toute oligarchie vise et se nourrit par l’exploitation économique, laquelle est la forme la plus vile, la plus monstrueuse et la plus systématique de corruption sociale.

Ce qui est curieux à constater, c’est que la majorité des personnes qui parlent de « rupture » n’invoquent jamais cet aspect, qui forme pourtant la base de tout système social : l’exploitation économique de propriétaires (privés ou étatiques) du peuple travailleur.

En fait, est-ce vraiment curieux que cet aspect social fondamental ne soit jamais évoqué ?… N’est-ce pas parce que toutes les « ruptures » évoquées ne le sont pas par des travailleurs, - qui sont victimes précisément de l’exploitation économique -, mais par d’autres agents sociaux qui, eux, profitent de l’existence de ce fléau ?

Il y eut même plus grave : des leaders, à commencer par Lénine, ont déclaré vouloir l’élimination de l’exploitation de l’être humain par son semblable. Cependant, en réalité, une fois conquis le pouvoir, ils n’ont accouché que d’une autre forme d’exploitation, de privée devenue étatique, à commencer par la N.E.P. de Lénine lui-même ? Le vague de l’expression « Nouvelle Économie Politique » cachait sa nature réelle : capitalisme étatique.

Est-ce un hasard que les seules et rares fois où le mot rupture contient explicitement l’élimination de l’exploitation économique, ce sont des travailleurs eux-mêmes qui en parlent, de la Commune de Paris de 1871 à l’autogestion algérienne de 1962 ?

Dès lors, il ne faut pas s’étonner de cette constatation : le mot « rupture » est entendu différemment selon que l’on est victime d’une exploitation économique, et selon le degré de gravité de celle-ci, ou selon que l’on veut simplement changer une forme d’exploitation économique par une autre. Un exemple. Chasser le patron Ali Haddad, partie intégrante du système actuel, pour le remplacer par Issad Rebrab, qui n’en fait pas partie, est-ce la solution pour le peuple travailleur d’Algérie ?… Où donc Issad Rebrab a trouvé le capital financier qui lui a permis de devenir ce qu’il est ? Et n’a-t-il pas licencié des travailleurs parce que, semblables à des machines inutiles, ils ne lui servaient plus pour garantir son profit de propriétaire ?

Voici ce que montre l’histoire de l’espèce humaine toute entière, quelques soient la pays et l’époque. La rupture la plus authentique est celle qui met fin au mal des maux sociaux : l’exploitation économique de l’être humain par son semblable, quelque soit la forme qu’elle présente ; cette rupture ne peut être opérée que par les victimes de ce fléau social, quand elles en prennent conscience et savent comment la concrétiser.

Terminons par une observation empirique générale. Toute réelle rupture sociale apparaît uniquement en présence de deux conditions : quand, d’une part, ceux d’en « bas » ne supportent plus les souffrances dont ils sont victimes, et, d’autre part, ceux d’en « haut » ne parviennent plus à les dominer. Cependant, restent d’autres considérations dont il faut tenir compte : ceux d’en « haut » ont une longue expérience de dominateurs, tandis que ceux d’en « bas » ont une longue expérience de dominés ; à ces derniers reste à posséder la science de leur libération par eux-mêmes, s’ils ne veulent pas servir uniquement comme instrument d’une domination de forme inédite. Tout est là ! À ce sujet, les trois ouvrages indiqués dans ce texte en référence sont à lire et méditer.

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(1) Voir Lissagaray, “Histoire de la Commune de 1871”, disponible ici : https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_de_la_Commune_de_1871_(Lissagaray)

(2) Voir Voline, “La révolution inconnue”, disponible ici : http://kropot.free.fr/Voline-revinco.htm

(3) Voir “Espagne libertaire 1936-1939” http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fwww.somnisllibertaris.com%2Flibro%2Fespagnelibertaire%2Findex05.htm

 

Publié sur Algérie Patriotique, le 7 mars 2019.

 

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 6 Mars 2019

Éclaircissements de campagne électorale

En qualité de citoyen, voici ce que je demande aux candidats à une quelconque fonction collective, en premier lieu à celle de Président de la nation, et cela quelque soit le pays.

Commençons par des considérations générales.

Démocratie.

S’il s’agit, comme le mot l’indique, de pouvoir du peuple, alors comment le réaliser ?… En permettant un vote libre durant des élections libres, répond-on... Alors, comment un citoyen ou une citoyenne peuvent exercer un choix libre, tant qu’ils ne possèdent pas la conscience réelle de leurs intérêts matériels et culturels ? Comment peuvent-ils acquérir cette conscience réelle s’ils ne disposent pas des informations véritables sur la situation de la nation, sur les divers agents sociaux qui y existent, les intérêts des uns et des autres, enfin les luttes qu’ils se livrent pour l’hégémonie ?… Dès lors, comment parvenir à la réalisation effective de cette démocratie ?

