Résultat pour “autogestion”

Publié le 14 Décembre 2017

« Belle comme un comité d’autogestion ! »

A la mémoire des combattants

pour l’autogestion sociale.

En ce mois de mars, comme souvent, ma pensée va à un certain passé, en Algérie.

Qui se souvient du surgissement des comités d’autogestion agricoles et industriels ?… Juste à l’indépendance nationale, après la fuite et l’abandon des fermes et entreprises par les patrons et ingénieurs colonialistes, que faire ?…

Spontanément, oui ! Spontanément, des travailleurs d’entreprises et de la terre ont décidé et réussi à continuer la production. Aux yeux des analystes honnêtes, elle fut non seulement assurée comme auparavant, mais ses résultats furent meilleurs. Sans patron ni ingénieur ni contre-maître ! Uniquement les travailleurs !

Au point que notre poète Jean Sénac, autrement dit Yahia Alwahrani (comme il avait aimé se nommer) écrivit cette expression inoubliable (je cite de mémoire) :

« Tu es belle comme un comité d’autogestion ! »

J’eus le bonheur, adolescent, de vivre directement cette autogestion dans l’entreprise de chaussures où travaillait mon père, à Oran, quartier Saint Eugène.

Alors, moi, enfant de pauvre, de « froufrou » (déformation algérienne de « ouvrier »), comme on disait avec mépris, j’ai vu des ouvriers, dont certains analphabètes, savoir continuer la production de chaussures, réparer les machines, organiser la distribution pour la vente. Et tout cela dans une atmosphère de coopération égalitaire et solidaire. Le paradis sur terre !… Les travailleurs manuels montraient leur capacité intellectuelle de gestion de leur entreprise. Ils démontraient dans la pratique et avec succès la non nécessité de personnes commandant autoritairement (contre-maîtres) et de propriétaires, s’enrichissant de la plus-value produite par le travail de salariés.

*

Hélas !... Le paradis sur terre ne fut pas de l’agrément de tous, plus précisément de ceux qui étaient habités, plus exactement obsédés et torturés par la peste de l’exploitation des autres, renforcée par le choléra de la domination sur eux.

Environ une année après la création autonome et libre des comités d’autogestion, vinrent les fameux étatiques « décrets de mars » 1963.

L’État « socialiste » algérien décidait l’ « organisation » de ces comités. Pour justifier cet accaparement arbitraire, les tenants du régime accusèrent l’autogestion d’ « anarchie », d’ « inefficacité » et de toutes les calomnies imaginables.

A la tète de l’entreprise autogérée, en ville comme à la campagne, l’État installa un « Directeur ». Il représentait l’État, lequel incarnait le « peuple » et les « travailleurs ». Donc, ce fonctionnaire aurait été le défenseur des travailleurs des comités d’autogestion.

Dans la réalité, ce « Directeur » commandait, donnait des ordres.

En plus, son salaire bien élevé, ses conditions de travail très confortables et les privilèges qui lui étaient accordés par l’État étaient une injustice scandaleuse par rapport au salaire et aux conditions de travail des gens sous ses ordres.

Les travailleurs comprirent progressivement que les décisions de ce commis de l’État contredisaient les intérêts réels des travailleurs. Ils se sont trouvés devant une forme inédite de patron : il n’était plus un individu privé, mais l’incarnation en chair et en os de l’État. Et celui-ci se comportait exactement en patron. Seule différence : le système n’était plus capitaliste colonial, mais capitaliste étatique indigène.

Surgit alors la fameuse phrase : « Lichtirâkiyâ ? L’auto lîk wal hmâr liyâ. » (Le socialisme ? l’Automobile pour toi et l’âne pour moi).

Plus grave. Si, au temps du capitalisme colonial, le syndicat était permis, comme instrument de défense des travailleurs, du temps de l’État « socialiste », il était devenu une simple courroie de transmission des impératifs des détenteurs de l’État.

Toute résistance des travailleurs ou de leurs authentiques représentants pour défendre et maintenir les acquis de l’autogestion réelle furent réprimés, en fonction des exigences nécessaires : licenciement, arrestation, torture, assassinat. Bien entendu, au nom du « socialisme » et du « peuple ».

*

Après le « réajustement révolutionnaire » de l’auteur du coup d’État du 19 juin 1965, quelques années après, vinrent les « réformes », dites aussi « révolutions » : celle agraire et celle de la « gestion socialiste des entreprises ».

Le très peu qui restait de l’autogestion, dans les entreprises comme dans les fermes (exemple celle de Bouchaoui, près d’Alger) fut définitivement supprimé. La justification est connue : l’État étant celui du « peuple », donc des « travailleurs » ne peut pas admettre l’existence d’un instrument spécifique uniquement aux travailleurs : un syndicat autonome. Ce serait « contre-révolutionnaire », « contre le peuple », « contre les travailleurs ».

Bien entendu, il est illusoire d’attendre de personnes autoritaires et dominateurs la reconnaissance des faits concrets, ainsi que l’usage sensé de la raison et de la logique.

Ainsi, le capitalisme étatique s’est consolidé, permettant la formation d’une bourgeoisie étatique. Le peuple laborieux, les travailleurs se sont trouvés devant le pire des patrons (L’État) et le pire asservissement : un syndicat non plus de défense de leurs intérêts, mais une simple courroie de transmission des décisions de l’État-patron, et de contrôle de la servitude des travailleurs. L’Union Générale des Travailleurs Algériens était, en réalité, Union Générale (DES DÉTENTEURS DE L’ÉTAT) contre les Travailleurs Algériens.

J’en ai connu personnellement les méfaits, ayant été secrétaire d’une section syndicale de travailleurs. Je le fus juste le temps pour la hiérarchie syndicale de comprendre que je ne me prêtais pas au rôle de larbin, mais défendait réellement l’intérêt des travailleurs. Par cette hiérarchie, je fus alors arbitrairement suspendu, accusé d’ « agitation subversive ».

*

Ainsi, le lecteur peut comprendre que, après la fin de la dictature, l’apparition de syndicats autonomes en Algérie fut pour moi une heureuse nouvelle.

Oh ! Leur existence et leurs activités ne sont pas semées de roses. Partout et toujours, dans le monde, les partisans d’une société réellement égalitaire et solidaire doivent vaincre la résistance des exploiteurs-dominateurs pour conquérir leurs droits.

L’autre bonne nouvelle que j’ai lu, dernièrement, concerne certains villages en Kabylie ; ils pratiqueraient l’autogestion. Je souhaite vivement qu’un contributeur à ce journal puisse fournir davantage d’informations à ce sujet. En particulier, il est utile de savoir de quel genre d’autogestion il s’agit : est-elle l’initiative libre et autonome de tous les habitants du village, avec leurs représentants élus de manière impérative, ou, au contraire, a-t-on affaire à un groupe de notables ayant instauré une forme de gestion, autoritaire et paternaliste, abusivement dire autogestion ?

En effet, l’autogestion sociale est un idéal réalisable, ou, si l’on veut, une utopie qui s’est concrétisée.

Le syndicat libre et autonome en est l’une des manifestations, s’il est une organisation produite par les travailleurs pour réaliser leurs intérêts, sans nuire à ceux de leurs compatriotes.

Sans évoquer les expériences antiques ou médiévales qui ressemblent de près ou de loin à l’autogestion, citons les plus récentes et les plus significatives : les soviets russes de 1905 et surtout 1917, notamment à Kronstadt, et l’autogestion paysanne en Ukraine de 1917 à 1921 (voir Voline, « La révolution inconnue ». Et, surtout, l’autogestion réalisée en Espagne de 1936 à 1939 (voir Gaston Leval, « Espagne libertaire 1936-1939 »). Les deux livres sont gratuitement disponibles sur internet.

Concernant ces expériences, aussi, le même phénomène s’est produit : accaparement par l’État supposé être celui des travailleurs (Russie) ou répression militaire directe (Espagne).

Ce que l’expérience historique enseigne est ceci.

Le capitalisme « libéral », cet autoritaire paternaliste, démontre son incapacité à instaurer une société humaine égalitaire et solidaire. Les États dits « socialistes », « communistes » ou de « démocratie populaire », ces autoritaires dictatorieux, ont montré la même carence.

Il reste, alors, à l’organisation sociale autogérée à être de nouveau expérimentée : sans nulle autorité autre que celle émanant directement des citoyens pour réaliser leurs buts.

A ceux qui ont prétendu que c’était là du « désordre », la réplique fut donnée : au contraire, c’est l’unique forme d’ordre, parce qu’elle exclut toute forme d’exploitation et de domination d’un être humain sur ses semblables.

On a également affirmé : la « nature » humaine est, en tant que telle, dominatrice et exploitatrice ; impossible de la changer. Ainsi, furent justifiés esclavagisme, féodalisme et capitalisme. L’histoire a démontré que la « nature » humaine est un produit social, résultat de rapport de force entre groupes.

C’est dire que les ennemis de la conception autogestionnaire sont tellement nombreux, et l’aliénation des peuples est si grave, que ce projet semble à première vue une utopie totalement irréalisable.

Cependant, il y a des utopies qui ne le sont que parce qu’elles n’ont pas trouvé encore les moyens de se concrétiser ou de durer.

Combien de temps a-t-il fallu pour détruire le système esclavagiste et le voir remplacé par le système féodal ? Et combien de temps fut nécessaire pour anéantir ce dernier au bénéfice du système capitaliste, privé puis étatique ?… Eh bien, il faudra du temps pour l’instauration de l’autogestion.

L’essentiel est d’y contribuer chacun selon ses possibilités.

Que cette action ne nous garantisse pas de vivre en société autogérée n’est pas un problème pour nous décourager.

Déjà, considérer l’autogestion comme expérience à mener, contribuer à sa concrétisation, par les mots et les actes, même les plus apparemment insignifiants, faire connaître les expériences auparavant menées, les motifs de leurs succès et de leurs échecs, instaurer le débat sur ce thème « Pourquoi pas l’autogestion ? », c’est semer des graines pour permettre à la belle et généreuse plante de germer.

« Et à l’aurore, où est l’espoir ? » se demandait le poète Nazim Hilmet, alors qu’il était enfermé dans une prison pendant de longues années. Je répond : Vérifions s’il n’est pas dans l’autogestion sociale généralisée.

Alors, soyons réalistes, demandons l’impossible !

Et prenons le plaisir de chanter :

Ô société humaine ! Quand, librement et solidairement, tu ressembleras à un comité d’autogestion, tu seras belle !

*

Soyons concrets.

Parmi la multiplicité des partis, organisations et associations algériens, pourquoi n’existe-t-il pas, du moins à ma connaissance, de mouvement pour l’autogestion sociale ?

Je parle de MOUVEMENT et non de parti. Ce dernier se caractérise, malgré sa « démocratie interne », par l’existence d’un système autoritaire vertical, ayant des chefs (disposant de privilèges, notamment l’inamovibilité) commandant à des exécutants, et le droit à l’exclusion des adversaires. Un éclairant essai en fournit les preuves : Robert Michels, Les partis politiques; essai sur les tendances oligarchiques des démocraties (librement téléchargeable sur internet).

Au contraire, un mouvement authentique comprend uniquement des membres aux droits et devoirs parfaitement égaux. L’unique autorité est celle émanant de toutes et tous. Elle se manifeste par une réelle démocratie directe, concrétisée par des représentants élus sur base de mandat impératif.

Pour concevoir ce genre d’organisation, il est indispensable de se libérer d’une traditionnelle mentalité, largement diffuse en Algérie :

« Ilâ anta mîr wanâ mîr, achkoun issoug alhmîr ? » (Si tu es maire et je suis maire, qui conduira les ânes ?)

Il faut être atteint d’une mentalité autoritaire, laquelle est par essence méprisante, pour parler ainsi.

D’abord, les citoyens ne sont pas des ânes. Ensuite, s’ils se révèlent tels, c’est parce que quelqu’un les a réduits à cette tare, pour en tirer des avantages.

Il faut donc œuvrer pour une société sans ânes ; alors, tous pourraient être des maires, à tour de rôle. Non pour conduire des ânes, mais pour réaliser le mandat pour lequel ils sont élus: satisfaire les intérêts de toute la communauté.

Une considération linguistique est à ajouter.

En français, il est concevable et souhaitable de parler de « mouvement » ; il correspond à la définition présentée auparavant. Mais, en arabe algérien, le mot équivalent est par trop fâcheux : « haraka ». Ce terme fait trop penser à « harka », « harki ».

Alors, peut-être, conviendrait le mot « nidhâm » (ordre, organisation). Ce terme a l’avantage d’affirmer l’autogestion sociale comme ordre, ou organisation, dans le sens noble du terme. Ainsi, il contre-carre la propagande adverse qui le ferait passer pour de l’ « anarchie », du « désordre ».

Je ne pratique malheureusement pas le tamazight. Aux compatriotes de cette langue de penser comment traduire « mouvement ».

Ah ! J’oubliais… Ce genre d’organisation est le plus démocratique et pacifique qui puisse exister.

