Publié le 29 Janvier 2025

Pourquoi le peuple danse : le cas syrien

Externe et interne

En général et, en particulier, sur la situation syrienne actuelle, la majorité des analyses se focalisent sur les facteurs externes : les adversaires, les ennemis d’une nation menacée ou déjà victime d’agression impérialiste, soutenue par une dissidence d’agents autochtones.

La connaissance des facteurs externes est fondamentale mais non suffisante. Il reste à examiner les facteurs internes. Malheureusement, ce que les analystes en fournissent, à ma connaissance, est sous-estimé, quand pas ignoré1.

On connaît l’un des motifs de ces carences : évoquer les causes internes d’une nation ferait le jeu de ses ennemis impérialistes.

Cependant, diminuer, relativiser ou occulter les facteurs internes, ne pas leur accorder la première importance, n’est-ce pas faire le jeu de l’agresseur, de manière plus grave ?… Sun Ze avait expliqué : la connaissance des forces et faiblesses de l’ennemi (facteur externe) est aussi stratégique que celle du propre camp (facteur interne).

En outre, si l’on cache les causes internes, comment le peuple saurait quels sont les réels enjeux et forces en présence, afin de savoir comment agir, en complément des institutions qui défendent la patrie ? Ignorer cette condition, n’est-ce pas mépriser les citoyens comme troupeau à faire marcher au son d’une flûte d’un enchanteur ?… Or, la réalité montre combien cette illusion élitiste se paie cher, et d’abord au détriment de cette prétendue élite.

Pourquoi danser ?

Cette brève contribution naît de la lecture d’un extrait :

« quand je vois ces manifestations de joie en Syrie pour fêter la chute de l’État dans les bras de l’islamisme, je me demande ce qui motive ce peuple à danser sur sa propre tombe… (…) Il faut que le peuple se réveille et soit conscient des dangers qui guettent son pays2. »

De précédentes contributions ont répondu, en substance, à ces considérations3. Approfondissons.

Ignorons les déclarations de voyageurs, plus ou moins touristiques : la Syrie était, somme toute, un pays sans gros problèmes parce que, comme étrangers, on se déplaçait en toute sécurité, la laïcité existait, etc. Ce genre de témoignage n’éclaire pas la stupéfiante surprise des analystes les plus éclairés sur la chute de l’État syrien, pratiquement sans combat.

Où sont les explications indispensables, outre celles sur les causes externes ?… En Syrie, est-ce que : 1) le système d’informations médiatique, 2) le secteur de l’instruction, 3) les activités culturelles, bref 4) le système politique fournissaient de quoi réveiller, faire prendre conscience au peuple syrien, pour le rendre capable de savoir qui sont : 1) ses vrais amis et comment s’unir avec eux, 2) ses réels ennemis et comment les neutraliser ?

La « stupéfiante » dissolution du régime syrien ne prouve-t-elle pas des carences dans les causes internes sus-mentionnées ? Ne pas les mentionner et les analyser en fonction de leur importance stratégique, n’est-ce pas manquer de responsabilité, quand on prétend défendre les intérêts des peuples et de leurs nations contre leurs agresseurs ?

Nationalisme et patriotisme

Pour éviter des malentendus, ces termes exigent un éclaircissement.

Concernant le nationalisme, il ne s’agit pas de celui des guerres de libération nationale : je considère celui-ci comme patriotisme.

Par nationalisme, à présent, j’entends l’idéologie qui oppose une nation et son peuple, en bloc, contre une autre nation et son peuple, en bloc : le criminel cas fut celui des deux boucheries mondiales. Les oligarchies capitalistes impérialistes trouvaient et trouvent encore leur intérêt à ce type de nationalisme, caractérisé par le chauvinisme : les peuples s’auto-massacrent pour enrichir l’oligarchie qui sort vainqueur de la guerre4.

Le patriotisme est autre chose : le simple amour de la terre natale. Chaque peuple le ressent, comprend et respecte l’existence de ce sentiment en chaque autre peuple. Les oligarchies, par intérêt de caste, ignorent le légitime sentiment patriotique d’un peuple dont elles convoitent les richesse matérielles ou/et le territoire comme base militaire. Ce fait explique l’existence de certains peuples divisés en diverses nations différentes.

Voilà pourquoi, pour toute personne respectueuse des peuples, il est impératif de ne pas les confondre avec les oligarchies qui les dominent, afin d’éviter que ces dernières utilisent les peuples les uns contre les autres, au bénéfice de ces oligarchies.

Le patriotisme authentique est source de solidarité entre les peuples, contre les oligarchies impérialistes qui déforment ce patriotisme légitime en nationalisme chauvin. Trompeuse, dans le meilleur cas, au pire manipulatrice, est l’explication des conflits par des termes comme « États-Unis », « Syrie », etc.

Ces mots indiquent des territoires géographiques, pas des agents sociaux. Or, ce sont ces derniers qui agissent. Par exemple, ce ne sont pas les « États-Unis » qui ont agressé la « Syrie » : c’est une oligarchie dominante aux États-Unis, représentée par un Président élu, qui a agressé un groupe dirigeant syrien qui contrastait ses intérêts impérialistes.

Cette manière précise de définir évite d’opposer entre eux les peuples qui habitent ces territoires, États-Unis et Syrie, bien que que le peuple états-unien ait élu l’oligarchie états-unienne et le peuple syrien, le groupe dirigeant la Syrie.

On objecterait : il ne faut exagérer ! Par « États-Unis » ou « Syrie », etc., les gens comprennent que l’on désigne un système politique, un groupe dirigeant. Eh, bien, fréquentez les gens, et vous constaterez qu’en règle générale, le terme géographique les conditionnent à confondre peuple et groupe dirigeant. Ce fut le cas quand les peuples de France et d’Allemagne se sont auto-massacrés en criant, les uns, « Sus aux boches !... À bas l’Allemagne ! », les autres « Gegen die Franzosen!… Nieder mit Frankreich ! » (Contre les Français !… À bas la France !). Veillons donc à éviter tout mot qui opposerait les peuples entre eux. Les mots libèrent ou tuent ! Les oligarchies et leurs mercenaires le savent : leur langage tue. Malheureusement, ceux qui défendent les peuples ne manifestent pas la même rigueur à utiliser le langage qui libère.

Système politique

Attention à ne pas expliquer les carences syriennes par une forme de dictature ou de Parti unique.

Aux États-Unis, n’a-t-on pas affaire, en réalité, à une forme de Parti unique, de genre bicéphale ? N’est-ce pas là une tromperie, une manipulation ? Est-ce seulement un hasard qu’aucun autre parti politique ne soit jamais parvenu à entrer en concurrence avec les partis « démocrate » et « républicain » ? En passant, combien savent que la Constitution états-unienne ne contient pas le mot « démocratie » ?

Considérons la Chine, le Vietnam, Cuba, la Corée du Nord. Ces pays sont ouvertement dirigés par un Parti unique, définis, de ce fait, par certains comme dictature. Toutefois, les éventuels agresseurs impérialistes savent, par expérience, que ces nations ne sont pas comestibles comme l’Irak, la Libye, le Soudain ou la Syrie.

Un des motifs, pas l’unique, de la force dissuasive des nations dirigées par un seul Parti est ce que j’ai constaté durant mon séjour en Chine et au Vietnam : un esprit patriotique authentique, stimulé et entretenu de manière continue, systématique dissuasif.

J’ai entendu des citoyens des diverses classes sociales critiquer fortement la politique de leurs autorités, mais, dans un domaine précis, ils sont unanimes : « Notre patrie est sacrée ! Pour sa défense, nos problèmes intérieurs, nos griefs contre nos dirigeants passent au second plan. Que l’on ne vienne pas nous dire : Oh ! Sachez que vos dirigeants sont des dictateurs, qu’ils évoquent un danger extérieur pour vous détourner d’une mauvaise gestion intérieure. Vous avez besoin de liberté, de démocratie, des droits de l’homme et de la femme !… Notre réponse est : Ce n’est pas à vous, étrangers, de nous dire quoi penser et comment agir en ce qui concerne notre patrie. Occupez-vous de votre pays, nous nous occupons du nôtre. Et nous avons constaté les effets de vos beaux slogans de méprisable renard sur trop de pays. »

Voilà comment j’ai vu neutralisée l’action propagandiste étrangère sur les peuples chinois et vietnamien. Bien entendu, leurs gouvernements utilisent également d’autres moyens pour protéger leurs populations de la propagande impérialiste ; ces autres moyens seraient insuffisants sans la stimulation adéquate de l’esprit patriotique.

Information, instruction, culture

Pour la défense de la patrie, comment les citoyens (le peuple) peuvent-ils constituer, de manière stratégique : 1) l’eau dans lequel nage leur armée et leurs services de renseignement ; 2) la base arrière efficace ? Pour le dire comme dans l’extrait cité : « se réveiller, soient conscients » ?

La réponse, banale, est fournie par l’histoire : ces citoyens, ce peuple doivent posséder l’information, l’instruction et la culture qui réveillent, fournissent la conscience.

L’agent qui l’assure doit, logiquement, aimer ces citoyens, ce peuple. S’il les craint, il leur fournira une information, une instruction et une culture qui, au contraire, les endorment, annihilent leur conscience.

Pour que cette éventualité soit exclue, il faut que l’agent réveilleur-conscientiseur soit en harmonie avec les réveillés-conscientisés, à leur service.

Comment le vérifier ? Examinez :

1) le système d’information étatique (et privé, éventuellement) des citoyens : fournit-il les éclaircissements nécessaires, dans la langue comprise par la majorité du peuple ?

2) le système éducatif : outre aux matières scientifiques, fournit-il celles dites humanistes, générales ?

3) le système culturel : fournit-il les valeurs adéquates ?

À quelles conditions information, instruction et culture stimulent-elles le réveil et la conscience populaires ?

En permettant au peuple l’accès à deux facilités :

1) Le temps : des travailleurs massacrés de boulot, où trouveraient-ils l’énergie pour se réveiller et prendre conscience ?

2) La liberté de penser : sans elle, que serait la créativité constructive ?

On objecterait : les conditions mentionnées ci-dessus n’existent pas dans les pays mentionnés, à fort esprit patriotique ; ce dernier semble compenser les deux conditions ci-dessus.

Peuple et dirigeants

Dans toute nation, le peuple est pour ses dirigeants la réserve stratégique, au sens technique du terme.

Si les dirigeants constituent une oligarchie dominatrice-exploiteuse, ils utilisent le peuple comme chair à canon en lui faisant croire qu’il défend les « valeurs » du pays : liberté, démocratie, droits de l’homme et de la femme, civilisation, etc. En réalité, l’oligarchie défend ses intérêts spécifiques. Elle y parvient par la mise en place d’un système d’information-instruction-culture qui conditionne le peuple à croire qu’il protège la patrie alors qu’en fait il défend les intérêts de la caste qui le manipule.

Si les dirigeants, au contraire, forment un groupe au service du peuple, les deux constituent un bloc uni en mesure de dissuader toute velléité d’agression étrangère alliée à une déstabilisation intérieure. Le bloc uni est réalisable quand le groupe dirigeant fournit au peuple un système d’information-instruction-culture, ou, du moins, un esprit patriotique qui lui donne les instruments cognitifs adéquats à la défense de la patrie contre toute agression.

1http://kadour-naimi.over-blog.com/2024/12/corruption-l-ennemi-public-numero-1-et-comment-le-neutraliser.html

3http://kadour-naimi.over-blog.com/2024/12/pourquoi-350-est-superieur-a-30.000-ideal-et-strategie.html

4 Lire « War is a Racket » (Le racket de la guerre) de Smedley Darlington Butler. L'un des militaires les plus décorés de l'histoire états-unienne, il dévoile comment les guerres servent principalement les intérêts financiers des grandes entreprises et des élites.

Publié in

https://www.algeriepatriotique.com/2025/01/24/pourquoi-le-peuple-danse-sur-sa-propre-tombe-le-cas-despece-syrien/

24 janvier 2025

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #EDUCATION-CULTURE, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 5 Janvier 2025

THÉÂTRE DE LA MER : CHARTE - Sept.1968

THÉÂTRE : BEAUTÉ VÉRITÉ BONTÉ

de

Kaddour Naïmi

Extrait de PARTIE 1. Comment, dans une société dictatoriale, un groupe de jeunes crée un théâtre libre, autogéré, de recherche expérimentale, populaire, avec succès national et international ?

*

THÉÂTRE DE LA MER : CHARTE

(publiée en septembre 1968)

 

Dans l'affrontement mondial décisif

qui oppose les forces progressistes

à toutes les forces anti-humaines,

toutes nos ressources doivent être mobilisées

au service du combat révolutionnaire.

 

HISTORIQUE

Le Théâtre de la Mer fonctionne pratiquement depuis le 20 août 1968. Cependant, la prospection en vue de nouveaux éléments continue.

