Publié le 29 Janvier 2025
Externe et interne
En général et, en particulier, sur la situation syrienne actuelle, la majorité des analyses se focalisent sur les facteurs externes : les adversaires, les ennemis d’une nation menacée ou déjà victime d’agression impérialiste, soutenue par une dissidence d’agents autochtones.
La connaissance des facteurs externes est fondamentale mais non suffisante. Il reste à examiner les facteurs internes. Malheureusement, ce que les analystes en fournissent, à ma connaissance, est sous-estimé, quand pas ignoré1.
On connaît l’un des motifs de ces carences : évoquer les causes internes d’une nation ferait le jeu de ses ennemis impérialistes.
Cependant, diminuer, relativiser ou occulter les facteurs internes, ne pas leur accorder la première importance, n’est-ce pas faire le jeu de l’agresseur, de manière plus grave ?… Sun Ze avait expliqué : la connaissance des forces et faiblesses de l’ennemi (facteur externe) est aussi stratégique que celle du propre camp (facteur interne).
En outre, si l’on cache les causes internes, comment le peuple saurait quels sont les réels enjeux et forces en présence, afin de savoir comment agir, en complément des institutions qui défendent la patrie ? Ignorer cette condition, n’est-ce pas mépriser les citoyens comme troupeau à faire marcher au son d’une flûte d’un enchanteur ?… Or, la réalité montre combien cette illusion élitiste se paie cher, et d’abord au détriment de cette prétendue élite.
Pourquoi danser ?
Cette brève contribution naît de la lecture d’un extrait :
« quand je vois ces manifestations de joie en Syrie pour fêter la chute de l’État dans les bras de l’islamisme, je me demande ce qui motive ce peuple à danser sur sa propre tombe… (…) Il faut que le peuple se réveille et soit conscient des dangers qui guettent son pays2. »
De précédentes contributions ont répondu, en substance, à ces considérations3. Approfondissons.
Ignorons les déclarations de voyageurs, plus ou moins touristiques : la Syrie était, somme toute, un pays sans gros problèmes parce que, comme étrangers, on se déplaçait en toute sécurité, la laïcité existait, etc. Ce genre de témoignage n’éclaire pas la stupéfiante surprise des analystes les plus éclairés sur la chute de l’État syrien, pratiquement sans combat.
Où sont les explications indispensables, outre celles sur les causes externes ?… En Syrie, est-ce que : 1) le système d’informations médiatique, 2) le secteur de l’instruction, 3) les activités culturelles, bref 4) le système politique fournissaient de quoi réveiller, faire prendre conscience au peuple syrien, pour le rendre capable de savoir qui sont : 1) ses vrais amis et comment s’unir avec eux, 2) ses réels ennemis et comment les neutraliser ?
La « stupéfiante » dissolution du régime syrien ne prouve-t-elle pas des carences dans les causes internes sus-mentionnées ? Ne pas les mentionner et les analyser en fonction de leur importance stratégique, n’est-ce pas manquer de responsabilité, quand on prétend défendre les intérêts des peuples et de leurs nations contre leurs agresseurs ?
Nationalisme et patriotisme
Pour éviter des malentendus, ces termes exigent un éclaircissement.
Concernant le nationalisme, il ne s’agit pas de celui des guerres de libération nationale : je considère celui-ci comme patriotisme.
Par nationalisme, à présent, j’entends l’idéologie qui oppose une nation et son peuple, en bloc, contre une autre nation et son peuple, en bloc : le criminel cas fut celui des deux boucheries mondiales. Les oligarchies capitalistes impérialistes trouvaient et trouvent encore leur intérêt à ce type de nationalisme, caractérisé par le chauvinisme : les peuples s’auto-massacrent pour enrichir l’oligarchie qui sort vainqueur de la guerre4.
Le patriotisme est autre chose : le simple amour de la terre natale. Chaque peuple le ressent, comprend et respecte l’existence de ce sentiment en chaque autre peuple. Les oligarchies, par intérêt de caste, ignorent le légitime sentiment patriotique d’un peuple dont elles convoitent les richesse matérielles ou/et le territoire comme base militaire. Ce fait explique l’existence de certains peuples divisés en diverses nations différentes.