Alors, quand verrons-nous la naissance d’un « Nidhâm Attassyîr Adhâtî Alijtimâî » (Mouvement pour l’Autogestion Sociale) ?

Publié sur Le Matin d’Algérie, et sur Algérie Patriotique, 09 Mar 2017.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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Publié le 8 Février 2018

Des jeunes qui font le volontariat en Kabylie.

Des jeunes qui font le volontariat en Kabylie.

Dans le Matin d’Algérie, Chérif Ali vient de dresser un tableau on ne peut plus clair et significatif sur la nature et la situation des partis politiques algériens, notamment ceux dits d’opposition « démocratique ». En outre, on vient d’apprendre que des militants d’un parti (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie) démissionnent, en formulant les reproches qui caractérisent tout parti politique : manque de démocratie en son sein, impossibilité d’y manifester une opinion libre, etc.

Cependant, on remarque, sauf erreur de ma part, qu’aucune critique, quoique pertinente de ces partis, ne propose une solution alternative fondamentale. Pour ma part, j’ai publié une analyse générale sur la fonction de ces mêmes partis, et proposé une solution : la création du Mouvement Pour l’Autogestion. À l’évidence, à ma connaissance, personne ne semble y croire parmi les personnes qui réfléchissent et écrivent sur la situation sociale algérienne.

Pourtant, la création d’un tel mouvement social pour l’autogestion, comme but, et qui fonctionnerait, également, de manière autogérée, donc comme moyen, n’est-il pas l’une sinon la seule solution que la raison et la logique proposent, si, vraiment, on a le souci du peuple ?

Que l’on présente les arguments pour rejeter une telle option comme irréalisable !… Évidemment, il n’est pas question de voir une majorité de l’ « élite » et des citoyen-ne-s croire et adopter la voie autogestionnaire comme forme de gestion de la société en général. Parce que la mentalité hiérarchique et autoritaire est, encore, largement dominante.

Mais pourquoi n’existe pas même une minorité, pas même une toute petite minorité qui parle et revendique l’utilité et la nécessité de créer un mouvement pour l’autogestion sociale en Algérie ? D’essayer cette solution ? Ou, tout en moins, en débattre ?

Il est vrai que la conception, l’esprit autogestionnaire n’ont jamais brillé dans les cerveaux de l’élite algérienne. Elle était et reste dépendante des « élites » de presque la planète entière, à quelques exceptions près, qui sont dépendantes d’une mentalité autoritaire et hiérarchique, justifiée par de « bonnes » intentions soit disant en faveur du peuple. Nous constatons leurs lamentables résultats pour... le peuple, mais pas pour les... « élites » qui, elles, jouissent de privilèges confortables.

En Algérie, l’autogestion s’est manifestée uniquement dans les esprits du peuple dominé et exploité. Je l’ai dit et je le répète : ce fut le cas suite à la fuite des patrons coloniaux, juste après l’indépendance, et lors de ce qui s’appela « Mouvement Citoyen » du printemps de 2001. J’ai évoqué l’importance socio-historique de ces deux mouvements autogestionnaires algériens, au point d’avoir influencé la vie et la pensée d’un intellectuel des États-Unis. Mais où sont les intellectuel-le-s algérien-ne-s qui revendiquent, aujourd’hui, l’importance, encore actuelle, de ces deux mouvements ?

Il semble que ces deux mouvements n’ont pas d’importance significative, du moins actuelle, aux yeux de l’ « élite » algérienne, y compris la plus « démocratique » et la plus « progressiste ». Étant donné qu’elle est de mentalité hiérarchique autoritaire, il n’y a pas à s’en étonner.

Elle écrit sur l’histoire de l’Algérie, dénonce à juste titre les innombrables occultations et déformations, mais n’écrit rien ou presque sur toute conception autogestionnaire algérienne. Qui, par exemple, connaît Mohamed Saïl, sa pensée et son action, à part l’association qui en a commémoré la mémoire dans le... village de Taourirt, en Kabylie ?

Mais, répétons-le, au sein de l’ « élite » algérienne, pourquoi n’existe pas même une toute petite minorité qui daigne s’intéresser à l’importance réelle de la conception autogestionnaire, pour examiner sa pertinence, aujourd’hui, en vue d’un changement social réellement significatif en Algérie, en faveur du peuple ? Pourquoi pas même un débat sur ce thème ? Encore une fois, rappelons-le. Concernant l’autogestion, j’avais pris la peine de poser la question à une personnalité politique qui s’est récemment distinguée par ses appels au peuple pour un changement social réel dans le pays, Monsieur Noureddine Boukrouh. Sans obtenir de réponse publique, pas même une phrase.

Il est vrai que pour s’intéresser à la conception autogestionnaire, non seulement passée et récente en Algérie, non seulement algérienne mais de part le monde, non seulement des pays « développés » dominateurs, mais également dans ceux dominés (par exemple au Chiapas mexicain et au syrien Rojava), il est indispensable d’avoir le courage intellectuel et la force éthique de se débarrasser de ses propres convictions, en se rendant compte que la pratique en a montré l’inconsistance et l’impasse, pour s’intéresser à l’histoire et à la nature de l’autogestion en tant que système social alternatif.

Il est vrai que la conception autogestionnaire, contrairement à d’autres doctrines (« libérale », marxiste, cléricale) a un double inconvénient : d’une part, elle ne se contente pas de mettre à disposition un « système » de recettes qu’il suffit d’appliquer ; d’autre part, cette conception s’oppose totalement à la mentalité hiérarchique autoritaire dominante.

Au contraire, la conception autogestionnaire exige de réfléchir par soi-même aux solutions, implique de les concevoir uniquement comme propositions à vérifier collectivement, se présente comme une expérimentation continue (donc sujette à talonnements et erreurs, conformément à la démarche réellement scientifique empirique), réclame la participation du maximum de personnes, et sans « chefs suprêmes » et inamovibles, mais seulement des citoyen-ne-s librement associé-e-s de manière solidaire, tou-te-s susceptibles ou apprenant à représenter une partie de la collectivité, à tour de rôle. Quel « casse-tête » pour les mentalités qui ont sucé le « lait maternel-paternel » de l’Autorité hiérarchique, successivement dans la famille, au « catéchisme » religieux, à l’école et dans le parti « révolutionnaire » ou « démocratique » !

Alors, qui démontrera que la création d’un mouvement pour l’autogestion sociale est inutile, parce que archaïque sinon impraticable en Algérie ?

Et qui, au contraire, affirmera, au moins, la nécessité de réfléchir à cette conception, tout en sachant les difficultés qu’elle rencontrerait, mais, également, les possibilités qu’elle offrirait ?… Et que les personnes qui ne disposent pas de licence ou de doctorats universitaires n’y trouvent pas l’excuse de se dispenser de ce travail d’études et de réflexion. L’auteur du célèbre chant l’ « Internationale » était un ouvrier cordonnier ; le théoricien et praticien d’une forme d’autogestion passée (qui utilisa, le premier, le terme « anarchiste ») fut également un travailleur manuel : Pierre-Joseph Proudhon. Sans parler des autodidactes qui se sont distingués dans le mouvement d’émancipation de l’humanité.

Mais voilà le hic : il est certain que les personnes qui voudraient s’occuper de ce travail sur l’autogestion ne bénéficieront pas de « subsides » officielles, ni de « gloire » médiatique, algérienne ou étrangère. Leur seule reconnaissance viendra de celles et ceux qui souffrent du manque de légitimes droits citoyens à auto-gérer la société dont ils-elles font partie, car l’hétéro-gestion, quelque soit sa forme, montre ses carences partout dans le monde, du moins à qui sait voir sans préjugés opportuns.

 

Publié dans Le Matin d'Algérie, 8 février 2018.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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Publié le 23 Janvier 2018

Nombre d'exploitations autogérées en 1964.

Nombre d'exploitations autogérées en 1964.

Parmi les Algérien-ne-s parvenu-e-s au vénérable âge de soixante-dix ans et plus, qui s’en souvient ? Et, parmi les citoyen-ne-s qui ont vingt à trente ans, qui en a entendu parler ?

Beaucoup des « chibani » (« vieux ») et « chibaniyâte » (« vieilles »), qui furent, pourtant, des militant-e-s à l’époque d’existence de cette expérience, avouent avec mélancolie : « Ah ! Oui !… L’autogestion !… Mais, hélas !, c’est mort et enterré ! Désormais, c’est le capitalisme sauvage triomphant ! »

Quant aux plus jeunes, ils écarquillent grands les yeux en s’exclamant : « L’autogestion ?!… C’est quoi, ça ? Jamais entendu parler. »

Même les intellectuel-le-s algérien-ne-s qui, à juste titre, dénoncent le traficotage et l’occultation de l’histoire du peuple algérien, évoquent tout, de la préhistoire à aujourd’hui. Mais, très curieusement, sauf erreur, personne ne rappelle la phase de l’autogestion. Et, pourtant, juste après l’indépendance, elle a permis d’assurer et même d’améliorer la production industrielle et agricole, suite à l’abandon des entreprises par les patrons coloniaux, et du fait de l’inexistence, encore, d’une structure étatique nationale.

Dès lors, comment expliquer l’occultation totale de cette expérience et de ses bons résultats ?

La réponse semble n’être que dans ce motif : ce furent les travailleurs, pour la plupart analphabètes, ouvriers et paysans, qui furent les « héros » de cette entreprise. Et non pas des « Zaïms » (Chefs), des « partis d’avant-garde ». Rien que les travailleurs manuels ! Ce que certains appellent la « racaille », « populace », « ghâchi » (foule).

Beaucoup de personnes, ignorant le peuple et la psychologie humaine, furent surpris de cette performance des travailleurs. « Comment ?… Sans encadrement technique, ni administratif, ni patron, vous affirmez que ces analphabètes furent capables de poursuivre la production, et même de l’améliorer ?!!! »

Oui ! Cela fut !... Pour un motif élémentaire, simple à comprendre. Quand des êtres humains ne sont pas contraints de « suer » pour un salaire insuffisant, qui enrichit un patron, mais, au contraire, travaillent pour eux/elles-mêmes, en destinant les bénéfices à améliorer l’équipement de production et les conditions de travail, ainsi que les rétributions pour le travail effectué, eh bien, dans ce dernier cas, est-il surprenant que ces travailleurs manifestent des performances meilleures que celles réalisées dans le cadre du salariat exploiteur ? Quant au savoir technique, l’observation continue permet au travailleur analphabète intelligent de savoir opérer, en cas de besoin. J’en ai comme preuve mon propre père. Ouvrier cordonnier sachant uniquement signer son nom, en plus sourd-muet, non seulement il fabriquait des chaussures, mais il savait réparer toutes les machines de l’usine, simplement parce qu’il avait un sens de l’observation et un intérêt qui lui permettaient d’apprendre.

Malgré les réussites des travailleurs en autogestion, dès que les détenteurs de l’État algérien furent capables de contrôler l’appareil de production, ils ont émis les fameux « décrets » de mars 1963 sur l’autogestion. Accusée de n’être que du « désordre » » et de l’ « anarchie », l’État installa des « directeurs », qui le représentaient, pour gérer « convenablement » la production.

Les travailleurs découvrirent rapidement l’imposture et l’injustice. Ces « directeurs », d’une part, appliquaient les ordres étatiques ; ceux-ci, bureaucratiques et loin des réalités de la logique productive, étaient erronés ; d’autre part, ces mêmes « directeurs » bénéficiaient de salaire et de privilèges, qui en faisaient des patrons, avec cette grave différence qu’ils étaient des patrons étatiques. Ajoutons à cela l’interdiction de syndicats autonomes des travailleurs, et la transformation du syndicat U.G.T.A. (Union Générale des Travailleurs Algériens) en organisme strictement soumis aux ordres étatiques. Ainsi, les travailleurs, se voyant soumis à un capitalisme étatique, pire que le précédent privé, résistèrent à leur manière : en travaillant moins et mal. Les autorités les accusèrent … d’ « incapacité » et de « fainéantise ».

Pourquoi ce rappel de l’autogestion ?… Parce que, actuellement, en Algérie, le premier ministre a parlé des entreprises publiques qui ont des problèmes de productivité, et qui, par conséquent, survivent uniquement grâce aux subsides étatiques. Solution envisagée ?… Livrer ces entreprises à des patrons privées. Pas seulement en ce qui concerne de grandes entreprises, mais également des petites, telles des briqueteries et des minoteries

À ma connaissance, journalistes et experts expliquent ces carences productives uniquement par la pratique de la subvention étatique ; elle porte les dirigeants de ces entreprises défaillantes à négliger la satisfaction des exigences requises. Cette constatation est indéniable, et le motif évoqué réel.