Égalité.

Comment peut-elle exister tant que les uns disposent de l’argent pour s’instruire au point de connaître leurs intérêts matériels et culturels réels, et la manière de les défendre, tandis que la majorité des autres sont démunis de cet argent, ce qui les obligent à consacrer leur temps à vendre leur force de travail manuelle ou intellectuelle pour parvenir à peine à subvenir à leurs nécessités de survie matérielle ?… Dès lors, comment parvenir à la réalisation effective de cette égalité ?

Questions subsidiaires au thème de l’égalité : comment la réaliser dans les domaines religieux et ethnique ?… Concrètement, comment réaliser l’égalité entre croyants à une religion et croyants à une autre ou simplement croyants à une spiritualité non religieuse ? Et comment réaliser l’égalité entre citoyens d’origines ethniques différentes, dans tous les domaines de la vie sociale : matérielle et culturelle ? Enfin, comment réaliser la réelle égalité entre hommes et femmes ?

Liberté.

Comment peut-elle exister tant que les uns disposent de l’argent pour la pratiquer (généralement par la corruption), tandis que la majorité des autres non seulement sont démunis de cet argent, mais sont réduits à une situation précaire de survie matérielle et de conditionnement culturel servile ?

Solidarité.

Comment peut-elle exister tant que les uns disposent d’un capital financier (en règle générale mal acquis, par le vol chez le privé, par l’accaparement autoritaire chez l’État) pour s’ériger en acheteur de force de travail manuelle ou intellectuelle, tandis que la majorité des autres est réduite à vendre uniquement ce qu’ils possèdent : leur force de travail manuelle ou intellectuelle, et cela à un prix au-dessous de sa valeur, afin de permettre à l’acheteur de ce travail (oligarchie privée ou étatique) d’en tirer un profit, lequel perpétue son enrichissement au détriment de ses salariés ?

Questions subsidiaires.

Comment un développement économique serait solidaire tant que persisterait la division sociale entre les détenteurs de capital (privés et/ou étatiques), d’une part, et, d’autre part, les détenteurs de leur seule force de travail manuelle ou intellectuelle, ce qui produit le profit des premiers et la simple survie matérielle des seconds ?

Dans ce cas, comment assurer une réelle paix sociale à l’intérieur de la nation ? Et, encore, comment réaliser une réelle paix entre les nations, tant qu’elles sont dominées par des oligarchies, lesquelles, par leur nature sociale, veulent s’enrichir davantage au détriment des autres oligarchies nationales ? (1)

Non candidats.

Considérons les personnes qui croient à l’inutilité de la participation aux élections. Certes, il y a des motifs d’estimer qu’un certain type d’élection est totalement manipulé, avec les résultats programmés à l’avance par les gérants de cette élection, et que, en outre, les autorités en place mettront tout en œuvre pour limiter quand pas empêcher de faire campagne les adversaires du candidat qui est, déjà, en fonction.

Toutefois, même dans ce cas, accepter de participer, n’est-ce pas une occasion pour faire connaître au peuple ses propres idées, y compris celle d’affirmer que cette élection est une manipulation au résultat connu d’avance ?… Peu ne vaut-il pas mieux que rien ? N’est-ce pas là, alors, un compromis et non pas une compromission ?… Pour la personne qui l’ignore, le compromis consiste à faire semblant d’accepter le jeu de l’adversaire, mais pour en tirer un bénéfice personnel, sans jamais permettre que ce bénéfice profite à l’adversaire, d’une manière ou d’une autre. Au contraire, la compromission consiste à jouer le jeu mais en se laissant berner par l’adversaire, qui rafle la mise.

À présent, venons au cas algérien actuel.

Élections.

Concernant compromis et compromission, l’exemple le plus lamentable de compromission fut celui du soit disant « soutien critique » du PAGS, d’où l’ex-président Boumediène et ses partisans furent les seuls à en tirer tout le bénéfice. Qu’il me soit permis de préciser que cette affirmation est la mienne non pas uniquement aujourd’hui, mais, déjà, en 1972 (2). Dès lors, concernant la participation aux prochaines élections présidentielles, la question à poser, aussi bien aux candidats qu’aux non candidats, est la suivante : dans quelle mesure votre participation ou votre refus de participation est un compromis et non une compromission ?… En effet, participer ou refuser de participer peut être, l’un et l’autre, en réalité, soit un compromis soit une compromission.

Continuité.