Voilà pourquoi, pour toute personne respectueuse des peuples, il est impératif de ne pas les confondre avec les oligarchies qui les dominent, afin d’éviter que ces dernières utilisent les peuples les uns contre les autres, au bénéfice de ces oligarchies.
Le patriotisme authentique est source de solidarité entre les peuples, contre les oligarchies impérialistes qui déforment ce patriotisme légitime en nationalisme chauvin. Trompeuse, dans le meilleur cas, au pire manipulatrice, est l’explication des conflits par des termes comme « États-Unis », « Syrie », etc.
Ces mots indiquent des territoires géographiques, pas des agents sociaux. Or, ce sont ces derniers qui agissent. Par exemple, ce ne sont pas les « États-Unis » qui ont agressé la « Syrie » : c’est une oligarchie dominante aux États-Unis, représentée par un Président élu, qui a agressé un groupe dirigeant syrien qui contrastait ses intérêts impérialistes.
Cette manière précise de définir évite d’opposer entre eux les peuples qui habitent ces territoires, États-Unis et Syrie, bien que que le peuple états-unien ait élu l’oligarchie états-unienne et le peuple syrien, le groupe dirigeant la Syrie.
On objecterait : il ne faut exagérer ! Par « États-Unis » ou « Syrie », etc., les gens comprennent que l’on désigne un système politique, un groupe dirigeant. Eh, bien, fréquentez les gens, et vous constaterez qu’en règle générale, le terme géographique les conditionnent à confondre peuple et groupe dirigeant. Ce fut le cas quand les peuples de France et d’Allemagne se sont auto-massacrés en criant, les uns, « Sus aux boches !... À bas l’Allemagne ! », les autres « Gegen die Franzosen!… Nieder mit Frankreich ! » (Contre les Français !… À bas la France !). Veillons donc à éviter tout mot qui opposerait les peuples entre eux. Les mots libèrent ou tuent ! Les oligarchies et leurs mercenaires le savent : leur langage tue. Malheureusement, ceux qui défendent les peuples ne manifestent pas la même rigueur à utiliser le langage qui libère.
Système politique
Attention à ne pas expliquer les carences syriennes par une forme de dictature ou de Parti unique.
Aux États-Unis, n’a-t-on pas affaire, en réalité, à une forme de Parti unique, de genre bicéphale ? N’est-ce pas là une tromperie, une manipulation ? Est-ce seulement un hasard qu’aucun autre parti politique ne soit jamais parvenu à entrer en concurrence avec les partis « démocrate » et « républicain » ? En passant, combien savent que la Constitution états-unienne ne contient pas le mot « démocratie » ?
Considérons la Chine, le Vietnam, Cuba, la Corée du Nord. Ces pays sont ouvertement dirigés par un Parti unique, définis, de ce fait, par certains comme dictature. Toutefois, les éventuels agresseurs impérialistes savent, par expérience, que ces nations ne sont pas comestibles comme l’Irak, la Libye, le Soudain ou la Syrie.
Un des motifs, pas l’unique, de la force dissuasive des nations dirigées par un seul Parti est ce que j’ai constaté durant mon séjour en Chine et au Vietnam : un esprit patriotique authentique, stimulé et entretenu de manière continue, systématique dissuasif.
J’ai entendu des citoyens des diverses classes sociales critiquer fortement la politique de leurs autorités, mais, dans un domaine précis, ils sont unanimes : « Notre patrie est sacrée ! Pour sa défense, nos problèmes intérieurs, nos griefs contre nos dirigeants passent au second plan. Que l’on ne vienne pas nous dire : Oh ! Sachez que vos dirigeants sont des dictateurs, qu’ils évoquent un danger extérieur pour vous détourner d’une mauvaise gestion intérieure. Vous avez besoin de liberté, de démocratie, des droits de l’homme et de la femme !… Notre réponse est : Ce n’est pas à vous, étrangers, de nous dire quoi penser et comment agir en ce qui concerne notre patrie. Occupez-vous de votre pays, nous nous occupons du nôtre. Et nous avons constaté les effets de vos beaux slogans de méprisable renard sur trop de pays. »
Voilà comment j’ai vu neutralisée l’action propagandiste étrangère sur les peuples chinois et vietnamien. Bien entendu, leurs gouvernements utilisent également d’autres moyens pour protéger leurs populations de la propagande impérialiste ; ces autres moyens seraient insuffisants sans la stimulation adéquate de l’esprit patriotique.