Mais doit-on s’étonner que des entreprises, dirigées par des bureaucrates étatiques, puissent être performantes ?… Aux « dirigeants » il suffit de recevoir régulièrement leur salaire, confortable, et les privilèges qui vont avec ; du reste, ils n’ont cure. Ce phénomène n’est pas spécifique à l’Algérie. Déjà, en Russie, au lendemain de la révolution de 1917, les travailleurs des usines, notamment de Saint-Pétersbourg, avaient réussi à remettre en fonction de manière satisfaisante la production. Et c’est uniquement quand Lénine et son parti leur imposèrent des « directeurs » étatiques que la production tomba en crise. Les travailleurs dénoncèrent, en vain, l’incapacité des bureaucrates dictateurs. La situation fut telle que Lénine fut obligé non pas de confier, de nouveau, les usines aux travailleurs, mais de faire appel, avec sa N.E.P. (Nouvelle Politique Économique), à des éléments... bourgeois et technocrates pour diriger la production. Je ne dispose pas de la citation exacte, mais j’ai lu un texte de lui : il affirma que les travailleurs étaient « incapables » de gérer les usines, et qu’il « fallait » recourir aux « techniciens » et « experts » « bourgeois » !

Revenons à l’Algérie. De la même manière que l’on rappelle les exploits des anciens combattants de la guerre de libération, pour encourager des efforts aujourd’hui, pourquoi ne rappelle-t-on pas, de la même manière, les exploits des travailleurs de l’autogestion, pour trouver des solutions aux problèmes productifs actuels ?

Nous arrivons, alors, à la question fondamentale. Des briqueteries et autres petites et moyennes entreprises, pourquoi envisager de les concéder uniquement à des patrons privés, et non pas les confier à leurs travailleurs, en autogestion ?… Ces travailleurs seraient-ils moins capables que ceux de la post-indépendance pour gérer correctement leur unité de production ?… Pourquoi ne pas les mettre à l’épreuve ?… Ainsi, ces entreprises ne seront pas livrées aux prédateurs privés, mais conserveraient un aspect public, puisque autogérées par les travailleurs eux-mêmes.

Il est vrai que cette solution priverait les patrons privés de s’emparer de ces unités de production. Mais cette perspective a l’inconvénient d’éliminer leur soutien aux détenteurs de l’État. Ce qui est inacceptable pour ces derniers.

À juger du projet de confier les petites et moyennes entreprises non pas aux travailleurs mais à des privés, ne doit-on pas en conclure que les détenteurs de l’État, devant les difficultés productives constatées, préfèrent privilégier leurs propres intérêts ? Et que signifie cela sinon se comporter en caste, au détriment du peuple ?… Pourtant, de par le monde, notamment en Argentine, existent des entreprises, dont la gestion privée patronale s’étant révélée une faillite, ont été reprises par leurs travailleurs avec succès, même en s’activant dans un environnement capitaliste.

Alors, existe-t-il d’autres motifs de refuser aux travailleurs la capacité d’autogérer les entreprises que la gestion étatique s’est révélée incapable de satisfaire ? Pourquoi pas un retour au passé pour affronter le futur ? Se trouvera-t-il un-e journaliste pour poser la question à ceux qui prennent les décisions en Algérie ?

 

Publié sur Le Matin d'Algérie, 22 janvier 2018

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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Publié le 3 Mars 2018

Questions sur l’autogestion en Algérie et dans le monde

La contribution précédente dans ce journal a suscité des commentaires très intéressants ; ils appellent des éclaircissements et approfondissements.

 

Le lecteur « Pas totalement d’accord ! » écrit :

« je ne suis pas contre la richesse des individus, au contraire je suis en parfait accord avec le libéralisme, mais toujours avec un état fort. »

 

De l’État fort.

Quand et où (dans les régimes « démocratiques », marxistes ou « populaires ») un État a été ou est au service de l’ensemble des citoyen-ne-s, sans distinction de condition économique ? Quand et où un État n’a pas été l’instrument de domination d’une caste minoritaire au détriment de la majorité des citoyen-ne-s ?

Quant à l’État « fort », où l’a-t-il été et où l’est-il actuellement sinon là où la même caste minoritaire se voit menacée dans ses privilèges par la majorité des citoyen-ne-s qui ne supportent plus les injustices dont ils-elles sont victimes ?

Les « libéraux » les plus honnêtes et lucides avaient déjà déclaré, en substance : moins il y a d’État, mieux les citoyen-ne-s se portent, parce qu’ils/elles gèrent eux/elles mêmes leur vie sociale.

Enfin, qui a déclaré et continue à déclarer que l’État fort est ce qu’il y a de mieux ?… Les autoritaires de tout acabit : Mussolini, Hitler, Lénine, Staline et autres plus petits dictateurs, mais, aussi, des « libéraux » tels De Gaulle, Bush, etc. Un-e citoyen-ne qui croit à la nécessité d’un État « fort » est une personne qui, consciemment ou inconsciemment, manifeste une mentalité d’esclave, de soumis-e, admet son incapacité à s’auto-gérer de manière solidaire avec ses concitoyen-ne-s.

L’État, tel qu’il est né et tel qu’il existe jusqu’à aujourd’hui, est un cancer social produit par une minorité de puissants (rusés, égoïstes et méchants) pour exploiter et dominer la majorité. L’humanité doit trouver une autre forme de gestion de son existence, d’où doivent être bannies toutes les formes d’exploitation de l’être humain par son semblable. C’est un idéal certes difficile à concrétiser, mais pas impossible. Il faut y croire et commencer, selon ses propres possibilités, à y contribuer.

 

Du libéralisme.

Certes, pour un Algérien, comme pour toute personne subissant un régime autoritaire, le système « libéral » est plus vivable. Dans le deuxième, actuellement, la liberté d’expression et d’association est nettement plus consistante que dans le premier système. Cependant, n’oublions pas que dans le « libéralisme », à ses débuts, les droits des citoyen-ne-s, y compris celui de vote, furent acquis au prix de luttes citoyennes multiples, prolongées et parfois sanglantes. Maintenant que ce système, après deux siècles et demi d’existence, a consolidé sa domination, il ne craint plus la liberté d’expression et d’association… sauf s’il est sérieusement menacé d’être aboli, alors intervient la répression policière et, si elle est insuffisante, l’armée sort ses chars. Exemples : la lutte pour les droits civiques aux États-Unis, le mouvement de mai 1968 en France.

Quant à l’Algérie et autres régimes autoritaires, ils le sont parce que le « libéralisme », autrement dit le capitalisme, en est encore à ses débuts, c’est-à-dire sauvage, nécessiteux de la limitation des droits citoyens et de la répression, car ce « libéralisme » débutant n’a pas su encore se forger les médias de conditionnement idéologique de masse, comme c’est le dans le « libéralisme » développé.

À sa naissance, le « libéralisme » a usé de deux moyens idéologiques : d’une part, « Enrichissez-vous ! » et, d’autre part, l’idéologie cléricale, catholique ou protestante : « Dieu fait les riches et les pauvres, ces derniers seront les premiers au Paradis ! » Quant au « libéralisme » des actuels régimes autoritaires, la même méthode est en cours : d’une part, le même « Enrichissez-vous » (en Chine, le dirigeant Deng Xiao Ping avait lancé : « Il n’est pas honteux de s’enrichir ! », sans préciser par quels moyens et au détriment de qui, mais on l’a constaté par la suite), et, d’autre part, l’idéologie cléricale (islamiste, chrétienne, juive) ou « morale » (confucianisme).

À présent, posons-nous une question. Jusqu’à aujourd’hui, partout dans le monde, où donc le libéralisme a-t-il créé l’égalité effective entre les citoyen-ne-s ? Pour y répondre, voici les domaines à considérer :

- droits économiques : une minorité de riches tire son profit de l’exploitation de la force de travail de la majorité ;

- droits idéologiques : la même minorité de riches détient les médias principaux pour conditionner la majorité, d’une part, à consommer des marchandises volontairement périssables au bout de quelques années, afin d’en acheter de nouvelles, et, d’autre part, à faire voter la majorité en faveur de représentants de cette même minorité ;

- droits politiques : la même minorité finance uniquement deux habituels partis politiques à se remplacer au pouvoir de l’État, parti « démocratique » et parti « républicain » (États-Unis), parti « socialiste » ou « social-démocrate » et parti du genre « En marche ! » de Macron (Europe). Cette situation empêche tout parti défendant réellement les intérêts de la majorité de parvenir au pouvoir.

Et qui est responsable de la dangereuse pollution de la planète, de l’exploitation périlleuse de ses ressources (telle, actuellement, le gaz de schiste), de la course aux armements jusqu’à militariser l’espace et le fond des mers, des guerres dans les pays de la « périphérie » de la planète, des remises en question des acquis de la majorité, tels l’augmentation de la durée du travail avant d’avoir droit à la retraite, la réduction de la pension de retraite, la privatisation de tout ce qui est du domaine public, l’impossibilité pour les pays moins développés de fabriquer des médicaments nécessaires à la population parce que les inventeurs de brevets (plus exactement les multinationales) l’interdisent, de l’émigration clandestine, etc.… qui donc est le premier et principal responsable de toutes ces injustices, sinon le « libéralisme », cette conception de la liberté légalisant une minorité des plus riches à réduire à « vache à lait » la majorité des êtres humains ?

Alors, quoi ?… Parce qu’une conception marxiste, « socialiste » a échoué lamentablement, il faudrait ne voir que le libéralisme, parce qu’il triomphe actuellement ?!… N’est-ce pas là une mentalité d’esclave sinon de profiteur ?… Mais pourquoi ne pas se soucier de faire le réel bilan des motifs de l’échec de cette expérience ? Le bilan réel, objectif, et non pas les prétendus bilans faits par les tenants du… libéralisme. Et non plus celui des marxistes qui s’entêtent à ne pas se rendre compte des carences de la conception marxiste comme projet d’émancipation sociale.

Je fus un marxiste convaincu. Et parce que ma boussole est toujours restée l’intérêt du peuple exploité-dominé, l’expérience concrète m’a démontré que la conception à laquelle je croyais avait des carences graves ; elle a permis l’émergence de nouvelles castes exploiteuses-dominatrices, encore plus exploiteuses-dominatrices que celles du libéralisme. Il me fut très dur de m’en rendre compte, de l’admettre, mais le courage intellectuel, l’honnêteté éthique et l’amour intransigeant des peuples m’a porté à voir clair. Et cela m’a mené à… l’autogestion.

D’abord, celle algérienne : j’eus, dans ma jeunesse, le bonheur infini de l’avoir connue personnellement. Ensuite, approfondissant ma formation, j’en suis arrivé aux initiateurs historiques de cette conception. On les appelle généralement anarchistes ; je préfère les nommer autogestionnaires. C’est que le terme « anarchiste » a été et demeure l’objet d’incompréhension sinon de calomnie par l’emploi volontaire de l’amalgame (voir le premier ministre algérien qui accuse les grévistes d’ « anarchistes »).

 

De l’autogestion en Kabylie et en général.

La personne qui signe « sociéte’S » écrit : «  L'auto-gestion Kabyle est en route ». Tandis que le lecteur « Pas totalement d’accord ! » nuance : «  ça reste marginal ».

Dans une Algérie si mal réduite socialement, savoir qu’environ 400 villages, en Kabylie, sont entrés en compétition solidaire pour assurer la propreté du territoire est une initiative magnifique ! Pour au moins ces motifs :

1) la capacité des citoyen-ne-s de se prendre en charge eux/elles-mêmes, sans attendre (vainement) ou dépendre (inutilement) d’un État absent, désintéressé ;

2) l’exemple donné par cette partie de la population au reste du pays, et même au-delà, dans le monde, car l’Algérie n’est pas, hélas !, le seul pays qui souffre de saleté territoriale ;

3) l’espoir que cette autogestion sociale dans le domaine de l’environnement public devienne un premier pas, un apprentissage et un encouragement afin que les citoyen-ne-s réussissent à auto-gérer également d’autres domaines de leur vie sociale, jusqu’à parvenir au domaine politique communal, puis provincial, puis régional, et, pourquoi pas, national. Évidemment, ce processus demande du temps, peut-être même des générations, mais l’essentiel est de commencer, de semer les premiers grains.

Pour le moment, concernant l’autogestion de la propreté des villages, il reste à assurer, dans cette activité, l’engagement paritaire des hommes avec les femmes, parce qu’elles sont « la moitié du ciel ». Sans elles, l’autogestion reste une affaire d’hommes, donc imparfaite parce que niant le droit des femmes à y participer à part entière.

 

De l’ « incompatibilité » de l’autogestion.

Mais, « Pas totalement d’accord ! » objecte :

« Le socialisme ou l’autogestion comme vous défendez depuis quelques temps, je n’y crois pas vraiment, même si ils existent des foyers, surtout en Kabylie. Mais ça reste marginal et incompatible avec la réalité économique actuelle et mondiale. »

À cette objection, j’avais déjà répondu dans une autre contribution. Rappelons les éléments. Qu’est-ce qui détermine et justifie une « incompatibilité » ?