Aux candidats ou non candidats qui évoquent cet argument, de quel genre de continuité s’agit-il ?… Celle qui continue la régression qui commença avec l’assassinat de Abane Ramdane et le rejet de la Plate-forme de la Soummam, ou s’agit-il de la continuité à reprendre, à partir de la reconnaissance de la légitimité de cette même Plate-forme ?… En effet, si l’on se hausse de la lettre du texte de celle-ci à son esprit, que déclarait ce document historique, sinon ceci : 1) l’égalité entre tous les citoyens, femmes et hommes, ce qui élimine l’exploitation économique des uns par les autres ; 2) la liberté d’exprimer ses opinions, de s’associer en vue du bien collectif, ce qui exclut la domination politique des uns (les puissants et les riches, privés ou étatiques) sur les autres ; 3) la solidarité, laquelle est une conséquence logique de l’égalité et de la liberté ci-dessus évoquées.

Allons plus loin. Considérons la déclaration du 1er novembre 1954. Quel en est non pas la lettre mais l’esprit ?… N’est-ce pas la conquête de la dignité du peuple algérien ?… Peut-il y avoir dignité quand des gens de ce peuple sont contraints à vendre leur force de travail à un autre (personne privée ou État) qui en tire son profit uniquement parce qu’il est propriétaire des moyens de production, par ailleurs soit volés (par le privé) soit accaparé autoritairement (par l’État-patron) ?

Encore ceci. Si la guerre de libération nationale a été déclenchée et dirigée par des personnes qui n’étaient pas des travailleurs manuels, et non plus des capitalistes, qui en étaient le bras armé ? N’ont-ils pas été dans leur grande majorité des paysans sans terre, des travailleurs manuels, des chômeurs, sans oublier les femmes de même condition ? Ces gens se sont-ils battus et ont consenti tous les sacrifices pour se retrouver contraints d’être réduits à des salariés d’un patron (privé ou étatique), et pour les femmes à se soumettre à l’autorité féodale d’un homme, sous prétexte que ces dominés sont des « ignorants », incapables de s’auto-gérer ?

Question subsidiaire : ce qui est nommé « stabilité » renvoie au thème de la continuité. Quel genre de stabilité est envisagée ? Celle qui maintient stable la régression depuis l’assassinat d’Abane Ramdane et le rejet de la Plate-forme de la Soummam, ou la stabilité qui considère que ce document est celui qui permet d’envisager une réelle stabilité, bénéfique au peuple algérien ?

Pas de reniement.

En évoquant ce thème, la question est la suivante : n’est-il pas nécessaire d’expliciter ce qu’il s’agit concrètement de ne pas renier ?… En effet, par « pas de reniement », les uns auraient en tête cette Plate-forme de la Soummam, à considérer comme base fondamentale pour construire le présent et le futur, tandis que d’autres se sont emparés de la direction de la guerre de libération (notamment par l’assassinat d’Abane Ramdane et par l’étrange découverte de Larbi Ben Mhidi par l’armée française qui le tua), puis ont conquis l’État indépendant (par le massacre des moudjahidines de l’intérieur qui s’opposaient à leur putsch militaire) précisément par le rejet de ce document… N’est-il pas facile de se contenter de déclarer « ne pas renier » la guerre de libération nationale et le serment des moudjhahidines, sans préciser de quels moudjahidines on parle : ceux de l’intérieur qui se battaient et sont morts au combat contre l’armée coloniale, puis ont résisté au putsch militaire de l’armée des frontières, ou ceux qui, hors du territoire national, se préparaient à conquérir, – et ont conquis -, le pouvoir étatique par un putsch militaire, juste après la victoire ?

Rupture.

La réponse à la question sur l’expression « pas de reniement » permet, en conséquence, de formuler cette autre question : les candidats ou non candidats qui déclarent la nécessité d’une rupture, quel contenu concret y mettent-ils ?

S’il s’agit d’une rupture avec ce qui est appelé « le système », celui-ci se limite-t-il à la seule corruption, dans tous les domaines de la gestion sociale : économique, politique, culturelle ? Ne faut-il pas, également, considérer la gestion de la nation depuis le conflit qui opposa les partisans et les adversaires de la Plate-forme de la Soummam ?

À propos de continuité, de stabilité, de pas de reniement et de rupture, envisageons quelques cas comme exemples servant à l’éclaircissement des discours électoraux.

Entreprises nationales.

Tous s’accordent à déclarer que les entreprises publiques algériennes sont très mal gérées parce que déficientes sur le plan de la productivité économiques. Laissons de coté le fait que les dirigeants de ces entreprises, eux, gèrent très bien le salaire et les privilèges que leur accorde leur fonction. Concernant donc ces entreprises nationales, quelle serait la solution ?… 1) Les privatiser, donc favoriser le capitalisme privé, mais alors d’où provient l’argent des éventuels acheteurs ? 2) Se contenter simplement de changer de dirigeants, donc continuer dans une étatisation qui a démontré son incapacité gestionnaire, autre que de s’octroyer de juteux salaires ? 3) Pourquoi pas, alors, confier la gestion de l’entreprise à ses travailleurs eux-mêmes, sous forme d’autogestion, sachant que celle-ci, juste après l’indépendance, en absence de propriétaires et de cadres techniques, d’une part, et, d’autre part, d’un État national encore en gestation, que cette autogestion donc a donné des résultats économiques performants, contrairement aux calomnies d’ « anarchie » et d’ « improductivité » proférées par ses adversaires ? (4)… Dans ces trois cas de figure, où sont la continuité, le non reniement et la rupture ?