Information, instruction, culture
Pour la défense de la patrie, comment les citoyens (le peuple) peuvent-ils constituer, de manière stratégique : 1) l’eau dans lequel nage leur armée et leurs services de renseignement ; 2) la base arrière efficace ? Pour le dire comme dans l’extrait cité : « se réveiller, soient conscients » ?
La réponse, banale, est fournie par l’histoire : ces citoyens, ce peuple doivent posséder l’information, l’instruction et la culture qui réveillent, fournissent la conscience.
L’agent qui l’assure doit, logiquement, aimer ces citoyens, ce peuple. S’il les craint, il leur fournira une information, une instruction et une culture qui, au contraire, les endorment, annihilent leur conscience.
Pour que cette éventualité soit exclue, il faut que l’agent réveilleur-conscientiseur soit en harmonie avec les réveillés-conscientisés, à leur service.
Comment le vérifier ? Examinez :
1) le système d’information étatique (et privé, éventuellement) des citoyens : fournit-il les éclaircissements nécessaires, dans la langue comprise par la majorité du peuple ?
2) le système éducatif : outre aux matières scientifiques, fournit-il celles dites humanistes, générales ?
3) le système culturel : fournit-il les valeurs adéquates ?
À quelles conditions information, instruction et culture stimulent-elles le réveil et la conscience populaires ?
En permettant au peuple l’accès à deux facilités :
1) Le temps : des travailleurs massacrés de boulot, où trouveraient-ils l’énergie pour se réveiller et prendre conscience ?
2) La liberté de penser : sans elle, que serait la créativité constructive ?
On objecterait : les conditions mentionnées ci-dessus n’existent pas dans les pays mentionnés, à fort esprit patriotique ; ce dernier semble compenser les deux conditions ci-dessus.
Peuple et dirigeants
Dans toute nation, le peuple est pour ses dirigeants la réserve stratégique, au sens technique du terme.
Si les dirigeants constituent une oligarchie dominatrice-exploiteuse, ils utilisent le peuple comme chair à canon en lui faisant croire qu’il défend les « valeurs » du pays : liberté, démocratie, droits de l’homme et de la femme, civilisation, etc. En réalité, l’oligarchie défend ses intérêts spécifiques. Elle y parvient par la mise en place d’un système d’information-instruction-culture qui conditionne le peuple à croire qu’il protège la patrie alors qu’en fait il défend les intérêts de la caste qui le manipule.
Si les dirigeants, au contraire, forment un groupe au service du peuple, les deux constituent un bloc uni en mesure de dissuader toute velléité d’agression étrangère alliée à une déstabilisation intérieure. Le bloc uni est réalisable quand le groupe dirigeant fournit au peuple un système d’information-instruction-culture, ou, du moins, un esprit patriotique qui lui donne les instruments cognitifs adéquats à la défense de la patrie contre toute agression.
1http://kadour-naimi.over-blog.com/2024/12/corruption-l-ennemi-public-numero-1-et-comment-le-neutraliser.html
2Mohsen Abdelmoumen,15 décembre 2024, https://www.algeriepatriotique.com/2024/12/15/al-qaida-au-pouvoir-en-syrie-lhistoire-donne-raison-a-lanp-une-fois-de-plus/ Les italiques sont les miens
3http://kadour-naimi.over-blog.com/2024/12/pourquoi-350-est-superieur-a-30.000-ideal-et-strategie.html
4 Lire « War is a Racket » (Le racket de la guerre) de Smedley Darlington Butler. L'un des militaires les plus décorés de l'histoire états-unienne, il dévoile comment les guerres servent principalement les intérêts financiers des grandes entreprises et des élites.
Publié in
https://www.algeriepatriotique.com/2025/01/24/pourquoi-le-peuple-danse-sur-sa-propre-tombe-le-cas-despece-syrien/
24 janvier 2025