Durant la domination du système esclavagiste, aux personnes qui déclaraient la nécessité de la liberté de tous les êtres humains, que disaient les cerveaux les plus évolués, tels ceux de Platon et d’Aristote ?… « incompatible avec la réalité économique actuelle et mondiale ». De même, durant l’époque féodale, le même argument était évoqué. Et, pourtant, ce qui était considéré « incompatible » est devenu la norme. Certes ! Il a fallu beaucoup de temps, de larmes et de sang ! Hélas ! Mais qui étaient les personnes qui ne furent pas aveuglées par la prétendue « incompatibilité » ?… Une minorité de personnes. Et c’est grâce à elles que, finalement, les deux systèmes d’exploitation-domination qu’étaient l’esclavage et le féodalisme furent éliminés.

Mais on peut, également, évoquer la guerre de libération nationale algérienne. Se souvient-on que jusque la fin des années 1940, les représentants de l’ « élite » algérienne, laïque (Ferhat Abbas) et religieuse (Ibn Badis) considéraient l’indépendance du pays comme « incompatible avec la réalité économique actuelle et mondiale » ? Et que ce furent des jeunes, qui ne faisaient pas partie de cette « élite », qui ont refusé cette mentalité défaitiste, permettant ainsi l’émergence du mouvement qui réalisa l’indépendance ?… Certes, là encore, après tellement de larmes et de sang, hélas !

Alors, considérer la conception autogestionnaire sociale comme « incompatible avec la réalité », n’est-ce pas raisonner comme Platon, Aristote, Ferhat Abbas et Ben Badis de l’époque coloniale ?… Ne faut-il pas, en se basant sur l’expérience historique mondiale et algérienne, simplement dire : cette conception autogestionnaire a besoin de personnes éclairées qui la défendent, la mettent à l’ordre du jour, la répandent parmi le peuple, afin que celui-ci décide si elle est réellement « incompatible » ?

On pourrait objecter : comparaison n’est pas raison, que la conception autogestionnaire est dépassée, archaïque. J’ai dit et répété dans plusieurs contributions , et je persiste à le souligner : avant d’affirmer que l’autogestion est une utopie « incompatible avec la réalité », que l’on prenne la peine de connaître ce que furent les diverses expériences d’autogestion sociale !(1) Mais combien de personnes ont pris ce soin ?… Personnellement, je n’ai pas connu une seule personne, je dis bien une seule personne, qui, en niant l’importance actuelle de la remise en chantier de la conception autogestionnaire, avait lu les ouvrages consacrés aux principales expériences autogestionnaires dans le monde. Il aurait suffit de lire peu d’ouvrages que j’ai, par ailleurs, déjà mentionnés (2).

Les rares personnes qui ont employé le temps nécessaire à étudier ces expériences ont des réponses ou, du moins, des pistes de réponse aux questions fondamentales que pose « Pas totalement d’accord ! » Les voici :

« Est-ce que l’autogestion va se faire une place dans un marché, très compétitif ? Est-ce que l’autogestion prend en considération, les mutations rapides des technologies et sciences? Est-ce que l’autogestion pourra satisfaire les normes de travail, les normes environnementales, éviter le gaspillage, avoir une meilleur approche client ? »

Dans le cadre de cette contribution, je me contente d’une réponse générale. Je la trouve dans le commentaire d’un autre lecteur, qui signe « On vient juste de sortir d... » :

« Une règle pourtant simple est à appliquer : il suffit de démocratiser la vie des citoyens. »

C’est-à-dire que l’on permette aux citoyen-ne-s d’exprimer leur avis mais de manière réellement démocratique, et ils/elles sauront trouver les réponses concrètes aux questions concrètes posées. Réellement démocratique signifie :

- non pas les élections à la manière « libérale » : elles sont un conditionnement des électeurs-électrices pour élire des représentants de la caste minoritaire dominante, du genre François Hollande ou Emmanuel Macron, et Barack Obama ou Donald Trump ;

- non pas les élections où la caste dominante est incapable de produire ce genre de conditionnement, et donc recourt au ridicule traficotage du processus des élections, du genre pays du « Tiers-Monde », dont l’Algérie ;

- mais des élections où existe la possibilité de débats réellement libres, à part égale de possibilité de parler aux citoyen-ne-s, d’emploi des médias existants, où la possibilité de se réunir et de discuter ne dépende pas de l’argent (« libéralisme ») ni de la répression (régimes autoritaires).

Car, d’abord et en fin de compte, qu’est-ce que l’autogestion ? C’est la possibilité des citoyen-ne-s de se réunir librement et d’exprimer leurs problèmes et solutions de manière totalement libre. Les expériences historiques en sont la preuve. Certains (membres des castes dominantes) appellent cela du « désordre », de l’ « anarchie ». Mais la manière dont fonctionne actuellement le monde, et l’Algérie en particulier, n’est-ce pas du désordre et de l’ « anarchie », ce dernier terme entendu dans son acceptation vulgaire, et non pas originel ? Qui sont donc les fauteurs de désordre dans le monde et en Algérie ?… Les grévistes ou les détenteurs du pouvoir ? Les grévistes ne font-ils pas que réagir au désordre dont ils-elles sont victimes, après avoir vainement tenté de demander aux gérants de l’État de résoudre ce désordre ?

Il est malheureux que la conception autogestionnaire ait commencé par s’appeler « anarchie ». Ce terme signifie, comme on le sait, « non ordre ». Or, l’auteur même qui a introduit ce mot, Joseph Proudhon, avait le plus haut souci de trouver un ordre convenable à la société humaine. Il eut le tort d’appeler sa conception par une négation (« an... ») et d’employer un terme inadéquat (« ordre »). Or, on ne définit pas un idéal par une négation. Et on ne devrait pas nier un « ordre », quand on vise à proposer un authentique ordre social, celui qui met fin à toute forme d’injustice (désordre) sociale. Voilà pourquoi le terme « compatible avec la réalité actuelle », pour employer l’expression du lecteur évoqué, devrait mettre dans les archives de l’histoire le terme « anarchie » (en reconnaissant ses mérites et ses faiblesses) et donner toute son importance au terme « autogestion », terme clair, sans ambiguïté et sans partie discutable de son histoire.

Au fond, comment définir ce qu’un lecture a qualifié comme étant ma « persévérance » à évoquer l’autogestion ?… Je ne fais qu’imiter mes compatriotes de la génération précédente : ils-elles ont persévéré à mettre à l’ordre du jour l’indépendance nationale jusqu’à la voir se réaliser. Malheureusement, ils-elles n’ont pas pu la mener de manière à ce que l’autogestion qui, tout de suite après l’indépendance nationale, surgit, - à la surprise totale des « experts » -, que cette autogestion ne fut pas étouffée par le premier chef de l’État, prétendu « socialiste », puis éliminée par le second chef de l’État, prétendu « révolutionnaire », sous prétexte de gestion « socialiste » (encore !), et, enfin, depuis 1989, complètement occultée au profit de la privation rampante générale. Dans ce dernier cas, au moins, n’existe plus l’impudente imposture de parler de « socialisme ». Enfin, les dirigeants actuels parlent ouvertement de « libéralisme », bien qu’une partie parmi eux tienne, sous prétexte de défendre l’ « intérêt national », à maintenir un capitalisme d’État pour ne pas perdre ses privilèges.

Dès lors, hier, indépendance nationale, aujourd’hui, autogestion sociale, il est question - toutes proportions gardées - de la même espérance, du mêmes genre d’adversaires, de la même nécessité de lutte, de patience, de dévouement, de sacrifices (hélas !). C’est le prix à consentir pour la dignité citoyenne. Nous espérons l’apparition des Abane Ramdane et des Larbi Ben Mhidi de l’émancipation sociale du peuple algérien. Ben Mhidi avait dit : « Jetez la révolution dans la rue, le peuple s’en emparera ». Aujourd’hui ce peuple a appris, à son détriment, que son mouvement social ne doit plus être accaparé par les profiteurs s’érigeant en nouvelle caste dominatrice se prétendant « populaire », « révolutionnaire », « socialiste » ou « libérale ». Voilà la pertinence actuelle de l’autogestion sociale. Les villages de Kabylie représentent, actuellement, une belle renaissance, du moins ils sont non pas une hirondelle, mais quatre cents villages-hirondelles qui annoncent le printemps de l’autogestion solidaire. Et l’autogestion du mouvement des grévistes de l’enseignement a pris une force sociale telle qu’il a eu la solidarité de la part d’autres secteurs de la population, ce qui a contraint la ministre de la (mal) éducation nationale à renoncer à son arbitraire et illégal licenciement des grévistes. Et on continue à penser que l’autogestion ça n’existe pas, est une lubie du passé, et on continue à éviter d’employer ce terme !… Et, pourtant, une partie du peuple, malgré le conditionnement idéologique massif (« libéral » et/ou clérical) et malgré la répression, parvient à s’auto-gérer, comme le montre les villages de Kabylie et les grèves des syndicats autonomes.

_____

(1) Voir

http://www.lematindz.net/news/23652-belle-comme-un-comite-dautogestion.html

http://www.lematindz.net/news/25399-la-revolution-inconnue.html

http://www.lematindz.net/news/25423-la-meconnue-plus-importante-revolution-du-xxe-siecle.html

http://www.lematindalgerie.com/pour-un-mouvement-dautogestion-sociale

http://www.lematindz.net/news/24278-ce-quon-ne-dit-pas-a-propos-du-moyen-orient-la-commune-de-rojava.html

(2) « La révolution inconnue » de Voline, « L’Espagne libertaire, 1936-1939 » de Gaston Leval, les rares témoignages sur l’autogestion yougoslave et celle algérienne.

 

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 2 mars 2018.

 

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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Publié le 16 Mars 2018

Victoires de l’autogestion solidaire

On apprend qu’environ quatre cents villages en Kabylie sont entrés en autogestion libre et solidaire pour gérer la propreté de leur environnement public. Et cela sans attendre ou, plutôt, pour avoir trop attendu l’action d’un État insouciant à ce problème.

On apprend également que la ministre de la (mal) éducation nationale a renoncé au licenciement des grévistes du secteur de l’enseignement. Qu’est-ce qui l’a contrainte à ce geste d’ « apaisement » ?… La capacité des grévistes à auto-gérer leur mouvement, au point de résister à toutes les tentatives de corruption de leurs représentants, à consentir tous les sacrifices matériels, à ne pas laisser crédit aux calomnies, les accusant de ne pas tenir compte des élèves (la ministre), d’être des « anarchistes », au sens de désordre gratuit et destructeur (le premier ministre).

Voici donc revenir à l’ordre du jour ce qui a été mis depuis longtemps dans le placard : la conception autogestionnaire. Comme toujours, les « experts », les « docteurs » universitaires, les « intellectuels », dans le monde comme en Algérie, se sont trompés, parce que aveuglés par leurs privilèges de castes. Non ! L’autogestion, si elle a été vaincue, n’est pas morte, si elle a perdu beaucoup de batailles (en Russie, en Espagne, en Yougoslavie, en Algérie et ailleurs), elle n’a pas perdu la guerre.

La conception autogestionnaire est, aujourd’hui, ce qu’était la conception de l’égalité entre les êtres humains pendant l’époque esclavagiste, puis durant la période féodale : ce que les profiteurs du système dominateur-exploiteur jugeaient une utopie donquichottesque s’est révélée une conception opératoire. La partie (minoritaire) de l’élite intellectuelle a dénoncé successivement l’esclavage puis le féodalisme, comme systèmes inique qui devaient être éliminés pour instaurer un système social plus juste. Cette partie minoritaire d’intellectuels libres et solidaires a réussi à convaincre les peuples : ils ont éliminé l’esclavagisme puis le féodalisme.

Nous en sommes à l’avatar suivant et actuel du système esploiteur-dominateur : le capitalisme que certains appellent « libéralisme ». Et, actuellement, la conception autogestionnaire est dénigrée comme utopique donquichottesque de la même manière que le furent les conceptions anti-esclavagiste puis anti-féodale.

Cependant, tant bien que mal, des initiatives, des expériences autogestionnaires surgissent ici et là, en Algérie et dans le monde. Elles prouvent que sous le feu du capitalisme actuellement triomphant, les cendres de l’autogestion existent encore.

Mais, pourrait-on demander, qu’est-ce donc que cette autogestion ?

Elle n’a rien à voir avec celle qui fut nommée ainsi par les détenteurs de l’Etat en Yougoslavie, puis en Algérie. Dans les deux pays, l’autogestion authentique des travailleurs fut étouffée, bureaucratisée, puis éliminée au profit d’un capitalisme d’État. Pour « dorer la pilule » au peuple, on appela ce qui remplaça l’autogestion « socialisme ». C’est ainsi que les esprits superficiels manquant de connaissance historique confondent la conception autogestionnaire réelle avec le « socialisme » des ex-pays de l’Est ou de l’ex-Algérie « socialiste ».

Or, qu’est-ce que l’autogestion véritable en quelques mots, vu le cadre limité où cette contribution est publiée ?… C’est la démocratie la plus authentique, à savoir que les citoyen-ne-s aient le droit et la possibilité de se réunir librement, puis d’exposer tout aussi librement leurs problèmes et les solutions qu’ils estiment adéquates.