Instruction.

Que chaque candidat se prononce clairement sur ce qui détermine tout développement social réel, à savoir le secteur éducatif, lequel contient le capital le plus précieux (5) : est-ce un secteur éducatif dominé par l’obscurantisme, quelque soit sa nature ? Par une médiocrité volontaire de gestion pour favoriser la privatisation capitaliste, autrement dit l’aggravation des injustices sociale ? Ou, enfin, par une gestion qui serve réellement l’égalité, la liberté et la solidarité collectives, en permettant aux travailleurs du secteur éducatif et à ses bénéficiaires, les étudiants, d’autogérer leur travail ?

Question subsidiaire. Comment une nation peut-elle se construire si au peuple qui la compose l’emploi de sa langue maternelle est limitée, pour une partie de ce peuple (tamazight), et, pour l’autre partie, est totalement ignorée et occultée : l’arabe algérien (6) ? Est-ce que cette majorité du peuple comprend l’arabe classique (ou subsidiairement le français) en écoutant le journal télévisé étatique, en lisant le texte de la Constitution, la fiche de paie, un journal ou un livre, en étant devant des juges de tribunal, bref en voulant légitimement s’instruire et défendre les propres intérêts ?

Corruption.

Toute personne tant soit peu informée le constate : quelque soit le pays et l’époque, la corruption sociale commence et s’alimente toujours par le haut de la hiérarchie sociale. Deux anecdotes significatives à ce sujet. La première. Durant la guerre de libération chinoise anti-féodale et anti-capitaliste, à un journaliste états-unien qui, sur place pour une enquête, s’émerveillait du fait que les dirigeants de ce combat étaient vêtus et se nourrissaient exactement comme le peuple, autrement dit pauvrement, il fut répondu ceci : c’est que ces dirigeants n’ont pas encore goûté aux délices du pouvoir (sous-entendu : étatique)… Seconde anecdote. Un jour, j’ai visité l’enceinte de l’Assemblée Nationale italienne, à Rome. Je fus effaré de constater le luxe des murs, des couloirs, des bureaux, des moyens disponibles, enfin de l’enceinte des débats. Tout respirait la richesse ostentatoire et les signes du pouvoir social. Je me suis alors demandé : si j’étais un des élus dans ce palais, réussirais-je à résister à la tentation de faire travailler ma fonction à m’enrichir, donc à acquérir plus de puissance, y compris de façon illégale ? Combien de personnes, dotées de richesse et obsédés de l’agrandir, ne viendraient-elles pas me « rendre visite » pour me corrompre afin de satisfaire leurs intérêts de caste, et, en retour, me faire bénéficier de leurs « largesses » ?

L’honnêteté exige de reconnaître que le candidat Ali Ghediri, quelques soient par ailleurs les considérations à son sujet, a pris l’initiative de publier l’état de son patrimoine, y compris celui de son épouse et de sa fille. Tout candidat ne devrait-il pas agir de cette manière, pour mériter la confiance des électeurs ?

Cependant, je viens de lire dans le journal Mediadz que Ali Ghediri a désigné comme responsable à la communication durant sa campagne Monsieur Hmida Layachi. Étant donné qu’en Algérie plus d’une personne peut avoir les mêmes nom et prénom, j’ignore si l’homme s’appelant Hmida Layachi est celui qui se distingua, dans un récent passé, par le fait suivant. Au retour au pays après mes quarante années d’exil volontaire, il déclara à mon sujet dans une interview : « Il a rompu avec l’Algérie pendant 40 ans, ne connaît rien de son évolution, de sa société, de sa presse. Il est revenu en 2012 pour se faire de l’argent. » J’ai exposé et expliqué les motifs de cette pure calomnie (7). Il y a également un autre fait. Sauf erreur de ma part, ce même Hmida Layachi fut propriétaire d’une télévision et d’un journal privés. Dès lors qu’il est devenu responsable de la communication d’un candidat qui évoque l’honnêteté et l’intégrité, ces qualités n’exigent-elles pas que son responsable à la communication, s’il fut réellement propriétaire des deux moyens de communication mentionnés, déclare publiquement d’où venait l’argent pour créer et gérer sa télévision et son journal ? (8)