Le T.M s'est constitué, malgré les énormes difficultés particulièrement financières qu'il connaît, pour pouvoir concrétiser une expérience théâtrale originale se plaçant complémentairement à l'action du du T.N.A [Théâtre National d'Alger]. Tout doit donc pousser à une étroite collaboration critique, franche et fraternelle entre l'organisme national et le théâtre de la mer.

Dans l'esprit de ses animateurs, le T.M sera une combinaison entre une école de formation et de recherches théâtrales et une compagnie professionnelle, présentant des réalisations théâtrales.

Conscients de la négativité d'un travail se déroulant à huis clos entre « SPÉCIALISTES », notre méthode présuppose et fera le nécessaire pour encourager quiconque à venir assister à notre travail avec droit complet d'intervention et de critique. Nos portes sont ouvertes en permanence à tous, avec les mêmes droits pour le « spécialiste » que pour le balayeur du coin.

En vue de ces résultats et en vue d'une émulation culturelle indispensable, seront organisés dans la mesure du possible des causeries, expositions, projections et week-end d'initiation théâtrale. Notre travail doit être le résultat de la participation du plus grand nombre pour s'adresser au plus grand nombre.

 

PRÉAMBULE

1) Se vouloir créateur, c'est se vouloir créateur révolutionnaire ; cela implique qu'avant de devenir créateur révolutionnaire, on se doit d’être révolutionnaire.

2) On n'est avant-garde sur le plan culturel que tant que notre action pratique se place à la pointe du combat culturel.

 

POURQUOI CRÉER ?

I. Tout acte humain étant un acte dans la société, l'acte théâtral est donc politique.

II. Se mobiliser, grâce au théâtre, à la lutte décisive pour sortir du sous-développement culturel, aspect de notre sous-développement général.

III. Engager le théâtre dans la bataille actuelle, sur la base militante anti-impérialiste, anti-colonialiste, anti néo-colonialiste, et pour contribuer à la formation d'une mentalité algérienne conforme à notre option socialiste.

Cette tentative viendra compléter l'action entreprise par le T.N.A. Et le T.N.O.A [Théâtre National de l'Ouest Algérien, situé à Oran] en particulier.

Favoriser la création d'une vie et d'une émulation culturelle sans laquelle il ne peut y avoir un progrès véritable.

Ainsi, notre action n'est pas simplement l'expression du désir d'un individu ou d'un groupe, mais répond à une nécessité historique actuelle.

 

POUR QUI CRÉER ?

Travailler pour les masses laborieuses, les fellahs, les ouvriers, les djounoud et les intellectuels révolutionnaires.

Pour cela, chacun de nos actes doit répondre aux questions :

- Ce que nous faisons est-il utile au peuple ?

- Ce que nous faisons fait-il avancer la Révolution ?

- Ce que nous faisons résulte-t-il d'une vision juste du monde et de la société ?

 

COMMENT CRÉER ?

Se convaincre de la règle : la culture révolutionnaire surgit de la pratique, et la révolution est la forme suprême de la pratique.

L'acte créateur ne peut réussir et voir le jour que quand certaines conditions se trouvent satisfaites au sein du groupe, conditions dont les principales se résument comme suit :

A/ Conditions générales :

I. Extirper et combattre l'esprit bureaucratique, institutionnaliste, le parasitisme, le favoritisme, ainsi que l'esprit démagogique. Ne rien entreprendre sans la consultation de tout le groupe.

II. Extirper et combattre l’égoïsme et toute forme d'oppression et de répression, et développer en soi l'amour du peuple, la fraternité dans le combat commun, l'esprit de sacrifice et de dévouement.

III. S'affranchir véritablement de la mentalité de colonisé.

IV. Former un esprit commun avec des intelligences multiples.

V. Édifier des rapports inter-personnels régis par l'importance de la conscience politique, l'étendue de la culture et la compétence artistique, cela dans un esprit de compréhension et de travail collectif.

VI. Acquérir et développer l'esprit scientifique, l'amour désintéressé du savoir et de la recherche, de la sensibilité artistique.

VII. Refuser l'esprit de la « Proletkultur » pour s'intégrer totalement, grâce à l'application du théâtre-guérilla, aux masses pour s'éduquer en leur sein et les éduquer, établissant ainsi un dialogue vivant, sincère et permanent avec la population.

B/ Principes artistiques

I. Être révolutionnaire dans la vie implique être révolutionnaire dans le théâtre, dans son contenu et dans sa forme.

II. Promouvoir une culture du réel, directe et socialiste.

III. Chaque acte artistique ne peut être entrepris que s'il sort vainqueur de la critique et de la remise en question scientifique. Chaque acte artistique doit répondre à la question : pourquoi comme ceci et non pas comme cela ?

IV. Être conscient que plus le niveau artistique est haut, plus l'impact politique est profond.

V. Entreprendre la création d'un théâtre qui ne peut être qu'expérimental, en vue de la recherche d'un art tirant sa matière première et présentant un contenu et une forme issus des réalités socio-historiques nationales.

VI. Complètement résolus à ce que les points énoncés ci-dessus ne demeurent pas simple phraséologie trompeuse, mais reçoivent une APPLICATION PRATIQUE fidèle, TOUTES NOS FORCES PHYSIQUES ET INTELLECTUELLES SERONT MOBILISÉES AVEC L'ESPOIR DE RÉUSSIR.

Claire-fontaine (Oran), septembre 1968.

 

Pour

Rencontre – Débat, Vente – Dédicace, Réception du livre

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Éditions Dar al Quods al Arabi

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Rédigé par Kadour Naimi

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Publié le 31 Décembre 2024

Pourquoi 350 est supérieur à 30.000 ? Idéal  et  stratégie

« A horse ! A horse ! My kingdom for a horse ! »

Richard III, Shakespeare

Vérité, où es-tu ?

Ce roi demanda l’échange de son royaume contre un cheval, pour fuir la défaite lors d’une bataille. Comment en est-il arrivé à cet échec ?… Lisez la pièce : elle montre le degré de cynisme avec lequel ce despote réduisait les autres à des laquais manipulés à sa guise. Il jouait sur leur obsession de richesse, de poste honorifique, de gloire. Avec quoi ?… L’arme de destruction massive des personnes et des nations : la corruption1.

Le sort de ce monarque m’est revenu à esprit en lisant une information, donnée par Alexander Mercouris, analyste international compétent : la ville d’Alep fut conquise par 350 (trois cents cinquante) attaquants contre 30.000 (trente mille) défenseurs de l’armée gouvernementale.

Comment un tel exploit eut-il lieu ?

Dans sa première déclaration, après sa fuite de Syrie, l’ex-Président Bachar Al Assad écrit2 :

« À ce moment charnière de l’histoire de notre nation, où la vérité doit être rétablie, il est nécessaire d’apporter des éclaircissements dans cette brève déclaration. (…) il est apparu clairement que nos forces s’étaient entièrement retirées des lignes de combat et que les dernières positions de l’armée étaient tombées. (…) À aucun moment, je n’ai cherché à occuper des fonctions pour un profit personnel. Je me suis toujours considéré comme le gardien d’un projet national qui tirait sa force de la foi du peuple syrien, convaincu de sa vision. J’ai toujours cru fermement en leur volonté et leur capacité à protéger l’État, à défendre ses institutions et à honorer leurs choix jusqu’à la dernière minute. »

Dans ces extraits et dans toute la déclaration, une vérité, des éclaircissements manquent : pour quels motifs 1) les forces armées se sont retirées ? 2) la « volonté » et la « capacité » du peuple n’ont pas protégé l’État ?

Des analystes avouèrent leur stupéfaction devant la victoire des assaillants.

On l’expliqua par les soutiens divers : États-Unis, Israël, Turquie, ainsi que par l’embargo qui avait affaibli tous les secteurs sociaux.

D’accord. Cependant, il s’agit là de facteurs externes. On sait, ou devrait savoir, qu’ils échouent là où la situation interne est solide : autrement dit un peuple et une armée réellement convaincus et capables de neutraliser toute forme d’agression interne, soutenue par des éléments externes.

L’ex-Président syrien ne devait-il pas, donc, avouer la vérité et les éclaircissements sur le peuple et l’armée défaits ? Sa déclaration ne reflète-t-elle pas, à son insu, son ignorance ou son occultation de la vérité ? Et n’est-ce pas cette vérité qui explique la chute très rapide de son État ?

Rappelons la guerre de libération nationale algérienne et celle vietnamienne d’abord contre le colonialisme français puis l’impérialisme états-unien. Dans les deux cas, des éléments autochtones, contre leurs propres peuples, servaient les dominateurs étrangers. Pourtant, les peuples et les armées algériens et vietnamiens sortirent vainqueurs des conflits.

On peut également rappeler l’agression de mercenaires, soutenus par l’armée U.S. et la CIA, contre Cuba sur la baie des cochons. Là, aussi, l’armée et le peuple cubains furent vainqueurs. Encore ceci : malgré l’embargo général des États-Unis contre Cuba, l’armée impérialiste et ses mercenaires n’osent pas agresser l’île. L’oligarchie U.S. sait qu’elle devrait affronter une armée et un peuple qui, malgré toutes leurs difficultés, sont convaincus de leur principe « Patria o muerte ! »

Alors, pourquoi, en Syrie, à Alep, 350 rebelles ont vaincu 30.000 soldats de l’armée régulière syrienne, qui ont fui le champ de bataille ? Ensuite, pourquoi l’armée syrienne toute entière s’est évaporée sans combattre ?

Sun Tzu écrivit : « La meilleure victoire est celle que l'on obtient sans combat3. » Surtout, dirait Shakespeare, quand, dans le royaume ou la république, quelque chose est pourri.

Alors, question : le motif de la chute du régime de Assad n’a-t-elle pas eu, comme cause première et fondamentale, une pourriture-corruption du système, malgré certains de ses aspects positif, comme la laïcité et un relatif soutien au Front du Refus anti-sioniste?

L’idéal !

N’est-il pas l’élément décisif, dans la guerre comme dans les autres domaines ?

Les peuples vietnamien, algérien étaient nettement inférieurs dans le domaine matériel face aux machines de guerre française et états-unienne. Pourtant, ces dernières furent vaincues. Mao Tsé Toung explique : « Les armes sont importantes, mais plus importants encore sont les hommes qui les utilisent. »

Je me rappelle un documentaire vietnamien, vu dans ma jeunesse. Aux abords d’une rizière, un soldat Viet-Minh enseignait à une paysanne comment utiliser un simple fusil pour abattre un hélicoptère U.S.

Ce qui manqua à l’armée et au peuple syrien, c’est l’idéal : vaincre ou mourir, mieux encore : vaincre pour ne pas mourir.

Dernièrement, une vidéo montrait quelques combattants de HTS (Harakat Tahrir A Cham) sur une route. L’un d’eux déclara, et il semblait sincère : « Nous ne sommes que de pauvres gens. Nous combattons au nom de Dieu Tout Puissant ! ».

Certes, les dirigeants de cette organisation proviennent, en majorité, de couches sociales aisées. Mais, les combattants de base, la chair à canon, viennent des strates démunies, en majorité sinon tous. Comme dans tous les conflits, partout et toujours.

À un être humain, dépourvu des conditions matérielles minimum de vie, sans instruction correcte, fournissez un idéal, qu’il soit authentique ou fallacieux ; généralement, il l’adoptera parfois jusqu’à le défendre au risque de mourir ou de tuer.

Stratégie

L’idéal sans stratégie correcte demeure insuffisant.

Les meilleurs acteurs et théoriciens de l’exemplaire Commune de Paris de 1871 expliquèrent la défaite par deux motifs : le manque d’organisation et la carence de personnes instruites pour encadrer le peuple.

En Bolivie, Che Guevarra et ses guérilleros, malgré leur idéal indiscutable, furent vaincus. La stratégie du « foco » (foyer) révolutionnaire ne fonctionna pas : ils lui manquaient une mobilisation suffisante du peuple et une stratégie militaire adéquate.

« Le révolutionnaire est comme le poisson dans l'eau. » (Mao Tsé Toung) Il en est de même du militaire, quand il est l’émanation de son peuple : ce dernier est son eau.

 

Réciprocité

« Les impérialistes sont de mauvais élèves » (général Giap) : à long terme, leurs agressions se révèlent des défaites.

Les dictateurs, eux aussi, sont de mauvais élèves. En fin de compte, ils fuient leur pays en ruine (en s’assurant une vie dorée ailleurs), meurent en le laissant économiquement en panne, sont assassinés par des opposants.

L’efficacité de l’arme (du matériel, d’une armée) dépend de l’idée (idéal) qui l’anime. Cet idéal dépend de la qualité du lien entre cette armée et son peuple. Ces deux dépendent de la stratégie conçue et pratiquée pour créer une nation capable de neutraliser toute opposition intérieure complice d’une force étrangère, quelle que soit leur puissance matérielle.