Cependant, dans le monde comme en Algérie, on constate que cette véritable démocratie, cette pratique autogestionnaire, est contrecarrée et empêchée par tous les moyens. Ils sont de deux sortes. Dans les pays « libéraux », les citoyen-ne-s sont conditonné-e-s par les médias, détenus par une minorité dominante-exploiteuse, à croire au seul modèle « libéral ». Dans les pays autoritaires, les mêmes citoyen-ne-s sont soumi-se-s à une une répression qui leur interdit le droit à la libre association et expression de leurs problèmes et des solutions qu’ils jugent utiles.

Mais, demanderait-on, pourquoi cette conception autogestionnaire est très peu évoquée dans le monde, et totalement ignorée dans l’Algérie actuelle ?… J’en vois deux motifs :

1) défendre cette conception exige de ne pas tirer un profit matériel personnel du système dominant, en termes de privilèges, d’une manière directe ou indirecte. Or, combien sont les personnes qui déclarent défendre le peuple, mais se trouvent dans ce cas ?

2) défendre cette conception, c’est, également, ne pas la faire accoucher d’une nouvelle caste dominatrice-exploiteuse, comme ce fut le cas successivement avec la fin de l’esclavage au profit du féodalisme, avec la fin de celui-ci au bénéfice du capitalisme, et après la défaite provisoire de ce dernier avec la victoire des marxistes dans les pays « socialistes ».

Combien de personnes sont capables de défendre une conception sociale sans en tirer rien d’autre que le devoir de servir le peuple exploité-dominé, sans aucune prétention à le « diriger » pour s’accaparer de privilèges à son détriment ?… C’est dire toutes les difficultés d’existence de la conception autogestionnaire, mais non son impossibilité. La preuve : les villageois de Kabylie et les grévistes des secteurs de l’enseignement. Ces réalités, aussi « modestes » soient-elles, ne laissent-elles pas ouverte la porte de l’espérance concernant la conception autogestionnaire ?

Publié sur Algérie Patriotique, le 28 février 2018.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 20 Janvier 2019

Meeting en faveur de l'autogestion en Algérie (1963).

Meeting en faveur de l'autogestion en Algérie (1963).

« Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse se termineront toujours en la gloire du chasseur » Joseph Ki-Zerbo.

Cet Appel part d’une constatation : l’effarante ignorance et le néfaste oubli causés par l’intéressée occultation d’une partie fondamentale du passé du peuple algérien. En l’occurrence, il s’agit en particulier de l’expérience autogestionnaire qui eut lieu en Algérie, tout juste au lendemain de l’indépendance. Contrairement aux allégations des vainqueurs de l’histoire, cette expérience réalisa le miracle d’assurer une certaine continuité de la production industrielle et agricole, en dépit de l’abandon des propriétaires et cadres techniques coloniaux, et malgré l’absence d’un État nouveau capable de gérer le pays tout juste libéré. Cette expérience démontra avec éclat l’absurdité oligarchique du dicton algérien « Ilâ anta mîr ou anâ mîr, achkoun issoug al hmîr ? » (Si tu es maire et je suis maire, qui conduira les ânes ?). En effet, les « ânes » prouvèrent avec éclat leur capacité d’être des « maires », c’est-à-dire des gestionnaires, et cela de manière libre, égalitaire, solidaire et, - cerise sur le gâteau -, efficace !

En Algérie, actuellement, tous s’accordent à reconnaître l’extrême délicatesse de la période. Les solutions correctes aux problèmes sociaux ne sont pas claires. Aussi, le débat en cours gagnerait à remettre à l’ordre du jour un idéal social et la forme concrète qu’il eut dans le passé, comme il essaie de l’avoir dans le présent : il s’agit de toute réalisation, selon l’expression consacrée, « par le peuple et pour le peuple », plus exactement des actions autonomes, libres, égalitaires et solidaires, entreprises par des citoyen-ne-s en Algérie, de 1962 à aujourd’hui, en vue du bien commun. Celui-ci implique l’élimination de toute forme d’exploitation économique d’une majorité par une minorité, donc de domination sociale de la première par la seconde ; cela suppose, bien entendu, la suppression de toute forme de conditionnement idéologique. Telle n’est-elle pas la volonté fondamentale du peuple, comme celle de tout authentique démocrate ?

Évitons un malentendu. Cet Appel n’a aucune prétention, évidemment, de s’imaginer comme solution actuelle à la situation présente. Il s’agit simplement d’une mise en perspective à long terme ; elle tient cependant en considération des actions autogestionnaires actuelles, comme possibles semences pour une future récolte plus consistante.

Dès lors, il s’agit de savoir quelles furent dans le passé, et quelles sont dans le présent les caractéristiques de l’autogestion sociale, ses succès, ses limites, ses échecs, ses perspectives et les leçons pratiques à en tirer. Le but est la recherche non pas d’un modèle ni de recettes miraculeuses, servant une minorité, mais d’une piste vers des solutions socialement équitables, pacifiquement réalisables, démocratiquement débattues et acceptées par et pour la collectivité entière. Utopie ?… Peut-être. Aux citoyen-ne-s la décision !

Pour connaître et faire connaître ces propositions de solutions, un Appel est donc lancé à témoignages, sous la forme d’écrits personnels (en dziriya dite « darija », tamazight, arabe classique ou français), de déclarations audio (dans l’une de ces langues), de matériel photographique documentaire (tracts, journaux, revues, photos d’assemblées, d’actions diverses, etc.), éventuellement vidéo..

Le but est de faire le point sur les actions passées et présentes d’autogestion collective en Algérie et, mieux encore, de créer un centre de recherche ou, mieux encore, un observatoire permanent sur l’autogestion sociale. Espérons faire ensemble œuvre utile pour déterminer en quoi cette pratique pourrait être, dans les conditions actuelles de l’Algérie, en dépit des dénigrements intéressés, une bénéfique source d’inspiration dans la recherche et l’instauration d’une société où liberté individuelle soit en harmonie avec une solidarité collective, dans le respect des spécificités culturelles. Le point fondamental est d’examiner si l’autogestion sociale, en Algérie (comme partout ailleurs), est ou n’est pas la réalisation la plus réellement concrète de démocratie populaire dans le meilleur sens de l’expression. Cette autogestion a existé en Algérie, et démontra son efficacité, avant d’être éliminée par la force bureaucratique, laquelle, comble de l’imposture, se manifesta au nom du « socialisme ».

En complément à cette production documentaire de la part des intéressé-e-s, seront prochainement publiés, de ma part, un essai théorique Pourquoi l’autogestion ? (1), comme perspective actuelle à considérer, ainsi qu’un roman : Quand la sève se lève (2). Ce dernier relatera, juste après l’indépendance, deux expériences autogestionnaires : dans une usine de chaussures à Oran, et dans une ferme des environs, à Gdyel. Par ces diverses productions, l’espoir est d’intéresser aussi bien les lecteurs d’essais que ceux de littérature, en illustrant le très beau vers du regretté ami et compagnon Jean Sénac / Yahia Alwahrani : « Tu es belle comme un comité de gestion ».

Décharger le texte de l’Appel ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie_appel_autogestion.html

_____

(1) https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres_pourquoi_autogestion.html

(2) https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-roman_quand_seve_se_leve.html

 

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 14 janvier 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 14 Janvier 2019

À la mémoire d’un ami du peuple algérien

Le 29 décembre 2018, à 79 ans, David Lewis Porter a quitté notre monde, suite à une maladie.

Citoyen états-unien, durant ses études universitaires, il fut présent à Paris, où il soutint ardemment le combat pour l’indépendance du peuple algérien.

Par la suite, après l’indépendance, il travailla en Algérie, durant l’expérience d’autogestion industrielle et agricole, en soutenant sur le terrain cette extraordinaire expérience. Il en relata les aspects dans un de ses livres et dans une interview, dont j’ai rendus compte (1).

Enfin, de retour dans son pays, exerçant comme professeur dans plusieurs universités, il enseigna ce qu’il apprit de l’autogestion sociale algérienne.

David Porter, jusqu’à la fin de sa vie, était un lecteur assidu de la presse algérienne. Ainsi, il connut mes contributions et me contacta en exprimant ses appréciations, son encouragement et son accord. Il eut ensuite l’amitié de me proposer son éditeur aux États-Unis, AK Press Éditions, pour mon ouvrage concernant ma participation au mouvement de mai 1968 en France, qu’il traduisit en anglais bénévolement (2).

David Porter s’intéressa et publia un ouvrage également sur cette autre expérience d’autogestion sociale qui eut lieu dans l’Espagne républicaine de 1936 à 1939 (3). Parallèlement, dans son pays, ainsi que la localité où il résidait, il écrivait et militait comme anarchiste, pour une société égalitaire, libre et solidaire.

Dans la lettre annonçant le décès de David Porter, son épouse Nancy Schniedewind écrit en conclusion : « In lieu of flowers, it is requested that you take courageous action toward a more free and beautiful world. » (En guise de fleurs, il vous est demandé d’entreprendre une courageuse action pour un plus libre et beau monde. »

Les écrits de David Lewis Porter se distinguent par leur clarté, leur chaleur humaine, leur net engagement social et un très précieux enseignement. Ses actions concrètes étaient marquées par une solidarité indéfectible tant avec ses compagnons de combat émancipateur qu’avec les citoyens anonymes côtoyés durant les luttes sociales. Merci d’avoir existé, David ! Tu restes vivant dans le cœur et l’esprit comme un bel et chaleureux compagnon de cet idéal où riment harmonieusement ensemble égalité, liberté et solidarité universelles.

 

Publié le 1er janvier 2019 sur Algérie Patriotique et sur Le Matin d'Algérie.

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 4 Février 2018

David Porter en 1973.

David Porter en 1973.

David Porter, retraité depuis 2006, exerça à l’Université de l’État de New York pendant quarante ans comme professeur de sciences politiques et d’histoire, y compris l’histoire de l’Algérie contemporaine. Il est l’auteur de deux ouvrages, présentés dans Le Matin d’Algérie, « Vision on Fire » et « Eyes to the South », ainsi que de nombreux articles sur l’Algérie et l’anarchisme. La présente interview fournit des détails sur son parcours intellectuel et existentiel.

 

1. Comment avez-vous connu l'Algérie?

Après quatre années comme étudiant aux États-Unis, en 1961 je suis allé à Paris pour étudier à l’Institut d’Études Politiques. Là, tandis que les cours me renseignaient surtout sur la nouvelle Cinquième République et les réalités socio-économiques en Afrique, mon éducation la plus valable était non institutionnelle : lectures d’une large variété de la presse française, conversations avec des étudiants français, présence à divers meetings publics, observations de la lourde présence de la police française, et participation à une manifestation de rue réprimée en novembre 1961. Aux U.S.A., j’avais lu des compte-rendus de médias au sujet du combat de libération algérien, mais, une fois à Paris, je me sentais entouré par la réalité du colonialisme français et ses implications en France. Ma marche de rue en novembre au centre de Paris contre l’O.A.S. eut lieu seulement un mois après l’horrible massacre d’Algériens par la police, du 17 octobre. La répression française en cours contre les Algériens dans les deux pays, France et Algérie, fut, à cette époque, mon apprentissage politique central, exactement comme avec la guerre dévastatrice U.S. au Vietnam, quelques années après. Tout aussi important fut le fait d’être terriblement impressionné par la puissance et la détermination des Algériens pour obtenir leur indépendance politique. Je m’identifiais beaucoup avec leur cause.

2. Comment cela vous a-t-il conduit à vous rapprocher et à vous intéresser à l'autogestion algérienne ?

Je suis retourné à New York en 1962, et j’ai commencé mes études supérieures en politique sociale comparative à l’université Columbia. J’avais déjà décidé que le combat algérien pour la libération politique et sociale, procédant alors avec l’indépendance nationale, serait le premier objet de mes études. Les héroïques efforts de l’Algérie étaient irrésistibles. Très tôt, j’appris le massif exode des pieds noirs (1) d’Algérie, et la généralisation des occupations de fermes, d’entreprises industrielles et de biens vacants (1) commerciaux par des travailleurs algériens, ainsi que leur détermination à maintenir la production économique. J'étais émerveillé par cette initiative et stimulé pour en apprendre plus. Venant du contexte U.S. de capitalisme et de hiérarchie, je n’avais jamais considéré que des travailleurs pouvaient gérer leurs propres unités de production. Dans le monde de mon éducation, cela ne m'a jamais traversé l'esprit. Après deux années d’études à New York, je rêvais de l'opportunité d'apprendre directement de la massive expérience algérienne, et j’ai trouvé un soutien de bourse d'études pour rendre cela possible. Avec mon épouse et mon bébé de deux mois, nous arrivâmes en Algérie au printemps de 1965.