Or, je viens de lire des propos du responsable de la campagne de Monsieur Ali Ghediri, Monsieur Ait Larbi, qui déclare : « Je lance un appel à toutes les Algériennes et tous Algériens honnêtes et propres à pour faire sortir notre pays de l’impasse dans laquelle elle se trouve ». La question qui se pose, alors, est celle-ci : Si Hmida Layachi est la personne dont je parle, fait-il partie de cette catégorie d’Algériens, au vu de sa déclaration concernant ma personne ?… Monsieur Ali Ghediri, qui l’a choisi comme responsable de la communication, ignore-t-il ou considère-t-il comme négligeable la déclaration de ce Hmida Layachi envers un Algérien qui, lui, démontre par son entier itinéraire de vie son honnêteté et son intégrité ?… Et si, par hasard, Monsieur Ali Ghediri parvient au pouvoir de l’État, est-il difficile d’imaginer le comportement qu’aurait ce Hmida Layachi comme ministre de la communication, car il faut bien, n’est-ce pas, qu’il soit récompensé suite à son engagement de campagne.

De cet événement, il s’ensuit cette question (et nous retournons à des considérations qui concernent toute nation et pas spécifiquement l’Algérie) : tout candidat ne devrait-il pas, outre la déclaration publique de son patrimoine et de celui de ses proches de la famille, faire publier également le patrimoine et celui des proches de la famille de ses collaborateurs principaux ? Publier également la biographie professionnelle de ces mêmes collaborateurs, comme par ailleurs Monsieur Ali Ghediri l’a faite en ce qui le concerne personnellement ?

En outre, tout candidat, pour montrer sa transparence et son intégrité, ne devrait-il pas publier qui et comment finance sa campagne électorale ?… N’est-ce pas là première et élémentaire preuve d’honnêteté et d’intégrité ?

Ensuite, en cas d’élection, tout candidat ne devrait-il pas s’engager à :

1) ne pas accepter plus de deux mandats ? Car, en accepter plus, c’est : a) prétendre que tous les autres citoyens et citoyennes sont incapables de remplir convenablement la fonction dirigeante ; b) démontrer que le système de gestion du pays est incapable de produire un nouveau dirigeant, ce qui révèle que le système est malade ; c) pour le dirigeant qui dépasse deux mandats, devenir ainsi une espèce d’oligarque « sauveur ». Or, peut-il l’être sans l’appui d’ une « clientèle » opportunément créée ? Et celle-ci le soutiendrait-elle si ce désormais oligarque ne lui concède pas, en retour, les privilèges dont elle a besoin pour exister ?… N’est-ce pas de cette manière que la dictature et sa conséquence, la corruption, commencent, quelque soit le masque employé pour les camoufler ?

2) faire connaître publiquement le salaire et les privilèges attenants à la fonction dirigeante durant l’exercice, ainsi qu’après la fin de celui-ci ?… Car, que signifierait cacher ces données sinon une forme illégitime d’enrichissement légalisé ?

3) publier, à la fin du ou des deux mandats assumés comme dirigeant, l’état de son patrimoine, ainsi que celui des membres proches de sa famille ?… Pourquoi également ces derniers ? Pour éviter une tentation du dirigeant : ne pas profiter personnellement de sa fonction pour augmenter son patrimoine, mais recourir à augmenter celui des membres de sa famille, soit directement, soit comme prête-nom.

4) promouvoir dans la Constitution :

- l’instauration d’un référendum d’initiative populaire ? Il servirait de dissuasion contre une éventuelle gestion anti-populaire de la fonction dirigeante au détriment des intérêts du peuple (9) ?

- la publication, de la part des candidats députés à l’Assemblée Nationale et à d’autres postes administratifs fondamentaux, de leur patrimoine ainsi que celui des membres de leur proche famille, leur rétribution et privilèges attenants durant leur fonction, enfin la publication des mêmes patrimoines à la fin du mandat ?

Dans ce même esprit visant au plus d’authentique démocratie, aux lectrices et lecteurs d’ajouter d’autres questions, et aux candidats honnêtes (autrement dit qui servent le peuple au lieu de s’en servir pour leur intérêts personnels de caste) d’ajouter des éclaircissements.

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(1) voir « De la liberté solidaire » in http://kadour-naimi.over-blog.com/search/libert%C3%A9%20solidaire/

(2) Voir « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », notamment l’article de Bouziane Benachour en annexe 23 du Livre 5 : « Naïmi Kaddour : Quelques appréciations sur un artiste que j'ai connu il y a plus de quarante ans », librement accessible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-theatre-oeuvres-ecrits%20sur%20theatre_ethique_esthetique_theatre_alentours.html

(3) Voir « Questions sur l’autogestion en Algérie et dans le monde », in http://kadour-naimi.over-blog.com/2018/03/questions-sur-l-autogestion-en-algerie-et-dans-le-monde.html

(4) Voir « Belle comme un comité d’autogestion » in http://kadour-naimi.over-blog.com/search/autogestion/ et « Questions sur l’autogestion en Algérie et dans le monde » in http://kadour-naimi.over-blog.com/2018/03/questions-sur-l-autogestion-en-algerie-et-dans-le-monde.html

(5) Pour paraphraser celui qui employa cette splendide expression de manière si tragiquement criminelle : Staline.