Dès lors, s’il est nécessaire d’accorder toute l’attention aux potentiels agresseurs, accordons la même attention à ce qui, dans la nation, facilite leur objectif. L’histoire enseigne : les données internes déterminent la capacité de nuisance de l’élément externe. Et Sun Tzu observa : connaître les faiblesses de l’adversaire ne suffit pas, il faut tout autant connaître nos propres faiblesses, et y remédier. Soyons de bons élèves : ne justifions pas nos défaites par les forces de l’adversaire, mais par nos carences. Ayons l’honnêteté et le courage de déceler et d’admettre la vérité : si elle est amère, trouvons comment la rendre douce. Comment ?… Idéal et stratégie.

1 http://kadour-naimi.over-blog.com/2024/12/corruption-l-ennemi-public-numero-1-et-comment-le-neutraliser.html

3L'Art de la guerre, chapitre 3 : L'attaque par la stratégie.

*

28 décembre 2024

 

https://www.algeriepatriotique.com/2024/12/28/pourquoi-350-est-superieur-a-30-000/

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #EDUCATION-CULTURE, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 19 Décembre 2024

Corruption : l’ennemi public numéro 1  et comment le neutraliser

Les analyses des événements en Syrie évoquent la corruption comme l’une des causes de la chute du système politique précédent ; ces analyses semblent, à mon avis, ne pas accorder à la corruption son importance stratégique comme motif explicatif.

Importance de la corruption

Dans un panier, un fruit pourri gâche les autres ; sur un arbre, des vers pourrissent un fruit jusqu’à sa chute par terre.

Pour dominer un peuple, la première méthode consiste à corrompre ses élites dirigeantes. Ensuite, la corruption s’étend aux différentes couches de la société, des plus influentes (économique, militaire) à celle qui façonne l’opinion citoyenne (la culture).

La corruption peut commencer par le bas de la pyramide sociale : le peuple, soumis à une existence matérielle trop difficile, recourt aux moyens les plus illicites pour survivre, dont la corruption.

La corruption peut naître par la courroie de transmission entre les dirigeants étatiques et le peuple, pour une amélioration des conditions matérielles, par exemple juge, policier, douanier, soldat, employé, enseignant, jusqu’au simple portier d’un immeuble.

La corruption peut commencer par le haut de la pyramide sociale. Les dirigeants du pays succombent au désir d’enrichissement pour jouir de villas, de véhicules, de compte bancaire à l’intérieur ou/et à l’étranger.

Dès lors, la nation, dans ses divers domaines, dévorée par la corruption, devient une proie facile à ses ennemis internes ou/et externes.

Quelques rappels historiques

De l’antiquité à aujourd’hui, le problème est identique : pour dominer un peuple et sa nation, par des agents autochtones (dictature) ou/et étrangers (impérialisme), il faut corrompre.

Un étranger, venu dans l’antique Sparte et ne voyant pas de muraille, s’inquiéta auprès du chef de la cité. Ce dernier lui montra les paysans au travail dans les champs : « Voici notre muraille ». Les citoyens étaient tous dotés d’une formation militaire adéquate et d’une idéologie conséquente.

Vous étonnerez-vous, par exemple, de voir les manifestations de liesse de Syriens, après la chute du système politique des Assad ?… Les dirigeants de cette nation n’ont pas voulu constituer leur peuple en muraille capable de résister aux agressions, interne ou/et externe. Je dis « voulu », car un peuple-muraille signifie lui donner la capacité culturelle de savoir défendre sa patrie contre deux dangers : 1) une dictature interne, 2) une agression étrangère.

La Muraille de Chine fut construite pour protéger le pays des invasions. Informations données par Chat-GPT :

« Corruption et trahisons

L'idée que des gardiens de la Muraille de Chine aient été corrompus par les Mongols fait référence à des événements spécifiques où des officiers ou des fonctionnaires locaux, ou même des membres de l'élite, ont trahi leurs propres dirigeants pour s'allier avec les envahisseurs. Par exemple, dans le cadre de la dynastie Jin, certains officiers ou seigneurs locaux ont ouvert les portes ou facilité l'accès des Mongols en raison de leurs alliances secrètes, de leur insatisfaction envers leur propre gouvernement ou, dans certains cas, de pots-de-vin.

Les Mongols, en tant que conquérants, étaient également très habiles à exploiter les divisions internes entre les peuples qu'ils attaquaient. Ils ont souvent promis des récompenses, des postes de pouvoir ou des terres à ceux qui se ralliaient à leur cause. Cela a conduit à plusieurs trahisons, y compris parmi les gardiens des fortifications de la Muraille de Chine, bien que les sources historiques sur cet aspect soient parfois floues.

Ce qui est certain, c'est que la stratégie des Mongols a été aussi psychologique que militaire, exploitant à la fois la corruption, la division interne et les faiblesses des dynasties chinoises pour parvenir à leurs fins. »

Comment l’Empire romain a conquis d’autres nations ?… Par la corruption de leurs dirigeants. Durant la guerre contre l’impérialisme romain menée par Jugurtha, quel aspect inquiéta le plus l’oligarchie romaine ?… Non pas les victoires militaires du chef numide, mais un autre fait : il utilisait la même arme que les Romains, à savoir corrompre par l’argent des représentants de l’oligarchie romaine.

Quel motif déterminant explique la chute du système « soviétique » ?… Si l’on prend la peine de connaître l’histoire réelle, et non pas la propagande, on découvre ce motif dans les toutes premières années de l’installation de ce système :

« Il avait rudement raison, ce paysan qui déclara au VIIIe Congrès des Soviets :

« Tout va très bien... Seulement, si la terre est à nous, le pain est à vous ; l’eau est à nous, mais le poisson est à vous ; les forêts sont à nous, mais le bois est à vous..."

A part ça, le travailleur ne doit pas s’en faire1. »

Autrement dit, après le Révolution d’Octobre, très vite, une caste privilégiée se constitua et imposa sa domination, camouflée en « dictature du prolétariat ». Le pourrissement de la « pomme » se concrétisa en soixante-dix ans (19212-1991).

Durant l’agression militaire états-unienne contre l’Irak, Scott Ritter, analyste en géo-stratégie, déclara : quatre-vingt généraux de l’armée irakienne, complices de l’armée U.S., furent emmenés aux États-Unis.

En 2024, l’AIPAC, organisme états-unien lobby sioniste, affirma avoir acheté environ 65 % des Représentants du Congrès U.S. Face à eux, que peut faire le Président élu du pays, Trump ?

À propos de la chute de la Syrie, que sont devenus les dirigeants de l’armée ?

Comment opère les agences, clandestines ou déclarées type ONG, d’une oligarchie impérialiste actuelle pour recruter des représentants des élites d’une nation, puis changer le système politique en faveur des intérêts de cette oligarchie étrangère ?… Par des pots de vin, l’octroi de bourses, la formation de « Young Leaders », le financement plus ou moins occulte d’activités dans tous les domaines, notamment culturel (Centres, Instituts, etc.), la publication des « œuvres » et la diffusion des déclarations largement médiatisées d’« influenceurs ».

L’argent, utilisé pour enrichir les éléments corrompus d’une nation, est le moyen de soumission. Tous les autres domaines suivent : économie, militaire, culturel.

Agent corrupteur et agent corrompu

À l’intérieur d’une nation, l’oligarchie dictatoriale crée une caste opportuniste, assoiffée d’enrichissement, pour encadrer le peuple et vivre à son détriment.

À l’échelle internationale, l’oligarchie impérialiste crée une oligarchie autochtone à son service : les deux vivent de l’exploitation des richesses naturelles de la nation vassale.

Si l’argent se révèle insuffisant comme moyen de soumission, il est complété par l’exercice de la violence. Elle s’exerce par la dictature autochtone ou/et par l’agression militaire étrangère. Cette violence est d’autant plus efficace que le degré de corruption dans la société est grave.

L’argent permet de constituer des armées mercenaires, capables de renverser des régimes politiques corrompus ; et le manque d’argent fragilise les armées jusqu’à les rendre inefficaces face à une agression militaire interne ou/et externe3. L’argent est le nerf de la guerre, et de la force ou de la faiblesse d’une nation.

Solution

Une nation indépendante, un peuple souverain doivent, en premier lieu, éliminer toute forme de corruption parmi leurs représentants, dans tous les domaines.

Pour qu’une nation soit victorieusement résistante à une agression étrangère, il faut que cette nation le soit à ses contradictions internes. Pour l’être, il faut que son peuple soit informé et conscient des enjeux. Pour qu’il le soit, il faut un rapport non de peur, de méfiance et d’hostilité, mais de confiance et de coopération entre dirigeants et dirigés, dans tous les secteurs de l’activité sociale.

Cette excellence de situation d’une nation n’est pas facile à réaliser : les corrompus existent dans toute société. Plus grave encore : ils pratiquent l’art de se présenter comme les meilleurs défenseurs de la nation et du peuple, d’où la difficulté de repérer leurs méfaits.

Comment découvrir ces derniers, pour les neutraliser ?

Tout représentant ou défenseur de la nation et du peuple, qui agit dans le domaine social, doit rendre public son compte bancaire et ses biens matériels. Ces informations doivent être connues avant l’entrée en fonction et à la fin de celle-ci : cela permet de vérifier si, durant l’activité publique, la personne n’en a pas profité pour s’enrichir illégalement.

Un organisme national de contrôle, constitué en réseau dans tout le pays, vérifie la conformité des déclarations de ces représentants. Cet organisme fonctionne correctement à une condition : que les dirigeants étatiques le permettent ; et, pour qu’il en soit ainsi, elles doivent défendre réellement les intérêts de leur peuple.

Est-ce là une proposition utopique ?… Des indices de Perception de la Corruption dans les diverses nations existent. Il servent d’indicateurs aux investisseurs et aux… corrupteurs. Il est donc possible de réduire la corruption à un minimum qui met hors de danger le fonctionnement correct d’une nation.

Accuser les corrupteurs d’asservir des corrompus, c’est reprocher à un serpent d’émettre son poison, à un virus d’envahir le corps : stupide et inutile. L’attitude correcte est de veiller à ce que le serpent n’utilise pas son venin, que le virus n’envahisse pas le corps. Le venin ou le virus, dans une société, sont les individus dépourvus de dignité humaine : ils se vendent au plus offrant et accomplissent ses ordres les plus abominables, en se présentant comme les personnes les plus bienfaitrices. Prévenir vaut mieux que guérir.

1 Voline : La révolution inconnue Russie 1917 – 1921.

2 Si on considère non pas 1917, date du renversement du régime tsariste, mais 1921 : date de l’écrasement militaire par les Bolcheviks du Soviet de Kronstadt et des Soviets d’Ukraine.

3On a dit que, juste avant l’attaque victorieuse contre le gouvernement Assad, le soldat syrien recevait une solde mensuelle de 15 dollars alors que pour nourrir sa famille il devrait disposer au moins de 200 dollars.

*

Publié 16 décembre in

https://www.algeriepatriotique.com/2024/12/16/corruption-comment-neutraliser-cet-ennemi-public-numero-un/

https://reseauinternational.net/corruption-lennemi-public-numero-1-et-comment-le-neutraliser/

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION, #EDUCATION-CULTURE, #PEUPLE-DEMOCRATIE

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Publié le 12 Décembre 2024

De la guerre de libération culturelle

« Si nous venons à mourir, défendez notre mémoire. »

Didouche Mourad

Comment est-on arrivé là ?... Une paire de misérables éthiquement, et médiocres littérairement1 néo-harkis mobilisent tant d’énergie d’Algériens et de sympathisants du peuple algérien pour dénoncer des calomnies.

Rappel d’une métaphore, lue durant mon adolescence. Auteur : Mao Tsé Toung. Si un poing frappe une tomate, qui se brise ?… La tomate. Si le même poing frappe un caillou, qui se brise ?… Le poing. Autrement dit : les contradictions internes priment sur les contradictions externes (encore Mao). Conclusion : l’action externe (de l’adversaire) a d’autant plus d’impact que la contradiction interne2 est grave.

Cette introduction, pour dire quoi ?… Répondre à des calomnies est nécessaire, mais pas suffisant : il reste à trouver des solutions aux problèmes qui ont permis les calomnies. Remercions les ennemis pour avoir attiré l’attention sur nos carences3.

Guerre de libération nationale

Nous voici brusquement réveillés à défendre l’épopée libératrice, parce que deux, seulement deux chiens de garde l’ont diffamée : pour eux, les combattants de la libération nationale sont des nazis, des lâches, des profiteurs, des menteurs, des terroristes, etc. Comment peut-on oser ces calomnies ?

Après un séjour prolongé au Vietnam et en Chine, de retour en Algérie, je suis resté stupéfait par la carence des témoignages sur l’épopée libératrice nationale. Comme toutes les épopées, elle eut ses aspects admirables et d’autres pénibles. Toutefois, s’il est difficile d’évoquer ces derniers, il est d’importance vitale de rappeler les premiers.

Dans les deux pays asiatiques visités, les autorités célèbrent et honorent leurs libérations de l’impérialisme de toutes les manières possibles, partout, en tout temps, dans toutes les couches de la population4.