3. Comment avez-vous développé votre compréhension de l'expérience algérienne ?

J’ai étudié à l’Institut d’Études de Gestion et de la Planification à Alger, en utilisant leur vaste documentation, en me consultant régulièrement avec ceux qui enseignaient et conseillaient dans le secteur autogéré. J’ai également participé avec des étudiants du même Institut à la visite d’unités autogérées dans la région d’Alger. J’ai, aussi, beaucoup lu la presse algérienne, notamment certains journaux qui soutenaient avec enthousiasme cette nouvelle expérience sociale et éthique. J’ai également interviewé beaucoup de personnes engagées dans ce secteur comme conseillers ou assumant le rôle de superviseurs du gouvernement. Parmi les sources les plus importantes figuraient les assemblées régionales et nationales des travailleurs de l'. Les délégués exprimaient ouvertement leur colère et leur frustration envers les représentants du gouvernement aux niveaux local et national. Ces derniers cherchaient systématiquement à saboter le secteur en le privant de prêts promis et de soutien à la commercialisation, et en installant des directeurs d'unité responsables devant l'État plutôt que devant les décisions prise par la base, c’est-à-dire les travailleurs. Un indépendant Bulletin de l'Autogestion, publié par une imprimerie autogérée, informait sur les réalisations du secteur et les attaques de ceux qui lui étaient hostiles.

Tout cela s’était produit dans le contexte turbulent du régime de Ben Bella, intérieurement fortement conflictuel où les forces sociales antagonistes rivalisaient pour le pouvoir. De nombreux secteurs de la société algérienne étaient, évidemment, pesamment affectés par ces conflits. Mais le sort du secteur de l'autogestion radicale assiégée en fut l'un des indicateurs les plus évidents, avec le recul du statut des femmes, du pouvoir croissant des forces bureaucratiques et capitalistes hiérarchiques, opposées à toute notion de libération sociale sérieuse suite à l'indépendance nationale. Durant mes dix mois en Algérie, j'ai appris et me suis senti stimulé par les impressionnantes initiatives horizontales des travailleurs de l'autogestion, par la productivité, le dévouement et la plus large éthique sociale égalitaire implicites. J'ai également appris à propos des ennemis de l'autogestion et comment l'obstruction était effectuée.

4. Comment votre intérêt pour l'anarchisme est né ?

Fait intéressant, lorsque j'ai parlé avec le responsable du ministère de l'Industrie, chargé de superviser le secteur de l'autogestion industrielle, c'est lui qui parla d’ « anarchie » en discutant du désir des travailleurs autogestionnaires en faveur de leur propre ministère autogéré. Je savais très peu de choses sur l'anarchisme à l'époque, mais, retourné chez moi aux U.S.A., après avoir terminé ma thèse, j'ai commencé à lire davantage sur cette tradition. J'étais très impressionné par la viabilité évidente de l'autogestion des travailleurs, économiquement et culturellement ; alors, j'ai exploré de plus en plus ses antécédents politiques historiques, avant l'expérience algérienne. Cela me porta de manière spécifique à l’exemple de la Russie en 1905 et 1917, et à la révolution espagnole du milieu des années 1930. Dans ces deux pays, l'autogestion des travailleurs était une caractéristique fondamentale, et ce sont les anarchistes qui en ont pris l’initiative.

À la fin des années 1960, également, aux États-Unis comme en France et dans une grande partie du monde, le thème d’organisation radicale anti-autoritaire de la société était devenu un très commun idéal et objectif de mouvement social. Ce que j’avais appris de l'autogestion algérienne s’accordait bien avec les aspirations grandissantes parmi un grand nombre de personnes aux États-Unis pour la «démocratie participative» de base face au racisme, au sexisme, à l'exploitation de classe et à l'agression impérialiste. De plus en plus, j'ai découvert que c'était le mouvement anarchiste historique qui avait le mieux écrit et promu cet idéal anti-hiérarchique.

5. À propos de vos croissants orientation et intérêt anti-autoritaires focalisés sur l'anarchisme, quelles ont été les implications personnelles pour vous ?

Comme beaucoup d’autres aux U.S.A. en ce temps-là, j’ai participé à de nombreuses manifestations politiques contre la guerre au Vietnam et contre le racisme interne. Toutefois, durant la même période, j’ai commencé une carrière d’enseignant en science politique et histoire. Cette carrière s’étendit de Brooklyn à Montréal (Québec), puis au rural Maryland, pour, finalement, retourner à l’État de New York. Au début de 1967, j'ai décidé de porter mon engagement en faveur de l'autogestion dans les salles de classe universitaires où j'ai enseigné, pour développer une pédagogie anarchiste qui aurait maximisé la participation des étudiants dans leurs options d’études, les thèmes de discussion, et l’auto-évaluation pour leurs relevés de notes universitaires. En bref, je cherchais à réduire ma propre autorité hiérarchique traditionnelle, autant que je le pouvais, afin d'encourager les élèves à apprendre les uns des autres, et à respecter les connaissances qu'ils possédaient déjà. Naturellement, cette nouvelle approche stimulait de longues discussions concernant la gestion politique de la classe et de l’université, ainsi que sa relation avec la politique dans la plus large société.

Ce fut cette forme d'éducation politique et historique, basée horizontalement sur l'expérience personnelle des élèves, qui a encouragé de plus en plus les étudiants à s’explorer eux-mêmes, bien que je restais disponible pour faciliter et suggérer des ressources pertinentes. Ma pédagogie avait assez consciemment imité les principes que j'ai appris de l'autogestion algérienne. Inutile de dire que, comme dans le contexte algérien, diverses autorités de la structure universitaire officielle se sentaient menacées par les nouvelles attentes des étudiants, et hostiles à l'expérience. J'ai perdu deux postes universitaires successifs à cause de ces batailles. Finalement, à la fin des années 1970, j'ai trouvé un poste d'enseignant à New York, qui honorait les choix individuels des étudiants et leur expérience de base, à un degré bien au-delà du contexte universitaire habituel. Je suis resté à ce poste jusqu'à la retraite en 2006.

Entre-temps, cependant, dans les années 1970 également, je me suis lancé dans de grandes recherches sur le mouvement anarchiste historique, et j'ai établi mes premiers contacts avec les anarchistes U.S. et étrangers. De là, mon intérêt particulier pour Emma Goldman et l'expérience du mouvement anarchiste espagnol, le plus important au monde, et son courageux effort pour construire une société anarchiste révolutionnaire au milieu de la guerre civile meurtrière menée par les fascistes. Plus tard, après ma retraite, j'ai décidé de m'associer dans un projet de recherche et de livre concernant les principales sources de mon engagement politique à long terme : l'Algérie et le mouvement anarchiste.

6. Pourquoi l'insurrection de 2001 en Algérie fut si importante ?

J'ai été très impressionné par la vitesse, la créativité et le défi de l'insurrection spontanée en 2001. Les formes choisies de résistance à la politique répressive violente du régime semblaient excellentes pour mobiliser la militante lame de fond de l'autodétermination. Il semblait y avoir un réel engagement à maximiser les énergies populaires de base, les idées et la prise de décision à partir de la base, dans le même esprit que l'autogestion des travailleurs algériens quatre décennies plus tôt. Il était frappant de voir comment le mouvement a créé sa structure de résistance communautaire confédérale en adaptant les formes algériennes traditionnelles de la démocratie villageoise et régionale. Le contraste entre ce modèle bien coordonné mais décentralisé et la dictature hiérarchique basée à Alger n'aurait pas pu être plus grand.

Une approche horizontale pour répondre aux besoins des citoyens en matière de dignité et de bien-être ne doit pas nécessairement signifier le chaos ou la compétition individualiste égoïste. Il était important que le modèle émergea de la propre tradition algérienne, et non importé d'ailleurs. Sa similitude avec les concepts anarchistes était frappante, mais, pour moi, cela montrait que les principes de base impliqués, tout comme avec l'autogestion algérienne, étaient bien complémentaires mais ne dépendaient pas du tout de modèles issus des concepts occidentaux de l'anarchisme.

7. Dans la conclusion de Eyes to the South, vous discutez de la situation de l'anarchisme en Algérie. Pouvez-vous résumer brièvement cette discussion en indiquant les perspectives actuelles ?

Je comprends qu'il y ait des signes d'intérêt croissant pour l'anarchisme, en particulier chez les jeunes Algériens. Dans le livre, j'ai mentionné certains exemples de références explicites d’Algériens à l'anarchisme. Alors que certains sont familiers et s'identifient à cette idéologie spécifique, et qu'il y a beaucoup à apprendre de cette tradition historique, il est également important de reconnaître des principes anti-autoritaires et d'autodétermination semblables dans la propre culture politique algérienne, tels que manifestés en 2001, dans le mouvement d'autogestion du début des années 60, dans les divers efforts héroïques et horizontaux d'organisation des jeunes, des femmes et des travailleurs, et dans la détermination des Algériens ordinaires à résister à l'oppression de multiples façons dans leurs propres contextes quotidiens.

____

(1) Les termes sont employés par l’auteur dans son interview originale en anglais.

Propos recueillis et traduits de l’original anglais par Kaddour Naïmi.

Publié sur Le Matin d'Algérie, 3 février 2018

 

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 9 Août 2019

Un travailleur de la SNVI face à des gendarmes.

Un travailleur de la SNVI face à des gendarmes.

Le « cadavre »

Qui pourrait expliquer pour quel motif, en Algérie, les « experts » en tout genre ont noirci et continuent à noircir des tonnes de livres, de revues, de journaux, de blogs, etc., concernant la forme politique la plus convenable, « démocratique » disent-ils tous, sans jamais pas même faire allusion à l’autogestion ? Pour qui l’ignore, - car l’argument fut et demeure occulté totalement -, cette autogestion avait surgi dans le pays au lendemain de l’indépendance. En absence, d’une part, des propriétaires et des cadres techniques et administratifs d’entreprises, agricoles et industrielles, et, d’autre part, en absence d’un État nouveau pas encore formé, des travailleurs ont su s’organiser en comités de gestion, puis non seulement ils ont pu produire, mais encore avec une productivité meilleure par rapport à la période où ils n’étaient que des esclaves salariés. Ce fait, aussi surprenant que considérable, fut calomnié par les dirigeants même du nouvel État constitué et par leurs fonctionnaires les plus importants, au point que, par la suite, l’expérience autogestionnaire fut, dans le meilleur des cas, oubliée, et, dans le pire, considérée comme un échec caractérisé par le « désordre », la « gabegie » et l’ « anarchie », alors que ces derniers caractérisent le système capitaliste, qu’il soit de forme privée ou étatique ; preuves en sont, pour le capitalisme étatique, l’échec lamentable des pays dits « socialistes », et, pour le capitalisme privé, les « crises » cycliques, les guerres économiques et militaires, le ravage des ressources de la planète, sans oublier les luttes incessantes des producteurs salariés contre leur réduction à la pire des exploitations.

Mais combien connaissent la vérité ? Que l’autogestion ne fut pas une « utopie » d’aventuriers, mais une réalité de producteurs ex-salariés, c’est-à-dire ex-exploités ; qu’elle ne fut pas un « échec », mais une réussite concrète. Et combien savent comment l’autogestion fut éliminée ? Par la répression bureaucratique, les licenciements, les arrestations, les tortures si pas plus grave encore.

Nous voici, donc, une soixantaine d’années après, dans une situation où l’on ne parle plus de l’expérience autogestionnaire, mais seulement de la guerre de libération nationale. Pourtant, l’expérience autogestionnaire des travailleurs après l’indépendance fut l’unique suite logique de la guerre de libération nationale, car elle fut une libération sociale, et la meilleure imaginable, aussi inattendue que réelle.

On parle également, toutefois rarement, des assemblées de village en Kabylie, comme forme de démocratie directe, et du mouvement citoyen de 2001. Mais, encore une fois, pourquoi on n’évoque jamais l’expérience autogestionnaire ?… Au point qu’au temps de Ahmed Ouyahia comme premier ministre, on parla de minoteries et de briquetteries, déclarées déficientes, pour les confier à des… privés. Bien entendu, on sait lesquels : ceux de la « issaba » (bande). Dernièrement encore, on lisait dans la presse que certaines petites unités industrielles étaient mal gérées, et, donc, idem : privatisation, c’est-à-dire très probablement « issabisation ». Mais, pourquoi pas confier ces unités productives à leurs travailleurs, au moins dans un premier temps, pour vérifier leurs capacités autogestionnaires ?!… Pourquoi l’État, dit « démocratique et populaire » », favorise par principe les privés au détriment des travailleurs ?

La question.