(6) Voir « Défense des langues populaires : le cas algérien » in http://www.lematindalgerie.com/tamazight-et-dziriya-solidarite

(7) In « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », Livre 4, PARTIE V : « UN ARCHETYPE DE JOSEPH GOEBBELS ». Pour y accéder voir lien dans la note 2 précédente.

(8) Quelques jours après la publication de ce texte dans une autre publication, on apprend la démission de Layachi du staff d’Ali Ghediri, le premier avançant des motifs qui laissent pour le moins perplexes. Le futur éclaircira.

(9) Voir « Du référendum populaire » in http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/02/du-referendum-populaire.html

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Publié sur Le Matin d'Algérie, le 19 février 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 6 Mars 2019

Manifestations populaires à Alger - février 2019

Manifestations populaires à Alger - février 2019

Suite à la contribution précédente, il restait à préciser le but principal de l’auto-organisation citoyenne. L’examen attentif et objectif de l’histoire de l’Algérie, et cela depuis le Congrès de la Soumman de 1956, semble indiquer ce problème : le peuple algérien n’a jamais eu la possibilité d’exprimer ses désirs de manière égalitaire, libre et solidaire. Toutes les constitutions depuis lors rédigées le furent sans tenir compte des intérêts du peuple. Bien entendu, en paroles et formellement, ces constitutions étaient déclarées comme émanant et reflétant les intérêts du peuple. La réalité a toujours démontré le contraire : ces constitutions furent toutes élaborées et destinées à créer, maintenir et consolider une caste oligarchique exploitant économiquement, dominant politiquement et conditionnant politiquement le peuple.

D’où la nécessité de rédiger enfin une constitution qui soit réellement l’émanation des désirs et intérêts légitimes et authentiques du peuple. Or, - l’histoire des peuples le démontre amplement -, une constitution qui répond aux intérêts du peuple ne peut jamais être rédigée par des personnes hors du peuple exploité et dominé. La Constitution des États-Unis, celle de la Révolution française de 1789, et même la première et les suivantes de l’Union des Républiques « socialistes soviétiques » et autres républiques prétendument « populaires » n’ont pas répondu aux intérêts du peuple mais aux castes oligarchiques qui prétendaient le représenter.

Voilà pourquoi une Assemblée Constituante, pour refléter et correspondre aux intérêts authentiques du peuple, quelque soit le pays considéré, ne peut être rédigée correctement que par ses mandataires authentiques. Pour l’être, ils doivent être choisis et élus de manière réellement libre, égalitaire et solidaire. Cela implique que ces mandataires soient sinon tous, du moins en majorité issus de ce peuple, autrement dit de cette majorité de citoyennes et citoyens exploités économiquement et dominés politiquement.

On objecterait : Mais comment des gens de ce peuple pourraient être capables de rédiger une constitution ?… Eh bien, c’est simple : qu’ils soient consultés de manière correcte, que leurs désirs soient fidèlement exprimés, et que les spécialistes en la matière se contentent et se limitent à la stricte collaboration technique, celle servant les intérêts exprimés par le peuple, et non pas se servir des déclarations du peuple pour les déformer en les mettant au service d’une caste nouvelle.

Voilà pourquoi il semble que le meilleur moyen pour y parvenir est la constitution de comités citoyens autogérés, réellement libres, égalitaires et solidaires, réalisés dans tous les lieux d’agrégation sociale : travail, études, habitats, loisirs, etc., et cela du groupe social le plus petit (entreprise, immeuble, classe d’études, association, etc) au plus grand (du douar à la ville, finalement à la capitale).

Ces comités seront la base non pas d’une hiérarchie verticale, produisant des chefs commant à des exécuteurs, mais d’une structure horizontale, produisant des mandataires en permanence contrôlés par leurs électeurs et susceptibles d’être révoqués à chaque moment si leurs électeurs estiment que ces mandataires ont outrepassé la mission qui leur est confiée.

Toute autre procédure, notamment engagée par des soit disant représentants du peuple, en particulier les partis politiques, quelque soit leur orientation politique, ne peut aboutir – l’histoire mondiale le démontre – qu’à la production d’une constitution servant la caste dont font partie les membres rédacteurs de cette constitution. Sans expression directe et sans contrôle direct et permanent du peuple exploité et dominé, il est impossible de produire une constitution qui reflète réellement ses intérêts. Affirmer cela c’est simplement dire ce que l’histoire des peuples montre, partout et toujours.