En comparaison, en Algérie, célébrations et commémorations sont insuffisantes : combien de musées de la mémoire dans les villes, dans les villages, sur les champs de bataille eux-mêmes ? Combien de documentaires et témoignages de survivants ou de leurs enfants dans les émissions télévisées ? Combien de films, de documentaires et de séries, de pièces de théâtre, bien réalisés, de romans et d’essais bien écrits ? Combien d’écoliers, de lycéens, d’étudiants sont emmenés pour visiter les musées concernant cette période, à recevoir dans leurs établissements des témoins ?

Ces carences vont, parfois, jusqu’au ridicule : allez voir, à Oran, les statues de moudjahidines sur la place de Mdin Jdida et celle au rond-point près du lycée Lotfi.

Les carences sont telles que les néo-harkis peuvent mettre en question la dignité de la guerre libératrice, et des jeunes, nés après l’indépendance, regrettent les « bienfaits » de la France, estiment qu’« avant, c’était mieux » : ils avancent comme preuve le nombre d’Algériens émigrés en France où rêvant d’y aller, les enfants de privilégiés qui étudient puis restent en France.

Quelle réaction est la meilleure, la plus efficace ?… Se contenter de répondre que ces critiques sont des calomnies, ou se dépêcher à éliminer les carences jusqu’à rendre les calomnies insignifiantes ?

Bien entendu, les impérialistes vaincus, leurs idéologues et les néo-harkis persiflent : « Vous êtes revanchards ! Oubliez le passé ! » Pire : ils se servent de la décennie noire pour occulter, déprécier non seulement la guerre de libération nationale, mais proclamer les « bienfaits de l’époque coloniale », la « fainéantise des indigènes », les colons plus compétents à cultiver et aimer la terre algérienne.

Imaginons deux prétendus ou vrais écrivains français. L’Allemagne leur octroie la citoyenneté allemande, puis, de ce pays, les deux individus vanteraient les « bienfaits de l’occupation nazie en France », la « fainéantise des indigènes français » lors de leur défaite face à l’armée allemande, le « terrorisme » des résistants français, écrire un roman sur un Allemand nazi qui a rejoint la résistance française pour insinuer que cette dernière pratiquait une idéologie nazie, dénoncer « l’obscurantisme de la religion catholique » française face aux « lumières » du protestantisme allemand. Quel traitement les Français patriotes réserveraient aux auteurs de ces allégations ? Robert Brasillach, cela vous quelque chose ?

Question : l’outrage à l’histoire algérienne et à son peuple, par deux néo-harkis devenus français par condescendance de sa Majesté Macron, cet outrage ne trouve-t-il pas sa source dans notre carence à maintenir vivace le prix consenti par le peuple algérien pour se débarrasser des criminels du passé ? Par conséquent, outre à dénoncer les « contrebandiers de l’histoire », selon la juste expression de Rachid Boudjedra, au-delà des paroles défensives, il reste à passer à l’offensive : trouver comment raviver l’esprit patriotique en Algérie.

Drame migratoire

Les ennemis du peuple algérien ont beau jeu de dénoncer nos compatriotes qui vivent en France et ceux qui rêvent d’y aller, du jeune chômeur le plus démuni jusqu’au docteur en ceci ou cela, jusqu’au harraga qui préfère risquer la noyade. Dans le quartier populaire où je vis, j’ai entendu un gamin de dix ans me déclarer : « Dès que je ramasserai l’argent nécessaire, al harga ! »

En 1972, je signalais déjà cette tragédie5. Le Vietnam, l’indépendance acquise, mit fin à l’émigration de ses travailleurs ; Cuba, après la victoire patriotique, opéra de même. Et ces deux pays ne possèdent ni pétrole ni gaz.

Pourquoi, en Algérie, dotée de ces deux matières premières, l’émigration non seulement persiste, mais s’aggrave ? Certes, des Algériens retournent au pays pour contribuer à son développement ; leur nombre est insuffisant.

L’oligarchie française, ses chiens de garde et ses néo-harkis n’ont-ils pas beau jeu de soulever ce problème ?… Et s’il est correct de leur rétorquer les 132 années de colonialisme, est-ce suffisant, après 60 ans d’indépendance ? Ne faut-il pas étudier au plus vite et au mieux comment mettre fin à l’hémorragie migratoire des Algériens, et intéresser ceux de la diaspora à revenir pour contribuer au développement du pays ?

Régression culturelle

Réelle et affligeante en Algérie, elle permet aux néo-harkis de proférer leurs calomnies. S’ils étaient réellement, comme ils le prétendent, des amis du peuple algérien, ils proposeraient des solutions.

L’un des motifs de ce fléau est dans la préférence donnée par trop de responsables à la médiocrité. Elle privilégie l’obéissance de béni-oui-oui, et exclut la compétence ; celle-ci, basée sur l’honnêteté, agit uniquement selon des critères objectifs performants. Pour parler uniquement dans mon secteur de compétence, - théâtre, cinéma, littérature, critique dans ces domaines -, je suis effaré par la futilité, d’autant plus futile qu’elle est arrogante6 : les ignorants applaudissent le charlatan, haïssent celui qui invite à reconnaître les carences et à s’efforcer de les combler.

Qu’a-t-on fait et que fait-on, réellement, pour redonner à la vie culturelle algérienne les conditions de son renouveau, de son dynamisme, de sa valeur nationale et internationale ?… Certes, les locaux existent, le financement de même : où est la substance humaine ?

Si elle n’existe pas, comment l’expliquer après 62 ans d’indépendance ? Si elle existe, pour quel motif ne pas la solliciter ? Un peuple sans culture adéquate peut-il résister aux agressions culturelles, prémisses à celles militaires ?

Économie et espace public

S’il est vrai que les autorités étatiques montrent un effort réel dans ces deux domaines, le succès stratégique sera réalisé seulement quand le pays ne dépendra plus de ses matières premières, concrétisera une auto-suffisance dans tous les domaines, et assurera un espace public digne de ce nom.

Ne pas se tromper

Les Algériens ou d’origine algérienne, comment savoir si leur prétention à aimer et défendre le peuple algérien est sincère ?… Très simple : au lieu d’insulter ce peuple en invoquant ses carences, ils proposeraient des solutions ; elles prouveraient leur respect de ce peuple et leur honnête collaboration à son progrès dans tous les domaines.

L’adversaire du peuple algérien n’est pas le peuple français : l’oligarchie de France manipule, exploite et opprime celui-ci comme elle veut réduire celui-là au même traitement. Rappels historiques significatifs :

- 1848 : après la révolution de février qui renversa le roi Louis-Philippe, des mouvements populaires éclatèrent à la fois en Algérie et en France. Cavaignac, général de l'armée française, réprima en Algérie les révoltes d'indigènes, puis retourna à Paris où, nommé ministre de la Guerre, il dirigea l'armée qui massacra l’insurrection ouvrière. Cavaignac devint un héros national.

- 1870-1871 : l’armée massacra, à Paris, des milliers de prolétaires de la Commune, et, en Algérie, les indépendantistes autochtones. Des survivants se retrouvèrent ensemble au bagne en Calédonie.

Après cela, peut-on s’étonner que les deux néo-harkis dont je parle fassent partie de la tendance fasciste-sioniste en France ? Leur haine du peuple algérien ne révèle-t-elle pas une haine identique pour le peuple français ?

Veillons à la solidarité entre les peuples. Leur opposition ne profite qu’aux oligarchies. Utilisons les mots adéquats : ils sont des armes clarificatrices. L’ennemi du peuple algérien n’est pas « la France », c’est l’oligarchie qui le domine, elle-même soumise aux oligarchies états-unienne et colonialiste sioniste.

Une oligarchie étrangère peut-elle aider un peuple en difficulté ?… Ah, oui : lui « porter la démocratie », la « libération de ses femmes opprimées », les « droits de l’homme », le « libérer de l’obscurantisme ». Comme en Afghanistan, en Irak, en Libye ? Auparavant, au Vietnam, en Chine, en Algérie, en Afrique, etc. ? Aujourd’hui, en Syrie, au Liban ?

Il faut être un fieffé mercenaire pour utiliser ces arguments de propagande, ou un crétin total pour croire à leur efficacité. À moins de maintenir un peuple dans l’ignorance ou l’insuffisante connaissance de son passé de résistance, de favoriser une « élite » autochtone médiocre, parce que opportuniste, au détriment des authentiques intellectuels.

Des paroles aux actes

La guerre des opinions, dite cognitive, - je l’appelle culturelle, même si le terme semble démodé -, ne se gagne pas uniquement avec les paroles, mais, tout autant et d’abord, par les actes concrets pour combler les lacunes.

Pourquoi les Vietnamiens n’ont pas leurs néo-harkis en France ou aux États-Unis, et les Chinois, pas au Japon ? S’ils existent, leur influence est tellement dérisoire qu’elle n’oblige pas à des réponses. Informez-vous de la manière dont les dirigeants vietnamiens et chinois entretiennent la mémoire de leur épopée, ont mis fin à l’émigration de leurs concitoyens, ont donné vie à leur activité culturelle, et vous aurez des exemples d’inspiration pour l’Algérie.

Qui objecterait : Nous n’avons pas à nous inspirer d’autres expériences. Réponse : les initiateurs de la guerre de libération algérienne ne se sont-ils pas inspirés de celle vietnamienne ? Et, d’une manière générale, n’a-t-on pas le principe « Apprends la science, même si de la Chine » ? Tous les peuples progressent en s’inspirant correctement les uns des autres.

À qui sait voir et comprendre, tous les indices montrent des faits : 1) l’oligarchie française veut effacer son humiliation politico-militaire coloniale par une revanche ; 2) l’oligarchie coloniale israélienne veut se débarrasser d’une Algérie partisane intransigeante du peuple palestinien ; 3) une partie de l’oligarchie états-unienne soutient le projet israélien ; 4) l’oligarchie marocaine, néo-colonisée, voudrait éliminer une république algérienne indépendante, soutien de l’auto-détermination du peuple sahraoui. Toutes ces oligarchies trouvent leur intérêt à réduire l’Algérie à un Liban déchiré, une Libye démembrée ou un génocide à Gaza. Fragmenter les pays, opposer leurs ethnies respectives, financer une cinquième colonne (néo-harkis), calomnier pour créer des conflits entre peuples voisins7. Contester ce fait procède d’une ignorance ou d’une manipulation.

Les combattants de la guerre de libération nationale arrachèrent l’indépendance. Aux générations suivantes de la mériter : d’abord, en trouvant les solutions convenables à toutes les carences qui permettent aux ennemis du peuple algérien d’agir.

Le plus vite serait le mieux : la guerre des opinions contre l’Algérie prépare celle des bombardements pour la reconquérir. Pas nécessaire d’être spécialiste en stratégie ou de lire dans une mare de café pour le savoir : il suffit de consacrer le temps à connaître les faits sur les médias encore libres.

Les premières déclarations des nouveaux ministres algériens, en particulier de la Communication et de la Culture, permettent d’espérer que les intentions soient validées par les actes. Le peuple algérien a vaincu l’oligarchie française par la conquête de son indépendance politique ; il lui reste à la vaincre sur le plan culturel. Larbi Ben Mhidi remarqua, en substance : si la guerre de libération nationale est difficile, la construction qui nous attend après est encore plus difficile.

Il est vital d’empêcher que la peste répandue par les deux néo-harkis prolifère (8), soutenue par une rémunération et une médiatisation adéquates par des oligarchies dont il faut estimer correctement la dangerosité. Comment ?… Appliquer à l’application réelle de la devise : « Par le peuple et pour le peuple ». Si l’on prétend qu’il est incapable de cette gestion, la mission urgente ne consiste-t-elle pas à l’y former ? Comment, sinon par la culture ? Par qui, sinon par des personnes éthiquement honnêtes, professionnellement compétentes ?

2 Ahmed Bensaada parle d’ « anfractuosité » et de guerre « cognitive ».

5Elle causa la rupture de ma collaboration avec Kateb Yacine lors de la réalisation collective de « Mohamed, prends ta valise ! » : voir mon mon livre « THÉÂTRE : BEAUTÉ VÉRITÉ BONTÉ ».

7Seuls les naïfs croiront que Boualem Sansal, en parlant de villes de l’ouest algérien, ignorait l’histoire. En fait, il la connaît, mais sa déclaration visait à attiser les hostilités entre les peuples marocain et algérien. Méthode pratiquée par Joseph Goebbels : plus le mensonge est gros, plus il a des chances d’être cru.

*

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10 décembre 2024

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #EDUCATION-CULTURE

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Publié le 29 Novembre 2024

Du talent littéraire dans « Houris » de Kamal Daoud

De la plus grande à la moindre maison d’édition, dans le monde entier, la première page d’un texte annonce sa valeur, à moins que le critère de décision soit autre que littéraire.

À propos des critiques sur « Houris » de K. Daoud, je n’ai pas lu d’analyse, citations à l’appui, sur la qualité littéraire du texte, d’où mes observations : je me contente de la première page du roman, pour le motif déjà signalé. Les italiques sont les miennes.