Alors, voici une question. Elle ne s’adresse pas aux adorateurs du « Divin Marché » capitaliste et de son « progrès fantastique » (prétendant comme bénéficiaires tous les citoyens, alors que la réalité prouve le contraire), ni aux croyants au « capitalisme d’État », prétendument socialiste (déclarant comme bénéficiaire le « peuple », alors que les expériences à ce sujet montrent que les seuls bénéficiaires furent les membres des oligarchies étatiques régnantes), ni aux ignorants qui s’illusionnent que l’existence de « pauvres » et « riches » (entendons exploiteurs et exploités) est dans la « nature » humaine, ni à ceux qui justifient par une volonté divine la même division, ni aux désillusionnés qui n’attendent rien du peuple, considéré « taré », puisque démuni de diplômes universitaires, ni enfin à ceux qui traitent l’autogestion d’ « archaïque », de chose « passée », alors qu’ils ignorent totalement de quoi il s’agit, à part que ce fut une initiative de travailleurs, ce qui, pour ces désillusionnés « élitistes », est l’inconcevable. Il y a, enfin, ceux qui affirmèrent que l’autogestion fut l’œuvre de « pieds rouges » (communistes) étrangers, manipulant les travailleurs algériens. Évidemment, pour les auteurs de cette allégation, les travailleurs étaient incapables, par eux-mêmes, de prendre l’initiative de s’autogérer.

La question donc s’adresse à tous ceux, « experts » ou pas, qui se professent les plus « démocratiques », « progressistes » et « partisans » du peuple. Et voici la question : pourquoi, dans les débats en cours sur la forme de société répondant aux intérêts du peuple en Algérie, à ma connaissance aucun de ces intervenant n’a évoqué la période autogestionnaire, pas même seulement pour la rappeler comme faisant partie de l’histoire du peuple algérien, afin d’exprimer à son sujet un jugement à propos de la meilleure forme à donner à ce qui est appelé la « deuxième république » en Algérie, censée, pourtant, résoudre tous les maux du pays, sur la base de la volonté du peuple, donc des travailleurs producteurs de richesse ?

La vérité.

Et, pourtant, si on prend la peine de savoir ce que fut réellement l’autogestion algérienne, on s’apercevrait qu’elle fut l’embryon d’où pouvait naître une authentique démocratie réellement au service du peuple. En effet, l’autogestion instaura la coopération entre les producteurs, en éliminant l’exploitation économique de la part d’un propriétaire privé, donc elle élimina la base même économique de tout système exploiteur ; par conséquent, cette mesure supprima la hiérarchie autoritaire distinguant celui qui décide et commande sur celui qui se contente d’exécuter, donc toute forme de domination politique. Et, comble de l’hérésie de toute mentalité autoritaire hiérarchique : l’expérience autogestionnaire démontra qu’il n’est pas indispensable d’avoir un État autoritaire et oligarchique pour produire économiquement de la meilleure manière possible, mais simplement de disposer d’institutions non élitistes, non parasitaires (donc gaspilleuses), mais efficaces, au service réellement du peuple producteur de richesses.

Que l’on prenne la peine de voir la carte des entreprises autogérées juste après l’indépendance, et leur extension maximale ; qu’on sache ce que fut la production réalisée ; qu’on lise les procès-verbaux des assemblées d’autogestion ; et l’on comprendra que si l’oligarchie indigène du nouvel État ne s’était pas opposée à l’autogestion (en l’ « embrassant » par les décrets de mars 1963, pour mieux l’étouffer), cette autogestion aurait pu être la base pour édifier une société réellement « par le peuple et pour le peuple », une démocratie réellement populaire... Et que l’on apprenne, à l’opposé, alors que les combattants de l’intérieur manquaient d’armement pour poursuivre la lutte anti-coloniale, comment l’oligarchie qui s’est formée déjà à la frontière marocaine de l’Algérie a plongé le pays dans la dictature, masquée de démagogie populiste socialisante, en laissant les vautours s’emparer de tout ce qu’ils pouvaient, à commencer par les « biens dits vacants », ensuite par l’obtention de privilèges divers illégitimes, vautours qui formèrent la base sociale de soutien de cette oligarchie inédite autochtone, laquelle eut l’imposture de se réclamer des chouhadas tombés au combat pour la libération non seulement nationale mais sociale (Charte de la Soummam) du peuple algérien.

Rappelons à la mémoire.

Le déclenchement de l’insurrection armée anti-coloniale fut l’initiative d’un groupe de citoyens, jeunes et socio-économiquement modestes ; ils reçurent les quolibets des « bien-pensants » petits-bourgeois et bourgeois dans le pays, évidemment arrogants et méprisants, qui les traitèrent d’ « irréalistes », d’« aventuriers ». Ces critiqueurs rejoignirent l’insurrection seulement quand ils comprirent que c’était le train qui allait vaincre.

Quant à l’autogestion, elle fut une initiative de simples travailleurs. Là fut l’hérésie pour le même genre de petits-bourgeois, bourgeois et aspirant à l’être, y compris ceux « socialisants », « nationalo-populistes ». Comprend-on, alors, la menace ?… Le peuple travailleur prenait en main l’économie défaillante et avec succès ! Et qui dit économie, dit pouvoir. C’était enlever aux aspirants voleurs, accapareurs et exploiteurs toute espérance de sucer la sueur du peuple et de profiter des ressources économiques du pays indépendant. Dès lors, il fallait absolument éliminer cette autogestion. Et ils réussirent par la bureaucratie, sinon la violence. Résultat : la longue chaîne de misères, d’humiliations, de terreur dont la conséquence logique fut l’apothéose de corruption rapace et mafieuse que fut le régime Bouteflika, où dominèrent des escrocs sans vergogne et de tout acabit, du haut au bas de l’échelle sociale. Est-ce un hasard si c’est cet homme même qui, juste avant l’indépendance, alla soudoyer les dirigeants de la révolution prisonniers en France, et convainquit l’ambitieux de pouvoir, Ben Bella, de se joindre à l’autre ambitieux, le colonel Boumédiène, pour plonger le pays dans la dictature militaire avec toutes ses conséquences : désastre économique, régression sociale et culturelle, sans oublier la « décennie sanglante », suivie par les vingt années de filouterie et d’escroquerie de la « issaba » et de ses complices étrangers, sous le règne de celui qui se faisait appeler « Fakhamatouhou » (Son Excellence). Alors, l’Algérie montra ce qu’elle contenait de pire, de plus vile, de plus sale, de plus anti-patriotique, de plus harki aux néo-colonialismes, bref de plus abject, au point de rendre le citoyen ordinaire algérien honteux de lui-même, parce que détroussé de sa simple dignité, honteux de se dire algérien, parce que spolié de ses droits légitimes de citoyen, honteux de son histoire passée, parce que bafouée.

Le jugement.

Qui jugerait que ces propos ont le défaut d’être marqués de « radicalisme » inapproprié, vieillot et dépassé (d’autres ajouteraient « outrancier »), qu’ils expliquent comment instaurer une république réellement démocratique, au bénéfice du peuple tout entier, sans supprimer l’exploitation économique de l’être humain par son semblable. Quant à la fable hollywoodienne du pauvre vendeur de lacets de chaussures dans les rues de New York, qui devient, à force de travail et d’intelligence, propriétaire milliardaire d’usines de chaussures, tout esprit non infantile sait que pour y parvenir il faut une dose indispensable de ruse, de combines et de vol des sueurs d’autrui ; mais ces moyens sont « légaux » puisque accomplis dans le système capitaliste où « que le meilleur gagne », en fait le plus filou. En Algérie, on sait, depuis l’indépendance, comment l’on devient propriétaire d’un moyen collectif de production : généralement par le vol, la corruption et la violence, permis et protégés par des fonctionnaires de l’État, qui en tirent leurs dividendes. La « issaba » serait-elle née uniquement avec l’instauration de Bouteflika comme chef d’État ?… Avec lui ne s’agit-il pas simplement de sa manifestation la plus arrogante, la plus parasitaire et la plus mafieuse dans l’accaparement des richesses du pays ? L’apparition de cette « issaba » ne remonterait-elle pas, en fait, à l’assassinat de Larbi Ben Mhidi et de Abane Ramdane, suivi par l’enterrement de la « Charte de la Soummam », et poursuivi par un putsch militaire qui permit d’occuper l’État, et, juste après, d’éliminer l’autogestion, puis de la faire oublier complètement par les fameuses « trois révolutions » : « réforme » agraire (avec les villages et marchés du fellah, inopérants parce que conçus par une caste autoritaire et hiérarchique), gestion « socialiste » des entreprises (qui transforma les syndicats en courroie de transmission des ordres venus d’en « haut »), et « révolution » culturelle (ou l’héritage arabo-islamique servit à conditionner le peuple pour mieux l’asservir) ? Tous ces échecs ont justifié, par la suite, l’instauration du « libéralisme » dans sa forme capitaliste la plus mafieuse, et dont quelques représentants, privés et étatiques, sont désormais connus officiellement.

Reconnaissons que sur cette planète souffle le vampire d’un capitalisme débridé de jungle et de western, totalement psychopathe (1). Est-ce là un motif pour le laisser investir la patrie des chouhadas du 1er nombre 1954 et des autres chouhadas victimes de la dictature qui s’ensuivit, ainsi que la patrie de celles et ceux qui en sont à leur cinquième mois de manifestations pacifiques, en brandissant les portraits notamment de Abane Ramdane et de Larbi Ben Mhidi ?

Après ce qui vient d’être dit, pourrait-on espérer que cet article susciterait quelque réaction ?… Il a le défaut d’être écrit par un ordinaire citoyen et, fait aggravant, il ose jeter un pavé dans la mare des « experts » qui se déclarent « patriotes », « démocrates » et « progressistes ». Et, pourtant, qu’est donc l’intifadha actuelle du peuple sinon une autogestion (malgré les tentatives manipulatrices d’officines internes ou étrangères ainsi que de « personnalités » algériennes) d’un mouvement populaire qui veut l’application réelle du principe inscrit sur les frontons publics : « par le peuple et pour le peuple », et, donc, l’application réelle de la définition de la nation : « démocratique et populaire » ?

____

(1) Voir John Perkins, « Les Confessions d'un assassin financier ». Il écrit dans sa préface : « « Les assassins financiers sont des professionnels grassement payés qui escroquent des milliards de dollars à divers pays du globe. Ils dirigent l’argent de la Banque mondiale, de l’Agence américaine du développement international (US Agency for International Development – USAID) et d’autres organisations « humanitaires » vers les coffres de grandes compagnies et vers les poches de quelques familles richissimes qui contrôlent les ressources naturelles de la planète. Leurs armes principales : les rapports financiers frauduleux, les élections truquées. les pots-de-vin, l’extorsion, le sexe et le meurtre. Ils jouent un jeu vieux comme le monde, mais qui a atteint des proportions terrifiantes en cette époque de mondialisation. Je sais très bien de quoi je parle... car j’ai été moi-même un assassin financier. »… Et, en Algérie, l’on s’étonne des méfaits du régime Bouteflika, en croyant mieux faire avec le capitalisme.

 

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 7 août 2019, et sur Algérie Patriotique, le 9 août 2019.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #PEUPLE-DEMOCRATIE, #AUTOGESTION

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Publié le 30 Janvier 2018

L’anarchisme, ce quasi-inconnu en Algérie

Voici un livre dont le thème est très rarement évoqué en Algérie : « Eyes to the South : French Anarchists and Algeria » (Regards vers le Sud : Anarchistes français et Algérie). D’où l’importance de le signaler.

Dès le début, la dédicace du livre par l’auteur, David Porter, fournit son orientation :

« Ce livre est dédié aux Algériens qui ont courageusement combattu pour une société libre et égalitaire, depuis 1954 jusqu’à aujourd’hui, malgré la répression par les militaires et la police français puis algériens, la résistance des bureaucrates intéressés, les nouveaux riches de l’Algérie indépendante, les conceptions mortelles de zélotes religieux, et un patriarcat profondément ancré dans toutes ses diverses formes. Le livre est également dédié aux anarchistes français qui ont contribué aux combats algériens jusqu’au présent. » (1)

Justifions d’abord le titre du présent compte-rendu. David Porter expose les positions des divers courants anarchistes français sur et en Algérie, depuis 1954. Cependant, le texte est précédé par un chapitre intitulé « Arrière-plan historique de l’Algérie moderne : le contexte colonial et le mouvement anti-colonial » (2).

L’auteur donne des informations très peu connues en Algérie, pour ne pas dire ignorées, parce que… occultées. Le motif de cette méconnaissance est simple. Dans le pays, les informations étaient et demeurent contrôlées, filtrées et gérées par deux agents : d’une part, les institutions étatiques, d’autre part, une opposition de matrice l’une cléricale et l’autre marxiste ou marxisante. Pour tous ces agents, les conceptions anarchistes en particulier, et libertaires en général (dont font partie les théories et pratiques autogestionnaires) sont « cachées dans le placard » de toutes les manières possibles. Cette censure est faite au détriment de la vérité historique, mais au profit des visions qui partagent toutes la même caractéristique : hiérarchie sociale et autoritarisme politique. Les cléricaux le justifient par la « Volonté de Dieu », les étatistes par la « démocratie parlementaire », et les marxisants par la « nécessité d’un État centralisateur », présenté comme « démocratie populaire », étant donné le tragique ridicule manifesté par la « dictature du prolétariat ».