Donc, bienvenue à une assemblée constituante, mais si elle se veut réellement le reflet des intérêts du peuple exploité et dominé, que les membres de cette assemblée soit en majorité sinon tous des membres de ce peuple. Pour y parvenir du point de vue organisationnel, il semble que cela est possible par la création de comités citoyens autogérés dans tous les secteurs d’activité sociale, et fédérés de manière horizontale, tel qu’indiqué ci-dessus.

De cette manière, l’autorité dirigeante qui s’en dégagera sera le reflet du peuple, contrôlée par les mandataires du peuple, éventuellement modifiée et corrigée selon le même processus. Bien entendu, la présence des femmes devrait être égalitaire avec celle des hommes. Car le principe correct est déjà fourni par la sagesse populaire : On n’est bien servi que par soi-même. Ainsi, qui peut mieux servir des exploités économiques / dominés politiques sinon eux-mêmes et elles-mêmes ? Éventuellement avec l’aide de détenteurs de savoir adéquat ?… Encore une fois, l’histoire sociale des peuples le montre : on ne fait pas le bonheur du peuple en dehors de sa participation directe, non pas celle manipulée et conditionnée par une caste (qui, évidemment, prétend toujours le servir), mais celle réellement libre, égalitaire et solidaire. Non ! Un patron capitaliste, un politicien, un intellectuel, un économiste, un sociologue, bref un soit disant « expert » ne seront jamais capables d’évaluer la valeur économique d’une force de travail mieux que le fournisseur de cette dernière. Non ! Un homme ne saura jamais apprécier et exprimer la valeur sociale d’une femme mieux qu’elle-même. Il en est de même concernant un jeune par rapport à un vieux, ou le contraire.

Bien entendu, certains accuseront ces considérations de démagogie, d’anarchie, d’utopie et autres stigmatisations. Est-ce un hasard si ce genre d’accusations proviennent uniquement de personnes qui ne sont pas directement exploités économiquement et dominés politiquement, mais au contraire profitent du système exploiteur-dominateur ?

Contrairement à ce que certains croiraient, par ignorance de l’histoire sociale des peuple ou par occultation intéressée de celle-ci, le processus indiqué ici pour parvenir à une assemblée constituante réellement populaire (laquelle, rappelons-le, ne peut être que libre, égalitaire et solidaire) , ce processus est possible. Il lui suffit de bénéficier de la volonté des citoyens et de ceux qui se prétendent en être l’élite représentative. Tout le problème est là, toujours et partout dans le monde.

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(1) https://www.algeriepatriotique.com/2019/02/27/du-cri-a-lorganisation/#comments

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Publié sur Algérie Patriotique, le 4 mars 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 6 Mars 2019

Manifestations populaires à Alger - février 2019

Manifestations populaires à Alger - février 2019

Après les manifestations populaires de décembre 1960, où je connus mon plus grand bonheur, parce que j’ai vu le peuple algérien s’affirmer de manière indépendante, même du parti FLN qui dirigeait la guerre de libération nationale, voici le second jour de mon plus grand bonheur : le 22 février 2019.

Ce jour-là, celles et ceux qui furent traités avec mépris de « gâchi », de « populace », celles et ceux au sujet desquels certains déclarèrent « se tromper de société », et d’autres vouloir « changer de peuple », celles et ceux au sujet desquels un journaleux parla d’ « obsédés sexuels » totalement engloutis dans l’obscurantisme religieux, enfin, ces hommes et femmes méprisés, dénigrés, calomniés ont fini par démontrer la dignité qui sommeillait en eux. Ces hommes et femmes, jeunes et vieux ont fait davantage. Ils se sont unis au-delà des clivages dans lesquels des oligarchies manipulatrices voulaient les tenir : une vision cléricale ou ethnique.

Et cette union, là est le meilleur, s’est réalisée sans partis, sans organisations, sans chefs. Certes ! il est possible que des agents occultes, cherchant à réaliser leurs seuls intérêts de caste, ont suggéré, agi pour attiser et encourager ces manifestations, en suggérant une unique revendication : le refus de la candidature de l’actuel chef de l’État. En effet, focaliser les revendications sur le seul refus de cette candidature, sans évoquer le droit fondamental à la justice sociale réelle, quelque soit le Président qui sera élu, risque de faire le jeu de ces agents occultes, en remplaçant une caste anti-démocratique par une autre, apparemment démocratique. Car il est fondamental de comprendre ceci : le problème essentiel et déterminant n’est pas uniquement une élection présidentielle, mais celui du choix d’un système social où la majorité d’un peuple ne soit pas exploitée économiquement, dominée politiquement et conditionnée idéologiquement par une caste, fut-elle « démocratique ». La question primordiale, donc, ne se limite pas à changer de Chef, mais de système social. Certes, un long voyage commence par des premiers pas, cependant qui veut voyager loin ménage sa monture.