Texte

« La nuit du 16 juin 2018, à Oran.

Le vois-tu ?

« Je montre un grand sourire ininterrompu et je suis muette, ou presque. Pour me comprendre, on se penche vers moi très près comme pour partager un secret ou une nuit complice. Il faut s’habituer à mon souffle qui semble toujours être le dernier, à ma présence gênante au début. S’accrocher à mes yeux à la couleur rare, or et vert, comme le paradis. Tu vas presque croire, dans ton ignorance, qu’un homme invisible m’étouffe avec un foulard, mais tu ne dois pas paniquer. Dans la lumière, j’apparais comme une femme de taille élancée, exténuée, à peine vivante, et mon immense sourire figé ajoute au malaise de ceux qui me croisent. Ce sourire, illimité, large, presque dix-sept centimètres, n’a pas bougé depuis plus de vingt ans. Il est un peu plus bas que le bas de mon visage et étire mes mots, mes phrases. Parfois, je le cache avec un foulard coloré ; le tissu, je le choisis toujours onéreux et rare. Je relève mes cols.

« Parlons, puisque l’occasion est inédite. Car, oui, tu es l’événement que je n’ai jamais imaginé. Il m’arrive du ciel, sur la tête, avec la précision d’une météorite sur le crâne d’un prophète affligé. Bavardons, sans nous arrêter. Si je me retiens, je devrai t’ôter la vie sans cérémonie, crûment, presque dans l’insouciance, comme un boucher qui bâillerait sur la carcasse »…

Examen

La langue française évite au maximum les répétitions, à moins de clarification sémantique ou de musicalité poétique. Dans le texte, ces deux conditions existent-elles ?

« Je montre un grand sourire ininterrompu et je suis muette, ou presque. »

De quel sourire s’agit-il, en fait ?… Une longue cicatrice au cou, résultat d’une tentative d’égorgement. Question : une femme réelle, victime de ce crime, parlerait-elle de sa blessure comme « sourire » ?

L’insistance répétitive sur le « sourire » (trois fois) de la part du personnage (de l’auteur), comment l’interpréter ? Est-ce là une obsession du personnage qui parle, ou de l’auteur qui lui prête ce mot ?

Quand à l’auteur du roman, sa métaphore n’est-elle pas incongrue ? Révèle-t-elle une compréhension emphatique du personnage (et du prototype réel) ou un sadique mépris pour elle ?… Il est vrai qu’un tueur, qui a mal tranché une gorge, aurait l’impudence de la comparer à un « sourire ». Mais si un auteur de roman, - dont le personnage incarné n’est pas ce tueur, mais la victime de son crime -, compare une cicatrice de tueur à un sourire, que penser de la nature de son imagination, de son psychisme ? Notamment, après sa condamnation par un tribunal pour violence contre son ex-épouse1.

*

« Ce sourire, illimité, large, presque dix-sept centimètres, n’a pas bougé depuis plus de vingt ans. »

Considérons la précision « dix-sept centimètres » : qui a vu un sourire de cette dimension ?… À moins de confondre avec un fait réel : une cicatrice d’égorgement. Ce mélange est-il adéquat, surtout quand il se réfère à une personne réelle ?

Veut-on lire dans quel style un vrai auteur emploie « sourire » et « canif » ?… « J’ai voulu rire comme les autres ; mais, cela, étrange imitation, était impossible. J’ai pris un canif dont la lame avait un tranchant acéré, et me suis fendu les chairs aux endroits où se réunissent les lèvres. » (Les Chants de Maldoror, Chant IV).

*

« Il faut s’habituer à mon souffle qui semble toujours être le dernier,... »

Le verbe « semble » ne dispense-t-il pas de « être », pour éviter la lourdeur ? Les « qui » et « être », ne devrait-on pas les éviter en faveur d’une fluidité ? Par exemple : « Il faut s’habituer à mon souffle, en apparence le dernier ».

*

« S’accrocher à mes yeux à la couleur rare... ».

Les hiatus en « a » perturbent la fluidité et la musicalité de la phrase. Ne convient-il pas mieux : « S’accrocher à l’exceptionnelle couleur de mes yeux » ?

Dans « or et vert, comme le paradis » : où est la créativité ou l’originalité de l’image ? N’est-on pas en présence de banalité ?

Dans « couleur rare, or et vert », les hiatus en « r » sont-ils utiles ? Ne vaut-il pas mieux : « couleur inhabituelle » ou « unique » ? Ou, encore, au lieu de « couleur », « teinte » ?

L’emploi de « comme » ne rend-il pas le texte plat et prévisible ? Ne doit-on pas corriger avec une image plus visuelle, directe ? Par exemple : « Mes yeux, couleur inhabituelle : l’or et le vert du paradis », ou « Dans mes yeux, l’or et le vert du paradis ».

*

Répétition quatre fois de « presque ». Ne vaut-il pas mieux substituer le second par « Tu pourrais croire » ou « Tu croirais », le troisième par « environ », le dernier par « quasi » ?

*

« Parlons, puisque l’occasion est inédite. Car, oui, tu es l’événement que je n’ai jamais imaginé. »

En deux courtes phrases, le texte emploie « puisque », « car », « que » : depuis Flaubert, au moins, l’écrivain n’utilise pas ces conjonctions, considérées lourdes parasitaires, encore moins si elles sont tellement rapprochées. Comparez avec : « Oui, tu es l’événement inimaginable ».

L’assonance en « p » : « Parlons, puisque... » n’est-elle pas lourde, au détriment de la fluidité ? Comparons avec cette version : « Parlons, l’occasion est inédite. Oui, tu es l’événement inimaginable. »

*

« Parlons, puisque l’occasion est inédite. »

Cette répétition, quelques lignes plus loin, est-elle nécessaire ?

*

« Il est un peu plus bas que le bas de mon visage et étire mes mots, mes phrases. »

Un verbe plus réaliste et visuel n’est-il pas « déforme », « distend » ?

Comme style, dans « et » suivi de « étiré », l’assonance n’est-elle pas désagréable à l’oreille, choquante pour la musicalité ?

Dans « plus bas que le bas » : n’est-ce pas une redondance maladroite si l’on recherche l’élégance et le raffinement de l’expression ? Alternative : « un peu au-dessous de mon visage », « à peine plus bas que mon visage ». Ces expressions ne sont-elles pas plus descriptives et évocatrices ?

*

« Si je me retiens, je devrai t’ôter la vie sans cérémonie,... »

Les associations « devrai t’ôter » (« rai » et « t’ôter ») puis « t’ôter » ne manquent-elles pas de fluidité et d’élégance ? «  ôter » n’est-il pas un verbe désuet ?  Alternative : « Si je me retiens, je devrai te priver » ou « je devrai supprimer ta… »

*

« Il m’arrive du ciel, sur la tête, avec la précision d’une météorite sur le crâne d’un prophète affligé ».

Répétition de « sur ». On l’évite et même rend la sonorité de la métaphore plus percutante : « météorite fracassant le crâne d’un prophète », par imitation du fameux « Pour qui siffle ces serpents qui sifflent sur nos têtes ». Mieux encore : on peut accentuer l’effet sonore en remplaçant « affligé » par « terrassé » ou « terrorisé » : dans ce cas, la répétition de l’assonance en « r », devient plus frappante.

Examen de l’examen

Considérons les objections éventuelles. Les remarques ci-dessus :

- semblent négatives. Ne fournissent-elles pas des alternatives positives d’amélioration du texte ?

- critiquent les assonances. Elles peuvent enrichir un texte, en cas de non distraction du lecteur par un abus : un exemple est fourni avec les « r » au sujet d’une météorite.

- présentent une vision trop rigide de ce qu’est une « bonne » littérature. Un auteur est libre de son choix stylistique, s’il « viole » les règles de manière plaisante, originale et convaincante : est-ce le cas du texte examiné ?

- interprètent la métaphore du « sourire » de manière littérale. L’alternative de Lautréamont est citée : comparez les deux procédés et concluez sur le talent littéraire, sans oublier que Les Chants de Maldoror sont une vraie fiction, bien entendu inspirée de faits réels, non pris d’un secret médical2.

- ne considèrent pas l’ensemble du roman. Les intéressés à ce dernier peuvent le lire et vérifier la pertinence ou non de l’analyse de la première page.

- ignorent que l’examen de la forme littéraire peut occulter l’importance du contenu. L’analyse de la première page en tient compte par sa mise en relation avec le drame du personnage, dont le prototype réel vient de se déclarer publiquement.

on a découvert, désormais, le prototype réel. Quant à l’intention de l’auteur, elle se trouve dans ses multiples écrits journalistiques et déclarations télévisées, inutiles à mentionner ici.

- ignorent que l’examen de la forme littéraire peut occulter l’importance des intentions de l’auteur. Je n’ai pas trouvé ses déclarations à propos du style littéraire du roman.

Conclusion. À vous de juger si la première page du roman constitue une vraie littérature, marquée par l’originalité et la maîtrise formelle. Alors, vous trouverez une clarification : le motif qui décida la maison d’édition Gallimard à publier cet ouvrage, et les membres du Goncourt à l’honorer de leur récompense.

1 « la Cour d’Oran rappelle que le 5 février 2016, « S’est présentée la plaignante E. E. H. Nadjet devant les services de la Sûreté urbaine d’Oran pour déposer plainte contre DAOUD Kamel, et déclare qu’elle a subi des coups et blessures de sa part, étant donné qu’elle est divorcée de lui depuis 2016 et qu’elle a reçu un certificat d’incapacité de travail à cause des coups qu’elle a subi par un bâton en bois ». Le 18 juin 2018 en première instance, le mari violent a été condamné à une année de prison avec sursis et 20 000 dinars d’amende. Après deux appels Daoud voit disparaitre sa peine de prison, mais « l’amende pécuniaire » est maintenue, « Les dépens étant à la charge de l’inculpé d’un montant de 1800 DA au profit de l’état et fixe au maximum la durée de la contrainte par corps ». https://www.legrandsoir.info/quand-kamel-daoud-ami-de-macron-battait-son-ex-femme.html

Publié in

https://www.algeriepatriotique.com/2024/11/22/du-talent-litteraire-dans-houris-de-lecrivain-controverse-kamal-daoud/

22 novembre 2024

2 Sur ce point, une justice indépendante devra statuer.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #NOUVELLE-ROMAN

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Publié le 17 Novembre 2024

COMMUNIQUE DE PRESSE

22 octobre 2024

Éditions Dar al Quods al Arabi a le plaisir de vous informer de la sortie de l’ouvrage :

THÉÂTRE : BEAUTÉ  VÉRITÉ BONTÉ - Kaddour Naimi

Kaddour Naïmi : Fondateur-Directeur du Théâtre de la Mer à Oran 1968-1972, de Maldoror Film Production & École Cinéma-Théâtre à Rome 1986-2009.

Ouvrage : Destiné aux professionnels, étudiants et amateurs, un manuel pratique de dramaturgie, d’interprétation et de mise en scène, complété par des éclaircissements théoriques basés sur des éléments inter-dépendants : Beauté (esthétique), Vérité et Bonté (éthique). La production théâtrale, en Algérie puis dans plusieurs pays, de 1968 à aujourd’hui, est examinée en considérant la personnalité de l’artiste dans le cadre d’une époque.

Pour

Rencontres de présentation et dédicace ou Réception du livre

contacter

Éditions Dar al Quods al Arabi : 0556023007062 - quds101arabi@gmail.com

ou l’auteur : 0559 85 43 80 - contact@kadour-naimi.com

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #THÉÂTRE

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Publié le 17 Novembre 2024

Remercions les ennemis !

En matière de liberté d’expression, voici quelques réflexions issues d’un travail de questionnement.

Histoire antique

Dans l’Athènes ancienne, un philosophe d’âge avancé, à la fin d’une discussion avec un jeune interlocuteur, admit son erreur et remercia. L’adolescent s’étonna :

- Si j’avais eu raison, expliqua le vieillard, c’est vous qui auriez appris. Vu que c’est moi qui eus tort, j’ai gagné quelque chose de vous, d’où ma reconnaissance.

À la manière de Xun Tzé

Si l’on connaît correctement nos idées justes, mais ignorons celles erronées, nous ne vaincrons pas la bataille culturelle. Si l’on connaît les idées erronées de l’adversaire, mais ignorons celles éventuellement justes, nous ne vaincrons pas la bataille culturelle.

Qui nous montre nos erreurs ?… Notre Ego ?… Pas certain. Nos amis ?… Pas toujours. Nos flatteurs ?… Jamais.

Restent nos adversaires : plus ils nous détestent, plus ils cherchent où se trouvent nos erreurs, et nous les jettent à la figure, parfois manipulées, tronquées pour laisser croire à leur stupidité ; si cela ne suffit pas, on ajoute la diffamation volontaire.

Cette dernière nous indique le degré de haine de nos adversaires. Utile à savoir. Répondre de la même manière, serait aboyer devant un chien qui aboie.