Le livre de David Porter comporte une très intéressante introduction. Elle informe sur la présence des théories anarchistes en Algérie depuis l’année du déclenchement de l’insurrection armée de 1954. Dans cette partie est notamment évoquée la figure de Mohamed Saïl (1894–1953) ; originaire de Kabylie, il fut un personnage représentatif de l’anarchisme algérien (3).

Le corps du texte comprend cinq parties : I. La guerre d’Algérie (1954–1962), nationalisme, violence et révolution ; II. Le régime de Ben Bella (1962–1965), idéal et réalité de l’autogestion des travailleurs ; III. Le régime de Boumédienne (1965–1978), socialisme étatique et Islam politique ; IV. Les régimes de Chadli, Boudiaf et Zéroual (1979–1999), Berbères et révoltes urbaines, libéralisation et guerre civile Militaire/Islamiste ; V. Le régime Boutéflika (1999-présent), résistance horizontale et pouvoir autoritaire.

Le texte se conclut par un exposé sur les aspects et personnes montrant les modalités d’existence de l’anarchisme en Algérie, l’ « histoire alternative » de l’Algérie par les anarchistes français, des réflexions sur le mouvement anarchiste français puis mondial.

C’est dire la richesse de contenu du livre de David Porter. L’originalité de son travail est celle-ci : contrairement à la grande majorité des productions sur l’histoire algérienne, l’auteur l’expose et l’analyse du point de vue du peuple exploité-dominé, en se focalisant sur les combats de celui-ci pour se libérer, de manière autonome, libre et solidaire.

David Porter écrit :

« «Je considère également ce livre comme un moyen d’échanger en retour les cadeaux de prise de conscience que m'ont donné ceux qui luttaient courageusement pour la libération algérienne du colonialisme, ceux qui en Algérie se sont battus pour l'autogestion des travailleurs, et ceux du mouvement anarchiste plus généralement. » (4)

L’auteur énumère et analyse les positions des divers courants anarchistes concernant la guerre de libération nationale. En voici le résumé :

« Alors que toutes les branches du mouvement anarchiste s'opposent par définition au colonialisme français comme raciste, répressif et exploiteur, des différences significatives émergent sur les questions cruciales de « libération nationale », de violence révolutionnaire et de collaboration avec les forces hiérarchiques ou étatiques. Ces différences ont, à leur tour, des implications directes sur la nature et le niveau de soutien positif offert à la révolution algérienne. Néanmoins, les anarchistes étaient unis pour s'opposer aux politiques gouvernementales françaises de répression massive et de conscription militaire. » (5)

Certains anarchistes se méfièrent à cause de l’aspect nationaliste de la guerre de libération ; elle tendait à produire une nouvelle oligarchie indigène, forme inédite d’oppression du peuple, utilisé uniquement comme masse de manœuvre, bras armé. L’histoire, hélas !, leur a donné raison.

D’autres exprimaient un « soutien critique » ; il se manifestait par des formes de solidarité concrète, tout en maintenant les distances idéologiques par rapport à l’aspect hiérarchique-totalitaire du parti guidant la lutte armée algérienne, le F.L.N. (Front de Libération Nationale).

Une autre partie choisit de collaborer complètement avec les nationalistes algériens. Dans ce cas, étant donné le caractère hégémonique et totalitaire du F.L.N., ces anarchistes mettaient de coté leurs « identité politique » spécifique. Parmi ces derniers, le plus représentatif fut Serge Michel, dont tout le parcours est relaté.

Les lectrices et lecteurs algérien-ne-s seront intéressé-e-s en particulier par certaines parties.

1. L’autogestion ouvrière et paysanne.

La première partie concerne ce qui semble avoir été presque totalement occulté, considérée comme ante-historique, totalement négligeable, archaïque : c’est l’expérience d’autogestion ouvrière et paysanne. David Porter déclare :

 « À ce moment-là, à la fin des années 60, la dynamique politique et culturelle en Amérique du Nord et ailleurs ne pouvait qu'amplifier mon intérêt et ma compréhension de l'anarchisme, d'abord stimulé par ma découverte de l'autogestion algérienne. » (6)

Et dire qu’il y a une personnalité politique algérienne actuelle qui, interrogée publiquement par moi sur cet aspect, n’a pas considéré important de répondre publiquement.

Pour les personnes qui l’ignorent, l’autogestion par les travailleurs eut lieu juste après l’indépendance. Des usines et des fermes furent abandonnées par leurs propriétaires et cadres techniques, d’une part ; d’autre part, l’État algérien, sa bureaucratie et sa technocratie n’existaient pas encore. Alors, les travailleurs des entreprises industrielles et agricoles ont spontanément, librement et solidairement pris en main les entreprises. Non seulement, ils furent capables d’assurer la production comme par le passé, mais elle fut améliorée. Il ne s’agissait pas de miracle : comme, auparavant, en Russie révolutionnaire (1917-1921), et en Espagne révolutionnaire (1936-1939), quand des travailleurs agissent de manière réellement libres, ils sont solidaires ; cette situation particulière leur permet d’améliorer nettement les performances en matière productive par rapport à l’époque où ils sont de simples salariés exploités. N’est-ce pas d’une logique humaine élémentaire ?

Et, comme en Russie, puis en Espagne, les forces autoritaires (bolchevique dans le premier cas, fasciste-cléricale et stalinienne dans le second), à peine deviennent-elles fortes, éliminent dans le sang l’autogestion des travailleurs, avec des résultats dans la production économique nettement moins positifs. En Algérie, l’élimination de l’autogestion s’est limitée à recourir à des décrets étatiques présentés comme « socialistes », selon le principe : embrasser pour étouffer.

2. L’insurrection autogérée du printemps 2001.

L’autre partie qui intéressera particulièrement les lectrices et lecteurs algérien-ne-s concerne la révolte citoyenne qui eut lieu à cette date. Bien qu’événement plus récent par rapport à l’autogestion post-indépendance, le mouvement de 2001 est occulté, du moins dans sa signification sociale fondamentale.

Comme on le sait, ce mouvement prit naissance en Kabylie, s’efforça de s’étaler à l’ensemble du pays, pour finir par être contraint de se replier dans la région de sa naissance.

Comme l’autogestion après indépendance, ce mouvement social, lui aussi, s’est caractérisé par l’initiative autonome des citoyens libres et solidaires. Les jeunes y jouèrent un rôle fondamental.

La différence avec l’autogestion post-indépendance est à noter. L’insurrection sociale de 2001 s’activa en dehors et même contre tous les partis politiques, sans aucune exception, et contesta un État déjà constitué, dans sa politique autoritaire et anti-populaire.

Et, contrairement à l’autogestion post-indépendance, le mouvement de 2001 était assez fort pour ne pas être éliminé par des décrets étatiques. Il a fallu la répression armée de la gendarmerie : plus de cent morts et des milliers de blessés. Cela est arrivé dans une république officiellement nommée « démocratique et populaire ».

3. Adversaires et motifs des calomnies.

L’expérience autogestionnaire post-indépendance, comme le mouvement social de 2001 furent tous les deux l’objet de tentatives de manipulation par la propagande étatique, de récupération par les partis politiques officiels comme d’opposition.

L’autogestion ouvrière et paysanne fut taxée de « désordre », d’ « anarchie ».

En fait, là où il y eut désordre, David Porter montre, preuves à l’appui, qu’il provenait uniquement des détenteurs de l’État, des bureaucrates étatiques et des propriétaires privés, tous menacés de perdre leurs privilèges, en cas de succès général et définitif de l’autogestion.

Quant au mouvement social de 2001, il fut étiqueté comme « ethnique », « identitaire », « régionaliste », « kabyle », « sécessionniste », etc.

Il est vrai que les aspects identitaires étaient présents. Mais les revendications, publiquement déclarées par les contestataires, intégraient ces aspects spécifiques dans le cadre général et fondamental d’un rejet du système étatique autoritaire. La volonté des révoltés exigeait une société réellement démocratique, seule manière de résoudre positivement les problèmes identitaires, en trouvant des solutions aux problèmes socio-économico-politiques qui en étaient les causes.

David Porter, documents à l’appui, met en évidence le caractère essentiellement autogestionnaire, libre et solidaire de ces deux moments historiques. Ils sont les deux événements les plus significatifs de l’Algérie indépendante, parce que le peuple opprimé en fut l’unique protagoniste, contre toute forme d’autoritarisme, étatique ou de partis politiques. De la part de ces derniers, on comprend aisément, alors, le dénigrement et l’occultation de ces deux moments où le peuple prit en main son propre destin.

4. Peuple victime.

L’autre fait historique significatif de l’histoire de l’Algérie indépendante est la tragédie qui dura plus que les dix années 1990-2000. Au contraire des deux événements historiques, auparavant évoqués, dans cette troisième période, le peuple fut essentiellement manipulé et victime. Là, aussi, l’exposé de David Porter est documenté, objectif, analytique, clair.

5. Horizontale contre verticale.

La dernière partie du livre intéressera, aussi, d’une manière particulière les Algérien-ne-s. Son intitulé donne l’idée de son contenu et de son orientation : « résistance horizontale et pouvoir autoritaire ».

Cette partie est d’autant plus importante à lire que toutes les voix qui se font actuellement connaître, pour un changement « démocratique » en Algérie, ignorent substantiellement l’horizontalité. Ces voix ne considèrent que des personnalités au sein des institutions étatiques, ou des dirigeants de partis politiques. Quant aux appels génériques aux « citoyens », ils ne vont jamais jusqu’à parler d’organisations autonomes, de base, libres et solidaires, pour mettre fin à un système hiérarchique et autoritaire, au bénéfice d’un autre, authentiquement démocratique. En particulier, ces appels n’évoquent jamais l’autogestion citoyenne ; ils ne rappellent jamais les expériences exemplaires que furent l’autogestion ouvrière et paysanne ou le mouvement du printemps 2001. Tout au plus, on constate l’organisation de colloques d’ « experts », en Algérie ou en France. Pourtant, ces deux mouvements ont montré de manière indiscutable la capacité du peuple à auto-gérer l’activité sociale.

Il est, toutefois, compréhensible qu’une mentalité autoritaire ne peut pas concevoir un peuple capable de s’auto-gérer, même quand il a démontré efficacement le contraire. Comme dit le proverbe populaire algérien : « Ma’za, wa laou târat ! » (C’est une chèvre, même si elle vole !)

Comme dans son premier livre, dont il fut rendu compte, ce second ouvrage de David Porter se distingue par l’importance, la richesse et la pertinence de la documentation, la clarté de l’exposé, la finesse de l’analyse objective, les explications et notes clarificatrices, permettant d’approfondir les thèmes abordés. Notons que l’auteur séjourna à Alger en 1965-1966, précisément à l’Institut d’Études de Gestion et de Planification (7).

Il reste, cependant, extrêmement regrettable que cet ouvrage, publié en anglais en 2011, n’ait pas trouvé encore d’éditeur en Algérie (ou en France) pour une traduction. Espérons avoir montré qu’une telle édition serait de la plus grande utilité, et rencontrera l’intérêt de beaucoup de personnes, des deux cotés de la Méditerranée.

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(1) « This book is dedicated to those Algerians who courageously fought for an egalitarian and free society from 1954 to the present despite repression by French and Algerian militaries and police, the resistance of self-serving bureaucrats and nouveaux-riches of independent Algeria, the deadly designs of religious zealots and a deeply entrenched patriarchy in all its various forms. The book is dedicated as well to French anarchists who supported those Algerian struggles to the present. »

(2) « Historical Background of Modern Algeria : The Colonial Context and theAnti-colonial Movement »

(3) Une contribution prochaine le concernera en détail.

(4) « I also consider this book a means for reciprocating those gifts of consciousness given to me by those who courageously struggled for Algerian liberation from colonialism, those in Algeria who fought for genuine workers’ self-management, and those in the anarchist movement more generally. »

(5) « While all branches of the anarchist movement by definition opposed French colonialism as racist, repressive, and exploitative, significant differences emerged concerning the critical issues of “national liberation,” revolutionary violence, and collaboration with hierarchical or statist forces. These differences, in turn, had direct implications for the nature and level of positive support offered to the Algerian revolution. Nevertheless, anarchists were united in opposing French government policies of massive repression and military conscription. »

(6) « At that moment, in the late ’60s, the political and cultural dynamics at play in North America and elsewhere could not help but vastly increase my interest in and understanding of anarchism, first stimulated by my exposure to Algerian autogestion. From that point to the present, my learnings from anarchists and anarchism have greatly expanded. »

(7) Une prochaine interview avec l’auteur fournira davantage d’information sur son activité en Algérie, et les leçons qu’il en a tirées.

Eyes to the South : French Anarchists and Algeria

written and translated by David Porter, AK Press 2011 (Oakland, Edinburgh, Baltimore).

Présentation ici : https://www.akpress.org/eyestothesouth.html

Publié sur Le Matin d'Algérie, le 30 janvier 2018.

L’anarchisme, ce quasi-inconnu en Algérie

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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