Il est vrai que les personnes qui ont manifesté l’ont fait d’abord et avant tout pour exprimer leur refus de continuer à subir l’humiliante « hogra », sous toutes ses formes et d’où qu’elle vienne. Cette humiliation est allée jusqu’à l’immonde : voir un journaleux, après avoir traité le peuple d’ « obsédé sexuel », traiter les combattants de la guerre de libération nationale d’imposteurs et de profiteurs.

Voici que, finalement, celles et ceux exploités, dominés et méprisés ont osé occuper les rues, défier l’interdiction de manifester dans la capitale, ont su exprimer leurs revendications de manière pacifique, solidaire et même joyeuse !

Et maintenant ?… Comme partout et toujours dans le monde, celles et ceux qui ont eu finalement la conscience et la dignité de se manifester publiquement, doivent veiller à ne pas être récupérés, par quiconque, non seulement par leurs ennemis, mais également par leurs (faux) amis.

L’expérience historique le montre : les manifestations populaires sont nécessaires mais non suffisantes. Elles ne sont que la partie visible de l’iceberg citoyen.

Afin que la première démonstration pacifique citoyenne du 22 février 2019 ne se réduise pas à un vagissement avorté, à une récréation de défoulement sans lendemain, ou se prolonge par d’autres manifestations de rue semblables et rien d’autre, l’expérience historique mondiale montre ce qui reste à faire : constituer des comités de consultation, de discussion, égalitaires, libres et solidaires, pour concrétiser un débat le plus démocratique entre les citoyennes et citoyens. Et, surtout, que non seulement aux jeunes, mais également aux femmes soit reconnu tout leur droit à la participation. Les femmes étant les plus opprimées du peuple, leurs suggestions seront les plus précieuses.

Que ces comités citoyens se forment partout : lieux de travail, d’études, d’habitation, de loisirs, en Algérie et parmi la diaspora, etc. Enfin que ces comités se choisissent parmi eux des représentants afin de réaliser la solidarité entre les divers comités.

Certes, cette entreprise n’est pas facile, mais elle est la seule manière pour un peuple d’apprendre à se gérer lui-même ; elle est, aussi, la base pour construire un ordre social réellement démocratique, parce qu’il sera le résultat réel de délibérations et de décisions populaires, égalitaires, libres et solidaires. Ce que l’autogestion populaire a d’unique et de merveilleux est ceci : elle n’est pas uniquement un but à attendre, mais un moyen qui est en même temps la réalisation immédiate et progressive de ce but. Quant à ceux qui, de bonne foi, considèrent l’autogestion sociale comme démagogique, anarchique, archaïque et j’en passe, qu’ils s’informent sur ce qu’elle fut réellement, en Algérie et ailleurs. Partout, elle ne succomba qu’à cause de la faiblesse des peuples, notamment en matière d’organisation, et, donc, de la force organisée de leurs adversaires.

Au contraire de tous ceux qui méprisent le peuple, faisons-lui confiance !… Rappelons-nous deux faits historiques significatifs. Le premier, ce furent les manifestations de décembre 1960, déjà évoquées. Le second est le suivant : juste après l’indépendance, en absence de patrons et de cadres d’une part, et, d’autre part, d’un État, nos parents ont su établir l’autogestion industrielle et agricole, et ont, contrairement aux calomnies, assuré la production de manière satisfaisante, jusqu’à ce qu’une oligarchie a constitué un nouvel État qui élimina cette autogestion… Dès lors, cette partie du peuple qui a manifesté dans les rues le 22 février 2019, de manière si intelligente, exprimant le plus haut et le plus beau niveau de conscience citoyenne, il lui reste à s’organiser de manière autonome, égalitaire, libre et solidaire pour trouver les solutions à ses problèmes, et faire du pays dont elle est citoyenne une nation démocratique et populaire, dans le sens authentique de ces deux qualificatifs, c’est-à-dire par le peuple et pour le peuple. Quant à celles et ceux qui détiennent un savoir social utile, il leur reste à s’organiser eux aussi en associations égalitaires, libres et solidaire, d’une part, et, d’autre part, à mettre à la disposition du peuple leur savoir social, en veillant à ne pas s’ériger en maîtres, dirigeants, chefs ni administrateurs. Leur rôle n’est pas de se servir du peuple, mais de le servir, car seul un peuple libre et solidaire est la condition de la liberté solidaire de toutes et tous.

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Publié sur Algérie Patriotique, le 27 février 2019, et sur Le Matin d'Algérie  (avec le titre : Après la manifestation, et maintenant ?), le 4 mars 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE

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