L’utile est l’argumentation des ennemis. S’ils détectent et dénoncent chez nous des idées ou comportements erronés, ils nous montrent nos carences, nous apprennent à les corriger.

Raisonnement médical

Ce n’est pas en ignorant les microbes dans le corps que le médecin parvient à l’en débarrasser ; il doit les découvrir, sans haine : ce sentiment affaiblit ou annihile le raisonnement. Alors, en toute objectivité, le praticien trouve la méthode pour éliminer les intrus et redonner la santé au malade.

Considération sociale

Interdire l’expression d’un opposant intellectuel, c’est reconnaître l’incapacité de ses pairs à démontrer l’erreur du premier mentionné et son intention nuisible. Cette incapacité permet aux citoyens de connaissance limitée d’intervenir : les uns vantent l’importance de cet intellectuel opposé, les autres insultent son infamie. Les deux aggravent le problème.

S’il est relativement aisé de révéler l’erreur de l’adversaire, comment découvrir l’intention nuisible ?… Suivez l’argent, et, avec lui, la glorification médiatique.

Qui fournit le premier et assure la seconde ?… On le sait : les idées et les actes dominants sont ceux de la classe dominante. L’un des moyens d’exister : ses chiens de garde.

Ceci dit, une nuance d’importance : il est difficile de détecter les intentions destructrices de celui qui se proclame l’ « ami », le « défenseur » du peuple, de la démocratie, de la liberté, de la libération des femmes, de la « laïcité », etc. « Dieu, sauve-moi de mes amis ; de mes ennemis, je m’en charge. »

Il est plus facile de savoir qui est le vrai adversaire : il se déclare comme tel. Infiniment plus difficile reconnaître le tartuffe, le mercenaire : il se présente tout souriant, auréolé d’intellectualité, d’ « opposition » héroïque, photographié en star hollywoodienne, cravaté sinon avec une chemise blanche ou une longue écharpe au cou, parfois des lunettes même s’il n’est pas myope, partout interviewé dans les médias les plus diffusés, chaque fois primé dans les institutions les plus réputées. Et le troupeau ignorant ou semi-lettré applaudit, affronte la file pour acheter le produit bien marketisé, en croyant acheter de la culture.

Constater est insuffisant : il faut proposer des solutions. La première est la constitution ou le renforcement de réseaux entre les vraies consciences libres, unies par la recherche de la vraie vérité en cette époque de manipulation goeblesienne, en liaison avec les peuples, pour neutraliser la barbarie génocidaire costumée et cravatée.

La seconde solution : créer des comités citoyens de base dans les quartiers, afin de compléter les contacts virtuels par des relations concrètes.

Conclusion

Ne devons-nous pas remercier toute personne qui, par égotisme médiatique et sa conséquence, la félonie mercantile, nous aide à découvrir nos faiblesses, à détecter le vrai ami et le réel ennemi du peuple, de la démocratie, des droits humains, de la liberté ? N’est-ce pas au soleil de la vérité, quel que soit son goût amer, que s’éliminent les Frankenstein et leurs laquais bien récompensés, qui se gorgent de la sueur et du sang des opprimés ?

*

Publié in

https://www.algeriepatriotique.com/2024/11/13/remercions-les-ennemis/

13 novembre 2024

https://tribune-diplomatique-internationale.com/2024/kaddour-naimi/

13 novembre 2024

https://reseauinternational.net/remercions-les-ennemis/

14 novembre 2024

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #EDUCATION-CULTURE

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Publié le 28 Juillet 2024

Problèmes culturels dans l’Algérie « Nouvelle »

En Algérie, les plus clairvoyants constatent l’effarante régression culturelle. Mais se trompent, par ignorance ou par opportunisme, celle ou celui qui en voit la cause uniquement dans l’influence cléricale obscurantiste. Une autre cause, tout aussi grave, plus insidieuse se présente dans les meilleures apparences et intentions : elle s’autoproclame « progressiste », « démocrate », « éclairée », « cultivée », « moderne » et autres adjectifs d’auto-célébration tels le recours aux termes « Icône », « Monument », « immense », etc.

Un journaliste demanda à un philosophe : « Alors ! À votre âge si avancé, je suppose que vous avez tout lu, et qu’il ne vous reste qu’à relire. » - « Détrompez-vous, jeune homme. À présent, j’ai compris que ce que je dois lire est nettement plus vaste par rapport à ce que j’ai lu. »

Enquête

Le pire ignorant est celui qui ignore son ignorance. Alors, aux intellectuels algériens les plus médiatisés, quelque soit la langue qu’ils pratiquent, demandez (liste non exhaustive) quelles sont les caractéristiques et différences fondamentales, dans leur domaine de compétence déclarée :

- aux historiens : entre Sima Qian (司马迁) (Shiji 史记 - Les Mémoires historiques), Thucydide (La Guerre du Péloponnèse), Salluste (La guerre de Jugurtha), Edward Gibbon (Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain), James Guillaume (L'Internationale : Documents et Souvenirs). En particulier, demandez-leur ce qui s’est passé en mars 1921 à Kronstadt et ce que fut la Makhnovtchina1 ? Demandez-leur qu’elle est l’unique vraie révolution du XXème siècle2, ce que fut l’autogestion algérienne et les motifs de son élimination3, les différences entre la guerre de libération nationale vietnamienne et celle algérienne4.

- aux philosophes : entre Épicure, Lao Tseu, les Védas, Bouddha, Ibn Roch, Hegel, Feuerbach, Heidegger.

- aux psychologues ou psychiatres : entre Freud, Jung, Carl Rogers.

- aux sociologues : entre Ibn Khaldoun, Auguste Comte, Émile Durkheim, Max Weber, George Herbert Mead, Pierre Bourdieu, pour ne pas citer des sociologues chinois, tels Guanxi Wu (The Paradox of Modernity : A Sociological Study of the Chinese Experience, 2012).

- aux anthropologues : entre la conception de Darwin (Origine des espèces) et celle de Kropotkine (L'Entraide : Un facteur de l'évolution).

- aux pédagogues : entre Rousseau (L’Émile), Anton Makarenko, Francisco Ferrer (La théorie et la pratique de l'éducation libertaire), Maria Montessori (L'Enfant), Jean Piaget, Paulo Freire (Pédagogie des opprimés).

- aux dirigeants politiques : entre Platon (La République), les légalistes chinois antiques, Machiavel (Le Prince), Étienne de la Boétie (Traité de la servitude volontaire), Thomas Hobbes (Leviathan), Adam Smith (La richesse des nations), Karl Marx, Proudhon, Bakounine, Errico Malatesta, Malek Bennabi (Les Conditions de la Renaissance), la différence entre mandat représentatif et mandat impératif, entre démocratie et autogestion.

- aux spécialistes en théologie musulmane : entre les deux frères Gamal Albanna, l’un des plus importants chercheurs musulmans égyptiens de l'Islam, et son frère Hassan Albanna, fondateur de l'organisation des « Frères Musulmans ».

- aux linguistes : comment les langues européennes, ouzbèke, vietnamienne et d’autres sont devenues des langues à part entière, et pourquoi pas la langue parlée algérienne5. Pourquoi la plupart des représentants de l’« élite » intellectuelle mélangent le français et l’arabe ou le tamazight en un charabia ridicule ; ce qu’ils savent de la langue la plus parlée au monde et dotée de la plus longue histoire : le chinois ; pourquoi ils maîtrisent mal leur langue de formation scolaire, ignorent généralement d’autres langues, s’expriment souvent comme décrit par Molière :

« Ce style figuré dont on fait vanité

Sort du bon naturel et de la vérité :

Ce n’est que jeu de mots, qu’affectation pure,

Et ce n’est point ainsi que parle la nature6. »

- aux écrivains : entre Gilgamesh, l’Iliade ou l’Odyssée, La Guerre des Trois Royaumes, le Mahabaratha, Le Dit du Guengi, Les Mille et Une Nuits, La Divina Commedia, Gargantua, Le Decameron, Les Aventures de Simplicius Simplicissimus (Hans Jakob Christoffel von Grimmelshausen), Paradise Lost (John Milton), Les Chants de Maldoror, Le journal d’une femme de chambre (Octave Mirbeau), Les raisins de la colère (John Steinbeck), L'Immeuble Yacoubian - العمارة يعقوبيان (Naguib Mahfouz).

- aux poètes : entre la poésie de Li Bai, Du Fu, Wang Wei, Saphô, Abu Nouas, Pétrarque, Basho, Pietro Aretino, Hölderlin.

- aux littérateurs : entre La Poétique (Aristote), L’Art Poétique (Horace), L’Art Poétique (Boileau), Essai sur la simplicité (Hume), Fontanier (Figures du style), entre la rhétorique de Démosthène et celle de Cicéron.

- aux journalistes et reporters : entre Albert Londres (Au bagne ; Terre d’ébène), Tiziano Terzani (La Porta proibia – La porte interdite), David Hauberstam (The Best and The Brightest - Les meilleurs et les plus brillants).

- aux critiques artistiques : entre les articles de Baudelaire et ceux d’Octave Mirbeau.

- aux critiques littéraires : entre Vissarion Belinski, Mikhaïl Bakhtine et Michel Foucault.

- aux critiques de théâtre : entre Jan Kott (Shakespeare, notre contemporain) et Georges Banu.

- aux critiques de cinéma : entre ceux des « Cahiers du Cinéma » et Michel Ciment.

- aux professionnels de théâtre : entre les théâtres grec ancien, chinois classique, japonais classique, anglais élisabéthain, français classique ; entre effet de catharsis et effet de distanciation, entre les méthodes d’interprétation de Stanislavski, Antonin Arthaud (Le Théâtre et son double), Grotowski, l’Actor’s Studio, Mei Lanfang (梅兰芳 ). Demandez-leur même la définition exacte de la halga dans le théâtre algérien, qui l’a utilisée pour la première fois et comment.

- aux professionnels de cinéma : entre les films fiction Le Dernier Homme (Murnau), l’Île nue (Kaneto Shindo), The Salt of The Earth (Biberman), Le voleur de bicyclette (De Sica), Mother India (Mahbood), Terra Em Transe (Glauber Rocha), Maynila : Sa mga Kuko ng Liwanag (Manille : Dans les griffes de la lumière (Lino Brocka), Barry Lyndon (Stanley Kubrick), Le Destin - AlMassir (Youssef Chahine).

- aux documentaristes : entre Les statues meurent aussi (Alain Rainais-Chris Marker), La Hora de Los Hornos - L’heure des brasiers (Fernando Solanas), Koyanisqatsi (Godfroy Reggio).

La « mère » des questions

De toutes ces questions découle la mère des questions : si le peuple algérien ne lit pas, si les structures officielles de connaissances culturelles sont défaillantes, les « élites » algériennes (docteurs universitaires, enseignants, responsables administratifs culturels, auteurs, critiques) lisent-elles suffisamment pour mériter l’adjectif « éclairées » ? Il ne s’agit pas de posséder une « tête bien pleine » mais « bien faite », pas d’étalage à la manière des Précieuses ridicules, mais de connaissance indispensable à l’exemple d’un scientifique dans son domaine de compétence.

Sans doute, des personnalités algériennes réellement cultivées et éclairées existent, mais sont ostracisées par les médias dans un exil intérieur ou extérieur, et même parfois diffamées par les harkis de service avec l’accusation de « tourner le dos à l’Algérie ». Les médias préfèrent le beni-oui-ouisme opportuniste, le clanisme et le copinage : tous charlatanesques, ils pataugent dans une médiocrité d’autant plus arrogante qu’ignorante (« al machkour mag’our » - Celui qui est vanté a des trous, observe le peuple), photocopie des bachaghas, caïds et « suppléants » de l’époque coloniale.

En outre, les personnalités, qui méritent le nom d’élite, à l’intérieur comme à l’étranger, se révèlent jusqu’à présent incapables ou non intéressées par la création d’un réseau solidaire de production et d’échange, ne serait-ce qu’une revue électronique (en arabe classique, tamazight, français, arabe algérien) ou un site web d’ouvrages lus dans ces langues (notamment pratique pour l’arabe algérien et le tamazight). J’y ai songé mais « lîd wahda mâ tsafàg » (une seule main ne peut pas applaudir).

Voici pourquoi, en Algérie, on constate de ridicules tempêtes dans un verre d’eau polluée, sur des réseaux sociaux destinés plus à « divertir » (au sens : dévier l’attention de l’essentiel), mais jamais de débat sérieux qui porte à des améliorations réelles.

Source du mal

Alors, demanderait-on, quelle est la cause première de cette alarmante situation culturelle et intellectuelle ?

Pour le savoir, il faut connaître la vérité historique sur au moins deux points : 1) les événements survenus en Algérie depuis la Plateforme de la Soummam de 19567 ; 2) le parti politique qui, après l’indépendance, pratiqua un « soutien critique » à la dictature qui s’empara du pouvoir par la force en 1962. Ce parti et cette dictature, pour exister, pratiquaient une mentalité stalinienne, autrement dit exigeaient non pas une vraie élite (par définition libre, donc critique), mais une caste (issâba) intellectuelle et culturelle, par nature servile, par conséquent d’une médiocrité absolue8.

En Algérie, jusqu’à aujourd’hui, en 2024, ce sont les résidus de cette même caste qui, en général, décident, dans le domaine culturel, quelle personne accède aux médias et bénéficie de largesses financières.

Se libérer de la caverne culturelle et intellectuelle, caractérisée par l’arrogance de l’ignorance, exige non seulement de s’émanciper de l’obscurantisme clérical mais, tout autant, de l’obscurantisme laïc, ces deux formes de domination sur les esprits soucieux de connaissance, condition de bien-être social.

La personne qui se plaint de la médiocrité des enseignants, du manque de livres et de librairies, pourquoi ne compte-t-elle pas sur elle-même pour parfaire ses connaissances ? Des livres très utiles sont disponibles sur internet et gratuitement. Il faut juste posséder la volonté et la patience de (bien) chercher, d’apprendre une langue (si nécessaire), de (bien) lire, de prendre (correctement) des notes.

L’entreprise salvatrice de la culture en Algérie est difficile, beaucoup moins que celle affrontée par le groupe de patriotes qui assuma l’initiative de libérer l’Algérie de la domination coloniale. Ils sont l’exemple non pas seulement à honorer, mais l’inspiration pour l’action. Et si on ne réussit pas à hisser l’Algérie au niveau culturel convenable, tout au moins, nous sèmerons des graines pour une récolte par les générations futures.

4 Thème de la pièce collective, sous ma direction, du Théâtre de la Mer : La Fourmi et l’Éléphant (1971).

5 Voir mon essai DÉFENSE DES LANGUES POPULAIRES : Le cas algérien.

6 Les Femmes savantes, acte II, scène 7.

7 En 1959, pendant la guerre de libération nationale, le colonel Lotfi écrivit à Ferhat Abbas, président du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) : « Notre Algérie va échouer entre les mains des colonels, autant dire des analphabètes. J’ai observé chez un grand nombre d’entre eux une tendance aux méthodes fascistes. Ils rêvent tous d’être des Sultans au pouvoir absolu. Derrière leurs querelles, j’aperçois un grave danger pour l’Algérie indépendante. Ils n’ont aucune notion de la démocratie, de la liberté et de l’égalité entre citoyens. Ils conserveront du commandement qu’ils exercent le goût du pouvoir et de l’autoritarisme. Que deviendra l’Algérie entre les mains de pareils individus ? Il faut que tu [Ferhat Abbas] fasses quelque chose pendant qu’il est encore temps…», http://kabyleuniversel.com/2012/12/18/le-fils-du-general-de-gaullela-france-a-mine-lalgerie-par-ses-elements-du-malg/, publié en décembre 18, 2012, vu le 7.12.2016.

Durant son retour de mission en Tunisie pour reprendre la lutte armée en Algérie, le colonel Lotfi tomba dans une embuscade de l’armée coloniale, et mourut en combattant : simple hasard ?

8Le même régime eut lieu en Russie, dont la dictature en Algérie et le parti politique en question s’inspirèrent, chacun selon son idéologie spécifique : avec l’avènement du bolchevisme léniniste-trotskiste, la culture et le niveau intellectuel, auparavant florissants malgré la dictature tsariste, devinrent un béni-oui-ouisme, donc médiocre, tandis que les esprits libres, compétents et réellement au service du peuple, furent réduits au silence ou à l’exil, pour éviter la répression. Maiakovsky se suicida (ou fut « suicidé »).

*

Publié in

https://tribune-diplomatique-internationale.com/2024/problemes-culturels-dans-lalgerie-nouvelle/

24 juillet 204

https://www.algeriepatriotique.com/2024/07/25/problemes-culturels-dans-lalgerie-nouvelle/

25 juillet 2024

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #EDUCATION-CULTURE

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Publié le 24 Juillet 2024

La (méconnue) plus importante révolution du XXème siècle

Dans une précédente contribution1, j’ai présenté une première réelle révolution. Par ce mot, j’entends un changement social radical ; il élimine la base fondamentale du système social, à savoir l’exploitation économique, assurée par une domination politique.

À présent, voici une autre authentique révolution sociale. L’auteur qui en parle, Gaston Leval2, y a participé personnellement comme militant libertaire. Il en a tiré un livre, en même temps témoignage, communication des faits et analyse concrète : Espagne libertaire : 1936 – 19393.

Encore une fois, il s’agit d’histoire racontée par un vaincu, donc une contre-histoire, plus exactement la vraie et réelle histoire. Car la fausse histoire domine, non pas uniquement celle des fascistes et des bourgeois, mais tout autant celle des marxistes. C’est que la mentalité autoritaire, malheureusement, prime encore dans ce monde, apparemment partisan de liberté citoyenne. Ah ! La tromperie manipulatoire des mots !

Gaston Leval déclare qu’il avait conscience que cette révolution sociale ne pouvait pas réussir à cause de l’existence de deux adversaires qui la combattaient impitoyablement : d’une part, l’armée fasciste du général Franco ; d’autre part, les agents et les militaires du parti "communiste" espagnol, inféodé aux ordres de Staline.

Ce dernier, en bolchevique doc4, ne pouvait tolérer la victoire d’une révolution sociale qui n’avait aucun besoin du schéma marxiste-léniniste de conquête du pouvoir (« Chef Génial Infaillible », Parti-dominateur, « révolutionnaires professionnels » décideurs). Au contraire, la révolution sociale espagnole pratiquait la conception autogestionnaire. Elle reprenait l’idéal et les méthodes révolutionnaires des soviets russes et ukrainiens authentiques. Lesquels furent éliminés par l’armée « rouge », commandée par Trotski, sous la direction du Parti-État dirigé par Lénine5.

Gaston Leval se chargea du travail d’enquête personnel sur le terrain, dans plusieurs régions d’Espagne. Il constatait puis rendait compte des actions et réalisations de cette révolution sociale. Elle avait la particularité d’avoir été déclenchée et d’exister, pendant trois années, par les travailleurs-euses exploité-es des villes et des campagnes, aidés par des intellectuels libertaires, sans « chefs » ni parti politique dominateurs, où la démocratie populaire était appliquée de manière totale, libre et solidaire.

Commençons par connaître de quoi il s’agit et de l’importance de l’événement.

"Voici les faits : une révolution sociale incomparablement plus profonde que toutes celles qui l’ont précédée a eu lieu dans un pays dont on a beaucoup parlé durant les années 1936-1939 : l’Espagne. Une révolution qui a atteint les buts théoriquement préconisés par Marx et Engels quand ils sont allés au plus loin de leurs prévisions d’avenir, par Proudhon et par Bakounine, ainsi que par l’école kropotkinienne de l’anarchisme socialiste ; et cela en moins de trois ans, alors que, après un demi-siècle, la révolution russe qui, au début, se réclamait du même idéal, en est plus éloignée que jamais. A côté de ce fait historique transcendant dans l’histoire de l’humanité, la Commune de Paris, qui a suscité tant d’intérêt, tant d’écrits, d’études et d’essais, apparaît comme un événement mineur. Car, sur une très large échelle, la révolution espagnole a réalisé le communisme libertaire.

On peut approuver ou désapprouver cet idéal : on ne peut ignorer l’application qui en a été faite en même temps que les forces antifranquistes et l’armée républicaine luttaient péniblement contre l’attaque depuis longtemps préparée par la caste militaire, les grands propriétaires terriens et le vieux conservatisme, et par une église traditionnellement réactionnaire, digne héritière du duc d’Albe et de Torquemada." (préface de la première publication, 1971).

L’ouvrage de Gaston Leval est une démonstration concrète, preuves à l’appui, de cette affirmation de l’auteur :

"Une des caractéristiques dominantes qui s'impose à celui qui étudie la Révolution espagnole, est sa multiformité. Cette révolution a été guidée selon certains principes très nets et très précis, qui impliquaient l'expropriation générale des détenteurs de la richesse sociale, la prise en main par les travailleurs des structures organisationnelles de la production et de la distribution, l'administration directe des services publics, l'établissement de la justice économique par l'application du principe communiste libertaire. Mais l'uniformité de ces principes n'empêcha pas la diversité des méthodes d'application, si bien que l'on peut parler de «diversité dans l'unité» et d'un fédéralisme étonnamment varié."

Encore une fois, les intellectuels même les plus avertis, même les plus engagés sur le plan révolutionnaires n’ont pas été les créateurs et initiateurs de ce qui fit l’originalité de la révolution sociale espagnole. Les exploité-es russes avaient inventé les soviets6 ; ceux et celles d’Espagne inventèrent, à leur tour, une autre forme d’organisation.

Gaston Leval écrit : "Très vite dans les régions agraires, particulièrement en Aragon, est apparu un organisme nouveau : la Collectivité. Personne n'en avait parlé avant. Les trois instruments de reconstruction sociale prévus par ceux des libertaires qui s'étaient avancés quant aux prévisions de l'avenir étaient d'abord le Syndicat, puis la coopérative qui ne ralliait pas beaucoup de partisans, enfin, sur une assez large échelle, la commune, ou organisation communale. Certains pressentaient - et l'auteur fut de ceux-là - qu'un organisme nouveau et complémentaire pourrait, et devrait apparaître, particulièrement dans les campagnes, le Syndicat n'y ayant pas acquis l'importance qu'il avait dans les villes, et le genre de vie, de travail et de production ne s'accommodant pas d'un monolithisme organique contraire à la multiformité de la vie."

Ainsi est née la "colectividad" (collectivité, communauté). L’auteur présente le long de son livre les faits concrets qui illustrent ce qu’il écrit ci-dessous :

"(…) cette Collectivité est née, avec ses caractéristiques propres. Elle n'est pas le Syndicat, car elle englobe tous ceux qui veulent s'intégrer à elle, qu'ils soient producteurs au sens économique et classique du mot, ou non. Puis elle les réunit sur le plan humain, intégral de l'individu, et non pas seulement sur celui du métier. En son sein, et dès le premier moment, les droits et les devoirs sont les mêmes pour tous ; il n'y a plus de catégories professionnelles s'opposant les unes aux autres, et faisant des producteurs des privilégiés de la consommation par rapport à ceux qui, telle la femme au foyer, ne produisent pas, toujours au sens économique et classique du mot.

La Collectivité, n'est pas non plus le Conseil municipal, ou ce qu'on appelle la Commune, le municipe. Car elle se sépare des traditions des partis sur lesquels la commune est habituellement construite. Elle englobe à la fois le Syndicat, et les fonctions municipales. Elle englobe tout. Chacune des activités est organisée en son sein, et toute la population prend part à sa direction, qu'il s'agisse de l'orientation de l'agriculture, de la création d'industries nouvelles, de la solidarité sociale, de l'assistance médicale, ou de l'instruction publique. Dans cette activité d'ensemble, la Collectivité élève chacun à la connaissance de la vie totale, et tous à la pratique d'une compréhension mutuelle indispensable."

Se présente, alors, la question : Et la liberté individuelle ? Comment se conciliait-elle avec la solidarité collective ?

Voici comment étaient réalisées, de manière complémentaires, les exigences de liberté et de solidarité, ou, si l’on veut, le principe de liberté solidaire :

« la loi générale a été l'universelle solidarité. Nous avons souligné, en passant, que les Chartes ou règlements où l'on définissait les principes d'où découlaient les comportements pratiques de chacun et de tous ne contenaient rien se référant aux droits et la liberté de l'individu. Non que les Collectivités aient ignoré ces droits, mais simplement parce que le respect de ces droits allait de soi, et qu'ils étaient déjà reconnus dans le niveau de vie assuré à tous, dans l'accès aux biens de consommation, au bonheur et à la culture, aux soins, aux considérations et aux responsabilités humaines dont chacun, parce que membre de la Collectivité, était assuré. On le savait, à quoi bon le mentionner ? En échange, pour que cela fût possible, il fallait que chacun accomplisse son devoir, fasse son travail comme les autres camarades, se comporte solidairement selon la morale d'entraide générale."

Toutes les réalisations décrites ont été concrétisées, soulignons-le, en pleine guerre !… En effet, les autogestionnaires de la Collectivité, d’une part, édifiaient la société nouvelle, libre et solidaire, éliminant toute forme d’exploitation économique et de domination politique ; d’autre part, et en même temps, les membres des Collectivités étaient contraints de se défendre, de combattre, armes à la main contre l’armée fasciste de Franco, et, parfois, également, contre les militaires staliniens.

Ajoutons un fait.

Les autogestionnaires étaient majoritairement des civils, disposaient de très peu, de trop peu d’armes et de moyens matériels, et recevait l’aide d’une minorité d’internationalistes libertaires, la plupart des civils.

Au contraire, les fascistes et les staliniens étaient des militaires expérimentés, disposaient d’un puissant matériel de guerre, et recevaient une consistante aide extérieure : pour les franquistes, armes et soldats de l’Italie fasciste et de l’Allemagne nazie (et même, de cette dernière, des bombardements de l’aviation hitlérienne sur des populations civiles, comme à Guernica) ; pour les staliniens, le même genre d’aide de la Russie stalinienne.

Concernant les méfaits commis par les staliniens, l’auteur témoigne :

"C'est à Graus que j'ai vu, pour ainsi dire proclamée sur les façades, dans toutes les rues, et avec le plus d'éclat, et d'intensité, la joie de l'effort et de l'ordre nouveau. Tous les lieux de travail, tous les ateliers, les dépôts, les magasins de marchandises, portaient sur leur façade des panneaux de bois aux couleurs rouge et noire, de dimensions diverses, sur, lesquels on lisait, selon leur ordre de classement, dans l'appareil collectif de production : Lingerie, comunal N° 1, comunal N° 2 ; Menuiserie, Comunal N° 3, Comunal N° 4, Comunal N° 5 ; Collectivité des tailleurs N° 1, N° 2, N° 3, N° 4 ; Collectivité des boulangers, des charrons, des savetiers, etc. C'était un hymne, une proclamation de tous et de chacun, une explosion de confiance et de bonheur. Tout cela fut détruit par la brigade du général stalinien Lister et par Franco."

Il ne faut pas perdre de vue cette extrêmement difficile situation. Et, pourtant, pendant ces trois années d’existence, les réalisations des Collectivités ont été positives et concrètes. Elles ont permis d’assurer correctement la production agricole et industrielle, les transports, l’instruction des enfants et des adultes, les soins, l’amélioration des logements, l’aide efficace aux vieillards, les services publics tels transport, fourniture d’électricité, d’eau, bref tout ce qui concerne les besoins sociaux. Et tout cela sans aucune contrainte, en comptant uniquement sur leurs propres forces matérielles et morales. De manière consensuelle.

Qui dit mieux ? Quel mouvement social, dans le monde entier, a eu ces caractéristiques ?… Ni la Commune de Paris (1871), ni les soviets russes et ukrainiens (1917-1921).

Mais, dirait-on, pourquoi la « révolution » bolchevique est plus connue ? Pourquoi le franquisme est plus connu ? Pourquoi la Commune de Paris est plus connue ? Et la révolution des collectivités espagnoles est nettement ignorée ?…

Facile à comprendre.

Les trois premiers événements cités ont eut l’attention aussi bien des historiens bourgeois que marxistes-léninistes-trotskystes-staliniens. La Commune de Paris et la « révolution » bolchevique, notamment, parce que la première fut présentée par Marx comme exemple de « dictature du prolétariat » ; la seconde, parce que les vainqueurs-profiteurs en furent les marxistes-léninistes-trotskystes-staliniens.

Par contre, les seuls capables de relater correctement une révolution, inspirée et animée par les idées libertaires, autrement dit autogestionnaires, sont les … libertaires. Or, ils sont une minorité dans le monde, y compris de l’information ; et leurs moyens sont très limités : ils ne disposent ni de l’argent du capitalisme privé, ni de celui du capitalisme étatique.

Arrivons à la question la plus importante : est-ce que la révolution sociale en Espagne est désormais de l’histoire passée, dans le sens de dépassée, aujourd’hui inutile, impraticable ?

Voici d’abord un argument général, fondamental.

"Consignons à ce sujet7 une observation à laquelle nous attachons une grande importance philosophique et pratique. Les théoriciens et les partisans de l'économie libérale affirment que la concurrence stimule l'initiative, et par conséquent l'esprit créateur et l'invention qui, sans cela demeurent en sommeil. Les nombreuses observations faites par l'auteur dans des Collectivités, des usines, des fabriques socialisées lui permettent de penser d'une façon absolument opposée. Car dans une Collectivité, dans un groupement où chaque individu est stimulé par le désir de rendre service à ses semblables, la recherche, le désir, de perfectionnement technique ou autre sont aussi stimulés 8. Mais ils ont encore pour conséquence que d'autres individus se joignent à ceux qui se sont mobilisés les premiers ; en outre, quand au sein de cette société un inventeur individualiste découvre quelque chose, cela n'est utilisé que par le capitaliste ou l'entreprise qui l'emploie, tandis que quand il s'agit d'un inventeur vivant dans une communauté, non seulement sa découverte est reprise et poussée plus loin par d'autres, mais appliquée immédiatement à l'échelle générale. Je suis persuadé que cette supériorité apparaîtrait très vite dans une société socialisée. »

Ces observations ne demeurent-elles pas actuelles ?

Voici, ensuite, les conclusions de l’auteur : "Sans préparation organique, il n'est pas de révolution sociale et vraiment socialiste possible. La possibilité de succès dépend de l'importance de la capacité constructive préexistante. Mais cela ne signifie pas que la préparation ne doive être qu'intellectuelle et technique. Elle doit être, avant tout, morale, car le degré d'intellectualité spécialisée et de technicité mise au point dépend du degré de conscience qui crée le sens du devoir, imposant l'acquisition des disciplines nécessaires. C'est avant tout cette conscience des responsabilités qui a dominé chez les anarchistes espagnols, a influencé leurs luttes, leur comportement individuel, leur œuvre de propagande et d'organisation des travailleurs des campagnes et des villes, a maintenu leur persistance invincible dans le combat mené pour une société meilleure et une humanité plus heureuse, et alimenté la ferveur, sinon le mysticisme qui, portant chacun au-delà de lui-même, le poussait à se donner, à sacrifier sa vie pour l'avenir de l'humanité. Sans quoi, toute l'intelligence et toute la technique du monde n'auraient pas servi à grand-chose.

Et cela a aidé souvent à trouver des solutions valables, ou originales, là où manquait une formation intellectuelle supérieure. « J'ai vu bien des fois des cheminots, militants ouvriers qui savaient à peine signer leur nom, et qui, dans les réunions où l'on examinait des problèmes d'organisation des chemins de fer, ne déméritaient pas à côté des ingénieurs"9, nous disait récemment une camarade polonaise, ingénieur elle-même, à laquelle nous rendons ici hommage, qui participa jusqu'au dernier moment au fonctionnement du réseau ferroviaire de Madrid-Saragosse-Alicante.

L'imagination créatrice était stimulée par l'esprit, par l'âme des militants, et stimulait l'intelligence. La révolution, c'est aussi l'inspiration, la libre inspiration des hommes. Il est certain qu'en 1917 le parti bolchevique russe comptait un nombre d'intellectuels très supérieur à ceux que comptait, même proportionnellement à l'importance de la population, le mouvement libertaire espagnol en 1936. Mais la bureaucratisation étatique a freiné l'esprit créateur, et la supériorité culturelle d'un état-major de révolutionnaires professionnels s'est montrée inférieure au génie créateur de légions de militants libertairement orientés, et des masses par eux mobilisées."

Méditez ! Marxistes, populistes, intellectuels et politiciens "élitaires" d’Algérie et de tous les pays ! Méditez ! Si vous êtes capables d’estimer réellement le peuple, que vous prétendez aimer, alors que vous privilégiez, adorez et défendaient votre mentalité autoritaire, parasitaire, anti-populaire !

Revenons à Gaston Leval. Ses réflexions ne méritent-elles pas l’attention, aujourd’hui et dans le futur, quel que soit le pays considéré ?

Enfin, voici les ultimes paroles de son ouvrage :

"Notre œuvre constructive révolutionnaire a été détruite par la victoire franquiste et par le sabotage et la trahison de Staline et de ses agents. Mais elle reste dans l'histoire comme un exemple, et une preuve qu'il est possible d'éviter les étapes dictatoriales lorsqu'on sait organiser rapidement la société nouvelle ; se passer de la soi-disant dictature du prolétariat, ou plus exactement d'un parti révolutionnaire usurpant la représentation ou la délégation du prolétariat que les intoxiqués, les possédés du pouvoir - de leur pouvoir auquel le peuple doit se plier - s'obstinent à vouloir nous imposer sous peine de nous massacrer comme contre-révolutionnaires. Pas plus qu'hier Lénine et les siens, que Marx et Blanqui, et tous les maniaques de la dictature, ils n'ont la moindre idée pratique de la façon de réorganiser la vie sociale après le capitalisme. Mais comme fit Lénine, ils organiseraient très vite une police, une censure, et bientôt des camps de concentration."

Médite, peuple ! Méditez, ami-es sincères du peuple ! Avec le maximum d’attention ces constatations ! Afin de ne pas tomber, une nouvelle fois, dans l’illusion tragique, puis la désillusion amère, suivie de la désorientation mortifère.

Ultimes phrases de Gaston Leval :

"Un chemin nouveau a été montré, une réalisation qui émerge comme un phare dont les révolutionnaires qui veulent émanciper l'homme, et non le réduire en un nouvel esclavage, devront suivre les lumières. S'ils le font, notre écrasement d'hier sera largement compensé par les triomphes de demain."

Peut-on ignorer ces paroles quand on se croit et déclare être préoccupé de contribuer à l’établissement d’une société meilleure, plus juste, plus libre, plus solidaire ? De la part de celles et ceux qui se déclarent ami-es du peuple, en Algérie et de part le monde, comment expliquer leurs déclarations, affirmant ne pas savoir quel type de société construire, ne pas disposer d’exemple, ignorer à quels buts croire, comment les concrétiser ?

Je ne vois qu’un seul motif pour ne pas accorder d’importance à la révolution sociale espagnole comme exemple d’inspiration, comme projet général, but et méthode, actuellement pertinents : c’est d’exclure du projet la base fondamentale qui l’a constitué : élimination de l’exploitation économique et de la domination politique, quelque soit leur forme. Évidemment, si l’on croit impossible cette élimination, en prétextant que le système capitaliste est devenu désormais trop puissant, il ne reste qu’à s’agenouiller devant lui, en mendiant les miettes qu’il consentirait à concéder.

Mais il faudrait, tout au moins, si l’on est intelligent et honnête, ne pas illusionner et tromper le peuple avec des réformettes, présentées comme miraculeuses recettes. Elles ne consistent qu’à boucher quelques trous dans une barque où l’exigence du profit capitaliste ne cesse jamais d’ajouter de l’eau.

Certes, la révolution sociale espagnole, plus encore que l’expérience des soviets russes et ukrainiens, est ensevelie, par les vainqueurs, bourgeois et marxistes, sous des montagnes de mensonges, de déformations, de falsifications, de dénigrements, de silence. Ces vainqueurs ont besoin, après avoir assassiné les corps des partisans de la révolution sociale, de tuer, aussi, leurs idées ! Car les vainqueurs savent que les idées, si elles sont justes et parviennent à être connues des exploités-dominés, deviennent des armes, plus puissantes encore que celles des militaires. L’esprit populaire, l’idéal populaire, la force morale populaire, si les conditions sont favorables, s’il n’y pas de trahison des prétendus « amis », sont infiniment supérieurs à la plus puissante des armées, à ses généraux galonnés, issus d’académies militaires renommées, à ses mitrailleuses, à ses chars et à ses bombardements.

Par cette présentation du livre de Gaston Leval, j’espère avoir montré combien son témoignage est fondamental pour comprendre réellement l’histoire de la guerre civile espagnole, de la révolution sociale authentique qui l’a caractérisée. Elle en a été le fait historique le plus significatif. Je souhaite que la lecture de cet ouvrage soit l’occasion de trouver de précieuses idées théoriques et d’opératoires suggestions pratiques pour s’orienter actuellement, dans la contribution de chacun-e à une transformation sociale qui conjugue de manière harmonieuse liberté et solidarité.

*

Publié in

https://www.lematindz.net/news/25423-la-meconnue-plus-importante-revolution-du-xxe-siecle.html

25 Sep 2017

1 Voir La révolution inconnue, https://www.lematindz.net/news/25399-la-revolution-inconnue.html

2 Une présentation de l’auteur se trouve ici :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gaston_Leval#Franc-ma.C3.A7on

4 À ce sujet, Gaston Leval rappelle :

« Dans son rapport sur la situation russe, au 11e congrès du parti communiste, célébré en mars 1922, Lénine déclarait : «L'idée de construire une société communiste avec l'aide des seuls communistes, est un enfantillage, un pur enfantillage. Il faut confier la construction économique à d'autres, à la bourgeoisie qui est beaucoup plus cultivée, ou aux intellectuels du camp de la bourgeoisie. Nous-mêmes nous ne sommes pas encore assez cultivés pour cela.»

5Voir La révolution inconnue, op. c.

6 Voir La révolution inconnue, o. c.

7 Il s’agit de la liberté.

8 Note de l’auteur : "Rappelons-nous les 900 nouveaux modèles de chaussures à Elda, les nouveaux modèles de funiculaires à Barcelone, les nouvelles lignes de transport, etc."

9 Cette constatation a également été faite en Algérie, durant l’autogestion industrielle et agricole. Là, sans ingénieurs, lesquels avaient abandonné leur lieu de travail, la production fut assurée convenablement par les travailleurs eux-mêmes.

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Rédigé par Kadour Naimi

Publié dans #AUTOGESTION

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